Jeudi 27 octobre 2016
-Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président-Foncier dans les outre-mer - Audition de M. Laurent Girometti, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer et au ministère du logement et de l'habitat durable et de M. Alain Joly, délégué ministériel aux outre-mer au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt
M. Thani Mohamed Soilihi, président, rapporteur coordonnateur. - Notre président, Michel Magras, exceptionnellement retenu dans son territoire, m'a demandé de le remplacer, en ma double qualité de vice-président de la délégation et de rapporteur coordonnateur de notre étude sur les enjeux et les problématiques du foncier dans les outre-mer.
Nous abordons le troisième et dernier volet de cette étude, sur les stratégies d'aménagement territorial à travers les conflits d'usage et les outils de planification, après un premier rapport d'information sur la gestion des domaines public et privé de l'État publié en juin 2015 et un deuxième volume, publié en juillet dernier, sur la sécurisation des titres fonciers. En raison de l'étroitesse du calendrier, nous ne pourrons envisager de déplacement et procéderons à une série de visioconférences pour examiner les situations locales, le 23 novembre après-midi avec la Guyane et le 24 novembre au matin avec La Réunion.
Nous sommes heureux d'accueillir M. Laurent Girometti, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages des ministères de l'environnement et du logement, ainsi que M. Alain Joly, délégué ministériel aux outre-mer au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (MAAF), accompagné de Mme Agnès Desoindre, chargée de la préservation du foncier agricole, et de M. Olivier Boucly, chargé des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER).
M. Alain Joly, délégué ministériel aux outre-mer au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Mon panorama foncier de l'agriculture dans les outre-mer se centrera notamment sur la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, pour lesquels la surface agricole utile (SAU) s'élève respectivement à 30 %, 30 % et 20 % de la superficie totale. En Guyane, 90 % des terres sont recouvertes de forêt équatoriale ; la SAU ne représente que 0,4 % de la surface totale qui couvre 85 000 kilomètres carrés ; l'État est propriétaire de 90 % des terres. La population et les activités se concentrent sur une bande littorale de 7 500 kilomètres carrés, dont 4 % utilisés par l'agriculture. À Mayotte, la surface totale agricole exploitable s'élève à 20 700 hectares, soit 55 % du territoire, dont seuls 7 100 hectares sont cultivés - soit un tiers de la surface exploitable. Phénomène important, 60 % des surfaces cultivées en ylang et en vanille ont disparu, alors que ces cultures sont prioritaires pour les aides européennes ; 8 % des exploitations pratiquent le maraîchage, sur 130 hectares.
En Martinique, la part de chaque catégorie - terres arables, prairies permanentes et plantations pérennes - oscille entre 21 et 29 % de la SAU. La part des terres arables est nettement plus importante à La Réunion, en Guyane et en Guadeloupe qu'en Martinique : elle y couvre respectivement 61 %, 44 % et 35 % de la SAU. En Guadeloupe et à La Réunion, les cultures industrielles - canne et banane - en occupent la plus grande partie. En Martinique et en Guyane, les cultures fruitières tiennent une place importante : bananeraies incluses, les vergers couvrent respectivement 21 % et 18 % de la SAU en 2016. Selon les chiffres du recensement général agricole de 2010, la SAU guyanaise s'élevait à 25 345 hectares dont 12 297 hectares de terres arables, 9 480 hectares de surfaces toujours en herbe et 3 568 hectares de vergers.
La reprise du marché du foncier agricole se confirme en Guadeloupe : les échanges de terrains sont en augmentation en 2015 de 36 % par rapport à 2014, au-dessus de la moyenne des cinq dernières années. Les prix des terres agricoles ont peu évolué : entre 5 000 et 6 000 euros par hectare pour les prairies et les terres à canne et entre 7 000 et 8 000 euros par hectare pour les vergers et autres cultures spécialisées. En Martinique, les échanges de terres ont baissé de 55 % entre 2007 et 2013, et de 5 % en 2015. À La Réunion, les prix ont augmenté pour un volume de transactions supérieur de 20 % en 2015 par rapport à 2014. La hausse des prix est plus marquée pour les terres d'élevage où elle s'élève à 13 %, pour un montant de 8 650 euros par hectare - que pour les terres à canne dont la valeur augmente de 4 %, à 11 270 euros par hectare. En Guyane, nous n'avons pas d'information sur les transactions, en raison de l'absence de SAFER et du contexte spécifique.
Afin de mobiliser le foncier pour l'agriculture, la loi du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer introduit des dispositions nouvelles propres aux établissements publics de l'État dans les départements de Guyane et de Mayotte. L'article L. 321-36-1 du code de l'urbanisme prévoit ainsi la création de deux établissements publics fonciers et d'aménagement d'État (EPFA), un décret en Conseil d'État devant préciser les conditions d'application. La même loi de 2015 a modifié l'article L. 181-49 du code rural et de la pêche maritime afin que le nouvel EPFA de Mayotte remplace l'Agence de services et de paiement (ASP) pour exercer les missions traditionnellement confiées aux SAFER et, en particulier, leur droit de préemption. L'EPFA de Guyane dispose déjà de compétences en matière de foncier agricole en application de l'article L. 181-39 du code rural. Les décrets sont en cours de rédaction. Le Conseil d'État a examiné le projet de décret relatif à l'EPFA de Guyane le 25 octobre dernier. La création de SAFER en Guyane et à Mayotte n'est pas à l'ordre du jour.
La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014 a élargi les compétences de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) aux espaces naturels et forestiers. Les CDCEA ont été remplacées par des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Des CDPENAF ont été créées en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte par le décret n° 2015-1488 du 16 novembre 2015.
Spécificité des départements d'outre-mer (DOM), les CDPENAF des DOM émettent des avis conformes qui lient le préfet. Afin d'évaluer le fonctionnement des CDCEA et les conditions de leur transformation en CDPENAF, la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture a lancé en juin 2016 une enquête auprès des services déconcentrés qui en assurent le secrétariat. En Guadeloupe, la CDCEA s'est réunie 34 fois, et a examiné 597 dossiers, dont 518 pour des permis de construire et 45 projets photovoltaïques ; la CDPENAF s'est réunie 9 fois depuis janvier 2016, afin d'examiner 103 dossiers, dont 86 de permis de construire. En Guyane, la CDCEA s'est réunie 22 fois, pour examiner 228 dossiers dont 170 de permis de construire et 41 projets photovoltaïques, tandis que la CDPENAF s'est réunie 8 fois depuis janvier 2016 pour examiner 45 dossiers dont 40 de permis de construire. En Martinique, la CDCEA s'est réunie 12 fois, pour examiner 17 dossiers dont 14 de plans locaux d'urbanisme (PLU), tandis que la CDPENAF s'est réunie deux fois sur deux dossiers. La CDCEA de La Réunion s'est réunie 12 fois pour 16 dossiers ; la CDPENAF se réunira en décembre 2016 pour la première fois. Les CDCEA et les CDPENAF de Guadeloupe et de Guyane ont très bien fonctionné si on les compare avec la moyenne nationale. La CDCEA de Mayotte n'a jamais été installée, tandis que la CDPENAF de ce département a été créée par l'arrêté préfectoral du 8 juin 2016 et installée le 15 septembre 2016.
La procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées permet d'imposer à un propriétaire une remise en valeur agricole d'un fonds par lui-même ou par un exploitant. La procédure de mobilisation des terres incultes est principalement mise en oeuvre à La Réunion. La Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) s'est récemment rapprochée de la collectivité territoriale pour rechercher les moyens de la mettre en oeuvre. Un fort potentiel existe en Martinique et en Guadeloupe, respectivement de 12 000 et 9 270 hectares de friches. Le département de La Réunion est le premier à avoir mis en place cette procédure. Instaurée dans les années 1980, le dispositif a été géré dans son intégralité par l'État jusqu'en 2007, et est mise en oeuvre depuis 2009 conjointement par le Conseil départemental et les services de la DAAF. La SAFER de La Réunion, en tant qu'opérateur foncier, apporte son ingénierie pour la mise en oeuvre opérationnelle. Depuis 2009, chaque année, en moyenne 350 hectares de terres en friches ou manifestement sous-exploitées ont été remises en culture. Malgré ces reconquêtes effectives, le gisement de friches, estimé à environ 8 000 hectares, ne se réduit pas : les surfaces mises en valeur d'un côté sont reperdues par le retour en friche d'autres parcelles. La SAU globale reste ainsi stable à 43 000 hectares.
La SAFER, pour le compte du département, recense les terres en friches et réalise l'enquête publique pour informer les propriétaires. Elle a introduit une action intermédiaire d'échange amiable qui aboutit rapidement pour les cas les plus aisés où le propriétaire veut sortir de l'état de friche. La DAAF, pour le compte de l'État, est responsable de la seconde phase pré-contentieuse sous l'égide du code rural, voire contentieuse sous l'égide du code de l'expropriation. Elle assure la mise en oeuvre des phases de mise en demeure, de fermage d'office ou d'expropriation lorsqu'aucune solution n'a été trouvée en amont.
La procédure de fermage d'office a été rarement utilisée, le risque de conflit entre le propriétaire et le fermier imposé par l'administration étant rédhibitoire. Ce dispositif réglementaire n'est employé qu'avec l'accord préalable du propriétaire afin d'annuler un bail qu'il a déjà consenti pour un fermier choisi par ses soins mais défaillant.
De 2009 à 2014, douze communes ont fait l'objet d'une enquête publique par la SAFER de La Réunion pour 2 900 hectares de friches ; 400 hectares sont toujours au stade de l'enquête publique, 500 hectares au stade de la mise en demeure, pour 2 000 hectares de retraits de la procédure pour vente, location ou remise en culture.
Quelles pourraient être les perspectives de révision de la procédure pour en accroître l'efficacité ? Première évolution, un allègement de la procédure préalable dite d'enquête publique est prévu pour la circonscrire à une simple procédure contradictoire avec le propriétaire. Deuxième piste, le fermage d'office, peu usité, devrait être mieux encadré.
Par ailleurs, il convient de relever qu'un nouveau dispositif d'incitation financière a été mis en place par le Conseil départemental de La Réunion, accordant une prime de 1 500 euros par hectare pour une location et de 3 000 euros par hectare pour une vente, acceptées par le propriétaire, afin de favoriser la médiation amiable de la SAFER.
Vous nous avez interrogés également sur les attributions de terrains du domaine privé de l'État aux agriculteurs en Guyane. Actuellement, toutes les demandes sont déposées auprès du guichet unique, le service de France Domaine. Elles sont transmises à la DAAF pour une première analyse de la localisation et de la note technico-économique. Les dossiers complets dont le projet agricole semble suffisamment solide sont présentés en Commission d'attribution foncière. Dans le meilleur des cas, un dossier déposé auprès du guichet unique de France Domaine peut faire l'objet d'un avis de la commission et d'une décision du préfet huit mois après son dépôt.
Quel bilan dresser des commissions d'attribution foncière ? La DAAF a établi un bilan détaillé. Depuis 2000, l'État a attribué 21 119 hectares en commissions d'attribution foncière pour 1 004 agriculteurs. En outre, il a transféré 10 000 hectares à l'établissement public d'aménagement de la Guyane (EPAG), qui a attribué 60 % de ces surfaces aux agriculteurs. Chaque année, 1 800 hectares de l'État et de l'EPAG ont donc été attribués à des projets agricoles, soit 27 000 hectares au total attribués à des agriculteurs entre 2000 et 2015.
Les contraintes agronomiques et topographiques imposent un modèle agricole foncier extensif en Guyane. Entre 2000 et 2015, 21 hectares ont été attribués en moyenne aux agriculteurs bénéficiaires. Les terres sont généralement prises sur les massifs forestiers. À dire d'expert, une valorisation agricole optimale est possible sur environ 40 % de ces surfaces, déduction faite des sols de mauvaise qualité agronomique, des sols humides et à forte pente. Cette surface moyenne de 21 hectares correspond donc à une valorisation potentielle de 8 hectares de SAU.
Les nouvelles installations d'agriculteurs nécessiteront systématiquement de nouvelles pistes d'accès. Une mesure du programme de développement rural de Guyane 2014-2020, dédiée à l'aménagement du foncier agricole, n'est dotée que de 10 millions d'euros, imposant une rationalisation des aménagements à programmer. Le cofinancement de l'État, par le biais du MAAF, n'est pas encore stabilisé et pourrait entraîner mécaniquement une perte de 3 millions d'euros du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), faute de contreparties nationales, grevant d'autant les possibilités d'installation d'agriculteurs sur de nouveaux espaces.
Compte tenu de la pression foncière des populations, des problèmes d'aménagement suscités par les installations sans titre et des contraintes pour répondre aux objectifs de développement du Schéma d'aménagement régional (SAR), il existe un consensus sur le besoin d'accompagnement foncier lors de l'installation de nouveaux agriculteurs. Pour cela, il faudrait accompagner chaque demandeur dans la formalisation de son projet, en lien avec les différents dispositifs d'aide et de formation - le financement du volet 2 du dispositif d'accompagnement à l'installation et à la transmission (AITA) reste à évaluer. Il serait aussi nécessaire de bénéficier d'un flux annuel d'images satellites de qualité suffisante pour développer l'observatoire du foncier.
Les nouvelles procédures devront favoriser les installations groupées d'agriculteurs plutôt que de traiter les demandes individuelles au coup par coup, afin d'optimiser le choix des parcelles en fonction du type de culture ou d'élevage des projets présentés et d'assurer un aménagement cohérent des territoires. L'analyse territoriale, en concertation avec les collectivités, sera privilégiée. En revanche, les modalités de financement de ce conseil sur le foncier, indispensable à la rationalisation des exploitations agricoles guyanaises, ne sont toujours pas actées. Un groupe de travail a été constitué autour des services de l'État - France Domaine, DAAF, Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), Office national des forêts (ONF) et préfecture - pour améliorer le traitement des attributions foncières et la connaissance du territoire, les procédures, les moyens techniques et financiers et les modes d'organisation. Des discussions sont également engagées avec la Collectivité territoriale de Guyane et la chambre d'agriculture.
M. Laurent Girometti, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer et au ministère du logement et de l'habitat durable. - Dans les DOM, les populations et les activités se concentrent sur la bande littorale. Un équilibre reste à trouver entre pression démographique, protection des espaces naturels et protection contre les risques. Nous prônons des politiques volontaristes de maîtrise de l'urbanisation. Actuellement, le processus d'urbanisation est insuffisamment contrôlé - avec des différences selon les DOM - et présente des effets déstabilisateurs pour les territoires : saturation des axes de communication, consommation d'espaces, dégradation des paysages et des milieux, artificialisation trop forte, mitage urbain... À Mayotte, l'extension de la tâche urbaine atteint 1,75 kilomètre carré par an ; à ce rythme, la surface urbanisée aura doublé d'ici 2025. En Martinique, le mitage est également important.
La pression démographique diffère d'un département à l'autre. En Guyane et à Mayotte, elle est maximale, de 3 à 4 % par an ; à La Réunion, elle est un peu moindre ; les Antilles ne sont plus dans une forte croissance démographique, mais il faut construire des logements résistant aux risques, notamment sismiques, et rénover le parc dégradé. Cela nécessite de concilier la production de logements, l'installation des activités économiques et la protection des espaces. Le ministère du logement prône des outils de planification pour maîtriser l'urbanisation et la consommation d'espaces tout en répondant aux besoins. Voilà tout l'enjeu des Schémas d'aménagement régionaux (SAR). Les SAR ont un statut différent d'un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité du territoire (SRADET) : ce sont des documents d'urbanisme prescriptifs, à l'instar du schéma directeur de la région Île-de-France. Pour des politiques raisonnées, il faut planifier et mettre en place des outils opérationnels comme l'ingénierie foncière.
La consommation d'espaces se double parfois d'un renouvellement insuffisant de zones déjà urbanisées. L'opération programmée d'amélioration de l'habitat de renouvellement urbain du centre de Pointe-à-Pitre a mis en évidence un taux de vacance de près de 15 % et 200 dents creuses. Il faut à la fois produire des logements et réinvestir les centres villes.
Le Conservatoire du littoral protège les espaces naturels de la bande littorale sous forte pression, notamment par des politiques d'acquisition et de préservation des mangroves. Ne négligeons pas l'enjeu du recul du trait de côte. Il frappera certains territoires d'outre-mer à un horizon largement supérieur aux 10 à 20 ans des outils de planification - SAR et PLU - ou aux 15 ans des projets de renouvellement urbain de l'Agence nationale pour le renouvellement urbain (ANRU). Ce recul interviendra d'ici 50 à 100 ans. Nous devons commencer à y réfléchir sérieusement, y compris dans des documents d'urbanisme. Les simulations de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre font état de projections préoccupantes de zones urbanisées qui seront demain inutilisables. Cet enjeu de modification du foncier à long terme, encore devant nous, est essentiel. Une proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, récemment déposée, introduit le concept de zones d'autorisation d'activités résilientes et temporaires ainsi que celui de bail réel littoral prenant en compte une temporalité des activités soumises au recul du trait de côte. Les enjeux financiers sont potentiellement importants.
Le ministère a une connaissance des marchés fonciers et immobiliers fortement lacunaire. En 2017, nous déploierons dans les DOM des outils de programmation pour le financement du logement social qui existent déjà en métropole : avec le ministère des outre-mer, nous étendrons les systèmes d'information Galion et Sisal aux DOM, pour une meilleure vision des coûts fonciers à l'intérieur des opérations de logement social.
Des outils fonciers opérationnels, essentiels, se mettent en place dans les différents DOM. Trois établissements publics fonciers locaux (EPFL) sont déjà implantés, même si certains sont encore récents et doivent monter en charge. L'EPFL de La Réunion a le plus fort volume d'activité. L'activité de ceux de Martinique et de Guadeloupe est beaucoup plus réduite. L'EPFL de La Réunion a réalisé, en 2015, 28,6 millions d'euros d'acquisitions - contre 35,8 millions d'euros en 2014 - alors que celui de la Martinique, en croissance, atteint 7,1 millions d'euros en 2015 - contre une activité quasi nulle en 2014. L'EPFL de Guadeloupe, créé en 2013, n'a pas encore d'activité importante.
Le décret et les conditions de création de l'EPFA de Mayotte sont en cours de finalisation. L'établissement public d'aménagement de Guyane (EPAG) existe depuis 20 ans, avec une cinquantaine d'opérations vivantes et 450 millions d'euros de plan d'affaires total. Nous soutenons le développement de cet acteur majeur via l'extension de ses missions dans le cadre du nouveau statut d'EPFA et la création d'une opération d'intérêt national (OIN). Le Conseil d'État est en train d'examiner les décrets pour l'OIN et la transformation de l'EPAG en EPFA.
Les situations des SAR sont contrastées : le SAR de Martinique est ancien, approuvé par le décret du 20 octobre 2005, avec une procédure de révision engagée puis abandonnée, sans visibilité depuis. Ce schéma vise à lutter contre le fort mitage, la consommation d'espaces et à adapter le territoire aux transitions en cours - développement des énergies renouvelables, confortement de l'armature urbaine, vieillissement de la population. Le SAR guadeloupéen, approuvé en 2011, visait à limiter l'étalement urbain et à structurer le développement multipolaire de la Guadeloupe, en reconnaissant des bassins de vie porteurs de projets de développement durable. Il structurera l'aménagement pour les prochaines années. Le SAR guyanais vient d'être approuvé le 6 juillet 2016 ; les communes doivent se l'approprier pour l'élaboration de leurs documents d'urbanisme. Le SAR de La Réunion, approuvé en 2011, est en cours de modification. Son armature est la plus solide avec un bon contrôle de l'urbanisation, bien que le territoire doive faire face à d'énormes enjeux de développement démographique, touristique et économique. Mayotte reste sur un plan d'aménagement et de développement durable antérieur à la départementalisation, dont la révision est engagée, avec des contraintes extrêmement fortes.
Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) existent dans les DOM, mais sont très différents de ceux de la métropole. En métropole, les SRADET ne sont pas prescriptifs et ont une taille plus importante ; les SCOT de l'Hexagone couvrent plusieurs intercommunalités et des bassins d'emplois qui s'élargissent, tandis que ceux d'outre-mer sont d'échelle plus réduite. La Réunion est couverte par quatre SCOT approuvés, la Martinique par trois, la Guyane et la Guadeloupe par un seul - sur quatre communes en Guadeloupe. La taille des SCOT dans les DOM ressemble plus à celle des PLU intercommunaux en métropole. Les documents d'urbanisme d'échelle plus fine - PLU et cartes communales - permettent d'assurer un fort taux de couverture des outre-mer mais ils sont aussi plus anciens, avec des plans d'occupation des sols (POS) en cours de révision et des PLU intercommunaux embryonnaires. Ces échelles d'intervention ont vocation à évoluer. La réforme des PLU de 2015 devrait améliorer la qualité des documents et mieux les adapter aux enjeux des territoires. Le décret sur les PLU de 2015 permettra d'avoir des zones dont le règlement n'est pas défini immédiatement ; des zones sans enjeux sur une partie du document d'urbanisme pourront rester soumises au règlement national d'urbanisme ; des règles d'orientation, d'aménagement et de programmation pourront ne pas être trop définies initialement afin que le projet puisse se développer.
Nous sommes face à un véritable enjeu d'élaboration de PLU de nouvelle génération pour les DOM, ce qui renvoie à la question de la présence inégale, selon les DOM, d'une ingénierie de qualité : en Guadeloupe, un seul bureau d'étude est habilité à produire des documents d'urbanisme ! À Mayotte, les PLU ont été faits un peu rapidement et sont souvent copiés-collés les uns sur les autres... Bref, l'État devra apporter son appui.
M. Antoine Karam, rapporteur. - La diversité des outre-mer est considérable : territoriale, climatique, géographique, végétale. Elle induit des disparités. Certains territoires font moins de 500 kilomètres carrés, et la Guyane a la superficie de l'Autriche ! Mais la couverture végétale y est telle qu'on n'y dégagera jamais tout le foncier nécessaire, et ce territoire restera éternellement sous cloche, tel une belle au bois dormant. Les combats se mènent désormais au niveau politique, qui est le seul auquel la règle du jeu peut être transformée. La situation est explosive : occupants sans titre, squatters... Il y aura en fin d'année 10 000 migrants clandestins de plus en Guyane, soit, avec leurs familles, plus de 20 000 personnes. On met un terme à la jungle de Calais, mais chez nous les déboutés du droit d'asile se fondent dans la nature, et on les retrouve installés sur les terrains inoccupés, ce qui posera de gros problèmes à l'avenir. Il y a urgence. La question foncière est récurrente et sensible dans nos territoires. N'oublions pas qu'elle a été la source d'affrontements violents en Nouvelle-Calédonie.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur le foncier agricole ? La culture de la canne semble en croissance, celle de la vanille en diminution. Comment évolue l'implantation de ces productions ? À La Réunion, une action significative de reconquête des friches - 350 hectares par an - n'empêche pas que des terres soient concomitamment abandonnées. Où la canne y est-elle cultivée ? Sur quelle surface moyenne par producteur ? Les prix du foncier sont impressionnants : 5 000 à 6 000 euros pour de la prairie, jusqu'à 11 000 euros pour de la canne. Il faudrait rapporter ces prix à la valeur des productions qui en sont tirées... En Guyane, la reconquête agricole nécessite de restructurer la desserte.
L'urbanisation impose d'importants investissements pour relancer des dynamiques locales de rénovation de l'habitat dégradé qui diminueraient la pression foncière. À La Réunion, comment expliquez-vous la baisse des chiffres d'activité de l'EPF ?
Il n'est pas forcément mauvais que la dimension des SCOT soit réduite, car les acteurs de terrain se les approprient mieux. Peut-on imaginer une plus grande collaboration entre ces SCOT ? Cela accroîtrait la cohérence des territoires.
M. Thani Mohamed Soilihi, président, rapporteur coordonnateur. - À Mayotte, il était curieux de lire qu'on avait enfin démantelé le plus grand bidonville de France alors que c'est celui de Kawéni ! Et le deuxième plus grand bidonville n'est pas non plus Calais, mais doit être cherché en Guyane ! L'immigration clandestine pose d'énormes problèmes. La population clandestine à Mayotte, qui ne fait que 374 kilomètres carrés, est au moins de 40 %. Vous évoquez l'ingénierie : nos territoires n'ont-ils pas été laissés pour compte ? La décentralisation à Mayotte ne date que de 2004 et elle n'a pas été préparée. Un véritable choc institutionnel a suivi au cours des dix années suivantes, puisque nous avons essuyé toutes sortes de réformes. Il est temps de faire une pause et de réfléchir à l'accompagnement de l'État, qui a fait cruellement défaut.
M. Laurent Girometti. - Oui, la dynamique locale d'accompagnement dans l'habitat dégradé a un impact sur la pression foncière. L'ANRU tient compte de cet enjeu dans ses zones d'intervention, et davantage dans le PNRU 2 que dans le PNRU 1. La loi Letchimy est encore peu appliquée et les moyens d'ingénierie ou d'investissement manquent. J'ignore les raisons de la baisse d'activité de l'EPF local de La Réunion, sensible aussi dans le volume des cessions.
Le problème des inter-SCOT est que, dans ces départements, ils atteignent rapidement l'échelle du SAR. Pour gérer un programme qui affecte des effectifs dans les DEAL, je puis vous dire que les outre-mer ont été protégés des baisses d'effectifs. Ce sont les seuls territoires où nous réalisons encore de la conduite d'opération sur des bâtiments publics - c'est à cette fin que nous renforçons la DEAL de Mayotte de deux équivalents temps plein. Mais je comprends que cet accompagnement puisse être jugé insuffisant. Les EPF doivent prendre le relais quand c'est possible. À Mayotte, les besoins sont énormes mais il faudra quelques années à l'EPFA pour monter en charge.
M. Thani Mohamed Soilihi, président, rapporteur coordonnateur. - En réalité, ma question portait moins sur les moyens que sur le problème politique posé par le fait que l'État n'a pas préparé la décentralisation à Mayotte.
M. Maurice Antiste. - Pourriez-vous nous faire une synthèse du niveau de gestion du foncier outre-mer, par rapport à la métropole ?
M. Félix Desplan. - Les centre-bourgs sont très dégradés dans les DOM. L'indivision pose des problèmes non résolus. Avons-nous trouvé un outil réglementaire ou législatif pour régler ces questions ?
M. Guillaume Arnell. - Saint-Martin est un territoire exigu où la question agricole est quasiment inexistante, malgré un timide regain d'intérêt pour l'élevage. L'élaboration d'un PLU s'est néanmoins heurtée à des difficultés. La pression foncière est considérable pour l'habitat. Comme en Guyane ou à Mayotte, une forte immigration crée un besoin énorme de logements. Mais c'est un cycle sans fin : la construction de logements crée un appel d'air, qui augmente les besoins... Et il faut également aménager la voirie ! Deuxième difficulté : le télescopage entre la loi littoral et la loi montagne, qui réduisent les marges de manoeuvre au regard de la topographie particulière de l'île. Les zones constructibles sont très souvent concernées par un plan de prévention des risques naturels (PPRN). Comment expliquer à la population que la construction soit désormais interdite là où il y a déjà de l'habitat, et fort dense ? Les élus locaux se retrouvent en conflit avec l'État, alors qu'il faudrait pacifier l'atmosphère. Troisième difficulté : l'épineuse question de la zone des cinquante pas géométriques et du domaine public maritime. Le Conservatoire du littoral contrôle mais ne met pas en valeur. La réserve naturelle de Saint-Martin a une vision encore plus restrictive. Une forte tension en résulte, et le PLU est bloqué à l'étape de l'enquête publique. Nous en revenons donc au POS, qui fait l'objet de nombreuses demandes de révision simplifiée. Bref, le foncier est un enjeu majeur pour ce territoire, qui n'a rien d'autre à offrir à la commande publique que de la construction. Les élus locaux doivent pouvoir préparer son avenir.
Mme Lana Tetuanui. - Je n'ai pas entendu évoquer la Polynésie française, ni l'océan Pacifique, pourtant nous sommes chaque année élus champions du monde de la vanille au salon de l'agriculture ! Suite aux travaux du Sénat, nous avons commencé à faire des propositions pour résoudre le problème de l'indivision. Il est vrai que le statut de notre collectivité lui donne compétence sur le foncier et l'habitat. Nous n'en avons pas moins besoin des bailleurs de fonds de l'État, comme la CDC ou l'AFD.
M. Robert Laufoaulu. - La situation est confuse en matière de conflits d'usage et de planification du foncier. Pourriez-vous nous en recenser les grands enjeux en outre-mer par rapport à l'Hexagone ?
M. Félix Desplan. - Quel est l'avenir des PPRN ? Leurs conséquences ne sont pas toujours heureuses, et en Guadeloupe, il est question de les réviser. Là où le foncier est rare, ils posent problème. Certes, il ne faut pas faire fi des risques. Mais quand il y a déjà des habitations, que faire ? L'État peut-il proposer des solutions ?
M. Laurent Girometti. - Des réflexions sont en cours sur les PPRN et leur impact sur l'urbanisme. Je ne saurais vous répondre précisément sur le niveau de gestion du foncier. J'espère que nous parviendrons à une certaine égalité avec la métropole. La différence principale me semble être l'importance des installations informelles. Sur l'indivision, sans doute faudrait-il interroger les notaires.
Quant à la pression imposée par la gestion des risques, elle appelle des innovations. C'est souvent ainsi qu'on sort des conciliations apparemment impossibles. Des ateliers pourraient réunir les meilleurs experts afin d'imaginer des solutions. La CDC y travaille, qui a lancé les « Lab-cdc » pour faire émerger des opérations innovantes - dont certaines concernent l'outre-mer. La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a mis en place un permis de faire qui autorise les maîtres d'ouvrage à proposer des opérations qui ne respectent pas forcément la lettre mais l'esprit de la réglementation. Bref, les mécanismes d'innovation devraient être développés outre-mer. Le ministère du logement consacre des moyens à l'expérimentation, mais il n'est pas compétent pour proposer des projets outre-mer. Peut-être le ministère des outre-mer devrait-il financer l'équivalent, par exemple sur la ligne budgétaire unique (LBU) ? Quant à la Polynésie française, la répartition des compétences y est très différente, en effet.
M. Félix Desplan. - En tant que rapporteur de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNÉPÉOM), je viens de terminer un travail sur la politique du logement. Pourquoi la LBU n'est-elle calculée qu'au prorata de la population ? Il faut prendre en compte le besoin réel du territoire, qui peut être très étendu et présenter des enjeux très spécifiques.
M. Laurent Girometti. - La DHUP n'a pas son mot à dire sur les critères de répartition de la LBU qui est du ressort du ministère des outre-mer, et se contente d'allouer les crédits du programme 135 dans la métropole. Nous sommes ouverts à des échanges avec la DGOM.
M. Thani Mohamed Soilihi, président, rapporteur coordonnateur. - Nous vous remercions pour votre contribution à nos travaux.