Mercredi 25 janvier 2017
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Suivi quinquennal de l'application des lois - Communication
La réunion est ouverte à 9 h 35.
M. Hervé Maurey, président. - Comme vous le savez, chaque année, nous procédons à un bilan des mesures réglementaires prises pour l'application des lois que nous votons. Cette année, le président du Sénat et le Bureau ont jugé opportun de dresser un bilan de l'application des principales lois du quinquennat. C'est le vice-président Claude Bérit-Débat qui est chargé de faire la synthèse des observations des commissions et de les publier dans un rapport d'information qui donnera lieu à un débat en séance publique, en salle Clemenceau, le mardi 21 février prochain.
Chaque commission a donc fait une sélection des lois les plus significatives votées pendant cette législature dans son domaine de compétence. Nous avons pour notre part dressé le bilan de l'application de quatre lois : la réforme ferroviaire, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et, enfin, la loi Macron, pour la partie qui relève de nos compétences.
La loi de réforme ferroviaire du 4 août 2014 est pour l'essentiel appliquée - à 93 % exactement - puisque sur 27 mesures attendues, 25 ont été prises. Le détail de ces mesures figurera dans le rapport écrit de M. Bérit-Débat. Néanmoins, je voudrais faire trois séries d'observations. La première concerne les délais dans lesquels les décrets ont été pris : la longueur des travaux préparatoires et de la discussion parlementaire aurait dû permettre aux services d'avancer dans la rédaction des textes règlementaires, mais il a fallu attendre leur publication plusieurs mois encore : la loi devait entrer en vigueur le 1er janvier 2015, or les décrets visant à définir les missions et statuts des trois entités - SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau - n'ont été publiés qu'en février 2015 et la constitution du groupe public ferroviaire n'a été effective que le 1er juillet 2015.
En outre, la parution des décrets ne s'est pas nécessairement traduite par la mise en oeuvre immédiate et effective des dispositifs. Le décret relatif au Haut Comité du système de transport ferroviaire a bien été pris le 30 avril 2015 mais ses membres n'ont été désignés par arrêté que le 10 décembre 2015, et le Haut Comité s'est réuni pour la première fois en septembre 2016, soit plus de deux ans après la promulgation de la loi.
Même situation pour la Commission de déontologie du système ferroviaire : le décret date de février 2015, les membres ont été nommés en avril 2016 et elle s'est réunie pour la première fois le 22 juin 2016...
Plus grave encore, la lenteur de la mise en place du cadre social, l'un des éléments centraux de la réforme. Celle-ci prévoyait l'instauration d'un cadre commun, applicable à l'ensemble des salariés du secteur ferroviaire, constitué d'un décret-socle déterminant les règles minimales relatives à la durée du travail et d'une convention collective de branche. Un accord d'entreprise était aussi attendu à l'échelle du groupe public ferroviaire. À titre transitoire, les salariés du groupe public ferroviaire conservaient leur régime de durée du travail mais seulement jusqu'à la publication de l'arrêté d'extension de la convention collective, au plus tard le 1er juillet 2016. Le décret-socle devait être rapidement publié et servir de base à la négociation collective, qui devait être achevée pour le 1er juillet 2016. Or il n'a été définitivement pris que le 8 juin 2016, ne laissant que quelques jours pour finaliser la convention collective de branche...
Autre exemple de retard : celui des contrats-cadre prévus entre l'État et les trois entités du groupe public ferroviaire. Ils viennent tout juste d'être finalisés. Le contrat entre l'État et SNCF Réseau était pourtant urgent, pour stabiliser la dette colossale qui a atteint 42 milliards fin 2015 et augmente de près de 3 milliards d'euros par an. Ce contrat de performance devait concrétiser le retour de l'État stratège, en précisant les gains de productivité attendus du gestionnaire d'infrastructure, et donner de la visibilité aux acteurs.
En prenant autant de temps pour finaliser ces contrats, le Gouvernement s'est privé des instruments de pilotage qu'il avait pourtant choisi de mettre en place et a laissé passer plusieurs mois qui auraient été utiles pour engager de manière plus volontariste le redressement.
Ma deuxième série d'observations sur les décrets d'application de la réforme ferroviaire s'appuie sur le constat que, malheureusement, ceux-ci s'écartent parfois de la volonté du législateur. Lors de son audition hier, le Secrétaire général du Gouvernement nous a dit que cela relevait de la marge d'appréciation normale du pouvoir exécutif. Je n'en suis pas si sûr...
Là encore, je donnerai en exemple le cadre social. En prévoyant sa refonte, la loi de 2014 visait à redonner des marges de manoeuvre au groupe public ferroviaire, à améliorer sa productivité et à lui permettre de faire face à la concurrence des bus, des avions à bas prix et du covoiturage, sans parler de la concurrence à venir des autres entreprises ferroviaires. Mais en juin 2016, après des mois de négociation en interne, le Gouvernement a demandé aux dirigeants de l'entreprise de céder aux revendications des agents du groupe : les manifestations contre la loi El Khomri se succédaient et des grèves menaçaient le bon déroulement de l'Euro 2016. Ces décisions compromettent gravement l'avenir du groupe, car sans réformes, la compétitivité ne sera pas suffisante face à la concurrence. Le Gouvernement a ainsi démontré les incohérences de l'État dit stratège. Surtout, il s'est écarté du chemin tracé par le Parlement, alors que l'Assemblée nationale et le Sénat étaient parvenus à un accord sur ce texte.
Certains choix faits dans l'organisation du groupe public ferroviaire méconnaissent également la volonté du législateur. Le rattachement de l'entité SNCF Combustible à l'Epic de tête n'est pas conforme au code des transports tel qu'il résulte de la loi de 2014. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) a mis en demeure la SNCF sur ce sujet, dans une décision de mai 2016, rappelant que cette entité aurait dû être rattachée à SNCF Réseau.
La troisième série d'observations concerne les lacunes. La principale concerne le décret d'application de la fameuse « règle d'or » de maîtrise de l'endettement du gestionnaire d'infrastructure. Un projet de décret a été transmis pour avis à l'Arafer en octobre. L'Autorité a rendu son avis le 30 novembre, qu'elle a assorti de plusieurs recommandations pour « respecter pleinement l'objectif visé par la loi de réforme ferroviaire ». Or, non seulement le décret n'est toujours pas paru mais le Gouvernement a déjà souhaité contourner cette règle d'or, qui était une volonté expresse du législateur, confirmée dans la loi Macron, pour le financement de la liaison CDG Express.
Deux autres mesures importantes sont encore attendues : le décret d'application de l'autorisation de transfert de propriété du domaine public ferroviaire aux régions et le décret déterminant les conditions dans lesquelles les autorités organisatrices de transport ferroviaire peuvent réaliser des investissements dans les gares - ou être consultées sur ces projets.
Enfin, le schéma national des services de transport qui devait être présenté au Parlement ne l'a toujours pas été ; et nous attendons encore le rapport sur la gestion des gares de voyageurs. L'autre rapport prévu par la loi, sur la dette ferroviaire, a bien été transmis au Parlement, en septembre dernier, avec quelques mois de retard, mais il ne contient aucune solution pour traiter la dette du groupe public ferroviaire, ce qui était pourtant son objet, précisé à l'article 11 de la loi.
Deuxième loi dont nous faisons le bilan : la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, qui comporte un grand nombre de mesures. Notre commission est chargée de l'examen de l'application du volet « mobilités » et du volet « environnement ». Sur l'aspect « mobilités et infrastructures », il faut souligner la très rapide libéralisation du transport par autocar, dès le 8 août 2015. Le décret d'application précisant certains éléments a été publié le 13 octobre 2015.
L'ordonnance prévue pour modifier les règles applicables en matière de création, d'aménagement et d'exploitation des gares routières a été signée le 29 janvier 2016, dans le délai prévu de six mois. L'Arafer comme l'Autorité de la concurrence ont donné un avis favorable au projet d'ordonnance, tout en proposant des améliorations. Ce texte modifie également le code des transports pour tenir compte de l'extension des missions de l'Arafer aux secteurs autoroutier et du transport par autocar.
Les dispositifs de renforcement du contrôle du secteur autoroutier ont été précisés par un décret du 1er mars 2016. L'Arafer avait cependant émis un avis défavorable et proposé des modifications, notamment pour allonger les délais d'instruction des procédures dans lesquelles elle formule un avis. Elle estimait nécessaire également de préciser que le président de la commission des marchés serait choisi parmi les personnalités indépendantes de cette commission, la loi indiquant seulement que la commission est « composée en majorité de personnalités indépendantes n'ayant aucun lien direct ou indirect avec les soumissionnaires ». L'Autorité n'a pas été suivie et les présidents de ces commissions de marché ne sont en général pas choisis parmi les personnalités indépendantes... C'est un détournement des intentions pourtant très claires du législateur. Il nous faudra y revenir à l'occasion d'une prochaine loi.
L'ordonnance prévue pour créer l'établissement public chargé de réaliser le canal Seine-Nord Europe a été prise le 21 avril 2016, celle pour l'infrastructure ferroviaire entre Paris et l'aéroport Charles-de-Gaulle que nous avons récemment ratifiée, le 18 février 2016. En revanche, le décret relatif à l'ouverture des données des services réguliers de transport public de personnes et des services de mobilité - à fins d'information du voyageur - n'est toujours pas paru, alors que l'article devait entrer en vigueur à la date de la publication de ce décret, et au plus tard trois mois après la promulgation de la loi.
En ce qui concerne la réforme de l'examen du permis de conduire, plusieurs décrets sont sortis rapidement : pour fixer les conditions permettant à des agents publics ou contractuels de faire passer les épreuves pratiques du permis de conduire (depuis mars 2016, 34 agents de La Poste ont été mobilisés dans les départements accusant les délais d'attente les plus longs) ; pour déterminer les modalités d'application des articles relatifs à la formation à la conduite et à la sécurité routière ; pour encadrer les frais facturés au titre de l'accompagnement du candidat à l'épreuve pratique du permis de conduire et pour fixer le prix ou la redevance acquittés pour l'examen théorique du permis de conduire ; pour définir la composition du Conseil supérieur de l'éducation routière ; pour modifier la méthode nationale d'attribution des places à l'examen du permis de conduire.
Dans le domaine du droit de l'environnement, plusieurs ordonnances étaient attendues. L'article 103 de la loi en prévoyait une, dans un délai de dix-huit mois, pour généraliser l'expérimentation de l'autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ainsi que pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de la protection des eaux et milieux aquatiques. Le délai est révolu, l'ordonnance n'est pas encore publiée, mais elle a fait l'objet d'une consultation du Conseil national de la protection de la nature et a été examinée par le Conseil d'État. Elle devrait être prochainement présentée au Conseil des ministres...
Quatre ordonnances ont été prises en application de l'article 106 de la loi : celle du 25 mars 2016 relative à l'articulation des procédures d'autorisation d'urbanisme avec diverses procédures relevant du code de l'environnement ; celle du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement ; celle du 3 août 2016 sur la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes ; et celle du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement.
Le Gouvernement avait également soumis pour avis au Conseil national de la transition énergétique un projet d'ordonnance relative aux unités touristiques nouvelles (UTN). Il a finalement été abandonné, les dispositions ayant été insérées dans la loi montagne.
Troisième loi d'importance, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, promulguée le 17 août 2015. Elle comprend pas moins de 215 articles, nécessitant 183 mesures réglementaires. Son taux d'application est aujourd'hui de 83 %. Par ailleurs, 25 rapports étaient prévus. Sur les articles relatifs à la mobilité et aux transports propres, la quasi-totalité des mesures d'application sont désormais prises, contre seulement 6 sur 31 il y a un an. Il est vrai que nombre d'entre elles exigeaient de larges concertations, devaient être soumises à l'avis du Conseil national d'évaluation des normes et, pour certaines, à la consultation publique. Signalons les récents décrets du 11 janvier 2017, très importants, sur les véhicules à faibles émissions ou à très faibles émissions qui définissent les critères aussi bien pour les véhicules légers que pour les autobus et autocars ; ils font une différence entre les collectivités selon leur densité et leur degré d'exposition à la pollution, et précisent les obligations d'achats pour les gestionnaires de flottes de véhicules.
D'autres mesures importantes ont été prises ces derniers mois sur la mise à disposition de flottes de vélos, sur l'obligation de stationnement vélo et de pré-équipement pour les véhicules électriques, sur l'aide à l'acquisition et à la location de véhicules peu polluants, sur le versement d'une indemnité kilométrique vélo par les employeurs, sur les zones à circulation restreinte, sur les modalités du contrôle technique renforcé sur les émissions de polluants atmosphériques, sur le dispositif de surveillance de la qualité de l'air.
Un point positif : les remarques du Conseil national d'évaluation des normes, présidé par notre ancien collègue Alain Lambert, ont été prises en compte dans le texte définitif de certains de ces décrets, par exemple pour relever de 100 000 à 250 000 le seuil d'habitants retenu pour les nouvelles obligations relatives aux autobus et autocars à faibles émissions.
De même, pour le décret qui doit déterminer les objectifs nationaux de réduction des émissions de polluants atmosphériques, une large consultation a été menée auprès du Conseil national de l'air, auprès des parties prenantes, du public ; l'avis de l'autorité environnementale a été demandé et le texte définitif devrait être publié dans les prochains jours.
Il y a tout-de-même deux points négatifs. Le texte réglementaire précisant les modalités de réduction de l'obligation de stationnement des plans locaux d'urbanisme de 15 % au minimum, en contrepartie de la mise à disposition de véhicules électriques ou de véhicules propres en autopartage, n'a toujours pas été publié : cette mesure avait été introduite au Sénat à l'initiative du rapporteur Louis Nègre, pour donner un signal fort en faveur du développement des véhicules électriques. Et le rapport évaluant l'opportunité de réserver sur les autoroutes et certaines routes nationales une voie pour les transports en commun, les taxis, l'autopartage, les véhicules à très faibles émissions et le covoiturage n'a toujours pas été publié.
Sur le titre IV de la loi consacré à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, toutes les mesures d'application sont désormais prises. Parmi les dernières publiées figurent le décret du 5 juillet 2016 sur les conditions applicables aux publications de presse pour s'acquitter de leurs obligations à l'égard de la filière REP Papier - ce décret sur la responsabilité élargie du producteur a été établi sur la base de critères définis par un rapport du sénateur Gérard Miquel et du député Serge Brady remis à la ministre au mois de février dernier ; et le décret du 23 décembre 2016 sur la création d'une filière REP pour les navires de plaisance ou de sport hors d'usage - un apport du Sénat à la loi de transition énergétique. Son entrée en vigueur a toutefois été repoussée au 1er janvier 2018 par la loi pour l'économie bleue. Dans le décret du 30 mars 2016 sur les modalités d'application de l'interdiction de la mise à disposition de sacs en matières plastiques à usage unique (à l'exception des sacs compostables en compostage domestique et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées) sont en particulier précisés la composition attendue des sacs plastiques biosourcés et le marquage devant figurer sur les sacs pour informer le consommateur sur leur composition et leur utilisation ; le décret du 11 août 2016 portait sur la teneur biosourcée minimale des gobelets, verres et assiettes jetables en matière plastique.
Parmi les très nombreux autres décrets d'application pris sur ce titre, on peut citer ceux qui concernent la mise à disposition des consommateurs de pièces de rechange issues de l'économie circulaire dans le cadre de l'entretien ou de la réparation de véhicules, la reprise des bouteilles de gaz à usage individuel, les pouvoirs du ministre chargé de l'environnement en matière de transferts transfrontaliers de déchets, les modalités de la reprise des déchets du bâtiment et des travaux publics par les distributeurs de matériaux, les installations de stockage de déchets inertes, le système de comptabilité analytique imposé aux collectivités pour le service public de prévention et de gestion des déchets.
En revanche, aucun des huit rapports qui devaient être remis au Parlement, pour la plupart avant le 17 août 2016, n'a été transmis : sur la stratégie nationale de transition vers l'économie circulaire, sur les avantages et inconvénients des broyeurs d'éviers, sur les expérimentations de l'affichage de la durée de vie des produits, sur l'opportunité d'étendre la garantie légale de conformité de 2 à 5 ans, sur l'impact d'une extension de la REP textile à la maroquinerie, sur les possibilités de développer de nouvelles REP, etc.
Quant aux autres articles dont nous étions saisis, j'indique que l'ordonnance prévue sur la sûreté nucléaire a été prise dès le 10 février 2016, de même que le décret sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire.
De même, le décret relatif au plan climat-air-énergie territorial (PCAET) a été pris le 28 juin 2016. Il comporte la procédure d'élaboration du plan, le contenu de ses différents volets, la liste des secteurs d'activités pour lesquels des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques doivent être chiffrés, la méthode de comptabilisation de ces émissions, la liste des polluants atmosphériques pris en compte.
Au total, dix-sept mois après la promulgation de la loi, il me semble que l'on peut saluer le travail accompli par les services, sous l'autorité et la vigilance de Mme Royal. La ministre, venue faire un point devant notre commission le 23 novembre dernier, nous avait montré sa détermination à ce que tous les textes soient pris dans les meilleurs délais.
Dernière loi de notre bilan, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, promulguée le 8 août 2016. Moins de six mois après, elle n'est encore que très partiellement mise en oeuvre : 48 mesures d'application prévues, 5 prises à ce jour. Néanmoins, sur plusieurs sujets importants, des décrets ont été pris, en particulier sur la création de l'Agence française pour la biodiversité : un décret du 26 décembre a détaillé l'organisation et le fonctionnement de l'agence, un du 4 janvier 2017 a fixé la liste des membres du conseil d'administration, deux autres du 12 décembre ont posé un certain nombre de règles pour le personnel. L'Agence est donc opérationnelle. Son conseil d'administration s'est réuni pour la première fois la semaine dernière. Lorsque nous aurons donné notre accord à la nomination du candidat pressenti pour le présider (l'audition devrait avoir lieu mercredi 1er février), tout sera en place. Ne resteront que quelques mesures pour préciser les relations avec d'autres organismes, les agences de l'eau notamment. Autre décret pris, sur l'inventaire du patrimoine naturel, avec l'attribution au Museum national d'histoire naturelle de la responsabilité scientifique de l'inventaire et la définition des procédures applicables pour la saisie ou le versement des données.
Un certain nombre d'autres décrets n'ont pas encore été publiés mais existent déjà à l'état de projets. Certains donnent lieu actuellement à des consultations ou des concertations. On compte aujourd'hui 4 décrets en instance de publication, 11 en cours d'examen au Conseil d'État et 8 en voie de transmission au Conseil d'État. Il s'agit des décrets sur le Comité national pour la biodiversité, afin de définir sa composition, son organisation et ses modalités de réunion ; sur le Conseil national de protection de la nature, dont les missions doivent être élargies ; sur les comités régionaux de la biodiversité ; sur l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages ; sur les parcs naturels régionaux ; sur les établissements publics de coopération environnementale (EPCE) créés par la loi ; sur l'agrément par l'État des opérateurs de compensation des atteintes à la biodiversité ; sur la définition des zones prioritaires pour la biodiversité ; sur diverses dispositions relatives au milieu marin ; sur les zones de conservation halieutique ; sur le document stratégique de façade ou de bassin maritime.
Deux décrets sont par ailleurs actuellement soumis à la Commission européenne, ils portent sur les cotons-tiges en plastique à usages domestique, dont l'interdiction d'utilisation a été introduite au Sénat à l'initiative de notre collègue Evelyne Didier, et sur les cosmétiques rincés comportant des particules plastiques solides.
Au total, l'application de la loi biodiversité est en bonne voie. On peut s'en féliciter. Je crois d'ailleurs que c'est actuellement l'une des principales tâches de la secrétaire d'État Mme Pompili : faire avancer la rédaction des décrets pour garantir une mise en oeuvre complète et rapide du texte de loi d'ici la fin de la législature.
M. Claude Bérit-Débat. - Merci du travail que vous avez réalisé sur ces quatre lois. Je suis comme vous l'avez dit chargé de présenter un rapport, qui fera l'objet d'un débat le 21 février prochain, sur l'application des lois durant le quinquennat. Les commissions ont au total sélectionné 46 textes pour étudier leur mise en oeuvre. J'en établirai la synthèse. Nous avons hier, avec les présidents de commission, rencontré le Secrétaire général du gouvernement, qui nous a apporté un certain nombre de réponses. Il serait sans doute cruel de rappeler que le taux d'application des lois, au début du quinquennat, était de 60 %. Il est aujourd'hui de 91 % et pourrait s'approcher des 100 % d'ici deux ou trois mois.
Le 21 février prochain, en présence du ministre des relations avec le Parlement, le débat sera interactif, chacun pourra s'exprimer et interpeller le Gouvernement.
Le Secrétaire général du gouvernement indique que le Secrétariat veille à la conformité des décrets à la loi votée avec, a-t-il reconnu, une marge de manoeuvre. C'est plutôt dans les circulaires néanmoins, prises non plus sous l'autorité du SGG mais des ministres, que les interprétations s'écartent parfois de l'esprit de la loi. Je l'ai vu sur la loi Alur dont je fus rapporteur : la mise en oeuvre par le préfet, dans mon département, m'a bien montré certaines incompréhensions ou manques dans la circulaire...
Le plus important à mes yeux est que les lois que nous, parlementaires, élaborons soient appliquées, pour faire pièce au populisme qui met en cause régulièrement le régime parlementaire. J'espère que vous viendrez nombreux le 21 février !
M. Charles Revet. - La situation est à peu près identique quelle que soit la période et la majorité politiques. Ce qui est grave pour les parlementaires est cette affirmation que j'ai entendue dans la bouche d'un haut-fonctionnaire : « les ministres passent et nous restons ». Les décrets modifient la loi votée, ou ne sont jamais publiés ? Il faut en tirer les conséquences et voter des lois applicables directement, sans le recours à des textes réglementaires. Le Parlement vote la loi, elle doit être appliquée.
M. Jean-Jacques Filleul. - Le résultat de 91% est bon, supérieur à ce qu'il fut à d'autres époques. Sur la réforme ferroviaire, je regrette que la règle d'or sur les investissements ne soit pas encore définitivement encadrée par les textes. Sur le problème de l'endettement, le Gouvernement ne propose pas de solutions : je ne peux accepter cela.
Reconnaissons que la SNCF est un groupe d'une grande complexité, et que la réforme s'applique, malgré le retard. Les contrats-cadre ont finalement été présentés. Le Haut Comité n'aura pas l'importance que nous voulions, le Gouvernement et la SNCF ayant minimisé son rôle...
Avant la loi Macron, jamais on n'avait vu un ministère associer ainsi les parlementaires à l'élaboration des décrets, avec des réunions tous les trois mois, où le contenu des textes était exposé, les délais annoncés : le ministre a tenu à résoudre tous les problèmes avant son départ, en tout cas ceux qui dépendaient exclusivement de ses services, et non d'un travail interministériel.
Un mot encore sur la SNCF : je regrette que sur le décret-socle concernant le cadre social et la convention collective, le Gouvernement ait cédé à la CGT. Bien sûr, la période était délicate. Il faudra donc remettre l'ouvrage sur le métier afin que le groupe renforce sa compétitivité dans les années à venir, face aux nouveaux entrants.
M. Rémy Pointereau. - Il serait intéressant de comparer le nombre de lois votées en France et dans les autres pays européens, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne. Plus on vote de textes et plus on ajoute des normes et de la complexité dans notre pays. On finit même par plomber la croissance économique.
M. Claude Bérit-Débat. - Le bilan que je fais se limite à la législation française et les comparaisons avec les autres pays ne sont pas évidentes...
M. Rémy Pointereau. - En Angleterre et en Allemagne, il n'y a que 12 ou 15 textes de lois votés par an !
M. Claude Bérit-Débat. - Il faut des lois. Le problème vient de leur croissance à l'Assemblée nationale et au Sénat. Pour remédier à cette inflation, des efforts de tous sont nécessaires, des parlementaires comme du Gouvernement.
M. Hervé Maurey, président. - Au cours de son audition, le Secrétaire général du Gouvernement s'est montré très satisfait du taux de 91 %, allant même jusqu'à dire que l'application des lois n'était plus un sujet. Et pourtant, elle l'est !
D'une part, ce taux n'atteint pas encore 100 %. D'autre part, le problème n'est pas seulement quantitatif, il est aussi qualitatif. Sur la réforme ferroviaire par exemple, l'esprit et la volonté du législateur n'ont pas été respectés, que ce soit sur le champ des investissements pris en compte pour la mise en oeuvre de la règle d'or, ou pour le rôle du Haut Comité, nettement moins ambitieux que ce que nous avions envisagé.
À Charles Revet, j'indique qu'il ne me semble pas conforme à la Constitution de 1958 de vouloir tout inscrire dans la loi. Le Parlement lui-même souhaite d'ailleurs aujourd'hui que cette distinction entre domaine de la loi et domaine du règlement soit mieux respectée. Cela éviterait les textes et les débats trop longs.
Je salue le bilan très objectif fait par Jean-Jacques Filleul de l'application de la loi de réforme ferroviaire. Je note les compliments qu'il a faits à Emmanuel Macron sur l'organisation du suivi de l'application de sa loi.
Enfin, il me semble que les comparaisons avec nos voisins européens sont difficiles car elles tiennent aussi à l'organisation institutionnelle de ces pays, souvent assez différente de la nôtre.
Audition de M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau
M. Hervé Maurey, président. - Monsieur Patrick Jeantet, je vous remercie d'avoir accepté de faire le point sur la situation de SNCF Réseau que vous présidez. Nous vous avions entendu comme candidat pressenti à cette fonction en mai 2016. Depuis lors, vous avez eu beaucoup de travail, sur des sujets très nombreux !
Depuis votre dernière audition le 24 mai 2016 en tant que candidat, plusieurs évolutions ont eu lieu. Un nouveau cadre social a été défini en juin 2016, dans le contexte des manifestations contre la loi El Khomri et de la grève des cheminots, à la veille des premiers matchs de l'Euro 2016. Le Gouvernement a enterré alors la réforme sociale, sur laquelle les dirigeants du groupe avaient travaillé de longs mois. Cette évolution ne va pas dans le sens de la maîtrise des coûts de SNCF Réseau, si nécessaire pour la compétitivité du groupe. L'Arafer a donné l'alerte à plusieurs reprises sur la dérive de ses coûts. La dette devait être allégée en compensation de l'abandon de la réforme sociale. Hélas le Gouvernement a décidé... de ne rien faire. Avec un stock de plus de 40 milliards d'euros et une augmentation moyenne de 3 milliards par an, il semble pourtant urgent d'agir !
Dans ce contexte déjà peu favorable, les deux outils de pilotage de la trajectoire financière de SNCF Réseau, prévus par la loi de réforme de ferroviaire d'août 2014, sont toujours attendus : je parle du décret d'application de la « règle d'or » et du contrat de performance qui doit être signé avec l'État.
Les contrats-cadre entre l'État et les trois Epic du groupe public ferroviaire (SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités) viennent à peine d'être finalisés. Pour SNCF Réseau, ce contrat est primordial car il doit lui permettre de couvrir ses coûts complets à horizon de dix ans. Le projet a été transmis pour avis à l'Arafer. Ce contrat est-il à la hauteur des enjeux ? Permettra-t-il de stabiliser la dette à horizon de dix ans ? L'objectif est-il encore réaliste ?
Autre question prégnante, l'état du réseau, dont l'ancienneté est de 33 ans en moyenne. Qu'en pensez-vous ? Quelles évolutions vous semblent possibles ces prochaines années ?
Vous avez porté un regard neuf sur le gestionnaire du réseau puisque vous exerciez des fonctions ailleurs précédemment, à Aéroports de Paris. Quelle appréciation avez-vous de son fonctionnement ? Pouvez-vous préciser vos projets d'externalisation d'une partie des activités conduites au sein de SNCF Réseau ? La structure mise en place par la loi vous paraît-elle pertinente ? Des optimisations vous semblent-elles nécessaires ? Certains estiment que trois Epic ne sont pas la meilleure solution...
Quant à la tarification du réseau, comment comptez-vous améliorer le processus d'allocation des sillons, dont les dysfonctionnements nuisent à l'attractivité du transport ferroviaire, notamment au fret ?
M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau. - Je vous remercie de la confiance que vous m'avez faite il y a huit mois. La loi de 2014 qui a créé SNCF Réseau a réunifié les différents métiers de l'infrastructure. Le cadre légal et managérial a été rendu transversal, il faut à présent rendre concrète cette transversalité. Je m'y emploie : j'ai réuni une première convention-cadre avec 1 200 personnes, jusqu'aux directeurs d'unités, pour aller au plus près du terrain. Les grands axes sont désormais la transversalité des métiers et la responsabilité, qui signifie autonomie et leviers de performance à la main des managers de terrain.
Le contrat de performance négocié ces derniers mois avec l'État a été approuvé par le conseil d'administration. Il est soumis à l'avis de l'Arafer et, parallèlement, à la concertation avec les différents partenaires - clients, associations, ports,... - jusqu'au 20 février. Le contrat pourra ensuite être signé.
L'année 2016 a été active. Nous avons réalisé 5 milliards d'euros d'investissements et de dépenses de maintenance et rénovation, un montant en croissance. Nous avons inauguré des Commandes centralisées du réseau (CCR), autrement dit des tours de contrôle ferroviaire, télécommandant tous les aiguillages d'une région. Nous en avons quatre aujourd'hui, il y en aura seize, à terme, sur le territoire. Nous avons inauguré cette année deux CCR, à Dijon et à Lyon, ainsi que la gare Rosa Parks en Île-de-France, une gare majeure, qui a exigé cinq ans de travaux et un million d'heures de travail ! Nous avons signé pour NExTEO, la signalisation de demain, qui équipera bientôt la ligne Eole : il n'y aura plus de panneaux latéraux sur les voies, tout fonctionnera par télécommunication entre le centre de commandement et le train, comme dans le métro automatique. SNCF Réseau sera alors parmi les plus avancés techniquement au monde. Surtout, la gestion par NExTEO diminuera l'intervalle entre deux trains, donc maximisera l'emploi de l'infrastructure ferroviaire.
Nous avons supprimé le bouchon ferroviaire de Bordeaux en doublant le nombre des voies d'accès, d'autant que le TGV Sud Europe Atlantique (SEA) sera inauguré en juin 2017. Le même problème d'accès se pose dans toutes les grandes villes. Traiter ces noeuds est un axe d'amélioration majeur dans les zones denses. Quant aux lignes régionales comme Chartres-Voves, Fécamp-Bréauté, Oloron-Bedous, elles ont aussi une grande importance.
Le capillaire fret suscite des travaux assez importants, que nous ne finançons plus seuls mais par des tours de table avec les chargeurs, les collectivités, l'État, comme au Bec d'Ambès. Il s'agit de désenclaver certains territoires et de transporter leurs productions industrielles et agricoles. Nous avons doublé en deux ans les kilomètres de ligne à pérennité supérieure à cinq ans.
En 2016, nous avons procédé à plus de 3 000 embauches, certes en partie pour compenser des départs en retraite, mais le solde est positif de 200 ou 300.
Nous avons conclu un contrat avec British Steel de 1 milliard d'euros pour l'achat de rails - fabriqués en France. Les prix obtenus ont pu être abaissés parce que nous avons allongé la durée du contrat : le contrat de performance, assurant une visibilité à dix ans, donne confiance aux industriels - comme ceux qui construisent les trains-usines capables de remplacer jusqu'à 900 mètres de rails par nuit. Les investisseurs eux aussi sont prêts à s'engager, s'ils disposent d'une bonne visibilité ; car les trains-usines coûtent cher !
L'année 2017 sera chargée : mise en service commercial de lignes à grande vitesse (LGV), Tours-Bordeaux et Rennes le 2 juillet, puis Nîmes-Montpellier. Les chantiers ont été menés en PPP ou en concession, mais SNCF Réseau a procédé à d'importants travaux en propre, pour les raccordements au réseau classique. Les travaux ont été menés sur un réseau exploité : 500 programmes dont la moitié se déroulant la nuit - plus de la moitié, même, en 2017, environ 60%. J'en rends hommage aux équipes !
Des tours de contrôle seront inaugurées. Celle de la gare de Lyon remplace un équipement de 1935. Le saut technologique nous amène directement à 2016, avec un poste informatisé, télécommandé et automatisé... La fonction d'aiguillage combine généralement une dizaine de technologies, avec des problèmes de maintenance différents. Par exemple, on ne trouve plus les relais qui étaient produits dans les années cinquante : il faut les fabriquer nous-mêmes. Mais nous nous efforçons de converger vers les technologies modernes. Rénover, c'est innover et transformer, afin de rendre le réseau beaucoup plus performant grâce aux technologies numériques et à l'automatisation. C'est un axe stratégique pour nous.
Cela a bien sûr des implications en termes de formation. Je signale que nous avons aujourd'hui un vrai problème de recrutement et de formation. Nos procédures sont d'un autre âge. Si un ingénieur brillant sorti d'école envoie son CV à Airbus et à SNCF Réseau, Airbus lui répond dans le mois qui suit, alors qu'il nous faut trois mois... Nous devons changer cela. Quant à la formation, rappelons-nous que l'innovation sert à aider, et non à remplacer, les professionnels.
Le contrat de performance pérennise l'investissement sur dix ans, en particulier pour la rénovation du réseau structurant : la dotation oscillait avant 2007 entre 500 et 1 milliard d'euros par an, contre 1,6 milliard en Suisse pour le renouvellement d'un réseau équivalent à 10% du nôtre, ou 3,5 milliards en Grande-Bretagne pour un réseau de moitié inférieur. Nous partions donc de loin, mais nous avons consacré au réseau structurant 2,6 milliards d'euros en 2016, qui seront portés à 3 en 2017.
M. Michel Raison. - Mais vous avez parlé de 5 milliards d'euros par an ?
M. Patrick Jeantet. - En comptant 2 milliards de maintenance courante.
Le volet contrats de plan État-régions (CPER) est inscrit dans le contrat de performance : sa dotation travaux augmentera progressivement jusqu'à 1 milliard d'euros, la moitié sur le développement des lignes régionales, l'autre moitié sur les noeuds ferroviaires, élément clé d'un réseau fiable. L'investissement ira aussi à l'accessibilité des gares et des quais, qui exige la construction de tunnels, passerelles, ascenseurs, et à la sécurité, avec en particulier la suppression de passages à niveau. Là encore, le montant passera à terme de 500 millions à 1 milliard d'euros, financés par l'État et les collectivités.
Au titre de l'investissement industriel, matériel, informatique, nous développons le Système industriel de production des horaires (SIPH), pour répondre plus rapidement aux demandes des clients - entreprises de fret ou de transport de voyageurs - sur la disponibilité des sillons. Aujourd'hui, nous n'avons aucune souplesse.
Du côté des recettes, l'index barèmes voyageurs baisse de 0,9 % mais va remonter à 1,5 % au-dessus de l'inflation : nous augmenterons nos péages de 3,6 %, inflation incluse -que nous estimons à 2 % à terme, si bien que les recettes passeraient de 5,7 milliards actuellement à 7,6 milliards à dix ans.
Nous avons aussi pris l'engagement de réaliser 1,2 milliard d'euros de productivité à dix ans et 1,2 milliard par an à partir de la dixième année, avec une montée en puissance progressive, 500 millions en 2021. Le comité exécutif a conçu un plan détaillé, actionnant une trentaine de leviers, achats, organisation efficace des travaux, allongement des plages de travaux de nuit, etc. En Île-de-France par exemple, où nous dépensions 300 millions d'euros sur les infrastructures, nous allons monter à 700 ou 800 millions d'euros : il faudra bien modifier notre façon de fonctionner, sinon les chantiers ne seront pas bouclés avant cinq ou sept ans ! L'objectif de productivité est important, mais il peut être atteint, sur les investissements et sur les charges.
Quant à la dette, dans le contrat, elle va augmenter de 1,7 milliard d'euros par an en moyenne sur dix ans, montant qui correspond aux frais financiers ; ce sera plus en début de période bien sûr puisque la dixième année, les coûts complets seront couverts. En 2026, la dette se situera ainsi à 60,6 milliards d'euros.
M. Louis Nègre. - Votre exposé a évoqué tous les points sur lesquels je voulais vous interroger. J'ai apprécié la tonalité de cette présentation positive et engagée.
Néanmoins l'Arafer fin 2016 a exprimé une vive préoccupation sur le budget 2017 et demande aujourd'hui à SNCF de revoir ses règles de séparation comptable afin de favoriser des conditions égales d'accès au marché. Il y a aussi les 17 milliards d'accroissement de la dette, et la stratégie ferroviaire de l'État est présentée en toute fin de quinquennat. Y a-t-il une vision ?
En positif, je note les importants investissements pour maximiser l'exploitation du réseau, un contrat de performance que l'industrie ferroviaire française plébiscite, les embauches, la nouvelle politique d'achat, le programme d'accroissement de la productivité.
Le contrat de performance vise à sortir le réseau ferroviaire français de l'impasse : pouvez-vous préciser votre ambition à ce sujet ?
Le problème de la dette est persistant : c'est le sparadrap du capitaine Haddock !
Enfin, dans l'expérimentation de l'ouverture à la concurrence dans les régions, quelle sera votre place ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Votre exposé liminaire a effectivement répondu à beaucoup de questions. Je salue la mise en place de la réforme, qui est globalement une réussite. C'est un moment important de la vie du groupe SNCF.
La règle d'or était un élément majeur apporté par les sénateurs dans la réforme. Or le décret vient seulement d'être soumis à l'Arafer : les choses traînent. Nous tenons pourtant à limiter l'endettement de SNCF Réseau. La dette augmente de 1,7 milliard par an - et non 3 milliards d'euros comme souvent véhiculé par la rumeur publique. Bénéficiez-vous des taux préférentiels de l'État ?
L'innovation technologique est fondamentale : au sein de la commission Duron sur les trains d'équilibre du territoire, nous avions constaté que les autres réseaux innovent... Nous serions intéressés par la visite d'une CCR, pour voir comment fonctionnent ces tours de contrôle.
De nombreuses lignes de TET sont reprises par les régions : comment travaillez-vous sur leur maintenance ? Les investissements sur ces lignes seront-ils gérés par les régions ?
M. Alain Fouché. - J'ai siégé quelques années à RFF. C'était une catastrophe ! Il n'était jamais question d'entretien des voies, seules comptaient les lignes à grande vitesse et les emprunts gigantesques qu'elles exigeaient. Or toutes n'ont pas, finalement, été construites : combien ont coûté les études ? Quelle part de la dette de RFF avez-vous reprise ? Enfin, j'ai interrogé le ministère sur les mesures de sécurité prises, tant sur les rails que dans les trains et dans les gares. La loi Savary est loin d'être appliquée... Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Patrick Jeantet. - La remise à niveau du réseau structurant est prioritaire : l'essentiel des 3 milliards d'investissement ira à cette partie du réseau, soit environ 15 000 kilomètres, la moitié du total. Le changement de stratégie a eu lieu il y a deux ans. C'est que la circulation, notamment sur les noeuds ferroviaires, est excessive au regard de leur robustesse intrinsèque. Il en résulte des retards et une qualité du service insuffisante.
L'ouverture à la concurrence n'est pas une décision de la SNCF ni de SNCF Réseau. C'est l'État français qui a fait adopter le 4ème paquet ferroviaire par l'Union européenne, et ce sont les régions - certaines plus que d'autres - qui souhaitent la concurrence. La loi d'expérimentation en découle logiquement, il faut s'y préparer. Le nouveau cadre s'appliquera en 2020 pour les trains non conventionnés (les TGV) et en 2023 pour les autres, TER et TET. SNCF Réseau proposera aux régions son expertise, afin que l'ouverture se déroule dans de bonnes conditions. Le service aux passagers devra être de bonne qualité quel que soit le système contractuel : il faudra donc, pour chaque ligne, planifier en amont le remisage des trains, la maintenance, la rénovation des lignes, et bâtir des plans de transport robustes, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
La règle d'or est un point très important de la loi de 2014. Je n'en ai pas parlé car nous l'attendons toujours ! La publication du décret est « imminente », nous dit-on. L'Arafer a formulé des observations dont la rédaction du texte d'application tiendra compte.
Je précise que le contrat de performance ne comprendra pas d'investissements de développement, puisque ce ne sera plus à SNCF Réseau de les financer, en application de la règle d'or.
Plus de productivité, plus de recettes : l'augmentation de la dette s'infléchira en fin de période : le chiffre de 1,7 milliard par an est une moyenne, celui de 3 milliards concerne le début de période. À la dixième année, on couvre le coût complet, on ne s'endette plus.
Vous êtes les bienvenus pour une visite d'une de nos tours de contrôle : les agents sont fiers de ces puissantes innovations technologiques, qui méritent d'être connues.
La dette de RFF a été intégralement reprise par SNCF Réseau, qui est juridiquement son successeur. En matière de sécurité, les décrets ont été pris.
M. Alain Fouché. - Sauf deux.
M. Patrick Jeantet. - Certains fixent les modalités des formations que nous connaissons bien dans l'aéroportuaire - palpation de sécurité, fouille de bagages, missions de civils armés - et qui sont un préalable indispensable au déploiement de la sûreté générale (Suge). Ces formations prennent du temps, et la mise en oeuvre des nouvelles missions a débuté il y a quelques semaines. 145 agents sont actuellement formés par mois. Nous nous réjouissons de l'amélioration de la sécurité sur nos lignes.
M. Rémy Pointereau. - Vous avez parlé d'un recrutement dynamique : remplacement des départs à la retraite et nouvelles embauches. Celles-ci sont-elles faites sous le statut de cheminot ? Vu l'importance de vos charges de fonctionnement, ne faudrait-il pas privilégier le recours à la sous-traitance, pour décharger la mule ?
Le rapport Duron avait établi que l'effort consacré pendant longtemps au TGV devait être déplacé vers la modernisation des lignes et l'amélioration du service. Certes, 2,6 milliards d'euros par an, c'est mieux qu'auparavant. Mais ce n'est pas extraordinaire, si l'on compare notre réseau à celui de la Suisse, ou de l'Angleterre.
On parle d'égalité des territoires. Comment définissez-vous les priorités dans vos interventions ? La ligne Bourges-Nevers vient d'être électrifiée, et déjà l'on supprime des gares. La ligne Bourges-Montluçon, qui vient d'être confiée à la région, est en complète déshérence, et on ne voit pas que des travaux y soient prévus à court terme. Pour le très haut débit, Orange n'investit que dans les zones rentables. Faites-vous de même ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Sénatrice de la Charente, je souhaite vous interroger sur la ligne Angoulême-Limoges, qui est dans un état désastreux, au point que la vitesse y est limitée à 60 kilomètres/heure sur 50 kilomètres. L'impact sur les déplacements n'est pas négligeable, et notamment sur ceux des lycéens, qui sont nombreux à l'emprunter. Nous voyons dans le même temps que la ligne à grande vitesse sera inaugurée le 2 juillet prochain. Tant mieux ! Elle mettra Angoulême à 1h45 de Paris, et à une demi-heure de Bordeaux. Mais la ligne dont je vous parle a été laissée de côté, aucune correspondance n'ayant été prévue à Angoulême. Des territoires entiers sont ainsi tenus à l'écart du développement. Pourtant, vous avez parlé de désenclavement et de remise en état du réseau structurant. Tous les acteurs locaux réclament la constitution rapide d'un comité de pilotage associant la région et SNCF Réseau afin que cette ligne soit remise en situation de fonctionner normalement. Une opération la concernant avait été inscrite au CPER, mais elle ne concerne que la signalisation. Je vous transmets donc officiellement cette demande.
Mme Nelly Tocqueville. - Vous avez évoqué la résorption des noeuds ferroviaires. Qu'avez-vous prévu pour l'Ouest de la Normandie, et notamment pour le noeud du Mantois ? Vous parliez de liaisons avec les ports : il y a là celui du Havre et le grand port maritime de Rouen.
Quelles investigations menez-vous avant de créer une nouvelle ligne ? Le projet de ligne Paris-Normandie est au coeur de discussions vives entre les habitants et leurs représentants et les porteurs du projet. Il aura un impact sur des centaines d'hectares de terres agricoles et menacera de nombreuses activités économiques. Son coût dépassera le milliard d'euros, pour un gain de temps de cinq à sept minutes. Comment évaluez-vous les coûts, et comment menez-vous la concertation locale ?
M. Patrick Jeantet. - Nous sommes obligés de recruter les personnes de moins de trente ans sous le statut de cheminot. Et nous recrutons surtout des jeunes... Pour le groupe SNCF, 75 % des recrutements sont faits sous ce statut, et 90 % des collaborateurs en relèvent. Nous avons besoin de jeunes car nous les formons à l'intervention en exploitation : il est rare que nous intervenions sur des lignes au trafic interrompu.
Notre stratégie est de développer l'externalisation, en modifiant ses modalités. Jusqu'à présent, SNCF Réseau conservait la gestion des projets, jusqu'au poste de chef de chantier, et les entreprises extérieures ne fournissaient que du matériel et des ouvriers qualifiés. Nous souhaitons pouvoir confier le renouvellement d'un tronçon à un sous-traitant, choisi, après appel d'offres, en fonction du prix et du délai qu'il proposera. Ainsi, nous gagnerons en souplesse. Surtout, cela poussera les entreprises sous-traitantes à innover et à entretenir une émulation avec nos propres équipes. Pour l'heure, ces entreprises ne sont pas au niveau. Nous devons donc les aider à monter en gamme progressivement. C'est pourquoi l'accroissement de l'externalisation se fera petit à petit.
Jusqu'à l'an dernier, nous ne disposions pas de diagnostic prospectif des réseaux ferrés régionaux. Nous avons initié des études, ligne par ligne, sur les investissements à réaliser selon différents scenarios. Je souhaite que ce travail soit généralisé et serve de base de discussion avec les exécutifs régionaux, auxquels revient, en dernière analyse, la définition des priorités. Évidemment, si une ligne risque de devoir être arrêtée, nous lui donnons la priorité. Mais comme elles sont nombreuses dans ce cas, nous ne pouvons pas intervenir sur toutes immédiatement. Nos travaux sont planifiés avec trois ans d'avance. Les lignes régionales ne sont financées par SNCF Réseau qu'à hauteur de 10 %. L'essentiel des fonds proviennent de l'État et de la région.
M. Rémy Pointereau. - Et les fermetures de gares ?
M. Patrick Jeantet. - Je vous répondrai par écrit.
La ligne Angoulême-Limoges est en effet en mauvais état. Je m'engage à dialoguer avec les responsables de la région, et s'ils demandent la constitution d'un comité de pilotage...
Mme Nicole Bonnefoy. - Ils le demandent.
M. Rémy Pointereau. - Alors, vous pouvez signer dès aujourd'hui !
M. Patrick Jeantet. - La ligne Paris-Normandie est un projet majeur, pour lequel nous suivons les procédures en vigueur. En particulier, une concertation exhaustive a été menée. SNCF Réseau réalise les études de tracé, suivant une méthode en entonnoir, qui part de grandes aires, que nous réduisons peu à peu à des corridors, avant d'affiner de plus en plus, avec les débats publics, pour aboutir à un tracé. L'ensemble du processus dure plusieurs années. Pour la ligne Paris-Normandie, il est très avancé, puisque nous avons limité à trois ou quatre le nombre d'options pour chaque grand noeud. Nous essayons d'affiner encore le projet en réunissant un consensus aussi large que possible.
Notre plus important projet de fret ferroviaire concerne la ligne Serqueux-Gisors. La déclaration d'utilité publique a été faite en novembre par la préfète de région, et nous cherchons à boucler le financement. Nous travaillons aussi avec le port de Rouen, dont j'ai récemment rencontré le directeur général.
M. Hervé Maurey, président. - Gisors s'inquiète beaucoup de la mise en service de cette ligne.
Mme Annick Billon. - Aux Sables-d'Olonne, la situation de la ligne s'est considérablement dégradée : trains annulés, retardés, voyageurs en perdition... À quand de nouveaux investissements ? Nous sommes de plus en plus loin de Paris ! En nous présentant votre candidature, il y a quelques mois, vous nous aviez parlé de l'état des caténaires, dont 60 000 étaient en mauvais état, et environ 10 000 en très mauvais état. Ceux-ci ont-ils été traités en priorité ? C'est une question de sécurité...
M. Hervé Maurey, président. - Sur la ligne Paris-Granville, ce sont les feuilles qui perturbent, pendant des semaines, la circulation des trains.
Mme Évelyne Didier. - C'est pourquoi il faut y remettre des trains de fret : plus lourds, ils nettoient les voies.
Vous avez repris en main le réseau, et cela se voit. Nous nous en réjouissons tous, après des décennies d'impéritie des gouvernements successifs. Bien sûr, tout ne peut pas revenir à la normale instantanément. Mais les investissements que vous réalisez sont très bienvenus, car le ferroviaire est l'avenir de l'aménagement du territoire, notamment d'un point de vue environnemental. Pour ma part, je suis très heureuse que 90 % de vos collaborateurs bénéficient du statut de cheminot. Je souhaiterais même qu'ils en bénéficient tous ! L'informatique améliorera le fonctionnement et même l'entretien du réseau, dont les trains détecteront les imperfections en temps réel. Pourquoi ne pas l'utiliser aussi pour développer le fret ? Nous souhaitons le retour à des wagons isolés, afin que les petites entreprises retrouvent un accès au fret ferroviaire.
M. Jean-Yves Roux. - Votre plan industriel mise sur l'innovation technologique. Comment allez-vous l'initier ? Allez-vous négocier avec les régions pour que votre demande coïncide avec la formation initiale et continue qu'elles dispensent ? Quels seront, à long terme, vos besoins humains ?
M. Claude Bérit-Débat. - Sur la ligne Bordeaux-Périgueux-Limoges, que comptez-vous faire ? Tant qu'elle relevait de deux régions, Aquitaine et Poitou-Charentes, aucune solution n'a pu être trouvée. À présent, elle est tout entière en Nouvelle-Aquitaine.
M. Patrick Jeantet. - C'est sur tout l'axe Atlantique, de Paris à Hendaye, que le réseau ferroviaire est dégradé, car il a souffert du manque de ressources, celles-ci ayant été entièrement consacrées au TGV. La LGV SEA, notamment, a nécessité dix raccordements au réseau classique circulé, ce qui a mobilisé énormément de main d'oeuvre et d'expertise. D'ici la fin de l'année, il y aura sans doute encore plusieurs petits travaux à effectuer. Pas d'amélioration à prévoir avant 2018, donc.
Lors de ma nomination, j'ai annoncé que je ne souhaitais pas mélanger LGV et réseau classique, et j'ai réclamé à tout le moins des moyens supplémentaires. J'ai obtenu la moitié de ce que je demandais, et je continuerai à me battre sur ce point : le développement ne doit pas empêcher la rénovation du réseau structurant. Vous dites que 2,6 milliards d'euros, ce n'est pas extraordinaire. Mais si j'avais 500 millions d'euros supplémentaires, je ne saurais pas comment les employer : les personnes recrutées cette année ne seront vraiment opérationnelles que dans trois à cinq ans. D'ailleurs, notre planification se fait avec trois ans d'avance, pour ne pas désorganiser les lignes sur lesquelles nous intervenons.
Évidemment, l'informatique améliorera l'organisation du fret. Actuellement, les entreprises nous réclament des sillons traversant la France sans interruptions de plusieurs heures. Notre logiciel nous aidera à les concevoir. Néanmoins, certains inconvénients sont bien réels. D'abord, une grande partie des voies passent par Paris. Du coup, la récente grève de Sud près du Bourget a bloqué toutes les circulations de fret à l'Est de Paris. De plus, faute de circuits alternatifs, au moindre problème, le fret s'arrête. Or, entre Calais et Marseille, on traverse souvent Paris ou Lyon aux heures de pointe. Comme les trains de voyageurs ont la priorité, le fret est ralenti. Bref, au-delà de l'informatique, des investissements dans des circuits alternatifs seraient nécessaires pour développer le fret. Et je ne parle pas de la politique routière : sur l'A10, des files de semi-remorques circulent sans payer aucune taxe...
Oui, le recrutement et la formation doivent être repensés en fonction de notre plan industriel. Si les régions peuvent nous accompagner dans ce travail, elles sont bienvenues.
M. Michel Raison. - Lorsque vous investissez dans l'amélioration de la signalisation, vous aidez SNCF Mobilités à accroître sa productivité. Cela a un coût pour vous. Y a-t-il un retour sur investissement ? Votre déficit, en 2015, était encore de plusieurs centaines de millions d'euros, sans parler de la dette...
M. Louis Nègre. - Pouvez-vous nous éclairer sur la ligne nouvelle Provence Côte d'Azur (LNPCA) et la ligne Marseille-Vintimille ?
M. Hervé Maurey, président. - Quelle est votre vision du groupe ? Est-il prêt à l'ouverture à la concurrence ? Certes, des adaptations sont nécessaires : il est curieux que les gares relèvent de SNCF Mobilités ou les combustibles, de l'Epic de tête. Faut-il revenir sur l'architecture mise en place par la réforme ferroviaire ?
M. Patrick Jeantet. - La réforme ferroviaire a créé une architecture comportant un EPIC de tête et deux EPIC opérationnels. Le premier regroupe 9 000 personnes autour de deux types de missions. D'une part, les missions régaliennes sont exercées par de petites équipes : marque SNCF, stratégie ferroviaire globale, consolidation financière... D'autre part, le service aux deux Epic opérationnels mobilise un grand nombre de collaborateurs. Il s'agit de la gestion des ressources humaines, de la Suge - qui regroupe 3 000 personnes -, de la comptabilité, des fournisseurs ou de l'informatique de gestion.
Avec M. Pépy, nous réfléchissons à l'amélioration de l'efficacité de l'ensemble. Faut-il séparer l'Epic de tête en deux entités ? En tous cas, une clarification est nécessaire. Et nous devons raisonner en termes de système ferroviaire : l'infrastructure et le mobile doivent être pensés ensemble. Ainsi, la largeur des trains commandés par la région Normandie doit leur permettre de circuler à Saint-Lazare ! S'ils ne le peuvent pas, son trafic serait amputé de 20 %, ce qui poserait un problème national. Comme le plan des voies datait de 1937, nous avons dû procéder à un relevé topographique millimétrique et mesurer toutes les paires de trains possibles. De même, les trains quasi-automatiques augmenteront la capacité des infrastructures - pour le métro, l'automatisation l'a accrue de 20 %. La signalisation latérale devra être remplacée par une imbrication sol-train permettant la communication avec le système central.
Quant à l'ouverture à la concurrence, mes équipes sont parfaitement équitables dans le traitement des entreprises de fret. Nous travaillons beaucoup avec Euro Cargo Rail (ECR), et il en ira de même avec SNCF Voyages et SNCF Mobilités.
Il est clair, en effet, que les gares et connexions vont quitter le giron de SNCF Mobilités avec l'ouverture à la concurrence. Faut-il créer une troisième entité opérationnelle, ou les confier à SNCF Réseau ? Notre mission est la rénovation du réseau, et sa gestion. Pour les gares, l'enjeu est aussi la rénovation urbaine. Cela implique une forte proximité avec les exécutifs locaux. C'est un autre métier. Dans l'aéroportuaire, les deux métiers sont intégrés.
La LNPCA fait l'objet d'une concertation. Elle traite deux noeuds ferroviaires : Marseille et Nice. Les problèmes de ponctualité relevés par le journal Le Monde sont en partie dus au sous-dimensionnement de l'infrastructure. Quant au système européen de surveillance du trafic ferroviaire (RTMS), il doit progresser plus rapidement. Les moyens qui lui sont consacrés sont actuellement insuffisants. Sur le Paris-Lyon, il aura une rentabilité immédiate, puisqu'il ouvrirait deux ou trois sillons supplémentaires par jour. Même remarque pour Vintimille. Il en va de la modernisation de tout le système.
M. Hervé Maurey, président. - Merci. Nous comptons sur vous.
La réunion est close à 12 h 00.
Jeudi 26 janvier 2017
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -Audition de M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières
La réunion est ouverte à 11 h 05.
La commission procède à l'audition de M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).
M. Hervé Maurey, président. - Après notre bilan de l'application des lois, hier, qui nous a conduit à parler longuement de l'application de la loi ferroviaire de 2014 et l'audition de M. Jeantet, président de SNCF Réseau, nous avons le plaisir d'accueillir M. Bernard Roman, président de l'Arafer, qui revient pour la première fois devant notre commission, depuis son audition de juillet en tant que candidat à ces fonctions.
Monsieur le président, dans les domaines relevant de votre compétence, soit le ferroviaire, le transport par autocar et les autoroutes, les dossiers sont nombreux, et l'Arafer n'a pas chômé.
Dans le domaine ferroviaire, l'Arafer a émis, depuis votre arrivée, des avis sur les tarifs de péage ; les tarifs des prestations du service de sûreté de la SNCF, la Suge ; les redevances perçues par la SNCF dans ses installations d'approvisionnement en combustible ; le projet de plan de gestion des informations confidentielles de SNCF Réseau ; la nomination du directeur des gares ; le décret d'application de la « règle d'or » de maîtrise de l'endettement de SNCF Réseau - sujet important sur lequel nous reviendrons.
Vous avez également publié deux études thématiques, sur l'application de la loi ferroviaire et sur la gestion des gares, une question cruciale dans la perspective de l'ouverture à la concurrence. Vous évoquerez certainement les autres chantiers qui nous attendent dans la perspective de l'ouverture à la concurrence.
Vous êtes aussi en phase d'examen des contrats de performance entre l'État et les différentes entités de SNCF, notamment SNCF Réseau, dont le contrat doit traiter des questions comme la dette de la société et la remise en état du réseau ; il est très attendu.
Nous aimerions aussi savoir quel bilan vous tirez de la libéralisation des transports par autocar, dans le cadre de laquelle vous avez eu à rendre un certain nombre d'avis, ayant été saisi par des autorités organisatrices de transport (AOT) qui souhaitaient soit interdire, soit limiter cette concurrence, comme le prévoit la loi pour les lignes d'autocar de moins de 100 kilomètres. Vous nous direz d'ailleurs si cette procédure semble bien fonctionner et si vous la jugez efficace.
En ce qui concerne les autoroutes, vous avez rendu plusieurs avis sur la composition des commissions des marchés. Vous nous direz quel bilan vous en tirez et si vous observez de réels progrès dans les procédures de passation des marchés.
Enfin, vous avez publié un rapport sur les comptes des concessions autoroutières qui témoigne d'une avancée majeure dans la transparence du secteur, que nous réclamions depuis longtemps. Vous y montrez que les effets du gel des péages imposé en 2015 par Mme Ségolène Royal, alors ministre, devrait se traduire, entre 2019 et 2023, par des hausses, à hauteur de 500 millions d'euros, pour les usagers.
Tels sont les sujets sur lesquels nous souhaiterions vous entendre. Vous nous direz aussi comment l'Arafer a absorbé toutes ces nouvelles missions, et si vous jugez ses moyens humains et matériels suffisants.
M. Bernard Roman, président de l'Arafer. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous six mois après m'avoir entendu pour ma nomination. Je vois dans votre invitation une marque intérêt pour l'activité, dense, du régulateur mais aussi un exercice de compte rendu que je dois à la représentation nationale. Le Parlement a le droit et le devoir de demander des comptes aux autorités publiques indépendantes qu'il institue. Puisse ce dialogue apporter la transparence sur notre action et sur le secteur que nous régulons, en éclairant le Parlement, tant dans ses décisions que dans sa fonction, éminente, de contrôle de l'action du gouvernement.
Le bilan à six mois est dense. N'y voyez aucune vanité de ma part, car il s'inscrit dans la pleine continuité de l'action de mon prédécesseur, Pierre Cardo, dont je salue l'engagement : il a fait de l'Arafer une institution dynamique, professionnelle, structurée, autour de son secrétaire général, Alexis Vuillemin, qui est à mes côtés.
L'Arafer, qui rendait 20 délibérations par an en 2012 et 2013, puis 40 en 2015, en a rendu 230 en 2016. Cette montée en puissance est liée aux décisions du législateur, qui a élargi, avec la loi ferroviaire, les compétences de l'Autorité sur le rail, et avec la loi Macron, institué ses compétences routières et autoroutières.
Je m'efforcerai de dresser un bilan aussi synthétique que possible sur ces trois secteurs, avant d'évoquer les chantiers qui sont devant nous pour 2017.
Pour ce qui concerne le marché du transport routier, tout d'abord, en libéralisant le transport interurbain par autocar, la loi Macron a confié à l'Arafer une mission essentielle d'observation de ce nouveau marché, dont nous plaidons pour qu'elle s'étende à l'ensemble du marché des transports dans notre pays.
Grâce aux éléments d'information que la loi nous permet de demander aux opérateurs, nous avons pu dresser, trimestre après trimestre, un état des lieux de la mise en oeuvre des services librement organisés. Notre dernière publication, mi-décembre, porte sur les chiffres du troisième trimestre, qui, avec 5 millions de passagers, confirment l'augmentation de la fréquentation. Ce bilan fait également apparaître une amélioration de l'offre des transporteurs, une adaptation des fréquences à la demande, une évolution du remplissage des cars - on est passé, d'un trimestre sur l'autre, de 30 % à 40 % -, ainsi que du chiffre d'affaires et de la tarification, passée, sur la même période, de 3,40 euros à 3,70 euros pour 100 kilomètres. Autant d'éléments qui témoignent de l'attractivité des cars Macron pour certains usagers.
Notre rapport annuel, publié en novembre, et qui s'étend sur la période du 8 août 2015 au 30 juin 2016, dresse un premier bilan de l'attractivité du transport en autocar. Il présente une analyse globale, incluant tant les services libéralisés que les services conventionnés régionaux - avec lesquels nous poussons le dialogue pour obtenir l'ensemble des données.
J'ai évoqué le chiffre de 5 millions de passagers. Il faut en mesurer l'ampleur, mais aussi le relativiser, pour prévenir toute conclusion hâtive, sachant que le transport scolaire représente 5 millions de passagers... par jour, et que le total des déplacements dans notre pays s'élève à 930 milliards de kilomètres-passager, dont 80 % se font en véhicule personnel, 10 % par le rail, et 8 % en interurbain. Les cars Macron représentent, en regard, 1,2 million de kilomètres-passager, soit seulement 0,10 % de l'ensemble.
Notre rapport met également en évidence les caractéristiques très différentes des réseaux. Cars conventionnés et cars Macron sont très peu en concurrence : seules 40 liaisons routières sont couvertes par les uns et les autres. Et si l'on compare avec l'offre ferroviaire, on constate que sur 45 000 liaisons desservies par TER, seules 160 le sont aussi par les cars Macron. On comprend par là que les demandes d'interdiction ou de limitation émanant des AOT, que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur le président, portent sur une part très faible des services librement organisés. En revanche, 86 % des passagers des cars Macron l'ont été sur des lignes couvertes par le TGV. Il s'agit d'une clientèle pour laquelle le facteur prix pèse énormément, tandis que le facteur temps ne compte guère. On peut faire une visite familiale en quatre heures de car plutôt qu'en une heure et demi de TGV, et payer quatre à six fois moins cher. C'est là un éclairage que l'on doit, j'y insiste, à la mission d'observation de l'Arafer, qui met toutes ces informations à disposition sur son site.
Nous avons complété ces études par une enquête de terrain auprès des passagers des cars Macron, qui fait apparaître que ces cars créent une demande nouvelle. Lorsqu'on leur demande quel transport ils auraient choisi en l'absence de ces cars, 40 % répondent qu'ils auraient pris leur voiture, mais surtout, 17 %, soit un petit million, disent qu'ils n'auraient pas voyagé. C'est, là aussi, un éclairage intéressant.
S'agissant de notre mission de régulation des liaisons de moins de 100 kilomètres, j'ai dit l'absence de concurrence réelle entre les services conventionnés et les cars Macron. L'Arafer, qui est une jeune autorité, a défini elle-même la doctrine permettant d'évaluer cette concurrence. Nous avons été amenés à refuser un certain nombre de demandes d'interdiction émanant d'AOT régionales, qui ont contesté notre décision devant le Conseil d'Etat, lequel a validé notre démarche en nous donnant raison sur deux de ces décisions, en décembre.
J'en viens aux autoroutes, domaine dans lequel la mission de l'Arafer est triple : contrôle des marchés, suivi économique des sociétés d'autoroute, avis sur les nouveaux contrats ou leurs avenants, dès lors qu'ils ont une conséquence sur la durée des contrats ou le tarif des péages.
En ce qui concerne le contrôle des marchés autoroutiers, nous avons, dans un aller-retour constructif avec les sociétés d'autoroutes - sachant qu'un rapport publié en juillet livrait un certain nombre de chiffres qui ont pu les troubler - mis en place les commissions des marchés, dans des conditions conformes à la loi : nous vérifions, sur le fondement des déclarations d'intérêt des membres des commissions, qu'ils sont bien, en majorité, indépendants. De la même manière, nous avons, dans un dialogue constructif, après prise en compte de nos observations par les commissions des marchés, validé les règles de fonctionnement des sociétés d'autoroutes. C'est un gage de transparence et une avancée importante, que nous devons au législateur. L'Asfa, l'Association française des sociétés d'autoroute, se trouve désormais placée sous le contrôle de l'Arafer, et c'est une bonne chose.
S'agissant des contrats de concession, nous n'avons eu à nous prononcer que sur celui de l'A45 entre Lyon et Saint-Etienne. Nous avons estimé qu'il était conforme aux exigences, avec un taux de rentabilité interne raisonnable et justifié. Je précise, à l'intention des associations ou des élus qui nous ont saisis, qu'il n'appartient pas à l'Arafer de se prononcer sur le bien-fondé d'une concession ou d'un tracé, mais que notre mission est de vérifier, dans le cadre de l'équilibre économique d'une opération, que les dépenses sont conformes à ce qui est prévu, et que le taux de rentabilité des péages reste normal. Nous ne nous prononçons en aucun cas en opportunité.
En revanche, nous avons mené, en 2015, dans le cadre de notre mission de suivi économique des sociétés d'autoroutes, une étude approfondie qui nous a conduit, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, à mesurer les conséquences de la décision de gel des péages prise, en février 2015, par le gouvernement. Un contrat est un contrat : ce gel devait naturellement se répercuter par la suite pour respecter les termes des contrats de concession signés, notamment, avec sept des sociétés concessionnaires les plus importantes. Nous avons ainsi souligné que les péages augmenteraient, entre 2019 et 2023, d'un montant supplémentaire de 0,23 % à 0,82 %, selon les concessionnaires, par rapport à ce qui était initialement prévu, et mesuré qu'à la fin des concessions, les usagers auront payé 500 millions de plus que si le gel n'avait pas eu lieu. C'est le travail de l'Arafer, dans cette mission de suivi, que de porter ses analyses à la connaissance du public, et au premier chef, de la représentation nationale.
J'en arrive au transport ferroviaire, un dossier central qui nous occupe et nous préoccupe. Sur la mise en oeuvre du Paquet ferroviaire de 2014, nos conclusions et celles du rapport parlementaire des députés Gilles Savary et Bertrand Pancher convergent. Nous pointons des éléments positifs. Il n'était pas simple, dans une maison très pyramidale, où deux établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) sont chapeautés par un EPIC de tête, de faire de SNCF Réseau le gestionnaire exclusif de l'infrastructure de la SNCF, mais il fallait engager cette révolution culturelle. La libéralisation du rail n'est plus une option en débat, elle est devant nous, puisque le quatrième paquet ferroviaire a été voté à Bruxelles en décembre. Elle ne se passera bien qu'avec un gestionnaire de réseau totalement indépendant, c'est crucial. La réforme ferroviaire l'a voulu, il faut que cela devienne réalité dans les faits. L'Arafer est garante de cette indépendance, et y veille en rappelant, dans toutes ses décisions, cette nécessité.
Mais au-delà, il reste des questions en suspens. Tout d'abord, sur l'architecture du système. Il convient, à notre sens, de clarifier le rôle de l'EPIC de tête, y compris sur des questions qui peuvent paraître marginales, mais ne le sont pas, comme celle de la gestion des stations de combustible. Ces stations ne peuvent continuer à relever de l'EPIC de tête : les nouveaux arrivants ne sauraient être placés dans la dépendance de la SNCF, que nous avons mis en demeure de faire évoluer cette situation avant juin 2017.
Nos inquiétudes se cristallisent, surtout, sur le déséquilibre croissant du système. Nous avons été conduits à rendre un avis sur le projet de décret relatif à la règle d'or. La réforme ferroviaire a introduit un dispositif d'encadrement des projets de financement de la dette du réseau ferré, et cette règle d'or impose au gestionnaire d'infrastructure ferroviaire de ne pas s'endetter pour financer de nouveaux projets au-delà d'un certain ratio. Le projet de décret, longtemps attendu, a été soumis à l'Arafer à la demande du Conseil d'Etat. Dans notre avis, nous avançons deux recommandations principales. Nous soulignons, tout d'abord, que le périmètre d'application de la règle d'or ne doit pas concerner les seuls investissements nouveaux, mais tout ce qui va avec. Si l'on projette de construire, par exemple, une ligne LGV pour un coût de 3 milliards, les stations d'énergie et de maintenance qui doivent être construites pour cette ligne doivent également être prises en compte, sauf à en laisser la charge à SNCF Réseau. Nous avons également rappelé, pour éviter les erreurs commises au cours des vingt dernières années avec la folie du TGV, que le décret rappelle que la sélection des projets de développement et les choix d'investissement doivent être fondés sur l'évaluation des bénéfices socio-économiques des projets, et non sur des critères subjectifs. Nous attendons la réaction du gouvernement à ces recommandations.
Nous avons également rendu un avis sur le projet de budget pour 2017 de la SNCF, dans lequel nous constatons les difficultés de SNCF Réseau, à avancer, notamment sur la question de la tarification, mais aussi sur celle des gains de productivité, où les efforts sont difficiles à mesurer faute d'éléments chiffrés concrets. Force est de constater que les charges de réseau augmentent et que l'on reste loin de la trajectoire budgétaire idéale qui devait aboutir à une maîtrise de la dette à 10 ans.
Quant à SNCF Mobilités, vous savez que l'Arafer a été conduit à refuser son projet de séparation comptable. Une comptabilité analytique est faite pour affecter les charges aux coûts et éviter les financements croisés. C'est une exigence essentielle dans la perspective de l'entrée de nouveaux opérateurs. Nous avons donc mis SNCF Mobilités en demeure de nous présenter une nouvelle copie.
Quelles sont les perspectives qui s'ouvrent pour l'année 2017 ? Nous en identifions quatre, dont la première est la réforme de la tarification de SNCF Réseau. La tarification actuelle, qui remonte à 2008, est actualisée chaque année avec des coefficients qui ne prennent nullement en compte les évolutions structurelles du réseau et les besoins qui s'expriment. D'où une perte de lisibilité et une prévisibilité très imparfaite pour les opérateurs, comme le montre la tarification 2017. J'ajoute que cette tarification n'est pas conforme aux principes de la directive européenne qui fixe le cadre de l'ouverture. Ces principes prévoient, d'une part, une tarification au coût direct, c'est à dire le coût de maintenance que génère le passage d'un train sur les rails, d'autre part, une justification des majorations. Pour une compagnie qui ferait 60 passages quotidiens sur une ligne, avec des trains remplis à 80 %, SNCF Réseau peut décider d'augmentations, à condition de le justifier. Or, cela suppose de disposer des données... qu'il est fort difficile d'obtenir de SNCF Mobilités. Ce manque de fluidité dans la circulation de l'information est un problème.
Une réforme de la tarification est donc indispensable, pour plus de transparence, pour rétablir des signaux économiques efficaces, pour rénover le réseau, qui en a bien besoin, et préparer l'ouverture à la concurrence. Nous avons travaillé avec SNCF Réseau à une refonte de leur système tarifaire. Au vu du projet de tarification pour 2018 qui nous a été soumis, je m'inquiète de constater que la SNCF et même les services de l'Etat peinent à faire évoluer une situation qu'ils continuent à se représenter comme intangible, et à prendre la mesure de la révolution qui s'annonce. Nous allons donc poursuivre le travail pour revoir tant la tarification de réseau que des gares.
Le deuxième chantier qui s'ouvre est celui des contrats de performance, en cours d'examen devant l'Arafer. Je ne vous apprendrai rien en vous disant l'immense préoccupation qui est la nôtre, face à la perspective d'une dette de SNCF Réseau supérieure à 60 milliards sous dix ans. Le rapport au Parlement rendu il y a quelques mois par le gouvernement indique que celui-ci n'entend pas prendre en charge la dette historique supportée par SNCF Réseau, même s'il prévoit une clause de revoyure à trois ans. Comment SNCF Réseau, même avec un actionnaire comme l'Etat, pourrait-elle supporter, dans le cadre d'une stratégie de stabilisation, une dette en augmentation de 50 % en dix ans ? C'est une situation pour moi très préoccupante, et face à laquelle on ne peut pas rester les bras croisés. Je note, au demeurant, une contradiction entre le contrat de performance et ce rapport : comment prévoir une revoyure à trois ans alors que l'on attend une dette de 62 milliards dans dix ans !
Troisième grand dossier, enfin, la préparation de l'ouverture à la concurrence. L'Arafer veut être pleinement partie prenante. Nous ne sommes l'adversaire de personne. Le Parlement nous a confié une mission, qui implique un contrôle éventuellement assorti de sanctions, dans le cadre d'une politique qui a été voulue, par la loi, dans le cadre national et européen. L'ouverture à la concurrence est prévue à l'horizon 2020 pour la grande vitesse, 2023 pour les trains express régionaux, les TER, et le quatrième paquet ferroviaire a ouvert des possibilités d'anticipation, dès le 3 décembre 2019. Nous voulons apporter notre pierre à cette préparation, notamment dans le cadre des expérimentations souhaitées par le Parlement, les grandes AOT régionales et le gouvernement, qui a souscrit à l'idée. Il y faudra sans doute un texte ; je sais que vous y travaillez. De notre côté, nous préparons une étude, qui sera publiée avant la fin de l'année, et nous allons organiser, fin juin, un colloque pour susciter des échanges et analyser les expériences étrangères. Il faut avoir conscience que la SNCF réalise la moitié de son chiffre d'affaires à l'étranger, sur des marchés ouverts à la concurrence. Ne nous imposons pas des oeillières.
Quatrième dossier, enfin, le contrôle de la rentabilité interne des sociétés d'autoroutes, sur lequel je m'étendrai un peu plus. Cette mission nous est confiée par la loi. Un rapport publié par l'Autorité de la concurrence en 2014, qui a fait grand bruit, évaluait le taux de rentabilité interne (TRI) des sociétés concessionnaires à 24 %, laissant penser que 24 % du chiffre d'affaires global des autoroutes, soit 9 milliards, allaient directement dans les caisses de ces sociétés. Ce n'est qu'en partie vrai : les contrats courent sur des durées de trente ans et plus, et il faut prendre en compte la charge des investissements, qui n'est pas la même pour les jeunes sociétés que pour les sociétés historiques. Le travail de l'Arafer a consisté, avec l'aide d'un cabinet d'expertise, à fixer une première définition du TRI, acceptable par tous. Nous sommes en phase d'échange avec les sociétés d'autoroutes. Nous lancerons ensuite une consultation publique sur la définition retenue afin de faire émerger un indicateur incontestable.
Rappelons que si les objectifs de rentabilité sont atteints ou dépassés avant l'échéance du contrat, le Gouvernement a la possibilité de neutraliser les augmentations prévues dans le cadre de la prolongation des contrats. Il est appréciable, dans cette éventualité, qu'un régulateur contrôle objectivement, sans contestation possible, l'économie des sociétés d'autoroutes.
Les parlementaires ont un rôle central à jouer dans la régulation des transports. L'État doit rester stratège, en développant des politiques publiques y compris dans un cadre libéralisé. Qu'il s'agisse de la directive ou de la loi, toutes les orientations prises se fixent pour objectif le bénéfice des usagers. C'est ce qui doit guider notre action.
M. Hervé Maurey, président. - Vous avez confirmé le rôle essentiel et positif de l'Arafer, dans ses missions historiques comme dans ses compétences nouvelles que sont le transport par autocar et les autoroutes. Je me félicite que, sous votre présidence, l'Arafer n'ait rien perdu de son autonomie, de son indépendance et de sa pugnacité.
M. Louis Nègre. - Lorsque vous mettez en valeur le rôle du Parlement, nous vous recevons cinq sur cinq : il nous appartient de contrôler le régulateur, qui lui-même contrôle le système. Votre exposé clair, dense et pédagogique montre que ce régulateur, véritable juge de paix, a vocation à s'inscrire dans le paysage des transports. La récente décision du Conseil d'État en votre faveur confirme l'importance de l'Arafer. J'en arrive à ma question : avez-vous des moyens en conséquence ?
J'apprécie votre positionnement en faveur de l'indépendance de SNCF Réseau, que notre commission réclamait. La Commission européenne a d'abord souhaité une « muraille de Chine » entre le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur historique, pour éviter les confusions dont nous avons été témoins en Allemagne. C'est une position de principe très importante. SNCF Réseau dispose d'un monopole naturel qui doit relever de l'État, mais les opérateurs doivent être libres d'entrer dans le marché du transport. Je me retrouve dans cette position. Merci de l'aide technique que vous nous proposez dans les travaux que nous engageons, à l'initiative de notre président, sur l'ouverture à la concurrence. Quant à l'expérimentation, je reste prudent : il serait regrettable qu'au vu des contraintes qu'impose la Constitution, l'ouverture effective s'en trouve retardée.
Vous souhaitez que la règle d'or repose exclusivement sur des objectifs socio-économiques ; mais qu'en est-il de l'aménagement du territoire ? D'autres précisions seraient bienvenues, sur le volet autoroutier : qu'est-ce que la « majorité » que vous évoquez au sujet des commissions d'appel d'offre ? À quel niveau fixez-vous un TRI « normal » et « raisonnable » ? La modification du contrat initial des sociétés d'autoroutes se traduira-t-elle par un surcoût de 500 millions d'euros pour les usagers ?
Enfin, que proposez-vous pour alléger le poids de la dette dans le système de transport ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Je salue la précision et la densité de votre intervention, sur un sujet qui nous passionne. L'extension des capacités d'intervention du régulateur introduite par la loi de réforme ferroviaire et la loi Macron est un motif de fierté. Il serait souhaitable de mettre en place, en France, un régulateur aussi performant qu'au Royaume-Uni, avec des moyens appropriés.
Je suis convaincu par la mise en place des cars dits Macron. Au Royaume-Uni et en Allemagne, les autocars transportent huit millions de voyageurs. Cependant, certains des opérateurs actifs sur le marché ont suscité quelques doutes. Quel est votre avis ?
Le taux de rentabilité des sociétés autoroutières mérite une véritable transparence. Nous avions exigé que 75 % des travaux engagés dans le cadre du plan autoroutier le soient pas des entreprises non directement liées aux grandes sociétés autoroutières. D'après le ministère, cette mesure a été mise en application. Pouvez-vous le confirmer ?
Je suis particulièrement attaché à une règle d'or aussi large que possible, conformément à l'esprit de la loi de réforme ferroviaire. Comment en jugez-vous la mise en oeuvre ?
Enfin, il serait opportun que la réforme de la tarification soit expliquée précisément. C'est un élément majeur, mais beaucoup n'en connaissent pas le fonctionnement.
M. Jean-François Longeot. - Vous avez expliqué que le développement du transport par autocar avait ouvert le tourisme à une catégorie de personnes qui se déplacent très rarement ; mais avez-vous des éléments quant à l'incidence sur le trafic SNCF ?
M. Rémy Pointereau. - Vous avez reconnu l'ampleur du succès des cars Macron, tout en le relativisant. Permettez-moi de relativiser encore un peu plus. La notion de bénéfice socio-économique qui doit présider, dites-vous, à l'ouverture de LGV vaut-elle pour le transport par car ? Sur la ligne Clermont-Bourges-Paris, les cars transportent généralement moins de vingt personnes : à neuf euros le billet, nous arrivons à 180 euros par voyage. Des entreprises ont d'ores et déjà déposé le bilan. Comment parler de succès ? Pour le moment, les opérateurs pratiquent des prix d'appel mais à terme, ils ajusteront leurs tarifs au prix de revient, et le prix du voyage en car sera proche de celui du voyage en train.
Mettre en place des transformateurs à proximité des LGV devrait entraîner un surcoût soit pour SNCF Réseau, soit pour ERDF. Avez-vous des éléments chiffrés ?
Enfin, je puis vous assurer que pour un élu qui ne se trouve pas sur le parcours d'une ligne de TGV, la grande vitesse n'a rien d'une « folie ». Au-delà du bénéfice socio-économique, il faut prendre en compte les priorités de l'aménagement du territoire.
M. Charles Revet. - Vous poursuivez l'oeuvre de votre prédécesseur, qui a musclé l'Arafer. Je m'en félicite.
Les résultats des sociétés autoroutières ont déjà atteint un niveau record l'année dernière, or elles vont encore recevoir 500 millions d'euros supplémentaires... Comment ce montant a-t-il été fixé ?
Avez-vous la possibilité de comparer les coûts des travaux réalisés sur le réseau ferroviaire ? Le PDG de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, nous a annoncé hier trois mille recrutements. Or le prix de revient des travaux effectués sur le réseau, y compris pour les LGV, par les petites entreprises semble beaucoup moins élevé que celui des travaux conduits par SNCF Réseau lui-même. Êtes-vous en mesure de comparer ?
Pour le moment, le fret reste très limité sur le réseau ferroviaire ; l'une des causes est le mode d'attribution des sillons. Peut-on envisager une intervention de l'Arafer ? Tout est réuni pour empêcher la concurrence de se développer.
M. Jean-François Rapin. - Avez-vous des indicateurs précis annexés aux objectifs socio-économiques que vous évoquez ? S'agirait-il, par exemple, de créer 10 000 emplois sur une zone déterminée ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le plan de relance autoroutier prévoit un investissement de 3,2 milliards d'euros par les sociétés d'autoroutes en contrepartie d'un allongement de leur concession. Le montant annoncé a-t-il été respecté ? Le seuil de mise en concurrence des marchés de travaux a été abaissé à 500 000 euros pour permettre aux petites entreprises de soumissionner. Pouvez-vous faire un point sur ce sujet ?
Une question qui m'intéresse plus particulièrement : quel est l'avenir du site de l'Arafer au Mans ?
Enfin, nous avions estimé à 8 % un TRI autoroutier acceptable ; mais peut-on transposer la démarche aux lignes de TGV ? Les coûts sont exorbitants sur certaines d'entre elles.
M. Jean-Yves Roux. - Nous prenons acte de votre volonté de mutualiser, de rationaliser le paysage du transport et de poursuivre l'entretien du réseau existant. La dette ferroviaire devrait atteindre 62 milliards d'euros dans dix ans. Recevez-vous toutes les données nécessaires à l'exercice de votre mission, en particulier de la SNCF ? Enfin, avec les sept recrutements que vous annoncez pour faire face à l'extension de vos missions, estimez-vous disposer des moyens humains appropriés ?
M. Bernard Roman. - La question des moyens humains et financiers a été l'un des principaux combats de mon prédécesseur, que je reprends à mon compte. Notre effectif compte 75 ETP (équivalents temps plein travaillés), ce qui est peu au regard de l'élargissement de nos missions. Nous avons en effet obtenu sept postes - un total un peu inférieur à nos demandes - dans le cadre de la loi de finances. L'Arafer fonctionne à plein régime, avec des collaborateurs de très haut niveau. Ainsi, nous souhaiterions suivre la mise en oeuvre du premier plan de relance autoroutier : il n'entre pas directement dans nos compétences, mais nous serons amenés à nous prononcer sur les avenants au contrat de concession des sociétés concernées ; malheureusement, nous manquons de moyens humains pour assurer ce suivi.
Auparavant confiée à une commission intergouvernementale (CIG), la régulation économique du tunnel sous la Manche a été transférée, en 2015, à l'Arafer, par un accord bilatéral. Dans ces conditions, il semblait naturel que l'Arafer récupère au moins une partie des 2,5 millions d'euros versés annuellement par Eurotunnel au ministère des transports au titre de la CIG - nous demandions 500 000 euros. Or il n'en a rien été, malgré un amendement en ce sens déposé à l'Assemblée puis au Sénat. Cette perte inattendue a pour conséquence un déficit dans la réalisation du budget 2017 de l'Arafer, mais nous possédons des fonds de réserve suffisants pour y faire face.
Mon prédécesseur a eu des difficultés à recruter au niveau qu'il souhaitait parce qu'il était plus difficile de faire venir des spécialistes au Mans qu'à Paris. C'est pourquoi nous avons un siège dans chacune des deux villes. Les services transversaux, situés au Mans, se rapprocheront de la gare au mois de mars.
L'expérimentation ne devrait pas repousser l'ouverture à la concurrence, parce que les autorités organisatrices de transport veulent aller le plus vite possible. Il est même possible - il faudrait le vérifier - que le quatrième paquet ferroviaire autorise l'ouverture à la concurrence sans le préalable d'une loi d'expérimentation : il prévoit la possibilité, pour les autorités qui le souhaitent, de la mettre en oeuvre au 3 décembre 2019. Il reste à déterminer si cela laisse le temps de voter une loi d'expérimentation, puis de conduire l'expérimentation elle-même avant ce terme.
L'aménagement du territoire relève naturellement, à mes yeux, de l'intérêt socio-économique. Que vingt communes, sur les quarante que traverse une LGV, demandent une gare n'est pas conforme à cet intérêt. L'aménagement du territoire fixe le cadre de l'évaluation du bénéfice ; il revient ensuite à l'exécutif de décider du tracé des lignes.
L'expression de « folie du TGV » est quelque peu malheureuse et je la retire. Je voulais dire par là que durant vingt ans, l'ensemble des moyens financiers et humains de la SNCF ont été consacrés à la construction de lignes de TGV, au détriment de l'entretien, de la rénovation et de la sécurisation du réseau national. Mais le TGV reste l'un des fleurons de notre industrie, et son utilité n'est pas en cause.
Sur la dette, j'ai demandé à mes collaborateurs de conduire un travail de benchmarking - ou, plus simplement, de comparaison - avec d'autres pays. Tous les réseaux ferroviaires étaient endettés ; certains ne le sont plus, et toujours grâce à l'intervention de l'État. L'Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon ont pris des initiatives intéressantes. Je ne peux me résoudre à ce que l'infrastructure française soit grevée d'une dette permanente de plusieurs dizaines de milliards d'euros qui obère ses stratégies de développement.
Sur le marché des cars Macron, cinq opérateurs étaient présents au départ. Le marché est en phase de maturation, après une surenchère marquée par des prix bas et des fréquences importantes, afin de capter des clients. Megabus a ainsi été racheté par Flixbus, leader des cars SLO (service librement organisé) en France ; Starshipper a été repris par Ouibus. Le premier rapprochement, au contraire du second, a entraîné une augmentation des parts de marché. Les fréquences diminuent pour adapter l'offre à la clientèle : cela semble logique sur une ligne où aucun bus ne transporte plus de vingt passagers. En revanche, je ne crois pas que des lignes seront supprimées. Le second mouvement est l'augmentation des tarifs, qui sont passés de 3,40 à 3,70 euros pour 100 kilomètres en moyenne ; mais nous restons très loin du train, où les prix sont 7 à 12 fois plus élevés.
Sans vouloir incriminer quiconque, je relève qu'en 2015, une part importante des marchés attribués aux sociétés concessionnaires sont échus à leurs filiales. Le fait que les données soient désormais publiques changera la donne. L'étude des marchés pour 2016 sera par conséquent particulièrement intéressante. De plus, à partir de 2017, les commissions des marchés seront composées à au moins 50 % de personnes indépendantes, sans liens d'intérêts avec les sociétés concessionnaires. Vous serez régulièrement informés des études que nous publions.
Je serais très heureux de recevoir une délégation de votre commission pour évoquer les sujets les plus complexes, comme la tarification. On dit que le coût d'utilisation du réseau en France est de 30 % supérieur à ce qu'il est en Allemagne ; c'est à vérifier.
Le législateur ayant voulu faire des autocars de transport interurbain un service librement organisé ; les autorités publiques n'orientent pas les stratégies du secteur. La notion d'intérêt socio-économique n'entre pas, par conséquent, en ligne de compte. Pour les lignes de moins de 100 kilomètres, une déclaration à l'Arafer est nécessaire, mais pas au-delà de ce seuil. Nous suivons attentivement l'évolution du marché.
Les autoroutes, monsieur Revet, n'ont pas reçu 500 millions d'euros supplémentaires. La dérogation à l'augmentation des péages programmée dans le cadre du contrat a été compensée sous la forme d'un étalement dont nous avons estimé le montant à 500 millions. Quant aux augmentations annuelles au 1er février, elles sont contractuelles, bien que les organisations professionnelles de transport s'en plaignent rituellement dans les semaines qui précèdent. Tout cela rend d'autant plus nécessaire une mesure objective du TRI.
SNCF Réseau emploie plus de 50 000 personnes. La première difficulté citée par les opérateurs du fret est l'attribution des sillons. Un transporteur m'a fait part du cas d'un constructeur automobile allemand qui fait remonter ses véhicules deux fois par semaine de son usine d'assemblage espagnole à Forbach. Au total, cela représente 110 à 115 demandes par an ; or 90 à 95 % des sillons qui lui sont accordés s'arrêtent à Saint-Pierre-des-Corps ; il doit ensuite renouveler la demande pour la seconde partie du trajet. Cette situation résulte pour partie du manque de travaux sur le réseau au cours des dernières décennies ; actuellement, 1 500 chantiers sont actifs chaque nuit. Il conviendrait de réexaminer les conditions d'attribution des sillons. En France, un peu moins de 10 % du transport de marchandises est effectué par fret ferroviaire, contre 20 % en moyenne en Europe.
Nous serons en mesure d'évaluer le taux de rentabilité des lignes de TGV lorsque nous recevrons les données... Les chiffres relatifs à la rentabilité sont couverts par le marché commercial, mais l'exploitation des données de fréquentation fournit des informations utiles.
M. Hervé Maurey, président. - Merci de votre intervention et de la précision de vos réponses.
La réunion est close à 12 h 30.