Mercredi 15 juin 2016
- Présidence de M. Philippe Bas, président -Suivi de l'état d'urgence - Communication de M. Michel Mercier
La commission entend ensuite une communication de M. Michel Mercier sur le suivi de l'état d'urgence.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence. - Nous sommes dans la quatrième phase de l'état d'urgence. Cette dernière, qui court jusqu'au 25 juillet prochain, a été allégée puisque les perquisitions administratives sur le fondement de la loi de 1955 ne sont plus possibles. Désormais, seules les perquisitions judiciaires le sont.
Voici le bilan depuis de début de l'année : il y avait 268 arrêtés d'assignations à résidence en vigueur à la fin de la première période, 68 à la fin de la deuxième période et 55 assignations au début de la troisième période, auxquelles il convient d'ajouter 6 nouvelles assignations. Aujourd'hui, 61 personnes sont donc concernées. La question est de savoir quel sera le sort de ces personnes à l'expiration de l'état d'urgence à compter du 26 juillet prochain : 24 d'entre elles font déjà l'objet d'une interdiction de sortie du territoire, une interdiction supplémentaire est à l'étude, une personne fait l'objet d'un gel d'avoirs et trois expulsions du territoire français sont à l'étude. Nous suivrons bien sûr les décisions que les autorités administratives seront amenées à prendre.
Il y a eu 3 594 perquisitions administratives ordonnées par les préfets, dont 3 427 durant la première période, 167 au cours de la deuxième période. Pour la troisième période, la faculté d'ordonner des perquisitions administratives n'a pas été renouvelée. Un important contentieux administratif s'est développé. La procédure du référé est, dans ces cas-là, sans objet : ainsi, 77 requêtes en annulation ont été déposées, 22 décisions rendues, dont 11 annulations.
Pour l'instant, les demandes globales d'indemnisation s'élèvent à 700 000 euros. Deux tribunaux administratifs ont saisi le Conseil d'État d'une demande d'avis qui devrait être rendu d'ici fin juillet. Actuellement, la jurisprudence exige une faute lourde pour que la responsabilité de l'administration soit engagée. L'enjeu de cet avis est de savoir si le Conseil d'État n'exige désormais qu'une faute simple.
La semaine dernière, dans le cadre de l'examen des dispositifs de sécurité de l'Euro 2016, nous nous sommes déplacés au Stade de France : étaient présents M. Bas, Mme Benbassa, M. Mézard et M. Richard. Nous voulions voir comment les choses étaient organisées : M. le préfet de la Seine-Saint-Denis, M. Philippe Galli, nous a accueillis, ainsi que M. Antoine Mordacq, responsable adjoint de la sécurité de l'Euro 2016. Le risque zéro n'existe pas, nous le savons tous : l'expérience des premiers matchs le démontre, avec l'introduction de fumigènes et des bombes agricoles au stade Vélodrome de Marseille, mais nous avons pu également constater la solidité de l'organisation des contrôles d'accès au Stade de France, avec le système de pré-filtrage par les services de police aux abords, puis un premier filtrage et une inspection visuelle sur le périmètre « Euro 2016 » puis, enfin, le contrôle des billets et les palpations de sécurité aux portes d'entrées.
Les leçons des dysfonctionnements survenus le 21 mai à l'occasion de la finale de la coupe de France semblent avoir été tirées avec l'accroissement du nombre de points d'accès sur le barriérage UEFA et l'éloignement des points de préfiltrage pour éviter les « bouchons ».
La répartition des rôles est claire entre les services de l'État, compétents à l'extérieur du barriérage UEFA, et la sécurité privée placée sous l'autorité de Euro 2016 à l'intérieur du périmètre.
Enfin, l'État a prévu des dispositifs de secours à personne extrêmement importants : nous avons visité la salle de coordination qui semble pouvoir répondre aux éventuels problèmes.
L'efficacité de la riposte de l'État et de ce dispositif de sécurité tiennent moins aux prérogatives de l'état d'urgence résultant de la loi de 1955 qu'aux compétences traditionnelles exercées par l'État en matière de maintien de l'ordre et aux leçons tirées des précédentes crises terroristes.
Ainsi, le préfet du Rhône, qui a interdit la vente d'alcool à emporter, ne s'est pas fondé sur la loi de 1955 mais sur le code général des collectivités territoriales. En revanche, le préfet de Seine-Saint-Denis s'est fondé sur la loi de 1955 pour créer deux zones de protection et de sécurité autour du Stade de France et de la « fan zone » de Saint-Denis au sein desquelles la circulation des personnes et des véhicules est réglementée.
Il est difficile de dresser le bilan de cet état d'urgence et de ne pas parler de ce qui s'est passé hier à Paris à l'occasion de la manifestation organisée par la CGT contre la « loi travail ». Nos concitoyens ne comprennent pas que nous soyons en état d'urgence et que de tels débordements soient possibles. Les dégradations survenues à l'hôpital Necker ont beaucoup choqué. J'ai apprécié que le Premier ministre déclare à la radio, ce matin, qu'une interdiction générale de manifester ne pouvait être envisagée...
Mme Esther Benbassa. - Encore heureux !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Tous les membres de la commission connaissent l'arrêt Baldy et les conclusions prononcées en 1917 et qui s'appliquent toujours : la liberté est la règle et la mesure de police est l'exception. Telle est la loi de la République, mais cela ne doit pas empêcher d'agir et lorsqu'il y a des manifestations dont les organisateurs ne sont pas capables d'assurer l'ordre public, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités dans le cadre de la loi de 1955, en respectant les valeurs républicaines.
La commission des lois est bien sûr fidèle aux libertés publiques mais cet attachement impose de les défendre contre les fauteurs de troubles. Ce qui s'est passé hier à Paris est inacceptable.
Mme Esther Benbassa. - Cela n'a rien à voir avec le terrorisme !
M. Michel Mercier. - Pour ma part, j'estime que les paroles du Premier ministre de ce matin sont conformes à la tradition républicaine et nous ne pouvons que l'encourager à prendre ses responsabilités dans le cadre de la loi sur l'état d'urgence pour empêcher tout trouble lors des futures manifestations. Si la proportionnalité du risque dépasse la capacité de l'administration à faire face à ces risques, il devra prononcer l'interdiction de manifester.
M. Philippe Bas, président. - Je vous rejoins, monsieur Mercier. Ce matin, le Premier ministre a été dans le même sens. La légalité républicaine, définie depuis longtemps, est très respectueuse des libertés publiques ainsi que du droit de manifester et de rassemblement sur la voie publique. Il n'existe pas en France de régime d'autorisation préalable, mais il y a bien une possibilité d'interdiction qui doit respecter la légalité. Aujourd'hui, cette légalité doit s'apprécier dans le cadre de l'état d'urgence qui en est un des éléments.
M. André Reichardt. - Absolument !
M. Philippe Bas, président. - Nous avons accepté la reconduction de l'état d'urgence en étant conscients que nos forces de sécurité allaient être extrêmement sollicitées, car, largement mobilisées par la prévention d'attentats terroristes, elles doivent aussi assurer la sécurité de divers évènements. Le Gouvernement nous a bien dit que, parmi les motifs de prorogation de l'état d'urgence, il y avait l'Euro 2016 et le Tour de France. Les débordements actuels constituent des troubles sporadiques qui se développent en marge de manifestations publiques parfaitement légales. Hier soir, j'ai été dans le quartier de Montparnasse et j'ai mesuré l'ampleur des dégâts commis, avec l'inscription de slogans sur les murs mais pas sur les vitrines puisqu'elles étaient détruites. Ce contexte de désolation était poignant. Si de nouvelles manifestations devaient avoir lieu, les organisateurs devraient apporter des garanties de maîtrise des débordements pour que ces manifestations ne soient pas interdites. Une interdiction serait parfaitement légale dans le contexte actuel. Pour ce qui me concerne, je la réclame, comme notre rapporteur spécial du comité de suivi.
À quoi servirait d'avoir décidé de proroger l'état d'urgence si nous laissions se développer de tels désordres qui ne cessent de s'aggraver, avec des appels au crime à l'égard des forces de l'ordre ? On ne peut se permettre de les ignorer après la tragédie de Magnanville.
Je remercie notre rapporteur et les membres du comité de suivi d'être particulièrement attentifs à cette situation qui appelle de la part de l'État l'exercice de tous les moyens qu'il a à sa disposition pour faire respecter son autorité.
Mme Esther Benbassa. - Depuis hier, nous assistons à une confusion entre les terroristes, les manifestants et les casseurs. Cela ne nous fera pas avancer dans la bonne voie car l'état d'urgence, dont j'ai refusé la prorogation, doit permettre de combattre le terrorisme et non d'interdire les manifestations.
Je rends hommage aux forces de police pour leur travail et, bien sûr, je condamne les exactions des casseurs, notamment aux abords de l'hôpital Necker. Mais n'allez pas remettre en question le droit de manifester qui relève des libertés individuelles et qui est inhérent à la démocratie. Faisons la part des choses ! Je regrette ce confusionnisme.
Mme Cécile Cukierman. - Évitons les amalgames de ces derniers jours : terroristes, casseurs, manifestants et hooligans sont tous mis dans le même sac. Non, monsieur Mercier, les services d'ordre des manifestants n'ont pas comme première responsabilité de garantir le maintien de l'ordre sur la voie publique, même s'ils travaillent avec les forces de l'ordre. Certes, il faudra revenir sur les débordements d'hier avec les organisateurs, mais ils ne sont pas que du fait du service d'ordre de la manifestation.
Depuis les manifestations lycéennes des années 1990, j'ai toujours dénoncé les débordements qui alimentent vos discours sécuritaires. Hier, il y a eu trois départs de la manifestation : d'abord, les voitures, les camions et les forces de l'ordre, ensuite ce fut le tour des casseurs et, enfin, les milliers de manifestants. Que faire face à ceux qui perturbent ces grands défilés ? Si l'on interdit les manifestations, pourquoi ne pas faire de même pour l'Euro 2016, vu les débordements de Marseille ? Je ne réduis pas l'Euro aux scènes de chaos sur le Vieux port. Ne réduisons pas le mouvement syndical et les manifestations aux scènes d'hier qui sont, effectivement, inacceptables.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre conclusion.
Mme Catherine Troendlé. - J'habite à côté de l'hôpital Necker et j'étais hier prise dans la manifestation. Dans la rue de Sèvre, il y avait des gens qui voulaient rentrer chez eux, mais aussi des manifestants de la CGT. Les forces de l'ordre nous ont demandé de reculer à cause de débordements d'une violence inouïe : six personnes se sont alors mises à frapper les CRS et à les injurier. Je leur ai demandé pour qui ils se prenaient. Ils m'ont répondu qu'ils étaient des ouvriers et des gens qui représentaient la France. Il ne s'agissait pas de casseurs mais leur comportement était inadmissible. Certains d'entre nous ont défendu les forces de l'ordre mais ces personnes se comportaient comme des sauvages. Ma fille, qui assistait à cette manifestation et qui a vu des forces de l'ordre au sol, m'a envoyé un SMS pour me dire : « C'est ça la France ? ».
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre témoignage.
M. François Grosdidier. - Nous n'assimilons pas les manifestants aux casseurs, pas plus que nous ne le faisons pour les supporters du foot et les hooligans ou les musulmans et les terroristes.
En revanche, nous avons un problème d'ordre public : il est impossible de laisser nos forces de l'ordre exsangues assurer à la fois la sécurité de l'Euro 2016, la lutte contre le terrorisme et la surveillance de manifestations que les services d'ordre ne savent ou ne peuvent pas encadrer. Les pouvoirs publics ne peuvent pas suspendre l'Euro, c'est trop tard, mais ils peuvent encore interdire les manifestations contre un projet de loi qui a d'ailleurs été vidé de sa substance.
J'appelle chacun à la responsabilité.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Tout d'abord, il n'y a pas d'amalgame, et nous reconnaissons que les organisations syndicales, dont la CGT, ont le droit de manifester comme tous les citoyens français. Mais l'exercice de ce droit entraîne des responsabilités. Nous souhaitons rester dans la légalité républicaine établie depuis le début du XXème siècle. Quand le commissaire du gouvernement, M. Corneille, disait « La liberté est la règle, la mesure de police est l'exception », il fixait un cadre. De même, avec l'arrêt Benjamin on expliquait que c'était la proportionnalité entre le risque de désordre et les forces de police disponibles qui devait guider la décision de l'autorité administrative d'autoriser, ou non, la manifestation. Aujourd'hui, le Gouvernement ne doit pas interdire toutes les manifestations mais, au cas par cas, en fonction des disponibilités des forces de police mises à rude épreuve depuis un an. Il devra prendre ses responsabilités, comme l'a d'ailleurs dit le Premier ministre ce matin.
M. Philippe Bas, président. - Merci de ce rapport d'étape.