- Mercredi 25 janvier 2017
- Suivi quinquennal de l'application des lois - Communication
- Finalisation de l'accord international de « Bâle III » - Communication
- Contrôle budgétaire - Politique des dividendes de l'État actionnaire - Communication
- Compte rendu de la réunion du bureau de la commission du 24 janvier 2017 - Programme de contrôle de la commission pour 2017 - Communications
- Jeudi 26 janvier 2017
Mercredi 25 janvier 2017
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Suivi quinquennal de l'application des lois - Communication
La réunion est ouverte à 9 h 30.
La commission entend tout d'abord une communication de Mme Michèle André, présidente, sur le suivi quinquennal de l'application des lois.
Mme Michèle André, présidente. - Comme vous le savez, notre assemblée accorde une attention particulière au suivi de l'application des lois et, au sein du Bureau du Sénat, Claude Bérit-Débat est plus particulièrement chargé de ce dossier.
Nous présenterons avant l'été le traditionnel bilan de l'application des lois de la session écoulée mais le président du Sénat et Claude Bérit-Débat ont souhaité dresser, avant la suspension de nos travaux, un bilan de l'application des lois emblématiques de la législature. La conférence des présidents a fixé ce débat au mardi 21 février à 17 h 45.
Évidemment sélectionner des lois emblématiques est un exercice subjectif et les lois de finances sont pleines de mesures que chacun d'entre nous pourrait juger emblématiques. La liste que nous avons retenue vous a été distribuée.
En outre, dresser le bilan de l'application des lois emblématiques conduit à s'affranchir de la méthodologie que nous retenons habituellement pour évaluer l'application des lois et qui consiste surtout à faire le point sur la mise en oeuvre des mesures d'application, décrets ou arrêtés. En effet, un grand nombre, voire la plupart, des mesures que nous avons retenues ne nécessitaient pas de décret d'application, ou alors seulement sur des points secondaires.
En revanche, dans beaucoup de cas, nous nous sommes attachés, au sein de la commission, à suivre la mise en oeuvre des dispositifs, soit en organisant des auditions publiques, par exemple pour suivre les différentes étapes de la séparation des activités bancaires, soit en confiant des rapports d'information aux rapporteurs spéciaux concernés, par exemple pour suivre l'application du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) comme l'a fait Marie-France Beaufils.
Sur le fond que pouvons-nous retenir ?
Je commencerai par les textes relatifs à la gouvernance des finances publiques.
Depuis le 17 décembre 2012, notre loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, n'est plus notre seul texte de référence puisque nous sommes également régis par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, prise essentiellement pour introduire dans notre droit interne les règles de gouvernance budgétaire décidées au niveau européen, et que nous avions adoptée à une large majorité.
Si on peut considérer que le vote au début de chaque loi de finances d'un article liminaire n'a pas eu d'incidence majeure sur le déroulement des débats, la création du Haut Conseil des finances publiques a introduit dans le débat budgétaire un acteur nouveau, dont l'existence même a conduit à améliorer le réalisme des prévisions budgétaires et dont les avis sont au coeur de nos discussions et même de l'examen des textes financiers par le Conseil constitutionnel.
Le seul décret d'application de cette loi portait sur la désignation des membres de cette institution. Je vous rappelle que le principe de la parité a été adopté au Sénat à l'initiative d'un amendement d'André Gattolin, que j'avais soutenu, et que c'est notre rapporteur général de l'époque François Marc qui a inventé le dispositif de parité absolue selon lequel chaque autorité de nomination désigne alternativement une femme et un homme. C'est ainsi que Philippe Marini avait désigné une femme en 2013 et que mes successeurs désigneront un homme en 2018, une femme en 2023 et ainsi de suite.
Les lois de programmation des finances publiques votées depuis cinq ans, celle de 2012 et celle 2014, comportaient de nombreuses mesures relatives à la gouvernance des finances publiques, adoptées de manière consensuelle mais diversement appliquées.
À l'initiative d'Albéric de Montgolfier, les documents budgétaires ont été très substantiellement enrichis pour permettre un meilleur suivi des opérateurs. La procédure d'évaluation socio-économique des investissements publics par le commissariat général à l'investissement s'installe peu à peu dans nos processus de prise de décision.
En sens inverse, le décret instituant une conférence des finances publiques n'a jamais été pris. Cette conférence devait réunir une fois par an des représentants de toutes les catégories d'administrations publiques, l'État, les organismes sociaux et les collectivités territoriales, pour élaborer un diagnostic sur la situation des finances publiques et apprécier les conditions requises pour respecter la trajectoire des finances publiques.
Aucune des dispositions pour restreindre le champ de la fiscalité affectée n'a été appliquée et les dispositifs d'évaluation des dépenses fiscales prévus dans la loi de 2012 comme dans celle de 2014 n'ont pas été mis en oeuvre. Des revues de dépenses ont bien été élaborées, mais sans susciter de réforme d'ampleur à ce jour.
En matière fiscale j'ai retenu trois réformes emblématiques, mais dont la mise en oeuvre n'est pas liée à la prise de textes réglementaires. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi voté fin 2012 est désormais la plus importante dépense fiscale, qui en régime de croisière diminuera de moitié environ le montant de l'impôt sur les sociétés. Elle est en vigueur depuis 2013, ses effets sur les marges des entreprises sont réels mais sa pérennité n'est pas assurée puisque sa transformation en baisse de charges est régulièrement évoquée, y compris au plus haut niveau de l'État.
Le consentement à l'impôt par le Parlement a retrouvé plus de sens avec la réforme de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, qui permet au Parlement de voter un impôt dont le produit est aujourd'hui supérieur à 7 milliards d'euros. Cette conquête démocratique avait été initiée par notre commission et en particulier notre rapporteur pour avis Jean-François Husson dans la loi de transition énergétique avant d'être confirmée dans la loi de finances rectificative de la fin 2015, dans une version dont notre rapporteur général Albéric de Montgolfier avait toutefois jugé qu'elle n'allait pas assez loin du point de vue des pouvoirs du Parlement.
La révision des valeurs locatives sur lesquelles sont assis nos impôts locaux est un processus au long cours que la loi vient périodiquement débloquer ou relancer. La révision des valeurs locatives des locaux professionnels avait été engagée sous la précédente législature et poursuivie depuis 2012, les lois de finances apportant les ajustements législatifs nécessaires. Elle entre en vigueur cette année, ce qui rend urgente la poursuite de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, lancée en 2013 par une proposition de loi de notre rapporteur général de l'époque François Marc que l'Assemblée nationale avait intégrée à la loi de finances rectificative de fin d'année. Nous n'avons pas encore reçu les résultats de l'expérimentation.
La législature a été marquée par un renforcement considérable des outils à la disposition de l'administration fiscale pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. La loi du 6 décembre 2013 relative à lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière est emblématique de cette démarche mais les lois de finances successives ont été riches en dispositions en ce sens. La prise de conscience a été progressive mais réelle, comme en témoigne la possibilité de rémunérer les aviseurs des douanes, proposée sans succès par notre commission en juillet 2013 mais finalement votée en décembre 2016.
Un cas original : celui du registre public des trusts. Créé par la loi de 2013, organisé par un décret de mai 2016, censuré en octobre 2016 par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, revu dans une version non publique par une ordonnance de décembre 2016, et désormais dans l'attente d'un nouveau décret d'application.
Une autre loi emblématique est la loi du 6 août 2015 sur la croissance et l'activité, la « loi Macron ». Je voudrais simplement signaler des cas révélateurs de la manière dont évolue notre façon de légiférer et en particulier l'instabilité de la législation fiscale et financière. Ainsi le dispositif de suramortissement bien connu de notre commission a, depuis août 2015, déjà été modifié par trois lois de finances. La réforme de la fiscalité des actions gratuites issue de la loi « Macron » et mise en oeuvre au premier semestre 2016 a pour sa part été revue dans la loi de finances pour 2017. Autre exemple : les textes d'application de la réforme de la mobilité bancaire issue de la loi « Hamon » de 2014 n'étaient pas encore pris au printemps 2015 que déjà la loi « Macron » venait compléter cette réforme, pour elle-même tenir compte de nouvelles dispositions du droit de l'Union européenne.
J'évoquerai aussi la possibilité ouverte par la loi « Macron » de régler un contrat d'assurance vie par la remise de titres non négociables. La portée de cet assouplissement limité et encadré est affaiblie non par le droit européen ou une autre loi nationale mais par la jurisprudence, en l'espèce par un arrêt de mai 2016 de la Cour de cassation qui reconnaît la possibilité de verser les primes sous forme de titres pour les contrats d'assurance vie régis par la loi française mais distribués par un assureur luxembourgeois, relançant ainsi le débat sur la nécessité de faire évoluer notre code des assurances.
En matière bancaire et financière, la loi la plus emblématique est celle de juillet 2013 sur la séparation et la régulation des activités bancaires, qui a abouti à un dispositif permettant de protéger la banque de détail des conséquences des activités les plus risquées, tout en limitant l'impact de ces règles sur le financement de l'économie. Cette loi illustre aussi l'imbrication entre droit national et droit européen en matière de régulation financière puisque le dispositif de résolution que nous avons voté ne s'applique plus qu'à une minorité d'établissements, le dispositif européen adopté depuis ayant pris le relai.
La Banque publique d'investissement fait désormais tellement partie du paysage du financement de l'économie française et de l'innovation que l'on oublierait presque qu'elle a été créée par une loi de décembre 2012. La gouvernance de l'établissement n'est pas forcément celle que l'on imaginait au départ mais la banque fonctionne. Son action a été notamment évaluée dans un rapport public thématique de la Cour des comptes paru en décembre 2016, qui identifie en particulier certaines débudgétisations.
Je voudrais conclure en évoquant les demandes de rapport. Elles ont mauvaise presse. Les rapports sont pourtant utiles lorsqu'ils permettent de faire le bilan de l'application d'une loi et au besoin d'en tirer les conséquences. Je prendrai l'exemple de la loi du 13 juin 2014, dite «Eckert », sur les comptes bancaires et les contrats d'assurance vie en déshérence. Notre rapporteur François Marc avait fait voter la remise avant le 1er mai 2016 d'un rapport dressant le bilan du respect de leurs obligations par les assureurs. Sur la base de ce rapport, notre rapporteur pour avis de la loi « Sapin 2 », Albéric de Montgolfier, a identifié que beaucoup de bénéficiaires de contrats d'assurance retraite complémentaire ne demandaient pas leur liquidation à leur départ en retraite, ce qui représentait 6,7 milliards d'euros non versés à leurs bénéficiaires. À l'initiative d'Albéric de Montgolfier, les assureurs ont désormais une obligation d'information des bénéficiaires. Et un nouveau rapport est prévu pour 2018, afin de faire le bilan de cette mesure et de s'assurer que tous les bénéficiaires profitent bien des sommes auxquelles ils ont droit.
Voici les quelques enseignements que je pouvais tirer de la mise en oeuvre de quelques lois emblématiques du quinquennat.
M. Michel Bouvard. - Je vous remercie de cette synthèse. Le sujet de l'imperfection de la loi relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques reste entier, puisqu'il n'en demeure pas moins qu'à ce jour, nous avons un débat sur l'engagement de la France vis-à-vis de l'Union Européenne mais nous n'avons pas systématiquement de vote. C'est tout de même un problème dans la mesure où la feuille de route fixée par le Gouvernement sur laquelle nous débattons nous engage, y compris en termes de potentielles pénalités, alors même que nous ne délibérons pas sur ce point. La loi-cadre des finances publiques de l'époque a certes été enterrée mais elle reste un sujet d'actualité qu'il faudra remettre sur la table si l'on veut qu'il y ait une cohérence, y compris avec une éventuelle censure du juge constitutionnel, entre ce qui est voté en loi de finances annuelle et l'engagement que nous prenons vis-à-vis de la Commission européenne nos partenaires européens.
M. Richard Yung. - Si dans les temps à venir, il y avait un renforcement du « semestre européen », c'est-à-dire la démarche budgétaire coordonnée au niveau de la zone euro, en particulier vis-à-vis de l'Allemagne, comment le Parlement national - et donc le Sénat - pourrait-il s'inscrire dans cette démarche, à côté du rôle joué par le Parlement européen et la Commission ? Pour l'instant, aucune réforme n'est initiée si ce n'est l'éventuelle création d'une sorte de commission spécialisée sur la zone euro à l'intérieur du Parlement européen. C'est une mesure envisageable mais qui nécessite des clarifications.
Par ailleurs, ces dernières années, je veux souligner que les processus de lutte contre l'évasion fiscale ont été renforcés de façon significative, notamment les déclarations des entreprises prévues par la loi de séparation et régulation des activités bancaires, les échanges obligatoires de données fiscales entre les administrations... Grâce à tous ces nouveaux dispositifs, nous pouvons mener une lutte contre l'évasion fiscale plus significative que les années passées.
M. Éric Bocquet. - Sur ce même sujet de la fraude fiscale, malgré le respect que je porte au Conseil constitutionnel, je trouve qu'il censure de façon récurrente, et particulièrement dans les sujets fiscaux ou les sujets intéressants les grands groupes économiques, les dispositions votées par le Parlement. Or, alors même que le Parlement est souverain et légitime, il n'a plus de recours pour éventuellement amender son texte. Ce genre de décision devient systématique et donc gênant pour la démocratie dans laquelle nous vivons.
Mme Michèle André, présidente. - Sur le thème de la gouvernance de la zone euro, je pense, comme Richard Yung, qu'il est indispensable qu'en tant que sénateurs membres de la commission des finances, nous nous approprions tous les outils mis à notre disposition, bien qu'ils ne soient pas encore tous parfaitement au point. Par exemple, bon nombre d'auditions sont menées et certains d'entre nous participent aux débats de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Malheureusement, les relations entre les parlementaires nationaux et les membres du Parlement européen évoluent souvent dans la rivalité plutôt que dans une interopérabilité réelle, ce qui ne fait que refléter le déséquilibre actuel dans la prise de décision : les Parlements nationaux votent la loi de finances alors que le Parlement européen aimerait davantage participer au débat. Les sénateurs prochainement élus et nous-mêmes avons véritablement besoin d'être de plus en plus à l'aise avec cette dialectique permanente entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. La loi de programmation des finances publiques de 2010 prévoit la transmission au Parlement du projet de programme de stabilité avec la possibilité d'un débat et d'un vote.
Je rappelle ensuite qu'en 2011, le Sénat avait adopté une proposition de résolution relative aux observations de la Commission européennes sur le programme de stabilité de la France. Voilà autant d'outils que nous pouvons donc nous approprier.
En qui concerne la remarque d'Éric Bocquet, il est vrai que le place croissante prise le Conseil constitutionnel - légitime, dans une démocratie - mérite d'être observée, et parfois interrogée dans les cas où le point de vue du Parlement et du Conseil divergent significativement. Cela s'est produit plusieurs fois, et plus récemment sur la question du « reporting public » pays par pays.
La commission donne acte de sa communication à Mme Michèle André, présidente.
Finalisation de l'accord international de « Bâle III » - Communication
Puis la commission entend une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur la finalisation de l'accord international de « Bâle III ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avons entendu le Gouverneur de la Banque de France le 21 décembre 2016 au sujet de la finalisation des accords de Bâle III. Il nous avait alors fait part de plusieurs préoccupations partagées par la commission des finances. Il s'agissait en particulier du traitement des crédits immobiliers, pour lesquels la France présente certaines spécificités, notamment le recours aux taux fixes et au cautionnement. Si certaines conditions étaient mises en oeuvre, le modèle français de crédit immobilier pourrait s'en trouver menacé.
C'est pourquoi, la présidente et moi-même souhaitons écrire au Gouverneur de la Banque de France pour lui faire part de nos préoccupations et le soutenir dans les négociations. Je vous rappelle que le comité de Bâle a annoncé le 3 janvier 2017 le report de la réunion des Gouverneurs relative à la finalisation des accords de Bâle III, initialement prévue le 8 janvier. Il est donc important d'exprimer notre position.
Ce projet de lettre vous a été distribué ; nous y rappelons les points de préoccupation que nous partageons avec le Gouverneur, et notamment deux éléments qui contribuent sans doute à expliquer le report de la réunion et alimentent notre inquiétude.
Le premier tient à l'harmonisation des modèles utilisés par les établissements de crédits en matière de pondération des actifs par les risques. À cet égard, nous rappelons que la commission des finances soutient le principe de cette démarche d'harmonisation, compte tenu de l'existence, pour un même actif, de variations importantes et non justifiées des résultats des modèles internes utilisés par différentes banques. Nous considérons que la finalisation des accords ne doit pas conduire à écarter complètement les modèles internes de valorisation des risques, largement utilisés par les établissements de crédit européens, qui permettent une analyse plus fine des portefeuilles. Nous considérons également que le maintien de la possibilité de recourir à de tels modèles ne devrait pas être contourné en pratique par la mise en place d'un plancher exprimé en pourcentage de résultat donné par un modèle standard à un niveau si dissuasif qu'il reviendrait à aligner les modèles internes sur le modèle standard. Concrètement, ces mesures pourraient rendre nécessaire une augmentation significative des besoins en fonds propres associés aux actifs détenus par les banques françaises.
La seconde préoccupation que nous évoquons a trait au traitement prudentiel des financements spécialisés. Certaines banques françaises sont fortement investies dans les financements spécialisés, par exemple les grandes infrastructures ou l'achat d'avions à crédit. Or le projet initial du comité de Bâle nécessiterait un renforcement considérable des exigences en capital associées à ces financements, ce qui pourrait compromettre le financement bancaire de ces types d'investissements, structurants pour l'économie.
Face à ces inquiétudes entourant les négociations relatives à la finalisation de l'accord de Bâle III, et à la suite du report de la réunion des Gouverneurs, nous avons décidé, la présidente et moi-même, de rédiger conjointement ce courrier. Compte tenu des risques identifiés pour le financement de l'économie, il est important que la commission des finances reste vigilante.
M. Richard Yung. - La lettre est bienvenue pour aider la délégation française. La négociation a été suspendue. La prochaine réunion décisive serait liée au G20, à savoir en mars. Je soulignerai deux points.
Tout d'abord, la préservation des spécificités françaises dans le traitement des crédits immobiliers, sur laquelle nous nous étions prononcés, est désormais actée et ne doit normalement pas être remise en cause. Le modèle français est donc préservé, de même que le modèle allemand, légèrement différent.
Demeure ensuite une tentative forte des Américains d'introduire un plancher, soit un pourcentage de fonds propres par rapport aux risques pondérés. Les Américains insistent pour un plancher fixé à 75 %, ce qui est très élevé, puisqu'en France la moyenne est de 50 %. Sur cette question, un front commun s'est dessiné et a tenu bon, avec les Allemands, les Français, l'Union européenne en général, et les Japonais. Ce front doit maintenir son action face à la nouvelle administration américaine et aux incertitudes qui entourent ses orientations. Un allègement de la régulation est évoqué, mais cette perspective peut se conjuguer avec la volonté d'imposer des contraintes au système bancaire européen. C'est donc une bonne chose que la commission des finances aide la délégation française en témoignant de sa vigilance sur ces questions. Le soutien du Parlement à ses négociateurs peut peser dans les négociations.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je salue la démarche commune de notre présidente et du rapporteur général et le fait que nous poursuivions le dialogue avec le Gouverneur de la Banque de France sur ces négociations. Outre le sujet des crédits immobiliers déjà abordé, je me félicite que votre lettre concerne aussi les règles prudentielles applicables aux financements de certains grands équipements. L'industrie aéronautique s'inquiète de la possibilité de continuer à financer des aéronefs à des taux acceptables. Il faudra donc continuer à mettre l'accent sur ce point. J'avais d'ailleurs déposé une question écrite sur le sujet : toutes les initiatives convergent pour faire que les modèles américains ne nous soient pas étendus.
Mme Michèle André, présidente. - Il est utile que nous soyons au côté du Gouverneur de la Banque de France dans la conduite de ces négociations. À ce propos, la commission des finances entendra le 22 février prochain le secrétaire général du comité de Bâle, William Coen.
Contrôle budgétaire - Politique des dividendes de l'État actionnaire - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur la politique de dividendes de l'État actionnaire.
M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - La question que j'ai souhaité aborder dans ce rapport de contrôle est bien connue et fait parfois polémique : celle de savoir si l'État utilise de façon excessive la distribution de dividendes de sociétés qu'il contrôle pour participer à l'équilibre du budget de l'État. C'est une question qui est posée par la Cour des comptes notamment et plusieurs groupes de réflexion, qui se sont inquiétés de ce risque de dérives. La réponse que j'y apporterai, c'est une réponse négative : il n'y a pas d'utilisation excessive, et je vais tenter de vous le montrer, dans la période récente, à l'exception d'un cas - qui est celui d'EDF - sur lequel je reviendrai de manière spécifique.
Sur les éléments qui pouvaient conduire à avoir ces inquiétudes, le premier est que nous avons observé que depuis la création de l'Agence des participations de l'État (APE) en 2004, le montant des dividendes prélevés sur le portefeuille des entreprises dont l'État est actionnaire a été multiplié par plus de quatre. Cet élément pouvait a priori inquiéter. En réalité, on peut se féliciter de voir que la création de l'APE a conduit à une meilleure gestion des participations de l'État, qui s'est rapprochée de celle du secteur privé - ce qui a conduit à cette augmentation. Il n'y a pas de raison que l'État se prive - à condition de ne pas déséquilibrer la situation des entreprises - d'une juste rémunération de son patrimoine. Cette logique de fonctionnement de l'APE a été globalement vérifiée. C'est une logique d'intervention qui se rapproche de celle d'un actionnaire privé : distribuer des dividendes quand cela est possible, le faire au meilleur moment, mais sans excès. Je ne reviendrai pas sur les éléments théoriques qui peuvent d'ailleurs justifier le choix de cette approche : ils sont détaillés dans le rapport.
Je souhaite également souligner le fait que dans le cadre de ces entretiens nous avons observé deux éléments complémentaires qui pouvaient renforcer la crainte d'une distribution excessive. Premièrement, les règles de la comptabilité publique sont plutôt biaisées en faveur des dividendes. La distribution de ces dividendes participe en effet à une amélioration du solde général de l'État et réduit le déficit au sens de Maastricht. À l'inverse, si l'État privilégiait l'augmentation de la valeur des actions, la plus-value en cas de revente ne bénéficierait pas au budget général de l'État et n'améliorerait pas le défi de Maastricht.
Enfin, je voudrais souligner un dernier facteur d'inquiétude : à partir du moment où nous avons connu la crise des dettes souveraines, en 2011, nous avons pu constater que le rendement moyen du portefeuille de l'État actionnaire s'est accru par rapport à la moyenne du CAC 40. Entre 2007 et 2011, le rendement annuel moyen du portefeuille coté de l'État actionnaire s'élevait à 3,44 %, soit un niveau très proche de celui observé pour l'ensemble du CAC 40 (3,67 %). Ce n'est plus tout à fait vrai à partir de 2011, le rendement des actions de l'État actionnaire étant plus élevé. Cela pouvait laisser penser que devant la pression favorable à la recherche de la diminution des déficits publics, on utilisait davantage la variable des dividendes que par le passé. En réalité, un examen détaillé me permet de dire que cette crainte est infondée : cet écart - qui apparaît très étonnant - à partir de 2011 s'explique de deux façons. La première est que, dans le secteur privé, les entreprises ont beaucoup utilisé la technique du « rachat d'actions », qui n'a pas été utilisée dans le cas de l'État actionnaire, ce qui explique ainsi la moitié de l'écart. La deuxième est celle du « biais sectoriel » : le portefeuille de l'État actionnaire est très fortement marqué par les poids du secteur énergétique et du secteur de l'aéronautique-défense, qui sont des valeurs de rendements plus rémunératrices que la moyenne des autres valeurs. Ainsi, la crainte que nous avions trouve son explication. Pour nous en assurer, nous avons comparé secteur par secteur la distribution de dividendes du portefeuille de l'État avec celle des entreprises européennes concurrentes et nous n'avons pas observé de divergences, à l'exception de la société Engie, qui, pour des raisons particulières, distribue davantage de dividendes.
Un examen détaillé nous montre donc qu'il n'y a pas de biais systématique et que l'État n'a pas utilisé de façon significative la distribution de dividendes pour équilibrer son budget, et ce depuis la création de l'APE. La création de l'APE s'est avérée positive sur l'ensemble de la gestion des participations de l'État.
Reste un cas particulier, qu'est celui d'EDF. Ce cas avait été évoqué l'an dernier par Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, qui avait reconnu une difficulté. À partir de 2009, on observe que bien que le flux de trésorerie se soit très nettement dégradé, les dividendes versés en numéraire sont restés globalement les mêmes. Il y a eu des compensations : l'État régulateur a notamment permis à EDF d'affecter la créance au titre de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) aux actifs dédiés. Mais il y a bien eu un problème : l'État, en continuant à prélever de manière excessivement longue des dividendes de l'ordre de 2 milliards d'euros - soit près de la moitié des dividendes du portefeuille de l'État - a conduit à une augmentation de l'endettement de l'entreprise. C'est évidemment un point négatif que nous devons constater au moment où la restructuration du secteur énergétique s'impose, comme je le précisais dans mon rapport spécial sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Pourquoi l'État a-t-il réagi tardivement ? Je tiens à préciser en préambule qu'à partir de 2015, sa réaction a été de ne plus continuer à prélever de dividendes en numéraire sur EDF - et ce sera encore le cas en 2016 et 2017 - l'État ayant accepté de percevoir son dividende en actions. C'est une réaction réelle mais qui est trop tardive, ce qui peut s'expliquer de plusieurs façons. Tout d'abord, l'essentiel du dividende du portefeuille de l'État - qui est de 4 milliards d'euros - provient de trois entreprises que sont EDF, Engie et Orange. Or, dans le même temps, Engie et Orange avaient diminué leurs distributions de dividendes pour des raisons propres à leurs secteurs : il y a peut-être eu une volonté, consciente ou non, de compensation. Il y a aussi eu, je le disais, cette intervention de l'État régulateur concernant la créance de CSPE.
Je terminerai en vous faisant part de plusieurs recommandations. La première est qu'il serait souhaitable de renforcer le rapport relatif à l'État actionnaire en introduisant un « mécanisme d'alerte » lorsqu'une divergence telle que celle observée sur EDF apparaît, afin d'avoir des informations transparentes et des explications. Une deuxième piste consiste à modifier le dispositif de performance du compte spécial, en prenant en compte le taux de rotation des personnels chargés du suivi des participations. Cela peut poser un problème dans la force de l'avis qui émane de l'APE, qui ne bénéficie pas d'une continuité et d'une vision suffisamment longue. Enfin - et cette recommandation est peut-être plus symbolique -, il pourrait être envisagé de prévoir que la décision de prélever un dividende sur le résultat des établissements publics soit désormais prise exclusivement par le ministre chargé de l'économie - et non plus conjointement avec le ministre chargé du budget, comme c'est le cas actuellement.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Lorsque nous avions reçu le ministre de l'économie, j'avais souligné toutes les ambiguïtés de l'État actionnaire. La Cour des comptes vient de publier ce matin son rapport posant une question : « L'État est-il un bon actionnaire ? ». La synthèse du rapport montre que la réponse est plutôt négative. Il y a une ambiguïté de départ : l'État poursuit des objectifs contradictoires, contrairement à un actionnaire classique qui recherche avant tout du rendement ou des plus-values. Cette contradiction est visible dans le cas, par exemple, du secteur de l'énergie, avec la volonté d'avoir un meilleur rendement mais aussi de limiter pour des raisons sociales la hausse des tarifs. Les intérêts de l'État sont parfois inconciliables. Malheureusement, la synthèse du rapport de la Cour des comptes montre que l'État a plutôt du mal à être un bon actionnaire. Il y a sans doute un problème de turn over à l'APE, mais aussi le poids politique de l'APE. Il y a également une autre ambiguïté : l'État est actionnaire via l'APE mais il y a également l'actionnariat à travers Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations : les participations de l'État sont réparties entre différentes instances. En outre, face à la perte de compétitivité et à la désindustrialisation, le fait d'être actionnaire n'est pas forcément le meilleur moyen aujourd'hui d'intervenir.
L'éclairage qu'apporte la Cour des comptes est assez préoccupant. Il faudrait vraiment clarifier les objectifs de l'État. J'ai peur que le portefeuille de l'État soit plutôt une charge qu'une ressource dans les prochaines années, compte tenu des besoins en recapitalisation dans certains secteurs : il faudra regarder de très près la question des interventions en capital. Le jugement de la Cour des comptes est sévère.
Est-ce que notre rapporteur spécial a pu évaluer les besoins de recapitalisations que va nécessiter le portefeuille de l'État dans les prochaines années, qui risquent de peser lourdement sur les finances publiques ?
M. Michel Bouvard. - La politique de distribution de dividendes de l'État actionnaire est plus raisonnable depuis plusieurs années. En revanche, une pratique a tendance à se développer, en lien avec la recommandation de notre rapporteur spécial sur la seule décision du ministre de l'économie : certains ministres flèchent désormais l'affectation des dividendes. C'est une tentation récurrente que les dividendes n'entrent pas directement dans le budget de l'État mais soient mobilisés sur une politique. Nous l'avons vu dans le cadre du ministère de l'environnement. Cette pratique porte atteinte à l'universalité budgétaire et est un moyen de contourner la norme de dépenses. Nous devrions donc préciser qu'il ne peut y avoir de fléchage de l'utilisation des dividendes en dehors du budget de l'État, notamment dans le cas des entreprises où l'État est majoritaire au capital.
M. Marc Laménie. - Combien de sociétés en tout sont concernées ? Vous avez souligné qu'une forte partie provient du secteur de l'énergie.
M. Vincent Delahaye. - Que l'État ne soit pas un très bon actionnaire n'est pas nouveau, l'interrogation est récurrente. Pour beaucoup de sociétés, on se demande pourquoi l'État est toujours à leur capital. Depuis quelques années, on voit que le Gouvernement a visiblement cherché d'une certaine manière à compenser la baisse des dividendes versés par Orange et Engie par le versement de dividendes de la part d'EDF - en empruntant. EDF est dans un domaine d'activité qui nécessite beaucoup d'investissements et de moyens financiers et je suis donc surpris de cette politique, qu'on emprunte pour verser un dividende plutôt que pour investir. Je voudrais connaitre le montant global sur le quinquennat des dividendes financés par l'emprunt. Je vois que depuis trois ans l'emprunt d'EDF a augmenté de près de 6 milliards d'euros : ces 6 milliards ont-ils été suscités par l'endettement ? Ce serait de l'endettement détourné de la part de l'État.
M. Éric Bocquet. - A-t-on, concernant la période 2003-2015, un tableau de la part consacrée à l'investissement, dans les entreprises concernées ?
M. André Gattolin. - Concernant EDF, je souhaite rappeler que l'ouverture du capital en 2005 a été opérée à hauteur de 15 %. Il faudrait avoir une analyse sur ce qu'a apporté cette ouverture du capital, quand on voit le faible poids des actionnaires extérieurs à l'État. À qui reverse-t-on des dividendes ? Aujourd'hui, il y a un besoin très rapide de 4 milliards d'euros de recapitalisation sur EDF, de 4,5 milliards sur les anciennes structures d'Areva. On peut se poser des questions sur l'équilibre économique et le modèle de fonctionnement de la filière du nucléaire, qu'on essaye de regrouper au moment où on est à limite de la capacité de ces entreprises à se maintenir durablement. La question de la politique de dividendes est essentielle mais elle devrait être analysée plus globalement, au regard de la capitalisation et des choix faits pour cette filière. Cela devient alors plus inquiétant : on risque d'aboutir à des projets de loi de finances rectificative comme dans le cas de Dexia, demandant de mobiliser plusieurs milliards d'euros.
M. Vincent Capo-Canellas. - La réponse de notre rapporteur spécial à la question posée est claire. Je voudrais nuancer le propos qui est tenu lorsque nous parlons de « l'État actionnaire ». En effet, l'État n'est pas toujours en situation dans les conseils d'administration de décider de la politique de dividendes seul : il y a d'autres instances, d'autres actionnaires. Il faudrait distinguer les entreprises entre celles dans lesquelles l'État est majoritaire et dans une situation de contrôle et celles où il est minoritaire et a moins de poids sur ce type de décision.
Notre rapporteur général l'évoquait, il faut mettre en évidence le rôle de l'État sur la stratégie, sur le long terme. L'État fait-il du court terme budgétaire ou apporte-t-il une plus-value à l'entreprise en étant présent sur le long terme et en jouant sur la stratégie mieux que ne le ferait le marché ? La question est aussi celle des entreprises présentes dans un marché ouvert, notamment celles de la défense ou de l'aéronautique par exemple, où l'État est certes présent, mais le marché est très concurrentiel. La politique de dividendes alors ressort aussi du marché. Au contraire, les sociétés d'infrastructures - la question se pose notamment sur les aéroports - sont dans un état de quasi-monopole, où l'on peut soupçonner l'État de jouer un jeu budgétaire et de faire payer cher un service aux utilisateurs. L'État n'handicape-t-il pas le reste l'économie ? L'État régulateur et l'État actionnaire ont des intérêts divergents, on peut le voir avec le cas d'Aéroports de Paris et d'Air France. Comment se fait l'arbitrage et comment l'APE gère-t-elle ce type de conflits ?
Mme Fabienne Keller. - Ma première question porte sur l'analyse des dividendes, qui doit nécessairement tenir compte de l'évolution de la valeur du portefeuille. Si l'on distribue beaucoup, la valeur de l'actif baisse du même montant. Il est intéressant de vérifier si la distribution du dividende est issue du résultat de l'année ou si l'on mange les ressources propres ?
Ma deuxième question porte sur la gouvernance de la représentation de l'État, que j'ai eu l'occasion moi-même d'observer au sein de différents EPIC. Les représentants de l'État se coordonnent en amont mais ont fréquemment dans les conseils d'administration des positions contradictoires. Je voudrais ajouter un élément d'actualité : lors de la réunion hier sur l'indemnisation de la fermeture de la centrale de Fessenheim, les représentants de l'État n'ont pas pris part au vote. Il faut regarder en face cette difficulté de la gouvernance et porter une position cohérente.
M. Philippe Dominati. - La vraie question qui se pose est celle de savoir s'il faut s'inquiéter. Un portefeuille devrait être équilibré or ici nous voyons que 51 % proviennent de deux entreprises du secteur énergétique. Sur une vision de long terme, ce n'est pas nécessairement le signe d'une bonne gestion des participations de l'État. Une autre difficulté est celle de la situation d'EDF. En moins de dix ans, sa valeur a été presque divisée par dix : une longue descente aux enfers. Pour assurer le dividende, on est obligé d'emprunter. Il faudrait savoir quelle est la perspective de l'État pour cette entreprise.
M. Richard Yung. - La finalité, la justification du portefeuille de participations l'État est de mener une politique industrielle ou de restructuration. L'État n'a pas de vocation particulière à gérer un portefeuille comme le ferait quelqu'un possédant un patrimoine privé. L'exemple de Peugeot il y a deux ans le montre. Mais nous voyons parfois des résultats peu probants : le recours à l'emprunt pour verser des dividendes, dans le cas d'EDF, est surprenant. Je partage l'opinion de notre rapporteur spécial sur la décision de prélèvement du dividende : elle doit être celle du ministre de l'économie, pas du budget. Le portefeuille de l'État n'est pas là pour alimenter le budget. Il faut également s'intéresser au débat relatif aux droits de vote. Chez Renault, on se souvient d'un conflit assez fort opposant Emmanuel Macron, ministre de l'économie, et Carlos Ghosn, PDG de Renault, lorsque le ministre voulait imposer les droits de vote double de l'État.
M. Bernard Lalande. - Sur cette politique de dividendes de l'État, on a bien entendu qu'il y avait un État stratège. Mais les dividendes tombent-ils dans un pot commun ?
Je voudrais également reprendre la question de notre rapporteur général : un certain nombre d'établissements publics interviennent dans l'économie de notre pays, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations. Il y a donc des soutiens économiques soit sous forme de participations, soit sous forme d'emprunt. Existe-t-il un état général des interventions de l'État ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La dégradation de la performance du portefeuille de l'APE est inquiétante. La Cour des comptes indique qu'entre 2010 et 2016, le portefeuille de l'APE a baissé de 29 %, quand le CAC 40 a augmenté de 28 %. Les chiffres sont quasi identiques, mais dans des sens opposés. Ce n'était pas le cas avant 2010. Ces résultats sont sans doute en partie dus au poids du secteur de l'énergie.
M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - Notre rapporteur général parlait de la qualité de l'État en tant qu'actionnaire et des logiques potentiellement inconciliables qui l'animent. Il est probable que la multiplicité des objectifs poursuivis, sur certains dossiers et à certains moments particuliers, conduise à des décisions complexes voire sous-optimales. Cependant, cette sous-optimalité ponctuelle n'induit pas comme conséquence que l'intérêt de l'État actionnaire d'une manière générale soit contestable.
Pour répondre à Richard Yung, Bernard Lalande et Philippe Dominati sur l'optimisation de la structure du portefeuille : la question de l'État stratège implique des prises de participations, qui peuvent être revues. Il y a un intérêt à ce que l'État ne se comporte pas exactement de la même manière qu'un actionnaire privé. L'originalité de l'État actionnaire est de pouvoir avoir, au moins dans les secteurs stratégiques, une vision de long terme et de défense des intérêts de la France. Si l'on considère que ces raisons n'ont plus lieu d'être, on peut proposer un retrait général, mais ce n'est pas ce que proposent la Cour des comptes et l'Institut Montaigne dans leurs rapports. On peut considérer qu'ils proposent de recentrer les participations de l'État sur les secteurs stratégiques ou relevant de la sécurité ou d'un intérêt national majeur. En effet, il y a un intérêt à ce que l'État intervienne dans un certain nombre de circonstances, on l'a vu avec Peugeot de manière très claire mais aussi avec Alstom. La question est de savoir, dans un capitalisme de plus en plus mondialisé, s'il y a un intérêt ou non à préserver l'intérêt du territoire français.
Concernant la question de notre rapporteur général sur la moins bonne performance des sociétés contrôlées par l'État sur la dernière période comparées au CAC 40 : avant 2010, la performance était plus importante. D'une certaine façon, et je le développe dans ce rapport, cette performance dépend de facteurs largement extérieurs à la qualité de la gestion. On a eu des résultats supérieurs avant 2010, notamment parce que la structure du portefeuille de l'État, très marquée par le secteur de la défense et le secteur de l'énergie, a induit des résultats supérieurs car ces domaines étaient plus rentables globalement. Ce phénomène s'inverse sur la dernière période, avec un cas particulier qu'est EDF.
Pour répondre à Michel Bouvard sur le respect du principe d'universalité budgétaire, je n'ai pas noté de biais de ce type pour les principales participations de l'État qui constitueraient effectivement un dysfonctionnement. En revanche, Bpifrance, hors du champ de l'APE, a tendance à garder ses résultats plutôt que de les redistribuer à l'État.
L'APE contrôle 81 sociétés, pour répondre à Marc Laménie. Cependant, il faut noter que dix de ces sociétés représentent plus de 90 % du montant des dividendes perçus.
Vincent Delahaye m'interrogeait, sur le quinquennat, sur le montant de la dette imposée à EDF. Une réponse sur le quinquennat serait difficile : la période en cause court sur deux quinquennats. La dernière ponction de 2 milliards d'euros a eu lieu en 2014. On peut estimer qu'au total, la dette que l'on a fait supporter à EDF en contrepartie d'une distribution excessive de dividendes venant alimenter le budget de l'État s'élève à 8 milliards d'euros.
Je n'ai pas à ma disposition le tableau que demande Éric Bocquet, mais celui-ci doit être réalisable. En tout cas, il est évident que sur les trois sociétés que sont Orange, Engie et EDF, le montant des investissements a été important. Le fait que nous n'observions pas de divergence dans les taux de distribution des résultats des entreprises contrôlées par l'APE comparées aux entreprises privées hors APE, suggère également que la capacité d'investissement des entreprises publiques, à l'exception de la dernière période pour EDF, a été préservée.
Pour répondre à André Gattolin qui m'interrogeait sur la raison de la cotation d'EDF : je ne suis pas choqué par le fait qu'une entreprise très majoritairement contrôlée par l'État soit devenue une société anonyme. Il y a un avantage en termes de transparence. Cela permet également d'avoir un point de vue extérieur, même s'il est minoritaire. L'Institut Montaigne préconise d'ailleurs que l'État reprenne totalement le contrôle de certaines entreprises d'intérêt national manifeste, sous la forme d'« agences-entreprises ». Qu'un think tank libéral demande presque la renationalisation de grandes entreprises pour en faire quasiment des agences m'a un peu étonné. Je ne suis pas favorable à cette position. Davantage de transparence et la prise en considération d'avis extérieurs dans les conseils d'administration peuvent contribuer à l'amélioration de la gestion d'une entreprise qui par ailleurs reste majoritairement publique.
Concernant la filière nucléaire et la question
de Philippe Dominati sur la situation d'EDF : la filière
nucléaire a été considérablement mise en danger et
dégradée entre 2003 et 2011 en raison d'une gestion
catastrophique d'Areva et d'une non coopération manifeste entre les deux
principaux acteurs de la filière. Cette situation, qui n'a pas
été contrôlée par l'État
- et il y a
là une grave déficience - a conduit à la
nécessité de recapitaliser à hauteur de 7 milliards
d'euros. Derrière ce choix, il y a la stratégie
générale de la France en matière de nucléaire. Si
l'on décide de baisser fortement - pour des raisons de politique
énergétique - la part du nucléaire dans les
années à venir, il faudra prendre des décisions
différentes. La décision stratégique jusqu'à
présent, illustrée avec Hinkley Point, que l'on peut
discuter, est celle de continuer d'investir dans la filière
nucléaire française, pour des raisons industrielles,
énergétiques, et peut-être aussi géopolitiques,
compte tenu de la présence de la Chine et du Japon dans ce secteur.
Cette décision est plutôt en continuité avec le
passé. On peut la contester mais elle a forcément des
conséquences en termes de soutien aux entreprises, de restructuration et
reconfiguration de la filière nucléaire. On ne peut
déconnecter ces questions, et dès lors que ce choix a
été fait, la recapitalisation est inévitable.
Pour répondre à Vicent Capo-Canellas : le taux de distribution du résultat net d'ADP est de 60 % alors que la moyenne globale des sociétés comparables est de 71 %. Certes ADP rapporte beaucoup de dividendes à l'État, mais non, il n'y a pas d'utilisation supérieure à la moyenne. L'État ne peut avoir qu'une stratégie globale, aussi bien pour Air France que pour ADP et veiller à ne pas accentuer les difficultés de l'un pour bénéficier des dividendes de l'autre. Les chiffres dont je dispose me conduisent à penser que l'État se comporte normalement.
Fabienne Keller m'interrogeait sur la question de la valeur du portefeuille. Effectivement la distribution de dividendes fait courir le risque d'une non-appréciation de l'action. La valeur du portefeuille de l'État a évolué de manière extrêmement heurtée, avec une très forte valorisation jusqu'à la fin des années 2010, puis une forte dépréciation, notamment liée à l'énergie et aux difficultés particulières d'EDF. L'ensemble du secteur énergétique européen est en difficulté, avec la baisse des prix de l'électricité. Ce n'est pas lié à la politique de dividendes qui, à l'exception d'EDF, a été correcte. Sur la gouvernance des administrations, je reconnais qu'il peut y avoir selon les cas des positionnements différents selon les ministères. L'APE - ou le Premier ministre - devrait coordonner ou arbitrer ex ante la position du Gouvernement dans les conseils d'administration.
Je partage enfin les positions qu'ont pu défendre Richard Yung et Bernard Lalande sur l'État stratège.
La commission donne acte de sa communication à M. Maurice Vincent et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Compte rendu de la réunion du bureau de la commission du 24 janvier 2017 - Programme de contrôle de la commission pour 2017 - Communications
La commission entend ensuite une communication de Mme Michèle André, présidente, sur le compte rendu de la réunion du bureau de la commission du 24 janvier 2017.
Mme Michèle André, présidente. - À l'occasion de notre réunion du bureau de la commission, qui s'est tenue hier, mardi 24 janvier 2017, nous avons évoqué le programme de travail jusqu'à la fin du mois de février, que vous connaissez largement puisqu'il vous est adressé au fur et à mesure de sa mise à jour. Les résultats de plusieurs travaux de contrôle seront présentés et nous aurons des auditions sur des sujets financiers, concernant notamment la compétitivité de la place de Paris et en recevant le secrétaire général du comité de Bâle. Nous recevrons également la semaine prochaine Mario Monti et Alain Lamassoure qui présenteront leur rapport sur les ressources propres de l'Union européenne, et nous consacrerons une séance à l'enquête sur les archives nationales que la Cour des comptes a remise à nos collègues rapporteurs spéciaux de la mission « culture » Vincent Éblé et André Gattolin.
À l'heure où la révision des valeurs locatives des locaux professionnels entre en vigueur, il serait par ailleurs souhaitable de faire le point sur la mise en oeuvre de l'expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, les résultats ayant été transmis au ministre du budget.
Avec François Marc et Fabienne Keller, nous irons à Bruxelles les 30 et 31 janvier pour la semaine parlementaire du semestre européen et la conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne.
Le Bureau n'a pas exclu que la commission puisse se réunir pendant la période d'interruption des travaux du Sénat, en particulier en mars, ou bien à compter du deuxième tour des élections législatives, pour organiser des auditions ou bien la restitution de travaux de contrôle.
Le dépôt avant le 30 mai du projet de loi de règlement s'accompagnera aussi de la remise par la Cour des comptes de ses rapports sur l'exécution et la certification des comptes de 2016.
Le Bureau a également évoqué nos travaux de contrôle pour 2017 dont la liste vous est distribuée. Ils devront si possible être achevés avant la fin du mois de juillet par les rapporteurs spéciaux, qu'il s'agisse de la poursuite de travaux engagés en 2016 ou de nouveaux travaux souhaités, compte tenu du prochain renouvellement sénatorial en septembre.
Les rapporteurs spéciaux de la mission « Enseignement scolaire », Gérard Longuet et Thierry Foucaud, ont engagé des travaux en commun avec Jean-Claude Carle et Mireille Jouve, pour la commission de la culture, sur le thème de la réforme des rythmes scolaires.
Le groupe de travail sur les assiettes fiscales et les modalités de recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique poursuit par ailleurs ses activités, avec l'objectif de formuler des propositions au premier semestre.
Le rapporteur général a aussi engagé des travaux sur la compétitivité des places financières, qui se nourriront à la fois d'auditions organisées en commission et non publiques, - auxquelles tous les commissaires seraient conviés -, de déplacements européens que nous menons ensemble et de la mission du bureau à Singapour et à Hong Kong.
En outre, nous pourrons, le cas échéant, conduire des réflexions sur le fonctionnement de la zone euro en liaison avec la commission des affaires européennes.
Comme chaque année, nous avons demandé des enquêtes à la Cour des comptes, notamment celle sur les banques et les publics défavorisés, dont j'assure le suivi et qui nous sera livrée en juin prochain.
Les autres enquêtes demandées portent sur les sujets suivants : la chaîne des aides agricoles et l'Agence de services et de paiement (suivie par Alain Houpert et Yannick Botrel), le soutien aux énergies renouvelables (qui relève de Jean-François Husson), les personnels contractuels de l'éducation nationale (suivie par Gérard Longuet et Thierry Foucaud pour rapporteurs), le programme Habiter mieux (qui relève de Philippe Dallier), les matériels et équipements de la police et de la gendarmerie (suivie par Philippe Dominati). Les remises de ces enquêtes seront échelonnées entre janvier et mars 2018.
Le bureau a également évoqué notre ordre du jour à la reprise des travaux parlementaires au mois de juillet. Outre un probable projet de loi de finances rectificative, le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux devront examiner le projet de loi de règlement pour l'année 2016.
Nous pourrions également être amenés à nous prononcer sur des propositions de nominations en application de l'article 13 de la Constitution.
M. Jean-Claude Requier. - Nous pourrions donc nous réunir au cours de la période de suspension des travaux en séance publique ?
Mme Michèle André, présidente. - Si cela est nécessaire, oui, mais nous n'avons, pour le moment, pas d'ordre du jour prévu.
Cela dit, cela n'empêche pas les rapporteurs spéciaux de travailler.
M. Yannick Botrel. - Y a-t-il une date butoir pour la fin des travaux de contrôle ?
Mme Michèle André, présidente. - Comme je l'ai dit, tous les contrôles devront si possible être achevés pour la fin du mois de juillet.
La commission donne acte de sa communication à la présidente et adopte le programme de contrôle dont la teneur suit :
I. Contrôles des rapporteurs spéciaux
II. Autres enquêtes demandées à la Cour des comptes
Rapporteur |
Objet |
Michèle André |
Les politiques de lutte contre l'exclusion bancaire (Enquête demandée à la Cour des comptes
dans le cadre |
III. Groupes de travail
La séance est close à 11 h 10.
Jeudi 26 janvier 2017
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays - Examen des amendements au texte de la commission
La séance est ouverte à 10 h 15.
La commission procède à l'examen des amendements de séance déposés sur le texte n° 308 (2016-2017), adopté par la commission, sur le projet de loi n° 272 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays.
Mme Michèle André, présidente. - Nous sommes saisis d'un amendement déposé par notre collègue Éric Bocquet et les membres du groupe Communiste, républicain et citoyen.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Cet amendement prévoit d'introduire un rapport sur la mise en oeuvre de l'échange automatique des déclarations pays par pays prévu par le présent accord multilatéral. Il vise ainsi à renforcer l'information du Parlement sur l'application de ce dispositif novateur.
Si j'en partage l'objectif, je considère que le droit existant devrait permettre de l'atteindre. C'est pourquoi je demande le retrait de cet amendement ou, à défaut, y suis défavorable.
En l'espèce, deux objectifs doivent être conciliés.
Il s'agit d'une part de la nécessaire information du législateur sur la mise en oeuvre du mécanisme d'échange automatique de déclarations pays par pays, à propos duquel je souligne, dans mon rapport, les points de vigilance qui l'entourent.
Il s'agit d'autre part du rôle de la France au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans la lutte contre l'évasion fiscale internationale, qui doit valoir lors des négociations, mais aussi lors de la transposition en droit des recommandations. Cet aspect revêt une importance d'autant plus cruciale alors que des pays hésitants pourraient finalement refuser de s'engager.
Or, pour permettre notre pleine et entière information, il n'est pas utile de prévoir la remise d'un nouveau rapport et, ce faisant, de retarder la ratification de cet accord en mettant ce texte en navette.
Deux dispositifs existants doivent être privilégiés, et je demanderai en séance l'engagement du ministre de nous les transmettre. Il s'agit d'une part de l'évaluation que la France doit communiquer chaque année à la Commission européenne, et d'autre part du rapport pris sur le fondement de l'article 136 de la loi de finances pour 2011.
Cet article, issu d'un amendement dont Michel Sapin et Christian Eckert figurent parmi les signataires, prévoit que « le nombre de contrôles annuels effectués par l'administration fiscale (...) ainsi que le montant des assiettes recouvrées » sur la base des diverses dispositions du code général des impôts relatives à la lutte contre l'évasion fiscale des entreprises sont publiés, chaque année, en annexe à la loi de finances.
Le dispositif dont nous traitons ce matin s'inscrit pleinement dans ce cadre. Je me réfère à ce propos à l'objet de l'amendement de 2010, où il est précisé qu'« il s'agit de pouvoir évaluer l'évolution de l'effort de contrôle fiscal et des moyens de ce contrôle ainsi que la pertinence des nouveaux outils dont s'est dotée la France. Ces outils sont constitués notamment des nouvelles conventions fiscales qui ont été ou qui seront signées. »
Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de l'amendement où à défaut j'émets un avis défavorable.
M. Éric Bocquet. - Nous défendrons cet amendement, afin d'associer au mieux la représentation nationale à la mise en oeuvre de ces accords fiscaux internationaux. Je développerai mes arguments en séance publique.
M. Michel Bouvard. - Mon intervention porte plus largement sur les sujets de fraudes fiscales. La décision rendue dans l'affaire Wildenstein met en exergue le « trou » dans la législation s'agissant des trusts. Il faudra que nous nous interrogions sur le jugement rendu dans cette affaire, qui renvoie les parlementaires à l'insuffisance, ou du moins l'imprécision, de la loi.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 1.
La séance est close à 10 h 25.