- Mercredi 8 juin 2016
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 - Moyens de la justice - Auditions de M. Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice, Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires, M. Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire, M. Hugues Tranchant, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse adjoint, et M. Philippe Lonné, sous-directeur, direction du budget
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 - Moyens de la justice - Auditions de Mme Dominique Lottin, présidente de la conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, M. Jean-Jacques Bosc, membre de la conférence nationale des procureurs généraux, M. Gilles Accomando, président de la conférence nationale des présidents des tribunaux de grande instance, et M. Thomas Pison, vice-président de la conférence nationale des procureurs de la République
- Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes
Mercredi 8 juin 2016
- Présidence de Mme Michèle André, présidente et de M. Philippe Bas, président de la commission des lois -La commission entame un cycle d'auditions consacrées aux moyens de la justice dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 - Moyens de la justice - Auditions de M. Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice, Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires, M. Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire, M. Hugues Tranchant, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse adjoint, et M. Philippe Lonné, sous-directeur, direction du budget
La réunion est ouverte à 9 h 05
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Avec la commission des lois, nous entamons ce matin un cycle d'auditions consacrées aux moyens de la justice : dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement et alors que les moyens, budgétaires et humains du ministère de la justice suscitent beaucoup de débat, il nous a paru utile d'entendre ceux qui gèrent, au quotidien, les crédits de ce ministère.
Ce sujet nous intéresse tout particulièrement : à la suite de l'audition d'Éliane Houlette, procureur de la République financier, notre rapporteur spécial, Antoine Lefèvre, notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier et moi-même nous sommes rendus hier au parquet national financier, pour prendre la mesure concrète de ses besoins.
Nous accueillons les responsables de programme de la mission « Justice » ainsi que des représentants de la direction du budget. Il s'agit de dresser un premier bilan de l'exécution, en 2015, d'un budget de près de 8 milliards d'euros. Considérée comme prioritaire, la mission « Justice » connaît une augmentation régulière de ses crédits depuis dix ans. L'année 2015 a notamment été marquée par une ouverture importante de crédits en cours d'exercice, après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo.
Nous poursuivrons nos travaux en écoutant, en fin de matinée, les présidents des conférences nationales qui représentent les magistrats qui gèrent, au quotidien, les juridictions judiciaires. Cette séquence se poursuivra, le mardi 14 juin, par une audition du garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas.
Je souhaite donc la bienvenue ce matin à Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice et responsable des programmes « Accès au droit et à la justice » et « Conduite et pilotage de la politique de la justice » accompagné d'Anne Duclos-Grosier, son adjointe ; à Marielle Thuau, directrice des services judiciaires et responsable du programme « Justice judiciaire », accompagnée de Thomas Lesueur, son adjoint ; à Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire qui est la responsable du programme « Administration pénitentiaire » ; à Hugues Tranchant, directeur-adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse, pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » et, enfin, à Philippe Lonné, sous-directeur chargé notamment de la mission « Justice » à la direction du budget, accompagné de Sabine Deligne, cheffe du bureau « Justice et médias ».
Les responsables de programme sont chargés de trois missions principales : établir le projet annuel de performances dans lequel il leur est demandé de préciser les orientations stratégiques ainsi que les objectifs du programme et de justifier des crédits et des autorisations d'emplois demandés ; assurer le pilotage du programme dont ils ont la charge ; établir le rapport annuel de performances.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Cette audition conjointe à nos deux commissions montre la préoccupation du Sénat à l'égard de la justice : si ses moyens sont passés de 6,2 milliards à 8,2 milliards d'euros en dix ans, les lois se sont multipliées qui ont accru les charges de la justice sans que les impacts ne soient convenablement mesurés, et les contentieux ont explosé dans un certain nombre de domaines. Paradoxalement, nous avons constaté qu'un certain nombre de postes ouverts n'étaient pas pourvus et que les prévisions en matière de recrutement et de sortie des différents corps, notamment pour l'administration pénitentiaire, se sont révélées très éloignées de la réalité.
La question du bon fonctionnement du service de la justice est donc posée de façon plus aiguë que jamais.
Avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, je me suis rendu au tribunal de grande instance de Créteil et à la prison de Bois-d'Arcy pour constater les difficultés du service public judiciaire qui ne cessent de s'aggraver. Rompant avec plusieurs années de pratiques, l'actuel garde des Sceaux a pris la mesure de ces problèmes et tente de se donner les moyens d'y répondre convenablement.
Nous saisissons l'occasion de l'examen prochain de la loi de règlement pour procéder à ces diverses auditions : elles nous permettront de mieux définir nos orientations et de contribuer au redressement de la justice.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice ». - Le projet de loi de règlement fait apparaître des taux d'exécution élevés par rapport aux crédits prévus par la loi de finances initiale en raison de l'ouverture de moyens supplémentaires en cours d'année à la suite des attentats contre Charlie Hebdo : pouvez-vous présenter le bilan des moyens mis en oeuvre dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT) ? A-t-il apporté une bouffée d'oxygène ou bien n'a-t-il servi qu'à financer les moyens spécifiquement dédiés à la lutte contre le terrorisme ? À l'attention de la direction du budget : ces crédits ont-ils fait l'objet d'un suivi particulier ?
Selon la Cour des comptes, « l'augmentation très significative des crédits en loi de finances puis à l'occasion du PLAT peut sembler excessive au regard de la capacité du ministère à exécuter les crédits de T2. Celui-ci rencontre en effet d'importantes difficultés pour réaliser les recrutements et fidéliser ses effectifs ». Si les créations de postes en 2015 ont été significatives, on observe toutefois un nombre de sorties particulièrement important et qui dépasse les seuls départs en retraite : comment l'expliquer ? Outre les spots et les affiches en faveur des métiers de l'administration pénitentiaire, quelles mesures envisagez-vous pour augmenter l'attractivité du ministère de la justice ?
Le taux de mise en réserve peut atteindre jusqu'à 20 % des crédits prévus sur certaines briques de budgétisation : ainsi en est-il des moyens de fonctionnement du « secteur public intervention » de la protection judiciaire de la jeunesse. Quelles sont les conséquences en gestion ?
Comment, pratiquement, gérez-vous cette fin d'exercice et quelles dépenses priorisez-vous ?
Quelles mesures envisagez-vous pour diminuer les délais de paiement, évalués par la Cour des comptes à 43 jours contre 18 en moyenne pour les services de l'État ?
Cette question s'adresse au Secrétaire général : la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) n'a pas permis de réaliser les économies escomptées car elle n'est pas opérationnelle et les services enquêteurs ne veulent plus l'utiliser, d'où un recours aux prestataires externes : où en est-on ?
La direction des services judiciaires peut-elle faire le point sur le règlement des questions relatives au statut fiscal et social des collaborateurs occasionnels du service public de la justice (COSP) ?
Enfin, l'administration pénitentiaire peut-elle parler des difficultés de recrutement et de fidélisation des surveillants pénitentiaires et revenir sur le coût et la quantité des heures supplémentaires réalisées par les surveillants pénitentiaires ? Peut-elle enfin nous indiquer le nombre total de jours de congés dits « bonifiés » et la proportion de personnels en bénéficiant dans les établissements pénitentiaires d'Île-de-France ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Quelle est l'analyse de la direction du budget sur la fin de gestion 2015 ? Selon la Cour des comptes, les 54 millions d'euros de reports de crédits sur 2016 « témoignent de la persistance de l'artifice destiné à faire en sorte que la mission participe à atteindre la cible d'exécution du budget de l'État ; le montant des reports a été de surcroît aggravé cette année par la cessation par les comptables des validations de demandes de paiement, le 23 décembre, ce qui contrevient au principe d'annualité budgétaire ».
Comment expliquer la diminution du nombre de magistrats et comment améliorer la situation ? Par la loi de finances rectificative, le Parlement a autorisé la création de postes, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Peut-on disposer d'un bilan précis du nombre de postes pourvus ? Des mesures exceptionnelles sont-elles envisagées, comme la prolongation d'activité de certains magistrats devant partir à la retraite ou le recrutement d'avocats ?
Peut-on également disposer d'un bilan des postes créés dans l'administration pénitentiaire ? Le taux de vacance diminue-t-il ? En dehors des concours, est-il possible de recruter ?
M. Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice. - L'exécution du budget 2015 est plus favorable que l'année précédente : les crédits dépensés s'élèvent à 7,85 milliards d'euros. L'exécution est ainsi en hausse de 2,5 % par rapport à 2014, en dépit des mesures d'annulation. Le PLAT a augmenté les crédits disponibles : nous avons consommé 80,54 % de la ressource en autorisations d'engagement et 75,45 % s'agissant des crédits de paiement. Cette consommation doit être saluée car nous avons mis en oeuvre de nouveaux projets en cours d'année et nous avons procédé à des recrutements supplémentaires. Nous sommes parvenus à créer tous les emplois prévus par la loi de finances initiale, soit 600 emplois, et par le PLAT. En revanche, du fait de recrutements tardifs, les dépenses de personnel ont été sous-exécutées.
La plateforme nationale des interceptions judiciaires, la PNIJ, fonctionne depuis octobre 2015. Elle s'est déployée à partir de cette date sur l'ensemble du territoire par zones de défense. Aujourd'hui, toutes les zones sont couvertes, y compris les départements d'outre-mer. En revanche, certaines zones de gendarmerie enregistrent encore des retards. La PNIJ représente aujourd'hui 65 % des prestations annexes demandées par les officiers de police judiciaire, les OPJ, et un tiers des interceptions judiciaires de tout type ; 65 % des réquisitions - identification de l'abonné, détail de trafic - faites aux opérateurs de communications téléphoniques sont traités par la PNIJ. Enfin, 80 % des demandes sont aujourd'hui automatisées. Il ne faut désormais plus que quelques minutes pour obtenir ce qui mettait plusieurs jours à l'être auparavant. Il s'agit donc d'un vrai confort pour les enquêteurs.
Le 24 mars, nous avions 3 000 interceptions judicaires simultanées, sur un total de 9 900. La PNIJ permet d'intercepter chaque jour 40 000 communications, 70 000 SMS et 700 MMS. Nous avons fourni 630 ordinateurs portables sécurisés au profit des traducteurs et nous en livrerons 600 supplémentaires ce mois-ci.
Les économies ne sont pas à la hauteur des ambitions puisque la PNIJ a été mise en place beaucoup plus tardivement que prévu. Sur la base des éléments fournis par la direction des services judiciaires, de janvier à avril 2016, par rapport aux mêmes mois de 2015, les économies s'élèvent à 2,7 millions d'euros, dont un peu plus d'un million pour le seul mois d'avril. Les économies commencent à être réalisées, ce qui se traduit d'ailleurs par une légère diminution des chiffres d'affaires des prestataires chaque mois depuis le début de l'année 2016. Il est vrai - et nous ne l'avons pas caché - que la PNIJ a connu des problèmes, notamment en mars, problèmes relatés par la presse. Ces difficultés étaient dues à l'augmentation des requêtes par les enquêteurs et à des capacités techniques et logicielles insuffisantes. Avec la société Thalès, nous résolvons ces problèmes : au 31 mars, 12 000 personnes pouvaient utiliser la plateforme et bientôt 4 000 interceptions simultanées seront possibles. D'ici la fin de l'année, nous devrions atteindre 12 000 interceptions simultanées.
Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires. - Les moyens alloués dans le cadre du PLAT-1 en 2015 ont été principalement consacrés à la sécurisation des juridictions : contrôles d'entrée, vidéo-protection, alarme, gardiennage. En outre, l'information relative à la lutte anti-terroriste a été renforcée et des tablettes et des ordinateurs portables ont été attribués notamment au parquet pour assurer la mobilité des magistrats. Des greffiers supplémentaires ont été recrutés. Enfin, les juges anti-terroristes ont bénéficié de voitures plus adaptées à leurs besoins. Ces moyens ont été centrés sur Paris, juridiction consacrée à la lutte contre le terrorisme.
Dans le cadre du PLAT-2 de la fin de l'année 2015, nous avons élargi l'attribution des moyens afin d'améliorer le fonctionnement des juridictions : pour que les juges puissent davantage se consacrer au pénal, nous avons cherché à fluidifier l'ensemble de la chaîne juridictionnelle. Dans un certain nombre de juridictions, les magistrats ne font pas que du pénal : ils font aussi du civil.
Nous avons aussi fait en sorte que pour chaque personne arrivant au sein d'une juridiction, qu'il s'agisse d'un magistrat, d'un assistant de justice ou d'un vacataire, la juridiction d'accueil dispose de moyens supplémentaires. Nous avons appelé cela le « sac à dos », qui correspond au coût de fonctionnement d'un nouvel arrivant : il s'agit de ne pas aggraver le fonctionnement courant des juridictions par l'arrivée importante de personnel. Car plus de 1 150 équivalents temps plein (ETP) sont en cours de recrutement actuellement.
Vous m'avez interrogée sur les délais de paiement qui concernent principalement les frais de justice. Afin de contenir cette dépense, la direction des services judiciaires a pris diverses mesures. Ainsi, expérimentons-nous le recrutement de 45 interprètes contractuels afin, d'une part, de les fidéliser et de les solliciter à temps plein plutôt que de recourir à des collaborateurs occasionnels qu'il est parfois difficile de mobiliser au bon moment et, d'autre part, de limiter la dépense.
Les charges à payer en matière de frais de justice ont diminué en 2015 : 141 millions d'euros contre 156,8 millions en 2014.
Parallèlement, nous avons enregistré 10 millions d'euros supplémentaires de charges à payer en fonctionnement courant. La maîtrise des frais de justice permet d'apurer l'arriéré mais les dotations en fonctionnement courant des juridictions sont sous-évaluées, ce qui entraîne une augmentation des charges à payer même si elle est contenue grâce aux mesures d'économies prises.
Pour réduire les délais de paiement, notamment pour les frais de justice, nous avons mis en place Chorus portail pro : le prestataire de frais de justice saisit sa dépense sur le site internet et il est remboursé par le trésor public. Ce site a été développé entre 2014 et 2015 : aujourd'hui, toutes les juridictions et tous les prestataires l'utilisent. Notre objectif est bien de réduire les délais de traitement des frais de justice.
Je tiens à souligner que le nombre de magistrats est totalement dépendant du nombre d'auditeurs de justice recrutés hier. Or, il faut trente-et-un mois pour former un auditeur de justice. La situation actuelle est donc liée à des baisses significatives de recrutement entre 2009 et 2011 : environ 135 postes étaient offerts par an à l'École nationale de la magistrature, l'ENM, et les étudiants en droit s'en étaient désengagés. En 2012, il a été décidé d'augmenter le nombre de postes offert au concours, mais la décision a été prise en mai pour un concours qui avait lieu en juin : le concours 2012 n'a pas fait le plein. Ce n'est qu'à partir de 2013 que les promotions d'auditeurs de justice ont été complètes.
Le garde des Sceaux tente à l'heure actuelle de réduire le nombre de contentieux portés devant les juridictions, mais, d'une manière générale, celui-ci est « alourdi » par l'effet des nouvelles lois. En outre, la durée des sessions d'assises a tendance à s'accroître du fait de la multiplication des demandes d'intervention de témoins, d'experts, ce qui se traduit par des besoins supplémentaires en ETP.
Nous ne connaissons plus de problèmes d'attractivité : les concours attirent un nombre suffisant de candidats, notamment pour les auditeurs de justice. Nous n'enregistrons pas non plus de hausse significative du nombre de départs : ces cinq dernières années, nous observons entre 300 et 350 départs annuels. En revanche, nous avons mis en place une procédure simplifiée de détachement judiciaire pour favoriser le détachement des magistrats administratifs ou de la Cour des comptes dans les services judiciaires. Il fallait dix-huit mois pour examiner ces demandes : il n'en faut plus que six.
Dans le cadre du projet de loi organique, un certain nombre de dispositions ont été validées par le Parlement, comme l'intervention des magistrats honoraires dans les procédures et le recrutement temporaire de magistrats.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Combien de postes de magistrats prévus par le Parlement sont-ils effectivement pourvus ?
Mme Marielle Thuau. - C'est compliqué car les vacances de poste sont en perpétuelle évolution. Globalement, nous avons 450 postes vacants.
Mme Michèle André, présidente. - Pourrez-vous nous transmettre des chiffres précis à une date déterminée ?
M. Thomas Lesueur, adjoint de Mme Thuau. - Au ministère, la notion de taux de vacance détermine l'écart entre les effectifs présents en juridiction et la circulaire de localisation des emplois. Cette circulaire n'est pas strictement ajustée sur les effectifs ouverts en loi de finances, notamment parce que le périmètre n'est pas identique. Il y a les emplois ouverts à l'ENM pour les auditeurs de justice, mais également ceux de l'administration centrale et de la Cour de cassation. Les 450 emplois correspondent aux vacances.
S'agissant des données budgétaires, le plafond d'emplois agrège plusieurs éléments : les effectifs de magistrats, qu'ils soient en formation ou en poste dans les juridictions ou dans l'administration centrale, mais aussi les assistants spécialisés et les juges de proximité. Il y a des mécanismes de conversion qui contribuent à consommer le plafond d'emplois même si ce ne sont pas stricto sensu des effectifs de magistrats. Cela explique l'écart entre le plafond d'emploi qui est fixé à 9 125 magistrats de l'ordre judiciaire et une réalisation significativement plus basse. Il est important de voir quels sont les effectifs de magistrats stricto sensu à l'ENM et dans les juridictions et le nombre de juges de proximité, qui ne représentent pas un ETP complet par personne physique, qui contribuent à consommer le plafond d'emplois et expliquent une partie de la sous-consommation.
Mme Marielle Thuau. - Le taux de vacances s'établissait au 1er octobre 2015 à 5,15 %. Ce chiffre dépend du nombre de localisations. Pour 2016, le ministre a décidé de localiser 105 postes supplémentaires (juges d'application des peines, substituts, juges des enfants...). La circulaire de localisation qui a été publiée il y a quelques semaines a donc localisé ces 105 postes dans les juridictions, ce qui a mécaniquement augmenté la vacance. Tout dépend donc du nombre de postes localisés l'année N-1et du temps qu'il faut pour les pourvoir.
Mme Michèle André, présidente. - La mise en place du portail Chorus dans diverses administrations ne s'est pas toujours déroulée dans de bonnes conditions. Qu'en est-il pour la justice ?
M. Philippe Bas, président. - Vous avez de grandes difficultés pour recruter rapidement des magistrats qui doivent suivre une longue formation. Mais quand chaque année, nous votons un plafond d'emplois et qu'ils ne sont pourvus qu'à 95 %, nous sommes conduits à nous interroger sur les raisons de ce décalage. Je ne comprends pas les raisons de cet écart important pour un service public dont les difficultés sont très grandes. En outre, des membres de professions juridiques ont été intégrés dans le corps des magistrats, ce qui a permis de gagner du temps : pourquoi ne pas avoir privilégié cette voie ?
Mme Marielle Thuau. - Chorus portail pro n'a pas résolu tous les problèmes, mais les améliorations sont sensibles. Pour certaines cours, la situation est plus compliquée que pour d'autres. La mise en place de ce site a imposé une réorganisation des services en amont, d'autant que dans les juridictions, un service gérait les frais de justice au parquet, un autre les frais de justice au siège et une régie payait les mémoires. Il a donc fallu reporter le personnel vers le service centralisé des frais de justice qui traite tous les mémoires dématérialisés. Dans l'ensemble, les prestataires estiment que ce service a amélioré la situation. En cas de difficulté dans une juridiction, une équipe spécialisée au service judiciaire se déplace.
Il convient de distinguer le schéma d'emploi, lié à la masse salariale, du plafond d'emploi voté par les parlementaires. Nous prenons en compte la masse salariale globale pour recruter le personnel.
Les services sont favorables à l'intégration, notamment, des avocats qui rejoignent la magistrature par dizaines chaque année. Les concours complémentaires permettent également de recruter : en juin, 60 personnes sortiront de ce concours. Nous essayons d'élargir l'intégration dans la magistrature et nous recrutons, dans le cadre du PLAT-2, des juristes-assistants dans le cadre de contrat de trois ans. Nous devrons sans doute continuer à recruter des magistrats mais aussi penser à une autre façon de travailler, comme l'ont déjà fait d'autres pays européens, afin que les magistrats se recentrent sur leur coeur de métier, à savoir trancher les litiges. C'est pourquoi nous recrutons des juristes-assistants et des greffiers pour constituer des équipes autour des magistrats.
M. Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire. - Le PLAT est bien consacré à la lutte contre le terrorisme : dans quatre établissements, cinq unités dédiées contre la radicalisation ont été créées en début d'année, tant pour l'évaluation que la prise en charge des personnes détenues. Nous accordons beaucoup d'importance à cette expérimentation.
S'agissant du renseignement pénitentiaire, nous avons beaucoup recruté en 2015 et nous allons poursuivre en ce sens cette année pour tenir compte de la loi sur la criminalité organisée.
Nous avons aussi mis en place des mesures de prévention : nous avons fait appel à des chercheurs et des associations pour nous aider à définir les modalités d'actions concrètes pour les unités dédiées, mais aussi pour lutter contre la radicalisation des mineurs et pour mieux encadrer les personnes en milieu ouvert.
Nous avons créé des programmes pour les arrivants : tous les détenus qui entrent en détention suivent des stages de citoyenneté, ce qui permet d'identifier ceux qui rejettent le discours sur les valeurs républicaines.
Les crédits consacrés à l'aumônerie musulmane ont été doublés : nous avons recruté trente-neuf aumôniers l'an dernier et nous poursuivons l'effort cette année, en lien avec les préfectures, pour identifier les candidats idoines. En 2016, l'aumônerie musulmane disposera des crédits les plus importants parmi les aumôneries pénitentiaires.
Outre ces actions du PLAT, un deuxième ensemble d'initiatives a été pris pour sécuriser nos établissements. Nous luttons contre l'introduction de produits illicites et de téléphones portables. Les projections sont la plaie d'un certain nombre de nos établissements. Nous avons également amélioré l'équipement de nos surveillants pour plus de sécurité.
En matière de prévention, nous travaillons sur l'amélioration des conditions de détention afin de limiter les conséquences de la surpopulation carcérale et sur le développement des activités : en maison d'arrêt, les détenus passent parfois 22 heures sur 24 dans leurs cellules. Une offre d'activités plus large - enseignement, travail, activités socio-culturelles et sportives - permettrait de les sortir de cet enfermement et de travailler sur leurs projets.
Un troisième ensemble d'actions, dans le cadre du PLAT-2, vise à combler les vacances de postes dans nos établissements et à améliorer notre parc immobilier. Le programme de la mission pénitentiaire a bénéficié depuis plusieurs années d'augmentations significatives, de 17 % entre 2012 et 2016 et surtout, entre 2015 et 2016, de 78 millions d'euros en dépenses de personnel et 22 millions d'euros pour les autres dépenses.
Comme les autres programmes, nous connaissons des annulations et des gels de précaution qui limitent nos capacités d'exécution. Nous veillons à bénéficier au mieux des dégels pour compléter nos dépenses de fin d'année, notamment pour éviter les charges à payer qui, malgré tout, continuent à augmenter depuis 2012, soit 85 millions d'euros à l'heure où je vous parle.
Notre budget connaît diverses rigidités, notamment en ce qui concerne les partenariats public-privé (PPP), les gestions déléguées et les dépenses de santé : la dette vis-à-vis des maisons de santé s'élève à 54 millions d'euros. Il s'agit de dépenses sur lesquelles nous n'avons aucune prise.
Ces contraintes se reportent sur deux briques qui peuvent supporter des reports : l'immobilier et la gestion publique. Les dépenses d'entretien du parc existant en subissent les conséquences.
Le 6 juin, 1 419 postes de surveillants étaient vacants sur un effectif total de 26 000 agents. C'est ce corps qui concentre toutes les difficultés. Nous avons atteint un pic de 1 800 postes vacants en mai. L'année 2016 sera difficile et le comblement des vacances commencera début 2017. En mars 2018, nous devrions ne plus enregistrer que 300 vacances d'emplois.
Nous devions recruter 717 emplois nets de surveillants en 2015 et nous n'en avons recruté que 426, soit 291 emplois non pourvus. Nos prévisions de départs en retraite sont correctes. En revanche, nous avons plus de mal à anticiper les détachements et les réussites à d'autres concours. La police nationale, les polices municipales et la gendarmerie nous concurrencent directement. Nous avons pris des dispositions et avons recruté 82 contractuels administratifs ou techniques pour remplacer les surveillants qui occupent ces postes. Notre politique de recrutement est extrêmement dynamique : une promotion de 880 surveillants va entrer à l'École nationale d'administration pénitentiaire, l'ENAP, en juillet et un effectif identique y entrera en octobre prochain. Les années à venir seront aussi extrêmement dynamiques.
Le PLAT-2 a prévu des revalorisations indemnitaires pour le personnel de surveillance afin que ces emplois restent suffisamment attractifs par rapport à la police nationale. Pour fidéliser notre personnel, nous allons expérimenter un concours d'affectation régionale en Île-de-France qui concentre les vraies difficultés en termes de renouvellement d'effectifs. Nos établissements franciliens servent souvent de « déversoir » à nos élèves de l'ENAP qui, rapidement, essayent de rejoindre leur terre natale. La moyenne d'âge des surveillants s'élève à 29 ans.
Dans le cadre du PLAT-2, nous avons bénéficié de crédits pour instaurer une prime de fidélisation. Le premier versement de 20 % serait effectué dès l'arrivée dans les établissements structurellement déficitaires, 20 % seraient versés au bout de trois ans et les 60 % restants à l'issue de cinq ans d'affectation. Le montant de la prime serait d'environ 5 000 euros. En région parisienne et en PACA, les coûts de l'immobilier sont très élevés : nous devons développer une politique d'action sociale pour permettre aux surveillants et à leur famille de trouver à s'installer.
Nous avons beaucoup travaillé sur le métier de surveillant, notamment avec les organisations syndicales, qu'il s'agisse des surveillants en détention, des missions extérieures ou des modules de respect : le surveillant doit être davantage responsabilisé dans le parcours d'exécution de peine des détenus. Cette approche serait valorisante pour les surveillants. Il faut éviter que le surveillant n'apparaisse - à tort - que comme un tourneur de clés, sans autorité sur la population pénale.
Comme l'an dernier, nous avons lancé une campagne de recrutement autour de la fierté. Ce métier difficile doit être valorisé pour sortir de l'image du « maton ». N'oublions pas non plus la filière insertion-probation dont le travail est essentiel pour lutter contre le terrorisme. Nous sommes très fiers de pouvoir défiler le 14 juillet à Paris : cela démontrera que l'administration pénitentiaire fait partie des forces de sécurité qui concourent à la lutte contre le terrorisme.
Les heures supplémentaires coûtent de 60 millions à 65 millions d'euros, dont une grande partie est due aux heures « frictionnelles » : les surveillants pénitentiaires continuent en effet à travailler 39 heures par semaine, soit un surcoût de 40 millions à 45 millions d'euros. Les 15 millions d'euros restants concernent les heures supplémentaires réalisées en raison des vacances de postes.
En Île-de-France, 420 agents sont partis en congés bonifiés en 2015, sur 612 à l'échelle nationale, soit 27 300 jours de congés bonifiés dus au titre de l'outre-mer. En Île-de-France, 1 549 agents sont susceptibles de bénéficier de ces congés bonifiés.
M. Hugues Tranchant, directeur adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse. - Le PLAT a attribué à la protection judiciaire de la jeunesse 163 ETP qui ont tous été recrutés dès le début de l'année.
Nous avons mis en place une mission nationale de veille et d'information qui s'appuie sur 69 référents laïcité-citoyenneté, soit un référent par direction interrégionale et un référent par direction territoriale, présent dans les cellules préfectorales, avec un rôle d'appui des professionnels et d'identification des situations. De plus, 76 psychologues et 18 éducateurs ont été recrutés dans le cadre du PLAT-1.
La consommation de la masse salariale a été un peu en-deçà de la cible car les recrutements ont débuté en mars.
Hors dépenses de personnel, une enveloppe est dévolue à la formation. L'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a disposé de 2 millions d'euros pour former 3 630 agents de la protection judiciaire mais aussi du secteur associatif habilité par les conseils départementaux.
Sur l'enveloppe de 3,5 millions d'euros consacrée au stage laïcité, nous avons consommé 3,130 millions d'euros en autorisations d'engagement, ou AE, et 2,9 millions d'euros en crédits de paiement, ou CP. Nous avons également bénéficié d'une enveloppe pour financer la mise en place de projets nouveaux et de partenariats locaux destinés à favoriser l'initiation des jeunes aux valeurs de la République. De manière globale, nous consommons 80 % des AE.
Pour développer l'attractivité de nos métiers, nous avons mis en place une campagne de communication, à la hauteur de nos moyens modestes, qui a contribué à doubler le nombre de candidats au concours d'éducateur. Grâce à une réflexion plus fine, à un meilleur ciblage, et à un démarchage plus efficace, nous avons pu recruter davantage de candidats, avec des formations plus hétérogènes qu'auparavant, et pas seulement juridiques. Dans le cadre de la note d'orientation signée en 2014 par la directrice de la protection de la jeunesse, nous avons également travaillé sur le sens à donner au métier d'éducateur, notamment en milieu ouvert. Les rémunérations à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) restent en deçà de ce qui se pratique dans le secteur associatif habilité ou dans les conseils départementaux, ce qui explique une fuite assez importante du personnel vers les services de l'aide sociale à l'enfance. Nous avons lancé une réflexion sur le sujet dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières, rémunérations », dont nous aurons bientôt à débattre.
Nous avons fait le choix de moduler la mise en réserve de 8 %, car notre priorité est de faire tourner le secteur public et le secteur associatif habilité. Par conséquent, nous avons fait porter la réserve sur la subvention aux fédérations plutôt que sur ces deux blocs. Cela a contribué à préserver la dynamique vertueuse enclenchée en 2014, avec l'assèchement de la dette accumulée auprès du secteur associatif habilité : 30 millions d'euros de charges à payer, cette année-là contre 14 millions d'euros aujourd'hui.
Une analyse fine des dépenses effectuées au sein de la protection judiciaire de la jeunesse nous a conduits à mettre en place des cartes d'achat dans les services plutôt que de procéder selon la seule logique de marchés publics. Dans la mesure où le coût de traitement de la chaîne financière est d'environ 80 euros, il vaut mieux traiter les factures d'un montant inférieur en cartes d'achat.
M. Philippe Lonné, sous-directeur à la direction du Budget. - Nous suivons attentivement le PLAT, depuis qu'il a été conçu, en 2015. Nous le prenons en compte dans la construction du budget du ministère de la justice et nous en discutons à chaque étape de la procédure budgétaire avec le secrétariat général et les responsables des différents programmes. En 2015, le PLAT a représenté plus de la moitié de la progression prévue pour les effectifs du ministère de la justice, cette part relative devant atteindre 70 % en 2016. Aucun programme budgétaire spécifique n'existe pour le PLAT, de sorte qu'il n'y a pas de suivi direct possible dans les outils interministériels et notamment Chorus. Nous nous fondons sur des échanges d'informations avec le ministère de la justice et sur les outils de gestion de celui-ci. Sur les 108 millions d'euros ouverts par le décret d'avance de 2015, nous avons enregistré une sous-consommation de masse salariale, due à des recrutements plus tardifs que prévu.
Les charges à payer ont globalement diminué en 2015, avec 15 % en moins sur les frais de justice. Elles ont cependant augmenté sur le programme « Justice judiciaire », notamment au niveau des dépenses des cours d'appel. Les dettes vis-à-vis des fournisseurs restent stables et sont même en diminution sur le programme 310, à hauteur de 11 millions d'euros, en 2015.
Le taux de la mise en réserve est proposé par le Gouvernement dans le projet de loi de finances, selon une logique assurancielle qui consiste à intégrer les aléas dans le budget de l'État. Le taux interministériel, fixé à 8 % en 2015, s'applique au niveau du programme, mais l'imputation fine de cette mise en réserve est à la main des responsables de programmes dans les ministères, le rôle du ministère des finances étant d'apprécier en début d'année si la répartition de cette mise en réserve a un caractère soutenable ou non. Des ajustements sont apportés dans le cadre de la conférence de fin de gestion, avec la possibilité de lever les mises en réserve pour faire face aux dépenses obligatoires.
Je ne suis pas totalement à l'aise avec la citation de la Cour des comptes. Le respect de la cible d'exécution du budget de l'État est un impératif interministériel et impose des ajustements pour l'ensemble des ministères : des économies, un décalage ou un renoncement à certaines dépenses.
Depuis deux ans, en amont de la préparation du projet de loi de finances, nous nous réservons un temps de discussion avec les ministères, et notamment celui de la justice, pour déterminer la cible d'exécution des crédits pour l'année en cours. Cette cible prend en compte la trajectoire des finances publiques, mais aussi les impératifs fixés par la Commission européenne. Nous nous livrons à des arbitrages ministère par ministère. Plus qu'un artifice, les ajustements de gestion d'un exercice à l'autre sont la conséquence nécessaire de la fixation de cette cible, l'objectif restant bien entendu le respect de la norme d'exécution du budget de l'État.
Entre 2015 et 2016, le montant des reports de crédit du ministère de la justice a progressé, en partie en raison des moyens nouveaux développés au titre du PLAT qui ont mis du temps à être décaissés. Ce niveau de report reste inférieur à 2 % des moyens ouverts sur le ministère, ce qui est tout à fait correct. Dans la loi de finances pour 2016, seuls deux programmes ont été déplafonnés au titre des reports : le programme support du ministère de la justice et le programme du Conseil supérieur de la magistrature.
Enfin, il convient de relativiser les éventuels écarts entre les plafonds d'emplois et la réalité de leur exécution. En effet, la notion de plafond d'emplois prend en compte les flux d'arrivée physique des nouveaux recrutés, mais aussi la date à laquelle ils interviennent. Lorsque les recrutements sont décalés, même de deux mois, le décompte du ministère en équivalent temps plein travaillé (ETPT) varie. D'où l'importance de rester souples pour gérer ces aléas de gestion classiques, départs anticipés, recrutements tardifs, etc.
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois. - On entend dire que la réforme des transfèrements judiciaires aurait eu des effets défavorables sur le ministère de la justice, avec des procédures fragilisées faute d'effectifs suffisants, et des défèrements retardés. Qu'en est-il ?
Jusqu'à récemment, on constatait une sous-consommation du plafond d'emplois, à hauteur de 300 emplois. Les entrées et les sorties sont mal prévues et les emplois localisés restent souvent non pourvus. Mme Thuau a rappelé que le taux de vacance d'emplois était de 5 % pour les magistrats et de 7 % pour les fonctionnaires. C'est considérable. Depuis quelques années, le ministère recourt à des vacataires. Savez-vous dans quelles proportions, en termes d'ETPT ?
Si l'on crée des emplois dans le cadre des deux PLAT, reste-t-il des marges de manoeuvre pour en créer dans d'autres domaines que la lutte contre le terrorisme ?
Enfin, indépendamment des événements et des urgences de ces derniers mois, un certain nombre de réformes récentes ont accru la charge de travail des magistrats. Les évaluations des études d'impact sont souvent minorées, en termes d'emplois. On nous garantissait que Cassiopée et Portalis résoudraient tout. À combien se chiffrent les mesures adoptées en 2015, en termes d'ETPT de magistrats et de fonctionnaires, et notamment la réforme du contentieux des étrangers ?
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Les candidats passent souvent plusieurs concours, de sorte que même s'ils sont reçus à celui de l'administration pénitentiaire, ils préfèrent souvent opter pour d'autres métiers de la fonction publique. Si l'on ajoute à cela que ceux qui s'engagent dans cette voie ne restent souvent que temporairement dans la fonction publique, ne faudrait-il pas introduire une autre voie de recrutement qui serait contractuelle ?
Il est rare que les fonctionnaires trouvent à se loger à proximité de la prison où ils travaillent. Les logements sont souvent chers et ils choisissent fréquemment la colocation, pour pouvoir rentrer chez eux plus facilement lorsqu'ils ne travaillent pas. Ne pourrait-on pas développer un partenariat avec les collectivités locales pour obtenir que ces fonctionnaires aient un contingent de places réservées dans les HLM ?
M. Charles Giusti. - L'arbitrage de 2010 prévoyait que nous bénéficiions, au titre des transfèrements judiciaires, d'un transfert de 800 emplois qui s'est très vite révélé insuffisant. Celui de novembre 2013, qui faisait suite à un rapport des inspections générales de la justice, de l'administration et des finances, définissait différentes cibles en termes de moyens, avec une fourchette basse à 1 200 emplois, intégrant une baisse du volume des extractions judiciaires, que nous n'avons pas constatée. Nous sommes au contraire en augmentation. Pour information, la fourchette haute était de 1 800 emplois. Dans le cadre du PLAT-2, nous avons obtenu la création de 450 emplois supplémentaires, dont 86 dès la fin de cette année, pour renforcer les pôles existants.
Une nouvelle mission des inspections générales de la justice et de l'administration devrait refaire un point sur les extractions judiciaires pour optimiser la charge de l'État tant dans les grands pôles urbains que dans les petites maisons d'arrêt isolées où il faut parfois faire des kilomètres pour une comparution qui dure quelques minutes. En tout état de cause, si l'administration pénitentiaire doit reprendre la mission qui lui a été attribuée, il y aura toujours une dose de subsidiarité par les forces de sécurité intérieure, car notre maillage territorial ne nous permet pas de faire face à tous les pics d'activité propres aux extractions judiciaires.
Mme Marielle Thuau. - En ce qui concerne le coût des vacataires, l'exécution 2014 était de l'ordre de 23 millions d'euros. Nous l'avons ramenée à 11,7 millions d'euros grâce aux deux PLAT, particulièrement celui de novembre 2015. Nous devrions retrouver le même niveau qu'en 2014, soit un volume de vacataires équivalant à 1 120 ETPT pour assurer un renfort dans les greffes.
Dans le cadre du PLAT-2, nous avions prévu des mesures pour renforcer toute la chaîne pénale, notamment les juridictions inter-régionales spécialisées (Jirs) et les parquets, et pas seulement les juridictions anti-terroristes. Nous avons affecté 105 postes supplémentaires par la localisation en 2016 et nous recrutons 300 assistants juristes qui interviendront au siège et au parquet dans toutes les cours d'appel.
En 2015, le plafond d'emplois des magistrats était fixé à 9 125. En septembre de la même année, nous en étions en fait à 8 553 magistrats, dont des magistrats en activité, des auditeurs de justice, des magistrats en maintien d'activité qui consomment des ETPT et des magistrats affectés à l'administration centrale du ministère. La différence recouvre les 450 magistrats à titre temporaire et ceux qui sont détachés ainsi que les 2 % à 3 % dits « frictionnels ». Cela signifie que nous sommes contenus par une masse salariale qui ne nous autorise pas à recruter plus que nous pouvons dépenser. Pour 2016, nous disposons de 366 auditeurs de justice et d'un concours complémentaire de 70 magistrats en formation. Nous avons également facilité les détachements judiciaires de sorte que nous pourrons augmenter nos effectifs de 100 ETPT supplémentaires : le taux frictionnel devrait diminuer et l'exécution être plus importante.
L'étude d'impact sur la réforme du contentieux des étrangers a prévu que la charge de travail supplémentaire représentait 24 ETPT de magistrats et 10 ETPT de greffiers sur l'ensemble du territoire. Cette loi doit s'appliquer à partir de novembre 2016, mais nous avons anticipé en affectant d'ores et déjà les auditeurs de justice qui sortiront de leur formation en septembre dans les juridictions particulièrement concernées, dans le Nord, ou à Bobigny, Toulouse ou Marseille. Les juges des libertés et de la détention devraient ainsi pouvoir se consacrer davantage au supplément de contentieux qui arrivera.
Mme Michèle André, présidente. - Je rappelle que nos travaux portent sur la loi de règlement.
M. Éric Lucas. - La modernisation du ministère de la justice passe nécessairement par la dématérialisation et la numérisation. Nos effectifs ne sont pas suffisants pour répondre à toutes les évolutions nécessaires. Nous pourrons créer 94 emplois dans le cadre du PLAT-2, dont 64 cette année et 30 l'an prochain. Il s'agit d'une évolution historique, car nous n'avons jamais connu une telle hausse des effectifs au sein du secrétariat général, encore moins sur la fonction informatique. Nous avons également fait des demandes dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017 afin de renforcer le secrétariat général dans ses fonctions de synthèse et de support.
Le ministère de la justice ne dispose que de 2 000 logements à destination des surveillants de l'administration pénitentiaire. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoyait 2 millions d'euros pour que nous puissions conventionner des logements, auxquels s'ajoute 1 million d'euros supplémentaires que nous avons dégagé en cours d'année, soit un total de 3 millions d'euros pour le logement. Cette année, les crédits sont en augmentation et nous faisons ce que nous pouvons pour consommer la totalité des crédits qui nous sont alloués.
Mme Michèle André, présidente. - La Cour des comptes relève régulièrement l'insuffisance des moyens humains dont dispose le secrétariat général. Le fait que ce ministère soit essentiellement administré par des magistrats est-il la garantie d'une gestion optimale ?
M. Éric Lucas. - Votre analyse a certainement sa pertinence...
Mme Michèle André, présidente. - Merci, ma question doit être prise dans un sens positif, comme un encouragement et nullement comme une critique à l'encontre des magistrats.
M. Éric Lucas. - Dans l'administration centrale, les fonctions de support et de synthèse sont en général tenues par des non-magistrats, à l'exception de quatre d'entre elles. Au secrétariat général, toutes les fonctions support sont occupées par des administrateurs civils ou des experts techniques. En même temps, je ne souhaite pas un secrétariat général sans magistrats en son sein.
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Tout à fait.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Oui.
M. Éric Lucas. - Cela dit, la question de la professionnalisation des fonctions de gestion peut se poser dans les services déconcentrés.
M. Philippe Bas, président. - La présidente André ne cherchait certainement pas à disqualifier les magistrats. Cependant, quand un magistrat accède aux fonctions de chef de cour, bénéficie-t-il d'une formation à la gestion ? On attend en général d'un magistrat qu'il soit bon juriste et qu'il fasse preuve de discernement humain. S'il est appelé à exercer des fonctions administratives, il doit aussi être bien préparé.
M. Éric Lucas. - C'est le cas. Il existe des formations permanentes. Les magistrats choisis comme présidents ou chefs de cour ont souvent exercé auparavant des fonctions de président de juridiction.
Mme Marielle Thuau. - Rassurez-vous : je suis la seule magistrate sur ces bancs ! Les nouveaux chefs de cour et chefs de juridiction sont systématiquement formés. On pourrait encore insister davantage sur leur formation en gestion, en ressources humaines et management. Nous y travaillerons avec le futur directeur de l'École nationale de la magistrature. Le Conseil supérieur de la magistrature prend toujours en compte la carrière et la formation des magistrats lorsqu'il rend ses avis.
M. Charles Giusti. - On pourrait envisager la piste suggérée par le sénateur Portelli sur le recrutement de contractuels pour le personnel de surveillance. Dans ce domaine, nous sommes en concurrence avec le ministère de la défense, la gendarmerie, la police, mais aussi de plus en plus avec la sécurité privée. En plus de créer un vivier, nous devons veiller à la qualité du recrutement. Nous offrons une formation de huit mois à ceux que nous recrutons, et cet investissement de départ amoindrit l'intérêt d'un recrutement contractuel. D'autant que la contractualisation pourrait au contraire inciter le personnel à aller chercher une sécurité de l'emploi et un statut dans d'autres administrations.
M. Michel Bouvard. - J'entends vos explications sur les effectifs. Pour autant, en 2015, on compte moins de magistrats en activité qu'en 2012 : c'est un constat de la Cour des comptes. Je n'ai pas été convaincu par les raisonnements que j'ai entendus sur les mises en réserve. Il y a eu des sous-budgétisations notoires au moment de l'élaboration du budget : l'accès au droit et la médiation familiale ont été négligées, alors qu'on est à 12 % de mise en réserve pour l'aide aux victimes.
C'est une très bonne chose que de dégager des moyens supplémentaires pour la justice. Encore faut-il pouvoir en apprécier les résultats. La Cour des comptes demande depuis plusieurs années des indicateurs stables qui prennent en compte également le taux de récidive, le taux de réponse pénale et la valeur des confiscations en matière pénale. Le ministère a-t-il l'intention de mettre en place ces indicateurs dans le projet de loi de finances pour 2017 ?
Aujourd'hui, le ministère ne respecte pas les dispositions de l'article 8 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui oblige dans le cas de partenariats public-privé à inscrire, au plus tard à la livraison de l'intégralité de l'opération, des autorisations d'engagement sur les opérations immobilières financées, avec un montant égal en AE et en CP, en fonctionnement et en investissement. Or, dans les programmes immobiliers pénitentiaires, on constate un écart de 154 millions d'euros entre les AE et les CP : ce n'est pas rien ! Comment comptez-vous remédier à cela ?
Enfin, j'aimerais connaître les conditions dans lesquelles le ministère a refusé l'opération de construction d'une extension de prison à Nanterre. Le terrain est en gardiennage depuis 2012, aux frais de l'État.
M. René Vandierendonck. - Les maires déplorent depuis longtemps le manque de moyens pour faciliter l'accès au droit. On manque de greffiers dans les maisons du droit, dans les maisons de services au public. Des vacataires ont été recrutés. Est-ce suffisant ?
Les élus regrettent également que dans les services départementaux, ceux qui doivent traiter des violences intrafamiliales sont souvent des gens inexpérimentés, en première affectation et sujets à l'absentéisme. Pourquoi les juges des enfants ne bénéficieraient-ils pas d'un aménagement de carrière avec des bonifications indiciaires qui assureraient leur fidélisation dans les territoires ?
M. Éric Lucas. - Les indicateurs sur le taux de récidive et le taux de réponse pénale sont difficiles à mettre en place, car nous ne disposons pas encore des données. Nous dépendons d'un système d'information décisionnelle qui croise les données de Cassiopée et d'Application des peines, probation et insertion (APPI). Nous avons mis en place la première version de ce système ; il faut attendre la deuxième pour que le croisement de ces données soit possible.
Mme Marielle Thuau. - Dans la mesure où les maisons de justice et du droit sont rattachées au tribunal de grande instance, le TGI, un greffier leur est systématiquement affecté. Ce n'est pas le cas dans les points d'accès au droit locaux ou maisons de services au public qui ne sont pas des lieux judiciaires.
En tant que magistrats du siège, les juges des enfants ont le droit de demander leur mutation. Ils ont également la possibilité d'évoluer dans leur fonction, en devenant vice-président ou premier vice-président par exemple. Dans le projet de loi organique, nous avons prévu des postes hors hiérarchie dans un certain nombre de tribunaux et de cours d'appel, pour favoriser la progression de carrière des magistrats tout en leur donnant la possibilité de rester spécialisés dans leur domaine. Il est difficile de fidéliser les juges sur un territoire. Nous y réfléchissons en lien avec les juridictions en difficulté.
M. Michel Bouvard. - Et sur le non-respect de l'article 8 de la LOLF et les 154 millions d'euros d'écart en AE et en CP ?
M. Charles Giusti. - Je vous enverrai une réponse écrite. En ce qui concerne l'extension de la prison sur le terrain de Nanterre, la construction d'un quartier de semi-liberté de 90 places devrait commencer en 2017.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 - Moyens de la justice - Auditions de Mme Dominique Lottin, présidente de la conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, M. Jean-Jacques Bosc, membre de la conférence nationale des procureurs généraux, M. Gilles Accomando, président de la conférence nationale des présidents des tribunaux de grande instance, et M. Thomas Pison, vice-président de la conférence nationale des procureurs de la République
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Après les responsables des programmes de la mission « Justice », nous avons souhaité entendre les gestionnaires des juridictions : ce sont eux qui, au quotidien, sur le terrain, cherchent à assurer au mieux leur fonctionnement. Nous souhaitons la bienvenue à Dominique Lottin, présidente de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, Jean-Jacques Bosc qui représente Catherine Pignon, présidente de la Conférence nationale des procureurs généraux, Gilles Accomando, président de la Conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance, et Thomas Pison, président de la Conférence nationale des procureurs de la République.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - La commission des lois est pleinement engagée dans un travail de réflexion sur le service public de la justice, ce qui suppose une corrélation entre l'examen des moyens et celui du droit. Nous avons vu s'empiler au fil des années des législations qui ont alourdi la charge des tribunaux au moment où le recours à la justice ne cessait de prendre de l'ampleur dans les pratiques sociales. Il y a vingt ans, nous avions publié un rapport qui mentionnait l'asphyxie de la justice ; c'est d'embolie qu'il faudrait désormais parler. Nous souhaitons travailler à vos côtés pour remédier à cette situation. La semaine dernière, avec mon homologue de l'Assemblée nationale, nous nous sommes rendus au tribunal de grande instance de Créteil. Il y a une dizaine de jours, certains d'entre nous se sont réunis dans le cadre d'un colloque sur l'indépendance de la justice organisé au Sénat par le premier président et le procureur général près la Cour de cassation. Il en est ressorti que la crise que traverse la justice n'est ni constitutionnelle, ni statutaire, mais tient au manque de moyens. Sur le terrain, aucun magistrat ne se plaint d'un manque d'indépendance ; pas un ne vous dirait en revanche qu'il n'y a pas de problème dans le fonctionnement matériel de la justice.
Mme Dominique Lottin, présidente de la conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel. - La conférence des premiers présidents a souhaité vous remettre une note écrite. Depuis de très nombreuses années, et notamment dans une délibération du 1er février 2016, nous dénonçons la pénurie persistante de moyens, qui nous conduit à ne pas pouvoir remplir toutes nos missions ou à les remplir de manière dégradée. Les délais raisonnables ne sont plus remplis, et nous devons faire des choix dans le traitement des contentieux, ce qui est particulièrement inégalitaire pour les justiciables.
La note que nous vous avons remise concerne essentiellement les crédits de fonctionnement et les frais de justice. Elle laisse de côté l'accès au droit qui relève davantage du budget de l'aide juridictionnelle. Le budget du ministère de la justice ne représente que 2,17 % du budget de l'État, et celui consacré à la justice judiciaire ne représente qu'un peu plus de 38 % du budget alloué à l'ensemble du ministère, ce qui est nettement insuffisant.
Comment en est-on arrivé à cette situation ? Le budget de la justice n'a jamais constitué une priorité. La dernière loi de programmation qui date de 2002 n'a pas été exécutée jusqu'à son terme. En dix ans, la part du budget du ministère de la justice consacrée à la justice judiciaire a diminué de 44 % à un peu plus de 38 %, entraînant des recrutements insuffisants de magistrats et de fonctionnaires. Face au développement des contentieux de masse, des réformes ont été votées sans que l'on n'affecte aucun moyen supplémentaire aux juridictions.
Rien pour le contrôle des hospitalisations sous contrainte qui occupe pourtant chaque jour un magistrat à temps plein et un greffier, au tribunal de grande instance de Versailles. Rien pour le droit des étrangers. Et que dire de la loi dite « Macron » sur les conseils des prudhommes ? Pour mettre en place la procédure écrite, la cour d'appel de Versailles n'a obtenu que quelques assistants juristes, quelques greffiers et 45 000 euros en tout et pour tout. Comment envisager dans ces conditions la création de pôles sociaux dans les tribunaux de grande instance pour traiter tout à la fois du contentieux du tribunal des affaires de sécurité sociale, mais aussi de celui des tribunaux de l'incapacité et de certaines décisions d'aide sociale ? Sans compter les exigences plus fortes et légitimes de nos concitoyens, et celles induites par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en matière procédurale : renforcement du contradictoire, développement de la motivation des décisions de justice et demandes d'actes plus nombreuses au pénal... Telle est l'ampleur du constat.
Quels effets ces évolutions ont-elles sur la gestion des budgets de nos cours d'appel et des juridictions du premier degré ? L'imprévisibilité aggrave le phénomène d'insuffisance budgétaire. Les dotations initiales annuelles très insuffisantes conduisent les contrôleurs budgétaires à multiplier les décisions d'insoutenabilité. Elles ne couvrent les besoins des cours d'appel que pendant cinq à six mois, de sorte qu'en 2015, les dotations complémentaires ont représenté 21 % de la dotation initiale de la cour d'appel de Versailles, donnant lieu à une douzaine de mouvements budgétaires tout au long de l'année. Quelle entreprise pourrait fonctionner efficacement avec une prévisibilité à si court terme de ses moyens budgétaires ? Idem pour les moyens humains.
Nous démarrons l'année avec des restes à payer qui représentent entre 20 % et 30 % de nos dotations initiales. Nos difficultés en termes de frais de justice se traduisent par notre incapacité à recruter des experts de qualité, psychiatres, psychologues, comptables qui acceptent d'être payés à des tarifs sous-évalués et dans des délais inacceptables. Il en va de la qualité de nos décisions. Sans parler de l'entretien immobilier qui n'est plus assuré depuis plusieurs années, avec l'effet boule de neige qui s'ensuit et des coûts toujours plus importants.
Quant aux ressources humaines, on ne compte plus les postes vacants, ce qui crée un malaise chez les magistrats dont les demandes de mutation sont de plus en plus fréquentes. Les rotations trop nombreuses font perdre aux juridictions deux à trois mois d'audiencement. Les effectifs de la cour d'appel de Versailles ont été affectés par huit mouvements de magistrats au cours de l'année 2015. Comment un chef de cour ou de juridiction pourrait-il mener des projets à leur terme ?
La situation n'est pas meilleure dans les greffes, puisque les juridictions ne fonctionnent qu'avec le renfort des vacataires. Les 1 120 ETPT de vacataires représentent 5,3 % des effectifs de nos juridictions. Ces vacataires ne sont pas qualifiés et tournent à un rythme qui varie entre trois et six mois. Comment pourraient-ils suppléer des fonctionnaires formés à la procédure judiciaire ? Nous ne pouvons pas continuer ainsi.
Alors, comment en sortir et rendre une justice de qualité dans des délais raisonnables ? La Cour des comptes préconise une loi de programmation qui engage les gouvernements successifs pour les cinq prochaines années : elle a raison. On peut s'interroger sur la nécessité de revenir au paiement d'un timbre. Nous n'excluons pas cette solution, dans la mesure où les plus démunis qui bénéficient de l'aide juridictionnelle en seraient exonérés. Payer un timbre de 35 euros reste raisonnable. La justice n'est pas gratuite. Conseil, experts, huissiers, tout cela a un prix.
La conférence des premiers présidents de cour d'appel, ensuite, souhaiterait que le budget de la justice judiciaire devienne une mission au sens de la loi organique relative aux lois de finances, pour mieux suivre les évolutions de ce budget.
Ces mesures seraient utilement complétées par un rapport adressé au Conseil supérieur de la magistrature, lui-même pouvant être entendu par le Parlement avant l'adoption du budget.
L'augmentation des moyens budgétaires doit s'accompagner d'une modernisation de la structuration administrative et budgétaire. L'indépendance de la justice est étroitement liée au fait que les présidents de cour restent ordonnateurs secondaires des crédits, c'est ce qui leur donne la capacité de fixer des priorités et il faut limiter les crédits fléchés. Autre réforme d'envergure, le tribunal de première instance, qui permettra de mutualiser les moyens des juridictions. De même faudrait-il que le ministère de l'intérieur paie les frais de justice qu'il occasionne et qui sont aujourd'hui pris en charge par le ministère de la justice.
La conférence des présidents de cour d'appel souhaite, encore, des réformes de procédure pour un développement effectif des modes alternatifs de règlement de litiges, une meilleure rémunération des avocats pour ces alternatives, ainsi qu'une réflexion approfondie sur les voies de recours pour redonner toute sa place à la première instance, à condition que la collégialité y soit garantie.
Enfin, il faut absolument moderniser l'informatique judiciaire, qui n'est pas du tout au niveau requis par le contentieux de masse. Tous les jours, des juges d'instruction doivent renoncer à des auditions faute d'extractions judiciaires ; la visioconférence est impossible avec les équipements mis à disposition, la bande passante et les serveurs sont très en-deçà des besoins, sans parler des téléphones portables que l'administration nous a livrés : leur batterie se déchargeant en deux heures, la plupart ont fini au placard et les magistrats en sont à utiliser leur propre téléphone portable dans l'exercice de leurs missions...
M. Jean-Jacques Bosc, en remplacement de Mme Catherine Pignon, présidente de la conférence nationale des procureurs généraux. - La justice a reçu des moyens supplémentaires au titre des PLAT 1 et 2, même si nous sommes encore loin du compte et que notre budget reste très insuffisant.
Le manque d'argent freine la politique pénale, quand il rend plus difficile le recrutement d'experts, de traducteurs - c'est notre quotidien ; les impayés représentent, d'une année sur l'autre, le quart de nos moyens consacrés aux frais de justice. Cette pénurie peut aussi bloquer les procédures, quand l'expertise est indispensable ; c'est le cas de l'expertise psychiatrique, on l'a vu avec le mouvement de grève lancé par les psychiatres qui dénoncent les retards excessifs de paiement. Une bonne politique pénale demanderait une recherche plus importante d'ADN en cas de cambriolage, pour un croisement avec le fichier national ; or, avec les délais importants avec les laboratoires d'État, la limitation par le laboratoire de la gendarmerie nationale à un seul prélèvement d'ADN par scène de cambriolage, nous sommes contraints de nous adresser aux laboratoires privés, ce qui nous fait réserver la recherche d'ADN aux crimes et délits les plus graves. De même, quand les frais de justice sont plus importants que la valeur des biens concernés - je pense au vol de téléphones portables -, le parquet hésite à poursuivre, les procureurs donnent instruction à leurs substituts de prendre en compte cette donnée matérielle qui conditionne ainsi la politique pénale. Autre exemple, la mise en fourrière est si onéreuse que les forces de l'ordre sont loin de saisir systématiquement les véhicules des automobilistes commettant des délits routiers, alors que les textes prévoient cette saisie pour faire cesser le danger.
Des réformes pénales récentes accentuent ces charges, par exemple pour la traduction des pièces du dossier - le parquet va être dans l'impossibilité de traduire toutes les pièces, il n'en n'a tout simplement pas les moyens. Des considérations financières, encore, s'imposent eu égard à la réforme de la médecine légale.
La plateforme nationale d'interceptions judiciaires (PNIJ) devrait permettre d'importantes économies ; or, la police et de la gendarmerie rapportent que le service ne fonctionne pas, en particulier pour les écoutes téléphoniques : il est grand temps d'avancer sur cet outil.
Autre préconisation de la conférence des procureurs généraux : retirer du budget des frais de justice les dépenses qui n'en relèvent pas sur le fond, par exemple l'indemnisation des jurés d'assises, qui sont plutôt à classer parmi les dépenses de fonctionnement ; les frais postaux ont été ainsi déplacés, il faut continuer. D'une façon plus large, il faut parvenir à ce que le chef de cour gère la totalité du budget des frais de justice sur sa circonscription judiciaire, alors qu'une partie est aujourd'hui gérée directement par l'administration centrale ; une telle maîtrise autoriserait un pilotage bien plus fin des frais de justice.
M. Michel Bouvard. - Très bien !
M. René Vandierendonck. - Oui.
M. Jean-Jacques Bosc. - Les crédits de fonctionnement sont insuffisants eux-aussi et la conférence des procureurs généraux souhaiterait que le Parlement « remette les compteurs à zéro » en votant un budget qui couvre les dépenses réelles, plutôt que de prévoir chaque année le report d'un déficit sur l'année suivante - d'autant que les gels et dégels en cours d'année nuisent à l'efficacité de la programmation budgétaire, c'est particulièrement vrai en matière immobilière...
M. Michel Bouvard. - Très juste.
M. Jean-Jacques Bosc. - Le parquet compte quelque deux mille magistrats localisés, soit un peu plus du quart du corps judiciaire, c'est quatre fois moins que la moyenne européenne ; la vacance atteint 6 % du nombre de postes. Les magistrats du parquet remplissent des tâches très nombreuses et diverses, en particulier en matière civile - il y aurait, selon le site internet de la direction des affaires civiles et du Sceau, 1 929 occurrences législatives prévoyant l'intervention du parquet en matière civile, c'est considérable. Le plan d'action pour le ministère public, lancé en 2014, a déçu les magistrats du parquet, même si, il faut le reconnaître, la revalorisation du paiement des astreintes est une bonne chose.
Les magistrats du parquet ont besoin d'assistants, car ils travaillent dans l'urgence, ils doivent prendre des décisions parfois immédiates - ils ont besoin d'être assistés dans la rédaction et dans le règlement des dossiers, ce doit être une priorité.
À signaler, également, l'importance des mesures de forfaitisation.
Enfin, nous avons besoin d'indicateurs de performance des forces de l'ordre cohérents avec notre politique pénale ; elles utilisent le taux d'élucidation des affaires, nous savons qu'il est facile à manipuler dans un sens ou dans l'autre. Pourquoi ne pas mesurer l'exécution des peines, ou encore les condamnations après diffusion ?
Mme Michèle André, présidente. - Merci, c'est une incitation à entendre prochainement les services de la police et de la gendarmerie nationales.
M. Gilles Accomando, président de la conférence nationale des présidents des tribunaux de grande instance. - Le président de votre commission des lois a parfaitement résumé la situation : en quelques années, notre justice est passée de l'asphyxie à l'embolie. Cependant, elle continue de fonctionner - ce qui pose cette question simple : comment fait-elle pour fonctionner encore ?
Les présidents des juridictions, d'abord, gèrent la pénurie, c'est notre quotidien : nous savons chaque année que nous manquerons de moyens, alors nous avons appris à utiliser toutes nos marges de manoeuvre, par exemple à faire qu'un juge soit rapporteur dans les audiences collégiales ; nous sommes devenus aussi plus productifs, chaque juge devenant plus autonome et gérant un plus grand nombre de dossiers. Sur cette voie, nous avons atteint nos limites, nous ne ferons plus guère de progrès sans revoir les procédures, en particulier de recours.
La justice parvient à fonctionner, ensuite, parce que les magistrats, les greffiers, tous les professionnels de la justice ont un grand sens du service public, ils sont attachés à leur mission au service de leurs concitoyens. Ce levier n'est cependant pas illimité : depuis des années, nous demandons à chacun d'en faire plus pour combler les manques d'effectifs, tout le monde a travaillé davantage - nous sommes au maximum et nous faisons face à des risques psycho-sociaux avérés, sur lesquels nous devons être très vigilants. Dans ces conditions, nous devons hiérarchiser les priorités, en traitant d'abord les dossiers les plus urgents et en faisant attendre ceux qui nous paraissent moins urgents : ce n'est guère satisfaisant.
Que faire ? Je crois, d'abord, que nous avons besoin d'une gestion plus stable et prévisionnelle du nombre de magistrats. On recrutait moins de 200 magistrats il y a cinq ans et on en recrutera 366 cette année. Pourquoi de tels à-coups alors que la pyramide des âges est parfaitement connue et qu'il est facile d'anticiper ? La conférence des présidents de tribunaux de grande instance souhaite, également, des changements dans les méthodes de travail elles-mêmes : il faut sortir du modèle du « juge artisan » et reconnaître que le magistrat travaille en équipe, avec des assistants, des collaborateurs.
Nos moyens budgétaires sont très insuffisants et leur mode d'administration n'est pas adapté : les gestionnaires du budget opérationnel de programme, le BOP, dont nous dépendons, nous demandent constamment de faire des économies sans mesurer l'impact de leurs décisions, je pense en particulier aux économies sur la documentation, les codes. Nous payons en retard les experts, les interprètes auxquels nous recourons, notre informatique est mauvaise, déficiente : c'est cela que nous vivons au quotidien dans les tribunaux de grande instance.
La conférence des présidents des tribunaux de grande instance propose de revoir l'architecture de l'organisation administrative de la justice. Il faut, premier élément, instituer le tribunal de première instance, qui mettra fin à la balkanisation de la justice et nous fera retrouver un peu de cohérence. Actuellement, nous sommes administrés par des plateformes trans-directionnelles peu pertinentes - par exemple entre la justice judiciaire et l'administration pénitentiaire - ou par des budgets opérationnels de programme inter-régionaux dont la cote est nécessairement mal taillée : la gestion administrative est déliée de l'aspect juridictionnel de nos missions... Or nous avons des propositions organisationnelles pour retrouver de la cohérence.
Enfin, nous souhaitons vous alerter sur le périmètre de nos missions, qui relève directement de votre rôle de législateur. Attention aux mesures qui accroissent nos missions sans mesure d'impact préalable ! Dans la loi « Macron », par exemple, il a été question de transférer une partie des compétences de l'inspecteur du travail vers le juge judiciaire : nous vous en avons alertés, cette mesure n'avait pas du tout été évaluée et elle aurait encore alourdi notre charge de travail. Même chose pour la juridiction du pôle social : il faut certainement transformer en juridiction véritable le tribunal des affaires sociales, mais quelles en sont les conséquences organisationnelles ? Cette réforme passe par l'institution d'un règlement amiable en amont : pourquoi ne pas l'anticiper en l'appliquant dès l'an prochain ? Cela désengorgerait la justice, dans l'intérêt des justiciables.
M. Thomas Pison, président de la conférence nationale des procureurs de la République. - Jean-Jacques Urvoas a parlé d'une justice « sinistrée », d'une institution « en urgence absolue » : ce sont des termes très forts, qu'on utilise pour une personne près de la mort, au bord du gouffre. La conférence nationale des procureurs de la République se réjouit que le garde des Sceaux prenne ainsi la mesure des problèmes, nous sonnions l'alarme depuis des années ; cependant, force est de constater que ce changement de discours ne s'est pas encore traduit concrètement et que nous sommes encore très loin du compte. Les chiffres sont connus : le budget que la France consacre à la justice est en-deçà de la moyenne européenne, nous sommes même au 37e rang européen sur 45, derrière la Turquie, la Géorgie et Chypre ; la justice coûte 61 euros par an et par habitant - c'est moins que la redevance audiovisuelle -, contre 114 euros en Allemagne et 200 euros en Suisse.
Sur le terrain, nous devons faire avec des budgets très dégradés, qui entraînent des cessations de paiement dès le mois de mai... Cela contraint fortement la réponse pénale : faute de recherche ADN, des délinquants ne sont pas arrêtés ; on ne paie pas les experts : à Nancy, de petites entreprises de traduction ont fait faillite parce qu'elles n'avaient pas été payées par le ministère de la justice - de quelle entreprise privée accepterait-on un tel comportement ? Emmanuel Macron parlait de faire la chasse aux mauvais payeurs, mais le ministère de la justice est le mauvais payeur en chef dans notre pays ! Ceci, alors même que le produit des biens saisis illégalement, logé à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l'Agrasc, couvrirait nos besoins s'il n'était pas reversé au budget général de l'État. Le tribunal de Nancy reçoit 59 000 euros annuels pour son fonctionnement : au 22 mai, nous avions déjà tout consommé...
Les effectifs manquent, nous comptons 500 postes vacants alors que les missions confiées aux magistrats ne cessent d'être élargies - par exemple la gestion des mineurs étrangers isolés, l'introduction du contradictoire dans la phase préliminaire de l'enquête, les exigences nouvelles de communication introduites, elles aussi, par la réforme pénale de 2014 : nous n'en contestons bien sûr pas le fond, mais sans moyens nouveaux, nous aurons la plus grande peine, voire il sera impossible d'appliquer la loi.
Les procureurs, ensuite, sont de plus en plus appelés
dans des commissions diverses, par exemple sur la radicalisation : les
magistrats sont volontaires pour y participer, mais sans ressources nouvelles,
c'est du temps supplémentaire pris sur leur coeur de
métier
- l'action publique et la direction de la police
judiciaire - qu'ils peinent déjà à faire tant ils
sont surchargés. La loi relative à « Justice du
XXIe siècle » est intéressante, mais le
moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'allège pas les tâches du
parquet.
La justice fonctionne effectivement, mais à quel prix ? Nous nous sommes adaptés, d'abord, par une plus grande productivité : un parquetier français traite 2 500 procédures par an, contre 615 en moyenne européenne. Ce chiffre remarquable traduit les efforts fournis, mais cette capacité d'adaptation se referme comme un piège sur les magistrats : on nous dit que si nous y parvenons, c'est donc que nous n'avons pas besoin de moyens supplémentaires, mais si nous n'y parvenons plus, le rappel à l'ordre est immédiat - nous sommes donc pris entre l'arbre et l'écorce, entre l'exigence de faire toujours plus et celle de ne pas demander de moyens supplémentaires pour y parvenir...
Nous manquons cruellement d'assistants. À Nancy, sans greffier, où nous traitons 45 000 dossiers par an, le substitut du procureur se retrouve tout seul pour les permanences du week-end au palais, il doit veiller à tout, exécuter toutes les tâches - et c'est tout juste s'il ne passe pas la serpillière le dimanche soir...
Nous demandons, unanimement, qu'une circulaire de la direction des services judiciaires précise les règles pour le travail au moins le samedi. Nous avons aussi un problème pour mesurer notre travail, cela pèse dans la négociation avec l'administration. Les rémunérations, ensuite, ne sont pas à la hauteur des responsabilités d'un procureur ou d'un président de cour. Nous avons une obligation de résidence, de disponibilité, de mobilité tous les sept ans, mais la prise en compte du logement nous a été supprimée en mai 2012 ; toutes les professions ont vu cette prise en compte rétablie, à l'exception des magistrats : cette restriction est vécue comme une mesure vexatoire.
Ces conditions créent une tension dans le parquet et de la souffrance au travail, qui est nouvelle ; je vois des jeunes excellemment formés, d'un niveau meilleur que le nôtre quand nous entrions dans la carrière, des jeunes qui s'engagent pleinement dans leur métier mais qui sont parfois « lessivés », parce que le travail est trop intense. Cela crée une crise des vocations, en particulier pour les postes de chef de parquet et les candidatures se font désormais rares sur les postes de procureur de la République. Un exemple personnel : avant d'être à Nancy, qui compte 17 parquetiers, j'étais à Ajaccio, où nous étions cinq parquetiers, mais j'ai perdu 1 000 euros par mois au changement de poste.
Ce que nous demandons, ce sont donc des moyens décents pour remplir nos missions, nous le demandons comme magistrats, aussi bien que comme citoyens.
M. Philippe Bas, président. - Nous sommes saisis par le contraste entre la sérénité affichée par les responsables de l'administration centrale que nous avons entendus avant vous, et vos propres cris d'alarme. S'il nous faut tenir compte de la situation générale des finances publiques, nous devons également, comme nous l'avons fait pour la défense nationale, trouver une voie qui sanctuarise les crédits de la justice, pour une programmation qui mette fin aux à-coups dans la gestion des effectifs et aux cessations de paiement dont vous nous parlez.
Il y a ce que vous pouvez faire, pour optimiser vos ressources - quid, en particulier, du fruit des saisies des biens confisqués ? -, et il y a ce que nous devons faire, comme législateurs ; nous pourrions commencer par une revue détaillée de l'impact de nos textes sur les services de la justice, et par nous interroger sur le périmètre des compétences des juges, tout comme il nous revient de renforcer les procédures précontentieuses.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les magistrats utilisent-ils tous les moyens technologiques contemporains pour améliorer l'efficacité de leur travail, je pense en particulier à la visioconférence ? Sinon, pourquoi ? Les freins sont-ils d'abord techniques, financiers ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Ce que nous avons entendu est édifiant et notre responsabilité de législateur est engagée : on ne doit plus adopter de disposition concernant les mesures de justice sans étude d'impact préalable. Ce que vous nous dites des téléphones portables qui vous ont été fournis est affligeant - surtout quand on sait que des téléphones bien plus performants circulent en prison...
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Rapporteur pour avis des crédits des services judiciaires depuis une décennie, je mesure l'aggravation de la situation, en particulier du fonctionnement de ce grand service public qu'est la justice : elle est en effet « sinistrée », le terme est approprié. Vous avez dit les choses : les réformes se multiplient mais la situation est toujours plus difficile ; dès lors, il faut se concentrer sur les moyens confiés à la justice - quant à la comparaison internationale, l'exercice a ses limites puisque chaque pays a son organisation propre, avec des spécificités bien marquées.
M. Marc Laménie. - Je vous remercie pour votre franchise : votre propos nous saisit, nous devons trouver des solutions. La situation se dégrade, je le vois dans mon département des Ardennes, les magistrats - qui sont de plus en plus souvent des magistrates - ne sont pas suffisamment payés, le mal-être au travail devient une réalité. Quelles sont les bonnes solutions ?
M. Jean-Claude Boulard. - Je veux relayer ce message de tous les magistrats que je rencontre : arrêtons de faire des lois pénales ! Le droit pénal a besoin de stabilité, mais nous ne cessons d'étendre le périmètre de compétence des juges, alors que nous savons pertinemment que leurs moyens n'augmenteront pas en proportion : notre responsabilité est écrasante. Prenons d'autres voies, en particulier celle de la conciliation.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le constat que vous faites est inchangé depuis quarante ou cinquante ans : quelles vous paraissent les raisons de ce déficit chronique sur tant d'années ? Les parlementaires et les ministres qui se sont succédé n'étaient pas hostiles à la justice, alors pourquoi de tels manques de moyens ?
Il est établi, cependant, que depuis quatre ans les moyens de la justice augmentent, aussi bien les moyens budgétaires que le nombre de postes de magistrats ; or, sur le terrain, on ne voit pas de changement, nous avons le sentiment étrange que l'ouverture de nouveaux postes ne change rien à la situation, qu'ils n'arrivent pas, concrètement, dans les juridictions : pourquoi ?
Enfin, vous nous alertez de la perte de temps liée à la multiplication des réunions, alors que c'est sur le terrain qu'il faut aller : nous devons réduire le nombre de ces instances, et cesser de suivre cette idée de Montesquieu qui voulait qu'en république, tout le monde s'occupe de tout - je crois plutôt qu'une république fonctionne bien quand chaque pouvoir assume pleinement ses missions.
Quant à l'idée de ne pas faire de loi, nous savons ce qu'il en est : on n'a jamais vu un ministre prendre son poste en annonçant qu'il ne fera adopter aucun texte... qui porte son nom !
M. François Pillet. - Vos propos qui, hélas, ne nous étonnent pas, ont été dits sur un ton qui doit nous alerter. Attention, aussi, au décalage entre des réformes qui visent à diminuer l'intervention du juge, à faire toujours plus d'économies, et la demande de nos concitoyens, qui veulent plus de justice et qui souhaitent plus d'intervention des juges. Le divorce par consentement mutuel fera gagner du temps, mais prend-t-on en compte les contentieux qui suivront cette nouvelle procédure ? Qu'en est-il du contrôle des hospitalisations d'office ?
Je m'inquiète, ensuite, de la réforme des relations entre le procureur et le juge de la liberté et de la détention (JLD) : ils en auront davantage de travail - comment comptez-vous faire ?
M. André Gattolin. - La justice a un coût, certes, mais faut-il, pour autant, en revenir au paiement d'un timbre ? Ne faut-il pas affirmer, plutôt, que la justice, c'est un service public ?
La conférence des premiers présidents de cour d'appel demande, également, que le budget de la justice judiciaire devienne une mission au sens de la LOLF, mais la LOLF dispose qu'un programme ne peut constituer une mission à lui seul.
Mme Dominique Lottin. - C'est pourtant le cas de la justice administrative.
M. André Gattolin. - On recherche des solutions du côté des voies alternatives, mais il ne faut pas oublier les ressources possibles, nouvelles, pour la justice. Si nous parvenions à supprimer le verrou de Bercy, qui abrite bien des arrangements opaques, nous y verrions plus clair ; il y a aussi le recouvrement pénal des fraudes fiscales et de la corruption, dont le produit dépend lui-même des moyens que l'État met dans la lutte contre ces délits. À ce titre, le parquet national financier compte seulement 15 magistrats, alors que nous en avions prévu 22 ; l'objectif était que chacun traite en moyenne 8,5 dossiers, on en est à 27 ! Des dossiers liés à des opérateurs comme Google paraissant trop complexes, on se tourne vers la négociation, à l'anglo-saxonne...
Mme Michèle André, présidente. - Bercy ne fait pas des « arrangements ». Éliane Houlette elle-même, à la tête du parquet national financier, a reconnu que la lutte contre la fraude fiscale n'obtiendrait pas les mêmes résultats si elle ne reposait que sur l'outil judiciaire. Ce sujet est plus complexe que vous le laissez entendre...
M. André Gattolin. - Effectivement, et je retire mon propos excessif...
Mme Dominique Lottin. - Pourquoi un déficit chronique depuis tant d'années ? Nous en identifions les causes dans notre note : des réformes successives ont étendu le droit pénal, et il y a eu aussi ce qu'on a appelé le contentieux de masse, l'accroissement massif des procédures contentieuses. Nous sommes bien sûr favorables à l'intervention du juge, mais il faut que les moyens suivent, en particulier informatiques ; ce n'est pas du tout le cas, il faut que vous le sachiez : faute de serveurs et de bande passante suffisants, les magistrats ne peuvent pas consulter les documents électroniques en temps réel dans les salles d'audience ! Quant à la visioconférence, une incompatibilité technique a pour effet que nos dispositifs ne fonctionnent pas, l'obstacle est donc technique et financier.
Sur la PNIJ, les choses sont moins simples qu'il y paraît et, pour avoir étudié cette question lorsque j'étais à l'inspection des services judiciaires, je n'hésite pas à dire que les difficultés techniques actuelles sont liées aux importants intérêts financiers de personnes ayant investi dans des sociétés privées louant du matériel et qui ont intérêt à ce que cela ne sorte pas.
Enfin, la conférence des premiers présidents de cour d'appel a pris une délibération sur la réforme du JLD, qui lui apparaît comme un alibi - et nous demandons effectivement plus de moyens pour appliquer la loi.
M. Jean-Jacques Bosc. - La multiplication des réunions sous l'égide du préfet prend effectivement toujours plus de temps, tout en constituant un risque d'immixtion dans la justice - alors que ces réunions sont loin d'être toujours nécessaires : notre action était coordonnée avant la constitution des états-majors de sécurité.
Le ministère public s'intéresse bien entendu au recouvrement des amendes, nous y mettons des moyens, mais nous manquons ici encore d'outillage informatique ; dans les faits, le greffe continue de remplir des bordereaux, que la direction des finances publiques doit saisir par la suite : c'est un véritable gâchis.
M. Gilles Accomando. - Pourquoi ce déficit chronique depuis quarante ou cinquante ans ? La justice a longtemps fonctionné avec des greffes privés, ce qui impliquait qu'elle était peu administrée ; quand les greffes privés ont été progressivement remplacés par des fonctionnaires, les moyens n'ont pas suivi l'explosion du contentieux, la juridiciarisation de la société : le hiatus a perduré, la justice est restée sous-administrée.
Mme Michèle André, présidente. - Merci pour ces explications, où l'on voit que les déficits d'aujourd'hui s'enracinent dans notre histoire et que notre tâche est immense, tant la demande de nos concitoyens est forte pour l'intervention des juges.
La réunion est levée à 13 heures
Présidence de Mme Michèle André, présidente et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes
La réunion est ouverte à 15 h 05.
Mme Michèle André, présidente. - Nous sommes très heureux d'entendre aujourd'hui M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, car nous avons besoin d'informations complémentaires sur de nombreux sujets. En cette fin de semestre européen, la Commission européenne a examiné le programme de stabilité de la France, et a transmis au Conseil une recommandation de recommandation.
Que pense la Commission européenne de la politique de finances publiques de la France, de la gouvernance de la zone euro, du fonctionnement du pacte de stabilité et de croissance - notamment à la lumière des situations de l'Italie et de l'Espagne ? Quelles sont vos initiatives fiscales ? La Commission européenne ne s'était pas penchée depuis longtemps sur autant de fronts en même temps. Vous avez présenté des mesures sur la TVA, l'impôt sur les sociétés, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Comment vos travaux se coordonnent-ils avec ceux de l'OCDE et avec la politique européenne de la concurrence - non soumise à la règle de l'unanimité -, important vecteur de la lutte contre les pratiques fiscales abusives ? En effet, la politique de la concurrence, contrairement à la politique fiscale, n'est pas soumise à la règle de l'unanimité.
M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis de la collaboration entre nos deux commissions. La situation est préoccupante, avec des déficits espagnols et portugais importants, et une forte dette de la Belgique, de la Finlande et de l'Italie, pour lesquels un traitement particulier est prévu. Notre collègue Simon Sutour est très attentif à l'évolution de la situation grecque.
La recommandation adressée à la France s'inscrit dans la lignée de celle de l'an passé. Cinq objectifs sont mis en avant. Je relève celui d'une correction durable du déficit excessif en 2017, celui de pérenniser les mesures de réduction du coût du travail, ou encore de réduire les impôts sur la production et le taux nominal de l'impôt sur les sociétés. La Commission européenne veut promouvoir les accords d'entreprise en concertation avec les partenaires sociaux. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
La zone euro peut-elle constituer le cadre adapté pour un approfondissement ? De trop grandes divergences entre nos économies posent des difficultés : c'est vrai pour leurs performances en termes de compétitivité ; n'est-ce pas aussi un manque d'harmonisation fiscale et sociale ? J'ajoute que nous sommes très inquiets pour la filière porcine française et notamment bretonne, en raison des distorsions de concurrence sur la TVA dans la filière.
M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes. - Merci de votre invitation, c'est un réel plaisir de vous présenter nos derniers travaux. Le dialogue avec la représentation nationale me tient particulièrement à coeur ; c'est une partie intégrante de ma fonction de commissaire européen, notamment dans le cadre du semestre européen. Opposer l'Europe à la France n'a aucun sens : l'Union européenne a besoin de la France et la France a besoin de l'Union. Le rôle des parlements nationaux est décisif. J'ai à la fois le plaisir et l'obligation de rencontrer régulièrement vos commissions et celles de l'Assemblée nationale. Nous nous reverrons probablement après l'échéance du référendum britannique du 23 juin...
J'évoquerai les deux grands axes de mon portefeuille : la politique économique et financière, puis la fiscalité et l'union douanière.
Au printemps 2016, la reprise économique en Europe se poursuit - j'éviterai d'utiliser certaines formules comme « cela va bien » ou « cela va mieux » -, dans un contexte mondial moins favorable. On assiste à une lente substitution des moteurs exogènes de la croissance, qui ralentissent, par des moteurs plus endogènes - consolidation budgétaire, réformes structurelles... D'après nos prévisions de printemps, la croissance de la zone euro atteindra 1,6 % du PIB en 2016 et 1,8 % en 2017 et sera très légèrement expansionniste. La réduction des déficits se poursuit et la moyenne des déficits budgétaires dans la zone euro devrait s'élever à 2 %. Le chômage se résorbe lentement.
Cette amélioration des finances publiques, la reprise de la croissance, l'amélioration lente de l'emploi sont valables en Europe mais aussi en France ; nous ne pouvons que nous en réjouir. J'ai présenté les recommandations de la Commission européenne pour les douze à dix-huit prochains mois le 18 mai dernier. Elles s'inscrivent dans un nouveau contexte ; le temps des déficits publics à 6 %, comme en 2010, est révolu. Le déficit public s'élèvera à 2 % cette année, et 1,6 % en 2017. La reprise est là, il faut l'accompagner.
Cette reprise trouve son origine dans nos décisions. Nous avons essayé d'utiliser le pacte de stabilité et de croissance avec intelligence pour le faire respecter sans casser la croissance ni ignorer des efforts importants de certains pays. Ces décisions ont été très discutées. L'Italie s'est engagée à tenir sa trajectoire budgétaire, nous le vérifierons à l'automne 2017. Le collège des commissaires a préféré donner un an de délai à l'Espagne et au Portugal et une guidance budgétaire précise plutôt que de les sanctionner d'emblée, d'autant plus dans le contexte électoral espagnol.
Nous avons émis cinq recommandations à la France, contre six l'an dernier. Le déficit français doit impérativement passer sous le seuil de 3 % du PIB en 2017. Selon nos prévisions, la France est dans le rythme prévu par les recommandations qui lui ont été adressées : son déficit atteindrait 3,5 % du PIB en 2015 ; 3,2 % en 2016 (3,3 % selon le programme de stabilité français) et 2,8 % en 2017, l'objectif de la France étant de 2,7 %. L'objectif est donc atteignable, en maintenant le rythme des efforts passés et si l'avant-projet du budget 2017 est sérieux et équilibré. La Commission, vigilante, exercera toutes ses prérogatives si besoin pour faire respecter les procédures. À l'automne, dans le cadre du semestre européen, un avant-projet de budget sera soumis à la Commission qui l'approuvera ou non. Il n'y aura pas de nouveau délai : il faut moins de 3 % de déficit en 2017. Cela ne place pas la France sur une pente ardue, malgré de nouvelles dépenses.
Contrairement à ce qu'affirment certains partis politiques, ce n'est pas Bruxelles qui dicte à la France sa politique budgétaire. Les choix budgétaires sont souverains ; seul l'équilibre nous importe. Si de nouvelles dépenses sont décidées après un débat public, il faudra des économies et des recettes correspondantes. Des engagements ont été pris par le Président de la République et par le ministre des finances. Les actes doivent suivre.
La lutte contre le chômage est prioritaire. Depuis plusieurs années, la Commission européenne souhaite une réforme du marché du travail français pour créer de la croissance. Ce n'est pas l'Europe qui dicte la réforme. C'est au Gouvernement de la proposer au Parlement. Nous insistons sur le lien entre le marché du travail et l'éducation, afin d'instaurer une flexisécurité, pour entrer et sortir plus facilement de l'emploi, grâce à une formation tout au long de la vie.
La compétitivité doit être améliorée, par l'élimination des obstacles dans le secteur des services et par des programmes de simplification, non seulement administrative mais aussi fiscale. La France, sur la bonne voie, ne doit pas relâcher ses efforts. Les engagements devront être tenus. La Commission européenne exercera son rôle avec impartialité et intelligence.
L'Union économique et monétaire ne peut être parachevée sans un contrôle parlementaire accru, qui passe par un renforcement de l'appropriation nationale du semestre européen. Personnellement, je suis favorable à l'instauration d'un ministre des finances de la zone euro, responsable devant le Parlement européen ou une chambre dédiée, à un budget de la zone euro dédié à l'assurance chômage et à l'investissement, à un Trésor de la zone euro pour une meilleure légitimité démocratique. La zone euro a une politique monétaire très bien conduite par Mario Draghi mais pas de politique économique.
L'investissement reste un pilier majeur de la croissance. Le plan Juncker de 315 milliards d'euros fonctionne. Au 1er juin, la Commission européenne avait mobilisé 100 milliards d'euros dans l'Union. La France en est la championne avec 14 milliards d'euros obtenus pour 16 projets - sur 64 au total - par de grandes entreprises mais aussi des PME sur les priorités du numérique, de l'efficacité énergétique, des transports et des nouvelles mobilités, et grâce à la mobilisation des collectivités territoriales et à un secteur bancaire privé et parapublic efficaces. Selon nos évaluations, 32 000 emplois pourraient être créés, et ce n'est pas de la propagande. Il y a quelques jours, j'ai visité à Nancy une PME d'ingénierie acoustique de 70 personnes, qui bénéficie d'un prêt de 600 000 euros du fonds d'investissement européen pour financer une innovation qu'elle n'aurait pu réaliser sinon.
Il reste à mobiliser davantage sur une logique de projets et à mieux communiquer, notamment dans nos régions. Nous avons des opportunités fantastiques, saisissons-les !
La situation grecque trouvera bientôt une issue positive. Le 24 mai, l'Eurogroupe a conclu un accord global sur la première revue du programme, qui devrait déboucher la semaine prochaine sur un déboursement de 10,3 milliards d'euros dont 7,5 milliards d'euros finançables immédiatement. Reste à négocier avec les Grecs sur leur programme de réforme ambitieux, difficile et courageux - réformes des retraites, de l'impôt sur le revenu, création d'une agence indépendante des revenus, d'un fonds de privatisation et d'investissement, indépendance de la nomination de certains fonctionnaires, gestion des crédits non performants. Ce n'est pas facile, d'autant que cela ne correspond pas aux promesses de campagne d'Alexis Tsipras... La Grèce est au rendez-vous des réformes, l'Europe doit être au rendez-vous. Nous avons commencé à évoquer l'allègement futur de la dette grecque, même si les décisions ultimes seront prises d'ici la fin de l'année. Nous souhaitons que le FMI reste un partenaire de ce programme. Je suis assez fier du chemin parcouru. Il y a un an, traînait une atmosphère de pré-Grexit, auquel j'ai toujours été opposé : l'unité de la zone euro est en jeu. Nous avons obtenu un retour de la croissance selon nos prévisions pour le deuxième semestre, qui atteindra l'année prochaine 2,7 %.
La politique fiscale est devenue une priorité absolue de mon mandat au fil des mois et une forte attente de l'opinion publique. Elle suit deux axes complémentaires : la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, l'harmonisation fiscale. Contre la fraude et l'évasion fiscale, des réalisations concrètes ont été obtenues, avec des accords d'échange automatique de données sur les comptes financiers personnels avec la Suisse, le Lichtenstein, Andorre, San Marin, et bientôt Monaco. Le secret bancaire, en Europe et pas seulement dans l'Union européenne, c'est terminé ! Nous avons également présenté une directive sur l'échange d'informations fiscales et sur les rescrits fiscaux, pour éviter un nouveau LuxLeaks. Une proposition de directive anti-évasion fiscale doit être approuvée le 17 juin sous présidence néerlandaise, pour la taxation effective. Ce n'est pas une taxation minimale ni la remise en cause de la souveraineté fiscale des États, mais les firmes multinationales doivent payer leurs impôts là où elles créent leurs profits. Nous irons plus loin sur la propriété effective, pour avoir davantage d'informations sur les bénéficiaires effectifs dans nos registres et développer l'échange transfrontalier. Les cinq grands pays de l'Union ont adopté un projet pilote. Nous souhaitons aussi plus de transparence sur les activités des conseillers fiscaux - même si tous ne cherchent pas à favoriser l'évasion fiscale ! Nous souhaitons créer une liste noire paneuropéenne des paradis fiscaux, à horizon 2017, avec des critères, des méthodes et des sanctions communs. Aujourd'hui certains pays ont une liste, d'autres pas. La liste portugaise comprend 85 pays, l'Allemagne zéro. Neuf pays ont inscrit le Panama comme un paradis fiscal. Cette hétérogénéité est une mauvaise chose.
La Commission européenne propose un reporting, pays par pays, et la publication des données comptables et fiscales des activités des multinationales au sein de l'Union et dans les paradis fiscaux. Cela fait débat dans la presse et au sein du patronat. Cette proposition a fait l'unanimité au sein de la Commission, y compris de mon collègue Jonathan Hill, pourtant de sensibilité politique différente de la mienne, après une consultation publique et une étude d'impact. Compétitivité et transparence ne s'opposent pas ; ce reporting existe déjà pour les grandes banques françaises, et il n'a pas tué le secteur. N'ayez pas peur de la transparence ! Si ce n'est pas fait directement, ce sera fait ex-post. Lorsque la transparence n'est pas volontaire, elle est subie. Dans un cas, c'est un acte citoyen ; dans l'autre, c'est une matière à scandale. Ce sujet reviendra devant vous lors de l'examen du projet de loi dit « Sapin 2 ».
Nous avons pris des décisions sur l'harmonisation fiscale. En avril, j'ai présenté un plan sur la TVA, avec un volet important de lutte contre la fraude. Sur 168 milliards d'euros non collectés, 50 milliards sont dus à la fraude « carrousel ». La Commission européenne examine très attentivement la plainte contre l'Allemagne. Elle examine si le régime forfaitaire des agriculteurs prévu par la directive de 2006 relative au système commun de TVA est équitablement appliqué.
M. Jean Bizet, président. - Il est habilement monté...
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Je ne ferai pas de commentaire. J'ai répondu par courrier sur la situation actuelle. Nous avons fait des propositions sur le taux réduit de TVA, afin qu'il s'applique aux e-books et à la presse en ligne. Pour moi, un livre en ligne est un livre, de même qu'un journal en ligne est un journal. Si l'on veut conserver une presse papier, il faut qu'elle puisse offrir des services en ligne. Nous proposerons un taux réduit de TVA sur les serviettes hygiéniques et les tampons - une tampon tax. Nous souhaitons avoir des listes actualisées.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Sur les chevaux également !
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Je connais bien la situation des centres équestres en France, mais ce n'est pas au commissaire européen de choisir.
Nous continuerons à débattre de la taxe sur les transactions financières. Au second semestre, je ferai des propositions ambitieuses pour une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés. Une première tentative avait échoué. Nous élaborerons d'abord une assiette commune, puis nous la consoliderons.
Je salue la communication du 30 mars dernier du rapporteur général, Albéric de Montgolfier, sur l'actualité européenne dans le domaine des services financiers, des banques et de la fiscalité. Je retiens vos commentaires positifs sur nos propositions fiscales. Nous avons l'occasion de faire de l'Union un leader mondial de la lutte pour la transparence fiscale, comme le G20 et l'OCDE. Par-delà mes engagements, je suis un Européen convaincu qui souffre de voir des anti-Européens confisquer le débat. J'ai été interpellé par un député européen du Front national sur l'évasion fiscale ; mais voilà un sujet où l'Union européenne est utile ! Aucun État membre ne peut lutter tout seul. L'échelle minimale est européenne. Nous devons jouer ensemble.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La Commission européenne estime que « la stratégie budgétaire de la France repose principalement sur l'amélioration de la conjoncture et la persistance de taux bas », ce qui confirme notre analyse quand nous parlons d'économies de constatation - en raison du niveau des taux d'intérêt - et d'économies réelles sur les collectivités territoriales. D'après Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, le déficit a été réduit de 300 millions d'euros. La France a-t-elle engagé des réformes de structure ? Les annonces de plusieurs milliards d'euros de dépenses nouvelles pour les enseignants, les cheminots, les intermittents et les collectivités territoriales ne changent-elles pas les données ? La Commission européenne envisage-t-elle de modifier sa recommandation adressée à la France ?
Je suis surpris par la recommandation de la Commission européenne sur le prélèvement à la source. Pour certaines entreprises que nous avons entendues, cette mesure aurait un coût supplémentaire. Or la direction générale des finances publiques assure que cette mesure ne suscitera aucune réduction de postes, selon Bruno Parent. En quoi alors cette mesure serait-elle efficace ou de nature à engendrer des économies ?
L'Italie a expérimenté le split payment de la TVA. Cette possibilité de prélèvement à la source pour le commerce électronique reste-t-elle possible ou avez-vous d'autres solutions ?
La Commission européenne s'apprête-t-elle vraiment à ouvrir aux États la possibilité d'instituer un taux réduit ? Si l'on en juge par le temps qu'il nous a fallu pour changer ce taux sur tel ou tel produit ou service, le débat de la loi de finances deviendrait sans fin si nous pouvions le faire pour tout... La possibilité de déroger ira-t-elle dans le sens d'une harmonisation européenne ?
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Nous avons des règles budgétaires communes, mais les États membres gardent une certaine liberté de moyens pour leur stratégie budgétaire. La réduction du déficit français est d'abord due à un effort structurel, et aujourd'hui à une amélioration des taux d'intérêt, au retour de la croissance et des recettes fiscales. Il n'y aura pas de nouvelle recommandation de la Commission Européenne.
La Commission européenne a donné, à deux reprises, deux ans de délai supplémentaire à la France, justifiés par les règles européennes : la première fois, lorsque j'étais ministre des finances, la croissance française était trop faible pour réduire le déficit. La seconde fois - j'étais à la Commission - cela a été justifié par la réduction du déficit nominal. Le prochain rendez-vous est en 2017. La France est sur la bonne voie, avec 3,5 % de déficit prévu en 2015 et 3,2 % en 2016. De nouvelles recommandations signifieraient que la France n'a pas tenu ses engagements. Le ministre des finances a assuré le contraire récemment, et sa parole engage le pays.
Je n'ai pas d'information particulière, ni suffisante, sur l'imposition à la source.
Plusieurs options sont ouvertes sur la TVA sur le commerce en ligne. La liste des taux réduits en Europe est obsolète. Soit nous changeons nous-mêmes la liste - avec les e-books, la presse en ligne, les tampons et serviettes hygiéniques - soit nous décentralisons le choix du taux réduit, selon le principe de subsidiarité : j'y suis favorable, la Commission m'a suivi, mais ce n'est pas le cas de tous les États membres. Les différents gouvernements devraient également arbitrer. Où vont les différents groupes d'intérêts - vers Bruxelles ou vers les États membres ? C'est aux gouvernements et aux parlements nationaux de régler cela. Bien sûr, il faut réformer la base taxable. Je suis partisan d'une liberté encadrée. Pour ne pas créer un désordre extrême, il faut établir des critères en fonction desquels tel ou tel État membre pourra choisir son taux réduit. C'est la position de la Commission européenne et la mienne. La Commission propose, les États membres disposent.
M. François Marc. - Je vous félicite, monsieur le Commissaire, d'avoir mis en avant ce qui progresse au sein de l'Union européenne : la réglementation, la fiscalité, la lutte contre la fraude fiscale, le plan Juncker, alors que notre action commune est souvent remise en cause.
Quelle est la capacité budgétaire de la zone euro ? Vous voulez mieux associer les parlements nationaux et faire du semestre européen un élément essentiel de votre politique. La création d'une capacité budgétaire de la zone euro, déjà incluse dans les propositions législatives du Parlement européen, sera-t-elle soutenue par les différentes instances européennes ? Comment la Commission européenne poussera-t-elle ce projet, signal fort de l'intégration européenne ?
Vous avez souligné la réussite du plan Juncker pour les PME. En un an, 150 000 PME ont bénéficié des nouveaux dispositifs d'aide à l'investissement. Mais quelle sera la capacité à faire face aux demandes dans les prochains mois ? Le dispositif sera-t-il reconduit au-delà de 2018, avec une plus grande prise en compte des PME ? D'ici fin 2016, le volet PME aura consommé 70 % des crédits. Une révision du cadre financier pluriannuel satisferait davantage de demandes, soutiendrait la croissance et créerait plus d'emplois en Europe.
M. Michel Canevet. - Les recommandations forment quasiment un réquisitoire contre ce qui se passe en France sur le respect du pacte de stabilité, l'emploi, la TVA ou le chômage des jeunes. Nous partageons ces différentes préoccupations. J'ai remarqué vos interrogations sur la réponse française.
L'emploi est au coeur des préoccupations du Sénat. Que proposez-vous pour une Europe sociale plus forte ? Je suis aussi un Européen convaincu. Il faut adapter le code du travail français à certaines règles établies à l'échelle européenne au lieu d'établir un carcan pour les entreprises françaises. Je plaide pour une TVA sociale qui réduira les charges sociales, non pas ciblée sur les bas salaires mais généralisée et compensée par une hausse de la TVA. Ce sujet doit être réexaminé. Il permettrait de financer l'action publique. L'Union européenne peut-elle accentuer son action pour réduire le chômage des jeunes ? Il faut accompagner davantage la mobilité des jeunes pour mieux les armer.
M. Serge Dassault. - Monsieur le Commissaire, vous êtes un peu optimiste ; croyez-vous réellement à un déficit français de 3,2 % alors que le Gouvernement distribue à tour de bras de l'argent à des fins électorales, sans faire d'économies ? Il faut réduire le déficit budgétaire. Où sont les 50 milliards d'euros d'économie annoncés à renfort de publicité il y a trois ans, hormis les 11 milliards d'euros supprimés aux collectivités locales ? Je ne crois pas du tout aux orientations budgétaires du Gouvernement.
Si l'on veut augmenter l'emploi, gardons une certaine flexibilité du travail. La loi El Khomri initiale n'était pas mauvaise pour favoriser les embauches. En raison des manifestations, le Gouvernement a changé de nombreux points. Il ne reste qu'un seul point, celui concernant la CGT qui ne veut pas perdre ses prérogatives. Ils sont en train de ruiner le pays !
Il faudrait supprimer les 35 heures, comme le proposent certains candidats, et réduire les charges sociales. Je ne crois pas du tout à la TVA sociale : elle ne réussira qu'à faire payer les dépenses de l'État par des hausses d'impôts.
Les collectivités territoriales, obligées de réduire leurs budgets, ont d'importantes difficultés. Oui, la fiscalité est la priorité absolue. Malheureusement, elle est plutôt en hausse en France. Que pensez-vous des niches fiscales ? Plus de 150 niches coûtent 80 milliards d'euros à l'État. En l'absence de niches fiscales, le Gouvernement aurait les moyens fiscaux et financiers pour commencer à réduire les déficits budgétaires en 2016 et en 2017.
Quelles sont les conséquences d'une hausse des taux d'intérêt ? Une augmentation d'un point provoquerait 2 milliards d'euros de dépenses supplémentaires la première année, 13 milliards d'euros en 2022. Une augmentation de deux points doublerait l'effet. La France serait en cessation de paiement. C'est grave, mais personne ne s'en occupe ! Depuis quarante ans, les gouvernements gouvernent par l'emprunt. On a 2 100 milliards d'euros de dette. Réduisons les impôts en évitant d'augmenter la dette de l'État !
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Monsieur Marc, je suis depuis longtemps un défenseur d'une capacité budgétaire de la zone euro, le Parlement européen s'est saisi de la question. Cette proposition se trouve en filigrane dans le rapport des cinq présidents sur l'Union économique et monétaire. Le Conseil y reviendra après les élections françaises et allemandes de 2017. Toutes les contributions au débat sont les bienvenues. Une politique économique de la zone euro est nécessaire, ainsi qu'un ministre des finances de la zone euro, également membre de la Commission européenne, responsable devant le Parlement européen, président de l'Eurogroupe, avec une capacité de proposition contrôlée. Les parlements nationaux doivent se saisir de la question.
Le plan Juncker, ce sont 14,7 milliards d'euros depuis un an en France, 16 projets, 32 000 emplois, 20 accords de financement pour les PME représentant 518 millions d'euros, devant générer des investissements de 6,3 milliards d'euros bénéficiant à 38 000 PME françaises. Je me suis rendu dans les PME, j'ai vu comment cela fonctionne. Allons plus loin dans le temps et l'espace. Lorsque j'étais parlementaire en mission, j'avais rédigé un rapport sur l'investissement pour le Premier ministre. Nous avions un déficit d'investissement de 100 milliards d'euros sur dix ans. Je me félicite de l'annonce de la prolongation du plan Juncker. Les PME sont des fers de lance économiques, elles ont la capacité d'innover. Faisons valoir une logique de projets. Je me déplace dans les régions françaises à la rencontre des acteurs économiques. Les entreprises font beaucoup de choses, mais souvent, elles ne sont pas assez informées des actions de la Commission européenne.
M. Jean Bizet, président. - Effectivement, le Sénat a quelque peu bousculé le commissaire à l'agriculture et au développement rural, Phil Hogan, et nous avons obtenu que le plan Juncker puisse être mobilisé dans la filière agroalimentaire : nous inaugurons un équipement important dans le Cotentin, qui représente quelque 56 millions d'euros d'investissement.
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Je viendrai à cette inauguration. En tant que commissaire européen, cependant, je ne peux guère participer au débat politique qui est le vôtre et dans lequel j'ai pris ma part dans mes fonctions antérieures. La Commission européenne n'a pas voulu faire un plaidoyer dans un sens ou dans l'autre, elle a présenté une analyse d'ensemble et des recommandations fondées sur des constats.
Sur l'Europe sociale, Marianne Thyssen, commissaire à l'emploi et aux affaires sociales, travaille à rapprocher les droits sociaux, sur la base d'un socle commun des droits sociaux fondamentaux, une directive sur les travailleurs détachés est en préparation.
Sur la TVA sociale, je n'ai guère de lumière particulière.
L'objectif du déficit à 3,2 % pour 2016 est tout à fait tenable, Monsieur Dassault, à condition que certaines mesures soient prises, le Gouvernement français s'y est engagé et la Commission n'a guère de raison d'en douter. Nous serons très vigilants. Sur les niches fiscales, je n'ai pas d'analyse en particulier à vous présenter - en vous rappelant qu'étant ministre, j'avais parlé du « ras-le-bol fiscal » de nos compatriotes, une expression qui ne m'avait pas valu que des amis... La fiscalité doit être compréhensible pour être acceptée. Dans mon propre travail j'en fais un critère : si je ne comprends pas ce que m'exposent les techniciens, je refuse d'emblée leur proposition ; le rôle des politiques, c'est parfois de brider l'imagination sans limite des fonctionnaires fiscalistes car en matière d'impôt, ce qu'on ne comprend pas, on ne l'accepte pas.
Sur les taux d'intérêt, je ne prends guère de risque en prédisant qu'ils remonteront un jour, mais ce n'est pas pour tout de suite : la Banque centrale européenne a pris des engagements forts en ce sens et la France n'est pas la plus mal placée, de par la taille de son économie et l'importance de son épargne intérieure.
M. Jean Pierre Vogel. - Le plan d'action sur la TVA, que vous avez présenté le 7 avril dernier, propose que les États puissent réviser ou bien supprimer la liste des produits et services à taux réduits. Je m'inquiète pour l'équitation et le monde de la course, où la TVA est passée de 5,5 à 20 %, pénalisant un secteur constitué principalement de petits propriétaires privés et qui, troisième fédération olympique de notre pays avec quelque 700 000 licenciés, représente des dizaines de milliers d'emplois en France : pensez-vous que la liste puisse être supprimée ?
M. Marc Laménie. - Quel que soit le gouvernement, la tâche est immense, et complexe ; il faut réduire la dépense publique, la dette, simplifier encore. Au-delà de vos recommandations, quelles mesures concrètes préconisez-vous ?
M. Éric Doligé. - Sur quels critères la liste noire des pays non-coopératifs sera-t-elle établie ? L'impôt sur les sociétés sera-t-il seul visé, ou bien d'autres secteurs de la fiscalité seront-ils pris en compte, y compris pour les particuliers ? La liste européenne a-t-elle vocation à remplacer les listes nationales ? Est-il envisageable qu'y figurent des pays associés à l'Union européenne comme la Suisse, Monaco, le Lichtenstein, voire des États membres qui figurent sur la liste rouge de l'OCDE, comme Chypre ou le Luxembourg ? Dans le cas contraire, ne court-on pas le risque d'un instrument « faible » ?
M. André Gattolin. - Vous présentez les points positifs du plan Juncker, mais avec 100 milliards d'euros engagés, on reste dans les proportions du plan de relance de 2012, loin des ambitions affichées par le président de la Commission européenne. La programmation budgétaire de l'Union pose problème : sept ans, c'est trop long, une telle programmation oblige à des exercices de fongibilité et joue contre les politiques structurelles ; n'êtes-vous pas gêné d'hériter ainsi d'une programmation que vous n'avez pas adoptée, et de ne pas même définir la suivante ? Si une gouvernance de la zone euro devait voir le jour, j'espère qu'elle n'adopterait pas une perspective aussi longue...
Mme Michèle André, présidente. - La Commission a relancé le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), mais en procédant en deux temps, en reportant la consolidation : des États membres s'y opposent-ils encore, dans ces conditions ?
En matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, la Commission a proposé le 12 avril une autre directive prévoyant la publicité des déclarations pays par pays, mais avec des informations moins détaillées que le reporting entre administrations fiscales : pourquoi ces différences ?
Sur la directive « anti-évitement fiscal », l'ECOFIN du 25 mai a échoué à trouver un accord entre les États membres. Plusieurs pays, notamment l'Irlande, la Belgique, Malte ou encore le Royaume-Uni estiment que le texte va trop loin. Quels sont les principaux points de désaccord ?
Enfin, en matière de lutte contre l'évasion fiscale des particuliers, l'échange automatique d'informations envisagé repose sur la seule bonne volonté des États participants : peut-on envisager d'instaurer des sanctions comme celles que prévoit la loi FAFCA.
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Pour fixer la liste des taux de TVA, deux options existent et sont en débat. La Commission m'a suivi pour prôner une décentralisation de la liste des taux réduits de TVA, avec un encadrement par des critères - ce sera au Conseil européen d'en décider.
Sur la simplification des systèmes fiscaux, je suis tout à fait favorable à un pas supplémentaire ; il faut développer et approfondir les programmes dans ce sens, dans un pays comme la France notamment.
Nous travaillons d'ores et déjà à des critères pour établir une liste noire européenne. J'espère que nous parviendrons à une première liste d'ici cet été, avec l'objectif d'un accord début 2017 ; elle comprendra la fiscalité des particuliers, aura vocation à remplacer les listes nationales. L'idée est bien de converger avec les critères de l'OCDE - je signale que le Lichtenstein a été retiré de la liste européenne dès lors qu'il a accepté l'échange automatique d'informations.
La pluriannualité a des aspects frustrants, mais aussi sécurisants, nous travaillons avec des plafonds globaux et je compte bien participer à la prochaine programmation puisque mon mandat court jusqu'en 2019. La révision à mi-parcours crée une forte attente, en particulier dans la lutte contre le terrorisme et face à la crise migratoire.
Un précédent projet d'assiette consolidée d'impôt sur les sociétés ayant été repoussé en Conseil européen, par des pays hôtes de sièges de multinationales, nous avons décidé, pour ACCIS, d'avancer en deux étapes : d'abord la mise en commun, ensuite la consolidation, je crois que c'est comme ça que nous avancerons.
La loi « Sapin 2 », d'après ce que j'en sais, concorde avec la directive européenne, qui prévoit la communication de l'ensemble des données comptables et fiscales des entreprises dépassant 750 millions de chiffre d'affaires, ce qui couvre 90 % des revenus générés sur le territoire de l'Union européenne par des entreprises extra-européennes. Sur le fond de ce projet de loi, je crois que nous sommes parfaitement en phase, la compétitivité et la transparence ne s'opposent pas, vous en débattrez.
L'ECOFIN se réunit de nouveau le 17 juin, nous travaillons à rapprocher les positions sur la directive « anti-évitement fiscal », nous sommes à un momentum, comme on dit dans le langage de la diplomatie, où il est possible d'agir, après les révélations des Panama Papers. La présidence néerlandaise est volontaire et je crois que nous pouvons parvenir à un accord.
Enfin, en matière de lutte contre l'évasion fiscale des particuliers, je crois que l'Europe peut devenir un standard, au-delà de la loi FATCA américaine. Il n'y a pas, pour autant, de projet d'assortir de sanctions les règles nouvelles.
Mme Michèle André, présidente. - Merci, nous sommes très attachés au débat permanent avec la Commission européenne, à Paris ou dans le cadre de la conférence prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous avons à coeur de comprendre les mécanismes européens et d'inscrire notre action dans cet ensemble - car nous comptons bien des Européens fervents dans notre Haute Assemblée.
M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Vous pouvez compter sur moi, il me paraît bien naturel de rendre compte de mon action au début comme à l'issue du semestre européen.
La réunion est levée à 16 h 30.