Lundi 11 juillet 2016
- Présidence de M. Jean-Yves Roux, vice-président -Recherche et applications industrielles en matière de recyclage des téléphones portables - Audition
La réunion est ouverte à 14 h 05.
M. Jean-Yves Roux, président. -Nous poursuivons nos travaux par une audition sur la recherche et les applications industrielles en matière de recyclage des téléphones portables.
Je remplace M. Jean-François Longeot, président, qui aura quelques minutes de retard.
Bienvenue à M. Frédéric Goettmann, président de l'entreprise Extracthive, et à M. Christophe Dondeyne, directeur général de cette même entreprise.
Bienvenue également M. Stéphane Pellet-Rostaing, directeur de l'Institut de chimie séparative de Marcoule.
Nous vous remercions d'avoir répondu très rapidement à notre invitation, qui vous a été transmise la semaine dernière, et d'avoir accepté d'être entendus par notre mission d'information.
Nous avions également souhaité entendre un représentant du réseau européen PROMETIA, ce qui n'a pas été possible dans ces délais, mais je pense que vous pourrez nous présenter cette association, puisque Extracthive en est membre.
Je vous rappelle en préambule que notre mission d'information, créée à la demande du groupe écologiste, porte sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Nous avons commencé nos travaux la semaine dernière et nous les achèverons à la fin du mois de septembre.
Je vais donc vous laisser la parole, afin notamment que vous présentiez vos organismes, avant que Mme la rapporteure, ainsi que les autres membres de la mission d'information, ne vous interroge.
M. Frédéric Goettmann, président d'Extracthive. - La société Extracthive, dont Christophe Dondeyne et moi sommes deux des fondateurs, a été créée en début d'année dernière. Il s'agit d'une start-up du CEA, le Commissariat à l'énergie atomique, dont la mission est le développement et l'industrialisation de solutions technologiques dans le domaine du recyclage, en particulier des déchets industriels. Nous avons volontairement choisi ce créneau, car le recyclage des produits en fin de vie est un métier compliqué.
Nous travaillons essentiellement pour des industriels. Nous les aidons soit à dépolluer leurs effluents ou leurs déchets, soit à extraire la valeur de leurs déchets. À titre d'exemple, nous intervenons actuellement auprès de la société Altéo à Gardanne, qui a défrayé la chronique en fin d'année dernière et au début de cette année. Altéo a mis en place un système de filtration des boues rouges. Elle en extrait la partie solide et ne rejette plus en Méditerranée que du liquide. Or ce liquide n'est pas conforme aujourd'hui aux normes du décret relatif à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement. Nous les aidons à respecter cette norme.
Ponctuellement, Extracthive développe des technologies pour son compte afin de les industrialiser et de devenir un acteur du recyclage. Nous travaillons actuellement sur un projet de recyclage de meules abrasives, secteur dans lequel il y a un fort potentiel en Europe. Nous allons essayer d'aller jusqu'à la construction d'une usine de recyclage.
M. Christophe Dondeyne, directeur général d'Extracthive. - Nous travaillons également sur un projet de recyclage des poussières de broyage de déchets électroniques. Nous découvrons le microcosme du recyclage des déchets électroniques et ses acteurs, notamment les grands du secteur, tels Suez, qui recycle des déchets électroniques dans son usine de Feyzin, et Veolia. Nous avons constaté que ces entreprises manquaient cruellement de technologies. Elles pratiquent généralement le démantèlement à la main ou le broyage. Notre idée de traiter les poussières de déchets électroniques est née de ce constat. Ces entreprises sont à la recherche de technologies très rapidement rentables, pas très chères à développer, leur permettant d'aller plus loin dans le recyclage des déchets électroniques. Aujourd'hui, elles envoient du concentré chez des acteurs allemands et belges, qui, eux, revalorisent les métaux.
Tels sont les défis auxquels nous sommes confrontés au quotidien.
M. Stéphane Pellet-Rostaing, directeur de recherche au CNRS. - Je suis directeur de recherche au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, et directeur de l'Institut de chimie séparative de Marcoule. Cet institut de recherche a été créé spécifiquement pour mener des recherches fondamentales sur tous les aspects de la chimie séparative, en prenant en compte les procédés hydro-métallurgiques de recyclage.
Nous adaptons les connaissances découlant de nos recherches au recyclage en général, en particulier au recyclage des métaux stratégiques et précieux. La moitié de nos activités portent sur le cycle de vie d'un matériau, c'est-à-dire sur la prise en compte des processus de mise en solution des matières que l'on veut recycler et sur le procédé en lui-même, selon les principes du green engineering et de la chimie verte.
Nous sommes attentifs aux attentes des industriels du secteur et aux questions qu'ils soulèvent. Il est vrai que la plupart des acteurs économiques du recyclage ne pratiquent que le démantèlement et le broyage, à l'exception de Solvay, qui va jusqu'à la purification de ses métaux dits « critiques ».
Nous établissons des collaborations avec des PME comme Morphosis, Terra Nova, et d'autres, qui cherchent d'abord le démantèlement et la mise en solution. À titre d'exemple, notre collaboration avec T&D porte sur le recyclage du tantale des condensateurs des téléphones mobiles, le tantale n'étant pas recyclé aujourd'hui. Nous faisons donc de la recherche fondamentale afin de trouver des solutions de recyclage pour l'industrie.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Pourriez-vous nous indiquer quels métaux sont présents dans les téléphones portables ?
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Selon qu'il s'agisse d'un smartphone, d'un téléphone à clapet, coulissant ou non, ou d'un téléphone post-2005, les matériaux utilisés sont différents.
J'évoquerai au préalable les matières plastiques : polymères, ABS dit « acrylonitrile », butadiène-styrène, polycarbonates. La plupart d'entre elles contiennent du brome pour ses qualités ignifugeantes.
Quant aux métaux, ils varient en fonction du compartiment du téléphone. Dans l'écran, on trouve des terres rares, qui donnent la couleur, de l'indium pour les écrans tactiles, du gallium, du potassium pour la durabilité. Dans la partie électronique, soit la carte, on trouve, pour le condensateur et la connectique, de l'argent, de l'or - les 60 millions de téléphones mobiles en circulation en France représentent 2 tonnes d'or -, du palladium, des terres rares également, certains de ces métaux étant stratégiques, c'est-à-dire qu'ils ont une importance stratégique et qu'ils présentent des risques d'approvisionnement. Dans la batterie, on trouve essentiellement du lithium et du cobalt, le cobalt étant une matière stratégique.
Associés aux autres métaux, on trouve également de l'antimoine, du béryllium, et, à l'état de trace, de l'arsenic. Les téléphones portables contiennent également du titane et du fer. Enfin, ils sont composés d'environ 30 % de cuivre, soit 6 % de la consommation mondiale.
Le recyclage des téléphones portables pose deux problèmes : le retrait de la batterie et la récupération du cuivre.
Les industriels du recyclage récupèrent les cartes électroniques, les broient et les mettent ensuite dans un four. Ils arrivent ainsi à recycler les métaux de transition comme le cuivre et le zinc. Malheureusement, tous les autres métaux que l'on retrouve dans les laitiers ne sont pas recyclables à l'heure actuelle, les laitiers n'étant pas lixiviables. On ne peut pas mettre en solution les matières qui sont à l'intérieur.
Peut-être faut-il substituer aux métaux comme l'aluminium, que l'on trouve dans les condensateurs, des métaux comme le cuivre et le zinc, qui sont, eux, recyclables ?
Je passe sur les matières qui posent des problèmes de toxicité : l'antimoine, le béryllium, l'arsenic, le cadmium, sans parler du plomb qu'on trouvait dans les anciens téléphones.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont le co-rapporteur était Delphine Bataille, a rédigé un rapport sur l'enjeu stratégique des terres rares. Notre mission porte sur les matériaux abandonnés qui pourraient être toxiques pour l'environnement ou pour les personnes et sur les potentialités de recyclage.
Nous sommes intéressés par les verrous de conception.
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - La problématique est l'écoconception, c'est-à-dire une conception raisonnée de l'équipement afin de faciliter son démantèlement.
Ainsi, pour recycler l'aluminium des condensateurs, il n'y a pas d'autre possibilité que le démantèlement à la main. Je l'ai dit, la carte électronique est extraite, broyée, avant de passer au four pour en récupérer le cuivre, mais les autres matières deviennent inaccessibles.
Les métaux toxiques que l'on trouve dans les batteries, comme le chrome, sont-ils substituables ou pas dans les téléphones portables ? Ces matières peuvent-elles être extraites des téléphones et valorisées ? On parle là de métaux d'intérêt, qui sont tout autant toxiques que valorisables pour leurs propriétés.
Les technologies de recyclage en aval existent, au moins en laboratoire. Le principal verrou, c'est la collecte des téléphones usagés. Aujourd'hui, 45 % de nos téléphones portables sont abandonnés dans un tiroir. Seuls 3 % des téléphones sont recyclés : ils connaissent bien souvent une seconde vie en Afrique, après remplacement de l'écran ou d'un composant. La filière de recyclage reste donc à mettre en place. Par quel processus pourra-t-on ensuite récupérer les téléphones partis en Afrique pour les recycler ? Ne devrait-on pas arrêter la chaîne, ne pas envoyer les téléphones en Afrique, et les recycler ? Ces questions ne sont pas de notre ressort.
Nous devons nous orienter vers une rupture. On voit émerger des PME, des start-up. Le modèle économique existe, le reste est une question de volonté et de financement.
M. Jean-Yves Roux, président. - Les processus que vous évoquez existent-ils déjà en laboratoire ?
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Du fait de la rareté des gisements primaires, on est allé chercher des métaux dans des gisements polymétalliques, de moins en moins riches. Il a donc fallu adapter des technologies pyro-métallurgiques et hydro-métallurgiques. Ces procédés ayant été optimisés, il est devenu possible de récupérer les D3E, les déchets issus équipements électriques et électroniques.
D'un point de vue écologique, nous comprenons tous l'intérêt de recycler. Si on part de ce principe, le développement d'un procédé ne doit pas provoquer de pollution supplémentaire. L'institut de chimie séparative prend en considération le principe de green engineering.
Une fois que les métaux sont en solution, on arrive à les récupérer. Le problème, c'est d'abord la collecte, ensuite la mise en solution. Terra Nova, T&D, en collaboration avec le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), ont mis au point une technique de traitement des téléphones portables en eaux supercritiques qui permet de séparer le valorisable - le métal - des matières organiques - le verre, véritable problème dans le téléphone portable. Il faut ensuite mettre le métal en solution et le transformer.
Il existe d'autres techniques de broyage, de tamisage, de fusion, par exemple pour le tantale. Le problème du tantale, c'est que sa mise en solution nécessite l'utilisation d'acide fluorhydrique, lequel n'est pas commode à manipuler.
Pour éviter les laitiers sur lesquels on ne peut pas travailler, on utilise les technologies de fusion alcaline. Après broyage et tamisage, on sépare les grosses, qui contiennent le cuivre et l'argent, valorisables, puis, après fusion alcaline, on récupère un concentrat de tantale lixiviable - 150 kilogrammes par tonne.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Votre laboratoire fonctionne-t-il grâce aux fonds récurrents du CNRS ou à d'autres fonds ?
M. Stéphane
Pellet-Rostaing. - Ce laboratoire a été
fondé par quatre tutelles : le CEA, le CNRS, l'université de
Montpellier et l'École de chimie de Montpellier. Son budget
consolidé est de 6 millions d'euros. Une partie des fonds
proviennent du budget
FEI - fonctionnement, équipement,
investissement - du CNRS, mais ce n'est pas cela qui nous fait avancer.
Les autres guichets de financement fonctionnent sur appels à projets. Il s'agit de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et de l'Europe. Les échelles TRL, pour un laboratoire académique, sont élevées. Elles intéressent plus les PME associées à ce type de projets. Pour notre part, nous nous tournons plutôt vers les ERC, qui ont un caractère fondamental.
L'ANR est un bon levier, tout comme les laboratoires d'excellence. Nous faisons ainsi partie d'un laboratoire d'excellence CheMISyst.
Nous nous tournons également vers les programmes d'investissements d'avenir, les PIA, et l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Mme Delphine Bataille. - Diriez-vous que vous avez un savoir-faire unique à l'échelle de la France en matière de recyclage et de développement des procédés industriels ?
Selon vous, y a-t-il une véritable stratégie de l'État ? L'État vous a-t-il commandé des travaux ? Quelles relations avez-vous avec les universités et différentes écoles ?
Enfin, existe-t-il des métaux antagonistes ou réfractaires ?
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Nous sommes impliqués, tout comme Extracthive, dans le réseau PROMETIA. La recherche est une petite communauté en France, chacun ayant sa spécialité. Un groupement de recherche du CNRS, appelé Prométhée, vient d'être créé en hydrométallurgie. Il a pour vocation de rassembler les compétences multiples et pluridisciplinaires dans le domaine des procédés hydro-métallurgiques, des spécialistes de l'électrochimie, de l'électrodéposition, qui s'intéressent aux procédés d'extraction dans de nouveaux milieux - les fluides supercritiques, les liquides ioniques, les solvants agro-sourcés. Ces gens sont en aval, ils traitent la solution.
En amont, il regroupe les acteurs de la recherche sur la dissolution, la mise en solution. Il s'agit de trouver de nouvelles solutions pour récupérer des métaux dans des gisements plus réfractaires.
La recherche propose des solutions compartimentées. Pour notre part, nous ne sommes pas experts dans le domaine des plastiques. Dans un téléphone, 47 % de la matière est du plastique, des matériaux polymériques, qui posent parfois problème, ces matériaux étant bromés. Quand on traite un téléphone, il faut donc aussi traiter les fumées bromées.
Aujourd'hui, on n'arrive pas à recycler certaines matières, ou alors on les recycle en tas. On peut faire du recyclage ultime, métal par métal, ou du recyclage en alliages, comme cela peut être le cas par exemple pour les alliages or-argent. On ne peut pas appliquer le même procédé pour récupérer le lithium d'une batterie et le palladium. Il faut donc adapter le procédé chimique à chaque fois. Quand on collabore avec un industriel, on lui propose une solution adaptée à son processus.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous présente toutes mes excuses pour mon retard.
Je vous remercie pour les informations que vous nous avez données à ce stade.
M. Frédéric Goettmann. - Je reviens sur les métaux des téléphones portables. Cette question est difficile, car il n'existe pas de statistiques récentes et fiables sur ce sujet, ce qui est un réel problème. Le rapport le plus fiable que j'ai trouvé est celui des Nations unies, de la convention de Bâle, et date de 2006. Or, en dix ans, les composants des téléphones portables ont dû évoluer.
Il y a suffisamment de bons chimistes analyticiens en France, au BRGM, ou chez Eramet, pour qu'une étude puisse être réalisée sur cette question.
Il y a de l'ordre de 200 grammes d'or par tonne, de 500 grammes de tantale par tonne.
Comme vous le savez, il y a eu une crise minière au cours des deux dernières années, le niveau le plus bas ayant été atteint au mois de janvier cette année. Mes calculs sont fondés sur les cours des différents métaux en janvier, diminués de 30 % par sécurité.
L'essentiel de la valeur provient de l'or. Si on considère que 70 millions de téléphones sont en circulation en France, que les gens jettent leur téléphone tous les trois ans et demi et qu'on sait les récupérer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, cela signifie que 20 millions de téléphones sont à recycler chaque année. Sachant qu'un téléphone pèse environ 100 grammes, cela représente 2 000 tonnes de téléphones, soit une quantité extrêmement faible - moins de deux semi-remorques par semaine. Cela pose un problème de modèle économique si on veut créer une filière dédiée au téléphone portable.
La valeur des métaux de ces 2 000 tonnes est de l'ordre de 20 millions d'euros par an, dont 10 millions pour l'or. Chaque erreur de 1 % sur l'or remet en cause le modèle économique. Le fait que 50 % du chiffre d'affaires d'une usine repose sur un seul métal, dont on connaît aussi mal la teneur, est extrêmement inquiétant pour un banquier.
Le reste de la valeur provient du lithium - son prix est difficile à évaluer, les données n'étant pas fiables -, du cobalt et de l'argent.
Une question a été posée sur la substitution du cobalt. On sait que l'on cherche à éliminer le cobalt des batteries lithium-ion. Sa disparition poserait toutefois un problème économique. Solvay recyclait les ampoules basse consommation, or ses deux usines fermeront à la fin de l'année, ces ampoules ayant été remplacées par les lampes LED. De la même façon, il serait risqué de créer une usine pour recycler le cobalt s'il devait disparaître à terme des batteries.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Pourriez-vous faire le point sur ce que vous faites ?
M. Frédéric Goettmann. - Nous travaillons essentiellement pour le compte de nos clients, nous intervenons si le marché exprime une demande. Nous ne nous saisissons pas d'un sujet, comme pourrait le faire un laboratoire universitaire.
Nous travaillons sur les poussières de broyage des déchets électroniques, en partenariat avec deux sociétés. Lorsque quelqu'un a identifié une ressource dont il souhaite extraire la valeur, nous voyons ce que nous pouvons faire.
Aujourd'hui, la plupart des déchets électroniques sont rassemblés, démantelés à la main, puis en partie broyés. Ce n'est pas un broyage fin : les pièces ainsi obtenues mesurent quelques centimètres. Des opérateurs font ensuite le tri à la main. J'ai visité l'usine de traitement de déchets électroniques de Suez au sud de Lyon. Le fer est séparé de façon magnétique, tout le reste - morceaux de cartes électroniques, bouts de verre, de plastique, d'aluminium - est trié à la main par une dizaine d'opérateurs sur un tapis roulant.
Une telle organisation n'est pas possible pour les téléphones portables, les batteries, que l'on ne sait pas extraire, risqueraient de prendre feu, ce qui serait dangereux pour les opérateurs. Si on voulait mettre en place une filière dédiée aux téléphones, sachant qu'un certain nombre de constructeurs se donnent beaucoup de mal pour rendre difficile l'extraction des batteries, il faudrait mettre en place un broyage sous eau afin de gérer l'inflammabilité des batteries.
Une société française, ITHPP, basée en Dordogne, a développé un broyage par ultrasons qui fonctionne bien. Un tel broyage donnerait des composants plus fins. La technique de picking à la main ne fonctionnerait pas, il faudrait alors avoir recours à la chimie.
Les opérations de broyage à sec provoquent des poussières, lesquelles sont aspirées afin de protéger les travailleurs, avant d'être mises en décharges de déchets dangereux, ce qui coûte 400 euros la tonne. Nous avons analysé ces poussières : elles contiennent du platine et de l'or, dans des teneurs plus faibles que dans les téléphones, mais il est possible de les extraire grâce à des technologies de séparation malines. Nous sommes à cet égard en train de mettre en place un partenariat avec une société basée en Lozère afin d'y implanter une unité de traitement de ces poussières.
Le marché, je le répète, était demandeur. Nous avons vérifié que le traitement de ces poussières tenait la route d'un point de vue économique. Nous devons maintenant vérifier les volumes disponibles. Pour que le procédé soit rentable, il faudrait qu'on rassemble 500 tonnes de poussières par an.
J'en reviens au téléphone. Le volume de téléphones portables à recycler par an - 2 000 tonnes - est vraiment faible, sachant qu'une grosse partie de la masse est constituée de plastique et de verre. La partie valorisable est assez limitée.
Une usine traitant la moitié de ce volume - soit 1 000 tonnes par an - nécessiterait un investissement de plus de 2 millions d'euros et l'embauche d'une quinzaine de personnes. Son chiffre d'affaires pourrait s'élever à 10 millions d'euros. Il s'agit là d'une estimation au doigt mouillé. Pour traiter 2 000 tonnes, il faudrait créer une trentaine d'emplois. On peut faire le calcul dans l'autre sens. Les sociétés spécialisées dans le recyclage des métaux précieux ayant un rapport entre chiffre d'affaires et employé de l'ordre de 400 000 euros, dans l'hypothèse d'un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros, cela représenterait 50 emplois, soit le même ordre de grandeur.
Si on élargit aux déchets électroniques, les volumes sont bien plus importants, mais le problème aujourd'hui est que les sociétés qui disent faire du recyclage de déchets électroniques ne font que du broyage et de la séparation physique. Les cartes sont envoyées aux trois recycleurs du nord de l'Europe. Je ne connais pas de fondeur de cuivre en France. Toutes les approches hydro-métallurgiques n'ont pas encore atteint le marché.
Les chiffres concernant la collecte datent également. Sur les 20 millions de téléphones à recycler, on en récupère au mieux 2 millions, soit 10 %. Si les pouvoirs publics décidaient de se saisir sérieusement du problème, il faudrait convaincre les gens de rendre leur téléphone.
Autre difficulté, 70 % des téléphones collectés sont réexportés pour être réutilisés, dont 35 % vers le Nigeria. Les chiffres proviennent d'une interview d'Orange et d'O2, l'opérateur britannique.
Réutiliser un objet au lieu de le recycler est assez tentant en termes d'empreinte environnementale. Le problème est que les téléphones sont réutilisés dans des pays où l'on ne maîtrise pas ce qu'ils deviennent, y compris dans des pays avancés. Aujourd'hui, les déchets de Singapour sont incinérés, les laitiers étant utilisés pour créer une île artificielle dans la baie de Singapour. Singapour est aujourd'hui incapable de dire quelle quantité de cadmium, de nickel et de chrome se retrouve dans les poissons !
Vouloir favoriser le réemploi est une saine tentation, mais que faire du téléphone ensuite ? Il faut avoir à l'esprit qu'une très large partie des déchets échappe à la classification de déchet, qu'elle est exportée au loin et qu'on en perd la maîtrise.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Le fait que les batteries soient difficiles à retirer résulte-t-il d'un choix ?
M. Frédéric Goettmann. - On change de téléphone quand l'autonomie de la batterie diminue. Il s'agit clairement de favoriser l'obsolescence.
La société ITHPP a travaillé sur le broyage des téléphones sous eau à la demande d'Apple, qui peut ainsi mettre en avant le fait qu'elle travaille sur le recyclage de ses téléphones.
M. Jean-François Longeot, président. - Existe-t-il d'autres freins que la collecte des téléphones et la rentabilité du recyclage à la création d'une filière dédiée aux téléphones portables ?
M. Frédéric Goettmann. - Les gens rendent leur vieux téléphone lorsqu'on leur consent une réduction pour l'achat d'un nouveau. Le système de la consigne fonctionne bien.
Le volume de téléphones à recycler étant très faible, la création d'une usine dédiée est très inquiétante pour un investisseur.
Aujourd'hui, l'État gère bien les choses. Les éco-organismes sont chargés de la collecte, ils récupèrent l'argent de l'écotaxe, puis proposent des marchés de trois ans, sur appel d'offres, aux structures de traitement adaptées. Pour le marché des téléphones portables, trois ans seraient insuffisants. Pour que des investisseurs prennent le risque de construire une usine de recyclage de téléphones, il faudrait leur donner au moins six ans de visibilité.
En outre, le volume étant faible, si un seul des grands opérateurs se positionne sur ce marché, le risque est que la concurrence soit biaisée. Ne faudrait-il pas que l'appel d'offres prévoie deux lots ? À défaut, le risque est que la Commission européenne s'en mêle.
Ne faudrait-il pas plutôt favoriser le recyclage en France des déchets électroniques, et considérer que le téléphone est un déchet comme un autre ?
Les grands opérateurs disent qu'ils en ont assez de travailler avec Umicore, qui ne les paie pas très cher. Lorsque nous les encourageons à développer leur propre procédé, ils nous répondent qu'ils n'ont pas les moyens d'investir dans un four. Il est vrai qu'Umicore, Aurubis et Boliden sont trois anciens mineurs et que, à ce titre, ils possédaient déjà des fours, dont ils ont dédié une partie au recyclage. Aujourd'hui, on ne convaincra personne en France de construire un nouveau four. La seule solution est donc hydro-métallurgique.
M. Christophe Dondeyne. - Ces acteurs montent des plateformes gigantesques. Dès qu'ils essuient un revers en termes d'approvisionnements ou qu'ils font face à une chute du cours des métaux, ils se retrouvent avec un site et un outil industriels plus du tout rentables.
L'avenir dans ce domaine, ce sont les fermes industrielles. Des acteurs peuvent émerger localement à proximité des réseaux d'approvisionnement, ce qui implique de développer des technologies très simples, pour de petites unités de recyclage. Ainsi, en Lozère, un acteur s'est implanté dans un endroit où Veolia et Suez ne sont pas présents. Sa société de collecte, de tri et de revalorisation d'ordures ménagères et industrielles fonctionne bien.
Les grands acteurs ont peur d'investir, car leur modèle est remis en question du fait des fluctuations des cours des métaux. Ils n'investiront donc jamais et continueront de faire du broyage et du tri manuel, puis à travailler avec Umicore.
M. Jean-François Longeot, président. - Pensez-vous que la législation ou des modifications réglementaires peuvent faire évoluer ce frein économique ?
Mme Delphine Bataille. - La réglementation pour les piles et les accumulateurs n'est pas mal vécue par les constructeurs automobiles. La réglementation ne pourrait-elle donc pas être en effet l'unique moyen de promouvoir le recyclage des téléphones portables ?
Le recyclage est d'autant plus efficace qu'il s'inscrit dans le contexte de l'économie circulaire. Ne peut-on concevoir dès le départ la manière dont seront recyclés les matériaux ?
M. Frédéric Goettmann. - Nos clients ne viennent nous voir que parce qu'ils y sont forcés, soit parce qu'une réglementation a évolué, soit parce qu'un nouveau venu au sein d'une direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement veut montrer qu'il lave plus blanc que son prédécesseur.
La réglementation est donc selon moi la seule solution, notamment pour le recyclage des déchets en fin de vie et pour ce qui relève de la responsabilité étendue du producteur. Nous rencontrons aujourd'hui des industriels qui ne se posaient pas des questions auparavant. Ainsi, les constructeurs de meubles s'interrogent sur le recyclage des meubles en panneaux de particules, que l'on ne sait pas recycler. La réglementation les force à innover. La réglementation est d'abord vécue comme une contrainte, mais elle force les fabricants à devenir intelligents et meilleurs. Je suis donc très favorable à la réglementation, pour peu que l'on réfléchisse en amont à ses impacts.
Je ne pense pas qu'on puisse empêcher les cartes électroniques d'être traitées en Belgique. Il sera compliqué d'empêcher des matières de circuler à l'intérieur de l'espace Schengen. En revanche, la réglementation européenne interdit l'exportation hors de l'Europe, mais elle n'est pas très bien appliquée aujourd'hui. Un groupe de lobbying, l'Association internationale du cuivre, a calculé que 30 % du cuivre recyclable en Europe est perdu en raison de l'exportation illégale. Au cours actuel du cuivre, cela représente beaucoup d'argent. Faire respecter la réglementation existante serait un bon début.
L'incitation des utilisateurs finaux fonctionne bien. La responsabilité étendue du producteur reste un outil très puissant.
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Toutes les industries doivent respecter la réglementation REACH, mais aucune directive n'impose de se passer, par exemple, du béryllium, qui est incontournable. Les constructeurs en intègrent donc, alors qu'ils devraient trouver des composants de substitution.
L'ADEME met en avant la réglementation, l'incitation, et la mobilisation du gisement.
Mobiliser le gisement, c'est s'intéresser non seulement aux téléphones, mais également à tous les « nomades » - ordinateurs, tablettes, etc. Il y aurait là davantage de potentiel et un modèle économique plus viable.
Pour lever des verrous, il faut financer de la R&D, industrielle ou académique.
M. Jean-François Longeot, président. - Quelles sont les évolutions dans la composition des téléphones depuis 2006 ?
M. Frédéric Goettmann. - On utilise aujourd'hui plus d'indium, car il sert à la fabrication des électrodes transparentes des écrans tactiles. À cet égard, j'indique qu'un acteur français, Nystar, fait de l'indium.
Aujourd'hui, les téléphones ont évolué en termes de puissance de calcul. Alors que les condensateurs étaient auparavant en aluminium, ils sont aujourd'hui fabriqués avec du tantale. La teneur en tantale des téléphones a donc augmenté.
Les écrans étaient auparavant en noir et blanc, ils sont aujourd'hui en couleur, ce qui signifie que l'on utilise plus de terres rares.
En termes de masse, la situation n'a pas beaucoup évolué.
On sait que les constructeurs ont fait des efforts considérables pour améliorer le fonctionnement des batteries et réduire leur taille. Le lithium restera incontournable pendant encore une dizaine d'années, mais on travaille sur des batteries au calcium ou au sodium.
Enfin, le cobalt risque de disparaître des anodes.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Pour quelles raisons essaie-t-on de trouver une solution de substitution au cobalt ? Est-ce parce qu'il est rare, toxique ou parce qu'il existe des pistes de substitution ?
M. Frédéric Goettmann. - Le cobalt est cher. Selon les estimations les plus basses, il vaut 14 000 euros la tonne.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Et le colombium ?
M. Frédéric Goettmann. - Je me suis fait envoyer par une obscure société minière basée en Grande-Bretagne du minerai dont elle ne m'a rien dit de la provenance, mais je pense qu'il a été récolté par des enfants. Beaucoup de tantale et de niobium proviennent encore de sources illégales.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Existe-t-il des pistes de substitution ?
M. Frédéric Goettmann. - La substitution sera difficile à court terme. Les minerais d'étain pourraient constituer une autre source de tantale. Une filiale d'Imerys basée en France produit un concentrat de cassitérite, un oxyde d'étain contenant du niobium et du tantale, mais comme il n'existe pas de filière de traitement européenne, il est envoyé au Brésil. Même quand les ressources existent en Europe, on est obligé de les traiter à l'étranger, car les acteurs industriels ont disparu chez nous. C'est un peu dommage.
Le risque est que de plus en plus de tantale provienne du minerai d'étain, lequel est un minerai sale aujourd'hui. La directive européenne qui interdit la soudure au plomb dans la micro-électronique a créé un appel d'air pour l'étain. Le cours de l'étain a explosé au cours des cinq dernières années. De l'étain illégal est produit en Indonésie. Chaque année, 500 personnes finissent noyées à l'endroit où ils récoltent l'étain.
Le triptyque étain-tantale-niobium pose véritablement des problèmes.
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - J'ajoute que seules les chutes de production du tantale sont recyclées. La production annuelle de tantale est actuellement de 2 000 tonnes par an. Environ 1 200 tonnes sont utilisées pour les condensateurs, le reste étant destiné aux alliages et aux superalliages pour les équipements chirurgicaux et les turbines.
Selon une estimation réalisée en 2005, 2 000 tonnes de tantale devaient être utilisées en 2015, contre 500 à l'époque. En 2030, la consommation de tantale dans le monde s'élèvera à 3 200 tonnes environ, dont 400 tonnes en Europe.
Pour les seuls téléphones portables et condensateurs, la consommation de tantale augmentera de 156 % d'ici à 2030. Un tiers des condensateurs sont constitués d'aluminium, un tiers de tantale, le tiers restant de carbure de céramique. Le tantale sera de façon incontournable en progression. Les filières d'approvisionnement illégales posent des questions.
M. Frédéric Goettmann. - Nous avons en France le BRGM, qui a exercé une activité minière à une époque. Je rappelle qu'il reste actionnaire à 1,5 % d'Eramet.
Il faut s'interroger sur les minéraux qui posent problème pour des raisons de criticité et de responsabilité sociétale. Ne faudrait-il pas revenir à l'exploration de ces éléments, créer des sociétés minières junior et délivrer des autorisations d'explorer et d'exploiter ?
Pour en revenir au modèle économique, j'indique que les interactions en région se passent vraiment bien. Alors que les taux d'échec des financements de la R&D passant par l'ADEME et l'ANR au niveau national sont extrêmement élevés, les retours sont plus favorables en région. En région, on a des interlocuteurs à qui parler. Il y a vraiment du potentiel en France. Tout ne se passe pas mal. Il faut arrêter avec la sinistrose !
M. Jean-François Longeot, président. - Avez-vous d'autres propositions à formuler ?
M. Frédéric Goettmann. - Votre mission doit décider s'il est pertinent ou non de cibler les téléphones portables. Si oui, il faut s'appuyer sur les éco-organismes.
De façon opérationnelle, il faudrait ensuite savoir si des régions souhaitent se positionner sur ce marché. Les Hauts-de-France ont un pôle de compétitivité très actif, Team2. On sait que la région souhaite avancer. N'aurait-elle pas envie d'avoir chez elle l'un des champions de France du recyclage ?
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Pourriez-vous nous présenter le réseau PROMETIA ?
M. Frédéric Goettmann. - Auparavant, permettez-moi d'évoquer l'éco-conception : comment faire en sorte que les produits mis sur le marché aujourd'hui soient plus faciles à recycler demain ?
Le Partenariat européen d'innovation pour les matières premières a mis en place des groupes de travail dédiés à la mine, au recyclage, à la substitution et aux aspects réglementaires.
Ce groupe de travail sur les aspects réglementaires a proposé de mettre en place une traçabilité, sous forme de puce RFID, de tous les composants afin de connaître leur composition en métaux. Les premiers à avoir tiré la sonnette d'alarme à ce sujet sont Renault en France et BMW en Allemagne. En tant qu'assembleurs, ils achètent des composants dont ils sont incapables de dire ce qu'ils contiennent. Imposer une traçabilité d'un point de vue réglementaire, telle que celle que propose ce partenariat européen, pourrait nous faciliter la vie.
Le réseau PROMETIA est né dans le cadre de ce partenariat européen d'innovation pour les matières premières. Après des années de vache maigre pour les mines, à part en Europe du Nord et en Europe de l'Est, où une très forte politique de soutien à la production de matières premières a été mise en oeuvre, l'Europe du Sud, y compris la France, a complètement abandonné la production minière. En parallèle, les universités et les organismes de recherche ont cessé la recherche sur le sujet.
Après le renouveau minier en 2010, on s'est rendu compte qu'il n'y avait plus beaucoup de gens capables de faire de la R&D dans ce domaine. Les industriels qui étaient prêts à innover ne savaient pas avec qui le faire.
Un réseau européen a donc été mis en place afin d'associer les acteurs de la recherche universitaire et publique et les industriels dans le domaine de la pyro-métallurgie, de l'hydrométallurgie et du traitement physique afin de cartographier les compétences en Europe. Il s'agit de pouvoir mettre en relation des industriels et des experts afin de les aider à monter des projets innovants. Ce réseau compte aujourd'hui une quarantaine de membres.
PROMETIA essaie également d'établir des chaînes de valeurs sur différents métaux. L'Europe finance un travail sur les métaux réfractaires, dont le tantale. Il s'agit de savoir s'il subsiste encore en Europe des acteurs et si une filière peut être recréée à moindres frais ou si nous serons définitivement dépendants du Brésil.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Par qui votre start-up est-elle soutenue ?
M. Frédéric Goettmann. - Jusqu'à la semaine dernière, nous fonctionnions à 100 % grâce à des fonds régionaux de l'ADEME ou de la BPI, la Banque publique d'investissement.
Nous avons abandonné toute tentative auprès de l'ANR, compte tenu des faibles taux de succès. Obtenir des financements de l'ADEME à l'échelon national est très compliqué, car cette agence ne peut financer que des sujets très particuliers. Les déchets industriels n'entrent pas dans leurs missions, contrairement aux produits en fin de vie. Nous avons ainsi proposé plusieurs projets sur les déchets miniers, notamment dans la barrière cévenole, mais il nous a été impossible d'obtenir des financements.
Nous avons remporté la semaine dernière un financement dans le cadre du programme européen de financement de la recherche et de l'innovation Horizon 2020.
Mme Delphine Bataille. - Pensez-vous que la substitution peut permettre de pallier l'insuffisance du recyclage et l'indisponibilité prochaine de certains matériaux, pour des raisons d'accessibilité ou de coût ?
Enfin, quid du rôle de l'État, en matière de formation, mais aussi de recherche et développement ?
M. Frédéric Goettmann. - Je suis toujours inquiet lorsqu'on décide a priori de substituer. Les Japonais ont proposé de remplacer l'indium des écrans plats par du platine. On résout un problème en un créant un nouveau, encore plus grand.
Il faut laisser les industriels gérer et décider des produits devant être substitués.
Certains ont envisagé de recycler les terres rares contenues dans les batteries NiMH, qui sont des batteries rechargeables. Or, en fonction de l'année de production, la teneur en terres rares et leur qualité varient considérablement, car l'industriel s'adapte aux prix du marché et remplace un composant cher par un autre. Il est donc très difficile d'anticiper.
Le matériau de substitution ne doit pas venir en remplacement, il doit apporter une plus-value.
Les terres rares sont un exemple médiatique. Si les constructeurs automobiles décidaient de ne plus utiliser de terres rares, ce serait possible. Les aimants au fer doux fonctionnent très bien, ils sont juste un peu plus lourds. Les arbitrages se font en fonction des coûts.
On comprendrait que l'État définisse une stratégie en matière de recyclage, car elle serait facile à gérer sur des temps longs. En revanche, décider de miser, d'un point de vue institutionnel, sur la substitution, c'est prendre le risque de ne pas anticiper un retournement du marché, de proposer des mauvaises solutions ou des solutions à des problèmes qui n'en sont pas.
Quant au rôle de l'État en matière de formation et de recherche et développement, il est essentiel.
Quand l'État est passé au modèle de recherche sous contrat, il s'est un peu coupé les mains. À cet égard, AllEnvi vient de publier un très bon travail sur ce qu'il faut faire en R&D sur le recyclage. Les gens dans les ministères disent aujourd'hui qu'ils ne peuvent plus rien faire, car ce sont les différentes agences de l'État qui décident de leurs programmes. C'est un peu dommage, car l'État a des moyens et du temps de cerveau disponible pour proposer des programmes ayant du sens, ce que les agences n'ont pas forcément. L'État peut en outre faire des choix stratégiques.
M. Christophe Dondeyne. - Les acteurs privés auxquels on s'adresse n'ont pas envie de sortir un centime pour le recyclage. Sous-traiter l'innovation à des start-up leur va très bien. Ces start-up sont liées de près ou de loin à des organismes publics de recherche et bénéficient de leur aura. Pour notre part, sans l'aura du CEA, nous ne pourrions peut-être pas accéder à certains marchés. Ces start-up ne doivent cependant pas se limiter à une technologie unique. Les acteurs industriels privilégient les technologies très simples, peu coûteuses à mettre en oeuvre, surtout quand il n'y a pas énormément de valeur à capter ou que la visibilité en termes d'approvisionnement n'est pas très importante.
M. Frédéric Goettmann. - Le crédit d'impôt recherche fonctionne bien. C'est une incitation très forte pour les industriels à innover, même dans les domaines dans lesquels ils n'ont pas envie de le faire. La façon dont le crédit d'impôt recherche est constitué déplaît à la direction du Trésor, qui trouve que cette niche fiscale coûte trop cher à l'État.
Quand un industriel passe une commande à un organisme de recherche public, son crédit d'impôt recherche est doublé.
Si on voulait inciter plus d'industriels à faire du recyclage, peut-être faudrait-il mettre en place des régimes et des taux d'aides différents sur des thèmes comme la chimie verte, la chimie durable ou le recyclage de certains composants.
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - La perception de ce qu'on nomme « innovation » est variable. Pour beaucoup, l'innovation, c'est de l'incrémentation ou de l'optimisation. Les académiques se heurtent à ce problème quand ils proposent un projet en rupture. Les recherches un peu risquées ne trouvent pas de financement. Il nous faut ensuite rattraper nos voisins européens ou asiatiques, mais souvent trop tard.
La recherche incrémentale répond à une demande, par exemple : comment optimiser un procédé d'élimination du mercure pour ne pas produire de fumées supplémentaires ?
Je suis organicien de formation. Quand je pense à la substitution, je la mets en parallèle avec la catalyse. Pendant très longtemps, on a voulu faire une catalyse sophistiquée pour parvenir à des molécules d'une pureté optique extrême. Il fallait faire de la catalyse au palladium, à l'or, soit des métaux précieux. Il a ensuite fallu utiliser des métaux plus conventionnels. On est donc passé à la catalyse au fer, au bismuth. Certes, cela fonctionne, mais pas aussi bien qu'avec les métaux précieux.
La substitution doit être adaptée à la propriété du matériau recherché, au marché et au produit proposé au consommateur.
Il faut prendre des risques en matière de R&D, le risque étant parfois la simplicité. J'ai rencontré récemment lors d'un colloque en Corée un Américain d'origine tchèque ayant travaillé en collaboration avec le CNRS sur le recyclage d'aimants permanents. Il a trouvé une solution simple, consistant à démanteler un aimant permanent, à le broyer, à y ajouter un peu de terres rares afin de récupérer les propriétés de l'aimant, puis à redensifier le matériau. Or il n'a pas trouvé de banquier en France pour créer son entreprise. Il est donc parti aux États-Unis, où son entreprise démarre convenablement.
Si on veut attirer des jeunes dans la filière de l'hydrométallurgie, de la fabrication jusqu'à l'utilisation des équipements, en passant par le recyclage, il faut bien sûr développer les filières de formation, notamment pour prendre en compte les préoccupations écologiques, la chimie verte.
Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Vous regrettiez que l'État ait délégué la définition des programmes de recherche à différentes agences.
L'ANR, à la demande du Parlement, prévoit aujourd'hui 20 %, peut-être 25 % de programmes blancs. Ce taux ne suffit-il pas pour financer les projets risqués que vous évoquez ? Il est vrai que, dans le même temps, le budget de l'ANR a été réduit de 200 millions d'euros...
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Les projets blancs sont essentiels, mais ils concernent toutes les disciplines. Peut-être faut-il un peu plus de projets fléchés ?
M. Frédéric Goettmann. - Nous avons la tentation de faire semblant pour obtenir de l'argent et de vanter les mérites d'un projet. Le Haut-Commissaire à l'énergie atomique déclarait qu'on fait désormais de la RANA, de la « recherche appliquée non applicable ». Pour avoir de l'argent, on fait semblant, mais on est ensuite hors des clous.
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Certains vont jusqu'à demander combien d'emplois vont être créés à la suite d'un projet de trois ans ! Or on sait très bien que rien n'émerge en trois ans, qu'il faut au moins cinq ans.
Mme Delphine Bataille. - La chimie verte est-elle toxique pour les chercheurs dans les laboratoires ?
M. Stéphane Pellet-Rostaing. - Nous travaillons dans une installation CEA. Cela répond à la question !
M. Frédéric Goettmann. - Les temps d'exposition sont très courts en recherche et développement.
Si votre mission en a le temps, qu'elle essaie d'aller voir une chaîne de broyage. C'est Germinal !
M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions pour ces informations.
J'ai retenu qu'il fallait faire de l'information afin d'inciter les utilisateurs à rendre leurs téléphones usagés et de la formation pour le recyclage.
La réunion est levée à 15 h 50.