- Mercredi 30 novembre 2016
- Contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et ARTE-France pour la période 2017-2021 - Audition de Mme Véronique Cayla, présidente du directoire, et de Mme Anne Durupty, directrice générale, d'ARTE-France
- Proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de résolution européenne sur l'adaptation de la directive « Services de médias audiovisuels » à l'évolution des réalités du marché - Examen du rapport
- Communications diverses
Mercredi 30 novembre 2016
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 30.
Contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et ARTE-France pour la période 2017-2021 - Audition de Mme Véronique Cayla, présidente du directoire, et de Mme Anne Durupty, directrice générale, d'ARTE-France
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous recevons Mme Véronique Cayla, présidente du directoire, et Mme Anne Durupty, directrice générale d'ARTE France, qui nous présenteront les orientations stratégiques d'ARTE, chaîne à laquelle nous sommes tous attachés. Unique en son genre, ARTE porte un projet culturel ambitieux, en coopération avec l'Allemagne. Comment le contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'État et ARTE France pour la période 2012-2016 a-t-il été exécuté ? Quelles sont les priorités du prochain COM ?
Mme Véronique Cayla, présidente du directoire d'ARTE France. - Le COM pour 2012-2016 comportait deux volets : la relance éditoriale et le développement numérique.
Il s'agissait d'abord de conforter ARTE, chaîne culturelle franco-allemande fondée par un traité interétatique afin de rapprocher les peuples d'Europe, en la modernisant, c'est-à-dire en l'ouvrant davantage sur le monde, en l'ancrant dans la société actuelle et en la tournant vers l'avenir. Dès 2012, un nouvelle grille de programmes, plus simple et plus facile à mémoriser, apportait trois nouveautés. Un bloc d'informations, d'abord, cohérent et recentré sur l'international et l'Europe. Grâce à cette redéfinition de nos journaux télévisés et de l'émission 28 minutes, le nombre de téléspectateurs a doublé en cinq ans. Puis, nous avons consacré chaque semaine une soirée aux séries de fiction - ce qui n'était pas fréquent en 2012, et nous a donné un air de modernité. De même, une soirée a été réservée aux auteurs, notamment de cinéma. La chaîne a aussi changé de ton pour devenir moins docte, moins austère, s'ouvrir à de nouveaux publics et développer l'humour et même une pointe d'impertinence. Nous avons ainsi multiplié les programmes courts alliant l'agréable à l'instructif.
Le développement numérique s'est articulé autour de l'antenne d'ARTE, pilier du groupe, et a pris l'aspect d'une succession de plateformes thématiques - ARTE Concert, ARTE Info, ARTE Cinéma, ARTE Future et ARTE Creative - qui ont rapidement trouvé leur place sur Internet, où elles ont suscité le dialogue. ARTE Concert remporte un grand succès, jusque de l'autre côté de l'Atlantique, et ARTE Créative a rencontré immédiatement un public jeune. Nous avons créé aussi ARTE Europe, même si ce n'était pas prévu par le COM, car le Parlement européen et la Commission européenne nous ont soutenus pour diffuser nos programmes dans d'autres langues que le français et l'allemand. Depuis un an, ces deux institutions ont financé le sous-titrage en espagnol et en anglais de quelque 600 heures de programmes tirés du noyau dur d'ARTE : documentaires, spectacles, reportages, information... Depuis quelques semaines, nous sous-titrons aussi en polonais, et nous le ferons bientôt en italien, avec la collaboration active de la RAI.
Bref, le bilan de ce COM est positif. Les audiences, dont le Gouvernement souhaitait enrayer la baisse, sont remontées : en cinq ans, notre part de marché a augmenté de 50 % en France et de 30 % en Allemagne. Certes, elles restent modestes, et nous pouvons encore les faire progresser.
L'image d'ARTE s'est aussi améliorée, comme en témoignent les prix que nous avons reçus : ours d'or à Berlin cette année, pour le documentaire italien « Fuocoammare », ours d'argent pour L'avenir de Mia Hansen-Løve, deux prix à Cannes pour Le client d'Asghar Farhadi, prix du meilleur téléfilm pour Tuer un homme à la Rochelle, et grand prix du documentaire au festival de Toronto - qui est une porte d'entrée vers les États-Unis - pour Je ne suis pas votre nègre de Raoul Peck, désormais en compétition pour les Oscars.
Nous avons rajeuni notre audience, ce qui n'est jamais facile pour une chaîne historique. J'estime en effet que ce ne sont pas les programmes qui vieillissent, mais les supports de leur diffusion. De fait, l'âge moyen de nos spectateurs dépasse 60 ans sur l'antenne, avoisine 45 ans sur Internet et tombe à 35 ans sur les réseaux sociaux. Aussi faut-il aller chercher le public jeune là où il se trouve.
Tous les objectifs du COM ont été atteints, voire dépassés - sauf ceux relatifs à la redevance... Mais beaucoup reste à faire, puisque nous n'avons parcouru que la moitié du chemin que nous avions dessiné en arrivant.
Le COM pour 2017-2021 s'organise autour de trois axes : franchir un nouveau cap éditorial en enrichissant les programmes, mieux diffuser ces programmes grâce à une politique d'hyper-distribution et continuer à faire d'ARTE une chaîne responsable, citoyenne et solidaire.
Le passage de la SD à la HD, au printemps dernier, a fait découvrir à une partie de notre public que le nombre de chaînes en clair n'était pas d'une dizaine, mais de près d'une trentaine. Nous avons enregistré une perte d'audience importante pendant la journée ; nos programmes du soir ont mieux résisté. Il est vrai que notre offre en journée ne comporte que trois heures de programmes inédits par mois, auxquels s'ajoutent trois heures produites par l'Allemagne. C'est peu ! Du coup, les rediffusions se comptent par dizaines, ce qui lasse. Aussi avons-nous demandé à notre tutelle de donner la priorité à l'enrichissement des programmes. C'est l'objectif premier du COM 2017-2021 et, l'année prochaine, la totalité des ressources supplémentaires y sera consacrée, avec un effort particulier en faveur de la création.
Nous avons entamé une politique d'hyper-distribution, notamment sur les réseaux sociaux. La révolution numérique ne fait que commencer, et nous devons nous préparer à naviguer sur un océan totalement délinéarisé, où seuls quelques îlots rassembleront parfois de fortes audiences en direct. La différence entre l'antenne et l'Internet s'estompe au sein de nos publics. Nous devons encourager cette tendance, en irriguant le linéaire par le non-linéaire et réciproquement. ARTE + 7 deviendra le premier vecteur de diffusion de nos programmes. C'est une petite révolution !
Nous développerons aussi notre présence sur les réseaux sociaux, afin d'élargir et de diversifier notre audience, ce qui servira la démocratisation de la culture en France. Pour cela, nous formerons nos équipes, surtout éditoriales, à l'utilisation des réseaux sociaux. Et nous publierons de petites vidéos sur chaque sujet, pour attirer de nouveaux publics. De même que le premier COM nous a fait passer de l'antenne à l'Internet, rendant nos équipes bi-médias, le prochain sera l'occasion pour elles de devenir tri-médias : antenne, Web et réseaux sociaux. Plutôt que d'embaucher, nous veillerons à la formation de chacun.
Enfin, nous nous efforcerons de mieux diffuser nos programmes en Europe. Si 85 % d'entre eux sont européens, leur contenu s'adresse souvent à la France ou à l'Allemagne, ou à ces deux pays, mais pas à l'ensemble des pays d'Europe. Aussi devons-nous développer les co-productions européennes. Déjà, nous avons tissé un réseau de chaînes partenaires, que viennent de rejoindre une chaîne irlandaise et la RAI - après 25 ans de négociations ! Sur chacune des plateformes d'ARTE Europe, nous introduirons des programmes des chaînes partenaires pour aboutir à une constellation multilingue respectant la spécificité de chacun.
Troisième objectif : faire d'ARTE une entreprise toujours plus citoyenne et responsable. Nous devons appliquer à notre gestion les valeurs que porte notre antenne, et en particulier la diversité et la parité. Déjà, nos équipes sont très féminines : toutes nos présentatrices de journaux sont des femmes, en France comme en Allemagne.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Ce n'est plus de la parité !
Mme Véronique Cayla. - Certes, mais seuls 35 % de nos experts sont des femmes. Quant au développement durable, nos équipes en sont gourmandes et accueillent avec plaisir nos propositions en la matière, quels que soient les efforts demandés. Les crédits de formation ne sont pas plafonnés, car nous souhaitons que tous participent positivement à la révolution numérique. Enfin, nous aimons travailler dans un climat de concertation et de participation. C'est le cas dans la vie quotidienne, comme pour les décisions stratégiques : le COM a commencé à être élaboré il y a plus d'un an lors de réunions participatives et il a été approuvé récemment en comité d'entreprise à l'unanimité, ce qui est aussi rare que réjouissant !
Mme Anne Durupty, directrice générale d'ARTE France. - Nous avons retenu neuf indicateurs - trois par axe stratégique du COM - pour constituer une feuille de route aisément compréhensible.
Premier indicateur : l'augmentation de nos engagements pour la création. Elle sera de 10 % en 2017 et ces engagements passeront de 77 millions d'euros en 2016 à 90 millions d'euros en 2021. Le deuxième indicateur est l'apport de programmes inédits par ARTE France à ARTE. Cet apport doit croître de 15 % d'ici à 2021, et de 7 % dès 2017. La présence numérique d'ARTE sera mesurée par le troisième indicateur : nous souhaitons doubler le nombre de vidéos vues en ligne.
Quatrième indicateur : proposer au public au moins 85 % d'oeuvres européennes. Le cinquième indicateur porte sur la coproduction d'oeuvres cinématographiques, qui devra représenter au moins 3,5 % de nos ressources. Le sixième indicateur mesure l'audience, en termes de parts de marché car cela reste le moyen le plus simple d'évaluer la reconnaissance du public et notre position par rapport à la concurrence. Bien sûr, avec la fragmentation extrême des audiences due à la prolifération des chaînes gratuites, il est difficile de maintenir une part de marché, et illusoire de rechercher sa croissance. Aussi tâcherons-nous de nous maintenir pour le moins à 2,2 %, en France.
La performance économique sera mesurée par les trois derniers indicateurs. D'abord, il s'agira de faire croître nos recettes commerciales de 10 %. Puis, nous veillerons à la stabilité relative des charges de personnel, qui devront rester inférieures à 7,7 % des ressources, et à celle des charges de structure, qui ne devront pas dépasser 2,4 % des ressources. Notez qu'avec un total de 10 % environ, ces charges sont très limitées.
Le plan d'affaires 2017-2021 se caractérise par un soutien fort des pouvoirs publics : en 2017, la contribution à l'audiovisuel public accordée à ARTE France s'accroîtra de 3,8 %, soit 10 millions d'euros. Entre 2017 et 2021, la subvention publique augmentera en moyenne de 2,7 % par an. Les recettes commerciales augmenteront de 10 %. Elles sont essentiellement constituées du produit net de la distribution internationale des programmes sachant qu'ARTE ne bénéficie pas de publicité. La totalité de la ressource supplémentaire en 2017 sera consacrée aux programmes, soit 10 millions d'euros auxquels s'ajoutent 3 millions d'euros de notre fonds de roulement, l'objectif étant d'accroître notre budget en ce domaine de 13 millions d'euros en 2017 et de 25 millions d'euros à l'horizon 2021.
La masse salariale croîtra légèrement pour accompagner la modernisation de l'entreprise. Elle reste maîtrisée, et au cours du COM qui s'achève, le budget de personnel n'a pas une seule fois été dépassé. Nous sommes passés de 240 équivalents temps plein (ETP) en 2011 à 242 en 2016. C'est une gestion saine. Grâce à une politique systématique d'appels d'offre, nous avons contenu les frais de structure qui, prévus pour 9 millions d'euros dans le COM, n'atteindront pas, en exécution, 8 millions d'euros.
Enfin, le budget d'ARTE France finance aussi le groupement européen d'intérêt économique (GEIE), à parité avec la partie allemande. Le GEIE est situé à Strasbourg. C'est là qu'est installée la rédaction de la chaîne, ainsi que la gestion de la plateforme numérique. Notre apport progressera de 2 % par an, tout comme celui de la partie allemande, dont les engagements sont similaires aux nôtres.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Je crois pouvoir me faire l'interprète de notre commission en vous disant combien nous apprécions le travail d'ARTE.
La chaîne n'est pas soumise à la réglementation sur la production indépendante qui s'impose aux autres chaînes françaises. Pouvez-vous nous rappeler ce qui caractérise les droits attachés aux productions que finance ARTE, par comparaison avec les autres chaînes françaises, et les avantages que cela présente pour distribuer ces programmes sur tous les supports ?
Les productions de la partie allemande d'ARTE sont le plus souvent financées conjointement avec les chaînes publiques allemandes. Quelle est la politique de coproduction entre ARTE-France et France Télévisions ? Des évolutions sont-elles envisageables dans le cadre de la priorité donnée aux inédits ? Des partenariats sont-ils prévus avec les autres grands diffuseurs publics, comme la RAI ou la BBC ?
France Télévisions réfléchit au lancement d'une plateforme de SVoD (Subscription video on demand). Êtes-vous associées à ces réflexions ? Qu'en pensez-vous ?
Vous dites que le délinéarisé va devenir dominant dans la distribution des programmes. Cela signifie-t-il qu'ARTE pourrait s'orienter vers une mise en ligne de ses contenus, d'abord en VoD, comme le fait Netflix, pour les séries ou documentaires, et non plus au fur et à mesure des diffusions en linéaire ?
Mme Véronique Cayla. - Oui, nous pouvons coproduire nos programmes. Nous en achetons d'ailleurs assez peu. Nous privilégions les producteurs indépendants, par plaisir comme par conviction : nous sommes convaincus que leur créativité est supérieure à celle des équipes d'une grosse société. Les recettes dégagées sont loin d'être considérables, mais cela nous offre l'opportunité de nous impliquer tant en amont qu'au stade de l'exploitation et les producteurs ne s'en plaignent pas.
Mme Anne Durupty. - La diffusion à l'étranger de nos coproductions concerne essentiellement les reportages et les documentaires. Nous menons des négociations collectives avec les syndicats de producteurs, intéressés par notre politique de présence européenne. Pour le cinéma, nous sommes la seule chaîne à avoir les droits en télévision de rattrapage. Nos créateurs ont envie que leurs films soient largement exposés.
Mme Véronique Cayla. - Bien sûr, nous aimons coproduire avec France Télévisions, notre partenaire naturel, comme avec les chaînes allemandes. Notre tutelle nous incite à créer, plutôt que d'acheter et à coproduire des créations originales et audacieuses. Cela nous différencie des autres chaînes du service public, en France comme en Allemagne. Nous avons aussi une obligation de première diffusion sur notre antenne, ce qui pose parfois problème pour nos projets de coproduction avec France Télévisions. Récemment, nous avons produit Carole Matthieu avec TV 5 Monde, France 3 a produit avec nous Les brigades internationales, nous avons coproduit avec France 2 Les jeux d'Hitler, nous avons une série sur l'esclavage avec l'outre-mer, nous multiplions les reportages communs avec France 24 et nous organisons des concerts avec Radio France, ainsi que du marketing croisé pour certaines émissions... J'espère qu'ARTE Journal Junior sera diffusé sur Franceinfo, ainsi qu'Educ'ARTE, notre plateforme pédagogique à destination des écoles. Alors que la plateforme de France Télévisions ne présente que des extraits de programmes, mais gratuitement, la nôtre ne présente que des oeuvres intégrales, dans lesquelles on peut découper des extraits pour un prix modique.
Notre priorité est d'investir sur des programmes, pour enrichir l'antenne. Et la SVoD est coûteuse, car il faut payer des droits sur lesquels les producteurs, qui y voient une ressource d'avenir, ne sont guère prêts à transiger. Ce n'est pas dans nos moyens. Aussi souhaitons-nous développer une politique de niche : l'éducatif, la musique classique - domaine dans lequel nous travaillons à créer une plate-forme en partenariat avec l'Allemagne, où sont les plus grands producteurs du secteur. Nous recherchons aussi un partenaire pour créer une plateforme de cinéma d'auteur, puisque nous en sommes, et de loin, le premier producteur et diffuseur en Europe. Tous ces projets - sauf Educ'ARTE - ne coûtent rien.
Nous sommes convaincus que dans quelques années la délinéarisation sera quasi-totale. Nous devons nous y préparer, surtout si nous voulons toucher les jeunes. Nous présentons parfois sur Internet une série de fiction, quitte à lancer un peu de VoD payante. Nous expérimentons aussi la possibilité de regarder les programmes de la journée dès le matin, afin de dégonfler la pression sur le prime-time. Bref, l'heure est à l'expérimentation.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Mettrez-vous en ligne tous les épisodes d'une série au même moment, ou au fur et à mesure de leur diffusion ?
Mme Véronique Cayla. - Nous conservons le lien avec l'antenne, qui reste la meilleure manière de voir ARTE.
Mme Mireille Jouve. - Merci pour cette présentation et bravo pour l'évolution de votre audience, qui a crû de 50 % en cinq ans. Je salue les récentes créations que furent la série Les années Obama ou le documentaire sur les brigades internationales, qui, par un retour sur le passé, nous font porter un regard plus lucide sur le présent. J'apprécie qu'ARTE ne soit pas un lieu de compétition électorale : pas d'invitations politiques mais des réflexions sur les thèmes évoqués au cours de la campagne. Enfin, je vous félicite d'avoir si bien défendu la parité que vous la dépassez !
Mme Marie-Christine Blandin. - Merci pour ce bilan : 242 personnes, peu de publicité, des synergies internationales, cela nous fait rêver... Vous avez évoqué la dispersion des spectateurs entre une trentaine de chaînes, mais sur le terrain, nous entendons de plus en plus de personnes dire du bien d'ARTE, et cet ensemble s'étend sociologiquement et en termes de générations. Cela fait plaisir ! Vous avez évoqué votre souci de coloniser les réseaux sociaux pour toucher les jeunes, les apprivoiser et leur donner une exigence. Votre méthode est de former chacun de vos salariés. Ailleurs, nous avons entendu des syndicalistes s'indigner qu'on ne recrute pas de spécialistes du numérique aux côtés des journalistes traditionnels. J'approuve votre démarche, mais a-t-elle été spontanément acceptée, ou certains ont-ils renâclé ?
M. David Assouline. - Contre vents et marées, le projet d'ARTE suit son chemin. Alors que certains, ici-même, l'avaient moqué, qualifié de ringard, sans avenir, voué à disparaître, voilà que nous sommes unanimes à le saluer. La pugnacité a payé. Vous avez su creuser votre sillon. Au-delà des quelque trente chaînes évoquées, deux tiers des Français sont abonnés à des bouquets offerts par les opérateurs de télécommunication et qui mettent des centaines de chaînes à leur disposition. Vous avez foncé les premiers pour prendre le tournant du numérique, alors que d'autres chaînes, avec des moyens supérieurs, ont tardé.
ARTE, une chaîne élitiste ? Au contraire, elle ouvre à une large audience des manifestations culturelles, comme les concerts classiques, dont le public est d'ordinaire limité, même quand des efforts sont faits sur les tarifs. ARTE a aussi pour mission d'éduquer les jeunes à l'image, à sa lecture, à son décryptage. Alors qu'ils sont abreuvés d'images, nous ne les aidons pas à les déchiffrer. Ne devriez-vous pas développer les partenariats avec l'éducation nationale ?
Nous devons avoir conscience de la nature spécifique d'ARTE, née d'un accord franco-allemand. A nous de défendre ce service public avec force, sans le dénigrer, et de donner à une chaîne qui a su doubler son audience les moyens financiers qu'elle mérite.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Nous ne dirons jamais assez tout le bien que nous pensons d'ARTE, qui a placé la culture et le vivre-ensemble au coeur de ses objectifs. Vous invitez 35 % d'expertes : quel bonheur si tel était le cas partout !
Vous vous appuyez sur une prévision de progression des ressources issue de la contribution à l'audiovisuel public. Pouvez-vous préciser votre vision ? Vous avez évoqué une masse salariale contrainte : qu'adviendra-t-il en cas de croissance et d'élévation des qualifications ? Supprimerez-vous des postes ? Enfin, accueillez-vous des volontaires du service civique ?
Mme Vivette Lopez. - ARTE est une constellation européenne, multilingue, dont 85 % de la programmation est européenne. Quelle est la présence de l'outre-mer et la valorisation de ses cultures, sur cette antenne ? Sera-t-il possible d'aligner les chaînes ultramarines et métropolitaines, en diffusant ARTE sur la TNT ?
M. Christian Manable. - Je remercie et félicite la présidente du directoire et la directrice générale de cette chaîne culturelle et citoyenne intelligente. Un humoriste a dit un jour qu'en regardant ARTE, on avait l'impression que la Seconde guerre mondiale n'était pas terminée, tant elle occupait l'antenne. La tonalité de la chaîne est désormais moins grave et les émissions plus diversifiées. Pouvez-vous nous éclairer sur les contenus futurs ?
M. Jacques Grosperrin. - L'évaluation « Trends in International Mathematics and Science Study » (Timss), publiée hier, montre que les élèves français ont des difficultés en mathématiques et en sciences. Ce sont les cancres de l'Europe. Certains critiquent une approche trop abstraite de l'enseignement. Educ'ARTE peut participer à la formation de nos élèves. Quelles sont vos relations avec les établissements scolaires ? L'approche de vos partenaires allemands, coproducteurs d'Educ'ARTE, est-elle différente de la vôtre et leurs exigences, alors que les élèves allemands ne souffrent pas des difficultés que j'ai dites, sont-elles les mêmes ?
Mme Françoise Cartron. - Mon intervention prendra la forme d'un billet d'humeur. De telles auditions font du bien : elles prouvent que des femmes peuvent incarner la direction d'une chaîne. Vous nous faites rêver en montrant qu'il est possible d'aller au-delà de la parité.
Mme Véronique Cayla. - Nos effectifs sont à 70 % féminins.
M. Philippe Nachbar. - Ce n'est plus la parité !
Mme Françoise Cartron. - Je salue la gestion des carrières dans votre entreprise, qui est un modèle vers lequel il faut tendre.
M. Daniel Percheron. - Mesdames, votre très belle présentation est digne d'ARTE. Je m'attarderai sur la plateforme ARTE Concert, dont le succès est important. L'âge moyen des spectateurs des concerts classiques était de 42 ans il y a trente ans ; il est aujourd'hui de 62 ans, preuve que la démocratisation culturelle piétine un peu... En ouvrant les concerts à une plus large audience, ARTE est au coeur de sa mission.
On connaît le rôle que jouent les collectivités territoriales dans le financement de la culture. Quels rapports envisagez-vous de nouer avec les nouvelles grandes régions ? Pensez-vous contractualiser avec elles pour diffuser leurs événements culturels ?
Mme Véronique Cayla. - Nous avons voulu mettre en oeuvre une politique numérique très volontariste. À notre arrivée, un petit noyau de salariés travaillait déjà sur ces nouveaux supports et l'on pressentait un risque de dissociation entre nouvelle et ancienne télévisions. Nous avons voulu éviter toute concurrence interne. De fait, l'expérience de cohabitation de deux rédactions a été catastrophique dans la presse, faisant naître des guerres coûteuses et stériles. ARTE a désormais franchi le cap du numérique et nos équipes nous remercient aujourd'hui de nos choix.
Nous sommes très contents du succès des opéras, qui attirent 800 000 téléspectateurs en France et en Allemagne, ce qui est sans commune mesure avec la fréquentation des salles. Nous pouvons compter sur un public de passionnés, qui plébiscite nos programmes classiques, tant en différé qu'à l'antenne. Mais nous nous ouvrons aussi à des musiques plus contemporaines, comme le metal, qui a beaucoup de succès.
Pour Educ'ARTE, nous entretenons des rapports très étroits avec l'éducation nationale. Nous avons signé des conventions avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui nous a beaucoup aidés.
Mme Anne Durupty. - Nous avons créé il y a deux ans le programme ARTE Journal Junior, diffusé le soir sur Internet et le lendemain matin à l'antenne. Il a été beaucoup utilisé par les professeurs pour parler avec les enfants des récents événements dramatiques qui se sont déroulés en France et en Allemagne. Nous diffusons également le programme En plusieurs foi(s) sur les religions, destiné aux 8-14 ans.
Nous n'avons pas à nous prononcer sur le mode de collecte de la redevance qui nous est allouée. Toutefois, en tant que chaîne franco-allemande - l'Allemagne a déjà réformé son système de financement - et numérique, nous sommes favorables à la neutralité technologique : la possession d'un téléviseur ne devrait pas être la condition de la taxation.
L'évolution de la masse salariale demeurera très modeste au cours des prochaines années. Nous renforcerons en 2017 des domaines spécifiques tels que la sécurité informatique. Le mot-clé reste la formation. Nous avons, en tout, formé 240 personnes au numérique, une culture désormais partagée par tous.
Nous n'avons pas de projet direct avec l'agence du service civique, mais menons une politique volontariste en matière d'alternance depuis cinq ans. ARTE France accueille une quinzaine d'alternants. Tous trouvent un emploi après leur contrat - certains sont même revenus. Ils font souffler un vent de jeunesse et de fraîcheur extrêmement profitable.
ARTE est diffusée en simple définition (SD) outre-mer. Nos programmes sont extrêmement ouverts, non seulement sur l'outre-mer, mais sur le monde. La spécificité d'ARTE reste toutefois son identité européenne. Évidemment, nous suivrons les mouvements technologiques en outre-mer.
Educ'ARTE diffuse beaucoup de documentaires scientifiques, très appréciés des enseignants.
Culture peut rimer avec plaisir. Notre offre culturelle est ouverte et non élitaire et notre partenaire allemand est comme nous très soucieux de partager la culture avec tous.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci beaucoup. Je me joins au choeur des satisfecit. ARTE a su rester fidèle à ses principes tout en effectuant sa mue numérique et en respectant son budget. Notre commission a beaucoup travaillé sur la contribution à l'audiovisuel public et formulé des préconisations s'inspirant du modèle allemand. Nous émettrons notre avis officiel sur le contrat d'objectifs et de moyens 2017-2021 d'ARTE la semaine prochaine.
Proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Examinons à présent, en deuxième lecture, le rapport de Mme Corinne Bouchoux sur la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.
Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Merci à tous ceux qui soutiennent cette proposition de loi au sein de notre commission. Il y a maintenant un an, nous avons ouvert un chemin vers une évolution majeure pour l'audiovisuel public et son entreprise la plus importante, France Télévisions, en adoptant le principe de la suppression des publicités autres que les messages de prévention dans les programmes de la télévision publique prioritairement destinés aux enfants de moins de 12 ans. Afin de sanctuariser ces programmes, la restriction s'applique quinze minutes avant et après leur diffusion. Elle s'applique aussi à tous les messages diffusés sur les sites Internet des diffuseurs publics.
Cette interdiction, que nous avons adoptée ensemble, est à la fois ciblée, complète et adaptée au service public de l'audiovisuel.
Notre interdiction est ciblée parce qu'elle concerne les enfants de moins de 12 ans. Les adolescents qui disposent d'un esprit critique et d'un jugement plus autonome ne sont pas visés. Notre proposition de loi se concentre sur le public le plus fragile, les enfants, qui ne sont pas capables de faire la différence entre le personnage dans le dessin animé et le même personnage qui apparaît quelques secondes plus tard pour vanter les mérites d'une boisson sucrée ou d'une barre chocolatée industrielle. Je rappelle à cet égard que l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) a recommandé dès 2008 à ses membres de ne pas recourir aux messages publicitaires destinés aux enfants de moins de 12 ans. Il existe donc déjà un consensus sur ce sujet.
Notre interdiction est complète parce qu'elle vise à la fois le linéaire, le délinéaire et le numérique. Le service public deviendra un espace de confiance pour les parents, ce qui devrait constituer un avantage comparatif et compétitif essentiel. La proposition de loi renforce l'identité et la spécificité du service public.
Notre interdiction, enfin, est adaptée puisqu'elle ne concerne pas les chaînes privées, soumises à une autorégulation sous le contrôle du CSA. Je vous renvoie à l'annexe de notre dernier rapport rappelant la charte signée, à date d'effet de janvier 2014. Nous attendons de façon imminente le rapport pour l'année en cours. D'ailleurs, c'est le CSA qui s'était porté volontaire pour assurer ce rôle d'autorégulation. Je tiens à démentir les rumeurs agitées par certains lobbies : cette proposition de loi n'interdit pas la publicité sur les chaînes privées pour la simple raison qu'une une telle interdiction ferait disparaître les programmes jeunesse de ces chaînes, puisqu'ils sont financés par la publicité, ou bien nous obligerait à leur attribuer une part de contribution à l'audiovisuel public puisqu'elles s'apparenteraient alors à des chaînes de service public. Une telle interdiction n'est, de surcroît, tout simplement pas possible compte tenu de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
Revenons sur la philosophie de cette proposition de loi, afin de dissiper les craintes. Notre idée n'est pas de condamner la publicité ni de stigmatiser certains produits. Je reconnais volontiers que la consommation d'une barre chocolatée de temps en temps ou d'un verre de boisson gazeuse ne constituent pas une menace pour la santé dès lors que les parents sont attentifs à éviter que cela tourne à l'habitude.
Le problème est que, dans de nombreuses familles, la télévision est devenue une baby-sitter. Les enfants sont laissés devant des heures durant sans surveillance, attisant la convoitise de grands industriels qui peuvent leur inculquer des réflexes alimentaires nocifs ou les formater pour acheter leurs produits. Mme Chantal Jannet, membre de l'Union nationale des associations familiales (Unaf), avait très justement déclaré l'année dernière, devant moi, que la publicité a pour but de structurer l'enfant, dès trois ans, afin d'en faire un futur client.
N'oublions pas, non plus, quelles entreprises font de la publicité à la télévision : ce sont les grandes multinationales. Nos PME et nos artisans sont, au contraire, victimes du rouleau compresseur des techniques du grand marketing.
Dans ces conditions, l'objectif de la proposition de loi est de proposer aux familles un espace sanctuarisé, un espace de confiance où l'on saura que les enfants sont protégés face aux stratégies des industriels qui - comme les fabricants de tabac - ne font aucun sentiment et ne reculent devant rien pour vendre leurs produits.
J'attire à ce sujet votre attention sur un article du journal Les Échos de la semaine dernière qui explique qu'un géant mondial de la confiserie fait assembler les jouets de ses sucreries par des enfants de moins de six ans en Roumanie. On ne peut pas accepter de telles pratiques.
Le seul but de ces entreprises est de vendre le maximum de produits avec le minimum de contraintes, en maximisant leur marge, par exemple en modifiant la composition des produits alimentaires afin d'en abaisser le coût. Voilà la réalité à laquelle nous devons faire face en tant que législateur.
Où en sommes-nous aujourd'hui de cette proposition de loi qui a beaucoup fait parler d'elle ? L'Assemblée nationale a examiné le texte le 14 janvier 2016 et a adopté conforme l'article 2 relatif à l'interdiction de la publicité dans les émissions jeunesse de France Télévisions. Elle a également modifié la rédaction de l'article 1er relatif à l'autorégulation.
L'État et le groupe France Télévisions ont tiré toutes les conséquences de cette adoption conforme dans le projet de contrat d'objectifs et de moyens du groupe public puisque celui-ci intègre une baisse des recettes de publicité de 20 millions d'euros qui correspond au manque à gagner pour la publicité dans les émissions destinées à la jeunesse. Je note que cette perte de recettes est au moins partiellement compensée par la réforme du parrainage et le dynamisme des recettes de la publicité numérique - la presse estime l'effet de rattrapage à 30 millions d'euros.
Je tiens à saluer le travail de notre collègue députée Michèle Bonneton, rapporteure de la proposition de loi au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Son rapport, comme le mien, est sans ambiguïté sur les effets nocifs de la publicité télévisée autour des programmes destinés à la jeunesse et l'insuffisance des dispositifs actuels d'encadrement. La seule réserve de l'Assemblée nationale concernait les ressources de France Télévisions. Les incertitudes sur ce point ont été levées par le Gouvernement, qui y a répondu dans le cadre de la programmation budgétaire.
Nous pouvons donc considérer que le principal obstacle soulevé - à juste titre - par nos collègues socialistes lors de la discussion au Sénat a reçu une réponse positive de la part du Gouvernement. Sur le fond, nous n'étions pas en désaccord. Je rappelle à cet égard que la seule réserve formulée par le CSA était également de nature budgétaire.
La deuxième lecture se présente aujourd'hui de manière très différente. L'article 2 ayant été adopté conforme à l'Assemblée nationale, il ne reste plus qu'à examiner l'article 1er qui a été modifié par les députés afin de préciser que les messages publicitaires diffusés par les services de télévision dans les programmes destinés à la jeunesse sont réglementés par un décret en Conseil d'État. À titre personnel, je ne juge pas cet ajout nécessaire ; j'estime que l'autorégulation sous le contrôle du CSA doit être poursuivie. Par ailleurs, il existe déjà un décret en Conseil d'État du 27 mars 1992 qui règlemente les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. Dans mon esprit, le plus simple serait de considérer que le décret mentionné par l'article 1er est en réalité celui de 1992.
J'observe d'ailleurs que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale ne permet pas d'aller plus loin que le droit existant car elle ne mentionne ni la possibilité d'une limitation nouvelle ni celle d'une interdiction de la publicité. De telles contraintes imposées aux diffuseurs relèveraient expressément de la loi et ne sauraient être laissées à l'appréciation d'un décret, fût-il en Conseil d'État.
La modification ainsi introduite n'a en réalité aucune portée réelle. C'est pourquoi je vous proposerai de ne pas y revenir, afin d'éviter de poursuivre la navette, ce qui, compte tenu du calendrier parlementaire et de la suspension de nos travaux en séance à venir, reviendrait à enterrer cette proposition de loi.
Je suppose que vous avez reçu le message de l'Unaf, qui rappelle que l'objectif de supprimer la publicité dans le cadre des programmes destinés à la jeunesse recueille un large assentiment des familles et considère qu'en valorisant les messages pour la santé et le développement des enfants, la proposition de loi agit tant sur la protection de l'enfant que sur la prévention, soutient le texte tel qu'il nous est soumis aujourd'hui.
L'an dernier, 71 % des Français soutenaient ce texte. Selon un sondage réalisé par l'Ifop en septembre dernier, cette proportion est aujourd'hui de 87 %.
Le rapport publié par le bureau européen de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le 4 novembre dernier, intitulé La lutte contre le marketing des aliments pour enfants dans un monde numérique : perspectives transdisciplinaires, dénonce le marketing numérique très agressif des industriels et insiste sur les risques particuliers de la publicité en ligne pour les enfants, ce qui rend encore plus nécessaire la sanctuarisation de sites publics dépourvus de publicité à destination des enfants, comme le prévoit la proposition de loi.
En conclusion, je vous propose d'adopter ce texte sans modification afin d'envoyer un message clair aux familles, pour assurer la protection des enfants, ainsi qu'aux chaînes publiques, pour qu'elles continuent à renforcer la spécificité de leur programmation et à donner tout leur sens aux principes du service public qui les animent et que nous partageons tous.
Cette proposition de loi suscite désormais un large consensus, notamment parce que le Gouvernement a tiré toutes les conséquences du travail parlementaire. Un vote le plus large possible de notre commission renforcerait l'image du Sénat comme force de proposition et d'action au service de nos concitoyens, notamment les plus jeunes, comme cela a été le cas autour la proposition de loi de M. Jean-Léonce Dupont sur la sélection des étudiants en fin de L3, il y a quelques semaines.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La portée de cette proposition de loi est limitée à l'audiovisuel public, ce qui fait une vraie différence. Je me réjouis que le Gouvernement et l'Assemblée nationale aient sensiblement évolué. Je salue à nouveau le travail collectif qui fait du Sénat une force de proposition de bon sens.
M. David Assouline. - Il est toujours heureux de parvenir à un consensus mais malheureusement, la position du groupe socialiste n'a pas changé. L'intention de la proposition de loi est bonne, mais la sanctuarisation des programmes destinés aux enfants concerne le seul service public et non l'ensemble de l'audiovisuel. C'est un faux-semblant. Les 20 millions d'euros qui ne seront pas versés au service public iront au secteur privé, sans contrainte, ou sur Internet, qui ne fait l'objet d'aucune régulation et où sont diffusés des films publicitaires catastrophiques.
Je rappelle tout de même qu'avec la loi de 1986, la publicité à la télévision est soumise à des règles que le CSA est chargé de faire respecter. En outre, l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité exerce un contrôle en amont sur les messages publicitaires de ses 600 adhérents et les acteurs de l'audiovisuel public ont signé la charte alimentaire. Enfin, la règle interne de l'audiovisuel public sur la publicité destinée aux enfants impose que les films publicitaires consacrés aux aliments ne représentent pas plus de 8 % du total.
Cette proposition de loi enlève 20 millions d'euros au service public alors qu'il est le plus vertueux, sans diminuer les effets négatifs sur les téléspectateurs, puisque cette somme sera dépensée ailleurs.
L'argument financier n'est pas sans importance. Le déséquilibre majeur créé par la suppression de la publicité le soir, sur le service public, n'est pas compensé. Cette mesure va fragiliser le service public et certains en profiteront pour plaider en faveur de la réduction de son périmètre et de la suppression de chaînes.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain s'abstiendra car nous soutenons l'intention mais estimons que les dispositions proposées seraient néfastes si elles se concrétisaient.
M. Jean-Pierre Leleux. - Je salue le travail de la rapporteure. Je partage les objectifs de la proposition de loi, qui va vers ce que le groupe Les Républicains a toujours souhaité : la protection des mineurs et la réduction de l'espace publicitaire sur le service public.
La proposition de loi telle que défendue par M. Gattolin, en première lecture, n'était pas acceptable. Nous avons travaillé ensemble afin que notre groupe puisse y être favorable : il s'agissait de supprimer l'article prévoyant une hausse de la taxe sur la publicité pour financer le dispositif, de limiter la mesure aux enfants de moins de 12 ans, au lieu de 18 ans et de reporter au 1er janvier 2018 l'entrée en vigueur de la mesure, date de la mise en oeuvre d'une réforme de la contribution à l'audiovisuel public appelée de nos voeux.
Cette proposition de loi nous revient de l'Assemblée nationale telle que nous la souhaitions. Notre rapporteure a très bien expliqué en quoi la légère modification de l'article 1er par les députés était dépourvue de portée réelle. Le décret de 1992 répond en effet à cette demande. Modifier le texte sur ce point reporterait l'adoption de la proposition de loi aux calendes grecques, et c'est pourquoi j'appelle à un vote conforme.
Mme Françoise Laborde. - Le groupe du RDSE soutient cette proposition de loi, qui renforce l'identité du service public et lui montre notre confiance. Si l'on ne peut féliciter les parents qui utilisent la télévision comme une garderie, je me réjouis que le service public joue son rôle en la matière. Le problème financier est en outre réglé.
M. David Assouline. - C'est vous qui le dites.
Mme Françoise Laborde. - Quant à l'ajout de l'Assemblée nationale à l'article 1er, il ne change pas la face du monde : laissons-le.
Cette proposition de loi est importante pour la protection comme la prévention. Les enfants sont matraqués par les spots publicitaires ; ils ne lisent pas les différentes recommandations formulées en bas de l'image, tout simplement, pour les plus jeunes, parce qu'ils ne savent pas encore lire. Le service public doit se démarquer, d'autant que les protections parentales peuvent limiter l'accès à ces chaînes-là.
J'entends les critiques sur l'accès à Internet, mais c'est le rôle des parents que de faire attention.
Je confirme que le groupe RDSE votera en faveur de cette proposition de loi.
M. Claude Kern. - Je félicite la rapporteure pour son travail. Le groupe UDI-UC se retrouve entièrement dans ses conclusions. Cette proposition de loi, qui ne concerne que le service public et les contenus pour les enfants de moins de 12 ans, est de bon sens. En créant un espace sanctuarisé, elle répond à la demande de 87 % des familles. Notre groupe est favorable à un vote conforme.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le groupe CRC, qui avait voté contre la proposition de loi en première lecture, maintient cette position. Nous partageons totalement l'objectif de supprimer l'accès à la publicité pour les enfants, mais réserver cette mesure au seul service public, alors même qu'il est déjà le plus contrôlé, en lâchant la bride au privé, serait contre-productif. Cette mesure entraînera une perte de recettes publicitaires supplémentaire pour le service public. Nous regrettons qu'aucune des propositions émises par Evelyne Didier dans sa proposition de loi relative à la protection des enfants et des adolescents face aux effets de la publicité télévisuelle n'ait été retenue. Nous y reviendrons en séance publique. Je m'inquiète également que le Sénat ait supprimé l'augmentation de la taxe sur la publicité commerciale, qui aurait permis un rééquilibrage.
Le groupe CRC n'a aucune raison de revenir sur son vote contre.
Mme Marie-Christine Blandin. - Je salue le travail de Corinne Bouchoux, qui nous appelle à un vote conforme afin d'assurer un avenir à ce texte. Elle ne brandit pas un glaive intégriste contre la publicité, mais plaide pour une simple mesure de protection des enfants dans un champ de quinze minutes autour des émissions qui leur sont destinées. Notre commission s'honorerait à protéger les enfants jusqu'à ce qu'ils aient acquis l'esprit critique qui les aidera à comprendre que l'on ne se gave pas impunément de confiseries, qu'aucune lotion n'a le pouvoir de faire pousser les cheveux et que ce n'est pas en croquant un biscuit au nom chevaleresque que l'on fait craquer les filles.
Je comprends les inquiétudes qui se sont manifestées sur les ressources du service public. Mais on ne peut étendre la mesure que nous proposons à toutes les chaînes. La Poste assure sa mission de service public en acheminant le courrier jusqu'aux hameaux les plus reculés, DHL n'y est pas obligé. Il en va de même pour le service public de l'audiovisuel, soumis à des exigences éthiques supérieures à celles du privé.
M. René Danesi. - Le rapport est très clair. L'article 2 de la proposition de loi interdit la publicité proche des émissions destinées aux enfants de moins de 12 ans sur les seules chaînes publiques. Le Gouvernement et France Télévisions ont déjà tiré les conclusions d'une adoption conforme.
Si sa rédaction aurait pu être améliorée, l'article 1er a l'avantage d'exister. Je voterai cette proposition de loi, sinon avec enthousiasme, du moins avec détermination, en songeant au travail mené depuis six ans par nos collègues Jacques Muller et André Gattolin. Tout vient à point à qui sait attendre.
Mme Samia Ghali. - Plutôt que se focaliser sur la publicité, mieux vaudrait s'interroger sur le contenu des programmes diffusés par certaines chaînes privées, largement plus néfastes.
Les exigences qui s'attachent au service public ? J'observe que personne ne parle d'interdire la publicité dans nos rues ou dans nos transports - mais il est vrai que les collectivités territoriales en récoltent les fruits...
Attention, surtout, à ne pas demander plus de rigueur au service public audiovisuel tout en restant laxistes à l'égard d'autres supports, comme Internet. Le travail doit être plus global.
M. David Assouline. - Je rappelle que la compensation de la perte de recettes liée à la suppression de la publicité, c'est-à-dire une hausse d'un euro de la contribution à l'audiovisuel public, prévue dans le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions, n'a pas été adoptée par l'Assemblée nationale. Un trou subsiste dans le budget.
Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Chers collègues, c'est avec émotion, puisque cette proposition de loi est la dernière qu'il me sera donné de défendre au Sénat, que je vous remercie de votre écoute. Je ne relève aucun désaccord sur le but ultime de ce texte ; seul le chemin pose problème. Je le maintiens, la dotation à France Télévisions est sécurisée.
Je remercie M. Leleux pour nos échanges constructifs. Entre ceux qui estimaient que la proposition ne va pas assez loin et ceux qui jugeaient qu'elle va trop loin, nous avons trouvé une voie d'équilibre. Je compte sur vous pour la voter conforme. Issu de tous, ce texte doit être porté par tous.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci. Je rappelle à M. Assouline que la mesure entrerait en vigueur en 2018 et non en 2017.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
Proposition de résolution européenne sur l'adaptation de la directive « Services de médias audiovisuels » à l'évolution des réalités du marché - Examen du rapport
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous examinons le rapport de Jean-Pierre Leleux sur la proposition de résolution présentée par Colette Mélot et André Gattolin au nom de la commission des affaires européennes sur le projet de révision de la directive sur les services médias audiovisuels (SMA).
Notre commission étant rarement saisie de ce type de texte, je vous rappelle la procédure d'examen des propositions de résolution européenne. Le texte qui nous a été renvoyé pour examen au fond a été adopté par la commission des affaires européennes, le 3 novembre dernier. Nous disposions d'un mois à compter de cette date pour nous prononcer. Le texte de la proposition de résolution qui sortira de notre commission deviendra résolution définitive du Sénat, sauf demande d'inscription à l'ordre du jour de la séance publique dans un délai de trois jours francs suivant la publication du rapport de notre commission.
La résolution du Sénat ne fait pas l'objet d'une navette. Elle est adressée au Gouvernement afin qu'il puisse s'en prévaloir et en tenir compte dans le cadre des négociations en cours à Bruxelles.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - La directive sur les services de médias audiovisuels, dite SMA est un texte important. Anciennement nommée directive « Télévision sans frontières », elle est emblématique des combats que la France porte à Bruxelles depuis de nombreuses années au nom de la diversité culturelle.
Ce texte organise depuis 1989 un marché unique des services de médias audiovisuels. D'abord limité aux chaînes de télévision, il s'est ensuite élargi aux services non-linéaires, principalement les services de vidéo à la demande. Pour ce faire, il propose une harmonisation minimale des politiques de l'audiovisuel des États membres, sur le principe de la libre prestation de services dans le marché intérieur. En raison de la nature spécifique des programmes et contenus audiovisuels qui ne peuvent être réduits à la seule dimension économique, la directive comporte depuis l'origine un certain nombre d'objectifs d'intérêt général relatifs au pluralisme des médias, à la promotion de la diversité culturelle ou à la protection des consommateurs, notamment des mineurs.
La dernière révision du texte date de 2007, soit presque dix ans. Une éternité, serais-je tenté de dire, au regard des bouleversements que le secteur audiovisuel connaît sous l'effet de la révolution numérique. Alors que les services de vidéo à la demande en étaient à leurs balbutiements en 2007, nous parlons aujourd'hui de télévision connectée, de convergence des médias... Les analystes ne se perdent plus en conjectures sur une éventuelle disparition de la télévision linéaire classique mais plutôt sur la date à laquelle cette disparition interviendra. De nouveaux acteurs sont apparus, souvent d'origine extra-européenne, qui redistribuent les cartes du jeu concurrentiel et deviennent une menace pour la pérennité du modèle européen.
Il devenait donc urgent d'adapter la législation européenne à la transformation du paysage médiatique. La Commission européenne s'est saisie de la problématique dès 2013 en engageant une phase de consultation et d'évaluation qui a abouti à la proposition de révision de la directive SMA de mai 2016 qui retient notre attention aujourd'hui.
Plus qu'une révolution, la Commission européenne propose une évolution du dispositif de la directive. Procédant par petites touches, intervenant là où des problèmes ont été identifiés, la Commission a pour objectif de rééquilibrer les règles du jeu entre les chaînes de télévision et les nouveaux acteurs de l'audiovisuel, et de réduire les distorsions de concurrence liées aux asymétries de régulation entre États membres.
Pour cela, elle suggère d'élargir le champ d'application de la directive aux plateformes de partage de vidéos, dans le but de les responsabiliser dans le cadre de la protection des mineurs et des consommateurs. Elle s'engage à renforcer le soutien à la création d'oeuvres audiovisuelles européennes, à travers, d'une part, l'obligation faite aux SVoD de proposer au moins 20 % de contenus européens à leurs utilisateurs, et, d'autre part, une dérogation partielle au principe du pays d'origine. Cette dérogation autorisera les États ciblés par un SVoD établi dans un autre État membre à demander le versement d'une contribution à la production d'oeuvres européennes, ce que j'appellerais du point de vue français la contribution Netflix... La Commission souhaite également l'assouplissement des règles applicables aux télévisions en matière de publicité commerciale, pour les aider à faire face au déclin de leur marché publicitaire et à la concurrence des acteurs du net. Enfin, elle préconise la reconnaissance et le renforcement du rôle des autorités de régulation de l'audiovisuel au niveau national, et à l'échelle européenne, avec l'institution d'un groupe des régulateurs européens pour les services de médias audiovisuels, baptisé ERGA selon l'acronyme anglais.
Je salue ces avancées positives. Cette proposition répond à plusieurs demandes françaises, en particulier en ce qui concerne le soutien à la création. On peut cependant regretter que la Commission européenne ne porte pas plus avant la logique de rééquilibrage et d'harmonisation des conditions de concurrence entre les différents acteurs du secteur audiovisuel.
Je constate notamment que la Commission européenne, qui affiche pourtant la volonté de clarifier et simplifier les règles, continue de raisonner de manière cloisonnée et de prévoir des règles différenciées pour les télévisions, qui sont les plus encadrées, les SVoD et les plateformes vidéo. Je suis pour ma part favorable à la solution proposée par les rapporteurs du Parlement européen, à laquelle souscrivent également Colette Mélot et André Gattolin, de définir des règles de base communes applicables à tous les services. Ces règles regrouperaient la lutte contre l'incitation à la violence ou à la haine, et contre la discrimination, la protection des mineurs face aux contenus préjudiciables, la publicité commerciale, la protection des oeuvres cinématographiques et la chronologie des médias, les droits d'information aux destinataires d'un service, les exigences en matière de co-régulation, autorégulation et codes déontologiques.
La définition des plateformes de partage de vidéos est par ailleurs trop restrictive. La Commission européenne ne vise que les plateformes qui « stockent » en quantité importante des vidéos d'utilisateurs, sur le modèle de YouTube et Dailymotion. Or, de nombreuses plateformes, à commencer par celles des médias sociaux, fondent une part non négligeable de leur activité sur la diffusion, la recommandation ou la reprise de vidéos d'utilisateurs, sans les stocker. Si l'on souhaite protéger les mineurs et empêcher la propagation de discours de haine, c'est la diffusion qu'il faut viser ! C'est pourquoi en accord avec les auteurs de la proposition de résolution, je souhaiterais que la définition relative aux plateformes soient étendue aux plateformes qui « mettent à disposition » des vidéos.
Les plateformes de partage de vidéos servent malheureusement trop souvent de vecteur de communication pour des messages à caractère haineux et faisant l'apologie du terrorisme. À la suite des attentats qui ont durement touché notre pays, je souhaiterais par conséquent qu'au-delà de la notion d'incitation à la haine et à la violence une référence explicite à l'apologie du terrorisme soit incluse dans la directive.
En matière de diversité culturelle, la proposition de directive pêche également par manque d'ambition. Exiger un minimum de 20 % d'oeuvres européennes dans les catalogues de SVoD est insuffisant. C'est bien sûr un progrès car ces services n'ont actuellement pas d'obligation chiffrée. Cependant, les télévisions sont contraintes depuis des années de diffuser 50 % d'oeuvres européennes ; d'après plusieurs études, les SVoD en Europe, dont un service paneuropéen comme Netflix, proposent déjà près de 30 % de contenus européens. Dans ces conditions, la proposition de nos collègues Colette Mélot et André Gattolin de fixer un quota minimum de 40 % d'oeuvres européennes pour les SVoD me semble équilibrée et plus conforme à l'objectif de rétablir des conditions de concurrence équitable entre services linéaires et SVoD.
De même, dans la mesure où l'on souhaite favoriser une concurrence loyale entre fournisseurs de SVoD, je suggère que les services établis à l'étranger soient soumis aux règles du pays qu'ils visent en matière de quotas d'oeuvres européennes ainsi que de protection des mineurs. En d'autres termes, la dérogation au principe du pays d'origine prévue par la Commission européenne devrait être étendue et ne pas se limiter à la contribution au financement des oeuvres audiovisuelles européennes.
Sur les règles applicables aux télévisions en matière de publicité, je considère que le raisonnement de la Commission européenne est intéressant. Alors que les télévisions subissent de plein fouet la concurrence des acteurs du net sur le marché publicitaire, la proposition de directive accorde aux chaînes davantage de liberté pour qu'elles disposent au mieux de leurs espaces publicitaires et en tirent un meilleur revenu. C'est le sens de la proposition - que je soutiens - qui supprime la limite de 20 % de publicité par heure d'antenne (soit 12 minutes) pour y substituer une limite générale de 20 % entre 7 heures et 23 heures. Je crois toutefois, à l'instar de nos collègues de la commission des affaires européennes, que la plage de 7 heures à 10 heures correspondant aux programmes consacrés à la jeunesse ne devrait pas être concernée et qu'il convient de conserver le plafond actuel de 12 minutes par heure.
La Commission européenne propose aussi d'autoriser une troisième coupure publicitaire par heure de programme (toutes les 20 minutes) et d'admettre le recours au placement de produits dans les programmes, sauf exception. Ces mesures destinées à redynamiser le marché publicitaire des télévisions me semblent plus contestables. La troisième coupure publicitaire est un risque de dérive vers une télévision à l'américaine et nous ne pouvons pas être favorables à une mesure qui porterait ainsi atteinte à l'intégrité des oeuvres diffusées. Nous devons soutenir les auteurs sur ce point. Quant au placement de produits, je préconise le maintien du régime actuel d'une interdiction de principe, sauf exception, qui ne ferme pas la porte à cette pratique mais l'encadre strictement. Là encore, des dérives seraient à craindre et il convient d'éviter pour les téléspectateurs la confusion entre information et publicité.
Quant aux autorités de régulation de l'audiovisuel, la proposition de directive pose le principe de leur indépendance à l'égard des gouvernements et de l'industrie afin qu'elles agissent au mieux de l'intérêt des téléspectateurs. C'est un signal important à l'heure où certains régulateurs, en Grèce, en Pologne, en Hongrie, ou dernièrement en Croatie, connaissent des difficultés. La Commission définit toutefois une liste des critères de l'indépendance trop détaillée pour prendre en compte les différences d'organisation du secteur audiovisuel au sein des États membres. L'Allemagne y entrevoit de nombreuses difficultés en ce qui la concerne. Comme nos collègues de la commission des affaires européennes, je pense qu'il faut laisser aux États membres une marge de manoeuvre suffisante, conformément au principe de subsidiarité.
Je vous proposerai un amendement en ce sens à l'alinéa 44 de la proposition de résolution de la commission des affaires européennes.
Enfin, je tiens à remercier Colette Mélot et André Gattolin qui ont bien voulu m'associer à l'ensemble de leurs auditions. Nos travaux et nos échanges se sont déroulés dans un excellent esprit de collaboration et d'enrichissement mutuel et la proposition de résolution que nous examinons est le fruit d'une réflexion commune.
La Commission européenne a présenté un texte qui a ses mérites, car il constitue par bien des aspects un progrès par rapport à la législation actuelle. Il donne cependant le sentiment d'une révision a minima. La proposition de résolution donne au contraire des lignes directrices abouties et cohérentes pour répondre au défi de la transformation du secteur audiovisuel et établir une concurrence équitable entre ses acteurs.
Je vous proposerai par conséquent d'adopter la proposition de la commission des affaires européennes, après modification par l'amendement à l'alinéa 44 que je vais vous soumettre.
Mme Colette Mélot, co-auteure de la proposition de résolution. - Je félicite Jean-Pierre Leleux pour son rapport qui reflète toute sa compétence en matière audiovisuelle. En tant que co-auteure et co-rapporteure, avec André Gattolin, pour la commission des affaires européennes, de cette proposition de résolution, j'aimerais faire un point sur le travail des institutions européennes.
Un rapport d'étape a été présenté, lors du Conseil « Culture, jeunesse et sport » qui s'est tenu le 22 novembre dernier. Cette étape marquait la fin de la réflexion menée au sein des groupes de travail, avant que ne s'engagent les négociations entre les ministres.
Il est très difficile de dégager une majorité, tant les positions des Etats membres sont à géométrie variable. Comme Jean-Pierre Leleux vous l'a montré, le projet de directive modifie des aspects très divers de la directive initiale, de sorte que des États membres qui se retrouvent sur certains points sont en désaccord sur d'autres. D'où la difficulté à dégager un consensus.
Au Parlement européen, la commission de la culture avait nommé deux co-rapporteures allemandes, l'une issue du Parti populaire européen, l'autre de l'Alliance socialiste et démocrate. Plus de 1 000 amendements ont été déposés pour l'examen de leur rapport, qui ne sera pas adopté avant la fin du mois de février 2017. Nous n'avons pas encore les informations dans le détail, mais il semble qu'on retrouve au Parlement européen l'expression des délégations nationales plus que la position des groupes politiques.
On sait, par exemple, que l'Allemagne s'interroge encore sur la réglementation des plateformes, mais qu'elle est en faveur d'un assouplissement pour la publicité. On sait aussi que les États les plus libéraux, comme les Pays-Bas et les pays d'Europe du Nord sont opposés à toute idée de quotas d'oeuvres européennes ou de réglementation du temps de publicité à la télévision.
Notre pays prône la régulation la plus forte. Il pourrait être suivi par l'Espagne, peut-être l'Italie, la Grèce ou la Roumanie. La France doit parler d'une voix forte sur ce texte.
Mme Claudine Lepage. - Je souhaite vous présenter en détail l'amendement que notre groupe a déposé. La directive sur les services de médias audiovisuels en cours de négociation a pour objectifs louables d'instaurer un environnement plus équitable et de stimuler la créativité européenne. Cependant, l'assouplissement de la règlementation sur la publicité constitue un point d'achoppement, car les États membres ne s'entendent ni sur la limite de 20 % de publicité entre 7 heures et 23 heures, ni sur la troisième coupure publicitaire par heure de programme.
Seul le Luxembourg semble favorable à l'assouplissement de la réglementation en matière de publicité. Une telle mesure remettrait en cause l'encadrement de la publicité en France. La Roumanie et le Portugal ont critiqué les propositions de la Commission européenne sur l'interruption des programmes toutes les 20 minutes et sur l'allongement de la durée des spots publicitaires.
La France, toujours soucieuse de préserver les écrans de l'intrusion des messages publicitaires, doit tenir sa position. D'où notre amendement qui propose de maintenir une réglementation horaire stricte.
M. Claude Kern. - Le groupe de l'UDI-UC suivra les conclusions de cet excellent rapport.
Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie à mon tour pour cet excellent rapport. Nous sommes favorables à l'amendement du rapporteur mais nous restons perplexes au sujet de l'amendement de David Assouline et les membres du groupe socialiste et républicain. C'est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote sur celui-ci.
Mme Marie-Christine Blandin. - Les écologistes se félicitent du texte qui nous a été présenté. Si nous ne partageons pas tous les mêmes opinions sur l'Europe, une chose est sûre : si nous ne nous impliquons pas, nous n'obtiendrons pas d'inflexion.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Notre proposition de résolution donne davantage de cohérence à la proposition de directive. C'est très positif.
N'oublions pas, cependant, qu'il s'agit d'une négociation internationale et que le texte qui nous est soumis prend en compte les contraintes des différents États membres. L'amendement de David Assouline met ainsi en évidence une divergence de vues entre l'Allemagne et la France. L'Allemagne est favorable à un assouplissement de la réglementation en matière de publicité, alors que la France ne l'est pas.
N'oublions pas non plus ce qui a été annoncé, à savoir que la nouvelle directive sera d'harmonisation minimale. Libre à nous de la transposer en durcissant le dispositif, selon la tradition française en matière culturelle. En l'état, le dispositif de la proposition de résolution nous apparaît nécessaire et équilibré. Si nous l'adoptons, le Sénat aura contribué à donner de la cohérence à la directive.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Dans mon amendement n° COM-1, je propose une légère modification de la proposition de résolution, en supprimant, à la fin de l'alinéa 44, un ajout de la commission des affaires européennes qui précise que les autorités de régulation des médias audiovisuels « doivent en particulier veiller à l'objectivité de l'information ». Cette formulation me semble en contradiction avec le principe de subsidiarité, que la proposition de résolution appelle justement à respecter en ce qui concerne les régulateurs de l'audiovisuel.
La définition des compétences et des pouvoirs des régulateurs relève en effet des États membres, comme le précise explicitement la proposition de directive : « Les compétences et les pouvoirs conférés aux autorités de régulation indépendantes ainsi que les façons dont celles-ci rendent des comptes, sont clairement définies par la loi ».
La demande de la commission des affaires européennes ne vise donc pas le bon niveau d'intervention. Elle relèverait davantage d'un débat que nous pourrions avoir au moment de la transposition de la directive dans notre droit national. Mieux vaut éviter d'introduire à ce stade des ambiguïtés sur le pouvoir et les compétences des régulateurs.
L'amendement n° COM-1 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Les auteurs de l'amendement n° COM-2 estiment qu'il n'est pas opportun de suivre la Commission dans sa volonté d'assouplissement des règles s'appliquant à la diffusion de la publicité.
Ils proposent de maintenir la limite quantitative horaire de 20 % de publicité sur les chaînes de télévision, soit 12 minutes par heure, et rejettent la proposition de la Commission européenne d'y substituer une limite générale quotidienne de 20 % calculée entre 7 heures et 23 heures.
L'assouplissement des règles quantitatives applicables aux chaînes de télévision en matière de publicité commerciale ne m'inquiète pas, si les publics les plus fragiles en sont préservés, comme le propose l'alinéa 36 de la proposition de résolution en excluant l'application de cette nouvelle règle entre 7 heures et 10 heures, créneau horaire en général réservé aux programmes pour la jeunesse.
La proposition de la Commission européenne se justifie dans un contexte économique où les chaînes de télévision perdent des parts du marché publicitaire face aux opérateurs en ligne. En France, les dépenses publicitaires sur le numérique devraient dépasser, en 2016, celles exposées en télévision. La bascule, au niveau mondial, devrait s'effectuer en 2017.
Si les chaînes de télévision ont davantage de flexibilité dans l'organisation des espaces publicitaires, elles en tireront de meilleurs revenus, ce qui favorisera la création de contenus audiovisuels.
Le risque de s'orienter vers un modèle de télévision à l'américaine où la publicité semble omniprésente aux heures de grande écoute est faible. Les télévisions commerciales développent désormais des approches beaucoup plus qualitatives que quantitatives en matière de publicité. Elles sont conscientes du fait que le spectateur n'est plus aussi captif que par le passé et qu'il convient de préserver son confort en lui évitant la saturation publicitaire. De plus, l'offre télévisuelle est multiple et rassemble des publics différents selon les horaires. Les heures de grande écoute ne sont donc plus aussi uniformes que par le passé.
Enfin, la directive étant d'harmonisation minimale, la France, comme les autres États membres, pourra continuer d'imposer des règles plus contraignantes, si elle le souhaite. Mon avis est donc défavorable.
Mme Françoise Cartron. - Je reste perplexe. Vos arguments sont en contradiction avec ceux développés lors de l'examen, en seconde lecture, de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique. Les enfants ne sont pas devant la télévision qu'entre 7 heures et 10 heures. Ils risquent de ne plus être protégés à partir de 15 ou 16 heures.
Mme Colette Mélot - Les positions des États sont très éloignées les unes des autres. C'est une négociation à 28. La France ne pourra pas avoir gain de cause sur l'ensemble du projet.
Si les règles sur la publicité sont trop contraignantes, le nombre de personnes se tournant vers les vidéos à la demande augmentera encore. Et si, grâce à une certaine souplesse, les chaînes de télévision peuvent augmenter un peu leurs ressources, pourquoi pas ! N'oublions pas qu'il s'agit aussi d'améliorer le soutien à la création européenne.
La demande d'assouplissement des règles est portée principalement par l'Allemagne. Je préfère donc qu'on fasse un geste vers elle sur ce point et qu'elle nous soutienne sur d'autres aspects, notamment sur la régulation des plateformes, où elle est encore hésitante.
Madame Cartron, l'alinéa 36 est clair : la limite des 20 % ne s'appliquera pas entre 7 heures et 10 heures, car c'est le moment où les enfants sont le plus livrés à eux-mêmes, avant d'aller à l'école. Le soir, ils sont normalement sous la responsabilité de leurs parents. Quoi qu'il en soit, l'assouplissement proposé ne devrait pas bouleverser la publicité à la télévision.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Je partage l'interrogation de Mme Cartron, car les enfants regardent aussi la télévision à partir de 16 heures. Mais comme le rappelle Colette Mélot, les enfants en bas âge regardent surtout la télévision le matin. L'après-midi, le public est surtout composé d'adolescents, en âge d'avoir un regard critique.
M. Jean-Louis Carrère. - Vous êtes des grands-parents. Vous n'avez plus l'habitude des enfants !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Encore une fois, la France gardera une latitude lors de la transposition. La directive est vouée à l'échec si nous prétendons imposer nos règles nationales.
L'amendement n° COM-2 n'est pas adopté.
La proposition de résolution est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Communications diverses
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le Sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert se tiendra les 7, 8 et 9 décembre prochains. À l'initiative de Barack Obama et d'un certain nombre d'associations, 60 pays travailleront à faire avancer l'agenda digital numérique et réfléchiront à la manière dont le numérique peut faire progresser les sociétés vers davantage d'innovation.
Le Parlement est concerné au premier chef, puisqu'un atelier de réflexion se tiendra à l'Assemblée nationale, le 8 décembre au matin et qu'une agora numérique aura lieu au Sénat, l'après-midi. Nous travaillerons sur deux sujets, dont je vous livre l'intitulé : « Les collectivités territoriales, des collectivités ouvertes et connectées ? » et « Les enjeux démocratiques des gouvernements ouverts ». Je vous invite à venir nombreux.
Le 7 décembre, un déjeuner-débat est organisé avec Bernard Stiegler, dont je rappelle le titre du dernier ouvrage : Dans la disruption : comment ne pas devenir fou ? Il ne pourra pas intervenir lors de l'agora numérique. C'est donc une occasion unique de le rencontrer.
La réunion est close à 12 h 10.