- Mardi 24 mai 2016
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- Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales - Audition de M. Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA
- Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales - Audition de M. Jacques d'Estais, directeur général adjoint de BNP Paribas
- Certification des comptes de l'État - exercice 2015 - et rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2015 - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes
- État actionnaire - Audition de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
Mardi 24 mai 2016
-- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, puis de Mme Michèle André, présidente -Projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes - Communication
La réunion est ouverte à 9 h 32.
La commission entend une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes, transmis pour avis à la commission, en application de l'article 13 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le Gouvernement nous a transmis mardi dernier un projet de décret d'avance, que Michèle André vous a immédiatement fait parvenir.
L'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances fixe à sept jours le délai dans lequel les commissions des finances doivent rendre leur avis sur les projets de décret d'avance. Ce délai expire donc aujourd'hui, ce qui explique que nous nous réunissions ce matin.
Le projet de décret ainsi que le projet d'avis proposé par le rapporteur général vous ont été distribués.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La commission des finances a été notifiée mardi dernier d'un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 1,6 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement.
Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances, notre commission doit faire connaître son avis sur le décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret.
Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. Il est donc encadré par la loi organique relative aux lois de finances, qui définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance.
Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. En outre, pour éviter que cet outil réglementaire ne permette de contourner une éventuelle loi de finances rectificative, les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale. Les crédits annulés ne peuvent quant à eux être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours.
Ces trois critères sont purement mathématiques et je me bornerai à constater qu'ils sont respectés.
En revanche, le dernier critère, celui de l'urgence, est plus qualitatif et répond, selon la Cour des comptes, « aux deux conditions que sont la nécessité, constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l'imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face ».
La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures prévues par le présent projet de décret d'avance. Ces ouvertures concernent trois missions.
La mission « Travail et emploi » représente l'essentiel des ouvertures, avec 1,3 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 900 millions d'euros en crédits de paiement pour la mise en oeuvre du plan d'urgence pour l'emploi décidé par le Président de la République le 18 janvier dernier.
Par ailleurs, 158 millions d'euros sont ouverts sur la mission « Immigration, asile et intégration » pour financer les dépenses d'allocation pour les demandeurs d'asile, ou ADA. Roger Karoutchi, notre rapporteur spécial, nous fera part de son opinion quant à l'imprévisibilité de ces dépenses supplémentaires.
Des crédits supplémentaires sont aussi ouverts sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », à hauteur de 64,5 millions d'euros, pour financer les moyens de lutte contre les risques sanitaires et l'indemnisation des vétérinaires n'ayant pas fait l'objet de cotisation employeur avant 1990.
Le projet de décret d'avance intègre aussi un redéploiement de crédits du programme d'investissements d'avenir : 150 millions d'euros supplémentaires sont alloués au Fonds d'aide à la rénovation thermique, ou FART, à partir d'un prélèvement à due concurrence de l'action « Démonstrateurs de la transition écologique et énergétique ». Ce redéploiement n'est pas directement visible en raison de mouvements comptables et budgétaires complexes ; j'y reviendrai.
Le plan d'urgence pour l'emploi représente donc la majeure partie des ouvertures. Son coût total est estimé, pour 2016, à 2 milliards d'euros en crédits de paiement et 3,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement.
Sur ce total de 2 milliards d'euros en crédits de paiement, 1,3 milliard d'euros, soit 65 % des crédits, sont destinés à la mise en oeuvre du plan de formation des demandeurs d'emploi : 500 000 formations supplémentaires devraient être réalisées en 2016. Elles seront déployées sur un marché national et des marchés régionaux.
Un marché national permettra une offre de formation pour les « métiers rares émergents et à distance » en faveur des demandeurs d'emploi. Ce marché sera notifié en juin ou juillet 2016. Il sera mis en oeuvre sous le mandat de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, la DGEFP, et exécuté par Pôle emploi. Le marché est en cours de formalisation.
Les formations régionales permettront de couvrir les entrées supplémentaires en formations classiques. Les conventions État-régions devraient toutes être signées au 1er juin 2016.
Par ailleurs, 700 millions d'euros devraient être consacrés à la nouvelle prime à l'embauche, qui devrait concerner environ 1,1 million de contrats en 2016. Les décaissements ont débuté au mois d'avril 2016. L'aide est versée à l'échéance de chaque période de trois mois civils d'exécution du contrat de travail, à raison de 500 euros par trimestre au maximum et dans la limite de vingt-quatre mois. Au 19 mai 2016, 3,5 millions d'euros ont été engagés.
L'urgence semble établie au regard de la nécessité de poursuivre les paiements de prime à l'embauche et de mettre les crédits à disposition des régions au plus tard en juillet.
Au titre du financement de l'allocation pour les demandeurs d'asile, ou ADA, 158 millions d'euros de crédits sont ouverts. L'ouverture de crédits en lien avec les demandeurs d'asile est, hélas, récurrente. L'urgence est avérée : ces allocations doivent être payées et, si des crédits supplémentaires ne sont pas ouverts, l'État risque un défaut de paiement en juillet.
Cependant, la sous-budgétisation de cette allocation ne constitue pas une surprise : Roger Karoutchi, avait signalé dès l'examen du projet de loi de finances pour 2016 que la dotation était insuffisante. Le critère de l'imprévisibilité ne me semble donc pas rempli.
Je tiens aussi à souligner que ces ouvertures ne permettront pas d'apurer la dette de 177 millions d'euros que Pôle Emploi détient sur l'État au titre de l'allocation temporaire d'attente, ou ATA.
Au profit du ministère de l'agriculture, 64,5 millions d'euros de crédits sont ouverts concernant deux sujets bien distincts. D'une part, ces crédits financent les moyens de lutte contre les risques sanitaires, pour 58,5 millions d'euros. D'autre part, 6 millions d'euros sont consacrés à l'indemnisation de vétérinaires sanitaires n'ayant pas fait l'objet de cotisations employeurs avant 1990.
Si l'urgence concernant les problématiques sanitaires que rencontre le monde agricole ne fait aucun doute, je suis en revanche plus réservé sur le caractère imprévisible de l'indemnisation des vétérinaires.
Pour mémoire, le Conseil d'État a jugé que les vétérinaires ayant exercé un mandat sanitaire avant 1990 et ayant reçu à ce titre des salaires pouvaient recevoir une indemnisation. Le ministère de l'agriculture a alors décidé de proposer aux vétérinaires une procédure de règlement amiable. Cette procédure s'est révélée très longue : sur près de 1 800 demandes transmises, seuls 265 dossiers, soit moins de 15 % du total, ont fait l'objet depuis 2011 d'un protocole soldé. Le temps joue en la faveur de l'administration en raison de la prescription quadriennale : les dettes cessent d'être dues quatre ans après le départ en retraite des vétérinaires.
L'administration argue d'une décision du Défenseur des droits et de l'augmentation du nombre de référés-provision pour justifier l'accélération soudaine à venir du traitement des dossiers.
Il n'en reste pas moins que le risque juridique et budgétaire associé à la conclusion de protocoles était connu des services ; il avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'un décret d'avance l'an dernier. Il paraît donc surprenant qu'aucun crédit n'ait été ouvert à ce titre en loi de finances initiale pour 2016. Là encore, l'imprévisibilité apparaît peu avérée.
Enfin, 150 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement ont été redéployés de l'action « Démonstrateurs de la transition écologique et énergétique » vers le FART. Cette augmentation des crédits du FART est rendue nécessaire par la décision du Gouvernement de porter à 70 000 le nombre de bénéficiaires de ce fonds en 2016.
Sur la forme, ce redéploiement est difficilement lisible, car il fait intervenir des mouvements budgétaires et comptables complexes, que ne peut retracer le décret d'avance. Il faut noter en particulier que l'annulation de 150 millions d'euros au titre des aides à la pierre ne permet pas de voir dans le décret d'avance l'ouverture de 150 millions d'euros pour le FART : cette annulation compense les ouvertures prévues, aussi la mission « Égalité des territoires et logement » n'apparaît-elle pas explicitement dans le projet de décret.
Sur le fond, les crédits redéployés paraissent très importants, d'autant plus que 50 millions d'euros avaient déjà été ajoutés à la budgétisation initiale pour couvrir la hausse des besoins. Après redéploiement, les crédits du FART s'élèvent à environ 687 millions d'euros.
J'évoquerai à présent les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Ces annulations portent sur 23 missions du budget général et, en autorisations d'engagement, sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
Dans bon nombre de cas, la justification des annulations prévues paraît fragile : l'annulation de 500 millions d'euros sur le compte spécial « Participations financières de l'État », par exemple, a de quoi surprendre, à l'heure où le Gouvernement réfléchit à la recapitalisation de certaines entreprises du secteur de l'énergie, Areva et EDF. Nous ne manquerons pas d'interroger le ministre de l'économie Emmanuel Macron à ce sujet, lors de son audition de demain.
La majeure partie des annulations porte, hors PIA, sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Ce sont les programmes de recherche qui sont les plus touchés : sont ainsi annulés 134 millions d'euros de subventions à des opérateurs tels que le Commissariat à l'énergie atomique, ou CEA, le CNRS et l'INRA. Cette réduction brutale des moyens alloués aux opérateurs de la recherche est préoccupante ; elle a d'ailleurs fait l'objet d'un courrier publié hier par Le Monde, signé de huit chercheurs dont la plupart ont reçu un prix Nobel, une médaille Fields ou une distinction équivalente. Je constate, dans les colonnes d'un quotidien économique du matin, que le Gouvernement a bien du mal à éteindre la polémique suscitée par ces difficultés d'arbitrage. Il est vrai que le Président de la République avait fait de la recherche une priorité : dans ce contexte, l'annulation brutale de 134 millions d'euros ne peut manquer d'interroger...
Pour conclure et ouvrir le débat, au regard du respect des critères de régularité posés par la loi organique, si l'urgence est manifeste, elle ne découle en revanche pas forcément d'événements imprévisibles : dans le cas de l'ADA et de l'indemnisation des vétérinaires sanitaires, les dépenses étaient sous-budgétées dès la loi de finances initiale pour 2016. L'emploi répété des décrets d'avance pose tout de même en problème de fond, de même que la mise réserve toujours plus importante de crédits : cela conduit à réduire la portée de l'autorisation parlementaire.
Pour ces raisons, et après lecture de la tribune signée par huit chercheurs de haut niveau - une première ! - je suis très réservé, et même défavorable, quant à ce projet de décret d'avance. L'exécutif dispose certes, au titre de la loi organique relative aux lois de finances, de la possibilité de redéployer certains crédits en cours d'année. Néanmoins, la sous-budgétisation chronique de certaines missions est indéniable et les gages prévus me laissent dubitatif : l'amputation des crédits de la recherche est, à elle seule, sans parler des crédits de l'écologie, particulièrement préoccupante. Je serai donc sans doute amené, en conclusion de ce débat, à vous proposer l'adoption d'un avis défavorable sur ce projet de décret.
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -
M. Roger Karoutchi. - Une surcharge éventuelle et imprévisible est certes possible pour une mission, à hauteur de 10 % ou de 15 % des crédits décidés en loi de finances initiale. En revanche, ici, sur le droit d'asile, le système est à la limite de l'explosion ; l'insincérité du budget proposé chaque année est manifeste et le dépassement des crédits devient excessif.
On sous-évalue volontairement l'ADA : je fais ce diagnostic depuis trois ans, mais on bat des records cette année ! La décision avait été prise, dès mai 2015, d'ouvrir les portes à certains réfugiés : le Gouvernement savait donc parfaitement que le montant global de cette allocation allait augmenter. Or 148 millions d'euros seulement avaient été prévus à ce titre dans la loi de finances pour 2016. Le présent projet de décret rajoute 158 millions d'euros : l'estimation initiale représentait donc moins de la moitié du coût réel et l'ADA ne pouvait être financée que jusqu'en juin !
Mais il y a pire : l'État doit toujours près de 180 millions d'euros à Pôle Emploi au titre de l'ADA pour les années 2014 et 2015. Pour régler cette dette en plus du paiement annuel de l'ADA, il eût fallu prévoir, au total, l'engagement de 500 millions d'euros. Je ne suis pas convaincu que cette situation puisse durer. Or aucune réponse n'est apportée par le Gouvernement à cette question.
Par ailleurs, comment finance-t-on, en partie, ces crédits supplémentaires pour l'ADA ? Alors que je tire le signal d'alarme depuis des années au sujet de l'insuffisance des crédits octroyés à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ou OFII, pour la formation à la langue, à la culture et à la société françaises, on enlève encore 10 millions d'euros à cet office. J'en reste sans voix ! Le système devient fou : on ne fait plus rien pour la véritable intégration à la nationalité. C'est la politique à l'envers !
Qu'on ne nous dise pas qu'il y a urgence, alors que nous dénonçons cette situation depuis trois ans et que le Gouvernement nous promet que les lois successives résoudront le problème ! On n'a prévu pour l'ADA que 45 % des crédits nécessaires et rien pour le remboursement de la dette à Pôle Emploi : c'est inadmissible. On peut certes débattre de la politique migratoire et de la politique d'asile ; mais, là, c'est une politique de Gribouille !
M. André Gattolin. - Je note que le Gouvernement a choisi d'annuler, essentiellement, des crédits « frais », engagés par les administrations sur la base de la loi de finances initiale. Il aurait été plus respectueux du Parlement de déposer un projet de loi de finances rectificative...
M. Philippe Dallier. - Très bien !
M. André Gattolin. - ... ou de puiser dans la réserve de précaution, dont je rappelle qu'elle s'élève à 8 % des crédits hors dépenses de personnel, sans parler du « surgel » de 1,8 milliard d'euros et du report des crédits 2015.
On nous annonce déjà un autre décret d'avance en octobre prochain. Cela ne facilite pas la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement, comme en témoignent les récentes déclarations du garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Les 107 millions d'euros d'aide à la justice dont il a annoncé l'octroi ne proviennent en effet que du dégel de crédits déjà votés en loi de finances initiale. Or le présent décret devrait annuler 50 millions d'euros de crédits pour le même ministère : au total, le solde par rapport aux engagements initiaux est donc négatif de 57 millions d'euros, par rapport à ce qui avait été voté.
Pour l'écologie, on reporte certains crédits du PIA vers un soutien à la rénovation thermique relevant du ministère du logement. Cela n'apparaît pas en raison de la compensation par une annulation équivalente au sein de ce ministère compte tenu des perspectives d'exécution de l'aide à la pierre. La faible lisibilité de ces mouvements de crédits m'interroge.
Tel est le cas également pour ce qui est des participations financières de l'État, où l'on constate des annulations en autorisations d'engagement. Or il faudra bien procéder à la recapitalisation d'EDF et d'Areva, ce qui n'est absolument pas pris en compte dans ce projet de décret.
En conclusion, si l'on peut reconnaître la pertinence des dépenses nouvelles, même si certains choix du Gouvernement peuvent sembler contradictoires, on ne peut que s'inquiéter de la logique ayant présidé aux choix d'annulations et regretter la faible information du Parlement ainsi que l'absence de débat.
M. Richard Yung. - Monsieur le rapporteur général, vous avez qualifié de « brutale » la réduction de certains crédits.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les montants...
M. Richard Yung. - Les montants sont de l'ordre de grandeur normal des décrets d'avance.
On nous parle par ailleurs de prévisibilité et de sous-budgétisation de certaines dépenses. C'est vieux comme le monde !
M. Philippe Dallier. - Ce n'est pas une raison !
M. Richard Yung. - Certes, mais il faut tout de même le rappeler. Souvenez-vous donc des débats que nous avons eus sur les crédits consacrés aux opérations extérieures : chaque année, un décret d'avance devait les doubler, car ils étaient régulièrement sous-estimés.
Je reprendrai tout de même à mon compte une critique : la loi de finances est en effet vidée de son sens par la réserve de précaution et les surgels qui s'accumulent et finissent par représenter près de 10 % du budget. Dans la pratique, la réserve de précaution n'a de précaution que le nom : on ne peut plus y toucher ! Cela pose un problème quant au rôle du Parlement.
Un décret d'avance représente toujours un exercice difficile et douloureux : il faut couper dans certaines dépenses. On nous accusait, les années précédentes, de procéder à cette occasion à des coups de rabot indistincts. Tel n'est pas le cas cette fois : on a sanctuarisé la défense, la culture et l'intérieur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pas la culture ! Les crédits alloués aux monuments historiques sont touchés par les annulations !
M. Richard Yung. - Il est normal que les prix Nobel signent des tribunes pour protester contre des coupes budgétaires sur la recherche. Pour autant, la grande priorité de ce gouvernement est l'emploi, ce qui justifie les crédits ici alloués à la formation et à la prime pour l'embauche.
M. Philippe Dallier. - Il y a là non seulement prévisibilité mais aussi enfumage ! Au sujet du FART, le Commissaire général à l'investissement m'avait bien indiqué qu'il faudrait à ce fonds des moyens supplémentaires. Les voici aujourd'hui, quand la décision d'en faire bénéficier 70 000 ménages supplémentaires avait été prise voici déjà longtemps : les crédits nécessaires auraient donc dû figurer en loi de finances initiale.
Il y a mieux : les aides à la pierre. La première version du projet de loi de finances pour 2016 ne prévoyait pour cela que 100 millions d'euros. Face à la protestation générale, le Président de la République avait annoncé l'ajout de 150 millions d'euros. Or voici qu'on retire à nouveau 150 millions d'euros.
On avait donc fait cette annonce pour calmer tout le monde pendant le débat budgétaire pour mieux retirer ces crédits, en douce, six mois plus tard. Voilà pour l'enfumage !
On nous dit que des crédits non consommés l'an dernier et reportés sur 2016 pourront être utilisés. Certes, le financement du logement social est compliqué, du fait notamment de la territorialisation, mais il s'agit franchement de maquillage. Cela commence à bien faire, sur ce sujet comme sur l'hébergement d'urgence.
Quant à la recherche, certes, les 256 millions d'euros annulés ne représentent qu'une faible proportion des crédits de la mission. Il faut toutefois plutôt rapporter cette somme au budget de fonctionnement des centres de recherche après déduction de la masse salariale : la proportion s'élève alors à 10 %. Voilà pourquoi ces chercheurs sont montés au créneau : on ne peut pas tenir un discours en faveur de la recherche puis leur retirer soudainement une telle somme en milieu d'année. Cela constitue non seulement une erreur politique majeure, mais aussi une très mauvaise décision pour l'avenir du pays.
Tout comme le rapporteur général, je tends à penser que, si l'on accepte d'ordinaire ces ajustements en cours d'année, cette fois-ci, en revanche, il faut dire au Gouvernement que cela suffit ! Non seulement une part importante de ces crédits auraient dû apparaître en loi de finances initiale, mais il prend encore des décisions lourdes de conséquences pour notre avenir.
M. François Patriat. - Quand sortira-t-on de ce jeu de rôle ? On a connu des ouvertures comme des annulations de crédits à toutes les époques. On donne ici un peu trop dans l'emphase et le catastrophisme.
Certes, je donne acte à Roger Karoutchi qu'il reste fidèle à ses positions sur les dépenses en direction des demandeurs d'asile : il avait bien prévu un dépassement des crédits en 2016.
Quant à la recherche, c'est bien le rôle des chercheurs que de réclamer le plus de crédits possible et de s'insurger avec véhémence - forts du soutien de l'opinion publique - quand ceux-ci diminuent. En revanche, contrairement aux affirmations de Philippe Dallier, ces annulations n'affectent pas le budget de fonctionnement et les salaires mais bien des projets de recherche, qui ne seront sans doute pas effectués cette année. Certes, il s'agit d'un mauvais signal global mais, d'après les renseignements que j'ai recueillis, il n'affectera pas vraiment les opérations de recherche qui sont déjà en cours pour les dix-huit mois à venir.
L'ancien vétérinaire que je suis n'est pas concerné personnellement par l'indemnisation des vétérinaires sanitaires dont il est question ici. Mais cela fait plus de cinq ans que, avec René Beaumont et Geneviève Gaillard, nous travaillons sur ce dossier en lien avec le ministère de l'agriculture. L'État a fait traîner le versement de cette indemnisation jusqu'à ce que le Défenseur des droits insiste pour l'application de la décision du Conseil d'État. En revanche, le montant retenu ici par le Gouvernement me surprend : 6 millions d'euros me semblent insuffisants pour le règlement de 210 dossiers, au vu des sommes demandées par les vétérinaires.
M. Francis Delattre. - En vérité, ce projet de décret d'avance est extraordinairement politique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Absolument !
M. Francis Delattre. - L'essentiel des nouveaux crédits concerne l'emploi. Les 500 000 formations supplémentaires prévues devraient faire sortir des registres du chômage un nombre équivalent de personnes au bon moment pour le Gouvernement et le Président de la République, qui a fait dépendre sa candidature à l'élection présidentielle de 2017 de l'inversion de la courbe du chômage.
Quant aux demandeurs d'asile, dans le Val-d'Oise, quelques communes en ont accueillis : à ce jour, elles n'ont pas touché un centime de l'État !
L'annulation de crédits dédiés à la recherche est elle aussi très politique. La recherche était tout de même au pinacle des soixante engagements pris par le Président de la République avant son élection, de même que les investissements d'avenir. Cela pose la question de la vérité des promesses politiques : de telles décisions jettent le discrédit sur tout le monde. Par ailleurs, durant notre récent débat sur les glyphosates, on a pu constater l'absence d'avis scientifique sérieux à ce sujet : est-ce bien le moment de diminuer les crédits du CNRS ou de l'INRA ? Le CNRS a déjà subi une saignée ; il est en train de se renouveler et de se redéployer.
M. Richard Yung. - Cela fait quarante ans !
M. Francis Delattre. - François Patriat nous dit que seules les missions de recherche seront affectées ; mais c'est tout de même le plus important !
Pour l'ensemble de ces raisons, je suis fermement opposé à ce projet de décret d'avance.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce projet de décret d'avance finance les ouvertures prévues, bien évidemment, par une série d'annulations de crédits. Ainsi, dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables », le programme 203, « Infrastructures et services de transports » est particulièrement affecté, ce qui n'est pas raisonnable. Chacun ici connaît la situation dans ce secteur et combien de dépenses ne sont pas prises en charge par l'Agence de financement des infrastructures de transports de France, l'AFITF.
Ce décret d'avance n'est pas technique, il est politique. Certes, il respecte sans doute, formellement, les critères imposés par la loi organique relative aux lois de finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Sauf pour l'imprévisibilité !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je veux bien croire que nous nous trouvons dans un état d'urgence financier. Pour autant, il s'agit selon moi d'une mauvaise manière de modifier les arbitrages actés en loi finances initiale, dont nous avons déjà dénoncé les manques. Cette loi de finances, pourtant votée par le Parlement, est ici bafouée !
Ce projet de décret d'avance ne représente ni une amélioration ni une précision. Il ne respecte pas le vote du Parlement. Il y a là selon moi un vrai danger pour notre démocratie.
M. Michel Berson. - Je m'exprime ici en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Tout comme les signataires de la pétition publiée hier dans Le Monde, j'ai été frappé de la baisse drastique des crédits consacrés à la recherche. Depuis trois ans, la loi de finances initiale fait apparaître une stabilité des crédits de la recherche, au nom de la sanctuarisation de ces crédits. En effet, la recherche compte parmi les grandes priorités de ce gouvernement, comme le Président de la République le rappelait encore récemment. Néanmoins, sur cette même période, chaque année, des décrets d'avance diminuent de 0,5 % à 1 % les crédits de la recherche. In fine, lors de la loi de règlement, on peut donc constater chaque année une diminution de ces crédits.
Les crédits que ce décret d'avance annulerait dans ce domaine représentent environ un quart de l'ensemble des annulations, alors que la recherche ne représente que 6 % du budget de l'État. La priorité accordée à la recherche n'est donc pas évidente à la lecture de ces chiffres, et ce d'autant moins que 80 % des crédits annulés sont des crédits « frais » et non pas des mises en réserve. Surtout, plus de la moitié de ces annulations affectent des laboratoires de recherche.
Il faut demander au Gouvernement de revoir la question, non pas sur la totalité des 256 millions d'euros en jeu, mais sur la part de cette somme - la moitié environ - qui affecte les programmes de recherche du CEA, du CNRS, de l'INRA et de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, ou INRIA. Je sais à quel point les budgets de ces institutions sont tendus, notamment pour ce qui est des frais de fonctionnement des laboratoires. Par conséquent, une négociation doit s'ouvrir entre ces organismes et le ministère des finances pour trouver une solution à ce problème.
En conclusion, on peut être surpris que, pour financer des dépenses nouvelles répondant à des besoins de court terme, on diminue des crédits qui relèvent d'une activité de long terme, en l'occurrence la recherche. Ce hiatus ne s'explique guère : raison de plus pour que le Gouvernement se montre attentif aux protestations des chercheurs.
M. Vincent Delahaye. - Ce projet de décret d'avance pose bien des questions de fond.
Tout d'abord, pour mettre en oeuvre une décision du Président de la République, on consacre 900 millions d'euros supplémentaires à la formation des demandeurs d'emploi. Cela peut surprendre : alors que l'on vante l'économie collaborative, il est inacceptable qu'une seule personne puisse soudainement décider de dépenser près de un milliard d'euros.
On sait depuis des années qu'il faut réformer la formation professionnelle, qui n'est pas aujourd'hui adaptée aux besoins de notre pays. Or le Gouvernement, après quatre ans d'exercice du pouvoir, ne fait qu'ajouter un milliard d'euros supplémentaire à ceux qui ont déjà été dépensés. Cette nouvelle dépense ne sert qu'à maquiller les chiffres du chômage pour rendre service au Président de la République. Je ne saurais approuver ni ce choix ni la méthode employée : j'ai peur en effet que ce milliard d'euros ne parte en fumée.
Les dépenses relatives à l'asile représentent un autre abondement important : 158 millions d'euros. Cela pose à nouveau le problème de la sincérité de la loi de finances initiale. La sous-estimation récurrente de certains postes budgétaires, qu'il faut ensuite régulariser par un décret d'avance, est évidente.
Quant aux annulations de crédits, je reprendrai l'analyse de Michel Berson : pour financer des dépenses de court terme, dont l'efficacité reste d'ailleurs à démontrer, on coupe dans des dépenses d'avenir.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ce projet de décret d'avance.
M. Yannick Botrel. - Le rapporteur général a déploré la sous-budgétisation en loi de finances initiale des risques sanitaires portant sur l'élevage. Ce débat est récurrent au sein de notre commission. S'il y a insincérité, elle est donc ancienne.
Il est surtout impossible de prévoir l'éventualité d'une épizootie et l'ampleur des besoins qu'elle peut nécessiter. En l'occurrence, la France a connu cette année deux épisodes extrêmement sévères : la fièvre catarrhale ovine et la grippe aviaire. Les besoins générés par ces épizooties s'élèvent à 58,5 millions d'euros. Ce projet de décret y répond, notamment par le redéploiement, à hauteur de 43 millions d'euros, de crédits déjà alloués au ministère de l'agriculture. Il n'y a là rien de nouveau et de tels débats avaient déjà lieu quand Bruno Le Maire était ministre de l'agriculture.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voudrais d'abord rappeler quelques éléments de contexte.
Tout d'abord, la réserve de précaution a atteint un niveau jamais égalé. Cela pose la question des pouvoirs de contrôle budgétaire du Parlement.
Ensuite, ce projet de décret d'avance est d'une ampleur importante, contrairement aux affirmations de Richard Yung. Le décret d'avance de mars 2015 portait sur 401 millions d'euros en autorisations d'engagement et 308 millions d'euros en crédits de paiement ; ce projet prévoit quant à lui l'ouverture et l'annulation de 1,6 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement. Certes, d'autres décrets d'avance ont été pris à l'automne 2015 ; néanmoins, les sommes en jeu en ce début d'année budgétaire sont sans commune mesure.
Sur le critère d'urgence, nous sommes tous d'accord : la nécessité d'ouvrir rapidement les crédits est manifeste. En revanche, je voudrais revenir sur la question de l'imprévisibilité. Nous sommes plusieurs à avoir évoqué la sous-budgétisation chronique de certains postes budgétaires, comme la politique d'asile ou l'hébergement d'urgence. François Patriat indique avoir travaillé sur la question de l'indemnisation des vétérinaires depuis des années : cela signifie bien qu'il n'y a pas imprévisibilité ! Pourquoi donc cela n'a-t-il pas été inscrit dans la loi de finances initiale ?
De manière plus générale, le Gouvernement justifie ce projet de décret d'avance, en premier lieu, par les nécessités du plan d'urgence pour l'emploi. Ce plan a été annoncé par le Président de la République le 18 janvier 2016, soit quelques semaines à peine après l'adoption de la loi de finances pour 2016. N'aurait-il pas été plus simple d'y faire figurer des mesures d'une telle ampleur, qui n'ont sans doute pas été inventées entre Noël et le 18 janvier ? Le Parlement, une fois de plus, a été mis de côté.
J'en viens aux annulations de crédits. J'ai lu à ce sujet le compte rendu de l'audition du secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, par la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 18 mai dernier. Or les propos de Christian Eckert, loin de me rassurer, m'incitent à vous proposer l'adoption d'un avis défavorable à ce projet de décret d'avance.
En effet, sur les crédits de la recherche et, notamment, les sommes allouées au CEA, il reconnaît avoir été un peu trop vite en besogne, dans la mesure où le CEA ne dispose pas du fonds de roulement nécessaire pour fonctionner sur un budget ainsi réduit. Les explications fournies sont pour le moins imprécises !
Quant aux participations de l'État, le besoin de recapitalisation d'EDF et d'Areva, qui s'élève à plusieurs milliards d'euros, est bien connu ; le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, nous en dira sans doute un mot demain. Or ce projet de décret annule 500 millions d'euros d'autorisations d'engagement sur ce compte. Christian Eckert, interrogé à ce sujet par les députés, a simplement répondu que cette recapitalisation pouvait attendre 2017.
Manifestement, ce projet de décret d'avance a été élaboré dans l'urgence, ce qui conduit à des résultats proprement ridicules : peut-être faudra-t-il un nouveau décret d'avance pour rétablir des crédits ici annulés !
André Gattolin demandait pourquoi l'on ne pouvait pas puiser dans la réserve de précaution : c'est parce que l'ampleur de ces redéploiements est telle qu'elle dépasse les plafonds au-delà desquels le Gouvernement peut procéder par simple dégel !
Il faut à un moment dire « stop » ! Entre l'accroissement de la réserve de précaution et l'annonce de nouvelles dépenses quelques semaines à peine après le vote des lois de finances initiale et rectificative, l'exécutif semble vouloir changer le budget à sa guise sans faire intervenir le Parlement : il faut poser une limite.
Par conséquent, plutôt qu'un avis favorable assorti de réserves, je vous propose d'adopter un avis défavorable à ce projet de décret d'avance. Cela devrait inciter le Gouvernement à mieux préparer le projet de loi de finances initiale, en mettant fin notamment à la sous-budgétisation chronique que nous dénonçons en vain, et, pour ce qui est des décrets d'avance, à mieux équilibrer les annulations de crédits entre différentes missions, en évitant en particulier de les faire peser sur les participations financières de l'État, en contradiction avec les besoins considérables de financement dans ce domaine.
Mme Michèle André, présidente. - Le point 18 du projet d'avis proposé par le rapporteur général est donc ainsi rédigé : « Émet, en conséquence, un avis défavorable au présent projet de décret d'avance. »
M. Richard Yung. - Votre projet d'avis, monsieur le rapporteur général, concluait à un avis favorable sous réserves. Je voudrais comprendre quels éléments nouveaux vous ont conduit à le changer.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le débat qui vient de se tenir !
M. Francis Delattre. - Il a changé d'avis après vous avoir écouté !
M. Richard Yung. - Par ailleurs, je regrette que notre commission n'ait pas entendu le secrétaire d'État au budget, qui aurait pu expliquer les choix effectués par le Gouvernement.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous savez bien qu'un délai de sept jours nous est imparti pour rendre notre avis. Nous sommes au dernier jour de ce délai et nous n'avons pas pu recevoir Christian Eckert.
Plusieurs éléments nouveaux justifient mon avis défavorable : le compte rendu de l'audition de Christian Eckert à l'Assemblée nationale, dont je n'ai eu connaissance que tardivement, la réponse, parvenue hier seulement, du Gouvernement au questionnaire que nous lui avions envoyé, enfin l'intervention même de Michel Berson dans ce débat. Au vu de tous ces éléments, j'ai conclu que l'imprévisibilité des dépenses n'était pas avérée et que les annulations prévues, notamment sur la recherche et les participations de l'État, ne se justifiaient pas.
Je tiens à préciser que la diminution ici prévue des crédits alloués au CEA s'élève à 64 millions d'euros.
M. Michel Berson. - Le CEA ne pourra pas fonctionner avec une telle baisse de crédits !
Je m'abstiendrai sur le projet d'avis du rapporteur général.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.
L'avis est ainsi rédigé :
La commission des finances,
Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;
Vu le projet de décret d'avance notifié le 17 mai 2016, portant ouverture et annulation de 1 583 650 000 euros en autorisations d'engagement et 1 122 450 000 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;
Sur la régularité du projet de décret d'avance :
1. Constate que l'objet du projet de décret d'avance est de permettre le financement du plan d'urgence pour l'emploi annoncé par le Président de la République le 18 janvier 2016, des dépenses relatives à l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), des retraites des vétérinaires n'ayant pas fait l'objet de cotisations employeurs et des moyens consacrés à la lutte contre certains risques sanitaires agricoles ;
2. Relève que le rapport de motivation joint au projet de décret d'avance prévoit également le redéploiement de crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) vers le fonds d'aide à la rénovation thermique (FART) ;
3. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant réparties sur vingt-trois missions du budget général et un compte d'affectation spéciale ;
4. Constate que les ouvertures de crédits prévues par le projet de décret d'avance n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;
5. Note que le montant des crédits ouverts par le projet de décret d'avance excède le plafond de 2 % des crédits de chaque programme et ne pouvait par conséquent pas faire l'objet d'une procédure de virement de crédits ;
6. Constate qu'il n'apparaît donc pas possible d'ouvrir les crédits supplémentaires considérés autrement qu'en recourant à un décret d'avance ;
7. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée au regard de la nécessité de mettre en oeuvre le plan de formation des demandeurs d'emploi et la hausse du nombre de bénéficiaires du FART décidés par le Gouvernement, d'assurer la continuité du paiement de l'allocation pour demandeurs d'asile et de financer la lutte contre les risques sanitaires qui touchent le monde agricole ;
8. Constate que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc formellement réunies ;
Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :
9. Note cependant que le financement des retraites des vétérinaires n'ayant pas fait l'objet de versement de cotisations employeur avant 1990 ne constitue en rien une problématique nouvelle ; que le risque budgétaire associé à la conclusion de protocoles d'accord était connu et aurait dû être budgété dès la loi de finances initiale ;
10. Relève que la sous-budgétisation des dépenses d'allocation pour les demandeurs d'asile était manifeste dès la loi de finances initiale au regard de l'exécution 2014 et de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile sur le territoire à partir de la seconde moitié de l'année 2015 ; que l'abondement prévu à ce titre par le projet de décret d'avance, bien qu'il soit supérieur au montant budgété en loi de finances initiale, ne suffit pas à apurer la dette de 177 millions d'euros accumulée par l'État auprès de Pôle Emploi au titre de ce dispositif ;
11. Estime par conséquent que l'urgence à ouvrir les crédits sur ces deux postes ne découle pas du caractère imprévisible des besoins budgétaires, mais de l'insuffisance des moyens alloués en loi de finances initiale ;
12. Observe en outre que le redéploiement de crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) prévu par le projet de décret d'avance témoigne des difficultés à assurer la lisibilité des mouvements de crédits du PIA, dès lors que ni la procédure de rétablissement de crédits au profit du programme 181 « Prévention des risques », ni l'affectation au FART des crédits ouverts au profit du programme 135 « Urbanisme, territoire et amélioration de l'habitat » ne peuvent être retracées au sein du projet de décret d'avance ;
Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :
13. Constate que les annulations ne respectent que très partiellement le principe d'auto-assurance et qu'une partie importante des crédits annulés est permise par le décalage de dépenses, à terme, inévitables ; estime qu'il est, par conséquent, probable que des ouvertures soient nécessaires en cours d'année sur certains des programmes qui font l'objet d'annulations ;
14. Note en particulier que l'annulation d'autorisations d'engagement à hauteur de près de 500 millions d'euros sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » ne prend pas en compte la nécessité d'assurer la recapitalisation du secteur énergétique français dans les mois à venir ;
15. Relève que l'annulation de 150 millions d'euros sur les aides à la pierre entre en contradiction avec l'engagement du Président de la République de renforcer les moyens consacrés à ces dispositifs ;
16. Souligne que près de la moitié des annulations sur le budget général pèse sur les deux missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Recherche et enseignement supérieur », à rebours des priorités affichées par le Gouvernement ; que la réduction brutale des moyens alloués à certains opérateurs de la recherche risque de porter atteinte à la qualité de l'écosystème français de recherche et d'innovation ;
17. Relève que le décret d'avance traduit, pour certaines missions, une réorientation importante des choix budgétaires adoptés par le Parlement en loi de finances initiale et estime que le recours croissant, par le Gouvernement, à la mise en réserve de crédits et à la procédure de décret d'avance limite la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement ainsi que la portée de l'autorisation parlementaire ;
18. Émet, en conséquence, un avis défavorable au présent projet de décret d'avance.
La réunion est levée à 10 h 32.
Mercredi 25 mai 2016
-- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales - Audition de M. Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA
La réunion est ouverte à 9 h 00.
La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA.
Mme Michèle André, présidente. - À la suite des révélations parues dans la presse dans le cadre de l'affaire des « Panama Papers », la commission des finances a fait le choix d'organiser un cycle d'auditions sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales, afin de mesurer le chemin parcouru depuis quelques années - et celui qui reste à parcourir.
Naturellement, il nous a semblé indispensable d'entendre les grandes banques françaises dont le nom est le plus souvent cité. Le 11 mai dernier, nous avons ainsi entendu le directeur général de la Société Générale. La presse a depuis révélé que d'autres banques françaises, en particulier le Crédit Agricole et BNP Paribas, que nous entendrons toutes deux ce matin, avaient également recouru aux services du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Mais d'autres questions se posent : qu'en est-il des sociétés offshore enregistrées par d'autres intermédiaires, ou dans d'autres pays ? Ces sociétés-écrans sont-elles titulaires de comptes auprès de banques françaises ? Comment s'assure-t-on de la conformité fiscale de leurs bénéficiaires ?
Pour évoquer ces questions, nous recevons ce matin Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA. Il est accompagné de Jérôme Brunel, secrétaire général, et de Jean-Yves Hocher, directeur général adjoint chargé du pôle « Grandes Clientèles ».
Je donne tout d'abord la parole à Philippe Brassac pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, au cours duquel il pourra apporter quelques éléments d'explication des informations parues dans la presse, et présenter les mesures qui ont été prises.
M. Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA. - Je répondrai d'abord à une question que certains peuvent se poser : comment se fait-il que le Crédit Agricole, dont on connaît l'histoire plutôt rurale et française, puisse être significativement concerné par la banque privée internationale ? En réalité, nous sommes très présents dans ce domaine, et ce notamment depuis l'acquisition d'Indosuez, en 1995, et du groupe Crédit Lyonnais, en 2003. Cette activité, si elle n'est pas négligeable au sein du groupe Crédit Agricole, y reste néanmoins marginale, puisque la banque privée internationale représente 2,4 % de notre produit net bancaire (PNB), dont 0,9 % hors Europe, où se situent les activités dites « offshore ».
Je vais vous présenter l'organisation que nous avons mise en place pour lutter de la façon la plus efficace possible non seulement contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais aussi contre l'évasion fiscale. Nous avons mis en oeuvre trois types de mesures depuis 2010.
Tout d'abord, en 2010, la décision a été prise de nous retirer physiquement, en termes de structure de banque privée internationale, des territoires dits « non coopératifs ». Nous nous sommes fondés sur une liste de quatorze pays, plus large que la liste de l'administration fiscale française. C'est ainsi que nous avons quitté les Îles Caïmans, les Îles Vierges britanniques et les Bahamas.
Nous avons aussi décidé, en 2012, de mettre fin à toute activité de prestation dans le domaine du conseil en fiducie, c'est-à-dire l'intermédiation, le conseil, la création ou la gestion de structures dites « offshore ». Pour cette activité, qui est en elle-même parfaitement licite, nous avions recours à divers intermédiaires, parmi lesquels le cabinet Mossack Fonseca.
Ces deux retraits ont été totalement achevés en 2015 ; tout cela relève donc pour nous totalement du passé. L'arrêt de ces activités s'est fait soit par la cession des structures, soit par leur extinction.
Nous avons pris une troisième décision, qui l'emporte sur toutes les autres en termes de preuve : nous avons décidé, en 2013, de vérifier à nouveau la rectitude fiscale de l'ensemble de notre clientèle de banque privée internationale. Cela concerne aussi bien les ayants droits des structures offshore et onshore que des personnes physiques, soit, sur l'ensemble du groupe Crédit Agricole, environ 70 000 clients. Ce travail a été achevé fin 2014 pour tous les résidents français et fin 2015 pour tous les résidents de l'Union européenne. Nous l'avons entrepris en mars 2015 pour les clients du reste du monde ; nous prévoyons de le conclure fin 2016 pour les structures, et en 2017 pour les personnes physiques.
J'en viens au nombre de structures offshore toujours clientes du Crédit Agricole, notamment par le biais de nos structures au Luxembourg, en Suisse et à Monaco.
Tout d'abord, nous avons aujourd'hui encore onze structures offshore enregistrées au Panama par Mossack Fonseca ; aucun ayant droit de ses structures n'est résident français. Tous pays confondus, avons également quatre-vingts structures offshore établies par Mossack Fonseca ; là encore, aucun de leurs ayants droit n'est résident français non plus. Tous prestataires confondus, nous avons quatre structures offshore enregistrées au Panama concernant des résidents fiscaux français, et vingt-trois structures offshore concernant des résidents fiscaux français dans le monde entier.
Tous ces clients ont fait l'objet d'une vérification fiscale. De plus, comme nous opérons à partir de l'Europe, ils seront tous soumis, dès 2017 ou 2018, à l'échange automatique d'informations ; ces clients en sont conscients.
Je voudrais résumer en conclusion la politique du groupe Crédit Agricole pour la banque privée internationale. L'affaire des « Panama Papers » m'a enseigné qu'il ne suffit pas aujourd'hui de respecter strictement les réglementations des différents pays dans lesquels nous opérons ; il faut aussi être suffisamment lisible, de façon simple et non équivoque, sur nos champs d'acceptabilité et de non-acceptabilité. Nous voulons être présents en banque privée internationale exclusivement dans les territoires qui s'engagent dans l'échange automatique d'informations, et nous voulons y accepter seulement les clients qui nous donnent le mandat d'échange automatique d'informations. En d'autres termes : il n'y a pas de bénéfice du doute en faveur des clients pour lesquels nous ne pouvons pas matériellement effectuer ces vérifications, c'est-à-dire ceux qui relèvent d'États qui ne coopèrent pas sous forme d'accords bilatéraux ou multilatéraux.
Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie de ces précisions. Pour lever toute ambiguïté, je souhaiterais vous poser quelques questions.
Le Crédit Agricole indique avoir mis fin définitivement en 2015 à ses activités de services fiduciaires offshore, c'est-à-dire l'ouverture et la gestion de sociétés-écrans. Cette activité n'a-t-elle pas tout simplement fait l'objet d'une externalisation, afin de la « sortir » du bilan de la banque tout en continuant à offrir ces services aux clients ?
Le Crédit Agricole Suisse Conseil, ou CASC, filiale de la banque pour les activités offshore, n'a en effet pas été liquidé, mais vendu au groupe mauricien NWT, rebaptisé NWT Conseil, permettant au Crédit Agricole de faire sortir de son bilan plus de la moitié des sociétés offshore qu'il gérait. Toutefois, selon les informations du Monde, NWT Conseil « continuera à fonctionner avec d'anciens employés et systèmes de CASC et à servir ses clients en lien étroit avec le Crédit Agricole suisse et ses filiales ». Deux entités qui apportaient des services fiduciaires auraient été cédées : Crédit Agricole Management Services Bahamas en 2012 et Crédit Agricole Suisse Conseil en 2015.
Ces activités ont-elles été réellement scindées ? Conservez-vous des liens avec vos anciennes filiales fiduciaires, qu'ils soient capitalistiques ou d'une autre nature, y compris informelle ? Quelle est votre relation avec les clients de ces filiales, notamment quand il s'agit de clients que vous aviez redirigés vers l'option offshore par le passé ?
Plus généralement, pouvez-vous nous assurer que le Crédit Agricole ne propose plus à ses clients de mettre en place des sociétés-écrans, que ce soit directement, via une filiale ou via un partenaire, y compris de façon informelle, en recommandant les personnes susceptibles de le faire ?
M. Philippe Brassac. - Permettez-moi, avant de répondre à vos questions, de souligner que ce type d'activités est complètement licite et continue d'être opéré par de grandes banques, y compris en France. Nous faisons le choix politique de ne plus conseiller, créer ou gérer les structures de ce type, alors même que d'autres le font.
Ces procédures ont donc fait l'objet chez nous soit d'une extinction soit d'une cession à des prestataires externes, qui sont parfaitement connus et avec lesquels nous n'avons passé aucun type d'accord commercial. Nous avons fait ce choix non pas du fait d'obligations réglementaires mais bien pour des raisons de lisibilité de notre politique. Il n'y a ni lien commercial ni engagements avec ces prestataires. Notre politique sur ce point a été explicitement décrite. Cela n'empêche évidemment pas notre clientèle de s'adresser à ces prestataires.
Vous avez employé le terme de « société-écran ». Sur ce point, l'échange automatique d'informations a complètement changé la donne. Dès lors que l'on opère sur des territoires - tels le Luxembourg, la Suisse ou Monaco - qui se sont engagés à mettre en oeuvre l'échange automatique, et que les pays d'origine de la clientèle s'y engagent également, il n'y a plus d'opacité possible. Les structures offshore, utiles pour d'autres raisons que l'évasion fiscale, ne doivent donc pas être stigmatisées ainsi.
Dans tous les cas, du fait de notre choix de nous limiter aux pays pratiquant l'échange automatique, les informations pertinentes seront automatiquement diffusées aux différentes administrations fiscales, dès 2018 s'agissant de la Suisse.
Mme Michèle André, présidente. - Quelles peuvent-être les autres raisons d'avoir recours à une société offshore, hormis les raisons fiscales ?
M. Philippe Brassac. - Jean-Yves Hocher répondra mieux que moi à cette question. Il faut comprendre que ces structures offshore qui, du fait de notre politique, ne peuvent servir à dissimuler de l'évasion fiscale, peuvent être opportunes pour les clientèles fortunées.
Mme Michèle André, présidente. - Aucun autre véhicule français n'est-il assez souple pour atteindre les mêmes buts ?
M. Philippe Brassac. - Quand une personne fortunée, en France, veut investir à l'étranger, elle a besoin de structurer juridiquement son investissement de la façon la plus souple possible. Dans le passé, il est vrai que cela permettait aussi de faire écran sur le plan fiscal. Désormais, dans le cadre de l'échange automatique d'informations, que nous approuvons, cette opacité ne peut plus exister.
M. Jean-Yves Hocher, directeur général adjoint de Crédit Agricole SA, chargé du pôle « Grandes Clientèles ». - Quatre grandes causes justifient traditionnellement la création de structures offshore par des personnes, souvent très fortunées, qui désirent diversifier leurs investissements à travers le monde.
La première cause est immobilière. Ayant acquis des immeubles dans divers pays, on les place dans ce type de structures. Cela ne pose pas a priori de difficultés fiscales : en effet, aux termes de la convention OCDE appliquée dans la plupart des pays, les immeubles sont fiscalisés dans le pays où ils se trouvent. L'emploi d'une telle structure répond alors à une volonté d'organisation rationnelle d'un patrimoine international au sein d'une même société.
La deuxième cause est plus technique ; elle concerne des propriétaires d'avions ou de yachts munis d'équipage. On retrouve dans ce cas l'organisation utilisée par les armateurs, même français, qui font immatriculer leurs navires où c'est le plus simple et où le droit maritime est le plus commode. Ces avions et bateaux étant souvent financés par l'emprunt, la banque peut alors assez facilement, en cas de non-paiement du crédit, réaliser le gage, c'est-à-dire saisir les actions de la société. Dans beaucoup de pays, les procédures judiciaires nécessaires pour ce faire peuvent durer deux ans alors que, dans les pays utilisés par les armateurs, les procédures sont extrêmement rapides.
La troisième cause est relative à l'organisation successorale. Il s'agit de faire primer la volonté du défunt. Un exemple récent me vient à l'esprit : une personne, du fait du décès de ses enfants, ne pouvait léguer son bien qu'à ses petits-enfants, encore mineurs. Dans ces juridictions, on peut retarder l'exécution de la succession jusqu'à la majorité des petits-enfants, ce qui serait impossible en France. Les successions ainsi organisées font appel à un curateur pour prendre soin d'une affaire souvent assez complexe.
Enfin, dans certaines parties du monde, on a recours à ce type de structures pour des raisons de sécurité physique ou politique. L'immense majorité des résidents d'Amérique du Sud qui placent leurs biens à Panama le font pour ces raisons.
Mme Michèle André, présidente. - Y aurait-il selon vous des changements à effectuer dans le droit français pour offrir à ces personnes la souplesse qui leur manque ? Par ailleurs, où sont immatriculés les navires auxquels vous avez fait référence ?
M. Jean-Yves Hocher. - Hormis le Panama, on peut citer l'île de Man comme pavillon d'immatriculation de navires. Le critère majeur, pour les banques qui y ont recours, est la facilité de réalisation du gage. La législation française ne permet pas une saisie aussi rapide du bateau en cas de non-paiement du crédit que dans ces territoires - parfois quelques heures seulement !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Lors de son audition par notre commission le 11 mai dernier, M. Patrick Suet, secrétaire général du groupe Société Générale, a assuré que sa banque « ne participait pas, bien entendu, à des opérations dont l'objet est exclusivement fiscal ». Pourtant, on conçoit aisément qu'une opération puisse avoir un but principalement fiscal tout en ayant d'autres finalités, réelles ou prétextées. Pouvez-vous donc nous assurer que votre banque refuse les demandes dont le but est principalement fiscal, lorsqu'il apparaît que l'opération aurait pour objet ou pour effet d'échapper à l'impôt ?
Par ailleurs, lors de son audition par notre commission le 18 mai dernier, Éliane Houlette, procureur de la République financier, a indiqué qu'elle était à ce jour incapable de connaître l'identité du « bénéficiaire effectif » d'un trust par la voie de la coopération judiciaire avec certains paradis fiscaux. La direction générale des finances publiques (DGFiP) fait état du même obstacle en matière de coopération administrative. Dès lors, comment une banque comme la vôtre obtient-elle ces informations, dans le cadre de ses obligations relatives à la connaissance du client, Know Your Customer (KYC) ? Peut-elle les transmettre à l'administration fiscale ?
M. Philippe Brassac. - Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté : il ne saurait y avoir de recherche d'évasion fiscale dès lors que nous suivons notre présente politique de limitation volontaire ; nous ne voulons opérer qu'à partir de territoires ayant accepté de mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations, et seulement avec des clients dont le pays l'a également accepté. Nous ne leur laissons pas le bénéfice du doute lorsque les vérifications sont impossibles du fait de l'absence d'accords entre États. Par définition, nous ne pouvons avoir comme clients de notre activité de banque privée internationale que des personnes physiques et des structures, onshore ou offshore, soumises à l'échange automatique d'informations. Le terme « automatique » est ici crucial : il ne s'agit pas d'une décision de la banque au cas par cas, mais bien d'un système organisé entre États.
Prenons le cas d'une banque au Luxembourg, pays qui est partie à l'accord sur l'échange automatique. Si tous les clients sont originaires de pays également parties à cet accord, ce qui est le cas de tous les États membres de l'Union européenne, la banque devra donner toutes les informations à l'administration fiscale luxembourgeoise, qui les transmettra aux administrations fiscales des pays d'origine des clients. L'évasion fiscale est impossible dans ce système.
Cela dit, comment faisons-nous pour détecter d'emblée les clients qui s'adressent à nous avec de telles intentions, et les exclure de nos activités ? Nous obéissons d'abord aux règles dites Know Your Customer, qui imposent de connaître les vrais ayants droits. Cela n'est pas toujours facile, mais nous n'ouvrons pas de compte si nous ne sommes pas sûrs de connaître les clients.
Nous avons par ailleurs mené une opération très lourde, auprès de nos 70 000 clients, de vérification fiscale renouvelée. Dans ce cadre, quand nous n'étions pas sûrs de disposer de tous les éléments de preuve et de toutes les connaissances sur les ayants droits, nous avons été amenés à clôturer les opérations de ces clients, et ce de façon traçable et lisible, afin de ne pas permettre une évasion complémentaire.
En somme, notre territorialité ne nous permet pas d'accueillir des clients qui échapperaient à la fiscalité. Par ailleurs, le vrai travail de vérification qui nous est imposé fait que, si nous avons le moindre doute sur les vrais ayants droits, nous devons interrompre nos relations avec ces clients.
En outre, des mécanismes de déclaration de soupçons existent dans tous les États pour le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme ; dans un nombre croissant d'États - bientôt partout sans doute -, y compris en France depuis 2009, ces mécanismes s'appliquent aussi aux soupçons d'évasion fiscale. La Suisse, pourtant l'un des pays les plus lents à adopter de tels mécanismes, le fera cette année.
M. Jean-Yves Hocher. - Je voudrais ajouter une précision technique quant à la manière dont est traité le cas des sociétés offshore dont nous tenons les comptes au Luxembourg. Nous connaissons les bénéficiaires effectifs de ces sociétés. L'échange automatique d'informations nous oblige désormais à transmettre aux autorités fiscales luxembourgeoises non seulement les avoirs détenus par la société, mais aussi l'identité fiscale des bénéficiaires, de façon à ce que ces autorités transmettent aux pays de résidence des bénéficiaires toutes les données. L'échange automatique d'informations est vraiment le sésame qui permet de régulariser la situation de façon universelle.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - À propos du Luxembourg, le secrétaire général de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Édouard Fernandez-Bollo, nous a fait part des difficultés qu'il rencontrait à exercer des contrôles sur des filiales de banques françaises dans ce pays, notamment. Le régulateur luxembourgeois choisirait en effet lui-même l'échantillon soumis au contrôle. Des instructions sont-elles données à vos filiales en cas de contrôle sur place ? Quelles sont les relations de votre filiale avec le régulateur local ? Des informations peuvent-elles être « remontées » au régulateur français ? On sait que certains contrôles ne se sont pas très bien passés.
M. Jean-Yves Hocher. - Nous nous trouvons ici non plus dans le domaine de la fiscalité mais dans celui de la régulation. Nous donnons à nos filiales étrangères l'instruction d'obéir aux règles fixées par le régulateur local. Si celui-ci ne veut pas transmettre d'informations sans accord de coopération entre les États, nous n'y pouvons rien. Le régulateur est souverain dans son pays et la transmission de données est soumise à la mise en oeuvre d'une procédure assez longue d'application de l'accord de coopération.
M. Éric Bocquet. - Effectivement, le Crédit Agricole nous avait davantage habitués, jadis, au « bon sens près de chez nous », ce qui explique notre surprise à vous voir mêlés à cette affaire. De fait, vous n'avez pas échappé à la mondialisation et à la financiarisation à l'extrême : vous vous retrouvez donc dans la tourmente aujourd'hui !
Cela dit, avant même les révélations des « Panama Papers », un rapport avait été publié, le 16 mars 2016, par diverses organisations non-gouvernementales - Oxfam, le Secours catholique, CCFD-Terre Solidaire -, qui présentait une analyse complète de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux. Bien sûr, le Crédit Agricole y figurait. Ce rapport indiquait que vous aviez réalisé, en 2014, 2,4 milliards d'euros de bénéfices à l'international, dont 700 millions d'euros dans les paradis fiscaux, soit 26,6 % de ce chiffre. Confirmez-vous ou infirmez-vous ces données ?
Le même document précisait que, sur les 159 filiales de votre groupe dans les paradis fiscaux, seules sept entités étaient des banques de détail. Quel type d'activité menez-vous dans ces filiales ? Vous avez en partie répondu à cette question. Néanmoins, si la transparence vous importe, est-il absolument nécessaire d'organiser des activités, par exemple successorales, dans des territoires où l'opacité règne ? Si c'est transparent, pourquoi se cacher ?
Ensuite sont venues les révélations des « Panama Papers », qui ont secoué le monde entier. Ces documents évoquent 1 129 structures offshore gérées depuis les années 1990 par le Crédit Agricole, soit plus encore que pour la Société Générale : si ce chiffre est confirmé, vous êtes la première banque concernée par cette affaire. Vous dites avoir cessé cette activité en 2015 ; à l'instant, vous avez dit avoir pris la décision de vous retirer des paradis fiscaux en 2010. Que s'est-il donc passé durant ces cinq années ? On nous parle de 246 sociétés offshore encore actives en 2013. Les chiffres divergent : pouvez-vous nous apporter quelques précisions, certifier et, sur demande, documenter vos affirmations ?
Votre établissement a publié un communiqué, selon lequel « la banque privée du Crédit Agricole a engagé une démarche volontaire visant à s'assurer que chacun de ses clients est bien en conformité avec les services fiscaux de son pays de résidence ». Vous savez très bien pourtant que l'on peut être citoyen français, résider à Genève, posséder une société à Jersey et être titulaire d'un compte à Hong Kong ! De quel pays tenez-vous compte pour vérifier la conformité de telle ou telle situation ?
Le journal Le Monde a évoqué une filiale monégasque du Crédit Agricole, le Crédit foncier de Monaco, qui a demandé explicitement, à partir de 2010, au cabinet Mossack Fonseca de ne jamais mentionner les noms complets des bénéficiaires ou des sociétés qu'il gérait pour son compte. Avez-vous un commentaire à faire là-dessus ?
Philippe Brassac, vous avez déclaré dans votre propos liminaire ne travailler qu'avec les pays qui s'engagent à la transparence et à la coopération. Toutefois, Éliane Houlette, procureur de la République financier, a mentionné lors de son audition le cas de la Suisse où, si la coopération administrative était relativement bonne, la coopération judiciaire en revanche faisait apparaître pour le moins quelques réticences.
Enfin, Jean-Yves Hocher, vous indiquez il n'y a pas a priori de difficultés fiscales dans les activités immobilières offshore. N'est-il pas dans vos obligations réglementaires de vérifier que tel est bien le cas ?
M. Philippe Brassac. - En effet, il peut surprendre que le Crédit Agricole soit pointé du doigt sur ce type d'activité. Je rappellerai néanmoins que nous sommes la dixième banque mondiale et la troisième en Europe. Nous sommes une banque universelle, qui compte 160 000 collaborateurs et des dizaines de millions de clients. Nous avons donc toutes les activités d'une banque universelle dans un monde très globalisé. Cela emporte des risques mais aussi les obligations de contrôle inhérentes à ces risques.
Je ne valide pas un seul instant les chiffres cités par Éric Bocquet, notamment en ce qui concerne la part des paradis fiscaux dans nos bénéfices. L'essentiel du produit net bancaire (PNB) du groupe Crédit Agricole est produit en France. On ne peut réaliser 2,4 milliards d'euros de résultats dans des paradis fiscaux quand le total pour le groupe n'atteint que 4 à 5 milliards d'euros ; cela serait du moins incompatible avec les 5 milliards d'euros d'impôt et taxes que nous avons versés à l'État français sur le dernier exercice. Nous figurons à un rang extrêmement élevé des contributions fiscales en France.
Les activités qui font l'objet de cette audition - la banque privée internationale dans son ensemble - représentent au plus 2,4 % de notre PNB ; seuls 0,9 % de ce PNB provient de telles activités hors Europe.
Je sais qu'il n'est guère populaire de dire cela, mais les structures offshore ne sont ni illicites ni problématiques par principe, dès lors qu'elles se font dans la transparence. Il y en a et il y en aura toujours ; des prestataires, y compris de grandes banques, continueront à mener de telles activités. Nous avons fait, volontairement, le choix de n'opérer, en termes de territoire comme de clientèle, que dans le cadre de l'échange automatique d'informations.
S'agissant de nos implantations, ce qui compte pour nous est le « booking », là où nous proposons nos services. Prenons le cas d'un client français, ayant droit d'une structure au Panama. Plus que sa nationalité, la localisation de son « booking » est ce qui importe : Paris, le Luxembourg, la Suisse, Monaco, Hong Kong... Ces territoires et, plus largement, les onze pays où nous localisons les « bookings », sont soumis à l'échange automatique d'informations. Cela nous permet de tenir de manière ferme et solennelle notre politique de transparence.
Le Crédit foncier de Monaco appartient effectivement au Crédit Agricole : nous l'avons acquis en même temps qu'Indosuez. Monaco est en transparence fiscale, depuis de très nombreuses années, avec la France : un Français ouvrant un compte à Monaco est automatiquement déclaré à l'État français.
Lorsque nous imposons à nos prestataires, comme dans tous nos contrats, la confidentialité de nos clients, c'est pour protéger ceux-ci, ainsi que nos données, et non pas pour nous soustraire aux autorités fiscales, qui sont en droit d'exiger la lisibilité de nos comptes.
Vous avez évoqué certaines activités qui sont menées dans d'autres pays pour des raisons industrielles ou professionnelles. Ce serait selon moi une erreur que d'associer automatiquement certains pays à de l'opacité. Le financement de grandes structures de transport maritime ou d'aéronautique peut se faire dans des pays dont le nom, par la connotation qui y est attachée, peut surprendre ; pour autant, il se fait dans une entière transparence juridique, de rémunération et de fiscalité. Le Crédit Agricole est fier de compter parmi les grands leaders mondiaux de ce type de financement.
M. Jean-Yves Hocher. - J'évoquerai plus en détail le financement des avions et des bateaux. En règle générale, nous finançons non pas la compagnie aérienne mais l'avion lui-même, qui est « enveloppé » dans une structure juridique ad hoc. Cette structure est l'emprunteur auprès de la banque et ces emprunts sont payés par les loyers versés par la compagnie. L'administration fiscale française connaît parfaitement l'argent perçu par cette structure, imposé conformément aux dispositions de l'article 209 B du code général des impôts. Il s'agit purement d'une technique de financement visant à assurer la rapidité de la saisie puis la revente de cet avion par le Crédit Agricole en cas de non-paiement du loyer par la compagnie aérienne - un cas fort rare. Ce type de structure peut être formé aisément dans certains pays et États américains, tels que le Delaware.
Il en est de même pour les bateaux, les pavillons privilégiés étant ceux du Panama et de l'île de Man. J'ai ainsi en tête deux grands navires de croisière, construits par un grand chantier naval de l'ouest de la France, qui ont été, à ma connaissance, immatriculés au Panama pour des raisons qui n'ont rien de fiscal.
M. François Marc. - Il est naturel que les autorités publiques se préoccupent des structures offshore, qui peuvent être jugées pernicieuses dès lors qu'il y a évasion fiscale ou blanchiment d'argent.
Beaucoup d'arguments sont mis en avant pour légitimer les créations de comptes à l'étranger : gestion de l'immobilier, droit des successions, etc. Pourtant, d'après la presse, 80 % des motivations qu'on pouvait déduire des « Panama Papers » relevaient de l'évasion fiscale. Les quatre arguments que vous avez évoqués ne pèseraient donc que dans 20 % des cas. Dès lors, pouvez-vous nous en dire plus sur le renforcement récent de vos contrôles et votre programme de « rectitude fiscale » ?
Par ailleurs, quels sont les contrôles et vérifications à conduire avant l'ouverture d'un compte pour éviter que des sociétés ne se livrent à du blanchiment d'argent ? Certaines d'entre elles avaient ouvert des comptes offshore pour éviter de répondre aux exigences réglementaires locales.
Enfin, il semblerait, à vous entendre, que la législation française ne soit pas au point sur certains sujets, ce qui justifierait le recours aux structures offshore. Quelles modifications législatives suggéreriez-vous pour éviter tous ces tracas ?
M. Philippe Brassac. - Je suis incapable de valider les pourcentages que vous avez cités. Je ferai par ailleurs remarquer que le consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), à l'origine de la publication des « Panama Papers », mentionne sur son propre site l'existence de raisons légitimes à la création de compagnies offshore, et souligne la conformité fiscale de bien des bénéficiaires de telles structures. Ils confirment bien ainsi que ces activités ne sont pas illicites par principe, loin s'en faut.
Nous avons terminé le travail de vérification fiscale renouvelée des ayants droits français de ces structures. Tous ces clients savent parfaitement qu'ils vont désormais être soumis à l'échange automatique d'informations. Notre banque privée internationale compte 13 000 clients français ; 23 structures offshore que nous gérons ont des ayants droit français. Tous ces clients savent qu'ils seront soumis à l'échange automatique d'informations, et n'y voient aucun problème. Ils estiment qu'ils ont des raisons légitimes, dont je n'ai pas à connaître, d'avoir recours à une structure offshore. La vérification est achevée ; des structures offshore demeurent, mais nous avons renoncé, pour une plus grande lisibilité, à la création de telles structures à l'avenir.
Nous voulons qu'il n'y ait aucun doute quant au fait que nous ne sommes ni générateurs par notre conseil ni prestataire de telles activités. En outre, le fait que notre clientèle sera soumise à l'échange automatique d'informations est la preuve, par la conscience des clients eux-mêmes, que ces activités sont en parfaite rectitude fiscale.
Quant au droit français, le problème n'est pas directement ou uniquement là. Les problèmes que j'évoquais ne touchent pas que des Français : on pourrait prendre le cas d'un Espagnol achetant un immeuble à Hong Kong. Il essaiera de trouver la formule juridique qui lui convient le mieux, tout en respectant l'ensemble des réglementations. Dans notre monde très globalisé, où on donne la possibilité à tous, à tort ou à raison, d'effectuer de telles opérations, on trouve des clientèles désireuses d'optimiser leur situation au regard d'une variété de règles successorales ou juridiques. Je ne me permettrais donc pas de formuler la moindre recommandation sur l'évolution des réglementations, car l'existence de ces pays en tant que localisations de sociétés offshore résulte de leur stratégie d'optimisation des réglementations pour se montrer attractifs sur tel ou tel besoin exprimé par des clients.
M. Jean-Yves Hocher. - S'agissant des contrôles à effectuer sur les ayants droits de ces structures, il faut distinguer entre avant et après la mise en place de l'échange automatique d'informations.
Avant, nous demandions au client une attestation de conformité fiscale avec les règles de son pays, ainsi que son identifiant fiscal. La banque n'est en revanche pas habilitée à exiger d'un client qu'il lui transmette sa déclaration d'impôts.
Après, ce sera plus simple ; la transmission sera automatique, nous donnerons aux autorités fiscales du pays où nous tenons les comptes toutes les données, qui seront ensuite transmises au pays de résidence fiscale des clients. La question de la sincérité du client ne se posera plus. De notre point de vue, la partie fiscale du problème est ainsi résolue. Il reste les questions juridiques : nous allons dans certains pays, car le droit y est plus souple. Il s'agit là d'un débat différent.
M. François Marc. - La fiscalité était tout de même la part essentielle du sujet.
M. Jean-Yves Hocher. - C'est ce que dit la presse ; nous n'en avons pas eu confirmation.
M. Philippe Brassac. - Je peux lever un doute nous concernant. Notre activité de banque privée internationale pour le groupe Crédit Agricole a conservé une taille comparable après la vérification fiscale de nos clients, soit environ 70 000 clients. Je n'élude pas la possibilité qu'il y ait eu dans le passé une recherche d'évasion fiscale ; néanmoins, nous ne voyons pas notre activité s'évaporer de façon significative avec l'instauration de contrôles. Par conséquent, l'essentiel des motivations de nos clients n'était pas l'évasion fiscale.
M. André Gattolin. - Vous avez évoqué, Philippe Brassac, le travail d'extinction des sociétés offshore, effectué soit par l'extinction pure et simple de la société, soit par sa cession. Vous avez notamment évoqué le cas des filiales vendues au groupe mauricien NWT, en niant l'existence de liens commerciaux ou capitalistiques entre le Crédit Agricole, ou ses filiales, et cette société. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces cessions ? Du personnel travaillant pour le Crédit Agricole ou une de ses filiales en charge de ces comptes offshore a-t-il été transféré vers cette société, avec ou sans votre accord ? Ces cessions se sont-elles effectuées dans des conditions normales ? Quelles clauses ont été mises en place ? Savez-vous ce que sont devenus ces anciennes filiales et leurs collaborateurs ?
M. Philippe Brassac. - Nous n'avons jamais dit que nous voulions procéder à l'extinction de toutes les structures offshore, qui sont par principe licites et peuvent être utiles. Nous entendons faire opérer celles qui existent dans un cadre qui permet la transparence fiscale. Nous avons simplement décidé de ne plus être nous-mêmes prestataire, conseil, intermédiaire, créateur ou gestionnaire de ces structures.
Paradoxalement, en voulant être plus loyaux que ce qu'impose la réglementation, nous attirons sur nous-même une sorte de soupçon. Je pourrais très bien défendre la poursuite de ces activités légales, comme d'autres banques le font. Nous avons pris cette décision pour notre réputation : nous ne pouvons plus nous contenter de strictement respecter la réglementation de chaque pays, nous devons offrir à tous ceux qui nous observent une politique très lisible et sans ambiguïté. La réputation est une valeur essentielle pour une grande banque comme le Crédit Agricole. C'est pour cette raison que nous avons décidé d'arrêter ce type de prestations, afin de ne pas subir le reproche d'être à l'origine du conseil permettant de structurer ainsi les patrimoines.
Pour répondre précisément à votre question, nous avons choisi l'extinction pure et simple pour deux entités. Au Luxembourg, notamment, nous avons fermé notre structure où nous pratiquions le conseil et la structuration offshore. Quant à Crédit Agricole Suisse Conseil, nous l'avons cédé en toute transparence, à une structure parfaitement connue. Aucun accord commercial n'a été passé. En revanche, quand on vend une structure, on « vend » aussi ses collaborateurs, pour ainsi dire. Nous n'avons ni participation dans le capital, ni liens commerciaux, ni commissions d'apport avec cette structure. Nous y avons par contre détaché une personne pour deux ou trois ans afin de surveiller que la transition s'opère de façon convenable et ne cause pas de difficultés par rapport à notre clientèle.
M. Jean-Yves Hocher. - Dans toute cession, les employés sont transférés en tout ou partie chez l'acheteur.
M. Philippe Brassac. - Il n'est pas rationnel de penser que ces cessions ne seraient qu'un moyen pour nous de cacher notre activité. Nous aurions dans ce cas gardé la structure elle-même. Ce qui compte à nos yeux, c'est bien la transparence fiscale, et nous allons au-delà des contraintes réglementaires en abandonnant ces activités, qui créent un problème de réputation pour les banques qui les pratiquent.
Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales - Audition de M. Jacques d'Estais, directeur général adjoint de BNP Paribas
La commission entend ensuite M. Jacques d'Estais, directeur général adjoint de BNP Paribas.
Mme Michèle André, présidente. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales. Les auditions de la Société Générale, le 11 mai dernier, et du Crédit Agricole, ce matin même, nous ont permis d'obtenir des premières explications et des éclairages sur les révélations parues dans la presse.
Nous entendons à présent Jacques d'Estais, directeur général adjoint de BNP Paribas. Il est accompagné d'Éric Martin, responsable de la conformité, et de Christian Comolet-Tirman, responsable des affaires fiscales. D'après les révélations des « Panama Papers », la banque BNP Paribas aurait confié la gestion de 468 sociétés offshore au cabinet Mossack Fonseca, dont une demi-douzaine étaient encore actives il y a quelques mois.
Afin de nous apporter quelques premiers éléments d'explication et de nous présenter les récentes évolutions, je donne tout d'abord la parole à Jacques d'Estais.
M. Jacques d'Estais, directeur général adjoint de BNP Paribas. - Je tiens avant tout à vous présenter les regrets de notre directeur général, Jean-Laurent Bonnafé, qui n'a pu se libérer aujourd'hui. Je suis pour ma part directeur général adjoint de BNP Paribas et responsable du pôle « International Financial Services », au sein duquel est logée la banque privée internationale du groupe. Je vous remercie de l'occasion que vous nous donnez de nous exprimer sur ce sujet important et de vous informer des actions de notre groupe dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale.
Dès 2009, année de la transposition de la troisième directive anti-blanchiment, qui intégrait la fraude fiscale dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, notre groupe a initié un programme très rigoureux de renforcement de nos modes de commercialisation et de contrôle au sein de la banque privée internationale. Dans le cadre de ce programme, quatre décisions structurantes ont été prises : renforcement continu de notre dispositif de connaissance du client, ou KYC (Know Your Customer) ; arrêt de nos activités liées à l'administration, pour nos clients, de sociétés offshore ; demande systématique de déclarations de conformité fiscale depuis 2013 à tous nos clients résidents fiscaux en France, dans l'Union européenne et dans les pays de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques ; enfin, depuis 2013 aussi, nous n'ouvrons plus de comptes au nom de sociétés offshore dont les bénéficiaires économiques finaux sont résidents fiscaux français. Je vous présenterai à présent chacune de ces mesures dans le détail.
Dès 2009, tout d'abord, nous avons entrepris un programme très conséquent de renforcement de notre processus de KYC, qui vise à nous assurer de la bonne connaissance de nos clients. Toute nouvelle entrée en relation, dans le monde entier, est validée par un comité d'acceptation client, qui rassemble des représentants de la banque privée internationale et de la conformité. La fonction « conformité » est en effet indépendante des divers métiers de notre groupe et intégrée globalement ; son responsable global, Éric Martin, qui est présent aujourd'hui, dépend directement de notre directeur général.
Mme Michèle André, présidente. - Combien de personnes travaillent à la direction de la conformité ?
M. Éric Martin, responsable de la conformité de BNP Paribas. - Il y en avait à peu près 1 700 à la fin 2014, 2 700 à la fin 2015. L'objectif est que 3 500 personnes y travaillent à la fin de cette année.
M. Jacques d'Estais. - La direction de la conformité a un droit de veto final, dans ces comités d'acceptation client, tant sur l'entrée en relation que sur la continuation d'une relation avec un client existant.
Ces comités ont pour but de comprendre parfaitement qui sont nos clients présents ou futurs : leur motivation, l'origine des fonds, la transparence des flux qui vont transiter sur nos comptes ainsi que le type de gestion adapté. Ce filtre s'inscrit dans le cadre général de la lutte contre le blanchiment, la fraude fiscale, la corruption et le financement du terrorisme ; il peut également assurer le respect des sanctions internationales en vigueur.
Dans le cas de l'utilisation de structures offshore - j'aurai l'occasion de définir ce que nous entendons par là -, leurs bénéficiaires économiques sont toujours connus et font l'objet du KYC. Nous analysons non seulement ce bénéficiaire, mais encore la raison d'être de cette structure. Si le bénéficiaire économique final ne peut être identifié ou validé, notre relation ne se fait pas. On ne peut donc pas parler de « société-écran ».
Tous les clients font l'objet d'un score de risque, dit « score MLRA », et fondé sur de multiples critères, identiques dans le monde entier. Ce score détermine le niveau de risque de la relation et la fréquence de la revue de celle-ci. Les transactions réalisées sur les comptes font également l'objet de filtres systématiques afin d'en assurer la conformité. Ce dispositif, en place dans toutes nos structures de banque privée, est revu non seulement par notre inspection interne, mais aussi par tous les régulateurs nationaux qui nous surveillent et, à l'échelle mondiale, par l'autorité française de contrôle prudentiel et de résolution, l'ACPR.
J'en viens à notre deuxième décision. En 2010, nous avons entamé un processus de cession de nos activités liées à l'administration de sociétés offshore. Les liens avec ces sociétés ont été stoppés dès leur cession ; depuis lors, elles exercent leur activité de manière indépendante de notre groupe. Ainsi, nous avons vendu en 2010 le fonds de commerce de BNP Bahamas Ltd à Bank of Nova Scotia ; nous n'avons gardé que la structure juridique, qui a été liquidée en 2013. La succursale de BNP Paribas Wealth Management à Panama a de même été vendue en 2010 à Bank of Nova Scotia ; sa structure juridique a été liquidée en 2012. BNP Paribas Trust Company, à Genève, a été cédée en 2010 au groupe Watamar, qui l'a renommée par la suite Candeo Corporate Services. Fidupar, au Luxembourg, a été cédée en 2014 à un cabinet d'expertise comptable local. Enfin, BNP Paribas Trust B.V., aux Pays-Bas, a été cédée au début de cette année à un cabinet d'expertise comptable local.
Aujourd'hui, à la suite de ces cessions, BNP Paribas n'exerce plus d'activité d'administration de sociétés offshore pour le compte de ses clients.
En troisième lieu, nous avons renforcé depuis 2013 notre dispositif de lutte contre la fraude fiscale. Tout d'abord, nous demandons systématiquement à tous nos clients existants résidents fiscaux en France, dans l'Union européenne ou, plus largement encore, dans les pays de l'OCDE, une déclaration de conformité fiscale. Nous avons envoyé 30 000 lettres. Une fois cette déclaration reçue, nos équipes de conformité et nos équipes juridiques en valident la fiabilité à l'aide de certains critères de conformité fiscale que nous avons mis au point : ainsi, l'existence de flux réguliers entre le compte offshore et le compte du client dans son pays d'origine constituent un facteur rassurant ; l'absence de mouvements réguliers est en revanche un facteur aggravant. En présence d'une quantité de facteurs aggravants, nous ne validons pas la déclaration de conformité fiscale.
Mme Michèle André, présidente. - Pouvez-vous nous donner d'autres exemples de facteurs aggravants ?
M. Jacques d'Estais. - Ce peut être un client difficilement joignable ou qui ne se connecte jamais à son compte sur nos sites internet pour en connaître l'évolution ; la présence de nombreux mouvements en liquide sur le compte est un autre indice de suspicion.
Lorsque nous n'avons pas reçu de déclaration ou que celle-ci n'est pas validée, le compte est bloqué et le client n'a plus accès à ses fonds. Deux options sont alors possibles : soit le client nous demande le rapatriement de ses fonds dans son pays de résidence fiscale, ce qui implique la transparence - si cet argent se retrouvait, par exemple, sur un compte géré par BNP Paribas en France, nous devrions le déclarer à la cellule anti-blanchiment Tracfin -, soit nous accompagnons le client auprès des autorités fiscales de son pays de résidence pour régulariser sa situation. En attente de cette régularisation, le compte reste bloqué.
Ce programme extrêmement large a été mis au point en 2012, a commencé fin 2012 et début 2013, et s'est terminé à la fin de 2015 et, pour les clients résidents fiscaux français spécifiquement, à la fin de 2014. Sur les principaux sites concernés - Suisse, Luxembourg et Monaco -, il s'est traduit par la sortie ou le blocage d'un important nombre de comptes, correspondant environ à un quart des actifs sous gestion dans le périmètre des clients France, Union européenne et OCDE. Il s'agit donc d'un programme très important.
J'en arrive au quatrième point, relatif à l'utilisation de structures offshore. Nous n'entrons plus, depuis 2013, en relation avec des structures offshore dont les bénéficiaires économiques ultimes sont des résidents fiscaux français.
Je voudrais préciser à cet égard ce que nous entendons par « structure offshore ». Pour ce qui nous concerne, nous avons utilisé comme périmètre de restriction une liste de trente-huit juridictions, que nous avons établie en 2013. Cette liste inclut les juridictions présentes sur la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) publiée en 2010 et 2012, ainsi que toutes les juridictions figurant sur la liste publiée en 2009 par l'OCDE des paradis fiscaux et autres juridictions n'ayant pas pris suffisamment d'engagements en matière de transparence et d'échange d'informations. Le Panama fait bien sûr partie de cet ensemble. Par souci de simplification et de précaution, nous n'avons pas remis à jour cette liste depuis sa création, quand bien même certains de ces pays ont pris des engagements en matière d'échange automatique d'informations et sont sortis des listes établies par l'OCDE ou par la France.
Depuis 2013, nous n'avons donc effectué aucune entrée en relation avec des structures offshore dans ces 38 juridictions dont les bénéficiaires économiques finaux sont des résidents fiscaux français. Il n'y a donc pas de flux depuis 2013.
Qu'en est-il du stock constitué avant 2013 ? Pour des bénéficiaires économiques finaux résidents fiscaux français, les comptes actifs, c'est-à-dire non bloqués, ouverts au nom de structures offshore dans ces 38 juridictions sont au nombre de quatre. Nous avons acquis pour ces quatre structures la preuve de déclarations faites auprès des autorités fiscales françaises. Le montant d'actifs de ces structures est par ailleurs assez limité.
Nous serons probablement encore plus restrictifs à l'avenir. Pour tous les comptes actifs ouverts au nom de sociétés offshore dont les bénéficiaires économiques ultimes sont résidents de l'Union européenne et de l'OCDE, comptes pour l'ensemble desquels nous disposons à ce jour d'une déclaration de conformité fiscale validée par nos services, nous allons en outre demander à nos clients une copie de leur déclaration d'impôts ou une attestation établie par un cabinet fiscal de premier plan.
Par ailleurs, notre politique de non-ouverture de structures offshore au profit de résidents fiscaux français sera élargie aux résidents fiscaux de l'Union européenne et des pays de l'OCDE.
Mme Michèle André, présidente. - BNP Paribas indique avoir mis fin à ses activités de services fiduciaires offshore, c'est-à-dire à l'ouverture et la gestion de sociétés-écrans. Cette activité n'a-t-elle pas tout simplement fait l'objet d'une externalisation, afin de la « sortir » du bilan de la banque tout en continuant à offrir ces services aux clients ?
Selon Le Monde, fin 2010, BNP Paribas avait cédé au cabinet luxembourgeois Watamar & Cie sa fiduciaire suisse BNP Trust Company SA, qui comptait alors 70 sociétés offshore actives. Cette dernière avait été rebaptisée Candeo Corporate Services. Toutefois, selon les déclarations de Patrick Taverne, directeur de Candeo, rapportées par Le Monde, Candeo « continuait à travailler principalement pour BNP Paribas, pour des raisons de relations interpersonnelles ». Ces activités ont-elles été réellement scindées ? Conservez-vous des liens avec votre ancienne filiale, qu'ils soient capitalistiques ou d'une autre nature, y compris informelle ? Quelle est votre relation avec les clients de Candeo Corporate Services, notamment quand il s'agit de clients que vous aviez redirigés vers l'option offshore par le passé ?
Plus généralement, vous nous assurez que BNP Paribas ne propose plus à ses clients résidents fiscaux français de mettre en place des sociétés-écrans, que ce soit directement, via une filiale ou via un partenaire. Pourquoi avoir décidé de mettre fin à cette activité ? Quelle alternative proposez-vous à ceux de vos clients qui auraient des motifs à vos yeux légitimes pour l'emploi de telles structures ? Que faudrait-il faire en matière législative, selon vous, pour que des véhicules français suffisamment souples permettent d'atteindre les mêmes buts ?
M. Jacques d'Estais. - Notre filiale BNP Paribas Trust Company, basée à Genève, a bien été cédée en 2010 à la société Watamar et renommée Candeo Corporate Services. J'ai utilisé non pas le terme « externalisation » mais bien celui de « cession » : nous avons vendu cette filiale. Depuis lors, cette société conduit ses activités en toute indépendance de BNP Paribas. Nous ne disposons pas d'éléments concernant d'éventuels liens personnels entre des collaborateurs de BNP Paribas et de Candeo Corporate Services. Il n'y a pas d'accord commercial ni de relations commerciales entre notre groupe et cette firme et il n'y en a pas eu depuis la vente. D'ailleurs, dans la mesure où nous n'ouvrons plus de structures offshore pour le compte de clients français depuis 2013, il n'y aurait pas de raison d'y en avoir.
Quant aux améliorations à apporter pour que les clients français n'aient pas besoin d'avoir recours à de telles structures, je rappellerai que l'utilisation de ces structures doit s'apprécier en fonction de l'environnement juridique - lois successorales ou fiscales - des différents pays dans lesquels nous opérons. Tous les pays du monde n'ont pas un cadre juridique aussi stable ou une loi successorale aussi claire qu'en France. Ce qui est vrai pour la France n'est donc pas forcément vrai pour d'autres pays, notamment en dehors de l'OCDE. Nous envisageons d'analyser dans les mois qui viennent l'environnement juridique, fiscal et successoral de chacun de ces pays pour y définir notre politique.
Nous considérons pour notre part qu'il existe en France les outils juridiques nécessaires pour la gestion, la structuration et la transmission de patrimoine. Nous ne voyons pas aujourd'hui, pour un résident fiscal français, de nécessité absolue d'aller chercher une structure offshore ; c'est d'ailleurs pourquoi, depuis 2013, nous avons décidé de ne plus ouvrir de tels comptes pour ces résidents.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - D'après la Correspondance économique d'aujourd'hui, « BNP Paribas n'a plus de filiales aux Îles Caïmans et possède encore deux succursales actives » dans ce territoire : BNP Paribas SA et une banque de détail, Bank of the West. S'y ajoute une entité, Marc Finance, non comptabilisée dans le périmètre consolidé du groupe. Pourquoi ne l'est-elle pas ? Plus largement, quelle est l'activité de ces succursales ?
Par ailleurs, quelle serait l'attitude de votre banque si un client régulier vous demandait de participer à une opération dont la finalité serait exclusivement fiscale ?
Vous avez évoqué à l'instant votre recherche de l'identité réelle de bénéficiaires de trusts. Or lors de son audition par notre commission le 18 mai dernier, Éliane Houlette, procureur de la République financier, a indiqué qu'elle était à ce jour incapable de connaître l'identité du « bénéficiaire effectif » d'un trust par la voie de la coopération judiciaire avec certains paradis fiscaux. La direction générale des finances publiques (DGFiP) fait état du même obstacle en matière de coopération administrative. Dès lors, comment une banque comme la vôtre obtient-elle ces informations, dans le cadre de ses obligations relatives à la connaissance du client ? Peut-elle les transmettre à l'administration fiscale ?
M. Jacques d'Estais. - Les articles récemment parus dans la presse au sujet de notre activité aux Îles Caïmans sont exacts, dans la mesure où notre groupe a très fortement réduit le nombre de ses implantations dans ce territoire depuis quelques années. Seules les deux succursales de BNP Paribas SA et de Bank of the West que vous avez mentionnées subsistent en effet, contre 10 en 2012 et 6 en 2014. La succursale Bank of the West est d'ailleurs inactive et en cours de clôture. Quant à Marc Finance, cette société est déconsolidée, car il s'agit d'une filiale à la taille inférieure aux seuils de consolidation.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Quelle est l'activité de Marc Finance ?
M. Jacques d'Estais. - Je ne me souviens pas, mais cette information figurera dans les réponses au questionnaire que vous nous avez adressé.
Nos deux succursales opérant aux Îles Caïmans sont fiscalisées aux États-Unis : il n'y a ni objectif ni effet d'optimisation fiscale pour BNP Paribas. Par ailleurs, cette juridiction, après examen approfondi par le Forum mondial de l'OCDE en 2013, a été considérée conforme aux critères de cette organisation ; elle s'est en outre engagée à passer à l'échange automatique d'informations dès 2017.
M. Christian Comolet-Tirman, responsable des affaires fiscales de BNP Paribas. - J'ajouterai que les Îles Caïmans pratiquent l'échange automatique d'informations avec la France depuis 2005 dans le cadre de la directive sur la fiscalité de l'épargne, ce qui est parfois un peu perdu de vue.
Quant aux opérations à but exclusivement fiscal...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Principalement !
M. Christian Comolet-Tirman. - ... le groupe BNP Paribas ne s'engage ni pour lui-même ni pour ses clients dans des opérations à finalité uniquement fiscale. Nous avons en la matière une pratique et des codes de conduite tout à fait clairs. Au-delà du respect des règles juridiques des différents pays dans lesquels nous sommes implantés, nous analysons chaque opération pour s'assurer de sa finalité économique. Nous avons une approche de « plus-disant » : nous avons tendance à apprécier les opérations à l'aune de l'abus de droit à la française, et ce même dans des pays moins sophistiqués que la France en termes de lutte contre les abus. Nous veillons ainsi à ce que les opérations aient une finalité non pas fiscale mais bien économique.
M. Jacques d'Estais. - Un trust n'est pas la même chose qu'une société offshore. Il s'agit d'un outil juridique reconnu par la Common Law britannique et utilisé de manière assez courante par les Britanniques et les ressortissants d'autres juridictions de Common Law, notamment en Asie, pour la gestion de leur patrimoine ou de leur succession. BNP Paribas dispose aujourd'hui de deux sociétés de gestion de trusts, l'une à Jersey et l'autre à Singapour. Nous ne gérons au sein de ces deux sociétés aucun trust pour des résidents fiscaux français ; 90 % des trusts que nous gérons ont des clients asiatiques. Il s'agit d'une enveloppe de gestion de patrimoine avec des clauses bénéficiaires comparables somme toute à la pratique française de l'assurance-vie.
Si le droit français ne reconnaît pas les trusts, ils ont néanmoins fait l'objet de l'attention du législateur français, qui a instauré une obligation de déclaration pour l'autorité de gestion du trust auprès des autorités françaises dès lors que l'un des bénéficiaires est résident français ou que l'un des biens ou droits détenus par le trust est situé sur le sol français. Le droit français prévoit aussi que le bénéficiaire du trust soit taxé en France au même titre qu'un résident fiscal français : impôt de solidarité sur la fortune (ISF), droits de succession, etc. Si le gestionnaire procède à cette déclaration, le trust est complètement transparent et il n'y a pas d'intérêt fiscal pour un résident français à l'utiliser comme enveloppe pour gérer ses actifs. Ne gérant pas de trusts pour des résidents fiscaux français, nous ne sommes de toute façon pas concernés par cette situation.
Certes, une société offshore peut être détenue par un trust, mais celui-ci n'est qu'une enveloppe montée à des fins patrimoniales et successorales.
Mme Michèle André, présidente. - Christian Comolet-Tirman, vous avez évoqué dans votre réponse le cas des opérations à visée exclusivement fiscale. Tiendriez-vous le même propos dans le cas d'opérations à visée partiellement fiscale ?
M. Christian Comolet-Tirman. - Dans notre analyse des opérations, nous nous calons sur la notion d'abus de droit définie par le droit français. Par conséquent, nous ne pratiquons pas d'opérations à finalité fiscale. Ceci étant dit, la charge fiscale est un élément de coût à prendre en compte comme toute autre charge dans l'appréciation de la rentabilité globale de chaque opération. Simplement, l'objet de l'opération ne doit en aucun cas être d'éviter un impôt normalement dû.
M. Éric Bocquet. - Je voudrais rappeler les propos tenus, le 17 avril 2012, par Baudouin Prot, alors président du groupe BNP Paribas, lors de son audition par la commission d'enquête sur l'évasion fiscale : « rien dans l'activité de notre groupe ne conduit à l'évasion fiscale ». Or selon vous, c'est depuis 2013 que vous n'ouvrez plus de comptes offshore. Ce décalage m'interpelle.
Selon les révélations des « Panama Papers », 468 sociétés offshore auraient été, depuis les années 1980, créées et gérées par votre établissement à partir du cabinet Mossack Fonseca. En 2010, vous gériez 4 207 trusts à Hong Kong et à Singapour. Vous venez de confirmer que leur clientèle était essentiellement asiatique. J'ai pour ma part en ma possession des documents internes qui montrent par le menu et par le détail des éléments relatifs à la création et à la gestion de trusts : là aussi, il y a une contradiction qui m'interpelle.
Michel Pébereau, ancien président de BNP Paribas, s'était exprimé le 9 juillet 2013 devant la seconde commission d'enquête sur l'évasion fiscale, lors d'une audition à huis clos. Il avait alors cité la présence de filiales de BNP Paribas au sultanat de Brunei et aux Philippines, pays qui figuraient alors sur la liste des ETNC. Là aussi, un éclaircissement serait bienvenu.
Les autorités américaines ont par ailleurs infligé l'an dernier à votre établissement une amende de près de 9 milliards de dollars, du fait de vos activités en rapport avec des pays sous embargo américain. Ces activités auraient-elles pu être menées à partir de certains territoires figurant sur la liste des paradis fiscaux de l'OCDE ? Cette amende a-t-elle pu figurer en perte fiscale pour votre établissement au regard de l'administration fiscale française ?
Nous avons appris hier par la presse la fermeture prochaine de vos filiales aux Îles Caïmans, un territoire très particulier - même si vous nous dites que la coopération fonctionne depuis 2005. Rappelons tout de même qu'un immeuble de George Town, capitale de ce territoire, est à lui seul le siège de 12 748 entreprises ! Et c'était après 2005. Quelles activités meniez-vous dans vos filiales basées dans ce territoire et pour quelles raisons avez-vous décidé de le quitter au moins partiellement ?
M. Jacques d'Estais. - À mon sens, rien n'infirme les propos tenus en 2012 par Baudouin Prot que vous avez cités : rien dans l'activité de BNP Paribas en 2012 ne constituait une incitation à l'évasion fiscale. Les mesures que je vous ai décrites en grand détail ont été décidées auparavant : le programme a commencé en 2010 et s'est renforcé par étapes successives. Avant même 2013 et notre renonciation aux structures offshore pour les résidents fiscaux français, l'attitude de BNP Paribas en la matière était déjà totalement responsable.
Quant au nombre de structures ouvertes ou gérées par le biais du cabinet Mossack Fonseca depuis les années 1980, je ne ferai pas de commentaire. Je vous ai indiqué que nous avons actuellement, dans ces 38 juridictions, quatre structures actives dont les bénéficiaires finaux sont résidents fiscaux français. Parmi ces quatre structures, deux sont panaméennes.
Vous mentionnez un nombre très important de trusts gérés selon vous par BNP Paribas. Je rappelle que nous ne gérons aucun trust pour des résidents fiscaux français. L'essentiel de notre clientèle pour ces produits, 87 % exactement, est asiatique ; s'y ajoutent quelques Britanniques, conformément à leur loi. Au-delà de cela, quasiment rien. Au total, entre nos deux sociétés de Jersey et Singapour, nous gérons 411 trusts, soit bien moins que le nombre que vous avez cité.
Les Philippines sont sorties de la liste des ETNC depuis plusieurs années. Je laisse Christian Comolet-Tirman vous répondre plus spécifiquement sur la présence du groupe BNP Paribas dans les territoires de cette liste.
M. Christian Comolet-Tirman. - Notre groupe se réfère en la matière à deux listes : d'une part, celle qui est établie par le Forum mondial de l'OCDE, qui pratique une analyse très précise des textes et des pratiques des États en matière d'assistance administrative ; d'autre part, la liste établie par la France des États et territoires non coopératifs (ETNC). Le groupe n'est présent dans aucun État jugé non conforme par le Forum mondial de l'OCDE ; il est en revanche présent dans deux ETNC : Brunei et le Botswana. Notre rapport annuel mentionne cette présence en toute clarté et transparence.
Au Brunei, notre activité est essentiellement tournée vers le fonds souverain de cet État ; nous n'y menons aucune activité au profit de non-résidents, ce qui rend impossible toute évasion fiscale. Au Botswana, notre présence est liée à notre acquisition d'une banque sud-africaine. Celle-ci détient en effet au Botswana une filiale spécialisée dans le crédit à la consommation, en partenariat avec l'équivalent local de Conforama. Là encore, le risque d'évasion fiscale est nul.
M. Éric Bocquet. - Jacques d'Estais, pourriez-vous répondre à ma question relative aux Îles Caïmans ?
M. Jacques d'Estais. - Je pense avoir répondu en détail sur ce point.
Mme Michèle André, présidente. - Je souhaite apporter à notre commission une précision à propos de ce territoire : il ne figure pas et n'a jamais figuré sur la liste française des ETNC.
M. Christian Comolet-Tirman. - Les Îles Caïmans se sont engagées depuis 2005 dans l'échange automatique d'informations, dans le cadre de la directive sur la fiscalité de l'épargne. En 2009, ce territoire a signé avec la France un accord d'échange de renseignements à la demande qui a toujours fonctionné à la satisfaction des autorités françaises. En 2013, le Forum mondial l'a évalué et considéré conforme. Enfin, au G20 de 2014 à Berlin, les Îles Caïmans ont fait partie des juridictions pionnières qui se sont engagées pour une généralisation de l'échange automatique d'informations.
Pour en revenir à la question d'Éric Bocquet sur l'amende infligée par les États-Unis, je souhaite confirmer que l'amende infligée par les États-Unis n'a en aucun cas eu un impact négatif sur la base imposable de notre groupe en France puisqu'elle n'a pas été déduite.
M. Jacques d'Estais. - Sur ce dernier point, je souhaite préciser que BNP Paribas Suisse a été impliquée dans cette affaire au même titre que toutes les banques privées opérant sur le territoire suisse. Il s'agissait d'un programme de conformité fiscale des nationaux américains ayant des comptes à l'étranger : je rappelle que les nationaux américains sont imposés aux États-Unis, quel que soit leur pays de résidence, ce qui élargit très largement le spectre de cette disposition. BNP Paribas ne faisait pas partie de la liste des banques opérant en Suisse les plus exposées à ce problème. Nous avons totalement coopéré avec le Département de la Justice américain ; vous pouvez vous référer sur ce point au Statement of Facts publié sur le site de celui-ci, qui souligne aussi le bon comportement de la banque en matière d'accompagnement de ses clients pour leur conformité fiscale. Cette amende, payée par BNP Paribas Suisse, n'est pas déductible en France et n'a aucun impact sur notre situation fiscale en France.
M. François Marc. - Il y a une offre et une demande en matière de structures offshore. Les demandeurs cherchent une quiétude réglementaire et fiscale. Les offreurs sont des pays qui souhaitent attirer ces demandeurs. Ce nomadisme, qui s'est accentué ces dernières années, est-il accompagné par votre groupe ou bien vous êtes-vous mis en réserve ?
Ma seconde question porte sur l'État du Dakota du Sud, où les avoirs bancaires protégés par des trusts ont explosé ces dernières années, passant de 33 milliards de dollars en 2006 à 226 milliards de dollars en 2014 : le Dakota du Sud est-il la nouvelle Suisse, ou encore le nouveau Panama ? Votre banque a-t-elle proposé à ses clients l'ouverture de trusts ou de structures analogues dans cet État ?
M. Jacques d'Estais. - S'agissant de l'ouverture de comptes au nom de structures offshore et de l'accompagnement de clients, nous avons je crois été assez clairs : depuis 2013, notre politique est de ne pas ouvrir de comptes au nom de sociétés offshore dans ces 38 juridictions pour des résidents fiscaux français. Nous comptons par ailleurs élargir à l'avenir cette politique aux résidents fiscaux des pays membres de l'Union européenne ou de l'OCDE. Il nous faudra mener une analyse spécifique à chacun des pays non membres de l'OCDE, notamment en Asie, pour déterminer si chacun d'entre eux bénéficie des outils nécessaires pour répondre aux besoins des clients à fort patrimoine sans avoir recours aux structures offshore. La France dispose de tels outils, l'Europe aussi d'ailleurs, ce pourquoi il n'y a pas d'accompagnement de notre part en la matière pour ouvrir des structures offshore pour ces clients.
Je ne suis pas familier avec le Dakota du Sud ; il m'est donc délicat de répondre sur cette juridiction. Quoi qu'il en soit, nous n'accompagnerons pas un client français pour l'ouverture de structures dans un territoire qui répondrait aux critères d'inscription sur la liste des ETNC. Je dois toutefois dire que le Dakota du Sud ne fait pas partie de la liste des 38 juridictions que vous avez citées, mais si les éléments que vous citez sont confirmés, il pourrait en faire partie. Dans tous les cas, nous n'avons pas de structure aujourd'hui pour nos clients résidents fiscaux français au Dakota du Sud.
M. Éric Doligé. - Avez-vous ou aviez-vous, oui ou non, recours à d'autres cabinets que Mossack Fonseca, au Panama ou ailleurs, pour créer des sociétés offshore, des trusts ou des fiducies ? Lesquels ?
Les obligations de vigilance sont-elles les mêmes quel que soit l'État dans lequel est implantée la filiale de la banque, y compris par exemple lorsque le blanchiment de fraude fiscale n'est pas incriminé ? Dans quelle mesure vos filiales implantées dans d'autres États sont-elles soumises aux obligations de vigilance française ?
M. Jacques d'Estais. - Nous n'avons d'accord commercial ou de relation particulière avec aucun cabinet, ni avec Mossack Fonseca, ni avec aucun autre. Nous n'introduisons pas nos clients auprès de tels cabinets. Sur le stock existant de clients résidents fiscaux français, nous avons identifié un client ayant utilisé les services de Mossack Fonseca pour la gestion de sa structure - dont le compte chez nous est d'ailleurs bloqué depuis avril 2014.
Nos filiales sont soumises exactement aux mêmes règles mondialement, quelles que soient les règles locales, en matière de lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment.
M. André Gattolin. - Vous avez affirmé, Jacques d'Estais, ne plus ouvrir de comptes offshore dont les bénéficiaires finaux sont résidents fiscaux français. Est-ce le cas pour les bénéficiaires non finaux ? D'autres structures se chargent-elles de l'ouverture de tels comptes ?
M. Jacques d'Estais. - Le bénéficiaire économique final est ce qui importe : nous n'ouvrons pas de structures dont les bénéficiaires économiques finaux sont des résidents fiscaux français. Il n'y a pas eu d'exception depuis 2013. Si nous ne connaissons pas le bénéficiaire, nous n'ouvrons pas de compte. Lorsque nous le connaissons, nous exigeons la conformité fiscale.
M. André Gattolin. - Vous avez évoqué certaines extinctions et cessions de filiales durant ces dernières années ; selon vous, vos liens avec ces filiales ont été interrompus après leur cession. Philippe Brassac, ce matin même, a reconnu que le personnel de filiales du Crédit Agricole ainsi cédées continuait de travailler dans la structure cédée, et a même mentionné la présence dans l'une de ces structures d'une personne détachée par le Crédit Agricole pour assurer une bonne transition pour la clientèle. Avez-vous ce type de pratiques, ou bien êtes-vous plus vertueux ?
Par ailleurs, je voudrais revenir sur les entreprises non consolidées en raison d'un trop faible volume d'affaires. Les banques ont souvent une dimension de conseil gratuit en optimisation fiscale. Étant gratuit, ce conseil ne fait pas l'objet d'une contractualisation sans que la banque se livrant à ce genre de pratiques soit perdante. Je voudrais être sûr qu'une telle filiale non consolidée n'offre pas ce genre de services.
M. Jacques d'Estais. - Je remercie André Gattolin d'être revenu sur le sujet des cessions de sociétés de gestion de structures offshore. Il s'agit de réelles cessions : à compter de l'instant où elles s'effectuent, nous ne sommes plus le propriétaire ni le gestionnaire de ces structures. On ne cède évidemment pas que des bureaux vides ; le personnel garde son emploi dans la société désormais détenue par un nouvel actionnaire. Aucune personne n'est détachée par BNP Paribas au sein de ces structures et nous n'avons pas d'éléments qui nous permettent de croire à l'existence de liens personnels maintenus ; de tels liens ne sont en tout cas pas notre politique.
M. Christian Comolet-Tirman. - En réponse à la dernière question d'André Gattolin sur le périmètre de consolidation, l'enjeu fiscal est nul dans la mesure où les entités en question sont taxées aux États-Unis. Le groupe BNP Paribas a un seuil de consolidation très bas et parfaitement transparent. À partir d'un million d'euros de résultat, toute entité est consolidée. La proportion entre ce montant et le résultat global du groupe est de l'ordre de un à dix mille ! On prend donc en compte tout ce qui est un tant soit peu significatif : seuls les éléments dépourvus de « matérialité » restent à l'écart.
M. Jacques d'Estais. - J'ajoute que BNP Paribas n'offre pas de services de conseil fiscal à ses clients. Cette profession est totalement réglementée en France et nous ne disposons pas d'agrément pour rendre à nos clients des services de conseil fiscal.
Mme Michèle André, présidente. - Une dernière question : lors de son audition par notre commission la semaine dernière, le secrétaire général de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Édouard Fernandez-Bollo, nous a fait part des difficultés parfois qualifiées d'alarmantes auxquelles il se heurtait en matière de coopération internationale entre régulateurs. Comment se passent, concrètement, les contrôles de l'ACPR sur vos filiales au sein de l'Union européenne ? Lorsqu'un contrôle est effectué par l'ACPR, quelles sont les relations de votre filiale avec le régulateur local, qui est informé de cette démarche ? Comment, notamment, sont sélectionnés les échantillons ? Des informations nominatives peuvent-elles être « remontées » au régulateur français ? Quelles sont les consignes données aux filiales en cas de contrôle sur place ?
M. Éric Martin, responsable de la conformité de BNP Paribas. - Permettez-moi de vous faire part de notre expérience, non pas de régulateur, mais de régulé. L'ACPR a mené ces dernières années des contrôles dans la banque privée internationale à Jersey, à Singapour, à Hong Kong, au Luxembourg, en Suisse et à Monaco. L'accès se passe bien en règle générale. Il y a eu deux particularités à ma connaissance. C'est en Suisse que l'ACPR s'est heurtée à la contrainte la plus forte en matière d'accès à une information nominative sur les clients. À notre demande, notre management local avait essayé d'intercéder auprès du régulateur suisse, mais sans succès. Le Luxembourg est un cas quelque peu différent. Dans le cadre de la mission qui y a eu lieu, un échantillon avait été préparé sur base non nominative ; néanmoins, dès lors que cet échantillon a été choisi par l'ACPR, celle-ci avait alors accès aux dossiers sur base nominative. Par ailleurs, l'ACPR se voit confrontée à des problèmes de réciprocité avec d'autres régulateurs.
La réunion est levée à 11 h 15.
Certification des comptes de l'État - exercice 2015 - et rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2015 - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes
La commission entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l'État - exercice 2015 - et sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2015 et, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil, relatif au solde structurel des administrations publiques de 2015.
Mme Michèle André, présidente. - Nous accueillons ce matin Didier Migaud en sa double qualité de premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques.
Le projet de loi de règlement pour 2015 est délibéré ce matin en conseil des ministres et sera examiné au Sénat au début du mois de juillet, après que le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux auront analysé les données de l'exécution 2015, en comptabilité budgétaire, mais aussi en comptabilité générale.
À ce titre, les analyses de la Cour des comptes sur les résultats et la gestion 2015 et ses travaux de certification des comptes nourriront comme chaque année nos travaux.
Je rappelle également aux commissaires que le président du Sénat leur a récemment adressé une invitation pour un colloque qui se tiendra le 30 juin au Sénat. À cette occasion, nous dresserons le bilan de dix années de publication des comptes de l'État et de l'usage que font les parlementaires de la comptabilité générale, dont l'établissement exige beaucoup de moyens et que la France est l'un des rares pays à produire.
Compte tenu de l'horaire, je propose au Premier président de présenter également, dans un même mouvement, l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur le respect de la trajectoire de solde structurel en 2015.
Je vous rappelle que le législateur organique de 2012 avait souhaité, afin de faire le lien entre le budget de l'État et la trajectoire globale des administrations publiques, que cet avis soit joint au projet de loi de règlement et que ses conséquences éventuelles, c'est-à-dire le déclenchement du mécanisme de correction, soit précisées à cette occasion.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques. - Les travaux que je vais porter à votre connaissance ont vocation à éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ils sont au nombre de trois : l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015 ; l'acte de certification des comptes de l'État de 2015 et le rapport sur le budget de l'État en 2015.
Je veux attirer votre attention sur la différence de champ entre ces trois documents. L'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques, toutes administrations publiques confondues, alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes de l'État, et seulement de l'État.
Afin de simplifier la présentation de ces travaux, nous nous sommes accordés sur une intervention d'ensemble.
Je commencerai par l'avis du Haut Conseil et je signale, à cet égard, la présence de son rapporteur général, François Monier.
Cet avis est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l'exécution constatée en 2015 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2019. C'est la loi de programmation en vigueur, qui constituait déjà notre référence l'an dernier.
Je rappelle que le solde structurel correspond au solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.
Le solde effectif s'établit, d'après les données des comptes nationaux publiées par l'Insee le 17 mai 2015, à un niveau de - 3,6 %, contre - 4,1 % prévu dans la loi de programmation.
Cet écart de 0,5 point de PIB est, pour l'essentiel, un écart sur la composante conjoncturelle du déficit. La révision à la hausse par l'Insee de la croissance de 2015 conduit à réduire la composante conjoncturelle du déficit, désormais estimée à - 1,6 %, au lieu de - 2,0 % dans la loi de programmation. C'est la conséquence d'une croissance du PIB meilleure que prévu en 2014 et 2015, à la suite de révisions intervenues sur les comptes nationaux. L'estimation des mesures ponctuelles et temporaires est inchangée.
En 2015, le déficit structurel s'établit à - 1,9 % du PIB, contre un niveau de - 2,1 % prévu par la loi de programmation. Nous constatons que le déficit structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement est donc inférieur de 0,2 point de PIB à ce qui était prévu par la loi de programmation en vigueur.
Pour autant, on ne peut, à nos yeux, se contenter de ce constat.
Nous voyons deux raisons à cela.
La première raison est que la trajectoire de solde structurel figurant dans la loi de programmation de 2014 était peu exigeante.
Le Haut Conseil avait jugé à l'époque qu'elle n'était pas cohérente avec les engagements européens de la France. Il a relevé qu'après plusieurs échanges avec la Commission européenne et le Conseil, cette trajectoire a été en quelque sorte « corrigée » par le Gouvernement dans les programmes de stabilité ayant suivi, en avril 2015 et en avril 2016. Ces documents, selon nous, représentent mieux les engagements européens de notre pays que la loi de programmation à laquelle le Haut Conseil se réfère en application de la loi organique.
La seconde raison est que les résultats de 2015 mettent une nouvelle fois en évidence la sensibilité de l'indicateur de solde structurel aux révisions de la croissance du PIB.
Les révisions à la hausse des chiffres de la croissance tout récemment annoncées par l'Insee, dont la principale porte sur l'année 2014, ont eu pour effet d'augmenter le déficit structurel de 0,3 point de PIB par rapport aux estimations dont on disposait jusqu'ici. La nouvelle estimation s'élève ainsi à - 1,9 % au lieu de - 1,6 %.
Nous l'avions déjà constaté dans le passé : l'estimation du solde structurel peut être révisée pour des raisons indépendantes de la politique budgétaire.
Pour ces deux raisons, le Haut Conseil suggère que l'appréciation soit complétée par l'examen d'un indicateur traduisant mieux l'action des pouvoirs publics en matière de recettes et de dépenses, à savoir l'effort structurel.
À cet égard, il constate que l'effort structurel réalisé en 2015, qui représente 0,4 point de PIB selon les dernières estimations, est moindre que celui qui était prévu dans la loi de programmation - 0,6 point de PIB. Il est sensiblement inférieur aux objectifs des deux derniers programmes de stabilité, prévoyant respectivement 0,8 et 0,7 point de PIB. Le constat est le même sur les deux années 2014 et 2015.
Ces écarts par rapport aux programmes de stabilité s'expliquent, pour l'essentiel, par une révision à la hausse des dépenses en volume, du fait d'une inflation plus faible que prévu. Ils résultent, pour le reste, de mesures en prélèvements obligatoires un peu plus importantes que celles qui avaient été programmées. Ces différents points feront l'objet d'analyses détaillées dans le rapport sur la situation et les perspectives, que la Cour des comptes doit publier à la fin du mois de juin.
Je conclurai mon propos sur l'avis du Haut Conseil en rappelant ses trois principales conclusions.
Le déficit structurel estimé pour 2015 est inférieur de 0,2 point à celui de la loi de programmation. Ce déficit structurel, recalculé en 2015 avec les nouvelles données de la comptabilité nationale, est toutefois plus creusé que dans les programmes de stabilité d'avril 2015 et même d'avril 2016, qui engagent la France - cela signifie, et ce n'est pas sans importance, que l'effort à réaliser pour revenir à l'objectif d'équilibre structurel de moyen terme, tel que prévu dans la trajectoire, sera plus élevé.
L'effort structurel réalisé en 2014 et 2015 a été moins important que prévu dans les deux derniers programmes de stabilité.
J'en viens à l'acte de certification des comptes de l'État et au rapport sur le budget de l'État.
En préalable, j'insiste à nouveau sur le fait que ces travaux sont consacrés au seul budget de l'État et au dernier exercice clos, à savoir l'année 2015. Ils ne portent pas sur les autres administrations publiques. Ils constituent, je le souhaite, une source de données, d'informations utile pour l'analyse du budget et des comptes de l'État.
La vision d'ensemble « toutes administrations publiques » vous sera apportée dans notre rapport de la fin du mois de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques.
J'ai à mes côtés Raoul Briet, qui préside la formation inter-chambres. Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées par Emmanuel Belluteau, Lionel Vareille, Laurent Zérah, pour l'acte de certification, et par les équipes animées par Guilhem Blondy et Vianney Bourquard, ainsi que Louis-Paul Pelé, pour le rapport sur le budget de l'État en 2015. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy.
S'agissant de l'acte de certification des comptes de l'État, depuis 2006, en application des dispositions de la LOLF, la Cour procède à un examen approfondi des comptes de l'État. Ces comptes sont arrêtés par le ministre des finances et des comptes publics. Ils sont intégrés dans le projet de loi de règlement, qui vous est soumis par le Gouvernement.
Dans l'acte porté à votre connaissance aujourd'hui, la Cour apporte une opinion motivée sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l'image que donnent les documents produits par l'État de sa situation comptable et financière. Cette opinion porte sur la comptabilité générale de l'État. Il ne s'agit pas, en revanche, d'une appréciation quant à la sincérité de la comptabilité budgétaire de l'État.
Je vous rappelle trois chiffres-clés, permettant d'appréhender synthétiquement le bilan de l'État au 31 décembre 2015. Premièrement, le passif total s'élève à environ 2 100 milliards d'euros, en hausse de 100 milliards d'euros par rapport à la fin de 2014. Deuxièmement, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d'euros, à un niveau globalement stable par rapport à la fin de 2014, ce qui signifie que la situation nette de l'État est négative, d'environ 1 100 milliards d'euros. Troisièmement, les engagements hors bilan de l'État atteignent 3 300 milliards d'euros, soit un montant stable par rapport à la fin de 2014.
Au titre de l'exercice 2015, la Cour certifie que les comptes de l'État donnent une image fidèle de son patrimoine et de sa situation comptable et financière.
Nous assortissons cette certification de cinq réserves substantielles, identiques à celles que nous avions émises l'an dernier. Trois d'entre elles présentent un caractère quasi systémique.
Premièrement, la Cour estime toujours que le système d'information financière et comptable de l'État reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d'erreur. Je rappelle qu'il est constitué de Chorus et de plus de 300 autres applications informatiques.
Deuxièmement, les dispositifs ministériels de contrôle interne et d'audit interne ne sont pas encore organisés et pilotés de manière satisfaisante. La Cour a néanmoins constaté cette année des progrès. Certains ministères sont désormais dotés de dispositifs d'audit conformes aux attentes. Je pense, en particulier, au ministère de la justice.
Troisièmement, la comptabilisation en droits constatés des produits régaliens, autrement dit du produit des impôts, des créances et des dettes fiscales, continue de pâtir des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.
Les deux autres réserves concernent à nouveau, d'une part, les immobilisations et les stocks du ministère de la défense et, d'autre part, les immobilisations financières de l'État.
S'agissant des immobilisations et des stocks du ministère de la défense, des incertitudes continuent de peser sur les inventaires de stocks et de matériels militaires, sur leur évaluation, et sur le recensement et l'évaluation par le ministère de ses biens immobiliers.
S'agissant des immobilisations financières de l'État, la Cour ne peut toujours pas se prononcer sur la fiabilité de l'évaluation d'un grand nombre de participations financières.
Un tableau retraçant l'évolution des réserves dans le temps vous a été communiqué dans la synthèse. Il met en évidence le fait que depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, l'administration a consenti des efforts importants, ayant permis la levée progressive de réserves substantielles.
Le fait que les cinq réserves substantielles soient inchangées depuis 2013 ne signifie pas qu'aucun progrès n'a été enregistré dans cette période. Cela ne signifie pas non plus que rien n'a changé sur le fond, ni davantage qu'aucun constat d'audit nouveau n'est apparu. L'année 2015 en donne une illustration claire.
Comme l'an dernier, la dynamique d'amélioration se poursuit, malgré la stabilité globale apparente. De multiples évolutions, dans le bon sens, ont été relevées : 43 parties de réserves font l'objet d'une levée dans l'acte ; toutes les réserves sont concernées par ces levées, y compris celles, dites « systémiques », qui concernent le système d'information et le contrôle interne ; des levées interviennent sur des sujets récurrents, comme les immobilisations anciennes du ministère de la défense ou le classement comptable des établissements publics de santé.
Je le disais, l'administration consent des efforts en matière de gestion comptable et financière. Ces efforts sont très utiles, car ils accroissent la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur, et agissent comme un levier décisif de modernisation des administrations.
Dans un rapport récemment publié, la Cour a dressé le bilan de la tenue par l'État d'une comptabilité générale, dix ans après son entrée en vigueur. Elle a pu en mesurer les apports, notamment dans la connaissance de sa situation patrimoniale et la modernisation de ses services. Elle a mis en évidence les progrès importants réalisés grâce au dialogue soutenu entre certificateur et certifié.
Mais la Cour a aussi relevé une utilisation trop limitée de la comptabilité générale par l'administration, en particulier par les gestionnaires, et par les parlementaires eux-mêmes, qui avaient souhaité la réforme comptable. La Cour regrette d'autant plus cet état de fait que la bonne utilisation de la comptabilité générale devrait permettre d'identifier des leviers d'amélioration de la gestion des organismes publics. Les familiers de ces sujets parlent de « chaînage vertueux » ; pour l'instant, nous n'en sommes pas tout à fait là.
À cet égard, l'effort prioritaire doit être porté sur l'amélioration des conditions d'établissement des comptes et sur leur meilleure utilisation. Le souci constant doit bien sûr être de proportionner les travaux à l'objectif de fournir une information comptable fiable et répondant aux besoins de ses destinataires, qu'ils soient institutionnels, financiers ou citoyens.
Il importe à cette fin de tirer davantage parti des possibilités d'automatisation et de dématérialisation, d'enrichir l'information comptable à la disposition des gestionnaires et de développer la comptabilité analytique. C'est une nouvelle étape à engager, guidée par le souci de faire de la comptabilité générale un outil utile aux décideurs et gestionnaires publics. Le colloque organisé au Sénat, le 30 juin prochain, nous permettra, je l'espère, d'approfondir encore le sujet.
S'agissant maintenant du rapport sur le budget de l'État, ce travail apporte un éclairage sur les finances de l'État, en analysant l'exécution budgétaire de l'année 2015. Il permet de l'apprécier au regard des prévisions budgétaires initiales, mais aussi de la comparer avec l'exercice budgétaire précédent.
Pour la première fois cette année, il comporte en outre un chapitre consacré à une problématique de gestion budgétaire. Le thème retenu cette année, central pour la politique budgétaire, est celui des normes de dépenses de l'État. Ces normes constituent les dispositifs d'encadrement de l'évolution de ces dépenses d'une année sur l'autre. Le chapitre s'efforce de dresser un bilan de leur mise en oeuvre depuis leur instauration en 1996.
Ce rapport est également livré avec 58 analyses de la gestion des missions budgétaires et cinq analyses spécifiques : deux sur l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, une sur les dépenses fiscales et, pour la première fois aussi cette année, deux sur les prélèvements sur recettes, au profit respectivement des collectivités territoriales et de l'Union européenne. Au total, ce sont plus de 2 500 pages qui sont mises à votre disposition.
Je l'indiquais dans mon introduction générale, ce travail ne traite que du budget de l'État, et non de l'ensemble des finances publiques. Je vous demande par avance de m'excuser si je frustre un certain nombre d'entre vous qui auraient des questions à poser sur des sujets, comme la sécurité sociale ou les collectivités territoriales, ne faisant pas l'objet de ce rapport.
Dans ce rapport, nous dressons six constats. Premièrement, le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions, mais en faible amélioration par rapport à 2014, hors éléments exceptionnels. Il reste à un niveau élevé. Deuxièmement, le ralentissement de la croissance de la dette par rapport aux années précédentes est lié principalement à la politique d'émission. Troisièmement, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions. Cela va dans le bon sens. Quatrièmement, la maîtrise des dépenses est partielle et ses résultats restent fragiles. Cinquièmement, le périmètre des normes de dépenses doit être clarifié, puis stabilisé et leur suivi rendu plus transparent. Sixièmement, le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l'effort en faveur d'une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience que nous constatons régulièrement, si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques arrêtée par leurs soins.
Je reprends ces différents constats.
En premier lieu, la Cour constate que l'exécution du budget de l'État en 2015 se caractérise par une amélioration du solde budgétaire, qui demeure toutefois à un niveau élevé. Le déficit budgétaire - 70,5 milliards d'euros - est inférieur, tout du moins en apparence, de 15,1 milliards d'euros à celui de 2014 et de 3,9 milliards d'euros à celui qui avait été prévu en loi de finances initiale.
Par rapport au déficit enregistré en 2014, on pourrait avoir l'impression d'une forte amélioration. Mais, comme la Cour le fait remarquer chaque année, l'appréciation du niveau de déficit doit se faire après retraitement des éléments exceptionnels. Pour 2015, il s'agit notamment, d'une part, du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA) et, d'autre part, du versement au mécanisme européen de stabilité (MES).
Une fois ce retraitement opéré, le déficit budgétaire ne s'améliore plus, en réalité, que de 300 millions d'euros, ce qui est relativement faible.
Il faut toutefois relever que cette faible amélioration a été obtenue, alors que la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, et la compensation à la sécurité sociale du pacte de responsabilité et de solidarité ont pesé sur le budget de l'État à hauteur respectivement de 5,4 et 5,1 milliards d'euros. Au sein des administrations publiques, c'est en effet l'État qui supporte, dans son budget, la totalité de la politique d'amélioration de la compétitivité des entreprises décidée par le Gouvernement et mise en oeuvre depuis trois ans.
Au total, le déficit reste à un niveau toujours élevé en valeur absolue, puisqu'il s'élève à 70,5 milliards d'euros. Il représente près de trois mois de dépenses du budget général, ce qui est équivalent au budget de l'enseignement scolaire ou au produit de l'impôt sur le revenu.
En deuxième lieu, la Cour observe que le ralentissement de la croissance de la dette est lié principalement à la politique d'émission. À la fin de 2015, la dette financière négociable de l'État atteignait 1 576 milliards d'euros, soit une augmentation de 48 milliards d'euros par rapport à 2014. Cette hausse est conséquente, mais inférieure à celle qui a été enregistrée en 2014. Elle est surtout inférieure au déficit de l'année 2015.
Ce ralentissement de l'augmentation de la dette s'explique par les spécificités de la politique d'émission de l'Agence France Trésor dans l'environnement actuel de taux bas.
La politique d'émission d'obligations par l'État a été telle que l'Agence France Trésor a encaissé en 2015 des primes à l'émission à hauteur de près de 23 milliards d'euros. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur le mécanisme qui l'explique. Une grande partie de ce montant a été mobilisé pour réduire l'encours de la dette à court terme.
Cette politique d'émission a permis une déconnexion entre la croissance de la dette et le niveau du déficit. Mais cette déconnexion n'est que temporaire. La dette rattrapera progressivement le niveau qu'elle aurait atteint en l'absence de cette politique et les primes à l'émission encaissées en 2015 auront leur contrepartie dans le paiement de coupons plus élevés dans les prochaines années.
Selon l'Agence France Trésor, cette particularité de la politique d'émission, relevée en 2015 et qui semble se prolonger, à un degré moindre, sur 2016, vise à répondre à la demande des investisseurs et aux évolutions de cette demande provoquées par la politique d'achats de la BCE. Elle a permis en 2015 de protéger la dette française du risque de remontée des taux, en réduisant la part de dette à court terme dans la dette totale, celle-ci s'étant fortement accrue après la crise de 2008.
Ces objectifs sont prudents : vouloir optimiser la charge budgétaire de la dette à n'importe quel risque serait contre-productif. En revanche, il serait erroné d'interpréter le ralentissement temporaire de la croissance de la dette observé en 2015 comme une amélioration structurelle des finances de l'État. À cet égard, comme je le rappelais tout à l'heure, la situation nette de l'État est négative d'environ 1 100 milliards d'euros en 2015, soit quatre mois de produits régaliens, contre seulement deux en 2008.
En troisième lieu, la Cour constate qu'en 2015, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions. Les recettes fiscales nettes se sont élevées à 280,1 milliards d'euros, soit 1 milliard d'euros de plus que les prévisions en loi de finances initiale. L'évolution spontanée, c'est-à-dire, à législation constante, des recettes fiscales a été conforme aux évaluations initiales pour plusieurs raisons : grâce à des prévisions macroéconomiques réalistes, à des prévisions prudentes d'élasticité des recettes et à un bon rendement du contrôle fiscal.
Le léger surcroît de recettes fiscales par rapport à la loi de finances initiale s'explique également en partie par un effet base : les recettes pour 2014 ont été un peu plus élevées que prévu.
L'amélioration de la qualité et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales est indéniable. C'est un progrès à saluer.
L'impact des mesures fiscales a été inférieur à celui estimé en loi de finances initiale, en raison d'une montée en charge plus rapide que prévu du CICE. Son coût s'est élevé à 12 milliards d'euros en 2015. Cette sous-évaluation du CICE a été en partie compensée par des événements favorables non reconductibles en 2016 : régularisation versée par EDF au titre des années antérieures ; moindres remboursements dans le cadre des contentieux communautaires ; rendement élevé de la réforme des délais de paiement des droits de succession.
L'augmentation plus rapide que prévu du coût du CICE a conduit à dépasser les plafonds annuels de dépenses fiscales et de crédits d'impôt fixés par la loi de programmation, en l'absence de mesures visant à réguler le niveau des autres dépenses fiscales.
Dans ce contexte, un renforcement des dispositifs de maîtrise des dépenses fiscales apparaît indispensable pour concentrer les moyens sur des dispositifs ciblés, cohérents avec les objectifs de politiques publiques. Les évaluations de dépenses fiscales sont trop rares pour alimenter des propositions de réformes argumentées et, pour le moment, les conférences fiscales encore dépourvues de résultats concrets.
En quatrième lieu, la Cour constate que la maîtrise des dépenses de l'État est partielle et ses résultats sont fragiles. D'une part, la maîtrise des dépenses est partielle. Les dépenses nettes du budget général de l'État en 2015 se sont élevées à 296,5 milliards d'euros, soit un niveau très proche de la loi de finances initiale.
Des redéploiements importants ont eu lieu en cours d'année. Des mesures nouvelles ont modifié la répartition des dépenses. Je pense notamment à l'augmentation des contrats aidés, aux mesures rendues nécessaires par les sous-budgétisations concernant notamment les opérations militaires extérieures ou Opex, par les refus d'apurement communautaire au titre de la politique agricole commune (PAC), à l'allocation adultes handicapés (AAH) ou encore à l'hébergement d'urgence des migrants.
Les dépenses supportées par le budget général ont été aussi accrues par le transfert de dépenses d'investissement militaire qui devaient initialement être financées sur un compte d'affectation spéciale.
Certains mouvements de rebudgétisation ont permis d'aller dans le sens d'un meilleur respect du principe de l'unité budgétaire. Ce principe vise à garantir au Parlement un contrôle sur le périmètre de dépenses publiques le plus étendu possible.
En revanche, le premier plan de lutte anti-terroriste a eu un impact encore limité sur 2015, en raison de recrutements qui se sont concentrés sur la fin de l'année. Les conséquences sur l'équilibre global de ces dépenses supplémentaires ont été limitées. Cela est dû à une charge de la dette plus faible que prévu de 2,2 milliards d'euros et à une forte sollicitation de la réserve de précaution.
Par rapport à 2014, après prise en compte de ces éléments exceptionnels et de ces effets de périmètre, les dépenses pour 2015 ressortent à 299,2 milliards d'euros, en augmentation de 2,6 milliards d'euros.
Ce diagnostic mitigé sur la maîtrise des dépenses est conforté si on examine les deux autres objectifs figurant dans l'exposé des motifs de la loi de finances pour 2015, concernant les économies et les normes de dépenses.
L'objectif d'économies sur les dépenses de l'État et de ses opérateurs, hors charge de la dette, hors pensions et hors PIA, s'élevait à 7,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiales pour 2014. Les économies sur l'État et les opérateurs imputables à l'exercice 2015 ne représentent, selon la Cour, que 1,7 milliard d'euros. Elles correspondent, à hauteur de 60 %, à des prélèvements sur le fonds de roulement d'organismes publics qui ne sont pas reconductibles en 2016.
Sur le périmètre de la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions, les dépenses sont inférieures à l'exécution de l'exercice 2014 de 1,4 milliard d'euros, mais supérieures à l'objectif de la loi de finances initiale de 1,3 milliard d'euros.
La révision à la baisse de l'inflation a permis de faciliter la tenue de la norme de dépenses de l'État. Elle a conduit mécaniquement à diminuer la charge d'intérêts, une partie de la dette étant indexée sur l'inflation.
Par ailleurs, la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions a été assouplie en fin de gestion. Initialement fixée à 282,6 milliards d'euros, elle a été portée à 284 milliards d'euros, notamment pour prendre en compte le transfert sur le budget général de dépenses d'investissement militaire initialement financées sur un compte d'affectation spéciale, transfert que j'évoquais précédemment. Les dépenses dans le périmètre de la norme ainsi révisée se sont élevées, selon le Gouvernement, à 283,9 milliards d'euros.
La Cour constate que des contournements de la charte de budgétisation ont permis de minorer ce montant d'environ 3 milliards d'euros. Ces contournements ont notamment pris la forme d'une substitution de recettes affectées à des crédits budgétaires, notamment pour le financement des infrastructures de transport à hauteur de 1,1 milliard d'euros, le remboursement de la dette à la sécurité sociale pour 600 millions d'euros ou la réforme du financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle à hauteur de 500 millions d'euros.
D'autre part, la maîtrise des dépenses, partielle, repose sur des bases fragiles. Ces bases ne sont pas toutes reconductibles les années suivantes. L'évolution est en effet contrastée selon la nature des dépenses.
Les transferts de l'État aux collectivités territoriales et ses concours aux opérateurs sont stabilisés après des années d'augmentation rapide.
Des économies de constatation sur la charge de la dette, mais aussi le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ont offert des marges de manoeuvre en gestion.
En revanche, l'effort est faible sur le périmètre propre de l'État. Les dépenses de personnel ont augmenté pour la deuxième année consécutive. L'État a créé des emplois publics pour la première fois depuis 2002. Ses dépenses de fonctionnement et d'investissement ont aussi fortement progressé.
En cinquième lieu, la Cour fait un constat d'une nature un peu différente, celui-ci ne portant pas seulement sur l'exécution 2015. Le bilan de vingt ans d'utilisation des normes de dépenses en France conduit la Cour à recommander que le périmètre de ces normes soit clarifié, puis stabilisé. Leur suivi devrait être rendu plus transparent.
La norme de dépenses est une règle d'évolution à périmètre constant des dépenses que l'État s'impose depuis 1996. Au fil du temps, les fonctions de la norme se sont diversifiées. Cette dernière ne constitue plus seulement un outil de pilotage interne des gestionnaires ; elle apparaît aussi comme un moyen d'expression externe de la stratégie budgétaire du Gouvernement. Elle est approuvée par le Parlement dans la loi de programmation des finances publiques depuis 2009.
Il est désormais indispensable de clarifier les périmètres des deux normes et d'assurer un meilleur suivi. La Cour propose de renforcer la distinction entre une norme de gestion, comprenant les dépenses maîtrisables annuellement par l'administration, et une norme globale, plus large et plus directement cohérente avec les objectifs généraux de finances publiques. Elle recommande en outre que le Gouvernement rende publique, régulièrement en cours d'année, une prévision d'exécution des dépenses sur le périmètre des deux normes.
En sixième lieu - il s'agit aussi d'une transition vers les constats que je serai amené à partager avec vous le mois prochain dans le rapport sur la situation et des perspectives des finances publiques -, le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l'effort en faveur d'une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d'efficacité et d'efficience, si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques qu'ils ont arrêtée.
Les risques budgétaires sont significatifs pour l'État à moyen terme. La montée en charge du CICE et celle du pacte de responsabilité et de solidarité devront être financées dans la durée. En dépenses, des engagements juridiques importants ont été pris en 2015, concernant notamment le fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts toxiques, le plan France très haut débit ou les grands programmes d'armement. S'y ajoutent les décisions concernant la politique de recrutement de l'État, sa politique salariale, la programmation militaire ou le deuxième plan de lutte anti-terroriste, qui auront des conséquences sur la programmation pluriannuelle 2017-2019. Ces conséquences ne sont pas encore complètement mesurées.
Bien que la Banque centrale européenne (BCE) ait prolongé au moins jusqu'en mars 2017 sa politique monétaire non conventionnelle, l'État est toujours exposé au risque de taux : une remontée des taux de 1 % sur l'ensemble de la courbe des taux conduirait à augmenter la charge de la dette de 2,1 milliards d'euros la première année, de 4,8 milliards d'euros la deuxième année et de 16,5 milliards d'euros au bout de dix ans.
Pour financer ses politiques prioritaires et faire face à la remontée inéluctable à terme de la charge de la dette, des économies structurelles sont nécessaires. Celles-ci n'apparaissent pas clairement dans l'exécution 2015. En 2016, le contexte économique et financier plus favorable devrait pouvoir être utilisé pour mettre en oeuvre, par des choix explicites reposant sur une évaluation de l'efficacité des dépenses, des réformes nécessaires au rétablissement durable des finances de l'État.
Dans quelques jours, vous examinerez le projet de loi de règlement. Il y a là une incitation à regarder les résultats de l'action publique - ce texte de loi gagnerait d'ailleurs sûrement à reprendre ce terme dans son intitulé. En effet, c'est l'occasion pour vous de mesurer très directement l'écart entre les annonces, l'action du Gouvernement, et les résultats obtenus, mais aussi de constater le décalage entre les moyens consacrés et les résultats obtenus, que nous évoquons régulièrement lors des présentations des travaux des juridictions financières.
C'est aussi l'occasion pour vous d'en tirer les conséquences, au regard des priorités que vous avez fixées pour l'action publique et pour la maîtrise des finances publiques. Les constats, les observations et les recommandations de la Cour des comptes sont à votre disposition pour vous éclairer dans ces choix.
Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m'entourent, à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous remercie de cette présentation, monsieur le Premier président, qui, effectivement, sera très éclairante à la veille de l'examen du projet de loi de règlement.
Voilà peu, Christian Eckert, secrétaire d'État en charge du budget, se trouvait à votre place et se félicitait d'une très bonne exécution budgétaire au titre de l'exercice 2015. La commission des finances avait une autre analyse, qui se trouve être plus en ligne avec celle de la Cour des comptes, si j'en crois votre rapport sur le budget de l'État en 2015.
Au deuxième paragraphe de son chapitre I, la Cour constate qu'une fois retraité d'un certain nombre d'éléments exceptionnels, « le solde budgétaire ne s'améliore que de 300 millions d'euros ». Nous sommes loin du résultat exceptionnel annoncé ! De la même manière, le rapport souligne le niveau très élevé de la dette de l'État, un niveau « inédit depuis l'après-guerre ». Il n'y a pas lieu de trop se réjouir ! L'analyse de la Cour des comptes rejoint donc celle de la commission des finances.
J'en viens à des points plus précis.
S'agissant des objectifs d'économie, dans le cadre du programme annoncé de 50 milliards d'euros d'économie, le Gouvernement s'était engagé à réaliser, en 2015, 7,7 milliards d'euros d'économie sur l'État et les opérateurs. La Cour des comptes considère-t-elle que cet objectif a été tenu ?
S'agissant des recettes, le Gouvernement répète à l'envi que les prévisions de recettes sont en lignes avec les résultats. Mais, selon la Cour des comptes, cela est lié à des recettes exceptionnelles, notamment des recouvrements opérés par le service de traitement des déclarations rectificatives, ou STDR, ou des recettes engrangées à la suite de contrôles fiscaux. Doit-on ces performances au seul STDR ou à un meilleur ciblage des contrôles fiscaux ? Ces recettes vont-elles se tarir ? Pouvons-nous avoir un éclairage sur le rendement pour le moins inattendu des droits de succession dont la réforme des délais de paiement a conduit à une hausse des recettes de 1 milliard d'euros ?
S'agissant des dépenses de personnel, en dépit de leur progression constante, on constate parfois un décalage entre le nombre de postes inscrits au budget et le nombre de postes réellement pourvus. Avez-vous des informations quant à ce décalage ? Celui-ci s'est-il amélioré ou détérioré en 2015 ? La Cour des comptes dispose-t-elle, en particulier, d'une estimation des postes pourvus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, au regard des annonces de la fin de l'année 2015 ?
Enfin, on constate une progression constante du taux de crédits mis en réserve qui atteint aujourd'hui 8 %. La mise en réserve initiale, accompagnée de surgels de crédits en cours d'année, parfois difficiles à comprendre. Ces procédés, tout comme le recours aux crédits d'avance, pour des montants pouvant s'avérer significatifs, ne contribuent-ils pas à nous éloigner du cadre budgétaire tel que voté par le Parlement ? À partir de quel taux de mise en réserve la Cour des comptes considérera-t-elle que l'autorisation parlementaire n'est plus respectée ?
M. Didier Migaud. - Nous aurons l'occasion de revenir plus amplement sur le sujet sensible des économies dans notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Effectivement, les économies sur le budget de l'État et de ses opérateurs s'établissent à 1,7 milliard d'euros par rapport à l'exécution du budget de 2014 et à 3,8 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Ces montants, significatifs, sont inférieurs à l'objectif fixé en loi de finances pour 2015, à savoir 7,7 milliards d'euros.
Cet objectif avait été calculé en prenant comme référence une base pour 2014 plus élevée - de 2,1 milliards d'euros - que les dépenses réellement constatées et une évolution tendancielle des dépenses de personnel surestimée - de l'ordre de 1 milliard d'euros. Par ailleurs, les dépenses de 2015 sur le périmètre des économies ont été supérieures de 2,5 milliards d'euros aux prévisions en loi de finances. Cela explique le résultat de 1,7 milliard d'euros, d'ailleurs peu contesté par les représentants du Gouvernement.
Selon les informations qui nous ont été transmises par la DGFiP, l'année 2015 a été marquée par quelques redressements fiscaux au titre de l'impôt sur les sociétés d'un montant exceptionnel. Il se pourrait qu'il y en ait à nouveau en 2016, mais nous ne sommes pas en mesure d'en évaluer l'ampleur.
L'évolution constatée au niveau des droits de succession correspond plutôt à un effet de trésorerie. Le gain budgétaire est manifeste, les sommes recouvrées étant définitivement acquises à l'État, mais il se limite à l'exercice 2015 car il est lié à une anticipation de versements par les redevables, du fait d'une réforme des délais et d'une réduction de la période d'étalement des paiements.
Par ailleurs, les recrutements sont limités par deux plafonds : le plafond d'emplois - le nombre maximum d'agents, en moyenne annuelle, qu'une mission peut recruter - et le plafond de crédits de personnel. Au cours des dernières années, le second a représenté une contrainte plus forte que le premier, l'écart entre les deux représentant environ 20 000 ETP, en 2015, pour l'État. Nous ne disposons pas des données consolidées pour les opérateurs, mais, sur ce périmètre, l'écart était également de 20 000 ETP en 2014.
Le premier plan de lutte antiterroriste prévoyait la création, entre 2015 et 2017, de 2 468 postes en ETP sur les missions justice et sécurité, auxquels s'ajoutaient 80 emplois au ministère des finances. Ces créations devaient être opérées, en 2015, à plafond d'emplois constant, du fait des sous-exécutions précédemment mises en évidence. Les recrutements prévus ont bien été effectués mais, étant intervenus en fin d'année, ils ont eu un faible impact budgétaire.
Le deuxième plan de lutte antiterroriste prévoit des recrutements supplémentaires pour les années 2016 et 2017 et la Cour des comptes, bien évidemment, suivra sa réalisation.
Le travail sur l'exécution est essentiel, précisément parce qu'il permet de constater que des crédits supplémentaires sont parfois demandés, alors même que les crédits initiaux n'ont pas été consommés.
Effectivement, les crédits mis en réserve ont tendance à progresser, avec des cas de surgels, qui doivent nous interroger sur l'efficacité des gels tels qu'ils peuvent être annoncés.
M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Le gel des reports a constitué une innovation de l'année 2016. C'est la première fois, sous l'ère de la loi organique relative aux lois de finances, qu'une telle pratique est décidée, ce qui, effectivement, traduit un éloignement de certains principes initialement fixés.
Plus fondamentalement, ces phénomènes de mise en réserve immédiate renvoient à des phénomènes récurrents de sous-budgétisation, souvent décelés dès le vote du budget. Je pense, par exemple, aux missions relatives aux opérations extérieures ou à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile. C'est à ces problématiques de sous-budgétisation qu'il faut avant tout remédier.
La mesure des économies est un exercice reposant, du début jusqu'à la fin, sur des conventions. À quelle base se compare-t-on ? Pour notre part, nous mesurons l'effort d'économie en comparant les exécutions budgétaires, ce qui n'est pas forcément le cas du Gouvernement. L'effort réalisé sur les prélèvements sur recettes destinés aux collectivités locales est-il porté par l'État ou par les collectivités locales ?
M. Philippe Dallier. - Poser la question, c'est donner la réponse !
M. Raoul Briet. - Enfin, l'évaluation des trajectoires tendancielles pour certaines dépenses répond aussi à des conventions. De toute évidence, selon les hypothèses conventionnelles retenues, l'effort d'économie sera plus ou moins important.
M. Vincent Delahaye. - Je retiens la suggestion qui nous est faite de dénommer « loi de résultat » la loi de règlement. Je suis de ceux qui estiment nécessaire de consacrer plus de temps aux résultats qu'aux prévisions !
Les premières pages du rapport font apparaître une situation financière profondément dégradée et des perspectives à long terme peu réjouissantes pour les finances de l'État. Cette situation doit nous conduire à nous interroger.
La question de l'annualité budgétaire mériterait d'être plus amplement développée dans le rapport. Des volumes importants de factures, notamment au niveau des régions et des départements, sont « restés dans les tiroirs » et n'ont pas été intégrés aux comptes. S'agissant du budget de l'État, la séparation entre exercices est-elle correctement opérée ? Peut-on expliciter la différence entre les restes à payer - ils attendraient 90 milliards d'euros - et les charges à payer et factures non parvenues ?
M. Richard Yung. - J'admire le rapporteur général, qui a pu lire le rapport. Pour ma part, je n'ai pas pu le lire, y ayant eu accès à midi seulement. Il est difficile de préparer une réunion de cette nature dans de telles conditions.
La question des mises en réserve et des surgels a été évoquée, mais des difficultés apparaissent sur toute une série de sujets. Il faudra donc, à un moment donné, revoir la loi organique relative aux lois de finances.
J'attire aussi l'attention sur la vanité des chiffres. La croissance du PIB, estimée, jusqu'à la semaine dernière, à 0,2 % pour 2014, a été réévaluée à 0,6 % ou 0,7 %. On voit bien à quel point les hypothèses et les calculs sont fragiles. C'est précisément cette fragilité qui me pousse à critiquer assez vivement la notion de croissance potentielle, à partir de laquelle le déficit structurel est établi. Je ne m'y étendrai pas davantage. Un certain nombre d'entre nous a d'ailleurs écrit récemment à Pierre Moscovici pour souligner le fait que la notion de croissance potentielle est à la fois fragile et discutable.
Je ne partage pas les remarques acerbes et négatives qui ont été formulées. Le déficit s'élève à 3,6 points de PIB, contre une prévision de 4,1 %, soit une amélioration de 0,5 point. La trajectoire est tout de même bonne, au regard des engagements qui sont les nôtres dans le cadre de l'Union européenne.
M. Philippe Dallier. - Je voudrais revenir sur le respect des normes de dépenses, au travers de l'exemple assez emblématique des aides personnelles pour le logement, ou APL.
Dans la loi de finances rectificative votée au mois de décembre dernier, nous avons ajouté 70 millions d'euros de crédits pour boucler l'année. Nous découvrons alors qu'avec les inscriptions en loi de finances initiale et cet ajout, non seulement nous pouvons tout payer, mais en plus, nous avons les moyens de résorber partiellement la dette de 2014. Mais, quelques jours plus tard, le Gouvernement bloque 300 millions d'euros sur les APL, portant la dette à 400 millions d'euros, au lieu de la réduire.
En guise d'explication, on invoque le respect de la norme de dépenses. La dépense est certaine ; les sommes sont inscrites au budget et pour améliorer facialement le déficit, on décide de bloquer 300 millions d'euros. Ne faut-il pas modifier la loi organique relative aux lois de finances et interdire ce genre de pratiques ?
Question subsidiaire, ces 300 millions d'euros ont-ils été pris en compte dans le retraitement opéré sur le solde budgétaire, qui vous a conduit à évaluer ce dernier à 300 millions d'euros ?
M. Michel Bouvard. - Je remercie également la Cour de la somme d'informations qu'elle nous livre et dont nous pourrons faire usage dans le cadre des discussions sur le projet de loi de règlement.
Le véritable changement, à mes yeux, consistera, non pas à modifier l'intitulé de ce texte de loi, mais plutôt à accepter de consacrer du temps à son examen, notamment en séance publique.
J'ai deux motifs de satisfaction : d'une part, je me réjouis des constats relevés sur la dette - ils montrent la grande qualité de l'Agence France Trésor, mais aussi la fragilité persistante en la matière - ; d'autre part, la dépense fiscale ne s'accroît plus hors CICE.
Pour le reste, la réduction du déficit est liée à des effets d'aubaine et des performances dans la gestion de la dette. Mais les économies ne sont pas au rendez-vous. D'où ma question : comment peut-on mieux documenter les économies, sans en rester à des réductions de déficit liées à toute autre chose que des économies structurelles ?
M. Vincent Capo-Canellas. - En matière de gestion de la dette, nous connaissons bien les effets anesthésiants des taux faibles. Le rapport de la Cour des comptes met également en avant la politique d'émission, consistant à toucher une prime d'émission dès 2015, contre un coupon supérieur sur dix ans. N'est-ce pas une double fuite en avant ? Quelle est votre appréciation sur le sujet ?
M. François Patriat. - Quand sortirons-nous du duel manichéen, conduisant certains à verser des larmes de crocodile quand la situation empire et à chercher à minimiser les résultats quand elle s'améliore ? Un effort significatif a été accompli sur les dépenses publiques, avec la réalisation partielle, à hauteur de 7 milliards d'euros, du plan d'économies annoncé de 50 milliards d'euros sur trois ans. On ne peut pas passer un tel effort par pertes et profits.
M. Serge Dassault. - Concernant la charge de la dette la faiblesse des taux d'intérêt actuels nous est favorable, mais leur maintien à un tel niveau n'est absolument pas assuré. Quelles seraient, d'après vous, les conséquences d'une augmentation des taux d'intérêt ? Ne courrons-nous pas le risque de nous retrouver en cessation de paiement ?
Est-il normal que le Gouvernement, une fois le budget voté, puisse décider de sa propre initiative d'augmenter certaines dépenses, sans réaliser d'économies en contrepartie ? Une hausse de 10 milliards d'euros a déjà été actée sur le budget de l'État pour 2016.
M. Maurice Vincent. - Le rapport de la Cour des comptes révèle la qualité de la gestion mise en oeuvre par le Gouvernement, ainsi qu'une trajectoire sur plusieurs années de nature à rassurer l'Union européenne et les investisseurs. Certains semblent regretter ce qu'ils présentent comme une maîtrise insuffisante des dépenses publiques... Aller au-delà de ce qui est fait, ce serait réduire le taux de croissance !
J'ai compris que la politique d'émission de l'Agence France Trésor, conduisant à une moindre dégradation de notre endettement, était liée à une très forte demande de l'Eurosystème. Peut-on s'attendre à un tel niveau de primes à l'émission en 2016 ? Pourriez-vous préciser quels seraient les effets moins positifs à moyen terme ?
M. Francis Delattre. - J'ai eu une discussion très dure avec le secrétaire d'État en charge du budget sur le fonds de solidarité intervenant dans les mécanismes nationaux d'indemnisation du chômage. Celui-ci est intégré au budget de la sécurité sociale, mais relève de décisions de l'État. Pour autant, selon Christian Eckert, ce dernier n'a pas à faire face à la dépense. Pour sa part, la Cour des comptes évoque une « débudgétisation ». Ce fonds présente un déficit, qui a été assumé par l'ACOSS. Que l'on intègre celui-ci au budget de l'État, et l'amélioration budgétaire disparaît... Quel regard portez-vous sur cette situation ?
M. Didier Migaud. - Les restes à payer correspondent à des autorisations d'engagement, dont le paiement s'étale sur plusieurs années ; les charges à payer et les factures non parvenues correspondent à ce que l'on appelle communément les « factures dans le tiroir ». Leur montant est légèrement inférieur à 10 milliards d'euros, loin des 90 milliards d'euros des restes à payer.
L'Insee procède effectivement à certaines corrections, que le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes ne peuvent que constater. Ces révisions sont inévitables, dès lors que les premières estimations sont imprécises. Logiquement, l'information disponible se complète au fil de temps. Il faudrait donc, en fait, manier les premières estimations avec un peu plus de précaution.
Nos chiffres quant à l'exécution budgétaire sur l'exercice 2015 sont incontestables, car ils correspondent à des réalités. Je confirme l'existence de débats autour de la croissance potentielle et du solde structurel calculé à partir de cette dernière. Les estimations diffèrent selon les acteurs. Le gouvernement français a tendance, selon le Haut Conseil, à surestimer la croissance potentielle et, en conséquence, à sous-estimer le déficit structurel. C'est pourquoi nous suggérons de prendre en compte la notion d'effort structurel. Visant à mesurer l'effort réalisé en termes de prélèvements obligatoires ou d'économies, cette notion est moins liée à celle de croissance potentielle, même si elle peut être également fondée sur des notions empiriques ou arbitraires. Mais le débat sur ce sujet me paraît tout à fait utile. L'amélioration de la conjoncture ne doit pas faire oublier la composante structurelle du déficit !
Certains d'entre nous ont évoqué une amélioration du déficit public, limité en 2015 à 3,6 % du PIB mais ce chiffre concerne l'ensemble des administrations publiques. L'État et ses opérateurs ne participent pas à cette amélioration : on observe une légère amélioration au niveau de l'État, compensée par une dégradation des finances des ODAC.
J'entends les réflexions sur la loi organique relative aux lois de finances, mais tout ne relève pas d'elle et certaines pratiques, en exécution, s'éloignent de l'esprit de ce texte. Peut-être faudrait-il remettre tout cela à plat et faire le tri...
Par ailleurs, il ne nous appartient pas de qualifier la gestion, de juger les résultats bons ou mauvais. On le voit bien, les commentaires sont multiples et les observations de la Cour peuvent être lues de différentes manières. Ce que nous constatons, c'est un effort au niveau de la maîtrise de la dépense, mais celui-ci n'est pas aussi important qu'on le dit et il ne correspond pas tout à fait aux engagements pris. Si la France veut respecter la trajectoire qu'elle a définie, il faudra l'augmenter.
Les résultats obtenus en 2015 sont, pour certains, liés à des mesures non-reconductibles. Cette exécution budgétaire n'est donc pas, en soi, rassurante quant à la maîtrise de la dépense sur les années 2016, 2017 ou 2018.
Nous reviendrons sur la question soulevée par Serge Dassault. Le risque que nous courrons est lié, non pas à une éventuelle cessation de paiement, mais à la perte de marges de manoeuvre. À la remontée des taux, tous les efforts réalisés pourront être absorbés par la charge de la dette, nous savons la France fragile à cet égard.
La politique d'émission n'est en rien nouvelle, la différence tenant surtout aux proportions qu'elle a prise en 2015. D'autres pays pratiquent cette politique dont, il faut en être conscient, les effets sont temporaires.
M. Raoul Briet. - Effectivement, la politique d'émissions sur des souches anciennes est tout à fait classique. Elle a subi une forte accentuation en 2015, car l'Eurosystème a acquis des titres publics sur le marché secondaire, ce qui a sensiblement diminué la liquidité de certaines souches anciennes. Cela a poussé l'Agence France Trésor à émettre plus sur ces souches. Toutefois, lorsque celles-ci parviendront à maturité, les primes d'émissions encaissées devront être décaissées sous forme de coupon. Il existe donc un effet dans le temps, mais cette politique correspond à la situation actuelle du marché.
Enfin, Francis Delattre, il existe de nombreux fonds de solidarité. Certains servent à recueillir les contributions versées par les agents publics pour financer l'indemnisation du chômage. La Cour y voit là une forme d'opérateur quasi transparent et inutile, qu'elle propose de supprimer.
Mais, en matière de relations financières entre le régime général de la sécurité sociale et le fonds de solidarité vieillesse, elle plaide régulièrement pour une approche combinée des comptes, qui garantirait cohérence et sincérité. Ce sujet, toutefois, concerne les comptes de la sécurité sociale, et non ceux de l'État.
La réunion est levée à 13 heures.
État actionnaire - Audition de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
La réunion est ouverte à 15 h 00.
La commission entend M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur l'État actionnaire.
Mme Michèle André, présidente. - L'État actionnaire est aujourd'hui confronté à une situation délicate, marquée tant par la forte baisse de la valeur de son portefeuille que par la nécessité de recapitaliser le secteur énergétique français. Son intervention peut se faire directement, via l'Agence des participations de l'État (APE), mais aussi indirectement, par le biais de la Banque publique d'investissement (la BPI, BpiFrance), sans oublier le rôle particulier de la Caisse des dépôts et consignations. Sa doctrine et son cadre juridique d'action ont été rénovés en 2014, et cette audition fait suite à celle du directeur général de l'APE, Martin Vial, le 3 février.
Nous avons le plaisir de recevoir Emmanuel Macron afin de mieux comprendre les défis auxquels l'État actionnaire est confronté ainsi que, le cas échéant, les évolutions qui pourraient être engagées.
M. Emmanuel Macron, ministre. - L'État actionnaire n'est pas seulement une tradition française : il est aussi une réalité économique. L'APE gère 77 participations d'une valeur d'environ 100 milliards d'euros dans de nombreux secteurs ; la BPI, détenue conjointement par la Caisse des dépôts et l'État, gère 13 milliards d'euros ; par le truchement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou du Centre national d'études spatiales (Cnes), l'État est indirectement actionnaire d'autres entreprises. Ses participations sont plus ou moins importantes, mais très déterminantes dans les secteurs de l'énergie et des transports.
Les attentes envers l'État actionnaire sont parfois contradictoires. Tantôt on voudrait que l'État soit silencieux et demeure un actionnaire au rabais, dont on s'étonne alors qu'il défende ses droits comme tout actionnaire familial ou de marché : il serait illégitime quand il défend ses responsabilités. Tantôt on lui reproche de manquer de vision, de ne pas formuler ni assumer ses choix. Nous assumons une ligne retraçant des équilibres historiques.
Sur quelle légitimité se fonde la stratégie d'intervention de l'État actionnaire ? L'État intervient d'abord dans des secteurs de souveraineté, comme les industries de la défense ou du nucléaire. Il s'agit d'industries de cycle long, liées à la commande publique et sensibles technologiquement. L'État doit ensuite s'assurer que certains grands opérateurs répondent aux besoins fondamentaux du pays, comme les grands réseaux d'énergie, les postes et les télécommunications. Est-il nécessaire que l'État reste actionnaire du secteur des télécommunications, compte tenu des différents canaux existants ? Le débat pourrait être rouvert... Par contre, le secteur de l'énergie nécessite une stratégie rassemblant les différents opérateurs, et justifie notre présence.
L'État accompagne également des transformations industrielles, légitimement dans des secteurs sensibles, comme il y a deux ans pour PSA Peugeot Citroën, dans un contexte marqué par la sortie d'un actionnariat familial défaillant. L'entreprise a été recapitalisée ; elle avait besoin de perspectives internationales et de trouver un équilibre entre le nouvel actionnaire chinois et l'ancien actionnariat français. Ce fut une réussite industrielle et donc patrimoniale : la valorisation de la participation de l'État a doublé. Il en est allé de même avec Vallourec et son actionnaire japonais. Enfin, en cas de risque systémique, l'État est là en dernier ressort, comme pendant la crise de Dexia. Voilà la stratégie présentée il y a plusieurs mois.
L'action de l'État se structure à travers différents outils : il a simplifié les relations entre différents acteurs désormais rassemblés dans la BPI, structurée financièrement fin 2012-début 2013, et qui gère 13 milliards d'euros. Il mène une politique active de participation, avec une rotation du capital. En 2015, il a ouvert le capital de certains aéroports régionaux, comme celui de Toulouse. L'État a vocation à céder ces participations, car il n'a pas besoin d'être actionnaire pour réguler les actifs stratégiques : il existe pour cela les contrats de régulation économique et les autorisations de la Direction générale de l'aviation civile. Par ailleurs, ces actifs sont peu délocalisables. Il peut aussi céder pour accompagner des consolidations européennes, comme l'année dernière, quand vous avez autorisé l'ouverture du capital de Nexter pour créer, avec le rapprochement avec KMW, un leader européen de l'armement terrestre. L'année dernière, l'APE a cédé pour 2,3 milliards d'euros au travers de quatre opérations sur Engie, Safran, Aéroports de Toulouse et Nexter, réinvestis pour acquérir des actions dans Air France-KLM et Renault afin de faire appliquer la loi sur les droits de vote double.
Nos principes d'actions reposent sur le long terme et l'exemplarité. L'actionnariat de l'État se justifie par des secteurs d'intervention et par une stratégie actionnariale, qui n'est pas de droit commun : l'État doit être actionnaire de long terme, afin notamment d'accompagner la transition industrielle et énergétique. Sortons du cycle de trente ans de découverte d'un capitalisme de court terme.
Depuis 1945, le rattrapage économique a été porté par un capitalisme d'État ou familial où tout était réinvesti sur le long terme, avec peu ou pas de dividendes. Au milieu des années 1980, ce capitalisme s'est ouvert aux marchés, ce qui était nécessaire pour l'économie. Mais nous avions une faiblesse : l'absence d'un capitalisme français fort, à l'exception des assureurs, ce qui nous a mis dans la dépendance du capitalisme anglo-saxon, qui a structuré progressivement le financement de notre économie. Nos voisins n'ont pas eu ce problème, grâce à leur capitalisme national, celui du Mittelstand allemand ou celui de l'Italie du Nord. Dans la mesure où, depuis dix ans, le financement majoritaire vient des marchés financiers anglo-saxons, nous devons avoir des rendements et servir des dividendes, ce qui enferme nos entreprises dans des stratégies court-termistes. Quand l'actionnaire exige un rendement à court terme, il est très difficile de réinvestir. C'est ce qui a construit la préférence française pour augmenter les salaires et les dividendes, à la différence de nos grands voisins qui préfèrent embaucher et investir dans l'appareil productif. L'État actionnaire doit contribuer à inverser cette tendance en encourageant le long terme et le réinvestissement.
Depuis plus d'un an, nous revoyons notre stratégie de dividendes, car notre approche était trop budgétaire. Nous avions demandé aux entreprises de servir des dividendes déconnectés de la réalité des performances économiques. On l'a longtemps fait sur STMicroelectronics, qui est dans une situation difficile, ou sur EDF, qui a servi 20 milliards d'euros de dividendes à l'État depuis l'ouverture du capital, alors qu'il aurait mieux fait de les réinvestir dans le nucléaire. S'il faut garder un versement de dividendes, nous souhaitons adapter la politique de distribution à la stratégie d'investissement de l'entreprise.
L'État a un rôle d'actionnaire à long terme, c'est pourquoi le Parlement a voté la généralisation des droits de vote double. Nous avons souhaité faire respecter cette loi pour les propres intérêts de l'État. N'ayons pas de fausse pudeur ! Tous les systèmes capitalistes mondiaux ont des droits de vote multiple. Aux États-Unis, il peut y avoir jusqu'à dix droits de vote par action, demandez aux fondateurs de Google ! Soyons pragmatiques, sans libéralisme béat à la française, et lucides. Nous avons fait respecter ces droits de vote double sur l'ensemble de nos participations. En cas de participation minoritaire, nous avons réuni une minorité de blocage pour préserver les intérêts de l'État. Nous avons voulu accompagner la transformation au long cours d'entreprises comme Orange, EDF, Engie et la SNCF.
L'État est un actionnaire exemplaire, et doit jouer un rôle dans la gouvernance des entreprises. La France s'est ouverte au marché en créant un système de gouvernance croisée, assez endogamique. Des personnalités qualifiées, aux profils expérimentés et diversifiés et qui connaissent aussi la fonction publique, peuvent représenter l'État. Le taux de féminisation des conseils d'administration ou de surveillance des entreprises dans le portefeuille de l'État s'est fortement accru, passant de 16 % en 2012 à 31 % aujourd'hui, à quelques points des objectifs de la loi Copé-Zimmermann. L'État actionnaire défend la modération des rémunérations des dirigeants. Dans les entreprises publiques, elles sont plafonnées à 450 000 euros. Dans celles où l'État est minoritaire, il a demandé des efforts ou a refusé des régimes de retraite chapeau.
L'État a eu des résultats : son portefeuille s'est valorisé. Parfois, l'État est un mauvais actionnaire mais certaines entreprises n'ont pas eu besoin de lui pour souffrir de cécité industrielle, comme Alcatel Alsthom... Parfois, l'État est un bon actionnaire comme pour PSA. Le vrai raté de l'État actionnaire, c'est le domaine de l'énergie, avec une approche de court terme. On a laissé se diviser les différents acteurs de la filière française, dans une politique non coopérative, qui n'a pas réglé le problème qui commençait à apparaître. L'État n'est pas exempt de reproches, mais gardons-nous des caricatures. Hors énergie, l'État actionnaire obtient de meilleurs résultats que le CAC 40, avec un rendement total pour l'actionnaire de 29 % contre 12 % pour le CAC 40, tiré par les performances de Thalès, Safran, Airbus et PSA. Le coeur du problème concerne l'énergie et les transports où nous sommes surreprésentés, pour des raisons historiques parfois justifiées.
Le secteur de l'énergie a souffert en 2015 dans le monde entier, en raison de la crise énergétique avec l'effondrement des cours, voire le démantèlement de groupes énergétiques, notamment en Allemagne. Ce grand chambardement a fait chuter les actions EDF de 40 %, Areva de 40 %, Engie de 16 %. Or le secteur énergie représentait 68 % du portefeuille. N'ayons pas une approche de court terme. S'agissant du nucléaire, nous sommes dans une stratégie de réinvestissement pour réparer les erreurs du passé et préparer un nouveau modèle : EDF investit dans la prochaine génération du parc nucléaire, l'export et la modernisation. L'énergie est extrêmement peu chère en France. Nous assumons une politique volontariste de restructuration de la filière nucléaire en redéfinissant le rôle des acteurs : EDF se concentre sur l'ingénierie - une partie d'Areva, rassemblant le parc nucléaire, est désormais détenue majoritairement par EDF- tandis que le nouvel Areva est l'opérateur.
Autre secteur difficile, celui des transports. Durant des décennies, la France a surinvesti dans de nouveaux projets. Les opérateurs ont pris l'habitude de dépendre de la commande publique nationale. Donnons de la visibilité pour les investissements, l'entretien, des volumes stables et visibles, de nouveaux marchés pour que ces entreprises se désensibilisent de la commande publique, comme SNCF, RATP, Alstom transports ou encore les Ateliers de construction du Centre.
Mme Michèle André, présidente. - Dont les Clermontois savent qu'ils subissent une vraie crise.
M. Emmanuel Macron, ministre. - Il faut une vraie stratégie industrielle de refondation pour ces acteurs captifs, notamment dans la filière nucléaire.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Dans la liste des entreprises relevant du périmètre de l'APE, quel est l'intérêt de certaines participations historiques comme Orange ou le Casino d'Aix-les-Bains ?
M. Michel Bouvard. - Aix-les-Bains, c'est un héritage de 1860.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On entend parler des besoins de recapitalisation d'Areva et des difficultés du secteur de l'énergie. Hier, notre commission a été ébranlée par le projet de décret d'avance annulant 500 millions d'euros d'engagements sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », en contradiction avec le besoin de recapitalisation de l'État. Comment comprendre cette annulation ? L'État sera-t-il alors obligé de renoncer à la clause lui permettant d'acquérir une partie du capital d'Alstom ?
Comment le plan de sauvetage d'Areva se réalisera-t-il ? L'État négocie-t-il avec la Commission européenne pour éviter une requalification en aides d'État ?
L'État a une attitude parfois contradictoire. Il peut être un actionnaire tantôt trop exigeant, tantôt un régulateur, tantôt l'interprète de décisions politiques, par exemple lorsqu'il veut contraindre au maximum les prix de l'énergie ou fermer des centrales nucléaire, au détriment de l'intérêt d'EDF... Comment l'État peut-il poursuivre des objectifs différents ? Ne peut-on inventer un modèle de plus grande indépendance ? L'APE doit-elle être un organisme d'État ou un bras autonome, en lien avec l'intérêt de l'entreprise ?
M. Emmanuel Macron, ministre. - De nombreuses petites participations historiques n'ont pas vocation à rester, de toute éternité, dans le patrimoine de l'État. Beaucoup sont peu rentables, comme le Casino d'Aix-les-Bains. Mais ayant eu à négocier les conditions de la cession de la société de gestion d'Aéroports de Toulouse, je peux vous assurer qu'une telle cession ne rapporterait pas grand-chose mais coûterait en frais de gestion. Céder cette participation ne changerait pas la physionomie du compte d'affectation spéciale. Et si demain un Chinois se présentait pour le racheter, quelle réaction auraient les collectivités locales ? On nous reprocherait d'avoir laissé sortir cette société du patrimoine de l'État...
La cession des ports, lancée par la majorité précédente, et des aéroports, est une bonne chose, avec de la rentabilité. À la différence d'autres sociétés de gestion aéroportuaire, Aéroports de Paris détient le foncier. Si l'on ouvre son capital, il faut passer par la loi et les impacts sur l'aménagement du territoire sont tout autres. L'ouverture du capital des aéroports de Nice et de Lyon fait l'objet de longues négociations avec les collectivités territoriales. Faisons un arbitrage entre les ennuis potentiels et la rentabilité.
Nous n'avons pas toujours vocation à rester au capital d'une entreprise mais, pour Orange, ce n'est pas vraiment le moment de vendre, vu l'état du marché avec l'attribution de la quatrième licence. Ayons une approche stratégique et pragmatique : gardons les actions jusqu'à la réalisation du plan fibre, quitte à les céder ensuite. Idem pour l'énergie : les conditions de marché ne sont pas bonnes. Dans cinq ans, vous me reprocheriez d'avoir cédé au mauvais moment.
Le décret d'avance annulant les 468 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour l'APE ne préjuge en rien des besoins de capitalisation, qui se matérialiseront plutôt à la fin 2016 et au début 2017. Le compte d'affectation spéciale sera mobilisé sur les opérations de recapitalisation, notamment dans le nucléaire. Au besoin une ouverture complémentaire de crédits sera décidée. Areva avait porté des risques importants liés à son rôle d'ensemblier de grands équipements nucléaires, non conformes à son business model. Nous devons refonder la filière. La compétence d'ingénierie est rapprochée d'EDF, et Areva NP est désormais une filiale indépendante, au capital de laquelle EDF est entré à hauteur de 75 % et Areva de 15 % avec un maximum d'actionnaires minoritaires pour un meilleur accès aux marchés et des partenariats industriels. Nous créons un acteur indépendant de la filière avec sa propre stratégie. Son dirigeant, Bertrand Fontana, a été nommé il y a quelques mois. Comme EDF est actionnaire majoritaire, cela évite d'avoir deux ou trois stratégies à l'export, comme par le passé en Arabie saoudite ou en Chine, et permet de partager les risques et d'améliorer les compétences. Le nouvel Areva devient un acteur du cycle de l'uranium de l'amont à l'aval, et détenteur de mines. Il gère les risques historiques embarqués - comme pour l'EPR finlandais OL 3 - et les huit milliards de dette. Nous avons décidé de recapitaliser le nouvel Areva en deux fois : d'abord avec une structure de défaisance, entité juridique propre qui gérera le risque et qui devra être recapitalisée - cela relèvera du droit des aides d'État ; ensuite avec une recapitalisation du nouvel Areva avec l'entrée d'actionnaires minoritaires chinois et japonais - L'État intervient alors en tant qu'investisseur avisé, même si tout cela sera bien entendu ratifié à la Commission européenne. Nous sommes en discussion avec elle. La recapitalisation d'EDF s'effectuera sur les marchés, sans besoin de notification.
Tout actionnaire est confronté à l'alternative entre verser des dividendes et réinvestir dans l'entreprise. Nous devons vivre avec ! De même, l'impact du régulateur sur l'État actionnaire existe aussi dans les fonds souverains qui doivent réguler des secteurs avec une exigence de sûreté. Certes, il peut y avoir des choix politiques comme pour la tarification de l'énergie. Qui paie : le consommateur ou le contribuable ? Historiquement, en France, on fait payer le contribuable, c'est considéré comme plus indolore.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Quitte à perdre de la clarté...
M. Emmanuel Macron, ministre. - Oui, mais souvent les contribuables paient via la recapitalisation ou l'aide d'État. Cette contradiction est réelle, il faut la rendre transparente et expliquer qu'il y a toujours quelqu'un qui paie. Certes, nous devons prendre des mesures spécifiques de compétitivité pour les électro- et les gazo-intensifs, soumis à une forte concurrence internationale. En général, mieux vaut faire payer le consommateur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Sans forcément séparer le court du long terme.
M. Emmanuel Macron, ministre. - Tout à fait.
M. Maurice Vincent, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Je partage votre vision d'un État investissant dans les secteurs stratégiques. Les fortes critiques de l'État font souvent suite à des accidents lourds et coûteux, comme le Crédit Lyonnais, Dexia et récemment Areva. Ne pensez-vous pas que l'État actionnaire a manqué de vigilance sur Areva ? L'APE a-t-elle joué son rôle ?
Un plan ambitieux a été annoncé pour EDF, mais l'agence de notation Standard & Poor's a placé les obligations hybrides du groupe en catégorie spéculative. Comment interprétez-vous cette dégradation inquiétante ?
Vous avez émis le souhait que la distribution des dividendes soit davantage régulée pour préserver les investissements d'avenir. Allez-vous jusqu'à souhaiter la mise en place d'une norme, ou préférez-vous en rester à une gestion plus pragmatique ?
M. Emmanuel Macron, ministre. - Qu'il s'agisse de Dexia ou du Crédit Lyonnais, il est facile de rejouer les courses en connaissant leurs résultats. Je serai prudent. On n'est jamais sûr de ne pas porter dans son ventre les mêmes crises. N'insultons pas l'avenir.
Il y a eu des prises de risques non identifiées et des retournements de marché brutaux. Areva a clairement pâti de défaillances, puisque les choix aventureux effectués ne correspondaient pas à ses capacités opérationnelles et financières, mais je n'impliquerais pas l'Agence des participations de l'État. La justice est saisie. EDF et Areva n'ont pas joué ensemble, en adoptant des choix symétriques. La stratégie non coopérative d'EDF a été extrêmement violente.
L'État a été doublement défaillant, en n'imposant pas de stratégie consolidée de la filière nucléaire, et en pensant qu'on peut, dans le bureau d'un ministre, d'un Premier ministre ou d'un président de la République, déterminer le détail d'une politique industrielle. Celle-ci doit se préparer avec des règles transparentes de gouvernance dans l'entreprise et un travail professionnel. Selon un certain capitalisme de connivence à la française, on a considéré que puisque l'on en connaissait les dirigeants, on pouvait décider du cours des entreprises. Il faut plus de transparence et de professionnalisme. L'Agence des participations de l'État a un rôle encore plus structurant à jouer à l'avenir. Les autorités politiques doivent le lui laisser, tout en se souciant, en transparence, de ses finalités politiques, pour l'intérêt général et sans connivence. Le manque de vigilance est lié au mode de gouvernance ou à des arbitrages politiques inadaptés. À cet égard, le contrôle parlementaire est précieux car il impose la transparence. L'actionnaire public n'est pas moins vigilant, ni plus faible qu'un autre actionnaire. Il l'a montré chez Renault ou Orange. J'aspire à la transparence sur les erreurs commises pour en tirer des conséquences.
Pour ce qui est d'EDF : dix milliards d'obligations hybrides ont été contractées par l'équipe précédente, dans un contexte de marché favorable ; leur horizon de conversion est 2020. Mais si elles restent hors marché en 2020, elles ne pourront pas être converties en capital. Au-delà de leur notation, quel est le problème ? On a ouvert EDF à des tarifs non réglementés, il y a dix ans - un choix consacré par la loi portant nouvelle organisation des marchés de l'électricité. La proportion de tarifs ouverts au marché a augmenté, entre 2014 et 2016, de 20 % à 66 %. En parallèle, depuis l'automne dernier, le marché s'est effondré, de 50 euros le mégawattheure en septembre-octobre à 25 euros, puis près de 30 euros ces jours-ci, alors qu'EDF a construit sa stratégie sur un niveau de 37 euros le mégawattheure ; le coût cash de production de l'électricité nucléaire est de 32 euros le mégawattheure ; l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique est à 42 euros le mégawattheure. À l'exception de la lignite, aucune technologie ne peut produire de l'électricité aussi peu cher.
Tout cela est le fruit d'un dysfonctionnement du marché européen de l'énergie lié à l'absence de signal-prix suffisamment fort du carbone et au fait que les pays ont des stratégies non coopératives. L'Allemagne importe massivement de la lignite et rouvre sa production de charbon, ce qui provoque un effondrement du prix.
EDF a une programmation d'investissements pour entretenir le parc, ce qu'on appelle le grand carénage - 45 à 55 milliards d'euros au cours des dix prochaines années -, des projets à l'export, la production de nouvelles centrales - indispensable - et des politiques de diversification et d'ouverture. Les coûts de fermeture des centrales sont très marginaux, puisque tout ce que j'ai cité implique un investissement de onze à quinze milliards d'euros par an. On voit mal comment financer ces investissements sur le marché alors que le cours de l'électricité n'est pas rentable, c'est ce qui a conduit les agences de notation à dégrader mécaniquement la note d'EDF. Ne cédons pas au court-termisme.
On doit maintenir le niveau d'investissement et adopter une politique d'efforts partagés : un plan d'économies de l'entreprise d'un milliard d'euros ; des cessions de participations non stratégiques ; l'ouverture du capital - avec un projet industriel pour RTE ; un accompagnement de l'État, actionnaire majoritaire à 86 %, qui garantit une augmentation de capital de cinq milliards d'euros. Enfin, des mesures de régulation, dont la finalité première n'est pas d'accompagner EDF, l'aideront. Le signal-prix du CO2 comme les mesures de capacité négociées à l'échelle européenne auront un impact très favorable sur EDF, qui produit l'énergie électrique la plus décarbonée d'Europe. La hausse du prix du CO2 améliore mécaniquement la situation financière d'EDF. Cette stratégie soutiendra l'entreprise et rapprochera la notation de la réalité, sans rien enlever des investissements.
Une norme sur les dividendes ? Non car ils ont pour avantage de mettre de la pression. Une entreprise à qui l'on dit qu'il n'y a pas lieu de verser des dividendes par amour du long terme peut rapidement en déduire qu'on ne lui demande pas de performances. Le souhait de la Poste, avec laquelle nous avons eu cette discussion, était de maintenir une politique de dividendes pour stimuler le changement. En tant qu'actionnaire, l'État a besoin de dividendes pour assurer sa politique de désendettement et de réinvestissement dans ses priorités. Sans dividendes, pas de mobilité pour réallouer son capital.
Quand une entreprise est en situation difficile, il faut l'accompagner en revoyant cette politique de dividendes, sans automatisme et avec beaucoup de pragmatisme.
M. Philippe Dominati. - Monsieur le ministre, vous êtes aux affaires depuis quatre ans. Quel est votre diagnostic sur la gouvernance de l'APE ? Peut-on avoir une vision de long terme avec trois dirigeants en quatre ans et une tutelle qui change ?
S'agissant de la gouvernance des entreprises dans lesquelles l'État est actionnaire, pensez-vous qu'un entrepreneur privé, un grand capitaine tel que Bolloré ou Bouygues aurait dépensé un milliard d'euros pour imposer son point de vue au président de Renault ? Vous avez eu raison de défendre les intérêts de l'État lors de ce bras de fer, mais prendre une participation temporaire de 5 % est une drôle de méthode. Un patron du secteur privé n'a pas besoin de ce type de subtilité pour imposer sa hiérarchie.
L'État est actionnaire majoritaire d'EDF. Vous le dites exemplaire. J'ai cru comprendre que le Gouvernement valorisait un outil de quarante ans, la centrale de Fessenheim, à cent millions d'euros. Le président d'EDF attendait au minimum deux milliards d'euros d'indemnités. Défendez-vous le président d'EDF ou le Gouvernement ?
M. Michel Berson. - Ma question porte sur les relations entre Areva et le Commissariat à l'énergie atomique. La communauté scientifique s'est récemment émue des annulations de crédits pour la recherche ; le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère du budget ont cherché des solutions techniques pour supprimer leur effet sur l'activité des grands organismes de recherche publics. Pour le CEA, le plus touché par ces annulations avec 64 millions d'euros de baisse de crédits, la solution serait conditionnée par la vente d'actions d'Areva qu'un décret doit autoriser - or il n'est toujours pas publié, et le CEA n'a toujours pas le droit de détenir moins de la moitié d'Areva. Cette vente devait par ailleurs rapporter 375 millions d'euros nécessaires à l'équilibre du budget 2015 du CEA.
Comment régler la situation en attendant son dénouement probable début 2017 lors de l'augmentation de capital d'Areva ?
M. Michel Bouvard. - Monsieur le Ministre, la stratégie me va bien ! Je dis les choses telles que je les pense.
Quand on a besoin d'un redéploiement des ressources, y a-t-il une logique à ce que le compte d'affectation spéciale soit toujours considéré comme un outil de désendettement, ou de moindre endettement, de l'État ?
Ne serait-il pas logique de clarifier les participations croisées de l'État et de la BPI afin d'éviter tout blocage ? Dans le passé, il a été impossible de vendre des titres de France Télécom au Fonds stratégique d'investissement parce que l'État voulait s'en réserver la possibilité. Résultat, ni l'un ni l'autre n'en a vendu et nous sommes surreprésentés dans ce secteur.
Quelle est la stratégie de l'État chez STMicroelectronics ?
Le CEA est un producteur de brevets mais aussi un accompagnateur de start-ups. Ses dirigeants disent depuis des années que le mauvais comportement de l'État en tant qu'actionnaire les empêche d'accomplir leur mission d'accompagnement de sociétés.
M. Vincent Delahaye. - S'agissant de la fermeture politique de Fessenheim, le Gouvernement propose une indemnisation de cent millions d'euros à EDF, qui en attend deux milliards. En octobre 2014, un rapport des députés Hervé Mariton et Marc Goua chiffrait ce coût à quatre milliards d'euros. Quel est le bon chiffre ? Quelles seraient les conséquences d'une évaluation à cent millions d'euros sur les autres actifs d'EDF ? Une dépréciation serait malvenue.
M. Vincent Capo-Canellas. - Vous avez indiqué que les participations de l'État dans les aéroports avaient vocation à être cédées car le secteur est régulé. Vous référiez-vous au passé ou à l'avenir, sachant que j'ai bien entendu que le cas d'Aéroports de Paris était différent ? Vous avez évoqué le principe de souveraineté. Or les compagnies du Golfe sont soutenues par des aéroports détenus par des États, avec un effet sur la concurrence. Dès lors que l'on peut y voir un élément de la souveraineté, ne faudrait-il pas ouvrir une réflexion sur la politique de dividendes et le soutien au secteur du transport aérien, qui souffre ?
M. Emmanuel Macron, ministre. - Je pourrais avoir un avis sur la gouvernance de l'APE comme sur le rythme de rotation des ministres - cela n'aurait pas grand intérêt. La vie administrative est ainsi, mais nous avons toujours su concilier la respiration de la vie politique et le sens de l'intérêt général à long terme. Les dirigeants de l'Agence des participations de l'État l'ont tous eu. Leurs postes sont difficiles à pourvoir parce qu'ils supposent une vraie expérience du secteur privé pour peser dans les conseils d'administration. Je me félicite qu'avec l'actuel directeur général on ait trouvé les équilibres requis.
M. Michel Bouvard. - Ce n'est pas parfait.
M. Emmanuel Macron, ministre. - Ce n'est jamais parfait. La situation se professionnalise et s'améliore. Les trois derniers dirigeants avaient une connaissance reconnue du secteur privé. Martin Vial a cette expérience.
Il est important de marier la qualité des équipes de l'APE, via leur recrutement, et l'expérience nécessaire chez certains de nos administrateurs. Par le passé, beaucoup d'entre eux venaient de l'administration, étaient souvent jeunes et peu au fait du secteur privé : ils ne pouvaient pas peser suffisamment face à des administrateurs connaissant l'entreprise. Il est désormais possible de nommer des administrateurs pourvus de cette expérience, agissant pour le compte de l'État.
Notre action chez Renault est justement une pratique de marché telle qu'une famille ou un actionnaire privé l'aurait conduite, détrompez-vous ! Certains dirigeants se sont habitués à ce que l'État soit un actionnaire passif. Je n'ai pas perpétué cette politique.
J'ai dit au dirigeant de Renault qu'il ne me semblait pas de bonne politique que le conseil d'administration de l'entreprise décide de proposer une résolution à l'assemblée générale pour limiter nos droits. J'ai été cohérent en me mettant en situation de la contrer en assemblée générale. Il a pris ses responsabilités, j'ai pris les miennes, en transparence avec le marché, sans faire croire que je montais la participation de l'État de manière pérenne, mais en rappelant bien que c'était pour gagner un combat.
S'agissant de Fessenheim, EDF a des actionnaires minoritaires. Ni le Gouvernement, ni Jean-Bernard Lévy ne définiront le niveau de l'indemnisation due à la fermeture de la centrale de Fessenheim, mais des experts tiers mandatés par les administrateurs indépendants. On pourrait penser qu'à court terme, notre intérêt budgétaire est de minorer l'indemnisation de Fessenheim, mais en tant qu'actionnaire, cela déprécierait notre valeur. Le calcul financier est simple et objectivable : c'est l'espérance de vie de la centrale, au regard des critères de l'Autorité de sûreté nucléaire, rapportée au flux de revenus enlevé à EDF. L'État lui-même n'aura pas voix au chapitre au conseil d'administration d'EDF puisqu'il s'agit d'une convention réglementée : il est à la fois actionnaire et source de l'indemnisation.
Le budget de fonctionnement du CEA ne fait partie de mes compétences. J'ai fait valoir mon point de vue dans les discussions interministérielles ; je suis convaincu de son importance, en particulier de son apport en recherche et technologie à tout notre écosystème. Le CEA s'est financé par des cessions régulières de titres Areva à l'État. Le décret l'autorisant à détenir moins de 50 % d'Areva a bien été signé et publié. La nouvelle règle est que la sphère publique doit détenir la majorité du capital d'Areva. L'APE acquerra des titres du CEA, qui recevra donc le financement attendu. Je m'y engage.
En revanche, je ne peux pas vous répondre sur les arbitrages de régulation budgétaire.
M. Michel Berson. - Ce doit être la même logique.
M. Emmanuel Macron, ministre. - C'est en effet la même démarche.
Le compte d'affectation spéciale a une double fonction théorique de désendettement et de réinvestissement. Compte tenu des objectifs évoqués, une rotation forte du capital serait nécessaire pour tout assumer. Monsieur Bouvard, vous n'avez pas tort dans votre actualisation de la doctrine. L'objectif de contribution au désendettement doit demeurer mais, patrimonialement, ce serait se tirer une balle dans le pied que d'utiliser le capital du compte d'affectation spéciale pour se désendetter, en nous obligeant à céder des titres dans un contexte de marché défavorable. À court terme, étant donné l'environnement du marché de l'énergie, notre coût de refinancement sur les marchés de dette et les impératifs de près de dix milliards d'euros en matière d'énergie, il sera difficile d'assumer les deux objectifs dans les deux années à venir.
J'en viens à la BPI. Nous sommes en train de clarifier les choses. L'État, par l'APE, doit être l'actionnaire majoritaire dans les domaines de souveraineté, c'est-à-dire les infrastructures essentielles. Il doit accompagner les transformations industrielles importantes et veiller au risque systémique, avec une implication forte dans la gouvernance. La BPI doit, elle, avoir un rôle de stabilisation de l'actionnariat, d'accompagnement de la consolidation, à plus court terme, avec une détention d'actions minoritaire par principe et une implication variable.
La participation dans STMicroelectronics, via la BPI, est très importante. Elle fait partie, avec Nano, du programme d'investissements d'avenir. La BPI, l'un des actionnaires de référence, minoritaire, intervient conjointement avec les Italiens dans une holding de contrôle, STH, dans un secteur critique, historique. L'importance stratégique de STMicroelectronics n'est pas à minorer en matière de défense, de recherche et développement, et de technologie, d'autant que l'Internet des objets est en essor. Nous avons pour stratégie de reconnaître son aspect structurant dans la recherche et la stratégie industrielle, de la pousser à être plus offensive sur des marchés délaissés, en nouant des partenariats industriels à l'international, où elle reste bien positionnée, mais se fait distancer par des acteurs américains et coréens.
La stratégie financière doit accompagner cette transformation à long terme. C'est pourquoi j'ai demandé à la BPI de baisser le dividende - il est encore trop élevé pour réinvestir et adopter une politique technologique et commerciale très dynamique. Il faut ensuite simplifier la gouvernance et le management. Ce dernier ne répond plus à nos objectifs ; par une politique de communication non coordonnée, il a, à plusieurs reprises, tiré contre son camp. Il faut une équipe volontariste pour mener à bien cette stratégie.
Monsieur Berson, je partage totalement votre analyse sur le CEA, acteur extrêmement structurant équivalent au CNRS dans la recherche technologique et appliquée. Il faut accompagner sa politique de propriété intellectuelle spécifique, notamment par le programme d'investissements d'avenir. Le CEA se développe dans divers secteurs d'activité, au-delà du nucléaire.
On n'envisage pas, actuellement, d'ouverture de capital des sociétés d'exploitation d'aéroports autres que celles de Nice et de Lyon. Elle se justifiait pour ces deux aéroports régionaux, qui sont les plus rentables.
La stratégie des pays du Golfe est double : ils investissent massivement dans la gestion aéroportuaire pour construire des hubs régionaux, et dans les compagnies aériennes, à perte, afin d'accroître leur influence géopolitique. Nous n'avons pas les moyens ni le cadre juridique pour mener une telle stratégie. Alain Vidalies soutient une politique extrêmement dure contre le dumping de ces compagnies irrespectueuses des règles du commerce international. L'Union européenne doit répondre beaucoup plus vigoureusement à ces compagnies. Nous devons préserver nos hubs internationaux et nos compagnies aériennes endommagées par les attaques venues du Golfe, mais nous devons aussi préserver les intérêts d'Airbus et de la filière de construction, qui vend massivement des avions à ces acteurs. Une politique monolithique est impossible.
Nous ne sommes qu'un actionnaire de référence d'Air France. La baisse des dividendes n'est pas à notre main comme chez EDF. Attention à ne pas fragiliser l'entreprise. Concernant ADP, il faut identifier le caractère récurrent du foncier et le caractère plus volatil de la société de gestion. Autant les compagnies aériennes ont une pression liée aux coûts et à la concurrence, autant les sociétés de gestion des aéroports ont une structure financière et une rentabilité bien plus stable, qui rend notre politique d'actionnaire soutenable dans le temps.
M. Jean-François Husson. - C'est un vrai plaisir d'entendre votre stratégie, plus maîtrisée que celle d'un certain nombre de vos collègues.
J'ai bien compris les besoins d'investissements d'EDF, la nécessité de sa recapitalisation dont j'avais cru qu'elle serait à hauteur de trois milliards d'euros et non de cinq comme vous l'affirmez, et les propos du président de la République annonçant la fermeture de plusieurs centrales nucléaires. Peut-on connaître la stratégie de l'État et le calendrier des fermetures ?
Vous confirmez un désaccord avec le Premier ministre sur la rémunération des chefs d'entreprises, puisque vous répétez qu'elle ne doit pas relever de la loi. Quelle est la position officielle du Gouvernement ?
L'État est actionnaire de la BPI, qui fêtera bientôt ses quatre ans, à hauteur de 50 % avec la Caisse des dépôts et consignations. Quelles sont les perspectives d'avenir de ce bel outil ?
M. François Patriat. - Cette semaine, un hebdomadaire titre sur « le fiasco » des grandes entreprises françaises. Il y a quelques mois, monsieur le ministre, vous aviez dit : « L'État ne doit pas être un actionnaire imprévisible et arbitraire ni un actionnaire interventionniste et brutal ni, enfin, un actionnaire complaisant ». Le périmètre des entreprises publiques est-il encore pertinent ? N'y a-t-il pas d'autres moyens pour protéger des activités indispensables pour notre pays ?
On a évoqué l'État actionnaire et l'État régulateur. Il existe une troisième figure : l'État employeur. Il est arrivé qu'on fasse passer le critère de l'emploi avant celui de la productivité. Quelle en est votre vision ?
M. Éric Bocquet. - J'évoquerai la responsabilité sociale de l'État actionnaire, en particulier au sein d'une entreprise du groupe Renault-Nissan implantée à Canton dans l'État du Mississippi aux États-Unis. Des syndicalistes de cette entreprise de 5 000 salariés m'ont parlé de leurs difficultés à implanter une section syndicale, faisant état de pressions et d'un climat malsain. Le directeur de l'usine, Steve March, fut un temps directeur adjoint du site de Renault à Douai, dans ma région. Il n'en a peut-être pas gardé la culture syndicale... N'y a-t-il pas lieu d'intervenir auprès de Carlos Ghosn pour que les droits syndicaux des salariés soient respectés ?
M. Gérard Longuet. - Merci de votre intervention claire. L'État actionnaire est nécessairement en situation permanente de conflit d'intérêts : il a des intérêts patrimoniaux, des projets sectoriels, des projets transversaux, une dimension sociale, un besoin d'aménagement du territoire... Où se fait la synthèse ? Comment son suivi peut-il être durable ? Comment, connaissant les salaires de la fonction publique, pouvez-vous garder longtemps des gestionnaires chevronnés pour suivre les participations de l'État ? Quand j'étais ministre de l'industrie, j'avais été très étonné de constater qu'un demi-fonctionnaire suivait la participation de l'État au sein de Rhône-Poulenc, quand vingt analystes de la place de Paris connaissaient mieux le sujet.
Les collectivités territoriales, à travers l'État, sont actionnaires à 85 % d'EDF et à 33 % d'Engie, ex-GDF Suez. N'avez-vous pas le sentiment que la décision du président de la République, renouvelée par le Premier ministre, de porter les certificats de carbone à trente euros la tonne, favorise une entreprise contre l'autre ?
M. Michel Canevet. - Je me réjouis de la gestion dynamique et stratégique par l'État de ses participations dans les entreprises. Ne faut-il pas aller plus loin ? Beaucoup disent que l'avenir est dans les services, mais il est important de défendre l'industrie en évitant que des entreprises au grand savoir-faire tombent dans des mains étrangères, faisant disparaître les emplois. Quel est votre avis sur la cession de l'aéroport de Toulouse ? Il a aussi une vocation industrielle affirmée, avec Airbus.
Vous dites que l'État ne doit pas avoir d'attitude complaisante. Pourquoi Areva a-t-elle été conduite à ce niveau de pertes ? Diverses nominations récentes suscitent des questions sur leurs conditions, chez RTE ou Air France.
M. Emmanuel Macron, ministre. - La recapitalisation totale d'EDF est de cinq milliards d'euros, dont une partie de capital non public.
Le calendrier de fermeture de centrales nucléaires fera partie de la programmation pluriannuelle proposée début juillet en application de la loi de transition énergétique. Un équilibre devra être trouvé avec nos intérêts en tant qu'actionnaire. Il faut se coordonner avec l'Autorité de sûreté nucléaire. Une gestion harmonieuse de la transition ne détruirait pas de valeur, réduirait notre dépendance à un seul type d'électricité et respecterait nos engagements.
Les rémunérations ? Je crois qu'il ne faut pas chercher à enfoncer des coins entre nous ! Il n'y a aucune polyphonie gouvernementale sur ce sujet. La loi n'a pas vocation à définir un montant de rémunération pour les dirigeants. Ce n'est pas conforme à la liberté d'entreprendre garantie par la Constitution. En outre, le marché pertinent de référence ne répond pas à un certain nombre de multiples du Smic. En revanche, la loi doit définir le cadre dans lequel la gouvernance d'entreprise peut s'appliquer. C'est aux actionnaires de définir la rémunération des dirigeants. Le problème est que la gouvernance d'entreprise est déléguée par l'assemblée générale à un conseil d'administration qui peut vouloir s'affranchir de sa décision. L'assemblée générale de Renault n'a pas voté à plus de 50 % contre le montant de la rémunération - ce qui était le cas de l'État - mais contre la procédure et le manque de transparence. Il serait légitime que la loi dispose que, tous les cinq ans, l'assemblée générale doit définir la structure des rémunérations dont le conseil d'administration décide. Ce dernier serait contraint de revenir devant l'assemblée générale dans les six mois, si sa décision a été remise en cause. On peut créer une gouvernance plus saine.
La Banque publique d'investissement a simplifié le financement des PME-TPE et ETI en installant un guichet unique. Elle a pour objectif de poursuivre sa stratégie de garantie du financement en prêts des PME et TPE, en soutien du secteur financier. C'est un rôle essentiel quand nos entreprises ont un besoin critique d'investissement productif. C'est pourquoi nous avons renforcé les prêts de développement, devenus prêts « industrie du futur », dont l'objectif est d'accompagner les entreprises de taille moyenne et intermédiaire pour monter en gamme, avec en particulier des structures de prêts hors marché sans garantie autorisant les décaissements décalés jusqu'à deux ans. C'est fondamental pour ces entreprises en retard sur leurs concurrents européens.
Pour ce qui est de ses fonds propres, la BPI a joué un rôle important pour combler une faille de marché sur les premiers tours de table. Elle est actuellement très structurante dans le financement de l'écosystème d'innovation français. Sur certains marchés, elle est même devenue un acteur hégémonique, ce qui pose problème. Nous voulons en faire un acteur qui innerve le tissu de financement de l'entreprenariat et de l'innovation française, un fonds de fonds, à l'image des États-Unis et d'Israël qui ne recrutent pas des équipes en propre mais jouent sur l'effet de levier. Enfin, il s'agit de développer la stratégie de long terme en tant qu'actionnaire minoritaire.
Monsieur Patriat, nous pouvons en effet simplifier notre portefeuille, mais le contexte de marché est très défavorable. Nous sommes plutôt dans un cycle de réinvestissement. Quelques participations pourraient toutefois être allégées - je les tairai.
L'État employeur a eu à connaître des paradoxes, comme l'État actionnaire. On a parfois fait porter des contraintes de politiques publiques à nos entreprises, dans certains secteurs, en particulier protégés.
M. Gérard Longuet. - La DCNS...
M. Michel Bouvard. - La Poste...
M. Emmanuel Macron, ministre. - J'ai été alerté sur la situation de Renault-Nissan à Canton. L'État est actionnaire de Renault mais pas de Nissan ; il n'est pas autorisé à demander des informations. Renault m'en transmet par courtoisie mais je n'ai pas à en connaître en gouvernance, d'après l'accord-cadre qui nous lie. L'actionnaire de référence de Nissan est Renault. La situation concerne Nissan et l'usine est aux États-Unis, hors de notre compétence. J'ai été saisi par un député et je rendrai compte devant la représentation nationale des informations que Renault me transmettra.
Il peut exister des conflits d'intérêts entre les différents objectifs de l'État, ce n'est pas choquant. La synthèse est faite par l'Élysée et Matignon, notamment entre le court et le long terme. La décision est prise sous contrôle parlementaire pour des sujets comme les tarifs ou l'arbitrage entre les participations. Le courage politique, c'est de prendre des arbitrages difficiles tout en conservant une souveraineté de long terme. Pour conserver une politique environnementale, il faut un signal prix sur le marché du carbone à 30 euros la tonne. Le compromis est impossible au niveau européen, sauf avec l'Allemagne et à un prix plus bas. Cela aura un impact sur les producteurs de centrales thermiques - peu sur EDF. Il faudra gérer la transition, on ne peut pas avoir une cote mal taillée. À l'échelle européenne, il faut traiter la concurrence déloyale et forte. Dans certains secteurs électro- ou gazo-intensifs, nous devons trouver des mesures spécifiques pour compenser le coût de l'électricité. Il faudra adopter des mesures législatives pour compenser le signal prix.
Compétence et rémunération sont un défi pour de nombreux fonctionnaires de l'État. Vous savez, on trouve dans nos ministères des gens remarquables, qui font ce métier par engagement au service de l'État et acceptent de n'avoir pas une rémunération importante, car ils y trouvent une satisfaction symbolique et intellectuelle, un niveau de responsabilité plus élevé. Il faudra toutefois aller plus loin dans la fluidité des parcours et la gestion des conflits d'intérêt. Ne brisons pas la carrière des gens ! Le cadre juridique actuel ne facilite pas les choses, avec ces cadres d'emploi. Cela ne me choque pas qu'on recrute des contractuels, à côté des fonctionnaires. C'est le cas du dirigeant actuel de l'APE, avec un sain échevinage mariant les cultures. Notre principal défaut, c'est la durée dans les postes. La gestion des talents dans la fonction publique se fait par la variété, et des postes que l'on exerce pendant seulement deux à trois ans. Il faudrait une gestion des ressources humaines plus incitative, une politique de rémunération plus mobile récompensant ceux qui restent davantage à leur poste. Travaillons sur une architecture ouverte, avec des personnes pouvant agréger plusieurs compétences, car ce ne sont plus des savoirs captifs.
La lecture de la presse quotidienne peut parfois créer des aigreurs. La cession de l'aéroport de Toulouse a été lancée par mon prédécesseur, avec un seul critère, le prix. Nous avons donc été obligés de faire l'opération avec le plus offrant, les Chinois. N'oubliez tout de même pas que la France investit beaucoup plus en Chine que les Chinois en France. Il n'y a pas de bons Chinois achetant des avions et des mauvais Chinois achetant nos aéroports - actifs au demeurant peu délocalisables, soumis à des contrats de régulation économique et dont l'ouverture des lignes est soumise à la DGAC. Toutes les expertises ont été faites, y compris par les services de renseignement. Dans la phase finale, nous avons consulté Airbus, qui a émis un avis favorable sous réserve de quelques recommandations sur la longueur des pistes d'atterrissage et de demandes des collectivités locales. Les repreneurs s'y sont engagés. Dans les repreneurs, il y avait un gros acheteur d'Airbus. Un acheteur a disparu brutalement, mais ce fut le cas de plusieurs dirigeants chinois au même moment... Nous nous en sommes émus. La présidente de la société, Anne-Marie Idrac, a assuré la continuité. Il n'y a pas lieu de revenir dessus. Si l'on veut être une économie attractive, ayons un cadre stable et prévisible d'opération. Nous sommes une place de marché ouverte.
La souveraineté industrielle se conçoit de plusieurs façons. La meilleure des souverainetés est la compétitivité et la productivité. Quand on est fort, avec une base actionnariale qui n'est limitée à l'État, et que l'on produit bien, on est souverain. Ayons une vraie politique souveraine dans les matières critiques, et en particulier de défense commerciale. Pas besoin d'être actionnaire au capital pour mener la bataille de l'acier. Mais on ne peut être souverain en économie ouverte si des acteurs ne respectent pas les lois du marché et, comme la Chine dans le secteur de l'acier, mènent une concurrence déloyale qui torpille nos capacités productives. On ne va pas construire de sous-capacités de production qui créeront notre propre dépendance. Soyons intraitables, lucides, réalistes, volontaristes. Parfois, cette souveraineté peut relever de l'État actionnaire. Un décret sur les investissements étrangers en France préserve la souveraineté sans être au capital, nous avons la possibilité d'avoir un actionnariat minoritaire, à 5 % ou légèrement au-dessus pour éviter une prise de contrôle par un tiers, via la BPI, la Caisse des dépôts ou l'État, dans des entreprises critiques à capital flottant. Dans les industries les plus souveraines que sont l'énergie et la défense, l'État est un actionnaire légitime avec une vraie participation au capital.
Nous devons avoir un maximum d'exigence pour les nominations, avec des procédures ouvertes et concurrentielles. Cela a été le cas pour Air France. La bonne pratique, c'est de recourir à un chasseur de têtes, et de demander au conseil d'administration un type de profil, voire des noms, sur une base documentée, dont on peut ensuite rendre compte devant la représentation nationale. Pour Air France, le comité des nominations a choisi un chasseur de têtes, qui lui a fait vingt propositions qu'il a classées. C'est le premier du classement qui a été choisi.
M. Jean-Claude Requier. - RTE est issu des démantèlements d'EDF, véritable « massacre à la tronçonneuse ». Gestionnaire d'un réseau de transport, RTE est maintenant une filiale à 100 % d'EDF. Êtes-vous favorable à l'ouverture du capital ou à la cession partielle à des investisseurs, par exemple à la Caisse des dépôts, à hauteur de 50 % ?
M. Serge Dassault. - L'État est un actionnaire principal du service public ; il doit assurer un service au public. Comment un service public peut-il se mettre en grève contre des décisions qui ne le concernent pas ? Le grand public n'a plus de pétrole, d'électricité, de trains ; les ports sont paralysés. La France est dans une situation critique qui l'isole du monde. Pourquoi l'État ne réagit-il pas ? Soit l'État retire ce qui reste de la loi El Khomri, qui ne contient déjà plus rien, soit il fait preuve d'autorité pour remettre la France en activité, et il décide que ces grèves sont illégales.
M. Bernard Lalande. - Vous souhaitez la transformation de notre appareil productif via la Nouvelle France industrielle - et vous y associez les PME. Quelle place l'État actionnaire donne-t-il aux PME et aux ETI ?
M. André Gattolin. - Dans le cadre de notre mission de contrôle de France Télévisions, Jean-Pierre Leleux et moi avons vu arriver au sein du conseil d'administration l'APE, le ministère de la culture et celui du budget - avec parfois des problèmes de gouvernance entre eux. Combien vaut France Télévisions ? Personne ne sait le dire au sein de l'État... Certes, ce n'est pas à vendre, mais on a vendu TF1 il y a quelques années, dans des conditions où il n'existait pas d'évaluation, et un précédent gouvernement a envisagé de privatiser en partie France 3. Il est étonnant que l'APE soit incapable d'évaluer ce service public.
Vous avez cité deux fois des chiffres sur le coût de l'électricité nucléaire, qui concernent en fait une production actuelle d'électricité nucléaire déjà largement amortie. Des études, notamment parlementaires, montrent que le cout de production du kilowattheure par EPR serait supérieur au prix de l'électricité éolienne. Vous parlez d'un renouvellement stratégique du parc nucléaire ; n'est-ce pas une erreur de filière de choisir l'EPR, au vu des surcoûts qui s'accumulent en Finlande, en France, au Royaume-Uni ? Vos chiffres ne correspondent pas à la réalité du devenir de l'électricité nucléaire.
Mme Michèle André, présidente. - Notre commission suit avec intérêt la mise en place du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE. L'État doit être un actionnaire exemplaire. Qu'a-t-il mis en place pour sensibiliser les entreprises qu'il détient en tout ou partie aux pratiques fiscales dommageables ?
Vous avez cité la loi Copé-Zimmermann sur la présence des femmes dans les conseils d'administration, où en est-on ? Avons-nous un vivier suffisant ? En Norvège, l'État l'a imposée par la loi et les conseils d'administration où les femmes sont plus nombreuses sont de meilleure qualité, avec une plus grande diversité des profils.
Vous avez rencontré les responsables d'ACC à Clermont-Ferrand, entreprise avec un savoir-faire exemplaire. Nous sommes inquiets pour les emplois. Pouvez-vous nous en dire plus pour que les salariés ne se sentent pas seuls ?
M. Emmanuel Macron, ministre. - Au regard de la réglementation européenne et des règles de séparation, RTE n'est pas consolidé par EDF et n'a aucun lien avec lui pour ses ressources humaines ou sa chaîne de commandement. On ne consolide pas la marge de cet actif détenu à 100 % par EDF, avec lequel il n'y a aucune synergie ni relation opérationnelle. Il est pertinent, et non traumatisant, contrairement aux dires des syndicats, d'en ouvrir le capital. En lien avec les dirigeants de RTE et d'ERDF, et sur la base d'un projet industriel, nous souhaitons ouvrir le capital à d'autres actionnaires minoritaires.
M. Daniel Raoul. - Cela a été une machine à cash à une époque...
M. Emmanuel Macron, ministre. - C'est exact. Nous devons définir ce projet industriel et procéder à l'ouverture dans ces prochains mois.
Ce n'est pas parce que les gens font grève pour une mauvaise raison qu'on peut la qualifier d'illicite. Le droit de grève est protégé par la Constitution. Certes, ce n'est pas agréable pour les citoyens et l'activité économique. Mais l'État n'est plus actionnaire depuis longtemps de Total et des raffineries. C'est lié à la sensibilité syndicale de ces secteurs. La loi relative au service minimum garantit un fonctionnement satisfaisant du service public. Le ministre de l'Intérieur, en lien avec le ministre de l'énergie et des transports, fait débloquer les points névralgiques du fonctionnement économique, afin de réduire les nuisances pour nos concitoyens. Si la grève est un droit, ce n'est pas le cas du blocus. Oui, de nombreux manifestants ne sont pas touchés par le périmètre de la loi « Travail ».
L'État actionnaire a un rôle à jouer dans la Nouvelle France industrielle, qui concentre les moyens autour de neuf solutions et d'une matrice, l'industrie du futur. Plusieurs entreprises à capital étatique ou avec des participations de l'État font partie de cette Nouvelle France industrielle. Plus largement, nous voulons accompagner l'investissement productif et la transformation de l'appareil productif.
Notre politique industrielle repose sur un triptyque : les industries de souveraineté où l'État est un actionnaire de référence et légitime ; le coeur du tissu industriel, qui doit être transformé grâce à de nouveaux investissements pour gagner la double transition numérique et environnementale ; l'émergence de nouveaux champions - la French Tech. L'État veut accompagner toutes les entreprises dans cette transformation, de quelque taille ou de nature que ce soit, par une politique macroéconomique de compétitivité coût et hors coût pour investir, des mesures favorisant le suramortissement fiscal dans l'appareil productif, et la concentration des crédits : 10 milliards d'euros sont mobilisés dans le cadre de cette Nouvelle France industrielle. L'Alliance pour l'industrie du futur, la matrice, a une politique d'accompagnement et de formation aidant à cette transition, avec une approche microéconomique par filière. Plus de 1 500 TPE et PME sont accompagnées pour monter en gamme, elles seront 2 000 à la fin de l'année.
Comme l'État n'est pas vendeur, on ne va pas évaluer France Télévisions. Si je vous donnais une évaluation, on m'accuserait d'avoir des intentions cachées. Techniquement, c'est assez simple : il suffit de regarder les comparables, les flux générés par l'entreprise... Au regard des résultats financiers actuels, la valorisation ne serait pas très importante en raison de certains choix réglementaires contraignants. Nous souhaitons conduire la transformation de cette entreprise dans un paysage compétitif, tout en préservant ses spécificités : programmation politique, culturelle, linguistique et d'information. Il nous faut prendre en compte la concurrence croissance entre opérateurs, et construire une vraie stratégie dans l'espace francophone. Le plan que nous avons demandé à France Télévisions d'élaborer permettra de comparer et d'avoir des objectifs ciblés. Quel serait le modèle type ? Sky ? La BBC ? L'espace anglo-saxon propose des modèles. Soyons clairs sur l'objectif stratégique et le modèle de production qu'on veut avoir. On a reconnu que France Télévisions devait aller vers une politique de programmation propre et donc de contenu - TF1 fait la même chose avec ses rachats - plutôt qu'une politique de diffusion et de flux. Cela nécessite un repositionnement. Aujourd'hui, on a différents actifs : la présence sur les territoires, le savoir-faire reconnu, des prérogatives de puissance publique...
On pourrait avoir longtemps ce débat sur le coût des réacteurs et des énergies non renouvelables. L'éolien et le solaire ont fait l'objet de subventions durant leur première phase amont. Si on a une approche en coûts couplets...
M. André Gattolin. - ... Le nucléaire a encore un coût sur le retraitement et l'aval.
M. Emmanuel Macron, ministre. - Tout à fait. Technologiquement, on a une énergie stable d'un côté, de l'autre intermittente. En Allemagne, le prix de l'électricité a été négatif durant quatre heures dimanche dernier grâce au soleil et au vent. Lundi, le temps avait tourné et le prix a flambé. On avait donc besoin de l'énergie nucléaire ! Le fonctionnement du parc favorise la combinaison des deux et réduit la production de nucléaire à l'arrivée du renouvelable.
Pour des questions de sûreté, il faut de toute façon renouveler le parc. Mais la clé est la mobilité : en cas de changement technologique complet, on doit pouvoir s'adapter rapidement. Le jour où l'on saura faire de l'interconnexion et du stockage d'énergie, on pourra revoir totalement nos modèles de production. Il faut une politique très pragmatique associant clauses de rendez-vous périodiques et formation du personnel.
J'en viens à BEPS : avec Michel Sapin, nous avons écrit à toutes les entreprises de notre portefeuille afin de leur demander pleine clarté sur leurs pratiques fiscales et leur conformité à la doctrine européenne et française. Cela a eu pour résultat des régularisations, sous la supervision de l'APE et de la direction générale des finances publiques.
Les administratrices des boards sont passées de 16 % en 2012 à 31 % actuellement. Nous sommes en amélioration. Un travail d'identification du vivier est mené par des chasseurs de têtes, pour renouveler nos administrateurs par des Françaises et des Européennes. Il est bien plus difficile d'obtenir la même transformation chez les dirigeants d'entreprise. Dans le CAC 40, leur présence est passée de zéro à un. C'est une multiplication par l'infini, si l'on veut, mais ce n'est pas brillant. La solution passe par la création d'un vivier dans les entreprises au niveau des N-4 ou N-5. C'est l'un de nos défis prioritaires. Nous y travaillons avec l'APE, sans quoi le plafond de verre se maintiendra.
ACC est une entreprise au savoir-faire unanimement reconnu. La grande difficulté réside dans les politiques d'investissement des donneurs d'ordre. Des acteurs à 100 % publics ne peuvent pas, pour optimiser leur trésorerie, détruire des actifs industriels et des compétences de terrain. Nous aurons une politique de maintien de ces compétences et d'accompagnement de la transition industrielle dans les prochains mois et années.
La réunion est levée à 17 h 20.