Jeudi 13 octobre 2016
- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe -La réunion est ouverte à 12 heures 30.
Examen du rapport
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport de notre collègue Daniel Percheron. Vous en avez sans doute déjà pris connaissance. Son contenu donnera lieu, je le crois, à une discussion nourrie.
La constitution de la mission dans les dernières semaines de la session ordinaire 2015-2016, le 31 mai 2016 plus précisément, nous a conduits à réaliser nos travaux dans des délais très resserrés entre juin et septembre 2016. Malgré tout, nous avons pu réaliser quarante-trois auditions ou entretiens en formation plénière ou en formation « président-rapporteur », toutes ouvertes à la presse et au public, ou encore à l'occasion de déplacements. Ces travaux nous auront permis d'entendre quatre-vingt-dix-neuf personnes et d'entreprendre deux déplacements d'une délégation de quatre membres en Finlande puis aux Pays-Bas. Nous avons également reçu une quarantaine de contributions d'internautes par le biais du site participatif ouvert à cet effet sur les pages internet de la mission.
En trois mois, nous aurons eu la possibilité d'écouter un large panel d'intervenants : des promoteurs du revenu de base avec des philosophies parfois très différentes, voire inconciliables ; des personnalités comme MM. Lionel Stoleru et Martin Hirsch - nous n'avons malheureusement pas pu entendre Michel Rocard, pour les raisons que chacun connaît -, qui militent pour qu'un filet de sécurité réel soit mis en place dans notre société, afin d'empêcher nos concitoyens de tomber dans un complet dénuement, ou comme Louis Gallois et Philippe Vasseur ; des think tanks, comme Génération libre et l'IFRAP ; des économistes, avec les professeurs Daniel Cohen et Yannick L'Horty ; des représentants du patronat et des salariés ; des représentants des organisations et instances de lutte contre l'exclusion ; enfin, des représentants de différentes administrations, comme la direction générale du Trésor, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, la direction générale de la cohésion sociale et la direction de la législation fiscale.
En outre, les deux déplacements en Finlande et aux Pays-Bas nous ont permis de puiser les informations là où elles étaient, malgré le peu de temps dont nous disposions. Nous avons essayé de ne laisser aucun aspect du revenu de base dans l'ombre.
Dans ces pays, contrairement à ce qu'on laissait entendre, aucune expérimentation n'a été engagée à ce jour. Des projets techniquement avancés, notamment en Finlande, sont certes sur la table, mais aucun d'entre eux n'a reçu un début d'exécution. Par ailleurs, aucun de ces projets d'expérimentation ne prévoit de tester un réel revenu de base, c'est-à-dire un versement à caractère inconditionnel et universel.
Ce que nos travaux d'audition ont permis de faire apparaître avec clarté, c'est que la notion de revenu de base est utilisée bien souvent pour rassembler et caractériser des dispositifs qui ne présentent parfois aucun caractère inconditionnel et universel. C'est une notion tellement séduisante qu'elle est d'ailleurs souvent confondue, d'une façon parfois loin d'être involontaire, avec un « revenu social minimum garanti », ce qui n'est pas la même chose, puisque le versement d'un tel revenu dépend de conditions de ressources.
Du reste, même lorsqu'on parle effectivement d'un revenu inconditionnel et universel, la plasticité du concept est telle qu'il permet d'englober une multiplicité d'objectifs, parfois inconciliables entre eux, qui se traduisent par des modalités de mise en oeuvre très variables.
À cet égard, je crois pouvoir dire que l'étude que nous avons menée ensemble est pionnière, puisqu'elle est la première étude de cette ampleur conduite par une autorité constitutionnelle. C'est l'un des mérites de l'initiative du groupe socialiste et républicain, comme de l'initiative antérieure de notre collègue Jean Desessard, que de nous avoir conduits à nous intéresser à ce vaste sujet, qui soulève des questions de philosophie politique, de sociologie, d'économie et de finances publiques, que peu de thèmes permettent d'aborder en même temps.
Le rapporteur vous présentera sa démarche dans un instant. Avant de lui laisser la parole, je souhaite néanmoins préciser que nous avons eu, lui et moi, de nombreux échanges sur la façon la plus pertinente de rendre compte de la richesse des auditions et entretiens que nous avons menés et sur les conclusions qu'il y avait lieu d'en tirer. Nous nous sommes rejoints sans difficulté pour porter un regard pragmatique sur le revenu de base, loin des présupposés idéologiques et philosophiques qui biaisent souvent le débat. C'est la raison pour laquelle je peux d'ores et déjà vous dire que les développements du rapport et les recommandations qu'il propose recueillent ma pleine approbation.
La parole est désormais au rapporteur, après quoi, mes chers collègues, j'inviterai chacun d'entre vous à s'exprimer de manière générale sur nos travaux et sur la démarche retenue. Dans un dernier temps, nous passerons à l'examen des demandes de modification du rapport.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je tâcherai d'être bref.
Après la résolution du « père » du revenu universel au Sénat, Jean Desessard, le rapport qui vous est proposé se caractérise par un indiscutable parti pris de synthèse. Comme l'a dit notre président, nous avons cherché à synthétiser les enjeux autour du fameux revenu universel « à la française ».
Le titre du rapport que nous allons proposer - « De l'utopie à l'expérimentation » - résume bien notre démarche, tant le revenu universel apparaît comme une utopie dans le débat politique actuel, en France et au-delà de nos frontières.
À partir de cette utopie, nous nous sommes confrontés au terrain et à la réalité des expérimentations, afin de comprendre comment elles prenaient en compte la grande et belle idée d'un revenu universel versé à chaque citoyen, éventuellement de la naissance jusqu'à la mort, pour lui permettre de faire face à la pauvreté, aux aléas de la vie et aux mutations de la société, bref pour l'accompagner.
Nous avons écouté des personnalités tout à fait remarquables et éloquentes, qu'elles soient favorables à l'idée de revenu universel, comme le professeur Philippe Van Parijs ou Gaspard Koenig, ou qu'elles soient sceptiques, réservées, voire opposées au dispositif.
Nous avons rencontré cette opposition sincère et structurée chez les représentants de grands syndicats de salariés et d'associations de lutte contre l'exclusion. Le rôle du travail dans la société, la dignité grâce au travail, l'organisation de la société autour du travail ont été au coeur de la réflexion menée par ces opposants et au coeur de leurs hésitations. Les grandes associations caritatives semblaient, elles aussi, être obsédées par la dignité, à juste titre d'ailleurs, puisque le travail, c'est la dignité et l'épanouissement. Avant de verser un revenu universel, ces représentants nous ont dit qu'il fallait réfléchir aux incidences d'un tel dispositif et à ce vers quoi nous tendons.
Le président et moi-même n'avons pas eu de sujet de désaccord au cours de ces trois mois. Pour la première fois dans un parlement, notre objectif était de « bricoler » une réponse à cette interrogation : le revenu de base, le revenu universel ou inconditionnel est-il la solution à l'évolution actuelle du monde, à la mondialisation et aux inquiétudes qu'elle engendre ? Le président et moi-même avons souvent été sur la même ligne, et ce n'est pas un hasard ! Nous venons en effet tous les deux d'un département martyrisé par la fin de la révolution industrielle, le Pas-de-Calais, et même du bassin minier, où le mouvement ouvrier, parfois le marxisme, et le christianisme social ont, pendant plus d'un siècle, envisagé de répondre aux effets des révolutions industrielles par le progrès social, la mutualisation et la solidarité. Aujourd'hui, cette réponse se heurte aux grandes mutations que vit notre pays.
Ce qui me frappe de plus en plus, c'est la convergence des analyses sur la désindustrialisation. Aux États-Unis, les échanges commerciaux avec la Chine détruisent des millions d'emplois industriels. Vous me direz que les États-Unis sont proches du plein emploi. Certes, mais les régions industrielles qui meurent ont beaucoup de mal à renaître. On ne peut comprendre la trajectoire de Donald Trump que si l'on a à l'esprit les déséquilibres causés par la désindustrialisation et les échanges internationaux. En France, il en est également question. Il n'y a qu'à ouvrir le dernier livre de François Lenglet, dans lequel il est question du nord-est de la France et de cette France désindustrialisée. Les mêmes thèmes sont présents partout.
Nous sommes au coeur de ce que nous qualifierons, pour simplifier, la « demande de protection » que nous adressent ceux que l'on appelle désormais les milieux populaires. C'est d'autant plus important que la mondialisation accroît l'écart entre les métropoles où sont produites les richesses et les territoires désindustrialisés, voire les territoires périphériques. Aussi cette dimension doit-elle faire partie de la réflexion sur le revenu de base.
M. Lionel Stoleru, le père du RMI, grand commis de l'État devenu ministre, a fait preuve d'une grande clarté lors de son audition : le revenu universel, c'est avant tout le refus de la pauvreté et des 14 % de Français qui se situent sous le seuil de pauvreté. Il s'est montré très convaincant grâce aux chiffres et aux arguments qu'il a présentés.
M. Philippe Vasseur, homme de synthèse à lui seul en tant que chef d'entreprise, député, ancien ministre de l'agriculture et père du World Forum de Lille, a affirmé qu'il ne voyait pas comment on pourrait échapper à la mise en place d'une forme de revenu de base dans les vingt années à venir, compte tenu des mutations causées par l'économie numérique. Il l'a évidemment énoncé avec beaucoup de prudence, nous renvoyant au rapport et aux modalités concrètes de mise en oeuvre du dispositif.
M. Jean Pisani-Ferry, quant à lui, a déclaré qu'il ne fallait pas surestimer la mutation numérique, mais que le processus de destruction créatrice décrit par Joseph Schumpeter ne se vérifiait plus dans l'économie de transition qui caractérise les pays développés aujourd'hui. Il y aurait désormais davantage d'emplois détruits que d'emplois créés. Il faut donc penser à ce besoin de protection exprimé par les populations.
Ensuite, nous avons souhaité observer les pratiques étrangères qui mêlent culture de gouvernement et utopie, culture de gouvernement et revenu universel, culture de gouvernement et expérimentation.
Nous nous sommes donc rendus en Finlande, pays référence du modèle scandinave, même si les difficultés de l'entreprise Nokia et la fin de la rente forestière ont fait croître le taux de chômage à 8 %. Nous avons entendu plusieurs des membres des partis du gouvernement de coalition. Tout d'abord pendant la campagne électorale, puis dans l'exercice du pouvoir, le gouvernement finlandais a promis à sa population de mettre en place un revenu universel pour tous. La Finlande est un pays qui compte 1,5 million de syndiqués pour 5,5 millions d'habitants.
Le revenu de base n'est pourtant pas proposé par les tenants du modèle scandinave, notamment les sociaux-démocrates, mais par la coalition au pouvoir, formé en particulier du centre et des conservateurs. Le gouvernement finlandais formule donc cette proposition hors du cadre politique traditionnel, avec une prudence et une volonté de maîtrise tout à fait impressionnantes. L'expérimentation doit porter sur un échantillon de 2 000 individus, parmi les plus éloignés de l'emploi, que l'on va tirer au sort et accompagner pour retrouver l'emploi. L'objectif affiché en Finlande est d'atteindre un taux d'emploi de 72 %, proche du taux de 73 % observé en Suède.
Sécurité sociale, comité de pilotage, comité scientifique, tout est prévu pour que l'expérience soit maîtrisée. Surtout, rien n'empêche le gouvernement finlandais d'élargir par la suite l'échantillon retenu et les publics ciblés. Ce gouvernement a l'obsession d'orienter les citoyens vers l'emploi et de faire en sorte que les prestations sociales soient cumulables avec ce revenu de base non imposable pour les personnes qui reprennent une activité à temps partiel ou à temps plein. Le but de l'expérimentation dans ce pays est de sortir du sous-emploi et des trappes à inactivité.
Nous nous sommes également déplacés aux Pays-Bas, à la fois pour rencontrer le père de la proposition d'un revenu universel dans ce pays et pour comprendre la réticence du gouvernement face à cette idée. Les Pays-Bas offrent l'exemple d'un modèle décentralisé : c'est la commune qui assure la sécurité sociale des citoyens. Nous nous sommes rendus à Utrecht, ville riche et dynamique de 350 000 habitants, avec 60 % d'emplois qualifiés, une université ambitieuse et un taux de chômage compris entre 7 et 8 %. Cette ville veut obtenir l'autorisation de mettre en place son propre revenu de base. L'expérimentation porte là-bas sur 500 personnes avec pour cible les individus les plus éloignés de l'emploi qui bénéficient du minimum social. L'expérimentation se veut diversifiée : un groupe de 100 personnes reçoit l'aide sans aucune contrainte, d'autres groupes de 100 personnes voient leur aide conditionnée à l'exercice de certaines activités, selon des modalités différentes. Quatre groupes distincts ont ainsi été créés pour promouvoir la diversité dans l'expérimentation. Les 500 membres de l'échantillon choisis parmi les 9 000 bénéficiaires de minima sociaux que compte la ville perçoivent une allocation comprise entre 125 et 190 euros, selon qu'elle est destinée à un individu ou à un ménage.
Au vu de ces expériences, nous sommes revenus avec quelques certitudes.
Pouvons-nous et devons-nous mener une expérimentation ? Oui, nous devons expérimenter le revenu de base « à la française ». Les auditions nous ont amenés à répondre à une première exigence : l'élaboration de l'expérimentation et son évaluation doivent s'inscrire dans une démarche de rigueur absolue.
Nous avons auditionné un professeur de faculté, M. L'Horty, qui nous a convaincus du fait que l'échec du RSA était lié à la décision d'arrêter l'expérience au bout de dix-huit mois. Les experts que nous avons rencontrés nous ont conseillé de lancer une expérimentation sur trois ans.
Nous sommes également convaincus de la nécessité de mettre en place un comité de pilotage et un comité scientifique totalement indépendant. Sur ce point, nous avons eu la chance d'entendre le retour d'expérience de M. Louis Gallois, homme de synthèse lui aussi, grand serviteur de l'État, indiscutable et indiscuté, mais aussi ancien patron d'Airbus. Il nous a entretenus des territoires « zéro chômeur de longue durée », expérimentation qui se fonde sur le volontariat des territoires et sur quelques postulats : il existe du travail pour tous et tout le monde est employable, à condition qu'on aille chercher chacun et qu'on l'accompagne vers le travail. Nous avons senti qu'une expérimentation menée de cette manière pour le revenu de base serait indiscutable.
S'agissant de la taille de l'échantillon, nous pourrions envisager de transposer l'expérience finlandaise en France : là-bas, l'expérimentation porte sur 2 000 personnes, ce qui correspondrait en France, si l'on restait dans les mêmes proportions, à un échantillon de 25 000 ou 30 000 individus.
L'échelon territorial légitime pour conduire l'expérimentation nous semble être le département. Nous espérons que la simplification engagée par M. Christophe Sirugue et la traçabilité du modèle social français accompagneront la mise en oeuvre du revenu universel.
Cela étant, nous sommes conscients qu'un encadrement global de l'expérience est nécessaire. Nous avons bien vu aux Pays-Bas ou en Finlande que la contrepartie au versement du revenu de base repose sur le retour à l'emploi ou sur la formation qui prépare à l'emploi.
S'agissant du montant du revenu de base, nous sommes tous d'accord pour envisager le versement de 500 euros, montant équivalent à celui du RSA. Nous considérons à ce sujet que c'est à l'État de financer intégralement cette réforme, en sollicitant éventuellement une aide de l'Europe. Les Néerlandais envisagent une dépense de 150 millions d'euros par an, budget qui semble supportable aujourd'hui dans notre pays, surtout dans cette période préélectorale. Il est d'ailleurs remarquable d'entendre certains candidats à l'élection présidentielle, toutes familles politiques confondues, parler du revenu universel.
Deux ou trois pistes ont été esquissées sans que nous les développions.
Personnellement, j'ai été impressionné par le raisonnement de M. Jean Pisani-Ferry sur le besoin de protection et de sécurisation des parcours professionnels. Nous devrions peut-être songer à inclure le revenu de base dans le compte personnel d'activité, le CPA. C'est un point de vue personnel : le revenu de base ne serait plus un dû, mais un droit. J'imagine un droit de tirage de cinq ou six ans, auquel on pourrait avoir recours tout au long de la vie pour accompagner les ruptures, les transitions ou certaines décisions. Inscrire le revenu de base au coeur du CPA, c'est remettre ce revenu à sa juste place, alors que nous sommes sous la menace d'un débat où le revenu de base serait au service de l'assistanat, de la paresse et de la poésie, et non du labeur, de la richesse collective et de l'intérêt du pays.
Si le revenu de base devenait un droit partiel et limité dans le temps, le coût de sa mise en oeuvre, évalué à 330 milliards d'euros par la Fondation Jean-Jaurès dans le cas où il s'agirait d'un revenu réellement universel qui engloberait l'ensemble des prestations sociales versées, serait divisé par huit ou neuf. Son coût ne représenterait alors que 1,5 ou 2 % du PIB, soit à peu près la dépense consacrée aujourd'hui à la formation professionnelle...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Cette piste mérite d'être explorée.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Les défenseurs du revenu de base sont impressionnants, mais pas tout à fait à l'heure française. Ils considèrent, en effet, que c'est à l'impôt de jouer le rôle de régulateur. Le revenu de base est imposable. En conséquence, ceux qui ne sont pas imposables perçoivent l'intégralité de l'aide, 6 000 euros de revenus par an ne rendant pas redevable de l'impôt sur le revenu. Quant aux autres, comme ils paient des impôts, ils ne toucheront qu'une part de ce revenu, voire pas de revenu du tout si leur impôt excède ce montant. En somme, les classes moyennes supérieures et les millionnaires ne percevront pas de revenu de base, quand les pauvres auront la garantie de le toucher. Reste un problème : l'impôt sur le revenu en France représente une part minoritaire des ressources du pays, à savoir 3,5 % du PIB contre 8 à 9 % du PIB dans les autres pays industrialisés. En outre, 57 % des Français n'y sont pas assujettis.
Faire de l'impôt sur le revenu le régulateur du revenu de base, c'est appeler à une profonde évolution de notre fiscalité - la retenue à la source annonce d'ailleurs une telle perspective - avec tous les aléas créés par le débat sur la fiscalité à la française. L'impôt sur le revenu peut difficilement être considéré comme le véhicule idéal pour assurer le financement indolore et équitable du revenu de base. Cela étant, pourquoi pas ? Le revenu de base pourrait être l'une des pistes permettant de faire évoluer la fiscalité française.
Pour conclure, j'ajouterai que notre président souhaiterait se concentrer sur deux cibles particulières : les personnes dont l'âge est compris entre 50 et 55 ans, qui ont parfois du mal à atteindre la retraite sans encombre, et les jeunes qui ont entre 18 et 25 ans, car ces derniers ne bénéficient pas du filet de la protection sociale. Au fond, comme le montre M. Lenglet, avec une simplicité excessive, dans son dernier livre, l'euro est la monnaie de la rente, la monnaie créée par des vieux pour les vieux ! D'une certaine façon, la génération des papy boomers a commis le hold-up parfait, profitant des Trente Glorieuses mais laissant le soin à la génération à venir de régler l'addition. Les jeunes doivent être une cible privilégiée, je le répète. Dans l'arrondissement de Lens, 45 % des jeunes de 18 à 25 ans sont au chômage. Or c'est l'arrondissement qui a le plus voté en faveur du parti de Mme Marine Le Pen aux dernières élections régionales.
Telle est la démarche que nous avons suivie et les quelques recommandations que nous présentons dans le rapport.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur. Vous avez présenté nos ambitions communes avec talent et une pointe de lyrisme.
Mes chers collègues, vous devez avoir eu connaissance des recommandations figurant dans le rapport. Je suis sûr que nous les partageons sur l'essentiel. Notre mission était avant tout d'informer. C'est ce que nous avons fait, puisque nous nous sommes efforcés de dresser un panorama général de ce qu'est le revenu de base aujourd'hui en Europe et même dans le monde, et de formuler des propositions sur ce qu'il est envisageable de mettre en oeuvre dans le contexte français. Nous avons mis l'accent sur les changements possibles, notamment en matière fiscale, et proposons une expérimentation, dont les modalités peuvent être discutées. Quoi qu'il en soit, nous nous en remettrons à un comité de pilotage et à un comité scientifique pour en définir les contours. Nous nous sommes en revanche accordés sur un point : si l'expérimentation se met en place, il faudra fixer des objectifs clairs pour parvenir à une évaluation correcte du dispositif retenu. Il ne s'agit donc pas de partir à l'aventure. Il est important que nous puissions nous accorder sur les recommandations figurant à la fin de ce rapport. C'est pourquoi je vous invite maintenant à vous exprimer.
M. Jean Desessard. - J'ai lu votre rapport avec attention et ai quelques questions techniques à vous poser avant que nous ne passions au débat politique à proprement parler.
Premièrement, s'agissant de l'expérience menée à Utrecht, je ne comprends pas la différence que vous faites entre deux des quatre groupes tests créés au sein de l'échantillon. Le deuxième groupe test recevrait un revenu « à la condition d'exercer l'une des activités qui lui seraient proposées par la ville ». Le troisième groupe test percevrait automatiquement ce même revenu, « mais le perdrait s'il n'exerçait pas l'une des activités proposées par la ville ».
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Les élus d'Utrecht ont choisi de mettre en place une expérimentation diversifiée : ils ont créé des groupes tests qui bénéficieront de l'allocation de 125 euros selon des modalités différentes. Certaines personnes la percevront sans avoir à respecter de conditions particulières, d'autres n'en bénéficieront que s'ils exercent telle ou telle activité...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - En réalité, les Néerlandais cherchent à tester la réaction des personnes en fonction des contraintes auxquelles elles doivent faire face.
M. Jean Desessard. - Sincèrement, je ne vois pas de différence entre les deux groupes tests dont je viens de parler
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il existe pourtant une différence. L'un des groupes perçoit automatiquement un complément de revenu qu'on lui reprend en cas de problème. L'autre groupe ne reçoit cette allocation que s'il exerce une activité.
M. Jean Desessard. - Évoquant l'expérimentation territoriale introduite par la loi du 29 février 2016, notre rapporteur écrit que « la création de ce type de dispositifs spécifiques constitue un aveu de l'échec des dispositifs généralistes ». Je trouve que cette phrase est ambigüe, notamment parce que les minima sociaux sont justement des dispositifs destinés à répondre à des besoins spécifiques.
Enfin, vous écrivez que « la proportion de chômeurs au sens du Bureau international du travail depuis un an ou plus a atteint 43,5 % au premier semestre 2016 ». À quel échantillon s'applique ce taux ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est simple : 43,5 % des chômeurs sont des chômeurs de longue durée. Il conviendrait peut-être de le préciser plus clairement.
M. Michel Amiel. - Au-delà de toute considération politique et des présupposés idéologiques et philosophiques habituels, je voudrais vous poser une question de méthodologie au sujet de l'expérimentation que vous envisagez de mettre en place. Même si les sciences sociales ne sont pas tout à fait des sciences exactes, cette méthode a-t-elle été validée par des mathématiciens spécialisés en sciences sociales ? Si je pose cette question, c'est que la lecture récente d'un ouvrage de M. Louis Chauvel, intitulé La Spirale du déclassement, m'a replongé dans des considérations mathématiques que j'avais complètement oubliées.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - C'est la raison pour laquelle nous prévoyons de faire valider le dispositif par un comité scientifique.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Que voudriez-vous exactement ?
M. Michel Amiel. - On pourrait imaginer que des statisticiens de l'École des hautes études en sciences sociales se penchent sur la question.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous avons auditionné le professeur L'Horty, un homme de bon sens, qui connaît bien le sujet en tant qu'économiste et statisticien. Il nous a livré un certain nombre de conseils, tout comme l'ont fait les représentants des think tanks auditionnés. On nous a mis en garde contre les écueils à éviter. Nous sommes prudents et conscients du fait que l'expérimentation doit se dérouler dans de bonnes conditions. C'est pourquoi nous proposons que l'expérimentation soit menée scientifiquement, que les évaluateurs soient ceux qui choisissent les territoires tests et que ce choix ne résulte pas d'une quelconque influence politique ou du copinage. M. Louis Gallois nous a également mis en garde à ce sujet. Rassurez-vous, monsieur Amiel, votre remarque dans le rapport est bien prise en considération dans le rapport.
M. Michel Amiel. - La notion de randomisation est importante en matière statistique. Retenir un échantillon de 20 000 ou de 30 000 personnes ne me paraît pas forcément très représentatif, sans compter qu'il faut pouvoir tester ensuite les résultats obtenus sur un échantillon d'une taille équivalente.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Vous avez parfaitement raison. Si nous avons choisi un échantillon de cette taille, c'est aussi pour des raisons budgétaires. On pourrait aller plus loin, prendre un échantillon plus large, car cela nous donnerait davantage de certitudes, mais cela coûterait aussi davantage que les 150 millions d'euros dont nous avons parlé tout à l'heure. En tout cas, il ne nous appartient pas de définir les conditions scientifiques de l'expérimentation.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Si j'ai bien compris le rapport, vous proposez une expérimentation avec trois options possibles : la première permettrait à un individu de percevoir une allocation de manière inconditionnelle ; la deuxième prévoit le versement inconditionnel de l'allocation, mais assorti d'une obligation de l'utiliser à des fins ciblées ; enfin, la troisième conditionne le versement du revenu au respect d'une obligation spécifique.
S'agissant des populations ciblées, envisagez-vous de retenir le critère de la précarité et de la fragilité sociale en plus du critère de l'âge ? En d'autres termes, souhaitez-vous réserver le dispositif aux pauvres ou préféreriez-vous, au contraire, jouer la carte de l'élargissement du dispositif ? Aujourd'hui, ce que l'on craint le plus, c'est que le revenu de base désintéresse les personnes du travail.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Oui, c'est la hantise !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je ne suis pas d'accord avec cela, mais je peux le comprendre. C'est pourquoi il me semble qu'il ne faudrait pas trop restreindre le champ de l'expérimentation aux individus les plus précaires.
Deuxième question : comment allez-vous garantir une expérimentation territoriale diversifiée ? Êtes-vous favorables à cette diversité des territoires tests ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Oui, tout à fait, nous y sommes favorables.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Si le rapport donne l'impression d'être vague en ce qui concerne les modalités de l'expérimentation, c'est parce que l'exemple finlandais, l'expérimentation du RSA ou l'expérience de M. Louis Gallois ont montré de manière catégorique qu'il ne fallait trop se mêler des détails et se contenter de décrire les grandes lignes, c'est-à-dire le principe d'une expérimentation diversifiée. La mise en oeuvre devra s'opérer selon une méthode scientifique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il est évident qu'il ne nous appartient pas de choisir les populations ou les territoires cibles. Il importe toutefois que le rapport soit ouvert.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Mais il est très ouvert !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Madame Lienemann, nous proposons dans le rapport d'expérimenter plusieurs formes d'allocation : une allocation sous forme inconditionnelle, un versement inconditionnel avec l'obligation d'utiliser l'allocation à des fins spécifiques, et enfin un versement conditionné au respect d'une obligation spécifique. Telles sont les trois pistes que nous proposons sur des territoires diversifiés, pour tenir compte d'une diversité de publics.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Nous disposons à cet égard d'un outil, les tableaux de M. Laurent Davezies sur les inégalités territoriales.
M. Jean Desessard. - Comme l'indique le rapport, « l'expérimentation doit permettre de tester les effets concrets d'un revenu de base sur plusieurs segments de la société », dans la mesure où « il s'agit de catégories qui connaissent aujourd'hui la situation sociale la plus difficile ». On en revient à la question de Mme Lienemann : cible-t-on uniquement les catégories sociales les plus en difficulté ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Non, ce n'est pas le cas.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Selon moi, il faudrait prendre un panel relativement étendu, dans lequel la part laissée aux plus pauvres serait la plus importante.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Non, je ne partage pas votre avis, car cela fausserait les résultats ! Il faut choisir un panel universel.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous avez raison, je suis moi aussi favorable à l'universalité totale du revenu de base. Un tirage au sort comme en Finlande me conviendrait tout à fait.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Vous êtes en parfait accord avec ce que nous proposons. Nous voulons l'expérimentation la plus scientifique possible. Si le panel n'est pas suffisamment large, on ne peut plus parler de revenu universel.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Oui, il s'agirait alors d'une aide sociale améliorée !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - En revanche, le fait de mener une expérimentation sur des territoires différents peut conduire à des résultats différents. Il faut pouvoir les mesurer, et laisser les scientifiques et les évaluateurs procéder à la fois à l'analyse des résultats et au tirage au sort.
Mme Christine Prunaud. - Il est bien précisé dans le rapport que la mission « ne souhaite pas limiter le champ de l'expérimentation ni soumettre, dans ce cadre, le versement d'une allocation à la préexistence d'une condition ou d'un statut ». Ainsi, nous ne stigmatiserons pas les pauvres.
Mme Élisabeth Doineau. - Je souhaite remercier notre président et notre rapporteur pour le travail réalisé.
J'ai eu la chance de conduire l'expérimentation liée au RSA dans mon département. En réalité cette expérience était trop courte : nous avons tout juste eu le temps d'en organiser la gestion. Le revenu de base revêt un aspect davantage philosophique et sociétal. Si nous prévoyons une évaluation scientifique, il faudra absolument intégrer parmi les critères d'évaluation des éléments comme la santé des individus et l'éducation. Il est important d'explorer tous les champs possibles pour montrer que le revenu de base correspond à un changement de pensée et de paradigme.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Vous trouverez un certain nombre de critères d'évaluation à la fin du rapport, madame Doineau.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Les scientifiques que nous avons auditionnés ont été très convaincants, ils m'ont même éloigné de mon schéma de pensée habituel. Ils nous ont recommandé avec force de retenir les critères d'évaluation du dispositif avec le plus de rigueur possible.
M. Yannick Vaugrenard. - Beaucoup d'économistes nous ont dit que la révolution numérique ne nous permettait plus de raisonner comme il y a à peine dix ou vingt ans. Lors des précédentes révolutions industrielles, les emplois supprimés étaient remplacés par de nouveaux emplois. Ce ne sera plus le cas désormais. Dès lors que cette réalité est comprise de l'ensemble de l'échiquier politique, cela change tout.
Cela signifie également que nos propositions doivent en tenir compte : il ne faut plus systématiquement conditionner le revenu de base à une utilité salariale, mais plutôt à une utilité sociale. Or l'objectif prioritaire affiché dans les recommandations est l'insertion par le travail. C'est contradictoire avec le constat que je viens de dresser par rapport à la révolution numérique. Ce n'est pas l'insertion par le travail et donc par le salariat...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Attention, le travail, ce n'est pas le salariat ! Il existe une nuance !
M. Yannick Vaugrenard. - Dans ce cas, il serait utile de le préciser dans le rapport.
Ensuite, tout le monde s'accorde sur l'idée d'une expérimentation et d'une évaluation scientifique. Cela étant, selon les critères politiques que nous retiendrons, l'évaluation sera analysée dans un sens ou dans l'autre. C'est pourquoi je propose que l'on élargisse au maximum l'expérimentation en ne se concentrant pas sur une catégorie d'âge ou un critère géographique. Ce serait une erreur de cibler le dispositif sur les 18 à 25 ans et sur les plus de 50 ans, dans la mesure où les gens qui souffrent de la pauvreté appartiennent à toutes les catégories d'âge : il y a des retraités pauvres, des jeunes pauvres, les familles monoparentales... Je préfèrerai que l'expérimentation territoriale ne cible pas des publics particuliers.
Enfin, lorsque l'on parle du revenu de base, on s'expose au risque d'une forme de récupération politique de court terme. Je pense notamment aux élections à venir. Je ne voudrais pas que le travail de la mission fasse l'objet d'une récupération de cette nature. En effet, nous en sommes davantage au stade des interrogations qu'à celui des certitudes, même si nous en avons quelques-unes. C'est l'expérimentation qui doit prévaloir, et non l'exploitation politique du sujet dans le cadre des campagnes électorales à venir. Beaucoup de doutes subsistent. Je dis également cela parce que j'ai été frappé par la frilosité des organisations syndicales. Il me semble qu'il faut rester prudent, car il est important d'associer l'ensemble du corps social à cette réforme. Sinon, nous n'y arriverons pas.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Les chiffres le montrent : l'État a abandonné les jeunes de 18 à 25 ans depuis près de quinze ou vingt ans. La part de PIB consacrée à cette catégorie de la population a diminué de 1,7 %, alors qu'elle augmentait de 22 % pour les plus de 60 ans. Nous avons, le président et moi-même, une sensibilité particulière à l'égard de ces jeunes, mais cela ne veut pas dire qu'elle s'imposera ou qu'elle triomphera.
Le chômage des jeunes de 18 à 25 ans s'élève à 25 %, contre 8 % pour les personnes de 25 à 50 ans. Le chômage frappe 16 % des salariés de plus de 50 ans. Il existe donc des segments de la population beaucoup plus concernés par le problème du chômage.
Si nous choisissons de concentrer le dispositif sur les jeunes de 18 à 25 ans, nous obtiendrons indirectement l'assentiment des parents et nous nous rapprocherons d'un consensus sur le sujet. Ce n'est pas un argument électoral, mais un argument politique. Plus le public des bénéficiaires du revenu de base est large, plus les polémiques autour du dispositif enflent.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je précise que le rapport envisage également une expérimentation du revenu de base pour la catégorie des 25 à 50 ans : « L'expérimentation pourrait également être envisagée, sans que cela soit un objectif prioritaire [pour] les familles monoparentales ou des femmes en reprise d'activité après avoir élevé des enfants. »
M. Yves Rome. - Avec les évolutions qu'entraîne la société numérique, on ne peut plus considérer que le monde marche comme avant. Or les organisations syndicales continuent à se référer au monde ancien, raison pour laquelle elles sont réticentes à cette idée de revenu de base.
Ce ne sera pas facile de convaincre de l'utilité d'un tel revenu. M. Martin Hirsch a eu une formule heureuse quand il a déclaré : « Si j'étais gouverneur de la planète Mars, je défendrais sans aucun problème le revenu universel de base. »
L'expérimentation du revenu de base proposée dans le rapport cible deux segments de populations : les jeunes et les personnes âgées. C'est une bonne chose, car ce sont les catégories les plus fragiles. J'ajoute que cette expérimentation devra être suffisamment longue pour que l'évaluation soit la plus certaine et convaincante possible.
Mme Christine Prunaud. - L'intervention de Yannick Vaugrenard me paraît très intéressante. Il faut en effet insister sur l'importance de l'utilité sociale qu'aurait le revenu de base. C'est impératif si, au-delà des partis, nous voulons convaincre les Français de son utilité. Sans cela, on l'opposera au revenu du travail.
Par ailleurs, j'ai été moi aussi très étonnée de la réaction des syndicats. Cette notion d'utilité sociale du revenu de base pourrait peut-être les persuader du bien-fondé de la chose.
Un mot sur les segments retenus pour l'expérimentation : les 18-25 ans sont effectivement ceux qui n'ont rien, sauf ceux qui ont la chance d'avoir une bourse, mais ils sont rares. C'est la catégorie délaissée par les gouvernements, celle qui ne touche pas d'allocations, celle qui n'a pas d'autonomie.
M. Jean Desessard. - Je veux vous dire tout le plaisir que j'ai eu à participer à cette mission commune d'information. Vous avez su, monsieur le président, animer nos travaux de manière intelligente, douce et rigoureuse. Quant à M. le rapporteur, même s'il faut parfois savoir décoder ses propos, il a le verbe haut !
Les personnes que nous avons auditionnées étaient de qualité, et nos travaux se sont répartis de manière agréable dans le temps, même s'ils se télescopaient parfois avec d'autres obligations sénatoriales.
Je ferai maintenant quelques réflexions sur le rapport lui-même.
C'est un travail remarquable. J'associe à mes félicitations l'administration du Sénat. C'est aussi un rapport très complet, qui fait clairement la différence entre revenu de base et allocation garantie.
Tous les minima sociaux, toutes les allocations sont expliqués. Vous exposez les arguments pour ou contre le revenu de base, avec exhaustivité et nuance. Vous avez retranscrit de manière très fidèle tous les problèmes liés à sa mise en place.
Les préconisations sont également excellentes. Il aurait été risqué de prétendre passer immédiatement à la mise en place d'un revenu de base universel. C'est pourquoi j'aime beaucoup le titre d'une partie du rapport : « Abandonner l'utopie et envisager pour le futur un revenu de base réaliste ». Avec l'expérimentation que vous proposez, la France pourrait peut-être aller plus loin que d'autres pays dans cette ambition.
J'approuve également la décision de faire le choix de deux catégories : il fallait trancher. L'esprit du revenu de base, qui doit être inconditionnel, est préservé : c'est le plus important.
Je pourrais à la rigueur discuter des trois approches différentes du revenu de base que vous exposez dans le rapport, monsieur le rapporteur : une approche « libertarienne », une approche « marxiste ou écologiste », une approche « social-démocrate ». Je veux bien que vous vous réserviez le beau rôle en préférant l'approche « social-démocrate », mais, entre nous, l'approche « écologiste » ou « marxiste » pourrait aussi marcher !
Cela dit, la méthode retenue, celle des petits pas, convient à tout le monde.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est vrai que nous avons peut-être cédé au travers français de la classification. Que voulez-vous, c'est notre esprit cartésien ! Mais c'est peut-être aussi parce que nous sommes Français que nous pouvons donner au revenu de base un bel avenir.
M. Dominique de Legge. - Je m'associe totalement aux propos de M. Desessard sur la manière dont ont été menés nos travaux.
Nous avons, je crois, trouvé le juste milieu. Deux choses en effet sont difficiles à expliquer à nos concitoyens : verser une allocation y compris à ceux qui n'en ont pas besoin ; verser une allocation sans contrepartie. Dans le contexte actuel, il faut être extrêmement prudent pour éviter toute récupération malhonnête. La solution trouvée par la mission me semble donc équilibrée.
Quelques observations de vocabulaire maintenant.
Dans l'avant-propos, on peut lire qu'« il existe encore [...] des gens qui, dans notre pays, meurent de faim ». Il y a peut-être des gens qui meurent de faim, mais il y a surtout des gens qui meurent de froid. J'aimerais que cela soit précisé.
Dans les recommandations de la mission d'information, il est indiqué : « Si un revenu de base devait être envisagé en France, en cas d'expérimentation favorable... » Qu'est-ce à dire ? Que l'expérimentation aura déjà été faite ? Je propose de préciser : « dans le cas où l'expérimentation serait favorable ».
Plus loin, il est indiqué : « S'agissant de l'expérimentation qu'elle appelle de ses voeux... ». Je préférais que l'on écrive « qu'elle préconise ».
Par ailleurs, je propose de faire passer le paragraphe qui commence par ces mots avant le précédent, qui commence par « Si un revenu de base devait être envisagé en France », pour plus de clarté.
Pardon pour ces remarques un peu scolaires, mais à mon sens importantes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est le but de cette réunion, mon cher collègue ; malgré toutes nos relectures, il reste toujours des scories.
Mme Christine Prunaud. - J'ai une remarque du même type. Je lis dans le rapport : « Enfin, si l'on considère que le chômage des moins qualifiés est dû à un coût du travail trop élevé, au niveau du SMIC... » Je suis désolée, mais le chômage n'est pas dû qu'aux salaires trop élevés des employés ! Il y a d'autres facteurs.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous pouvons enlever la référence au SMIC, bien sûr.
Je précise par ailleurs que ce n'est pas ce que nous pensons. C'est une thèse, d'où le : « Si l'on considère... »
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je tiens à mon tour à saluer la conduite des débats.
J'aurai seulement une question pratique, relative à l'expérimentation : quelles sont les conditions juridiques nécessaires pour la mettre en place sur une partie seulement du territoire et pour des catégories données ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il faut passer par la loi.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je salue moi aussi ce travail, qui est de très bonne qualité. Il fait apparaître tous les débats qui traversent la société française, en y apportant même une touche d'optimisme pour l'avenir.
Je voudrais insister sur un point très important : l'autonomie des personnes, qui ne peut se concevoir que dans le rapport entre sécurité et travail. Cela a été dit, les discontinuités des carrières professionnelles vont être de plus en plus importantes. Un dispositif tel que le revenu universel de base, offert à tous et sans condition, est en mesure de donner confiance aux personnes qui ont des carrières hachées et de les stimuler. C'est une façon de favoriser leur autonomie pour affronter la diversité des solutions qui s'offrent à eux, et c'est donc une sécurité.
La raison pour laquelle nous ne sommes pas sociaux-démocrates quand on est de gauche, en France, et qu'il n'y a pas à droite de libéraux au sens anglo-saxon, c'est que nous avons en commun la trame républicaine, pour laquelle l'être humain est avant tout un citoyen, qui a une utilité sociale.
C'est cela qui amène notre système à donner des droits à l'individu, qu'il soit salarié ou non. Et cela n'enlève rien, bien sûr, à la valeur travail comme élément d'identité et d'utilité sociales. Nous savons que ces deux questions ne sont pas liées, nous les femmes, qui étions reconnues pour notre travail avant que de l'être en tant que citoyennes.
En contrepartie de ses droits, le pacte républicain attend du citoyen qu'il s'engage dans la cité. C'était le sens du service militaire par exemple. Pour moi, ce revenu de base est une nouvelle étape dans l'histoire du pacte républicain, une étape particulièrement importante dans le contexte actuel.
Le rapport insiste peu sur l'effet redistributif qu'aurait une telle mesure. Il est très judicieux d'avoir ciblé les jeunes pour l'expérimentation : la discontinuité de leurs parcours, la diversité de leurs profils en font un public fragile, qui doit être aidé.
Je suggérerai seulement que l'expérimentation porte sur les jeunes de 15 à 28 ans ; 28 ans, c'est l'âge moyen de l'obtention d'un CDI, en France. C'est très important : les très pauvres ont déjà le RSA, et le revenu de base ne va pas changer grand-chose pour eux. Mais, pour les travailleurs précaires, disposer du revenu de base sera un élément de sécurité, qui leur permettra de faire des projets. Cela sera utile au jeune de 26 ans, en banlieue, qui veut lancer sa PME, par exemple, et qui ne se rémunérera pas la première année.
Il faut fédérer les catégories sociales, et le revenu de base jusqu'à 28 ans le permettra.
Je ferai quelques remarques sur le financement d'un revenu universel de base.
Il y a cette idée du « quantitative easing for the people », grâce auquel l'argent des banques centrales serait versé directement aux citoyens. La Banque centrale européenne a eu cette discussion. Elle serait prête à faire évoluer le quantitative easing dans sa forme actuelle, qui ne conduit les banques qu'à accumuler l'argent dans leurs caisses ou à acheter des bons du trésor allemand.
L'idée, c'est de le placer plutôt dans des investissements ciblés, ou de l'utiliser pour financer des politiques de pouvoir d'achat. Pourquoi, dès lors, ne pas demander au Gouvernement de négocier avec la BCE pour que cet argent finance, au moins dans un premier temps, l'expérimentation du revenu de base ? Je signale à ce titre que d'autres pays européens s'interrogent à ce sujet.
Le rapport mentionne également la piste d'un financement par l'impôt. Dans tous les cas, la mise en place d'un revenu universel de base devra nécessairement être adossée à une réforme fiscale importante.
Dernier point, qui me tient à coeur. Parmi les trois formes d'allocation dont le rapport préconise l'expérimentation, deux sont réellement ce que l'on appelle un revenu de base, car elles sont inconditionnelles.
Pour la troisième, qui est conditionnée au respect d'une obligation spécifique, je propose une autre appellation, celle de « revenu de base option revenu de participation ». Ça clarifierait le concept.
Le revenu de base dans sa forme pure, c'est-à-dire sans condition requise pour son versement, divise la société française. Les libéraux y voient le complément de salaire que le salaire marchand n'apporte plus. Les gens de gauche y voient un salaire garanti, que le salaire issu du travail peut compléter.
Un revenu de base option revenu de participation permettrait de dépasser cette division.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Cette idée de « revenu de participation » ne dira rien à nos concitoyens.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous disons bien dans le rapport que le propre de l'expérimentation est d'essayer plusieurs systèmes dont certains se rapprochent d'un revenu de participation. Faut-il vraiment être encore plus précis ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - En tout cas, ce n'est pas le même concept.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je comprends en revanche votre souci, chère collègue, mais je rappelle que le rapport indique que le revenu de base est un outil de lutte contre la pauvreté qui ne remet pas en cause l'importance du travail dans la société.
Voulez-vous ajouter que c'est un outil de sécurisation professionnelle autant qu'un élargissement des droits fondamentaux garantis par République ?
Mme Christine Prunaud. - La notion d'utilité sociale du revenu de base nous convient mieux.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'aimerais qu'apparaisse le mot de « République » dans ce rapport.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous pouvons y inscrire que le revenu de base a pour objectifs la lutte contre pauvreté, l'insertion par le travail et la sécurité des parcours professionnels. Il est vrai que les parcours professionnels se sont métamorphosés en dix ans.
M. Yannick Vaugrenard. - Notre société est en pleine transformation. Il est important de ne plus penser comme on le faisait avant. Et le concept d'utilité sociale est important en cela, en plus de regrouper l'insertion par le travail, l'engagement dans les associations, le bénévolat, etc.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il faut seulement éviter de le mentionner dans les pages consacrées à l'expérimentation. Rajoutons donc l'utilité sociale à la liste des objectifs du revenu de base.
M. Jean Desessard. - Parler de sécurité des parcours va contre notre objectif. Notre ambition est de sortir le revenu de la conditionnalité. Ce n'est déjà pas facile, car beaucoup penseront que cela incitera les gens à ne rien faire, et d'autres diront que nombre de Français n'en ont pas besoin.
Le revenu de base n'a rien à voir avec la sécurité des parcours. C'est même le contraire ! Je préfère parler d'insertion dans le travail.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il n'est donc pas forcément nécessaire de parler de sécurité des parcours ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je me permets d'insister sur l'importance de la mentionner dans le rapport. On vient de parler des carrières hachées : il faut de la sécurité !
M. Jean Desessard. - Très bien, je n'insiste pas...
M. Michel Amiel. - Je salue à mon tour ce rapport très dense, très riche. C'est le point de départ pour des évolutions futures. Soyons conscients du fait que nous essuierons les plâtres. Les critiques viendront de partout, de tous les bords du champ politique. Mais j'ai confiance : en fervent défenseur du Tibet, je suis aussi le défenseur de la voie du milieu !
Un regret seulement, monsieur le président : j'aurais aimé qu'on parle dans ce rapport des inégalités croissantes dans la société française. Les inégalités se creusent en fonction des différences de patrimoine, d'une part, et d'éducation, d'autre part.
Avoir le baccalauréat aujourd'hui, c'est comme avoir le BEPC dans les années 1950. De la même façon, à salaire égal, ceux qui par transmission ou héritage ont un patrimoine important ne sont pas du tout dans la même situation que ceux qui n'en ont pas.
Cela nous amène à parler d'un autre concept, que j'aurais préféré à celui de « pauvreté », abondamment utilisé dans le rapport : celui de « paupérisation », notamment des classes moyennes.
La révolution industrielle que nous connaissons, comme toutes les révolutions industrielles au cours de l'histoire, va faire disparaître des milliers d'emplois. La grande différence, c'est que ce sont des emplois qualifiés.
Dans ces conditions, et même si je ne suis pas tout à fait certain d'être totalement pour le revenu de base, je pense qu'un filet de protection, sur le modèle de celui prôné par M. Hirsch, peut être utile.
Mme Patricia Schillinger. - Ce rapport est un bel outil de travail. Mais il n'est pas suffisant. Il nous faudrait une analyse plus précise, par type de département - que donnerait un revenu de base dans un département riche, un département pauvre, un département frontalier ? - pour que l'expérimentation soit réellement efficace. Rappelez-vous la fin de la taxe professionnelle, mes chers collègues : nous étions heureux d'en libérer nos communes et, trois ans plus tard, tout le monde était perdant.
Le département dont je suis l'élue est un de ceux où les indemnités chômage sont les plus élevées. Certains touchent 5 000 euros ! Est-il envisageable qu'ils touchent également le revenu de base ?
Par ailleurs, je pense qu'il faut en réalité quatre populations cibles pour l'expérimentation : les jeunes, les actifs, les retraités, le monde agricole.
Il faut aussi avoir le courage de bloquer les loyers. J'imagine déjà les effets pervers de l'instauration d'un revenu de base : les propriétaires vont en profiter pour augmenter les prix.
M. Dominique de Legge. - Je voudrais revenir sur le concept d'utilité sociale. Je suis tout à fait d'accord : on peut s'épanouir autrement que dans le cycle marchand. Mais, l'utilité sociale, où est-ce que cela commence ? Où est-ce que cela se termine ? Quelle est l'utilité sociale d'une personne qui vit seule dans son appartement à écrire des livres que personne ne lit ? Une des personnes que nous avons auditionnées a prétendu que la méditation était d'utilité sociale !
C'est dans la société que se mesure la plus-value sociale d'une action, d'une attitude.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous allons vous proposer rapidement une rédaction satisfaisante pour introduire l'idée selon laquelle le revenu de base pourra servir à pratiquer une activité sociale reconnue. C'est l'esprit dans lequel nous travaillons.
M. Pierre Camani. - Nous avions vraiment besoin de ce travail, car le sujet est complexe, et il faut bien y réfléchir.
Je veux évoquer la question du revenu des agriculteurs. La presse s'en est fait l'écho ce matin, même si elle a des informations parfois incorrectes : un tiers des agriculteurs vivent avec un revenu de 350 euros. Le revenu de base dans le secteur de l'agriculture aurait donc un effet systémique extraordinaire. Il assurerait la survie des petites et moyennes exploitations. On changerait de paradigme, puisque, aujourd'hui, rien ne prime sur la course à la grande exploitation. Dans le Lot-et-Garonne, par exemple, les productions sont très variées, et les petites exploitations souffrent énormément.
Je propose donc que l'expérimentation cible aussi le monde agricole.
M. Daniel Percheron, rapporteur. - Nous avons bien sûr pensé à introduire des préconisations visant spécifiquement le monde agricole. Mais c'est volontairement que nous y avons renoncé, compte tenu de la charge explosive du texte.
Cependant il faut dire que la situation française est paradoxale. L'agriculture française est subventionnée à hauteur de 18 milliards d'euros par an, dont 11 milliards sont versés par l'Europe. Et pourtant, un tiers des agriculteurs touchent 350 euros par mois seulement. Notre problème, c'est le découplage entre le niveau « salaire » et le niveau « production ».
Il faudrait que la France discute avec l'Union européenne pour sur-subventionner les 100 premiers hectares. Ce serait sauver l'exploitation familiale. Évidemment, les organisations syndicales agricoles doivent être d'accord.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Devrions-nous ajouter un paragraphe selon lequel l'expérimentation pourrait être élargie, notamment en direction du monde agricole ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'étais pour qu'on l'introduise au moment de la présentation de la deuxième forme d'allocation. Ce faisant, on s'assurerait que l'argent du revenu de base n'est pas utilisé pour l'équilibre global de fonctionnement de l'exploitation.
M. Dominique de Legge. - Je comprends très bien la préoccupation de nos collègues à l'égard des agriculteurs, mais je préfère vous le dire : je n'assumerai pas, politiquement, la rédaction proposée par le rapporteur. Les agriculteurs veulent vivre de leur métier, pas d'un revenu de base ciblé. Ce n'est pas opportun. Ce serait aussi contribuer à les assimiler aux autres populations cibles, qui sont les populations les plus fragiles.
M. Pierre Camani. - J'ai moi aussi des doutes sur la réaction qu'aurait le monde agricole à cette proposition.
M. Jean Desessard. - J'ajoute une chose : le résultat de l'expérimentation du revenu de base sur cette population spécifique, qui en a grand besoin, sera nécessairement positif. Ce ne serait plus une expérimentation. Restons généraux dans les catégories ciblées, c'est mieux.
Mme Christine Prunaud. - Parmi la catégorie des 18-25 ans, il y a des jeunes agriculteurs qui s'installent. Cela ne sert à rien de les distinguer des autres.
Une question, monsieur le président : nos groupes respectifs voudront peut-être s'exprimer sur ce rapport. Comment peuvent-ils le faire ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Les groupes politiques s'exprimeront après notre vote d'aujourd'hui sur le rapport. Ils ont jusqu'à lundi 11 heures pour déposer une contribution ou émettre des réserves.
Mme Christine Prunaud. - Je pose la question, car, si en tant que communiste je soutiens ce travail et ces propositions, je suis minoritaire dans mon groupe sur ce sujet.
M. Yannick Vaugrenard. - J'aimerais revenir sur la notion d'utilité sociale. Il faut impérativement la conserver dans le rapport, par opposition à celle d'utilité salariale. On trouvera toujours des personnes solitaires qui écrivent des livres que personne ne lit, mon cher collègue ; il y a toujours des exceptions à une règle générale !
On entend trop souvent parler d'assistanat. Le revenu de base n'est pas destiné à un assisté, mais à un ayant droit. Ces deux termes s'opposent.
Mme Frédérique Espagnac. - Des familles où la femme gagne 350 euros et le mari 650 euros, c'est le cas de la plupart des agriculteurs dans mon département. Ces personnes doivent être éligibles au revenu de base.
M. Jean Desessard. - Mais c'est le contraire du revenu de base, qui doit être inconditionnel !
Mme Christine Prunaud. - Le revenu de base, c'est pour tout le monde !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Ne ciblons pas de catégorie socio-professionnelle spécifique. J'ajoute que les agriculteurs sont très clairs : ils veulent vivre de leur travail.
Mme Frédérique Espagnac. - Nous parlons d'hommes et de femmes qui ne se soignent pas ! Ils en ont besoin.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Le revenu universel est pour tout le monde. On ne peut pas faire d'expérimentation pour les agriculteurs seulement. La situation est grave ; elle doit avoir une réponse spécifique. Le revenu de base en est une, pour les agriculteurs comme pour d'autres.
M. Pierre Camani. - C'est le territoire sur lequel portera l'expérimentation qui fera la différence.
Mme Chantal Deseyne. - J'approuve complètement les préconisations du rapport, sous réserve que l'expérimentation soit rigoureuse. J'insiste également sur un point : la précarité n'est pas qu'économique ; elle est aussi sociale et éducative. Le revenu de base ne suffit pas : il faut aussi accompagner les plus démunis.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est mentionné dans le rapport, ma chère collègue.
Je vais maintenant mettre aux voix le projet de rapport, incluant les modifications proposées aujourd'hui.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Y compris l'extension de la catégorie cible des jeunes de 18 à 28 ans ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Non. À partir de 26 ans, les jeunes ont droit au RSA, même s'ils n'ont pas travaillé.
Je mets donc désormais le rapport aux voix.
Le rapport est adopté à l'unanimité des présents.
La séance est levée à 14 heures 55.