- Mercredi 23 novembre 2016
- Question diverse
- Hommage à un sénateur décédé
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Santé » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Égalité des territoires et logement - Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » - Examen du rapport pour avis
- Égalité réelle outre-mer et dispositions en matière sociale et économique - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 -Mission «Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Travail et emploi » - Examen du rapport pour avis
Mercredi 23 novembre 2016
- Présidence de M. Alain Milon, président -Question diverse
La réunion est ouverte à 9 heures.
M. Alain Milon, président. - Mme Catherine Génisson m'a demandé la parole pour une intervention liminaire.
Mme Catherine Génisson. - Nous l'avons déjà dit, le groupe socialiste a beaucoup apprécié la façon dont s'est déroulée la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce fut un débat courtois, animé, où certes des oppositions et divergences se sont manifestées mais c'est là ce qui fait la qualité du débat démocratique.
Nous n'en sommes que plus catastrophés des conditions qui s'annoncent pour l'examen du projet de loi de finances. Je n'hésite pas à le dire, le Sénat se trouve véritablement humilié de ne pouvoir débattre du budget de la France.
Aussi, par respect pour la qualité du travail de nos rapporteurs, nous assisterons aux réunions de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de finances, mais nous ne participerons pas au vote et nous ne participerons pas au débat, même si quelques échappées belles peuvent se manifester.
Hommage à un sénateur décédé
M. Alain Milon, président. - Avant d'entamer nos travaux, je souhaite saluer la mémoire de Louis Pinton car nous avons tous été extrêmement surpris et attristés jeudi dernier lorsque le président Larcher a annoncé, lors de la séance des questions au Gouvernement, son décès brutal. Il avait participé la veille à notre réunion de commission sur les amendements du PLFSS.
Louis Pinton était membre de notre commission depuis son arrivée au Sénat en novembre 2007, il y a neuf ans.
Natif de la Creuse, où son père fut conseiller général durant trente ans, il s'était installé comme docteur-vétérinaire dans un canton voisin du département de l'Indre. C'est là qu'il s'était engagé dans la vie publique lors des élections municipales de 1983. Conseiller général en 1992, il a présidé l'assemblée départementale de 1998 à février 2016, soit durant près de 18 ans.
C'était dans son département de l'Indre un président estimé et respecté, tant pour la rigueur de sa gestion que pour sa simplicité, sa proximité avec ses administrés et un sens de l'humour qui perçait derrière une certaine réserve. Ce sont bien les qualités que nous avons pu nous aussi apprécier.
En votre nom, je souhaite associer la commission à la peine éprouvée par sa famille et par ses proches.
Je vous demande quelques instants de recueillement en hommage à notre collègue.
(Mesdames et messieurs les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence).
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - Nous examinons le rapport pour avis de M. Philippe Mouiller concernant la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Les crédits de la mission budgétaire « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèvent dans le projet de loi de finances pour 2017 à près de 18 milliards d'euros. Cette mission comprend quatre programmes.
Le programme 157 « Handicap et dépendance » concentre près de 11 milliards d'euros et finance essentiellement l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Vient ensuite le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » qui s'élève à plus de 5,7 milliards d'euros et qui a, cette année, subi une modification importante entraînée par l'instauration de la prime d'activité. Je reviendrai en détail sur les contours et les objectifs de ce nouveau dispositif qui fait l'objet d'une analyse plus poussée dans mon rapport. Le programme 124 rassemble, pour un peu plus de 1,5 milliard d'euros, divers crédits de support qui viennent en soutien de politiques sanitaires et sociales. Enfin, le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », s'il ne représente qu'un peu moins de 30 millions d'euros, n'est pas celui dont l'action est la moins importante car il valorise autant les initiatives menées dans le monde professionnel pour une plus grande égalité des sexes, que les mesures de prévention et de lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains.
Ainsi, 92 % des crédits de la mission sont consacrés à deux programmes visant, pour l'un, nos concitoyens frappés de handicap et, pour l'autre, nos concitoyens menacés d'exclusion sociale.
Par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, la mission « Solidarité » enregistre une baisse d'environ 500 millions d'euros de ses crédits. Une baisse cependant essentiellement faciale dans la mesure où elle découle de transferts importants de dépenses de l'État au budget de l'assurance maladie. Les deux principaux transferts en question sont la gestion des établissements et services d'aide par le travail (Esat) pour plus de 2,5 milliards d'euros et la dotation nationale aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), pour environ 60 millions d'euros.
Cette dernière mesure n'est pas des plus lisibles et a légitimement provoqué l'inquiétude de plusieurs acteurs de terrain, surpris de voir une dotation jusqu'ici clairement identifiée au sein de la mission budgétaire, transférée sans garantie de maintien à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Malgré cela, ce transfert a tout de même le mérite de donner plus de cohérence au financement de la politique du handicap, désormais intégralement assuré par l'assurance maladie.
Ainsi, en tenant compte de ces transferts, la baisse faciale de 500 millions d'euros se traduit en fait par une hausse de 2 milliards d'euros pour 2017 par rapport à 2016. Sur ces 2 milliards, 300 millions viennent en appui de la nouvelle prime d'activité dont le succès dépasse les pronostics initiaux et 1,7 milliard d'euros renforcent la dotation de l'AAH.
Les crédits de la mission pour 2017, en affichant une progression aussi importante, révèlent ainsi des besoins particulièrement croissants de nos concitoyens les plus en difficulté.
Le dépôt, mercredi dernier, du projet de loi de finances rectificative pour 2016 conforte mon jugement sur ce point. La mission « Solidarité » arrive cette année en troisième position des missions pour lesquelles l'État demande des ouvertures de crédits supplémentaires.
Ces crédits demandés s'élèvent à près de 800 millions d'euros dont 430 millions abonderont le programme « Handicap » - autrement dit l'AAH - et 370 millions, le programme « Inclusion sociale » - autrement dit la prime d'activité. Si l'on retranche ces 800 millions d'euros de la hausse observée de 2 milliards sur l'étendue de l'exercice, on conclut à une hausse nette, pour 2017, de 1,2 milliard d'euros des crédits de la mission.
Ces deux prestations ont donc connu, durant l'exercice 2016, un recours particulièrement dynamique qui a contraint le Gouvernement a fortement réajuster à la hausse le montant des crédits qui leur sont alloués.
Le cas de l'AAH est le plus manifeste. Le chiffre de la budgétisation pour 2017 (10,5 milliards d'euros) est sensiblement plus élevé que celui de l'exécution 2016 (9,3 milliards d'euros) et concentre l'essentiel de la hausse prévue pour la mission pour 2017. Ces chiffres sont la conséquence directe des mesures prises par le Gouvernement pour faciliter et élargir l'accès à cette prestation.
Je pense notamment à la possibilité pour les bénéficiaires de l'AAH1 d'augmenter de 10 ans leur durée d'éligibilité à l'aide, mais surtout à la possibilité qu'ont les salariés de cumuler l'AAH et leur revenu d'activité, nécessairement plus coûteuse du fait de la revalorisation du Smic. Pour bénéfiques qu'elles aient été auprès des publics concernés, force est de constater que ces mesures sont aujourd'hui particulièrement coûteuses et contraignent le Gouvernement à flécher, sur le programme 157, l'essentiel de l'effort budgétaire supplémentaire demandé. On peut à ce stade remarquer qu'au prix d'une meilleure anticipation de l'impact de ces mesures, le Gouvernement aurait pu s'épargner une telle augmentation des crédits de ce programme, qui ne manque pas d'étonner dans une période budgétaire tendue.
Le cas de la prime d'activité est différent. Initialement budgétée à un peu plus de 5 milliards d'euros, avec une hypothèse d'un taux de recours à 50 %, elle s'est trouvée en quelque sorte victime de son succès et a nécessité que le Gouvernement nous demande en urgence un financement supplémentaire de 370 millions d'euros. C'est certes indispensable. Mais, contrairement à l'AAH, cela rapproche le niveau de l'exécution 2016 du niveau de budgétisation pour 2017. Et contrairement à l'AAH, qui est une prestation ancienne dont le recours peut être aisément projeté, la prime d'activité est un dispositif tout neuf dont le succès n'avait été prévu par personne et qu'on peine encore à estimer.
À la fin 2016, 5,4 milliards d'euros y auront donc été consacrés, alors qu'on en prévoit « seulement » 5,7 milliards pour 2017. J'exprimerai à cet égard une inquiétude. Je ne peux que constater un décalage préoccupant entre les facilités offertes par le Gouvernement pour l'accès à cette prime - ouverte dès l'âge de 18 ans, accessible en quelques minutes grâce à une dématérialisation totale, dépouillée de tous les effets stigmatisants qu'avait le RSA activité, cumulable depuis la loi Travail avec l'AAH - et l'apparente modestie des moyens qui lui sont consacrés dans le PLF pour 2017. Tous les acteurs que j'ai pu rencontrer durant mes auditions préconisaient une rallonge nécessaire, en fin d'année 2016, d'au moins un milliard d'euros pour faire face au recours croissant de la prime. Le Gouvernement estime qu'un tiers seulement de cette somme suffira. J'émets, pour ma part, de très sérieux doutes sur la capacité des crédits 2017 à absorber les demandes de tous les éligibles.
La prime d'activité constitue une indéniable avancée en comparaison des dispositifs auxquels elle se substitue. Pour réjouissante que cette nouvelle soit, elle doit être financièrement assumée et intégrée dans le dernier budget du quinquennat pour des montants conformes à la réalité. En effet, le sérieux budgétaire, qui aurait normalement exigé que soit davantage respecté l'impératif de maîtrise des dépenses, se doit néanmoins d'anticiper les besoins futurs avec fidélité.
De façon générale, j'observe que l'inflation importante subie par les crédits de la mission « Solidarité » est essentiellement due à l'ouverture de nouveaux dispositifs dont tout porte à penser, en cette période électorale, qu'elle n'a été ni suffisamment anticipée, ni correctement contrôlée.
Je terminerai par un motif de satisfaction, que je ne pouvais passer sous silence : les crédits du programme « Égalité entre les hommes et les femmes » connaissent une augmentation de 8 %, pour atteindre quasiment les 30 millions d'euros.
Après ce tour d'horizon très général des crédits de la mission, je souhaiterais, avant de conclure, évoquer plus précisément le dispositif de la prime d'activité, sur lequel j'ai cette année porté mon attention. J'ai eu l'occasion de mener une série d'auditions variées, auxquelles certains d'entre vous ont participé et de rencontrer des économistes, des responsables administratifs et des acteurs associatifs. Leur regard sur la prime d'activité confirme, pour une large part, l'accueil favorable qui est fait à cette nouvelle prestation mais nombreux sont ceux à m'avoir averti que cette approbation risquait de reposer partiellement sur un malentendu. Les réjouissances qui entourent la création de la prime d'activité pourraient davantage être liées à la communication gouvernementale réussie qui l'a entourée, plutôt qu'à de véritables vertus intrinsèques qui inciteraient à la reprise d'un emploi.
Je viens d'évoquer le succès rencontré par cette prestation qui se substitue au RSA activité et à la prime pour l'emploi (PPE), succès dont il y a tout lieu de se réjouir, même si on peut en déplorer l'impréparation.
Alors que le RSA activité n'était demandé que par 30 % des personnes qui y étaient éligibles, les dernières estimations de la direction du Budget donnent un recours anticipé de la prime d'activité à environ 65 %.
Par ailleurs, la prime d'activité constitue pour les travailleurs pauvres, à n'en point douter, un outil efficace de lutte contre la pauvreté. Davantage ciblée que la PPE, elle permet d'élever pour un montant moyen mensuel de 160 euros les revenus compris entre 0,3 et 0,8 Smic.
Construite sur la même logique que les prestations de solidarité, elle est un dispositif dont la composante principale est familialisée, ce qui signifie que les montants versés sont en proportion plus importants pour les personnes seules que pour les personnes vivant en couple. Elle tente néanmoins d'éviter l'écueil de la désincitation au travail du conjoint en introduisant une dimension individualisée de la prestation : le bonus individuel mensuel pouvant aller jusqu'à 70 euros par mois.
La prime d'activité présente donc une innovation intéressante apportée à la lutte contre la pauvreté, qui s'inspire en partie de la réflexion récente menée sur la rationalisation des minima sociaux et qui doit être croisée avec les conclusions de la mission d'information sénatoriale sur le revenu de base, présidée par M. Vanlerenberghe et rapportée par M. Percheron.
Mon opinion est que la prime d'activité n'est cependant pas allée suffisamment loin dans la réforme et qu'un immense chantier s'ouvre encore devant nous en la matière. Je suis d'avis, pour ma part, qu'en matière de solidarité, si l'on veut aller au-delà de la simple logique compassionnelle, et véritablement donner aux personnes en situation de précarité les moyens de s'en sortir, il nous faut dépasser la familialisation des prestations sociales et aller vers plus d'individualisation. Pour être plus clair : rationaliser les aides, mieux cibler les éligibles, individualiser le versement.
Il va de soi qu'une telle opinion entraînerait une redéfinition profonde des minima sociaux dans leur globalité et concernerait, au premier rang d'entre eux, le revenu de solidarité active. Je ne désire pas rallumer un débat qui ne rentre pas stricto sensu dans les contours de la mission dont j'assure le rapport, mais je regrette que les négociations menées entre l'ADF et le Gouvernement n'aient pas abouti à un accord qui aurait pu aider au soulagement des finances départementales dont on sait qu'elles sont accablées par le fardeau du RSA. Au moins peut-on espérer, dans les années à venir, qu'une prestation redéfinie, mieux ciblée et individualisée, pèsera moins sur les budgets de ceux qui sont chargés de son versement.
Pour conclure sur la prime d'activité, j'émettrai un dernier bémol qui porte moins sur les modalités de sa construction que sur la communication gouvernementale qui l'a accompagnée. Cette prime se revendique de la grande et extensible famille des dispositifs visant l'incitation financière au retour à l'emploi. Mes chers collègues, je veux l'affirmer devant vous, toutes les études et toutes les auditions que j'ai menées ont pu me le confirmer : l'incitation financière au retour à l'emploi ne s'est jusqu'ici traduite que par des échecs.
Autant il me paraît souhaitable de permettre aux travailleurs pauvres de cumuler leur revenu d'activité avec différentes aides, autant il est fallacieux de faire croire à la population que ce cumul contribuera à la résorption du chômage. Le seul outil véritablement efficace en la matière est simple : la création d'emplois et le soutien à ceux qui sont à leur origine. Sans emplois proposés, vous aurez beau inciter les bénéficiaires de minima sociaux, il leur sera bien impossible de se réinsérer sur le marché du travail. C'est donc prendre le problème dans le mauvais sens que de penser que la prime d'activité servira la diminution du nombre des demandeurs d'emplois.
Sur ces considérations, et malgré les réserves que l'on peut légitimement formuler sur l'augmentation notable des crédits de la mission, je recommande, en cohérence avec l'avis émis par la commission des finances, que notre commission donne un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je souhaite exprimer quelques inquiétudes quant aux crédits du programme 137, et plus particulièrement à l'action relative à la lutte contre le système prostitutionnel. En effet, j'observe que le fonds pour la prévention de la prostitution, prévu par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, est supprimé par l'article 17 du projet de loi de finances. Malgré le dynamisme des crédits consacrés au programme, cette suppression est préoccupante dans la mesure où ce fonds dédié devait servir à pérenniser la concentration de ressources fléchées vers la lutte contre la prostitution et l'aide apportée aux anciennes personnes prostituées. Parmi ces ressources, figurait notamment le produit des amendes acquittées par les clients, que je ne retrouve pas, non plus, dans le texte du PLF.
Ensuite, je tiens à faire remarquer que, même si le produit des subventions aux associations d'aide aux personnes prostituées augmente, il reste polarisé sur les trois mêmes associations de grande envergure. Ne pourrait-on envisager d'en faire également profiter celles de taille plus modeste ?
Mme Catherine Procaccia. - Je rejoins totalement les propos de notre rapporteur relatifs à la prime d'activité. En tant que rapporteure de la loi relative au dialogue social qui portait création de cette prime, j'avais déjà émis quelques doutes quant au faible taux de recours anticipé et aux risques de sous-budgétisation pour les exercices à venir.
Je suis également du même avis que le rapporteur concernant l'échec de l'incitation financière en matière de retour à l'emploi. Il nous faut apporter l'aide nécessaire aux personnes qui le requièrent mais bien garder à l'esprit que des budgets trop importants concentrés sur l'objectif de reprise d'activité seraient dépensés en pure perte.
M. René-Paul Savary. - Je remercie, à mon tour, notre rapporteur pour avis de ce travail qui nous éclaire bien sur la place des minima sociaux et la nécessaire redéfinition de leur rôle. Il y a une véritable urgence à repenser notre modèle de protection sociale et à bien déconnecter les actions de lutte contre la pauvreté des actions de réinsertion dans l'emploi.
Il nous faut également bien prendre conscience que la plupart des minima sociaux sont versés à crédit par les départements. La recentralisation du versement du RSA, un temps envisagée par le Gouvernement, a été proposée aux départements dans des conditions inacceptables qui revenaient à pénaliser à vie des départements qui avaient engagé des dépenses sociales particulièrement lourdes. Belle façon de récompenser leur engagement ! Concernant la primé d'activité, son succès s'explique aussi par le mécanisme de l'instruction déclarative dématérialisée. J'y vois un signe de la bonne disposition de nos concitoyens à l'égard de la société numérique.
Enfin, je souhaite faire part de mes inquiétudes quant au financement des MDPH : le PLF pour 2017 prévoit que soit réduite la part nationale de leur financement et il est fort à craindre que la compensation de cette perte se fasse une nouvelle fois au détriment des départements.
M. Dominique Watrin. - Nous voulons d'abord souligner les baisses des crédits du programme 124, qui concentre les dépenses de personnels, qui mettent en oeuvre les politiques sanitaires et sociales.
Le rapporteur a raison de soulever le débat sur la redéfinition des minima sociaux mais évoque des pistes qui ne manquent pas de nous inquiéter. Pour moi, le véritable problème est celui de l'accessibilité et du non-recours qui, malgré le succès de la prime d'activité, reste élevé. Nous sommes très vigilants quant à la tendance actuelle, visible dans plusieurs pays européens, qui voit diminuer le niveau et le nombre des bénéficiaires de minima sociaux. Les effets de ces choix ne manqueront pas d'être catastrophiques.
Dans le champ de la politique du handicap, le ministère des affaires sociales et de la santé évoque des « résultats encourageants » dans la mise en oeuvre de l'accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées. Nous aimerions avoir confirmation de ce constat, avec également le chiffre des dérogations qui ont été accordées. Il me paraîtrait judicieux que notre commission se charge de dresser un bilan d'étape de l'ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
Mme Annie David. - Je voudrais remercier notre rapporteur de la qualité de ses travaux mais aussi pour avoir auditionné l'association du Forum RSA, sise dans mon département de l'Isère. J'aurais à cet égard souhaité savoir, parmi les propositions qu'ils vous ont faites concernant les modalités de versement du RSA, lesquelles susciteraient votre adhésion. J'ai bien conscience que le Sénat ayant décidé de ne pas examiner le budget de l'État cette année, nous aurons du mal à porter leurs revendications, mais il est toujours bon d'anticiper pour l'avenir.
Mme Aline Archimbaud. - Le travail du rapporteur s'est montré précis et argumenté bien que je ne vous rejoigne pas sur tous les sujets. Je me réjouis particulièrement des innovations qui ont accompagné le versement de l'AAH, désormais plus facilement accessible et cumulable avec des revenus d'activité.
Sur la prime d'activité, c'est vrai que le dispositif est surtout efficace dans la lutte contre la pauvreté. Comment pourrait-on désormais la rendre vraiment efficace en matière de reprise de l'emploi ? Il y aurait, selon moi, plusieurs réformes complémentaires, plus structurelles, à mettre en oeuvre. Parmi elles, la baisse de la durée du travail - même si je vois bien que la mesure n'est pas très à la mode - et le soutien résolu à certaines filières industrielles spécialisées dans la préservation de l'environnement. C'est là que se trouvent les véritables viviers d'emplois.
Enfin, permettez-moi de terminer par un regret, celui de ne pas trouver évoquée dans votre rapport la question de l'économie sociale et solidaire. Je vous rappelle que cette nouvelle branche de l'économie se propose de repenser l'inclusion des personnes en risque de marginalisation en créant des réseaux collectifs, ce qui change du versement de prestations individuelles. La dimension collective de ces réseaux est une véritable clef pour l'intégration dans les territoires.
M. Michel Vergoz. - Je souhaite demander au rapporteur une clarification de son sentiment à l'égard de la prime d'activité. Vous semblez vous satisfaire du succès qu'elle rencontre tout en déplorant la dérive budgétaire qui en découlerait. De même, vous évoquez la part prépondérante qu'aurait prise la communication gouvernementale dans l'approbation générale qui a accompagné la prime d'activité. Est-ce vraiment le cas ? La mesure aurait-elle été prise avec une telle légèreté ? Dans ma région, la prime d'activité a pourtant contribué au soulagement de milliers de familles.
M. Gérard Roche. - Pour commencer, il me tient à coeur de rappeler que le véritable « cancer de notre société » n'est pas le système de protection sociale, comme certains responsables politiques le prétendent, mais bien le chômage contre lequel ce système contribue à lutter.
Concernant le transfert du financement des Esat à la CNSA, on peut comprendre la logique. Mais j'émettrai une inquiétude quant aux ressources de la CNSA qui dispose, pour ce financement, de l'Ondam médico-social, augmenté de quelques ressources propres. Or, cet Ondam médico-social est déjà lourdement sollicité pour le financement du forfait-soins des Ehpad. Les plans d'aide à l'investissement relevant également de la responsabilité de la CNSA ne sont que très modestement abondés. Ajoutons à cela le remboursement de l'Apa et l'équation budgétaire devient intenable pour la CNSA. Comment pourra-t-elle assurer le bon financement des Esat qui lui sont transférés, sans menacer ses autres missions ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Monsieur Godefroy, vous avez tout à fait raison. Le fonds dédié à la lutte contre la prostitution a dû être supprimé mais le Gouvernement nous a garanti que le produit des amendes était bien identifié comme une ressource pérenne du financement de l'aide à la réinsertion sociale des personnes prostituées. J'appuie votre volonté d'avoir un bilan plus clair de la loi du 13 avril 2016.
Monsieur Savary, vous connaissez fort bien ces sujets en tant que rapporteur pour le secteur médico-social. Nous partageons vos inquiétudes notamment sur la compensation de la dotation nationale des MDPH, antérieurement financée par l'État. Il faut savoir que le ministère de l'éducation nationale a récemment décidé d'une revalorisation du traitement de ses fonctionnaires, à l'exception de ceux mis à disposition des MDPH. Voilà qui risque de diminuer la motivation de leurs personnels et sans compensation adéquate par les pouvoirs publics, on doit s'attendre à un risque élevé de sous-effectifs. Dans les grandes mesures prises par le ministère des affaires sociales et de la santé relatives aux MDPH, il semble que ce problème particulier ne soit pas évoqué, ce qui est d'autant plus surprenant que l'on attend d'elles une redéfinition de leurs missions et une rationalisation de leur travail.
Concernant le numérique, je serai un peu plus modéré que vous. Heureusement, il existe, en zone rurale, un accompagnement physique mis en place par les caisses d'allocations familiales pour les personnes les plus âgées et les plus éloignées des équipements informatiques.
Monsieur Watrin, les baisses de crédits relatives aux personnels sont tout de même assez modérées sur un programme de 1,5 milliard d'euros. Concernant les accessibilités des bâtiments, je partage votre avis sur la nécessité d'un bilan. Notre collègue Claire-Lise Campion a été chargée d'une mission d'évaluation dont les conclusions seraient éclairantes. On peut, je pense, parler d'un succès et d'une accélération des mises en accessibilité, beaucoup plus nombreuses sur l'année qui vient de s'écouler que sur les dix dernières années.
Madame David, la plupart des sollicitations recueillies auprès des représentants de bénéficiaires du RSA n'auraient malheureusement pas résisté aux prescriptions de l'article 40 de la Constitution. C'est davantage vers le Gouvernement qu'ils devraient porter leurs revendications que je partage au moins sur un aspect : étant favorable à l'individualisation des allocations, je suis pour que la situation familiale, et notamment maritale, n'influe pas sur le versement individuel du RSA.
Monsieur Vergoz, ma position générale est claire. Sur les deux objectifs de la prime d'activité - combattre la pauvreté et faciliter le retour à l'emploi - je considère que seul le premier est atteint. On ne peut que constater un échec du retour à l'emploi, à cause de l'atonie de l'offre d'emplois.
Madame Archimbaud, l'économie sociale et solidaire a fait l'objet d'un transfert à la mission « Économie » et relève plus particulièrement du programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme ». Je partage tout à fait vos vues sur l'opportunité de cette nouvelle conception de l'inclusion mais nous butons toujours sur la question de l'échelon responsable de l'insertion. Devons-nous concentrer la responsabilité sur l'État ou sur les départements ? Dans la continuité de vos propos, il pourrait aussi être intéressant de conduire un bilan de la loi d'expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée, qui promet de mieux satisfaire les deux aspects de lutte contre la pauvreté et de retour à l'emploi.
Monsieur Roche, vous avez tout à fait raison d'alerter sur les ressources de la CNSA et leur capacité à absorber les dépenses supposées par leurs missions. Concernant les Esat, je voudrais vous rassurer : les crédits qui figuraient initialement au budget de l'État ont été rigoureusement transférés à l'Ondam médico-social, ce qui explique d'ailleurs l'essentiel de sa hausse, essentiellement faciale. Cependant, d'après les estimations menées par notre collègue René-Paul Savary, les réserves de la CNSA devraient être épuisées d'ici deux ans, ce qui limitera considérablement les initiatives que les gouvernements à venir pourront prendre dans le champ de la perte d'autonomie.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2017.
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Santé » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - Nous examinons ensuite le rapport pour avis de M. René-Paul Savary concernant la mission « Santé ».
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. - Pour 2017, le projet de loi de finances fixe les crédits de la mission « Santé » à 1,256 milliard d'euros, en hausse de 4,5 % à périmètre constant par rapport aux crédits initialement ouverts pour 2016. Comme les années précédentes, cette évolution résulte de deux tendances contraires. Les crédits du programme 204 relatif à la « prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins », qui retrace en particulier les subventions pour charges de service public versées à certains opérateurs sanitaires de l'État, diminuent de 6 %. A l'inverse, les crédits du programme 183 relatif à la « protection maladie », qui assure essentiellement le financement de l'aide médicale d'État (AME), progressent de 8,3 %.
Avant d'aborder les principales évolutions qui caractérisent chacun de ces programmes, je rappelle que la mission « Santé » ne regroupe qu'une partie limitée des dépenses publiques en matière sanitaire. L'essentiel des dépenses engagées dans ce domaine relève bien sûr des lois de financement de la sécurité sociale. La mission ne comporte en outre pas de dépenses de personnels et ne concerne que certains établissements publics du champ sanitaire.
Le programme 204 finance, à titre principal ou complémentaire, six opérateurs sanitaires de l'État, au lieu de huit auparavant à la suite du regroupement de trois établissements au sein de l'Agence nationale de santé publique (ANSP) officiellement créée le 1er mai dernier. Comme vous le savez, depuis plusieurs années ces agences sont invitées à prendre leur part dans les efforts d'économies engagés pour contenir la dépense publique. Nous avons toujours soutenu ce mouvement et appelé de nos voeux la poursuite de la simplification du paysage sanitaire, tout en restant très vigilants quant à l'adéquation entre les moyens alloués aux agences et l'évolution de leurs missions.
En 2017, le montant total des subventions pour charges de service public versées aux opérateurs est fixé à 345 millions d'euros, soit une baisse 2 % à périmètre constant par rapport à 2016. La quasi-totalité des agences sont concernées par cette réduction, à l'exception de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Parallèlement, la diminution globale du plafond d'autorisations d'emplois et du nombre d'équivalents temps plein (ETP) se poursuit. Il est ainsi prévu une suppression de 40 ETPT en 2017, contre 25 en 2016.
L'année dernière, les trois opérateurs qui allaient donner naissance à Santé publique France avaient été exonérés de la réduction d'emploi prévue par le Gouvernement. Nous nous étions félicités de cette stabilité, que nous jugions indispensable pour assurer la réussite de la fusion. Elle était d'autant plus justifiée que ces trois opérateurs avaient déjà fourni des efforts importants pour réduire leurs dépenses de fonctionnement au cours des exercices précédents.
L'ANSP entamera le 1er janvier son premier exercice budgétaire en année pleine. De nombreux défis l'attendent, en particulier la poursuite du regroupement de l'ensemble des personnels sur un site unique et l'appropriation de nouveaux outils informatiques. Les prochaines années seront décisives pour que l'agence trouve sa place en tant qu'opérateur de référence en matière de veille, de prévention et de réponse aux alertes sanitaires.
Ces enjeux me paraissent devoir appeler une relative stabilité des moyens alloués à l'agence et surtout de la prévisibilité. Or, l'ANSP verra dès l'année prochaine ses effectifs diminuer de 20 ETPT dans le cadre d'une réduction des effectifs de 10 % sur trois ans prévue par le Gouvernement. Dans ce contexte, des tensions sociales grandissantes se sont fait jour au sein de l'agence, des inquiétudes légitimes s'exprimant sur sa capacité à mener à bien ses missions.
De plus, l'agence ne percevra plus aucune dotation de l'assurance maladie à compter de l'année prochaine, contrairement à ce qui avait été négocié dans le cadre de la préparation de l'ordonnance du 14 avril 2016 créant l'ANSP, dont nous avons autorisé la ratification en première lecture il y a quelques jours. Comme vous le savez, cette ordonnance prévoit en effet le principe d'une participation de l'assurance maladie destinée aux missions de prévention de l'ANSP. Cette solution permettait de sanctuariser ces crédits pour la prévention en les mettant à l'abri des régulations prévues sur le programme 204. A son article 26, le projet de loi de finances pour 2017 prévoit cependant de supprimer définitivement cette dotation de l'assurance maladie. Celle-ci serait désormais prise en charge par l'État à hauteur de 65 millions d'euros. Le Gouvernement justifie cette évolution par la nécessité de simplifier les circuits de financement en privilégiant le principe du financeur unique. Cette logique peut s'entendre. Nous ne pouvons en revanche accepter un tel revirement en l'espace de quelques semaines dès lors qu'il contribue à accentuer l'instabilité et le manque de prévisibilité auxquels l'agence fait face. De plus, il apparaît contradictoire avec la volonté de mettre l'accent sur l'amélioration de la politique de prévention dans notre pays.
Nous devrons être d'autant plus attentifs au contrat d'objectifs et de performances (Cop) qui sera conclu entre l'agence et l'État pour les années à venir et qui précisera les efforts d'économies demandés à celle-ci.
En tout état de cause, l'évolution qui touche l'ANSP est symptomatique de l'instabilité qui caractérise le périmètre de la mission « Santé » depuis plusieurs exercices. De nombreuses modifications de périmètre sont en effet intervenues pour transférer des dépenses de l'État vers la sécurité sociale. En particulier, la loi de finances pour 2015 avait transféré 134 millions d'euros de dépenses vers l'assurance maladie pour le financement de la Haute Autorité de santé (HAS), de l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), du centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNC) et en matière de formation médicale initiale. Le PLF pour 2017 prévoit à son tour de transférer à l'assurance maladie la part du financement du Fir (fonds d'intervention régional) jusque-là assuré par l'État, pour un montant de 116 millions d'euros.
Au total, le programme 204 se caractérise par une érosion continue de ses crédits. Les fonds de roulement des opérateurs sanitaires se rapprochent aujourd'hui de leur niveau prudentiel. L'assurance maladie est contrainte de prendre à sa charge toujours plus de dépenses. On peut s'interroger sur les raisons de ces transferts, d'autant que ces coups de rabot successifs sur le programme 204 s'accompagnent de la hausse des crédits du programme 183.
La quasi-totalité des crédits du programme 183 sont, je l'ai dit, relatifs à l'AME. Comme vous le savez, l'AME de droit commun, entrée en vigueur le 1er janvier 2000, permet la prise en charge des soins des personnes étrangères en situation irrégulière sous une double condition : résider en France de façon ininterrompue depuis plus de trois mois et disposer de ressources inférieures à un plafond identique à celui fixé pour le bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Financé par l'État, le dispositif est géré par l'assurance maladie.
Selon le projet annuel de performances (PAP) de la mission « Santé », le nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun s'élevait à un peu plus de 316 300 fin 2015. La progression des effectifs s'accélère, avec une hausse de 7,5 % entre 2014 et 2015 contre 4 % entre 2013 et 2014. Comme vous le savez, les dépenses liées à l'AME de droit commun se caractérisent à la fois par une forte dynamique et par une faible fiabilité des prévisions budgétaires. Pour 2017, les crédits ouverts au titre de l'AME s'élèvent à 815 millions d'euros contre 752 millions ouverts en loi de finances initiale pour 2016, soit une hausse de 10 % entre les deux exercices. En 2016, la dépense d'AME de droit commun atteindrait 770 millions d'euros, soit 74 millions d'euros de plus que les crédits ouverts initialement. Comme chaque année, le Gouvernement sera ainsi conduit à ouvrir des crédits supplémentaires dans le collectif budgétaire de fin d'exercice. De plus, les crédits exécutés inscrits en loi de règlement ne couvrent généralement pas l'intégralité des dépenses du dispositif géré par la Cnam. La dette cumulée de l'État vis-à-vis de la Cnam au titre des dépenses d'AME représentait ainsi 12,5 millions d'euros fin 2015. Notre commission a déjà eu l'occasion de débattre de ces sujets ; je considère, comme vous le savez, qu'une révision du dispositif est nécessaire.
J'en viens pour finir à l'article additionnel rattaché à la mission « Santé ». A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a introduit un article 62 quinquies qui prévoit un dispositif spécifique permettant l'indemnisation des dommages imputables à la « Dépakine ». Toute personne s'estimant victime d'un préjudice à raison d'une malformation ou de troubles du développement imputables à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse pourra saisir l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
Je rappelle que selon une estimation de l'ANSM et de la Cnam, plus de 14 300 grossesses ont été exposées au valproate de sodium entre 2007 et 2014. L'association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant (Apesac) a quant à elle recensé à ce jour plus de 2 500 victimes déclarées. Afin d'assurer le financement de la première année de mise en oeuvre du dispositif, l'Assemblée nationale a adopté une augmentation de 10 millions d'euros des crédits du programme 204.
Le dispositif proposé par le Gouvernement était attendu. Il me paraît de nature à faciliter le règlement amiable des litiges entre les victimes et les personnes reconnues responsables du dommage. L'Oniam se substituera à celles-ci en cas de refus d'indemnisation ou de réparation insuffisante du préjudice subi, ainsi que dans le cas où la responsabilité de l'État serait engagée. En l'absence de responsabilité établie, le mécanisme permet une indemnisation des victimes par la solidarité nationale.
Je vous propose donc de donner un avis favorable à cette disposition. En revanche, compte tenu des éléments précédemment évoqués, les orientations budgétaires définies par le Gouvernement pour la mission « Santé » ne me paraissent pas pouvoir appeler une réponse positive de notre part. Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.
Mme Laurence Cohen. - Je partage les réserves de notre rapporteur sur l'importance des transferts opérés par le programme 204 de l'État vers l'assurance maladie. En revanche, les développements sur l'AME ne me paraissent pas correspondre aux réalités. C'est une attaque en charge contre ce dispositif. Nous pouvons débattre mais que proposez-vous ? Je suis en parfait désaccord avec vos propos sur l'AME et mon groupe ne pourra vous suivre sur ce point.
Mme Aline Archimbaud. - Je ferai les mêmes observations. Notre pays a une obligation humaniste, une tradition d'accueil. Pouvons-nous rejeter à la mer des gens qui fuient la torture et la guerre ? Le groupe écologiste est en désaccord total avec vos remarques, parfois très insidieuses, sur l'AME. Vous ne proposez aucune alternative, ce qui est très dangereux compte tenu de l'état actuel de l'opinion publique. Je rappelle par ailleurs que plusieurs rapports, notamment de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), ont émis des avis défavorables à la suppression de l'AME, en particulier pour des raisons de santé publique. Votre prise de position n'est donc ni raisonnable, ni responsable du point de vue de l'intérêt général.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je suis également d'accord avec les constats du rapporteur sur les transferts de dépenses de l'État vers l'assurance maladie. Ceux-ci sont discutables.
En ce qui concerne l'AME, nous avons déjà débattu de ce sujet et je ne crois pas qu'un médecin puisse refuser de soigner une personne en situation d'urgence. Il n'est pas question de cela. En revanche, ce qui est susceptible de mécontenter nos compatriotes est le tourisme médical, qui est parfois organisé. Je crois qu'il est important de bien identifier au sein de l'AME, si cela est possible, ce qui relève strictement des réponses apportées dans le cadre d'un devoir d'urgence et ce qui relève d'un enjeu de santé publique. J'aurais aimé que le rapporteur insiste davantage sur cet aspect ; je l'aurais alors soutenu. Pour ma part, je m'abstiendrai.
Mme Catherine Génisson. - La première partie du rapport me convient. Sur l'AME, si vous aviez visité la jungle de Calais, vous auriez compris que l'AME est un dispositif fondamental qui répond à des enjeux humanitaires et de santé publique. On peut sans doute toujours améliorer le système mais c'est un dispositif dont la France doit pouvoir être fière.
M. Daniel Chasseing. - Il n'a jamais été question pour qui que ce soit de s'abstenir de soigner des personnes nécessitant des soins urgents, qui fuient la guerre ou les persécutions. Il est néanmoins tout à fait normal de savoir combien le dispositif coûte. Je voterai ce rapport.
M. Alain Milon, président. - Chacun interprète les développements du rapporteur à sa façon, dans une période un peu troublée, où chacun essaie de se positionner. Le rapport qui nous a été présenté ne m'a pas choqué. Je n'ai pas eu le sentiment qu'il était contre l'AME. Il fait un constat de l'existant et ne prône pas la suppression de l'AME, ni la fin des soins en cas d'urgence. Dans le cadre du déplacement de notre commission à La Réunion, nous avons beaucoup parlé de ce qui se passe à Mayotte et personne ne conteste que le dispositif de l'AME est nécessaire sur l'ensemble du territoire national, y compris en outre-mer. N'exagérez donc pas les propos du rapporteur.
Vous reprochez au rapporteur de ne pas faire de propositions. J'ai discuté de ce sujet avec lui. L'AME est en effet l'une des solutions dont la France peut être fière et les propositions que pourrait formuler notre rapporteur dans un autre cadre que notre commission, c'est une CMU-C généralisée. Gardons-nous donc de tout procès d'intention sur l'intervention du rapporteur ; celle-ci est pragmatique, elle constate uniquement des hausses de crédits.
L'opinion publique accepte mal que nous puissions dépenser un milliard d'euros au titre des soins pour les personnes en situation irrégulière mais notre rôle est d'expliquer que ces sommes servent à soigner des êtres humains. Lors des nombreuses réunions auxquelles je participe, comme beaucoup d'entre vous, en ce moment dans ma région, lorsque j'explique que l'AME est faite pour soigner des personnes malades, nos compatriotes comprennent son intérêt. Le problème est que certains exploitent le discours sur l'AME pour propager des idées fausses.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. - Merci monsieur le président. J'ai effectivement fait uniquement un constat budgétaire et n'ai pas fait part de ma position. On voit bien, dans le cadre de cette mission « Santé », que le dispositif de l'AME stigmatise les soins apportés aux étrangers en situation irrégulière. Si on appliquait un dispositif de droit commun, on éviterait cela. Dans les propositions qui viendront dans un autre cadre, une prise en charge différente sera envisagée. J'ai voulu éviter ici toute connotation politicienne. Ce que je constate en revanche est, qu'au cours de ce quinquennat, il y a eu des modifications à la baisse sur le programme 204 relatif à la prévention, qui s'accompagnent de hausses sur le programme 183. Compte tenu de l'importance de la politique de prévention, ces évolutions doivent nous interpeller.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 62 quinquies du projet de loi de finances pour 2017. Elle émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2017.
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - Nous examinons le rapport pour avis de M. Didier Robert concernant la mission « Outre-mer ».
M. Didier Robert, rapporteur pour avis. - Je dois d'abord vous dire en quelques mots ma satisfaction de voir la situation des outre-mer faire l'objet d'un plus grand intérêt depuis quelques années.
Plusieurs travaux d'étude, au Sénat comme ailleurs, ont en effet permis de mettre en lumière les difficultés spécifiques de ces territoires, dans les domaines qui intéressent particulièrement notre commission : je pense notamment au rapport de la Cour des comptes de 2014 sur la situation sanitaire des outre-mer, et aussi bien sûr au récent rapport de la délégation conduite par notre président sur les systèmes de soins réunionnais et mahorais.
Les textes législatifs témoignent également d'un certain changement de perspective : je vous rappelle les débats approfondis que nous avons eus lors de l'examen de la loi santé, qui a abouti à la mise en place d'une déclinaison ultramarine de la stratégie nationale de santé ; et très bientôt, c'est sur un texte entièrement dédié à la question ultramarine, le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer, que notre assemblée sera appelée à se pencher.
« L'égalité réelle outre-mer », voilà en effet tout un programme. Pour autant, les réponses ainsi apportées, à commencer par le budget que nous étudions ce matin, permettront-elles de remédier réellement aux difficultés rencontrées par les territoires ultramarins ? Il est malheureusement permis d'en douter.
La situation vous est connue, et je ne m'y attarderai pas ; permettez-moi cependant de vous rappeler, en quelques chiffres qui me paraissent particulièrement parlants, la réalité à laquelle sont encore confrontés les outre-mer. Les taux de chômage atteignent 25 % à La Réunion, 24 % en Guadeloupe et à Mayotte, 33 % à Saint Martin, et près du double de ces chiffres pour les jeunes. 70 000 logements sont considérés comme insalubres et indignes dans les cinq Dom ; à Mayotte, un logement sur trois ne dispose pas d'une prise d'eau. La Martinique compte 29 % d'allocataires du RSA, la Guadeloupe 31 % et La Réunion 33 % - contre 8 % dans l'hexagone.
Face à ce sombre constat -résumé à grands traits-, face à cette réalité, c'est avec surprise que je note la baisse, à périmètre constant, des crédits consacrés à la mission « Outre-mer » du budget de l'État.
Certes, en affichage, le projet annuel de performance (PAP) présente une légère hausse de l'effort budgétaire consacré aux territoires ultramarins -stabilisé au-dessus de 2 milliards d'euros depuis 2011-, avec une augmentation de 2,1 % en autorisations d'engagement (AE) et de 0,8 % en crédits de paiement (CP).
Les travaux de la commission des finances de notre assemblée ont cependant permis de mettre en évidence des transferts de crédits importants depuis la mission « Enseignement scolaire » et la mission « Travail et emploi ». Au total, c'est plutôt une baisse sensible des crédits qui est à enregistrer pour 2017, avec - 2,2 % en autorisations d'engagement et - 3,9 % en crédits de paiement.
En d'autres termes, au moment même où le Gouvernement affiche dans la loi l'objectif d'une « égalité réelle » dans les outre-mer, il « dé-sanctuarise », pour la première fois depuis 2012, les crédits qui leur sont consacrés ! Or, c'est bien de moyens que nos territoires ont besoin, plutôt que de déclarations de principe sans traduction concrète, ou de programmes législatifs sans portée réelle. C'est pourquoi nous devrons être particulièrement attentifs, lors de l'examen prochain par notre commission du projet de loi sur les outre-mer, à distinguer les dispositions porteuses de véritables évolutions pour les outre-mer de celles qui sont purement programmatiques ou d'affichage.
Je souligne, par ailleurs, que ce contexte de mobilisation apparemment forte affichée en faveur des outre-mer ne s'est pas traduit, loin s'en faut, par un zèle particulier dans les réponses aux questionnaires budgétaires envoyés par les rapporteurs du Sénat. Au 10 octobre, date limite de réponse fixée par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), seulement 40 % des réponses demandées nous étaient parvenues. À cette date, je n'ai toujours pas reçu les réponses aux questions portant plus particulièrement sur le champ sanitaire. Je dois dire que la négligence dont fait preuve le Gouvernement cette année à l'égard de la représentation nationale me surprend, d'autant que ce n'était pas le cas au cours des années précédentes.
Dans le budget qui fait l'objet de nos travaux de ce jour, trois questions méritent, de mon point de vue, une présentation particulière.
Le premier sujet que je souhaite évoquer, ne serait-ce qu'en raison du montant très important des crédits associés (1 milliard d'euros, soit la moitié des crédits portés par la présente mission), est celui de l'action relative au « Soutien aux entreprises », qui recouvre la compensation par l'Etat des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion ainsi que de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Cette action enregistre une baisse très sensible de ses crédits, avec une diminution de plus de 6 % en AE comme en CP. Nous voyons là la traduction des « coups de rabot » successivement portés, au cours des dernières années, à la politique d'exonération de charges dans les outre-mer : recentrement sur les bas salaires dans le cadre du PLFSS en 2014, suppression de l'aide à la rénovation hôtelière en 2015 et, cette année, aménagement des exonérations bénéficiant aux indépendants par l'article 7 du PLFSS.
Il me semble particulièrement important de rappeler, dans le contexte politique particulier que nous connaissons cette année, le caractère primordial des dispositifs de défiscalisation et d'exonérations de charges pour la survie des entreprises ultramarines. Bien évidemment, je sais quels sont les impératifs du redressement budgétaire, et je connais comme vous les critiques adressées à la multiplication des niches sociales. Il me semble cependant que ces dispositifs, bien loin de constituer des largesses faites aux entreprises ultramarines, prennent au contraire tout leur sens lorsqu'il s'agit de compenser les désavantages compétitifs des économies d'outre-mer.
Ne l'oublions pas : la plupart d'entre elles s'insèrent dans un environnement régional bien en deçà des standards économiques hexagonaux, du point de vue économique et social. Le coût de la main d'oeuvre, ainsi que le niveau de la fiscalité des entreprises dans les pays de l'Océan Indien, du Pacifique ou des Caraïbes, sont évidemment bien plus avantageux que ceux de nos territoires.
De ce point de vue, la poursuite d'une politique visant à l'écrêtage progressif des exonérations bénéficiant aux entreprises ultramarines présente deux dangers majeurs. En premier lieu, une diminution progressive du différentiel de compétitivité entre l'hexagone et les outre-mer, qui aboutirait à vider le mécanisme de sa logique même. En second lieu, un effet de « trappe à bas salaires » résultant des recentrements sur les plus faibles niveaux de revenus -alors que tout devrait être fait, au contraire, pour encourager l'emploi qualifié dans les territoires ultramarins, et notamment celui des jeunes diplômés.
Le second sujet sur lequel je souhaite insister est celui du logement, dont la délégation de notre commission a pu constater toute l'importance lors de sa rencontre avec les services dédiés de l'ARS pour l'Océan Indien.
Là encore, j'observe ce qui me paraît être un effet d'affichage. Alors que les besoins demeurent immenses et que la lutte contre l'habitat indigne devrait constituer une priorité, et tandis que le Gouvernement a lancé en 2015 un plan logement pour les outre-mer très largement médiatisé, je ne peux que constater que les crédits dédiés à cette politique seront en baisse l'an prochain. La diminution est légère, certes (- 0,2 % en AE et - 0,8 % en CP), mais c'est un signal fort envoyé aux populations ultramarines : après une hausse marquée des crédits en 2013 et en 2014, puis une stagnation l'année dernière, c'est désormais une baisse de l'investissement en faveur du logement ultramarin qu'il nous est demandé d'approuver - alors même que les coûts de construction et du foncier connaissent, quant à eux, une augmentation bien réelle.
Cette baisse de crédits correspond d'ailleurs à une diminution constante du nombre de logements effectivement financés et produits depuis 2012. En 2012, 13 48 logements avaient ainsi été réalisés, contre 8 950 logements en 2015. Concernant le logement social en particulier, nous sommes passés sur la même période de 6 789 à 71 logements réalisés. Or, selon le ministère des outre-mer, il faudrait construire 2 50 logements chaque année pour répondre aux besoins... Vous constatez, comme moi, que l'écart est immense et que les actions entreprises ne permettent pas même de pallier l'urgence.
Selon les informations transmises par la DGOM, ce tassement s'expliquerait, en particulier, par des retards de livraison résultant d'appels d'offre infructueux et des aléas météorologiques. La priorité du Gouvernement continue pourtant de porter, pour 2017, sur un effort de construction du locatif social neuf : 6 141 logements locatifs sociaux et très sociaux devraient ainsi être mis en chantier.
Dans ce contexte, je continue de m'interroger sur la pertinence du choix consistant à faire porter la quasi-totalité de l'effort financier de la ligne budgétaire unique (LBU) sur la construction de logements neufs, qui se trouve bien souvent assujettie à des standards et des normes extrêmement coûteux, sans définir de véritable politique d'ampleur sur la réhabilitation de l'ancien.
Je souhaite enfin, cette année encore, attirer votre attention sur les crédits relatifs à la continuité territoriale. Cette politique, comme vous le savez tous, vise à compenser l'éloignement des outre-mer par rapport à l'hexagone en accordant des aides au transport ; elle constitue la traduction même du principe d'unité de la République. Elle est principalement portée par les crédits du fonds de continuité territoriale, qui recouvre plusieurs dispositifs : l'aide à la continuité territoriale (ACT), le passeport mobilité études (PME) et le passeport mobilité formation professionnelle (PMFP). Ces aides sont gérées par l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom).
Cette politique avait vu ses contours profondément redéfinis en 2015 par une réforme mise en oeuvre par voie réglementaire et sur laquelle le Sénat avait exprimé ses fortes inquiétudes, en commission puis en séance, par l'adoption d'un amendement visant à rétablir les crédits associés. Cet aménagement avait consacré, en lieu et place d'un droit annuel aux dispositifs de continuité, un droit quadriennal de recours au fonds de continuité territoriale.
Ce sont ainsi 20 % des crédits de l'action qui avaient été purement et simplement supprimés, et qui n'ont jamais été rétablis, alors même qu'ils ne suffisaient pas à répondre à l'ensemble des demandes. Pour 2017, j'observe qu'une nouvelle baisse de 2,3 % des crédits de paiement est prévue, alors même qu'un nouveau dispositif d'aide à la continuité funéraire a été mis en place l'an passé.
C'est que l'objectif du Gouvernement, qui était vraisemblablement de décourager les bénéficiaires de cette politique, s'est en effet réalisé et s'est en toute logique traduit par un véritable effondrement du recours à ces aides. Alors que près de 94 000 ultramarins avaient bénéficié en 2013 de l'aide à la continuité territoriale (ACT), ils n'étaient plus que 18 400 en 2015.
Contrairement aux annonces gouvernementales, on n'observe pas pour autant de report sur les dispositifs de formation en mobilité à destination des jeunes ultramarins : au contraire, avec 4 900 passeports mobilité formation professionnelle (PMFP) en 2015 contre 7 800 en 2012, et 11 000 passeports mobilité études (PME) en 2015 contre près de 15 400 en 2013, ces dispositifs connaissent également une désaffection marquée. Au total, la baisse du recours au fonds de continuité territoriale a été de près de 80 % en 2015, en nombre de bénéficiaires comme en volume de consommations.
Cette évolution, dont les chiffres corroborent malheureusement les mises en garde que j'avais formulées devant cette commission au cours des années précédentes, m'apparaît extrêmement préoccupante. C'est en effet le droit de chacun des Français à se déplacer le plus simplement possible sur le territoire national qui se trouve petit à petit démantelé - que ce soit dans le cadre de ses études, d'une formation professionnelle, à l'occasion du décès d'un proche, ou tout simplement pour garder le lien avec des membres d'une famille établis dans l'hexagone.
La charge de cette politique, pourtant compétence de l'État, se voit mécaniquement reportée sur les collectivités territoriales, dans le contexte pourtant déjà très contraint des finances locales. Il me semble que notre pays gagnerait à se doter, au cours des prochaines années, d'une politique de continuité territoriale digne de ce nom, à l'image de celle mise en oeuvre par d'autres pays européens, comme l'Espagne ou le Portugal, pour les territoires définis également comme régions ultra-périphériques (RUP).
Un mot rapide, enfin, sur deux sujets susceptibles d'intéresser notre commission.
En premier lieu, l'année 2017 devrait marquer -enfin- la réalisation de l'objectif « SMA 6000 » du service militaire adapté, annoncé de longue date par le Gouvernement et reporté d'année en année. Il faut bien entendu se satisfaire du bon fonctionnement de ce dispositif de formation à destination de jeunes souvent marginalisés, qui y trouvent la possibilité d'une véritable deuxième chance. Gardons-nous cependant d'y voir une possible solution à l'ensemble des problèmes de formation et de chômage rencontrés par les jeunes ultramarins : ces 6 000 places sont bien évidemment complétées par l'action nécessaire et résolue des collectivités ultramarines.
En second lieu, j'attire votre attention sur l'échec qu'a représenté la sous-utilisation du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) au cours du quinquennat. L'objectif annoncé par le Président de la République était de doter cet outil, créé par la Lodeom de 2009 et destiné à apporter une aide financière aux investissements structurants réalisés dans les outre-mer, de 500 millions d'euros sur la période 2012-2017. Les documents budgétaires font clairement apparaître que cet objectif ne sera pas même à moitié atteint : en 2017, le fonds n'aura ainsi cumulé que 214 millions d'euros en crédits de paiement. En dépit du caractère intéressant de ce fonds, c'est ici encore un bien mauvais signal envoyé aux populations ultramarines en matière d'investissement dans ces territoires, pour des équipements qui leur font pourtant cruellement défaut.
Tels sont, monsieur le président, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « Outre-mer ». Vous le constatez, mes réserves sont encore une fois nombreuses, et je déplore de devoir m'exprimer année après année sur le manque d'ambition de ce budget - qui me paraît constituer un outil d'affichage politique plus qu'un outil de développement et de promotion de l'égalité des chances au service des populations ultramarines.
Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », ainsi qu'à l'article 58 rattaché, relatif au montant de la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française pour 2017.
M. Jean Desessard. - Je n'entrerai pas dans le vain débat consistant à identifier quels sont les postes budgétaires à augmenter, et lesquels devraient être corrélativement diminués. Il me semble cependant que, sur la question de la baisse des crédits relatifs au logement, votre rapport est quelque peu tendancieux. Vous laissez entendre qu'il s'agit d'une politique délibérée, alors que le Gouvernement se borne à tirer les conséquences de leur sous-utilisation constatée au cours des dernières années. En Ile-de-France par exemple, et comme sans doute ailleurs, il est parfois difficile de monter des projets du fait de la difficulté à trouver des terrains.
M. Michel Vergoz. - Je me félicite tout d'abord de constater que nous examinons cette année le budget de l'outre-mer un mercredi matin, ce qui favorise la plus grande présence des membres de la commission. C'est pour moi un symbole important.
Hubert Beuve-Méry avait eu cette phrase inspirante : « Les opinions sont libres, mais les faits sont sacrés ». Revenons-en donc aux faits, et en premier lieu à celui-ci : sur les cinq années du quinquennat, la mission « Outre-mer » n'a connu aucune baisse de ses crédits. Entre 2004 et 2012, ils avaient en revanche diminué de 39 %, à périmètre constant.
S'agissant de la défiscalisation, nous avons eu bien des débats houleux sur ce thème au sein de notre commission. Et je vous rappelle que les premiers à vouloir faire tomber ces dispositifs étaient ceux-là même qui aujourd'hui s'érigent en « amontreurs », comme l'on dit en créole, c'est-à-dire en donneurs de leçons ou en ouvreurs de chemin... Permettez-moi de souligner tout le paradoxe de cette situation. Il me semble que les réformes engagées en 2013 et en 2014 ont permis de redonner de la responsabilité, et donc de la crédibilité, à la défiscalisation.
Sur la question du logement, compte tenu de l'immensité des besoins, les crédits budgétaires ne seront de toute façon jamais suffisants pour remédier à la situation. Votre formation politique, monsieur le rapporteur, pourrait être aux affaires demain : sans doute constaterons-nous alors que la situation s'améliorera.... En tout état de cause, il me semble indispensable de conserver la ligne budgétaire unique (LBU) comme pierre angulaire de la politique du logement, par préférence aux mécanismes de défiscalisation.
Sur la continuité territoriale enfin, soyons sérieux : cette politique n'a jamais véritablement existé, et n'existera jamais. Il suffit pour s'en convaincre de se référer aux montants dévolus à ce titre à la seule Corse : plus de 200 millions d'euros, contre 33 millions pour l'ensemble des outre-mer ! Aucun gouvernement, quelle que sont son obédience politique, ne pourra jamais relever le défi d'offrir la même chose à tous les ultramarins. En somme, la notion de continuité territoriale est un détournement du sens des mots : il faudrait plutôt parler d'une aide au voyage.
Mme Catherine Procaccia. - Disposez-vous de données chiffrées qui permettraient de comparer le coût des surrémunérations, qui reviennent à surrémunérer des emplois qualifiés venus de métropole, avec le montant des rabots successifs sur les exonérations de charges sociales consenties aux entreprises ultramarines, qui portent notamment sur un emploi qualifié qu'il n'y aurait pas besoin de surpayer ? Je souligne par ailleurs que la défiscalisation est parfois rendue nécessaire par les normes absurdes imposées aux entreprises d'outre-mer, qui doivent souvent faire venir des produits ou des pièces détachées de métropole pour y satisfaire, quand elles pourraient s'approvisionner pour bien moins cher dans leur environnement régional.
M. Didier Robert, rapporteur pour avis. - Sur la question du logement, il me semble que la question de fond est celle de la répartition des priorités entre la construction neuve et la réhabilitation de l'ancien. Le poids des normes pesant sur le neuf, qui le rend souvent extrêmement coûteux, est un élément important de ce débat. Cela pose aussi des questions de cohésion sociale : dans un même bloc de bâtiments, certains peuvent habiter des appartements avec des pièces à vivre gigantesques, ainsi construites en raison des normes d'accessibilité notamment, tandis que d'autres continuent d'occuper un logement vétuste pour lequel rien n'est fait.
Sur le constat fait de la difficulté à monter des projets, qui justifierait selon vous la baisse de crédits, il me semble que l'on a surtout affaire à un mauvais calibrage de ces projets et à un manque d'anticipation de la part des pouvoirs publics. La question du foncier est en effet un problème, je suis d'accord avec vous sur ce point ; je souligne d'ailleurs que ce sont les collectivités locales qui en ont la charge, au travers du fonds régional d'aménagement foncier et urbain (Frafu), de même que celle de la garantie d'emprunt. Mais cela signifie surtout qu'elle devrait être prise en compte dès le départ, dans la détermination de l'enveloppe budgétaire globale ! Le choix de faire porter une large partie de la défiscalisation sur le logement social me semble également problématique, dans la mesure où le logement intermédiaire devrait également être encouragé. Il y a donc en effet des raisons objectives qui expliquent la sous-consommation récurrente des crédits dédiés au logement ; mais il suffirait, pour y remédier, que l'enveloppe initiale recouvre des projets correspondant effectivement aux besoins de chaque territoire.
S'agissant de la défiscalisation, les coups de rabot portés à divers dispositifs, année après année, me font craindre une forme de détricotage global de ces mécanismes. À La Réunion, nous avons perdu pas moins de 10 projets hôteliers en cinq ans en raison de la complexité de la procédure d'examen des dossiers de défiscalisation.
Sur la continuité territoriale, l'objectif n'est pas de tendre vers le modèle corse, mais simplement de faire en sorte que des populations situées à 10 000 kilomètres ou plus de l'hexagone puissent être pleinement inscrites dans le territoire national en se déplaçant le plus simplement possible. Ce qui avait été mis en place, depuis 2003, en partenariat entre l'État et les collectivités, m'apparaissait comme une réponse suffisante à la nécessité de tisser un lien entre la métropole et les populations ultramarines. Point n'est besoin de déployer des moyens budgétaires démesurés pour ce faire ; simplement, ce qui peut être fait dans ce cadre, faisons-le effectivement. Or, la décision prise par la ministre de l'outre-mer en 2014 revient à supprimer la participation de l'État à cette politique, pourtant compétence de l'État, et à laisser les collectivités locales en assumer seules la charge ; cela m'apparaît parfaitement scandaleux.
Enfin, sur les surrémunérations, je ne dispose pas de données chiffrées de comparaison avec les dispositifs d'exonération de charges sociales. Je souligne toutefois qu'il s'agit d'un sujet très sensible, et je ne suis pas certain que leur suppression sèche et immédiate permette de répondre aux difficultés de l'emploi dans les territoires ultramarins. Le débat devra cependant être engagé, et aboutir probablement à une remise en question progressive, en biseau, de ces dispositifs. Je crois en revanche indispensable d'orienter les divers dispositifs de lutte pour l'emploi vers les entreprises davantage que vers le seul secteur public.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2017.
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Égalité des territoires et logement - Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - Nous examinons le rapport de M. Jean-Marie Morisset concernant l'avis de notre commission sur la mission « Égalité des territoires et logement - Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables ».
M. Jean-Marie Morisset, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, c'est la troisième fois que j'ai l'honneur d'être votre rapporteur pour le programme 177, consacré à l'hébergement, au parcours vers le logement et à l'insertion des personnes vulnérables. Malheureusement, les constats que je dresserai aujourd'hui devant vous conduisent aux mêmes conclusions que celles formulées en 2015 et en 2014.
Les crédits affectés au programme 177 progressent certes de près de 15 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, pour atteindre 1,74 milliard d'euros. Je note que, pour la première fois depuis plusieurs années, les crédits demandés dans le PLF sont supérieurs aux crédits effectivement consommés au cours du dernier exercice clos, c'est-à-dire 2015. Toutefois, compte tenu des décrets d'avance publiés ou annoncés et des crédits supplémentaires demandés dans le projet de loi de finances rectificative, les crédits demandés pour 2017 sont d'ores et déjà inférieurs de 17 millions d'euros aux crédits qui auront été consommés cette année, alors que les besoins continuent de progresser. Si elle est moins flagrante, la sous-budgétisation récurrente du programme 177, que j'ai déjà eu l'occasion de critiquer devant vous, se poursuit donc.
Les dispositifs financés par le programme 177 apparaissent comme le réceptacle des échecs d'autres politiques publiques. Ils accueillent différents types de publics : des personnes qu'une spirale de précarité a conduit à la rue aux déboutés du droit d'asile en passant par des mères avec enfants et, de plus en plus, des travailleurs pauvres, auxquels sont récemment venus s'ajouter les migrants évacués de campements de fortune, sur lesquels je reviendrai. Si ces besoins sont par nature difficiles à évaluer ex ante, les acteurs de terrain, aussi bien dans les associations que dans les services déconcentrés, auraient besoin d'une plus grande lisibilité sur les crédits qui leurs sont alloués pour mener à bien leurs missions.
La crise économique et l'augmentation de la pauvreté et de la précarité qu'elle a entraînée, dans un contexte de crise aiguë du logement, ont provoqué une sollicitation accrue des dispositifs d'hébergement. Pour ne citer que quelques chiffres, la fondation Abbé Pierre comptabilisait en 2012 141 000 personnes sans domicile, soit une progression de 50 % en 10 ans. Si nous ne disposons pas de chiffres plus récents, chacun constate quotidiennement que cette explosion du nombre de personnes sans abri se poursuit. En 2015, le nombre d'expulsions locatives a ainsi bondi de 24 % et, rien qu'à Paris, le 115 a reçu plus de 4 500 appels par jour, dont 60 % n'ont pas pu être traités en raison de la saturation des lignes.
Face à cette situation extrêmement préoccupante, et alors que le principe du « logement d'abord » est érigé depuis 2009 en doctrine de cette politique, la réponse à la question des sans-abris demeure caractérisée par une gestion de l'urgence qui prend le pas sur tous les efforts, réels, menés en faveur du développement de solutions de long terme permettant la réinsertion des personnes mises à l'abri.
Ainsi, la hausse de près de 60 % des crédits demandés en loi de finances initiale depuis 2010 a permis une augmentation de 71 % du nombre de places d'accueil en centre d'hébergement d'urgence et une progression vertigineuse de 172 % du nombre de nuitées hôtelières mobilisées. Dans le même temps, le nombre de places en centres d'hébergement et de réinsertion (CHRS), structures plus adaptées à une prise en charge globale, ne progressait que de 6,7 %.
Cette priorité accordée à l'urgence s'observe encore en 2017. Les crédits consacrés à l'hébergement d'urgence progressent en effet de 28 %, ceux consacrés aux CHRS de 1,7 %.
L'effort de réduction du recours à l'hôtel est symptomatique de ces difficultés et de la priorité qui est donnée à la gestion de l'urgence. Devant l'explosion du nombre de nuitées mobilisées chaque année, qui a approché 38 000 en 2015, le Gouvernement a annoncé en 2015 un plan de réduction du recours à l'hôtel et de développement des solutions alternatives. On constate premièrement que si ce plan permet de ralentir la progression du nombre de nuitées, l'inversion de cette courbe-là demeure une perspective bien lointaine. Deuxièmement, concernant le développement des solutions alternatives, on constate que les créations de places en centres d'hébergement d'urgence ont d'ores et déjà dépassé les objectifs mais que le développement du logement adapté et de l'intermédiation locative progresse nettement moins vite. Par ailleurs, et singulièrement en région parisienne, si le recours à l'hôtel progresse plus lentement, c'est aussi que le parc hôtelier bon marché est saturé, ce qui fait perdre à l'hôtel son caractère souple et facilement mobilisable. Je vous rappelle qu'en Ile-de-France, qui représente l'essentiel du recours à l'hôtel, c'est 15 % de l'offre hôtelière qui est mobilisée par l'hébergement d'urgence et que des familles passent d'hôtel en hôtel pendant des années sans qu'une situation plus stable ne leur soit trouvée.
Par ailleurs, la progression des crédits affectés à la veille sociale (de 35 % par rapport à la LFI pour 2016 mais seulement de 0,9 % par rapport aux crédits effectivement consommés en 2015) apparaît nécessaire. Ces crédits doivent permettre de poursuivre la mise en place d'un service d'accueil et d'orientation (SIAO) unique dans chaque département et le développement de l'outil informatisé dédié. Je note cette année encore que ces chantiers se poursuivent, en espérant pouvoir l'an prochain constater enfin leur achèvement. Ceci est également valable pour le développement des diagnostics territoriaux dits « à 360° », qu'une majorité de départements ont déjà élaborés.
Enfin, je salue la progression de 22,8 % des crédits consacrés au logement adapté. Ce type de solutions, et notamment les pensions de famille et l'intermédiation locative, apparaissent en effet de nature à permettre une réelle réinsertion des personnes concernées.
La sous-budgétisation du programme 177 est d'autant plus regrettable que les besoins sont appelés à augmenter en 2017 non seulement du fait de la progression de la précarité mais également en raison de la nécessaire prise en charge de flux de populations migrantes.
Les dispositifs généralistes financés par ce programme sont en effet impactés par l'augmentation des flux migratoires par plusieurs biais. D'une part, alors que les demandeurs d'asile ont en principe le droit à un hébergement, les crédits du programme 303 sont notoirement insuffisants, et près d'un sur deux ne peut être accueilli dans une structure dédiée. Par ailleurs, une grande majorité des demandeurs d'asile déboutés se maintiennent sur le territoire national, illégalement ou parce que leur situation ne permet pas de les éloigner. En vertu du principe d'inconditionnalité de l'accueil, ces personnes sont accueillies dans les dispositifs généralistes alors même qu'ils ne disposent d'aucune perspective de régularisation de leur situation et donc d'accès à l'emploi et au logement.
A ces problématiques, dont l'acuité continue de grandir, est venue s'ajouter depuis 2015 la question des campements de migrants que l'on a vu apparaître, notamment dans le Calaisis et en région parisienne. Face à la multiplication et à l'expansion extrêmement rapide de ces campements, qui constituent des conditions de vie tout à fait indignes, la politique d'évacuation et d'orientation vers des structures ad hoc apparaît comme indiscutable.
Toutefois, la création, souvent en urgence, de centres d'accueil et d'orientation (CAO), qui sont financés par les crédits du programme 177, pose un certain nombre de questions. Considérées comme des solutions transitoires, ces structures ne font pas l'objet d'une ligne spécifique dans la nomenclature budgétaire qui nous est proposée. Toutefois, compte tenu de l'insuffisance de places d'hébergement au niveau national et de la rapidité avec laquelle se reconstituent de nouveaux camps de fortune, on peut raisonnablement estimer que la situation d'une grande partie des personnes accueilles dans les CAO ne sera pas réglée dans trois mois et que le transitoire aura vocation à s'inscrire dans la durée. Or, un certain nombre des structures mobilisées devront d'ici quelques mois revenir à leur vocation première.
Les CAO sont par ailleurs conçus de manière étanche par rapport aux autres dispositifs financés par le programme 177. Cela répond à la volonté bien compréhensible de ne pas mélanger des publics dont les problématiques sont différentes. Cette étanchéité peut toutefois conduire à ce que des places soient vacantes au sein d'un CAO, alors que des personnes faisant appel aux dispositifs généralistes sont laissées sans solution. Cette étanchéité est critiquée par les associations.
Si cette question mobilise une partie importante de l'énergie et du temps des acteurs institutionnels et associatifs que j'ai pu auditionner, il convient toutefois de se méfier de l'effet de loupe provoqué par la médiatisation parfois spectaculaire des évacuations de campements de fortune. Le nombre de places ouvertes dans le cadre de l'évacuation de campements de fortune représente moins de 20 000 unités et les crédits engagés s'élèvent à une cinquantaine de millions d'euros. Malgré son acuité et sa visibilité, la question des migrants demeure marginale par rapport à la problématique plus large de l'hébergement dans notre pays et il serait exagéré de soutenir que la prise en charge de ces publics se ferait au détriment des publics que l'on qualifierait de traditionnels. Au demeurant, si on parle souvent de « crise » migratoire, les flux que nous connaissons actuellement ne constituent pas un défi insurmontable pour un pays comme le nôtre.
Je voudrais avant de conclure dire un mot sur les mobilisations citoyennes et associatives en faveur des personnes qui se retrouvent à la rue. J'ai eu l'occasion de rencontrer au cours de mes auditions les responsables du programme « Hiver solidaire », qui accueille au cours de la période hivernale des personnes de la rue pour leur offrir répit et stabilisation. L'accueil des migrants est également l'occasion pour nos compatriotes de faire preuve de leur générosité. Ces initiatives, si elles ne doivent pas conduire les pouvoirs publics à se défausser de leurs responsabilités, témoignent de la solidarité de nos concitoyens, que je tiens à souligner.
Dans un contexte de crise du logement qui ne permet pas aux publics accueillis dans les dispositifs d'hébergement de disposer de perspectives d'insertion stable, la sous-budgétisation manifeste du programme 177 me conduit à vous proposer de donner un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.
M. Philippe Mouiller. - J'entends les arguments du rapporteur à l'appui de sa proposition de rejet des crédits. Je souligne comme lui que la France est en mesure de faire face à l'afflux de migrants que nous connaissons.
Mme Laurence Cohen. - Je salue l'approche humaniste et équilibrée du rapporteur qui n'a pas souhaité opposer les publics traditionnels et les migrants. Il est évident que les crédits alloués au programme 177 doivent être augmentés, pour autant, vous avez souligné un effort réalisé en la matière. N'est-ce pas paradoxal ?
M. Jean Desessard. - Je salue également la philosophie de ce rapport. Vous soulignez que des efforts ont été réalisés. Il est dommage que nous ne puissions pas nous accorder pour adopter unanimement ces crédits.
M. Yves Daudigny. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour la qualité de son travail et la sensibilité humaniste de son rapport qui est à l'honneur du Sénat.
Mme Agnès Canayer. - J'adhère au sens des conclusions du rapporteur. La solidarité nationale doit permettre d'accueillir les migrants. Toutefois, on constate sur le terrain, un certain cloisonnement des dispositifs d'hébergement. Les collectivités, et notamment les communes, sont sollicitées pour organiser l'ouverture de CAO tout en ayant peu de visibilité sur la sortie vers les dispositifs de droit commun des personnes accueillies.
M. Jean-Marc Gabouty. - Sans remettre en cause les conclusions du rapporteur, je regrette l'insuffisance des dispositifs d'aide à l'adaptation du logement, notamment en faveur des personnes en voie de sédentarisation et en faveur des personnes âgées en perte d'autonomie.
M. Jean-Marie Morisset. - La mise en place des CAO représente beaucoup de travail et d'investissement de la part des collectivités et des associations. Il existe toutefois une forte incertitude sur ce que deviendront ces CAO dans quelques mois.
Le budget du programme 177 est difficile à élaborer en raison de l'imprévisibilité des besoins. Toutefois, la sous-budgétisation, dont l'ampleur avoisinait 15 % des crédits demandés en 2015, dépasse la marge d'erreur.
Par ailleurs, on gère l'urgence sans développer suffisamment les solutions de logement adapté et les débouchés vers le logement social.
Le cloisonnement des différents dispositifs, évoqué par Mme Canayer, constitue une réelle difficulté pour les acteurs associatifs gestionnaires des structures et pour les services déconcentrés de l'État.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement » du projet de loi de finances pour 2017.
Égalité réelle outre-mer et dispositions en matière sociale et économique - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi n° 19 (2016-2017), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Elle nomme Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de ce projet de loi.
La réunion est close à 11 h 25.
Projet de loi de finances pour 2017 -Mission «Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 14 h 30.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - Les bouleversements qu'a connus notre pays depuis 18 mois, face à la menace terroriste qui a frappé Paris à deux reprises puis Bruxelles, ont replacé au coeur du débat politique les thématiques qu'embrasse le champ de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Alors que les militaires de l'opération Sentinelle protègent nos villes et que le dimensionnement de nos armées a été revu, le lien armée-Nation se matérialise au quotidien pour nos concitoyens. Il appartient également à l'Etat de garantir aux jeunes femmes et aux jeunes hommes qui s'engagent aujourd'hui pour défendre la République qu'ils bénéficieront, une fois de retour dans la vie civile, des mêmes droits que leurs aînés. La politique de mémoire, en particulier en cette période commémorative riche, est quant à elle un puissant facteur de cohésion nationale et de promotion des valeurs que nous partageons tous, quelles que soient nos origines.
Dès lors, ce n'est pas l'inexorable et incontestable déclin des dernières générations du feu du vingtième siècle qui retire toute pertinence à cette politique publique. Au contraire, il appelle de profondes mutations pour s'adapter à cette nouvelle réalité.
Comme chaque année, le départ d'anciens des
conflits de 1939-1945, de l'Indochine et de l'Algérie structure
l'évolution des crédits de la mission. En 2017, ceux-ci devraient
s'élever à 2,55 milliards d'euros, en baisse de 2,6 % par
rapport à 2016, soit
- 67 millions d'euros. Le nombre des
bénéficiaires des droits et prestations entrant dans le champ de
la mission connaît quant à lui une diminution de 4,8 % pour
la retraite du combattant, de 4,9 % pour les pensions militaires
d'invalidité (PMI) et de 2,1 % pour la majoration des rentes
mutualistes.
Cette réduction des crédits est concentrée sur le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant », qui représente 95 % des crédits de la mission et assure le financement de ces différentes prestations. En revanche, le budget du programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » reste inchangé, tout comme celui du programme 158 qui assure l'indemnisation des victimes d'actes de barbarie commis durant la Seconde Guerre mondiale.
Le programme 167 regroupe deux aspects essentiels de la politique visant à rapprocher les citoyens, en particulier les jeunes, et les armées. Il s'agit tout d'abord de la Journée défense et citoyenneté (JDC), que tous les Français doivent accomplir à compter de leur recensement et avant l'âge de 25 ans. Ainsi, en 2015, plus de 795 000 jeunes ont été accueillis dans 270 sites répartis sur l'ensemble du territoire, dans l'hexagone et outre-mer. Un binôme d'animateurs, chacun issu d'une armée différente, les prend en charge et, au cours d'une journée très dense, leur présente les enjeux liés à la défense et leur fait passer des tests évaluant leur maîtrise de la langue française.
Dans un rapport réalisé au début de l'année à la demande de la commission des finances, la Cour des comptes avait souligné l'efficacité de l'organisation de la JDC par le ministère de la défense mais avait recommandé de poursuivre son recentrage sur les questions de défense. Ce mouvement a été engagé en 2014 à la demande du Président de la République, et la JDC rénovée semble donner satisfaction aux appelés.
Néanmoins, ce moment de contact unique avec la quasi-intégralité d'une classe d'âge est également l'occasion de faire passer plusieurs messages civiques et sociaux : présentation des dispositifs d'insertion, information sur les dons d'organe et de sang. Son module d'initiation aux premiers secours a été remplacé cette année par un module de sensibilisation à la sécurité routière, dont les premiers résultats sont plus mitigés sur le plan de la satisfaction. Ne pourrait-elle pas également avoir un rôle à jouer dans la prévention et la détection de la radicalisation ?
Deux préoccupations concurrentes entrent donc ici en collision : la sensibilisation à l'esprit de défense et celle, plus large, de la formation des citoyens de demain. Cette tâche ne peut incomber au seul ministère de la défense. C'est pourquoi des réflexions sont en cours sur l'opportunité de prolonger la JDC lors d'une seconde journée, voire même sur une semaine comme l'a évoqué le Président de la République. Cela peut potentiellement soulever d'importantes difficultés, notamment en matière de logement des jeunes. La solution pourrait passer par l'organisation d'une journée supplémentaire décalée par rapport à la JDC et centrée sur les thématiques civiques et sociales, qui pourrait se dérouler dans les établissements scolaires. La réflexion sur ce point n'en est encore qu'à un stade préliminaire.
Il faut toutefois garder à l'esprit que le nombre de jeunes participant à la JDC est en forte augmentation, en lien avec la natalité de la fin des années 1990. 800 000 d'entre eux sont attendus l'an prochain, soit une hausse de 10 % par rapport à 2010. Un effort supplémentaire doit également être réalisé en direction de la part de jeunes, environ 4 % d'une classe d'âge, soit 30 000 d'entre eux, qui bien qu'étant soumis à cette obligation ne participent pas à la JDC. Ce rituel républicain est d'autant plus important qu'il offre à tous les jeunes une information sur leurs droits et devoirs et un contact avec une des institutions essentielles de la République.
A côté de la JDC, la politique de mémoire contribue à l'éducation citoyenne en promouvant les valeurs au nom desquelles tant de femmes et d'hommes se sont battus pour la France au vingtième siècle. Dotée de 22,2 millions d'euros, elle finance des actions pédagogiques, comme le concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD) ou le soutien à des projets plus ponctuels. Elle est surtout construite autour de la commémoration des grands événements historiques du siècle passé.
Outre les onze journées commémoratives nationales, l'année 2017 sera marquée par la poursuite du centenaire de la Première Guerre mondiale. La cérémonie franco-allemande du 29 mai dernier à Verdun, dont l'organisation donna lieu à d'importants dépassements budgétaires dus au changement de format avec l'accueil de 4 000 jeunes de France et d'Allemagne, a suscité une violente polémique. Selon les témoignages que j'ai recueillis, il semble que la perception de ceux qui y ont assisté à la cérémonie ne soit pas la même que celle qui a été reçue puis véhiculée sur les réseaux sociaux notamment. La cérémonie franco-britannique du 1er juillet à Thiepval, dans la Somme, plus classique, a quant à elle été saluée pour sa solennité.
L'an prochain, trois moments importants seront commémorés : l'entrée en guerre des Etats-Unis, avec une saison franco-américaine qui débutera dans les ports qui ont accueilli les doughboys, la bataille de Vimy, à l'occasion de laquelle le Premier ministre canadien devrait réaliser sa première visite bilatérale en France, et le Chemin des Dames. Ce calendrier risque de s'entrechoquer avec nos échéances politiques nationales, puisque ces événements auront lieu durant les deux premières semaines d'avril. Il faut surtout parvenir à conserver, pour la quatrième année consécutive, l'intérêt et l'appétence des Français pour ce cycle commémoratif, sans toutefois espérer retrouver l'engouement mémoriel qui avait marqué 2014.
Par ailleurs, la politique de valorisation du patrimoine mémoriel et de soutien au tourisme de mémoire sera poursuivie, grâce à une enveloppe de deux millions d'euros. L'Onac assure quant à lui l'entretien des hauts lieux de la mémoire nationale et des sépultures de guerre.
S'agissant du droit à réparation dont bénéficient tous les anciens combattants, la principale évolution de ce PLF est la revalorisation progressive de 48 à 52 points de PMI, attendue depuis 2012, de la retraite du combattant, qui est versée à tous les titulaires de la carte du combattant à partir de 65 ans. Il s'agira d'une progression en deux temps : une hausse de deux points, soit environ 28 euros supplémentaires, dès le 1er janvier, puis une seconde hausse de même ampleur le 1er septembre. Au final, son montant devrait passer 674 euros à près de 730 euros, pour un coût de 27 millions d'euros en 2017.
On comprend aisément que le monde combattant se félicite de cette mesure. On peut simplement regretter qu'elle intervienne tardivement dans le quinquennat, alors que le Sénat l'avait adoptée dès 2014 à mon initiative et que la retraite du combattant avait été revalorisée chaque année entre 2007 et 2012. Son montant avait été revalorisé de 55 % sur cette période.
2016 a également constitué la première
année pleine de mise en oeuvre des nouveaux critères
d'attribution de la carte du combattant pour les anciens militaires ayant servi
en opération extérieure (Opex). Ils ont été
alignés sur ceux en vigueur pour la guerre d'Algérie, soit 120
jours de présence sur un théâtre d'opération, par la
loi de finances pour 2015. Cette mesure produit pleinement ses effets :
alors qu'entre 1993 et 2015 99 000 cartes avaient été
attribuées au titre des Opex, 25 000 cartes supplémentaires
ont été remises dans les 18 derniers mois. Le nombre de
bénéficiaires supplémentaires est estimé à
125 000. Jeunes et encore actifs, peu d'entre eux sont éligibles
à ce jour à la retraite du combattant ou à la
demi-part fiscale, mais ils deviennent ressortissants de l'Onac et,
à ce titre, sont couverts par sa politique d'action sociale et d'aide
à la reconversion professionnelle.
Il faut rappeler que la politique en faveur du monde combattant doit également être mesurée à l'aune des dépenses fiscales qui y sont associées. Elles représentent un total de plus de 750 millions d'euros, en légère progression en raison du vieillissement des titulaires de la carte du combattant, qui à partir de 74 ans, contre 75 ans jusqu'à l'année dernière, bénéficient d'une demi-part de quotient familial supplémentaire. Redisons qu'elles font partie intégrante du droit à réparation dont peuvent se prévaloir les anciens combattants.
J'en viens maintenant aux politiques en direction des harkis et des rapatriés. En septembre dernier, le Président de la République a reconnu les responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des anciens supplétifs. Geste symbolique tardif mais attendu, il ne vient pas pour autant corriger toutes les lacunes de notre politique en faveur de cette population. Dans le cadre du plan d'action du Gouvernement en faveur des harkis, des efforts ont été consentis en matière de reconnaissance, mais le volet réparation reste insuffisant, notamment en matière d'aide à l'emploi dans la fonction publique pour les enfants de harkis.
Il faut enfin mentionner la situation des deux opérateurs de la mission, qui constituent le lien direct entre l'Etat et le monde combattant. L'Onac tout d'abord, dont les services départementaux sont le guichet unique garantissant l'effectivité des droits des anciens combattants. À ce jour, leur pérennité est assurée.
La réforme de l'aide sociale de l'Onac a fait couler beaucoup d'encre. Elle était la conséquence d'une situation juridique complexe. Elle corrige une situation dans laquelle les anciens combattants les plus démunis, qui ne bénéficiaient pas d'une prestation spécifique, pouvaient se retrouver parfois dans une bien plus grande précarité que les conjoints survivants.
Désormais, la priorité est donnée aux plus démunis, quel que soit leur statut. L'examen individuel et anonyme des dossiers par les commissions départementales permet de définir une aide répondant aux besoins des personnes, qui peut d'ailleurs être d'un montant plus élevé que l'ancienne ADCS. Le caractère subsidiaire de l'aide versée par l'Onac est rappelé : les demandeurs doivent faire tout d'abord valoir leurs droits aux allocations de droit commun.
Pour 2017, un million d'euros supplémentaires sont accordés à l'action sociale, ce qui porte son budget à 27,5 millions d'euros. Les six premiers mois de mise en oeuvre de ces nouvelles orientations ont toutefois mis en lumière l'absence d'harmonisation des pratiques et des montants versés entre les départements. Il conviendra de réexaminer cette situation à la fin de l'année et, le cas échéant, de la corriger.
L'Onac poursuit par ailleurs sa mutation en se recentrant sur ses fonctions essentielles. La cession de ses établissements médico-sociaux, écoles de reconversion professionnelle (ERP) et établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est presque finalisée. Une politique spécifique en direction des anciens des Opex a été mise en place, avec une offre de service adaptée : accompagnement vers l'emploi, suivi des blessés après leur départ de l'institution militaire, meilleure prise en compte des victimes de syndromes post-traumatiques. Il faut également noter que l'Onac accueille les victimes des attentats et leurs ayants droits, en particulier les orphelins devenus pupilles de la Nation.
Le second opérateur, l'institution nationale des Invalides (Ini), se trouvait depuis plusieurs années dans une situation d'entre-deux inconfortable, sans orientation claire pour son avenir, qui menaçait sa pérennité. Sa modernisation va finalement être engagée, pour assurer sa complémentarité avec les hôpitaux du service de santé des armées (SSA) et l'offre de soins régionale.
Sa mission historique sera maintenue au sein de son centre des pensionnaires, mais elle deviendra également le centre de référence pour la réinsertion et la réadaptation des blessés en Opex, une fois passée la phase d'hospitalisation initiale. Une période de travaux de cinq ans devrait débuter à partir de la fin de l'année 2017, pour un coût estimé de 60 millions d'euros. Pour l'engager, une subvention exceptionnelle de 5 millions d'euros lui est versée.
Au final, quel bilan tirer de ce budget et, plus largement, du quinquennat qui vient de s'écouler ? Sur la période 2012-2017, le niveau des crédits aura diminué de 17 %, ce qui représente une économie cumulée d'environ 1,8 milliard d'euros par rapport au niveau des crédits de la loi de finances de 2012. Dans le même temps, le nombre de titulaires de la carte du combattant aura reculé de 16 %, et celui des bénéficiaires de PMI de 18 %.
Sur le fond, les droits acquis n'ont pas été remis en cause. Des chantiers ont pu aboutir, je pense notamment à l'attribution de la carte du combattant « à cheval » ou à l'alignement des critères pour les Opex sur ceux de la guerre d'Algérie. Par ailleurs, une politique de mémoire ambitieuse a été conduite. Initiée dès 2011, elle a jusqu'à présent été à la hauteur des enjeux nationaux et internationaux représentés par le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et le centenaire de la Grande Guerre.
Pour autant, cette consolidation de la politique de reconnaissance et de réparation envers les anciens combattants est par bien des aspects inachevée. Le Gouvernement a refusé d'ouvrir plusieurs chantiers, comme le ministre l'a reconnu lors de son audition, qui auraient permis de corriger les dernières inégalités entre compagnons d'armes.
Le premier est l'attribution de la carte du combattant aux soldats qui ont été stationnés en Algérie entre 1962 et 1964, en application des accords d'Evian. Plusieurs dizaines d'entre eux sont morts pour la France. Il est indéniable que nous n'étions plus en guerre durant cette période, mais les circonstances s'apparentent à celle d'une Opex.
Dans ces conditions, une intervention du législateur n'est pas nécessaire pour accorder la carte du combattant à ces anciens combattants : c'est au Gouvernement de modifier l'arrêté du 12 janvier 1994 qui fixe la liste des opérations ouvrant le droit à la carte au titre des Opex. Ce ne serait pas la plus ancienne, puisque cet arrêté prend déjà en compte les opérations conduites à Madagascar entre 1947 et 1949, au Cameroun entre 1956 et 1958 et en Mauritanie entre 1957 et 1959. Qui plus est, ces territoires étaient alors sous souveraineté française, ce qui les éloigne davantage de la définition d'une Opex que l'action des forces présentes sur le territoire algérien après le 1er juillet 1962.
De même, le dossier des harkis de statut civil de droit commun reste enlisé alors quelques dizaines d'entre eux, jusqu'à trois cents selon les chiffres fournis par les associations, demandent la reconnaissance du sacrifice qu'ils ont consenti pour la France.
Enfin, la situation des conjoints survivants des grands invalides, malgré le vote chaque année de mesures en leur faveur, ne semble pas s'améliorer. Le ministère ne parvenant pas à les recenser, il est donc incapable de cibler son intervention pour les faire sortir de la précarité. Sur ce point, il faut travailler davantage avec les associations pour apporter une solution définitive à leurs difficultés.
Nous devons également nous prononcer sur les trois articles rattachés à la mission, qui n'appellent pas de remarque particulière et ont une portée ainsi qu'un coût - 800 000 euros - essentiellement symboliques. L'article 53 supprime la condition d'âge pour que les conjoints survivants des militaires décédés en opération puissent bénéficier du supplément de pension pour enfant à charge. L'article 54 revalorise l'allocation de reconnaissance que perçoivent les anciens harkis et leurs conjoints survivants. L'article 55 ouvre le droit à une majoration de la pension de réversion aux ayants droit des militaires tués dans l'exercice de leurs fonctions sur le territoire national.
Sur ces considérations, vous comprendrez que je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et de ces articles qui y sont rattachés.
M. Dominique Watrin. - Je tiens à saluer la qualité du travail du rapporteur, et je partage certaines de ses analyses et propositions, en particulier le prolongement de la JDC sur une journée supplémentaire consacrée aux thématiques civiques et sociales.
Un site du Pas-de-Calais qui m'est cher a été évoqué : Vimy. On rendra hommage l'an prochain aux soldats canadiens qui s'y sont sacrifiés. Il ne faudra pas oublier d'y associer la mémoire des troupes coloniales qui avaient repris cette crête en 1915.
Mon groupe prend acte de la revalorisation non négligeable - 11 % - de la retraite du combattant et de l'augmentation annoncée de 3 % de la valeur du point de PMI. Cela ne compensera toutefois pas la baisse du pouvoir d'achat liée à son évolution passée, qui est évaluée par la Fnaca à 6,92 %.
La réforme de l'aide sociale et la suppression de l'ADCS a suscité des craintes que les explications du ministre ne permettent d'écarter complètement. En effet, selon les données figurant dans le rapport d'étape remis par le Gouvernement à ce sujet, sur 9 228 dossiers de veuves traités, l'aide moyenne versée est en baisse de 14,46 %. Sur ce point, le rapporteur a raison : il faut qu'un bilan qualitatif des effets de la réforme à la fin de l'année soit réalisé.
Ce budget apparaît comme un moindre mal par rapport à l'année dernière, puisque la baisse des crédits est plus réduite. Cela ne doit pas faire oublier la diminution de près de 16,5 % sur cinq ans. Le simple maintien des crédits aurait permis de répondre aux principales revendications du monde combattant, et l'âge moyen très élevé des anciens combattants ne fait qu'accentuer l'urgence d'y parvenir dans les meilleurs délais.
Dans ces conditions, et malgré certaines convergences avec le rapporteur, au nom de mon groupe je m'abstiendrai.
M. Jean-Marie Morisset. - Je comprends que notre rapporteur soit heureux, puisqu'il obtient enfin la revalorisation de la retraite du combattant qu'il demande depuis plusieurs années. On peut regretter qu'elle ne prenne pas effet au 1er janvier, mais l'essentiel est qu'elle soit décidée.
Je reçois chaque année depuis 25 ans les représentants du monde combattant, et cette année leurs demandes étaient limitées : ils semblaient satisfaits de ce budget. Il reste toutefois deux points sensibles : la demi-part fiscale pour les conjoints survivants d'un titulaire de la carte du combattant décédé avant 74 ans, et les conséquences de la réforme de l'aide sociale de l'Onac. Le Gouvernement a bien remis au Parlement le rapport qu'il devait réaliser sur le sujet avant le 31 octobre, mais cela ne doit pas l'exonérer de faire le bilan au 31 décembre. De plus, ce rapport reste incomplet, certains de ses choix, notamment celui des départements retenus (Bouches-du-Rhône, Nord, Moselle, Ain, Loire), ne sont pas expliqués, et la période étudiée s'arrête au 30 juin. Des éclaircissements supplémentaires sont nécessaires, et ce d'autant plus que cette réforme n'est pas appliquée de la même façon dans tous les départements, en fonction notamment de l'organisation des services départementaux de l'Onac. Il s'agit d'une question d'équité, car les gens ne comprennent pas que le montant de l'aide qu'ils perçoivent ait pu diminuer.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - Je me réjouis qu'il y ait une large convergence sur l'essentiel des problématiques qui intéressent le monde combattant. La réforme de l'aide sociale de l'Onac, avec la suppression de l'ADCS, reste un sujet de préoccupation légitime. Il faut avoir une vision exhaustive de ses effets. Je saisirai le ministre du souhait partagé de la commission en ce sens. De manière générale, cette mission est de nature à tous nous réunir.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2017.
Projet de loi de finances pour 2017 - Mission « Travail et emploi » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - Nous examinons le rapport pour avis de M. Michel Forissier concernant sur la mission « travail et emploi » et le compte d'affectation spéciale relatif au financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis. - Je ne reviendrai pas cette année sur le débat relatif à l'évaluation des chiffres du chômage car la commission d'enquête sénatoriale, présidée par notre collègue Anne Emery-Dumas, a analysé avec pertinence les enjeux et les limites des chiffres mensuels fournis par Pôle emploi et a fait des propositions intéressantes au Gouvernement.
Selon les dernières perspectives financières de l'Unédic de septembre dernier, le taux de chômage en France métropolitaine au sens du Bureau international du travail (BIT) devrait passer de 9,4 % en 2016 à 9,5 % l'an prochain et se maintenir à ce niveau en 2018. Il y a donc bien eu une baisse du taux de chômage en France métropolitaine au sens du BIT depuis 2012, où il s'établissait à 10,1 %. Autre motif de satisfaction pour le Gouvernement : la croissance économique, même faible et inférieure à la croissance potentielle, est plus riche en emplois que par le passé car l'emploi salarié marchand est en hausse constante au cours des six derniers trimestres pour atteindre 210 000 postes créés. Je rappelle que les économistes estiment que le chômage commence à baisser à partir de 140 000 créations de postes par an.
Mais la situation s'assombrit comme l'a rappelé la semaine dernière l'Insee car le taux de chômage en moyenne sur le troisième trimestre est passé à 9,7 %. Surtout, la situation de notre pays n'est pas satisfaisante quand on la compare à celle de nos voisins européens. De plus, il est difficile de distinguer ce qui relève de la conjoncture internationale et ce qui est imputable aux décisions du Gouvernement. Par ailleurs, toutes ces décisions, notamment celles relatives aux contrats aidés, ont un coût pour les finances publiques à court et moyen terme. J'ajoute que l'an prochain le nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A devrait augmenter de 79 000 personnes, tandis que le nombre de demandeurs d'emploi en catégories A, B et C et des personnes dispensées de recherche d'emploi atteindra 5,5 millions de personnes, contre 4,7 millions en 2012.
Le maintien du chômage à un niveau élevé et l'échec des négociations entre partenaires sociaux pour conclure une nouvelle convention d'assurance chômage en mai dernier rendent très inquiétantes les perspectives financières de l'Unédic. Alors que sa dette s'élève à 25,7 milliards d'euros en 2015, elle devrait atteindre 41,4 milliards en 2019 à réglementation inchangée, soit environ 13 mois de recettes. Si la dette avait été cantonnée à 5 milliards pendant la crise économique de 1993 et avait avoisiné 14 milliards en 2006, elle ne cesse depuis 2009 de se creuser, les partenaires sociaux souhaitant faire jouer un rôle contra-cyclique à l'assurance chômage. Mais aujourd'hui cette stratégie n'est plus tenable car même si notre pays retrouvait une croissance forte, il faudrait pratiquement une dizaine d'années d'excédents conjoncturels pour résorber la dette, ce qui ne paraît pas envisageable. Laisser filer la dette, c'est interdire toute marge de manoeuvre à l'assurance chômage, c'est confier le fardeau de son remboursement aux générations à venir et s'exposer à des frais importants le jour où les taux d'intérêt remonteront. Je ne cesse d'alerter depuis deux ans sur les dangers de l'évolution de la dette de l'assurance chômage, mais j'ai l'impression que nos collègues parlementaires, les partenaires sociaux et le Gouvernement minorent gravement ce risque.
Venons-en à la présentation de la mission « travail et emploi ».
Les autorisations d'engagement (AE) connaîtront une très forte poussée (+ 4,9 milliards), pour atteindre 16,5 milliards l'an prochain, tandis que les crédits de paiement (CP) s'élèveront à 15,5 milliards, en hausse de 3,8 milliards.
Mais cette explosion des AE s'explique par deux raisons principales qui modifient la maquette budgétaire : les nouvelles aides à l'embauche dans les PME, créées en janvier dernier (3,6 milliards) et la décision du Gouvernement de rembourser pour la première fois l'an prochain à la sécurité sociale les exonérations de cotisations sociales pour les personnes fragiles qui emploient directement ou non des aides à domicile (1,6 milliard), soit un total de 5,2 milliards. J'ajoute que ces deux dispositifs représentent respectivement 1,9 milliard et 1,6 milliard en CP, soit 3,5 milliards, ce qui relativise la hausse faciale des crédits de la mission.
Je centrerai mon analyse sur les cinq sujets suivants : les opérateurs de la politique de l'emploi, le fonds de solidarité, les contrats aidés, les aides à l'embauche et la garantie jeunes.
En premier lieu, les crédits de Pôle emploi et des autres acteurs du service de l'emploi sont stabilisés.
La dotation à Pôle emploi est maintenue au même niveau que cette année, soit 1,5 milliard d'euros, ce qui lui permettra notamment de développer sa stratégie numérique.
Les missions locales seront dotées de 205 millions, en hausse de 14 millions, afin de mettre en oeuvre la garantie jeunes, sans compter les contributions des collectivités territoriales.
Le budget prévoit également une dotation de 54,5 millions pour financer les Établissements d'insertion dans l'emploi (Epide), soit 3,7 millions de plus qu'en 2016, à laquelle s'ajoute une dotation de 3 millions pour créer deux centres à Nîmes et Toulouse.
Les écoles de la deuxième chance recevront 24 millions tandis que les crédits pour les maisons de l'emploi sont maintenus à 21 millions.
Enfin, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), qui deviendra prochainement un établissement public industriel et commercial (Epic) en vertu d'une ordonnance publiée le 10 novembre dernier, bénéficiera de 110 millions, soit 14 millions de plus que cette année. Cette hausse de la dotation de l'État ne saurait toutefois masquer la nécessité absolue pour le futur Epic de trouver un modèle économique viable afin de stopper les pertes financières accumulées ces dernières années, dans le respect des règles européennes de concurrence.
En deuxième lieu, le fonds de solidarité, qui finance les allocations de solidarité versées aux demandeurs d'emploi qui ne peuvent plus bénéficier du régime d'assurance chômage, voit ses recettes globalement maintenues à 2,8 milliards.
Son financement est en outre simplifié grâce à l'affectation de l'intégralité du produit de la contribution exceptionnelle de solidarité de 1 % perçue sur le traitement des fonctionnaires. Comme les années précédentes, 95 % des dépenses du fonds seront consacrées à l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Le financement de la rémunération de fin de formation (R2F), qui permet aux demandeurs d'emploi de terminer une formation même s'ils sont en fin de droit, fera à nouveau l'objet l'an prochain d'âpres négociations entre l'État et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.
En troisième lieu, les contrats aidés, malgré un léger reflux, se maintiendront à un niveau élevé l'an prochain.
Une dotation d'environ 1,2 milliard en AE et 1,5 milliard en CP est prévue pour financer l'entrée de 200 000 personnes en contrats aidés dans la sphère non marchande (CAE) et 45 000 dans la sphère marchande (CIE). Pour mémoire, le PLF pour 2016 prévoyait une enveloppe de 1,4 milliard en AE et 1,3 milliard en CP pour financer la conclusion de 260 000 nouveaux contrats.
Je n'ignore pas que les CAE s'adressent à des personnes plus éloignées de l'emploi que celles qui concluent des CIE. Je ne souhaite pas la suppression pure et simple des CAE mais j'estime que les études successives de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) depuis deux ans sur le taux d'insertion professionnelle des bénéficiaires de contrats aidés devraient conduire le Gouvernement à donner la priorité à l'apprentissage et à privilégier les CIE par rapport aux CAE. Je ne partage donc pas la stratégie du Gouvernement.
Le PLF prévoit également une enveloppe de 600 millions en AE et 933 millions en CP pour financer les contrats d'emploi d'avenir conclus avant 2017 et ceux qui seront conclus l'an prochain, estimés à 35 000. Si j'observe avec satisfaction que les actions de formation, qui figurent obligatoirement dans un contrat d'un jeune embauché en emploi d'avenir, sont réalisées dans 75 % des cas pendant la première année, des doutes demeurent sur leur qualité et sur le taux d'insertion professionnelle des bénéficiaires.
Je souhaiterais maintenant me pencher sur la question des aides aux entreprises en faveur de l'embauche de salariés.
Un point tout d'abord sur le contrat de génération, qui ouvre droit à une aide de 4 000 euros par an pendant trois ans pour les binômes formés entre un jeune embauché et un salarié senior maintenu en emploi dans les entreprises de moins de 300 salariés. Je constate avec regret que le PLF pour 2017 acte l'échec du contrat de génération avec seulement 15 000 aides financières prévues en 2017, soit le même niveau qu'en 2016 et 2015, bien loin des 500 000 annoncées sur le quinquennat lors de la création du dispositif. J'avais déjà tiré la sonnette d'alarme il y a deux ans, avant que la Cour des comptes n'emboite le pas en février dernier dans son rapport annuel. Certes, le contrat de génération ne se limite pas à cette aide financière et comprend un volet relatif à la négociation collective. Mais les accords collectifs et les plans d'action dits « intergénérationnels » conclus depuis 2013 ne couvrent qu'un tiers des salariés et se limitent souvent à reprendre la réglementation en vigueur, faute de mobilisation des partenaires sociaux. En définitive, le contrat de génération, loin d'être l'arme tant attendue pour lutter massivement contre le chômage, a surtout servi de variable d'ajustement budgétaire depuis 2013.
Je déplore également les hésitations du Gouvernement en matière d'aides à l'embauche depuis deux ans. Après la création en juillet 2015 de l'aide TPE pour l'embauche d'un premier salarié, le Président de la République a annoncé le 18 janvier dernier la création d'une aide pour toutes les PME qui embauchent des personnes en CDI ou en CDD de plus de 6 mois et dont la rémunération est égale ou inférieure à 1,3 Smic. Cette aide, d'un montant de 500 euros par trimestre et par salarié et limitée à deux ans, amplifie la philosophie de l'aide TPE-première embauche qui prendra fin le 31 décembre prochain. La nouvelle aide ne devait initialement s'appliquer qu'aux embauches réalisées en 2016. Le Président de la République a toutefois annoncé le 14 juillet qu'elle serait prolongée en 2017, même si pour l'heure aucun décret n'a été pris en ce sens. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a souhaité que les conditions d'attribution de la nouvelle aide soient le plus proche possible de celles retenues pour l'aide TPE première embauche, mais certains critères ont été ajoutés comme le ciblage des rémunérations inférieures à 1,3 Smic.
Je ne méconnais pas l'utilité de cette nouvelle aide, car elle est assimilable à un allègement total des cotisations patronales pour un salarié rémunéré au Smic, dont l'efficacité est soulignée par un grand nombre d'études depuis plusieurs années.
Mais la politique gouvernementale faite d'hésitations et de tâtonnements n'est pas de nature à rassurer les employeurs, qui attendent deux choses : une croissance élevée et la stabilité de l'environnement juridique. J'ajoute que l'aide à l'embauche dans les PME pèsera 1,9 milliard d'euros en CP mais 3,6 milliards en AE. C'est pourquoi je souhaite qu'une évaluation de ce dispositif soit menée à mi-parcours par un organisme indépendant afin de savoir si les effets d'aubaine seront contrebalancés par les effets bénéfiques en termes de baisse du coût horaire du travail. Je crois comprendre que le Gouvernement accueille favorablement cette proposition.
En dernier lieu, j'évoquerai les enjeux de la garantie jeunes.
Le PLF prévoit une enveloppe de 498 millions en AE et 420 millions en CP pour ce dispositif essentiel aux yeux du Gouvernement, contre respectivement 282 et 255 millions dans le PLF pour 2016.
Le fonds social européen (FSE) et l'Initiative pour l'emploi des jeunes (EIJ) cofinanceront en 2017 la garantie jeunes à hauteur de 55 millions en AE et CP, contre 17 millions dans le PLF pour 2016. Seules les régions dans lesquelles le chômage des jeunes dépasse 25 % bénéficieront de ces fonds européens. Il convient toutefois de rappeler que le financement communautaire est conditionné entre autres par une sortie positive des jeunes du dispositif.
La garantie jeunes a fait l'objet d'une expérimentation depuis 2013, qui concerne actuellement 91 départements, 358 missions locales et plus de 57 000 jeunes.
La ministre du travail, lors de son audition le 8 novembre dernier devant notre commission, s'est engagée à ce que toutes les missions locales, soit 447 entités, puissent offrir à compter du 1er janvier prochain ce dispositif, qui devrait concerner 150 000 jeunes sur l'ensemble du territoire.
Pour ma part, j'estime que si la garantie jeunes présente pour l'instant de bonnes performances, sa généralisation est prématurée tant que l'enquête nationale lancée par la Dares en mai 2015 n'est pas achevée.
Comme l'a souligné la Cour des comptes dans son rapport de septembre dernier sur l'accès des jeunes à l'emploi, il s'agit d'un outil digne d'intérêt mais qui risque de concurrencer dans certains cas d'autres dispositifs originaux comme les écoles de la deuxième chance.
Surtout, la garantie jeunes ne pourra pas à elle seule pallier les carences de l'école républicaine qui non seulement ne lutte pas contre les inégalités sociales et familiales mais les renforcent à chaque étape de la scolarité, comme l'a souligné le dernier rapport du Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco).
Le défi est majeur pour notre pays car selon les données du Gouvernement, plus d'un million de jeunes âgés de 18 à 25 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, ce que les anglo-saxons appellent Neet. Pire, le dernier panorama de la société en 2016 que l'OCDE consacre à la France, publié en octobre dernier, a montré que le pourcentage de jeunes âgés de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études ni en formation, est passé de 14 % en 2008 à 16,6 % en 2015. L'Allemagne, qui partait du même niveau que notre pays en 2005, a vu son taux baisser à 9 % en 2015. En conséquence, notre pays compte 1,8 million de jeunes sans emploi et sortis du système éducatif, soit 270 000 de plus qu'en 2008. L'OCDE estime que le coût de l'inactivité des jeunes ou de leur chômage est égal à 1 % du PIB en France.
J'ignore quel sera l'impact de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République mais il est clair que les dispositifs d'accompagnement intensif des jeunes très éloignés du marché de l'emploi seront toujours un pis-aller tant que l'on n'aura pas réformé en amont et en profondeur notre système scolaire.
Pour conclure sur la mission « travail et emploi », je précise que ses crédits n'ont été modifiés qu'à la marge à l'Assemblée nationale à la suite de l'adoption de quatre amendements. Ceux-ci avaient pour objet de créer 500 aides au poste dans les entreprises adaptées pour un coût de 7,5 millions d'euros, d'augmenter de 2 millions d'euros les crédits de l'aide au conseil et à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), de financer des projets dans le domaine de l'emploi dans le cadre des contrats à impact social (CIS) à hauteur de 1,5 million d'euros et enfin de créer 50 postes de référents justice dans les missions locales pour un peu plus d'un million d'euros.
Je souhaiterais maintenant évoquer la question de l'apprentissage à travers la présentation des évolutions du compte d'affectation spéciale (CAS) destiné à assurer sa modernisation et son développement, ainsi que la mise en oeuvre du plan « 500 000 formations supplémentaires pour les demandeurs d'emploi ».
Les recettes du CAS atteindront 1,57 milliard d'euros en AE et CP l'an prochain, soit une augmentation de 82,4 millions par rapport au PLF pour 2016.
Après deux années de forte baisse, 270 000 nouveaux contrats d'apprentissage ont été conclus en 2015 (soit une progression de 2,3 % par rapport à 2014 selon la Dares) et les chiffres pour la rentrée de 2016 semblent aller dans le bon sens. Mais je rappelle qu'en 2012, 300 000 nouveaux contrats avaient été signés et que le Gouvernement prévoit seulement un stock de 425 000 contrats d'apprentissage l'an prochain, dont 25 000 dans la sphère publique, bien loin de l'objectif fixé pendant le quinquennat de 500 000 contrats en 2017.
Force est de constater que le Gouvernement n'est pas resté inactif en matière d'apprentissage. Après avoir mis à mal les primes régionales, il a corrigé le tir en créant en juin 2015 une aide en faveur des TPE qui embauchent des jeunes apprentis - même si je ne pense pas que les primes soient le critère fondamental pour embaucher un apprenti, comme le démontre l'exemple allemand -. Le Gouvernement a également dédié une enveloppe de 80 millions dans le PLF pour donner un coup de pouce au pouvoir d'achat des apprentis et souhaite actualiser la grille de leurs rémunérations. Il a par ailleurs généralisé l'ouverture des titres professionnels à l'apprentissage, qui rencontre l'assentiment des personnes que j'ai auditionnées.
Mais ces différentes mesures, parfois annoncées dans la précipitation et sans vision d'ensemble, ne répondent pas aux deux difficultés fondamentales auxquelles est confronté l'apprentissage : l'absence de pilotage au niveau national et la faible place laissée par l'Éducation nationale aux partenaires sociaux pour élaborer les référentiels de formation.
C'est pourquoi j'avais proposé, lors de l'examen de la loi dite « travail », avec notre collègue Elisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, et avec votre soutien, une réforme globale de l'apprentissage, qui a malheureusement été rejetée en bloc par le Gouvernement et l'Assemblée nationale.
Je persiste pourtant à penser que nos propositions étaient de nature à redonner un nouveau souffle à l'apprentissage dont tout le monde s'accorde à reconnaître les mérites mais qui devrait davantage répondre aux attentes des entreprises pour lutter contre le chômage des jeunes.
Je regrette par ailleurs que le Gouvernement n'ait pas donné suite à ma demande formulée l'an passé et qui visait à présenter, dans un jaune budgétaire, l'effort de la nation en matière d'apprentissage car il est actuellement très difficile de connaître les efforts réels de chaque acteur institutionnel.
Quelques mots enfin sur le « plan 500 000 formations supplémentaires » de l'État, dont la légitimité même est questionnée par certaines personnes auditionnées dans la mesure où la formation professionnelle est une compétence transférée aux régions. Ce plan ne sera, selon moi, un succès que si les formations retenues correspondent bien aux besoins des entreprises identifiées par bassin d'emploi et par filière, si les prescripteurs de Pôle emploi cernent correctement les attentes des demandeurs d'emploi, si une évaluation des formations suivies est réalisée par un organisme indépendant et si, bien évidemment, son financement est garanti. Sur ce dernier point, la ministre du travail nous a assuré lors de son audition que les organismes paritaires des collecteurs agréés (Opca) financeront « volontairement » (sic) le fonds de concours de 350 millions d'euros mentionné dans le PLF pour 2017. Des négociations entre les Opca et le ministère pour déterminer le montant de leurs contributions seront organisées dans les semaines à venir sur la base des conclusions d'une mission de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances.
En définitive, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « travail et emploi » et du compte d'affectation spéciale relatif à l'apprentissage car les points de divergence l'emportent sur les sujets de satisfaction.
M. Dominique Watrin. - Le rapporteur pour avis soulève plusieurs sujets de fond, comme la réforme du système scolaire et l'apprentissage, que nous n'aurons pas le temps de traiter aujourd'hui en commission, et sur lesquels nos analyses divergent. La finalité éducative de l'apprentissage doit être réaffirmée. Nous avons par ailleurs des propositions différentes de celles du rapporteur pour lutter contre le chômage.
La hausse des crédits de la mission « travail et emploi » est bienvenue car elle permettra de financer des aides à l'emploi, notamment pour les TPE.
Je déplore la poursuite de la baisse des effectifs du ministère et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Dirrecte). Le programme 155 prévoit en effet une baisse de 178 postes en 2017, qui s'ajoute à celle de 192 postes cette année, ce qui empêchera les agents d'exercer pleinement leurs missions.
S'agissant de Pôle emploi, j'ai bien noté que la subvention de l'Etat sera maintenue au même niveau que cette année. Mais la CGT du Morbihan nous a indiqué que 30 à 46 % des offres d'emploi mises en ligne par Pôle emploi dans ce département étaient non-conformes : il pouvait s'agir de doublons, d'incohérences, voire d'offres mensongères. Cela montre les limites de la stratégie numérique de Pôle emploi car il n'y a plus d'agents pour contrôler le contenu des offres d'emploi avant leur publication. Nous pourrions d'ailleurs interroger M. Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, sur ce sujet lorsqu'il sera auditionné par notre commission.
M. Jean-Marie Morisset. - La hausse des crédits de 6 % des missions locales ne sera pas suffisante. Déjà confrontées à des difficultés de fonctionnement quotidien, elles devront en plus mettre en oeuvre la garantie jeunes qui sera généralisée l'an prochain sur l'ensemble du territoire. J'ajoute que M. Alain Rousset, président du conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine, soutient moins les missions locales que Mme Ségolène Royal, ancienne présidente du conseil régional de Poitou-Charentes. C'est pourquoi je souhaiterais qu'une réflexion soit menée sur les missions locales dont l'utilité est incontestable mais dont le financement n'est pas assuré.
M. Daniel Chasseing. - Je suivrai l'avis de notre rapporteur qui est un homme pragmatique. Je partage en effet ses inquiétudes sur la dette de l'Unédic. En outre, il faut effectivement que les formations financées dans le cadre du « plan 500 000 formations supplémentaires » correspondent aux besoins des bassins d'emploi.
Notre pays compte bien moins d'apprentis que l'Allemagne en raison du poids des normes et du manque de stabilité du cadre juridique. Le Gouvernement a cassé les aides, puis s'est ravisé, d'où un regain timide du nombre de contrats d'apprentissage depuis deux ans.
Cinq cents emplois pour les entreprises adaptées pour l'ensemble du territoire, c'est bien trop peu !
Il faudrait enfin un meilleur contrôle des actions de formation dont bénéficient les jeunes embauchés en emploi d'avenir.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis. - La hausse de 4,9 milliards des autorisations d'engagement pour la mission doit être relativisée car elle comprend 2 milliards de compensation de l'État à la sécurité sociale qui porte sur différents dispositifs d'exonérations de cotisations sociales ciblées, dont le plus important est celui relatif à l'emploi d'aide à domicile (1,6 milliard).
C'est exact, la masse salariale du ministère se contracte effectivement car le plafond d'emplois de la mission pour 2017 est fixé à 9 523 équivalents temps plein annuels travaillés (ETPT), en baisse de 178 ETPT par rapport à la loi de finances pour 2016, afin de contribuer aux créations d'emplois dans les secteurs jugés prioritaires par le Gouvernement comme l'éducation, la sécurité et la justice.
Il nous faut réfléchir au modèle économique des maisons de l'emploi et des missions locales car les performances de ces structures varient considérablement d'un territoire à l'autre et leur financement par les collectivités territoriales est source de tension.
Le PLF pour 2017 prévoit une enveloppe de 593 millions pour les aides au poste dans les ateliers et chantiers d'insertion. En outre, une dotation de 319 millions d'euros permettra de financer 22 500 aides au poste dans les entreprises adaptées qui emploient des personnes handicapées auxquelles s'ajoutent 500 nouvelles aides grâce à l'amendement adopté par l'Assemblée nationale.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « travail et emploi » et du compte d'affectation spéciale relatif au financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage du projet de loi de finances pour 2017.
La réunion est close à 15 h 45.