Mercredi 25 mai 2016
- Présidence de Mme Nathalie Goulet, vice-présidente -La réunion est ouverte à 9 h 02.
Ratification de l'Accord de Paris - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Christian Cambon et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 614 (2015-2016) autorisant la ratification de l'Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015.
Mme Nathalie Goulet, présidente. - Nous examinons le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Paris, qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 17 mai dernier, et qui sera examiné par le Sénat le 8 juin prochain.
M. Christian Cambon, rapporteur. - Cet accord a été adopté à Paris le 12 décembre 2015 et signé à New York le 22 avril : Nous procédons donc à sa ratification en un temps record ! Le gouvernement souhaite en effet que la France montre l'exemple, en étant le premier pays industrialisé à ratifier, et en entraînant si possible dans son sillage les autres États membres de l'Union européenne.
Juridiquement, la ratification française ne prendra effet qu'au moment du dépôt conjoint auprès du Secrétariat général des Nations unies de l'ensemble des instruments de ratification de l'Union européenne et de chacun de ses États membres.
Or ce processus est aujourd'hui ralenti par les négociations sur la mise en oeuvre du « paquet énergie climat 2030 » et pourrait se révéler plus long que prévu. J'y reviendrai.
J'articulerai mon propos en deux temps :
- en premier lieu : l'accord de Paris était indispensable ;
- en second lieu toutefois : au-delà des bonnes intentions, il reste un long chemin à parcourir.
L'accord de Paris était indispensable.
Je ne reviendrai que très rapidement sur un constat que nos collègues Cédric Perrin, Leila Aïchi et Eliane Giraud ont fait dans le rapport qu'ils nous ont présenté en octobre dernier, sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique.
Le consensus scientifique sur le changement climatique est désormais sans ambiguïté : les années 1983 à 2012 ont été la période de trente ans la plus chaude qu'ait connue l'hémisphère nord depuis 1400 ans. Le niveau moyen des mers s'est accru de 19 cm entre 1901 et 2010. D'ici à 2100, la température pourrait augmenter de 5°C et le niveau de la mer pourrait croître encore de près d'un mètre. Ce réchauffement s'accompagne d'une augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes.
Le coût économique de l'inaction de la communauté internationale serait immense, de l'ordre de 5 % à 20 % du PIB mondial chaque année, d'après le rapport Stern de 2006. Ce rapport a conduit le débat au-delà de la question écologique, sur le terrain économique, mettant en évidence l'intérêt d'une action coordonnée de la communauté internationale.
Les phénomènes d'érosion côtière et la pénurie des ressources constituent des facteurs d'instabilité au niveau international. Le risque d'une accélération des migrations environnementales est particulièrement préoccupant. Ainsi une augmentation du niveau des mers de 50 cm forcerait 72 millions de personnes à se déplacer. L'Organisation internationale des migrations (OIM) estime que le nombre de déplacés environnementaux pourrait atteindre 200 millions d'ici à 2050.
Pour répondre à ces défis majeurs, la première des propositions de notre commission, en octobre dernier, appelait à la conclusion d'un accord ambitieux lors de la COP 21.
Nous ne pouvons donc aujourd'hui que saluer le succès obtenu par la diplomatie française, sous l'impulsion de Laurent Fabius et de Laurence Tubiana.
L'accord de Paris est un engagement politique fort et quasi-unanime de la communauté internationale, qui n'était pas gagné d'avance. La France s'est très fortement mobilisée. Elle a obtenu la signature de 175 États, faisant de l'accord de Paris celui qui a réuni le plus grand nombre de signatures d'un accord international dans l'Histoire.
L'accord de Paris constitue aussi un tournant pour la communauté internationale parce qu'il a mobilisé les acteurs économiques, la société civile et, plus largement l'opinion au niveau mondial.
Il a, par ailleurs, le mérite de se fonder sur 187 contributions nationales, déposées en 2015, comme l'avait prévu la COP 20 de Lima. Ces contributions doivent permettre d'accomplir une partie du chemin vers les objectifs de l'accord, qui sont les suivants :
- atténuer le changement climatique en contenant l'élévation moyenne de température à 1,5°C et, en tout état de cause, nettement en dessous de 2°C ;
- renforcer les capacités d'adaptation et la résilience notamment pour les États ou groupes de population les plus vulnérables ;
- Orienter les flux financiers vers le développement d'une économie « verte » et accroître le soutien aux pays en développement, jusqu'à 100 milliards de dollars par an, grâce à des mécanismes multilatéraux tels que le Fonds vert pour le climat. Ces pays doivent également bénéficier de transferts de technologie et d'un renforcement de leurs capacités à mettre en oeuvre l'accord ;
- enfin, un cadre de transparence est mis en place, visant à renforcer la confiance, en donnant une image claire des mesures prises et des résultats obtenus par chacun.
Le succès diplomatique de la COP 21 a pour contrepartie un faible degré de contrainte juridique, ceci notamment pour permettre la ratification de l'accord par les États-Unis sans examen par le Sénat américain. L'accord a donc privilégié l'institution d'obligations de moyens plutôt que d'obligations de résultats.
Il se fonde sur un processus de réévaluation quinquennale, qui se déroulera de la manière suivante :
- un bilan des efforts collectifs déployés par les Parties sera réalisé tous les cinq ans à compter de 2018 ;
- les contributions nationales des États devront être actualisées, également tous les cinq ans, pour faire suite à celles déposées en 2015, donc à compter de 2020.
Chaque bilan mondial précèdera donc de deux ans le dépôt des contributions nationales du cycle suivant.
L'accord comporte une possibilité de retrait, après un délai de trois ans à compter de son entrée en vigueur, ce qui constitue une faiblesse inévitable. On se souvient en effet que le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Russie s'étaient désengagés du protocole de Kyoto, que les États-Unis n'ont jamais ratifié.
Une autre faiblesse de l'accord de Paris tient à l'absence de toute réelle sanction en cas de non-respect par un État de ses engagements, ou en cas d'incohérence entre les engagements pris et les objectifs globaux de l'accord.
Le caractère juridiquement contraignant du texte reste donc sujet à caution.
Au-delà des bonnes intentions, en effet, tout reste à faire.
Ce sera mon deuxième point, avec trois observations.
Ma première remarque concerne la portée limitée des engagements pris globalement, à ce stade, par les États.
Les dispositions de la COP 20 laissaient une grande latitude aux États s'agissant de la présentation de leurs contributions nationales.
Certains pays se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de façon très significative. Mais ces engagements portent sur des périodes de référence différentes, ce qui les rend difficilement comparables.
Ainsi l'Union européenne prévoit de réduire ses émissions de 40 % entre 1990 et 2030, conformément à son « paquet énergie-climat ». Les États-Unis s'engagent à réduire leurs émissions de l'ordre de 26 % à 28 % entre 2005 et 2025. Le Canada propose une réduction de 30 % sur la période 2005-2030, et la Russie affiche un objectif de réduction de 25 % à 30 % entre 1990 et 2030.
D'autres pays, notamment la Chine et l'Inde, ne se sont engagés que sur des objectifs d'intensité de leur croissance économique en émissions de GES. Conformément à l'accord trouvé en novembre 2014 avec les États-Unis, la Chine promet par ailleurs d'atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre avant 2030.
Enfin, un troisième groupe de pays n'a pris, en réalité, aucun réel engagement quantifié.
De plus, ces contributions restent globalement très insuffisantes au regard des objectifs de l'accord, puisque, même appliquées à la lettre, elles conduiraient encore à un réchauffement de l'ordre de 3,5°C.
Ma deuxième remarque porte sur un certain nombre de questions qui ont été volontairement éludées par l'accord, pour préserver la quasi-unanimité qui a prévalu à Paris.
Parmi ces questions, figure celle des émissions des transports aériens et maritimes, qui représentent à eux deux plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.
S'agissant du transport aérien, des avancées importantes sont attendues lors de la prochaine assemblée générale de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui se déroulera à Montréal en septembre. Le secteur aérien a, en effet, obtenu que le trafic intercontinental soit exclu du système européen d'échange de quotas d'émission (ETS). Mais il s'est engagé, en contrepartie, à mettre en place son propre mécanisme de compensation.
Les progrès sont sensiblement plus lents dans le secteur des transports maritimes, car la question de la mesure des émissions se pose, préalablement à celle de leur limitation. Dans un premier temps, il conviendra donc d'encourager la reconnaissance des niveaux d'émissions du secteur maritime, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) qui a récemment adopté des prescriptions permettant d'avancer en ce sens.
Parmi les questions volontairement oubliées par l'accord, figure aussi celle de la protection des océans, qui absorbent environ un quart des émissions annuelles de CO2, et celle des zones les plus fragiles notamment les pôles.
Notre commission s'était intéressée en octobre aux enjeux de l'Arctique. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, si ce n'est pour signaler que la feuille de route française pour l'Arctique, qui était alors attendue dans la perspective de la COP 21, n'a toujours pas été finalisée.
Enfin, l'accord s'est bien gardé d'évoquer les outils qui pourraient être mis en oeuvre pour réorienter le mix énergétique dans un sens moins favorable aux énergies fossiles.
Un mécanisme d'échanges de réduction d'émissions est proposé par l'accord, mais il demeure fondé sur le volontariat des États parties. Plusieurs chefs d'État et de gouvernement ont mis l'accent sur la priorité que constitue la mise en place d'un prix du carbone, avec pour objectif de porter la couverture des systèmes de tarification du carbone à 25 % des émissions mondiales d'ici à 2020, puis à 50 % d'ici à 2030, contre 12 % aujourd'hui. La réforme du système européen de quotas d'émission doit par ailleurs être menée à bien. Mais l'instauration d'un prix mondial du carbone n'est pas à l'ordre du jour et serait d'ailleurs en contradiction avec l'esprit décentralisé et collaboratif de l'accord.
Des avancées sont par ailleurs souhaitables sur les gaz fluorés HFC (hydrofluorocarbures). Ces gaz, utilisés en remplacement de ceux préjudiciables à la couche d'ozone, sont de puissants gaz à effet de serre. Leur utilisation doit être encadrée, dans le cadre du protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d'ozone.
Ma troisième remarque est relative à l'entrée en vigueur, puis à l'application de l'accord de Paris, qui vont s'apparenter, dès cette année, à un parcours d'obstacles.
Plusieurs signaux d'alerte sont préoccupants.
Tout d'abord, l'accord entrera en vigueur dans un délai de trente jours lorsque 55 pays, représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l'auront ratifié. Il n'engage les États qu'à compter de 2020, mais son entrée en vigueur rapide est néanmoins souhaitable, afin d'entrer de plain-pied dans la phase d'action renforcée pré-2020, indispensable à l'enclenchement des trajectoires souhaitées.
Alors que l'Union européenne a un rôle essentiel à jouer pour maintenir la dynamique issue de l'accord de Paris, le processus de ratification de l'accord est ralenti par les négociations entre États membres, pour la mise en oeuvre du « paquet énergie climat 2030 ».
Un certain nombre d'États lient en effet la ratification de l'accord de Paris à l'obtention d'un compromis acceptable pour eux s'agissant du partage de l'effort à réaliser dans les secteurs hors quotas (transports, bâtiment, agriculture...). La Pologne, le Royaume-Uni et même l'Allemagne militent en ce sens, quoique l'Allemagne ait aussi mis en avant, de façon un peu contradictoire, le devoir d'exemplarité de l'UE.
Les États-Unis et la Chine ayant promis de ratifier l'accord avant l'automne, il n'est pas impossible que celui-ci puisse entrer en vigueur sans l'Union européenne, la réduisant temporairement au rôle de simple observatrice dans les négociations climatiques internationales.
Il est indispensable que l'Europe montre, au contraire, la voie en parvenant à une ratification rapide. Le président Gérard Larcher a sensibilisé ses homologues à cette nécessité cette semaine, dans le cadre de la Conférence annuelle des présidents des parlements de l'Union européenne.
Par ailleurs, les deux piliers de l'accord que sont les États-Unis et la Chine connaissent des évolutions incertaines. Ces pays représentent à eux deux près de 40 % des émissions mondiales.
Le 9 février 2016, la Cour suprême des États-Unis a fragilisé les engagements pris à Paris en suspendant l'application des mesures prises par le plan « énergie propre » (« Clean power plan ») de l'Agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA). Ce plan régule les émissions de gaz à effet de serre des centrales à charbon américaines. Il est désormais suspendu à des recours juridiques, sans même évoquer les incertitudes politiques liées à l'échéance électorale américaine de novembre prochain.
Le 4 mars 2016, le nouveau Premier ministre canadien a repoussé de six mois la décision sur les mécanismes à mettre en place pour que le Canada respecte les engagements pris à Paris, faute de consensus entre, d'une part, le gouvernement fédéral et, d'autre part, les provinces canadiennes.
La Chine fait paradoxalement figure de pays le plus avancé dans la mise en oeuvre de ses engagements. Elle a annoncé qu'elle ratifierait l'accord avant le sommet du G20 à Hangzhou en septembre prochain.
Par ailleurs, le 13e plan quinquennal chinois fait de l'environnement une priorité. La Chine souhaite non seulement lutter contre la pollution, mais aussi ne pas rater le tournant de l'économie « verte ». Cette implication de la Chine est un élément très positif, même s'il faut la mettre en regard de ses engagements modestes et la considérer comme une inflexion, plutôt que comme une révolution.
Je terminerai en évoquant la COP 22. La ministre marocaine, Mme El Haité, nous l'a dit la semaine dernière : cette COP sera probablement plus difficile que la précédente, car ce sera la COP de l'action, de la mise en oeuvre de moyens opérationnels pour concrétiser les engagements pris à Paris.
Le Maroc s'est, en particulier, fixé deux priorités :
- la mise en oeuvre de l' « action renforcée pré-2020 » ;
- l'innovation, qui fait l'objet d'une feuille de route particulière.
Il s'agira également de déterminer comment seront réunis les 100 milliards de dollars par an que les pays développés se sont engagés à mettre à disposition des pays en développement, et comment procéder à la répartition de ces financements entre atténuation et adaptation. Une feuille de route doit, là encore, être finalisée. Les attentes des pays en développement sont fortes. La question de l'accessibilité des pays les plus pauvres aux fonds climatiques devra être examinée attentivement.
Je terminerai en disant qu'on ne peut qu'approuver la proposition émise par Mme El Haite de renforcer l'implication des parlements nationaux dans les négociations climatiques, en faisant reconnaître les parlementaires comme dixième acteur officiel des négociations. Ce statut leur permettra de se réunir au sein de la zone de conférence des Nations unies, dite zone bleue.
Nous avons pu constater la mobilisation du Maroc, par la voix de sa ministre, pour réussir cette « COP de l'action ».
La tâche à accomplir reste immense. Elle nécessite la mobilisation de tous pour perpétuer la dynamique de l'accord de Paris, en commençant par permettre son entrée en vigueur dans les meilleurs délais.
C'est pourquoi je vous propose d'autoriser la ratification de l'accord de Paris, en adoptant ce projet de loi.
M. Joël Guerriau. - Nous serons bien évidemment favorables à cet accord. Mais quelles en seront les déclinaisons opérationnelles en France ? La France saura-t-elle se montrer exemplaire ? Je pense en particulier à certaines entreprises du secteur de l'énergie dont les effets d'annonce ne sont pas toujours suivis d'effets.
Mme Éliane Giraud. - J'ai participé, avec Cédric Perrin et Leila Aïchi, au travail de notre commission sur l'Arctique, qui a montré que les conséquences du changement climatique n'étaient pas qu'environnementales mais aussi géostratégiques, en lien notamment avec la remilitarisation de la Russie et ses relations avec la Chine.
Il faut bien évidemment ratifier cet accord rapidement, car il y a urgence, et la volonté politique est là. L'accord ne règle pas toutes les questions mais que se passerait-il si nous ne l'avions pas obtenu ? Nous sommes partis de loin. Vous avez relevé un certain nombre de résistances aux États-Unis. Mais il existe aussi là-bas des ONG qui travaillent sur des questions scientifiques, sur des innovations de nature à lutter contre le dérèglement du climat.
L'accord de Paris doit s'accompagner d'une coopération régionale et internationale. Devant nous, la semaine dernière, Mme Hakima El Haité, ministre de l'environnement du Maroc, a appelé l'ensemble des acteurs à se mettre en mouvement, y compris les entreprises, qui y ont intérêt. Le Sénat, en ratifiant cet accord, doit aussi encourager la coopération décentralisée, qui est très importante car c'est une coopération d'acteurs. Nous devons tous rester mobilisés.
M. Jean-Paul Emorine. - Nous approuvons tous cet accord. La ministre du Maroc évoquait la nécessité de mobiliser les entreprises. Mais, par rapport à la Chine, l'effort demandé aux entreprises françaises doit être proportionné, et tenir compte de l'avance que nous avons sur ces sujets. À défaut, les raffineries resteront dans les pays producteurs de pétrole ; nous perdrons de l'activité. Nous devons être réalistes et suivre avec attention l'application de cet accord de Paris.
Mme Nathalie Goulet. - Depuis l'accord de Kyoto, la prise de conscience internationale a beaucoup progressé. Il faut donc espérer que l'accord de Paris fonctionne. Combien de pays ont déjà ratifié ?
M. Christian Cambon. - La détermination du gouvernement français, après le succès de l'accord de Paris, semble totale. Cette détermination est partagée puisque l'accord fait l'objet d'un consensus. On notera néanmoins que l'application de la loi de transition énergétique est retardée et que le gel de crédits, récemment annoncé, touche non seulement le budget de la recherche mais aussi celui de l'écologie. Nous jugerons en fonction des actes.
Je rejoins le point de vue d'Éliane Giraud sur la mobilisation des ONG et des régions, qui est essentielle. Les parlements ont également un rôle important à jouer, en tant qu'aiguillons du gouvernement. Le suivi parlementaire de la mise en oeuvre de l'accord de Paris doit être organisé.
La France fait des efforts plus que proportionnels à son importance économique. Les signaux envoyés par la Chine sont très positifs mais ce pays part de très loin. Nous ne pouvons en effet pas faire assumer à nos entreprises une charge disproportionnée.
La prise de conscience au niveau international est forte. Mais 16 pays seulement ont ratifié l'accord à ce jour. Si nous adoptons ce projet de loi le 8 juin, la France sera le pays le plus important à ratifier l'accord depuis sa signature. J'ai mentionné aussi les freins existant aux États-Unis, avec la décision récente de la Cour suprême, rendue à la demande de 27 États américains.
Mme Leila Aïchi. - Nous voterons cet accord mais il convient d'en préciser les limites. Les questions des transports maritime et aérien n'y sont pas abordées. Il n'est pas non plus fait état des conséquences du dérèglement climatique en termes de sécurité. L'engagement relatif au financement reste imprécis. Où en est le Fonds vert ?
M. Robert del Picchia. - L'Union interparlementaire a adressé un courrier à tous les présidents de parlements pour les mobiliser et évoquer le suivi de l'accord, en prévision de la COP 22. La déclaration du président Gérard Larcher à Luxembourg contribuera certainement à mobiliser les pays européens.
M. Christian Cambon. - Le rapport pointe les difficultés qui concernent le secteur maritime et le secteur aérien, qui représentent à eux deux 5 % des émissions de gaz à effet de serre. Le secteur maritime doit mettre en place un dispositif de mesure des émissions, avant de s'interroger sur sa limitation. Ces questions sont traitées au niveau de l'Organisation maritime internationale.
La question du financement sera centrale à Marrakech. L'objectif de 100 milliards de dollars par an est loin d'être atteint. Le Fonds vert est doté à ce jour de 10 milliards de dollars. La difficulté de cet accord de Paris tient entièrement à sa concrétisation, s'agissant notamment des financements en direction des pays en voie de développement, qui sont très attentifs aux efforts que les autres pays accompliront. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la conférence de Copenhague, mais la principale préoccupation des pays en développement reste d'assurer un niveau de vie suffisant à leurs populations. Si l'on reste très en dessous du chiffre de 100 milliards de dollars par an, Paris aura été un beau rassemblement pour un résultat modeste. Espérons qu'il n'en sera rien.
Il est important que l'Union interparlementaire se mobilise. Il reviendra en effet aux parlements nationaux de mettre en oeuvre l'accord. C'est pourquoi nous veillerons à ce qu'ils soient étroitement associés à la COP 22.
Mme Nathalie Goulet. - Le parlement doit montrer l'exemple en matière de dématérialisation, comme un certain nombre de régions le font.
M. Cédric Perrin. - Nous avons travaillé sur ce sujet avec Leila Aïchi et Eliane Giraud l'an dernier. Nous avions notamment indiqué qu'en 2050, le dérèglement climatique était susceptible de causer des dommages de l'ordre de 1000 milliards de dollars par an. J'approuve le discours pragmatique, non idéologue que nous a tenu la ministre de l'environnement du Maroc, car s'il est nécessaire d'avancer, il faut le faire en tenant compte du facteur industriel.
Ce ne sont pas les gouvernants mais les peuples qui nous feront avancer. Les parlements doivent se saisir de ce sujet éminemment important et continuer à le suivre, au-delà de l'accord de Paris, qui nous a particulièrement mobilisés l'année dernière. Ce sujet nous concerne tous. Le montant de 100 milliards de dollars par an recherché est à comparer à celui du risque potentiel, qui s'élève à 1000 milliards de dollars par an. Si la Chine traite le problème c'est que la pression populaire y est forte. Ce sera le cas dans de nombreux pays si nous n'avançons pas rapidement. Je souhaite que l'unanimité puisse se faire sur ce sujet.
M. Christian Cambon. - Je remercie encore une fois Cédric Perrin, Leila Aïchi et Eliane Giraud pour la qualité de leur rapport sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique. On ne peut en effet qu'abonder en leur sens, en constatant l'effet déstabilisateur d'un million de réfugiés, alors que le risque climatique pourrait déplacer 200 millions de réfugiés. Nous avons intérêt à nous saisir très rapidement de ce dossier et à inciter les États à mettre l'accord de Paris en application.
Sur la question du rôle exemplaire des parlements, je rappelle que notre commission est candidate pour expérimenter dès que cela sera possible des réunions « zéro papier ».
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité, à l'unanimité. Il sera examiné par le Sénat en séance publique le 8 juin 2016, selon la procédure normale.
- Présidence de M. Christian Cambon, vice-président -
Nomination de rapporteurs
La commission nomme rapporteurs :
- MM. Jacques Gautier et Daniel Reiner sur la proposition de résolution européenne n° 619 (2015-2016) sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ;
- M. Robert del Picchia et Mme Josette Durrieu sur la proposition de résolution européenne n° 643 (2015-2016) sur le régime de sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Fédération de Russie.
Réunion sur l'Australie
La commission auditionne conjointement sur l'Australie :
- M. Christian Lechervy, ambassadeur, secrétaire permanent pour le Pacifique ;
- M. David Camroux, enseignant, chercheur associé au CERI ;
- Mme Sarah Mohamed-Gaillard, Maître de conférences en histoire contemporaine - Inalco, Histoire du Pacifique.
M. Christian Cambon. - Chers collègues, nous travaillons ce matin sur l'Australie, thème que notre commission a choisi cette année d'approfondir. Cette table ronde va nous permettre d'aller plus en avant dans la meilleure connaissance de ce continent et du rôle que la France peut jouer dans cette zone, notamment dans la perspective du contrat de construction d'une douzaine de sous-marins que la France s'est récemment vu attribuer. Je souhaite la bienvenue parmi nous à M. Christian Lechervy, ambassadeur, secrétaire permanent pour le Pacifique, que nous avons déjà eu le plaisir d'entendre dans le cadre du groupe de travail sur l'Australie, ainsi qu'à M. David Camroux, enseignant et chercheur associé au centre de recherches internationales (CERI) et à Mme Sarah Mohamed-Gaillard, Maître de conférences en histoire contemporaine à l'institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), Histoire du Pacifique. Je vous remercie de venir contribuer aux réflexions de la commission sur les enjeux géostratégiques de la zone Pacifique, ou « indo-Pacifique », du point de vue australien et du point de vue français.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une retransmission en direct, sur le site Internet du Sénat, et d'un enregistrement qui sera consultable à la demande sur ce site.
L'Australie est un pays avec lequel la France a de nombreux liens, par sa situation géographique avec trois collectivités territoriales, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française, et ses zones économiques exclusives (ZEE). Est-ce que nous appréhendons correctement cette situation depuis Paris ? Est-ce que la France est une puissance du Pacifique, qui, peut-être, s'ignore elle-même ou se sous-estime ? Il serait intéressant d'entendre vos analyses en la matière.
Les relations politiques entre nos deux pays se sont largement améliorées depuis que la question nucléaire a trouvé une issue acceptable pour les opinions publiques de la zone Pacifique et de l'Australie. La France est désormais perçue comme un élément important de stabilité, notamment par les contacts réguliers qu'ont nos forces armées dans le cadre d'exercices militaires bilatéraux et régionaux , par la surveillance des pêches, et les opérations d'assistance en cas de catastrophe naturelle au titre de l'accord trilatéral France-Australie-Nouvelle-Zélande dit accord FRANZ . Occupe-t-elle toute sa place ? Et avec des moyens suffisants ? Je pense notamment aux patrouilleurs la Moqueuse et la Glorieuse, qui seront désarmés en 2020 et ne seront pas remplacés en Nouvelle-Calédonie avant 2024 et 2029. Comment cela peut-il jouer sur la capacité d'influence française dans la zone ? Quels sont nos autres points forts ou faiblesses dans cette zone ?
L'Australie est aussi un marché émergent : douzième puissance économique mondiale, membre du G20, l'Australie est entrée dans sa 25ème année consécutive de croissance et connaît, depuis 1991, une croissance moyenne annuelle de 3 %. Pourtant, l'économie australienne doit évoluer pour faire face aux diminutions du prix des matières premières qu'elle exporte vers l'Asie. La Chine est d'ailleurs le premier partenaire commercial bilatéral de l'Australie et la croissance australienne est largement dépendante de l'expansion économique des pays asiatiques. Comment dans ce contexte les investissements français peuvent-ils se frayer une place ? Quelles stratégies pourraient être définies dans ce domaine ? La France peut-elle participer au développement économique de cette zone par ses propres collectivités ?
Enfin, l'Australie, fédération de six Etats et trois territoires, est entourée d'États fragiles ou instables, soumis aux risques climatiques, mais aussi de grands voisins. L'alliance traditionnelle avec les États-Unis ne se dément pas, mais s'accommode d'un certain pragmatisme : l'Australie a ainsi choisi de soutenir la banque asiatique d'investissement pour les infrastructures portée par la Chine. Le Japon est son deuxième partenaire économique, l'Indonésie et l'Inde sont des partenaires économiques significatifs. L'Australie redéfinit-elle aujourd'hui son ancrage dans le monde asiatique ? C'est une question que nous nous posons. Est-ce ainsi qu'il convient de lire son partenariat global avec l'ASEAN datant déjà de 2007 ? La France parviendra-t-elle à trouver sa place dans ces enceintes ? Et quelle doit être cette place justement ? Comment l'évolution de ses collectivités peut-elle à moyen terme se répercuter sur sa capacité d'influence ? L'évolution de la Nouvelle-Calédonie, particulièrement, le développement de son propre réseau diplomatique sont, je crois, regardés avec attention par l'Australie et les autres Etats de l'Asie pacifique.
Animée, comme l'Australie, d'une vision globale du monde et des menaces, la France peut-elle proposer une autre voix dans cette zone ? Les Australiens et les pays de la zone sont-ils en demande de cette autre voix ? Voilà bien des questions, Madame, Messieurs, sur lesquelles nous souhaitons vous entendre. Je vous propose, Madame, de commencer nos échanges.
Mme Sarah Mohamed-Gaillard. - Étant historienne, ma présentation se fera à la lumière des enseignements qui peuvent être tirés de l'histoire partagée entre la France et l'Australie. Cette histoire est marquée par des ambiguïtés et une certaine méconnaissance réciproque.
Je rappellerai d'abord que l'Australie a, surtout depuis les années 1990, tourné sa diplomatie et son économie vers l'Asie, en particulier vers la République populaire de Chine qui est devenue un partenaire économique vital. L'Australie doit ainsi concilier cette dépendance économique à l'égard de la Chine et son alliance stratégique avec les États-Unis qui constitue depuis 1951 le pilier de sa sécurité.
En raison des tensions entre Pékin et Washington, Canberra tente de se poser en intermédiaire, cherchant à conjuguer son pragmatisme économique et ses liens historiques et stratégiques. Toutefois les tensions croissantes en mer de Chine qui impliquent aussi le Japon, autre partenaire stratégique et économique essentiel pour l'Australie, peuvent constituer un sujet d'inquiétude poussant Canberra à diversifier ses partenariats stratégiques afin de répondre à son besoin de sécurité.
Dans ce contexte, la France peut être une des cartes à jouer d'autant que les deux nations partagent :
- la mémoire de combats communs lors des deux conflits mondiaux : en cette période de commémoration de la Grande guerre, la participation des troupes ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps) aux batailles de la Somme s'impose comme un symbole fort des relations franco-australiennes ;
- la défense de valeurs partagées, notamment dans le contexte actuel de la guerre contre le terrorisme islamiste et face au défi social et politique que représente le danger de radicalisation d'une frange de la jeunesse ;
- une présence et une implication dans les équilibres des océans Pacifique et Indien ainsi qu'en Antarctique ;
- une longue frontière commune dans le Pacifique Sud puisque la Nouvelle-Calédonie est un des archipels les plus proches de l'Australie. Cet élément me semble largement minoré dans ces deux pays.
Cette proximité historique, géographique, idéologique et culturelle constitue un facteur déterminant des relations franco-australiennes et de leur développement à venir. Je voudrais insister ici sur mon domaine de compétence à savoir l'Océanie dont la France est un acteur régional depuis le XIXe siècle du fait de l'administration de la Nouvelle-Calédonie, de Wallis et Futuna et de la Polynésie française. Ces collectivités lui permettent d'être présente d'Ouest en Est du Pacifique Sud mais aussi dans le Pacifique nord en tenant compte de l'îlot inhabité de Clipperton. Ces îles participent de l'ambition de la France d'être une puissance mondiale dans la mesure où :
- elles participent à faire d'elle la deuxième puissance maritime au monde et leur ZEE sont importantes à l'heure de la maritimisation des économies et parce qu'elles pourraient receler des potentialités en termes de matières premières ;
- le nickel calédonien représentant 25 % des réserves mondiales ;
- près de 3.000 militaires stationnent en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ;
- ces îles constituent enfin des arguments forts du discours des autorités françaises présentant la France comme « un État du Pacifique à part entière » dont les archipels du Pacifique Sud pourraient être « des têtes de pont de l'Union européenne » dans la zone, voire des pôles d'influence en Asie-Pacifique. Reste à savoir si la France est réellement perçue comme un État « du » Pacifique ou comme un État « dans » le Pacifique.
Pourtant, Paris semble minorer l'intérêt stratégique et diplomatique de ces régions comme l'indique la réduction du personnel militaire stationné dans ces territoires et des moyens de déploiement et de projection notamment maritimes, relativement limités.
Signalons aussi que ces archipels peuvent constituer de potentiels points sensibles pour la diplomatie française dans la région. L'histoire en a témoigné, avec les essais nucléaires ou la gestion de la crise politique de la Nouvelle-Calédonie. Mais si en Océanie, les relations entre la France et l'Australie ne sont pas dénuées de frictions, la solidarité entre nations occidentales a toujours pris le pas sur les sujets de contentieux. Il faut d'ailleurs noter que ces sujets de tensions sont étroitement liés à la recherche de sécurité qui est un élément central de la vie politique de l'Australie depuis le XIXe siècle. Ce pays est soucieux de la stabilité des archipels qui l'entourent car ceux-ci peuvent constituer de potentiels points d'attaque contre elle ou bien former les derniers remparts de sa défense. Si la France a pu être perçue par l'Australie comme une puissance potentiellement déstabilisante, elle est, depuis les accords de Matignon et la fermeture du Centre d'expérimentations du Pacifique, un partenaire de plus en plus recherché.
L'avenir de la Nouvelle-Calédonie reste à écrire et nous ne pouvons pas exclure de nouvelles tensions entre la France et l'Australie mais il me semble que le contexte a changé sous l'effet notamment des difficultés rencontrées par les États indépendants de Mélanésie depuis les années 1990 qui constituent un sujet d'inquiétude et de dépenses pour l'Australie. L'implication de la France au sein de ce que Canberra a appelé « l'arc d'instabilité mélanésien » apparaît désormais comme un gage de stabilité et présente l'avantage de partager le poids financier des aides destinées à accroître l'équilibre de la région.
La présence de la France en Océanie lui confère donc des responsabilités qui sont régulièrement soulignées et louées par l'Australie et la Nouvelle-Zélande. L'accord de partenariat stratégique que la France et l'Australie ont conclu en 2012 consacre d'ailleurs une partie importante à la coopération dans le Pacifique insulaire. Cet accord appelle les deux parties à oeuvrer de concert à la stabilité d'une région insulaire largement perçue sous le prisme de ses vulnérabilités.
La recherche de cette stabilité passe par des voies variées. Il s'agit, tout d'abord, que les forces militaires françaises stationnées en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française :
- participent à des exercices conjoints avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande ;
- contribuent à la surveillance des ZEE des États insulaires qui n'ont pas les moyens matériels, humains et financiers de l'assumer seuls ;
- et interviennent en cas de catastrophes naturelles via l'accord FRANZ.
Il s'agit aussi de promouvoir les valeurs démocratiques et les normes de bonne gouvernance, ainsi que de soutenir le développement par le biais de la Communauté du Pacifique mais aussi et surtout de l'Union européenne dont la France estime que ses territoires constituent la vitrine.
L'action de la France est d'autant plus recherchée que des puissances, qui ne sont pas historiquement impliquées dans la région, manifestent un intérêt susceptible de bousculer les équilibres.
Cette nouvelle donne a également des effets sur l'action et l'image de la France dans la zone. D'une part, l'appui de ces nouveaux acteurs est recherché par les États insulaires, et cela peut tendre à reléguer la France à un rôle de partenaire parmi d'autres, à moins qu'elle ne renouvelle ou approfondisse son action diplomatique. D'autre part, l'intérêt de la République populaire de Chine, de Taiwan, de l'Inde ou de la Corée du Sud redonne à l'Océanie une importance géopolitique qui avait été quelque peu minorée depuis la fin de la Guerre froide. Du côté français, cela réactive l'argument selon lequel les archipels du Pacifique confèrent à la France une position particulière dans la région. Restent à déterminer les enjeux de cette situation géographique particulière et la place accordée aux collectivités d'outre-mer dans la stratégie d'influence de la France.
Enfin, le dynamisme économique de l'Australie et la signature du contrat avec DCNS ne doivent pas faire oublier à la France les autres acteurs océaniens que sont la Nouvelle-Zélande et les États insulaires. Bien que le poids de l'Australie sur la politique régionale océanienne soit fort, son action n'est pas toujours unanimement bien perçue par les États insulaires, souvent plus proches diplomatiquement de la Nouvelle-Zélande. En outre, ces États insulaires constituent des partenaires naturels des collectivités françaises dont le rôle diplomatique ne peut se réduire à être une simple vitrine de la France et de l'Europe. L'intégration régionale est un enjeu pour le devenir de ces collectivités, quel que soit leur futur statut politique. C'est aussi un enjeu pour la place de la France en Océanie.
En 2013, la résolution, présentée par plusieurs États océaniens, qui visait à obtenir la réinscription de la Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser des Nations unies, soutenue par une partie de ces États insulaires, témoigne de l'action qu'il reste à mener mais aussi du soutien que peuvent représenter ces États d'Océanie au sein des forums internationaux.
M. David Camroux - Mes ancêtres ont quitté la France au moment de la révocation de l'édit de Nantes et ils seraient bien étonnés de me voir ici aujourd'hui. Je suis surtout un spécialiste de l'Asie du Sud-Est et je vais donc vous parler de l'Australie dans le contexte de l'Asie-Pacifique. Quand on parle de l'Australie, on commet beaucoup d'erreurs. Dire que l'Australie est un grand pays, c'est faux, c'est le plus petit des cinq continents et l'Indonésie a une population dix fois plus nombreuse. Dire que l'Australie est un petit pays, c'est faux, c'est la plus grande île et sa population est dix fois supérieure à celle de la Nouvelle-Calédonie. L'Australie est un pays « inventé » au caractère particulier. Les Australiens sont très fiers de descendre d'émigrés européens « triés sur le volet » par les meilleurs juges anglais ou irlandais : les bagnards bien sûr. Peu de pays ont une telle origine.
Dans la conception qu'a l'Australie de sa place dans le monde, plusieurs idées entrent en jeu. La première, c'est « la tyrannie de la distance ». L'Australie se pense comme une sorte de poste avancé de l'Europe et surtout de la Grande-Bretagne, dans cette partie du monde. Avec la montée de l'Asie, « la tyrannie de la distance » est devenue « l'avantage de la proximité ». L'Australie profite de sa place dans la région la plus dynamique du monde. Après la seconde guerre mondiale, elle a profité de la reconstruction du Japon, dont elle est devenue le premier partenaire dans les années 1970. Quelques décennies plus tard, c'est la même chose avec la Chine. La dépendance à l'égard de l'Asie est toutefois à « double tranchant ». Le ralentissement de l'économie chinoise a ainsi des conséquences négatives sur l'économie de l'Australie, qui a tout de même un taux de croissance de 3 % et un taux de chômage de 5 %.
Dans la conception de l'Australie, il y a aussi l'idée de « front yard » ou jardin de devant et de « backyard » ou arrière-cour. Le jardin de devant, c'est l'Asie et l'arrière-cour, c'est le Pacifique sud. Il y a eu des périodes d'incompréhension entre la France et l'Australie avec les essais nucléaires et les troubles en Nouvelle-Calédonie, mais la grande réussite de la France et de ses différents gouvernements, de droite comme de gauche, c'est qu'on ne parle plus de tout cela dans les médias. Cette réussite est à mettre au compte des grands serviteurs de l'Etat qui connaissent bien le Pacifique sud et la Nouvelle-Calédonie et qui ont su oeuvrer, depuis plus de trente ans, pour préparer le référendum de 2018 sur le statut de la Nouvelle-Calédonie.
Certains d'entre vous viendront en Australie en septembre prochain. Avant cela, des élections législatives fédérales auront lieu le 2 juillet. Je vais faire un petit point sur la situation politique actuelle. Tout d'abord, le vote est obligatoire en Australie, ce qui donne un taux de participation de 95 %. Le scrutin est un scrutin préférentiel à un seul tour où le votant coche ses préférences dans l'ordre 1 ,2 ,3 ,4 etc. Le candidat élu est celui qui correspond à la première préférence recevant plus de 50 %. Pour moi, c'est un système plus démocratique que le scrutin majoritaire simple à un seul tour britannique. La première préférence est le vote du coeur, les suivantes sont les votes de la raison, voire du portefeuille. Ce système permet d'avoir des majorités stables. L'Australie a un système politique bipartite, un parti libéral de centre droit et un parti travailliste de centre gauche. En fait, le parti libéral forme une coalition avec le parti national, ancien parti agraire, depuis soixante ans et depuis vingt ans, on a des partis écologistes qui tiennent l'équilibre entre les deux grands partis, notamment au Sénat. Seul bémol, le mandat législatif de trois ans qui fait que l'entrée en campagne pour les nouvelles élections arrive très vite, mais l'on n'est pas parvenu à instaurer un mandat de quatre ans au niveau fédéral.
Actuellement, le parti libéral de centre droit est au pouvoir avec un nouveau ministre, Malcom Turnbull, qui a fait tomber son prédécesseur, Tony Abott, à la fin de l'année dernière. Tony Abott est très impopulaire parce qu'il n'a pas respecté la solidarité gouvernementale, mais son successeur, Malcom Turnbull n'a pas totalement convaincu la population que son arrivée était un véritable changement. Le Gouvernement perd souvent les élections du fait de divisions internes. Le parti libéral est déchiré entre une ligne un peu plus conservatrice et une aile plus centriste. Les sondages sont très serrés et il n'est pas exclu que le parti travailliste revienne au pouvoir après son échec « sanglant » de 2013, dû à une lutte interne entre deux premiers ministres, Kevin Rudd et Julia Gillard.
En juillet 2016, il y aura les élections législatives pour élire la chambre basse du Parlement et le renouvellement du Sénat dans sa totalité. Normalement, le Sénat est renouvelé par moitié tous les trois ans, mais nous sommes, là, dans un cas de « double dissolution » qui peut être demandée lorsque plusieurs blocages d'une législation ont eu lieu. Pour les résultats, il faut attendre bien sûr. Mais pour le Sénat, où le système électoral est encore plus compliqué du fait d'un système de vote préférentiel avec une dose de proportionnelle de liste, on risque de ne pas avoir de majorité claire, ni pour le parti libéral et ni pour le parti travailliste, avec la présence d'autres partis comme les indépendants et les écologistes. La chambre basse pourrait être remportée par les travaillistes.
Quelles seront les implications de ces élections sur les relations entre la France et l'Australie ? On peut penser à une continuité. Le succès de la France remportant le contrat des sous-marins est la preuve de l'instauration d'une relation de long terme avec l'Australie : c'est de l'investissement à long terme, cinquante ans. Je crois que ce succès est lié à l'activité de Thalès, qui est le premier constructeur d'armement en Australie depuis la privatisation de la compagnie publique d'armement. L'Australie est un marché important car c'est un marché de référence en matière de défense. Dans d'autres domaines, comme les vins australiens, on retrouve la même chose. Il faut savoir que deux-tiers des vins produits le sont par des entreprises dont les capitaux sont français.
Quels que soient les résultats des élections, il y aura aussi une continuité en politique étrangère et notamment s'agissant de l'alliance avec les Etats-Unis. Comme beaucoup d'autres pays d'Asie-Pacifique, l'Australie essaye d'équilibrer ses rapports avec la Chine, locomotive économique, par son alliance avec les Etats-Unis, garants de sa sécurité. J'estime d'ailleurs que le Président Xi Jinping a plus fait pour « le pivot » des Etats-Unis vers l'Asie-Pacifique que l'administration Obama elle-même. On le voit bien avec la visite d'Obama au Vietnam et la possibilité pour la septième flotte de se trouver dans Cam Ranh Bay près d'Ho Chi Minh. En réaction aux positions de la Chine, parfois perçues comme une agression dans la région, on assiste au renforcement des relations avec les Etats-Unis. Il y a aussi une question d'équilibre par rapport à l'Europe. La France qui représente l'Europe dans le Pacifique sud a une carte extraordinaire à jouer, celle du « troisième larron » en quelque sorte ou celle d'un autre pôle d'équilibre pour l'Australie dans cette région.
M. Christian Cambon, Président. - Merci d'avoir replacé l'Australie dans son contexte et de nous avoir initiés aux subtilités de la politique australienne, compte tenu des élections prochaines. Je donne maintenant la parole à M. Christian Lechervy, secrétaire permanent pour le Pacifique, que nous avons déjà eu l'honneur de recevoir au sein de notre groupe de travail. Il pourra peut-être nous parler de ce rôle de « troisième larron » de la France dans ce contexte géopolitique tout à fait passionnant.
M. Christian Lechervy - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis très heureux de me retrouver aujourd'hui devant vous pour partager un certain nombre d'interrogations. La relation de notre pays avec l'Australie comprend cinq facettes.
Premièrement, l'Australie est notre voisin immédiat, c'est le pays avec lequel nous partageons la frontière maritime la plus longue. Il y a donc un espace à gérer, en matière de sécurité environnementale, de sécurité de navigation, de sécurité des personnes. Cette dimension bilatérale est essentielle.
Deuxièmement, l'Australie a une dimension mélanésienne. Si l'on regarde attentivement tous les Livres blancs rédigés par l'Australie depuis les années 1970, on constate que le premier chapitre consacré à la sécurité porte sur la dimension mélanésienne du Pacifique Sud. Or, s'il y a un Etat qui a une dimension mélanésienne, c'est bien la France, au travers de la Nouvelle-Calédonie. Cela justifie à la fois que le FLNKS soit membre du groupe mélanésien Fer de lance et que le gouvernement dirigé par Philippe Germain aspire à devenir observateur de cette organisation régionale. Nous sommes au coeur du monde mélanésien d'un point de vue culturel, politique et institutionnel, économique et commercial. La commission mixte, regroupant l'Etat, la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu, qui s'est tenue récemment, à Nouméa, a rappelé combien il est important de développer les relations d'affaires avec le Vanuatu. Le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie Philippe Germain a annoncé la possibilité d'aller vers des accords économiques et commerciaux.
Troisième dimension de notre relation avec l'Australie, la France est un Etat océanien. Nous sommes positionnés en Mélanésie, mais aussi dans le triangle polynésien. La Polynésie française et Wallis-et-Futuna participent aux organisations polynésiennes. Le groupe des dirigeants politique de la Polynésie va se réunir dans quelques semaines à Papeete, comme l'année dernière, ce qui avait été l'occasion d'une grande déclaration sur l'environnement dans la dynamique de la COP 21. Nous partageons avec l'Australie une vision et une responsabilité d'ensemble sur le monde océanien en participant aux organisations sous-régionales.
Quatrièmement, et nous avons trop tendance à l'oublier, il y a la relation avec l'Union Européenne. Je ne reviens pas sur la discussion d'un accord de libre-échange entre l'UE et l'Australie, mais n'oublions pas que l'UE est devenue l'un des tout premiers donateurs au profit des Etats et territoires océaniens. Nous devons souligner à quel point nous sommes des contributeurs financiers et politiques. Ceci s'explique par le fait que nous avons à la fois l'outil d'aide publique au développement mais aussi le réseau diplomatique les plus denses ainsi que des responsabilités particulières en vertu du lien qui nous unit à nos territoires d'outre-mer.
Enfin, la dernière facette de notre relation avec l'Australie, c'est que ce pays est un partenaire global, que nous avons voulu inscrire en 2012 dans un partenariat stratégique. L'Australie est un partenaire efficace, comme elle l'a démontré à l'occasion de sa participation pendant deux ans au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Elle l'a montré aussi dans la gestion globale des crises, car l'Australie partage avec nous trois moyens essentiels dans la gestion des crises internationales : une volonté politique d'agir, des moyens de projection, y compris militaires, et enfin une procédure de décision qui permet d'être en phase avec les grands partenaires.
Le partenariat de la France avec l'Australie est donc un partenariat qui va du local au global. Il se structure aujourd'hui dans le cadre d'une vision commune à l'égard de l'Asie Pacifique. La diplomatie australienne fonctionne par cercles concentriques. J'ai dit que l'Australie considère le Pacifique Sud comme le théâtre principal, mais sans doute faudrait-il nuancer ce propos car le dernier Livre blanc sur la défense lie explicitement les enjeux de sécurité à l'évolution et à la stabilité de l'Asie du Sud-Est maritime. Pour la première fois, la même importance est ainsi accordée à l'Asie du Sud-Est et au monde pacifique. Cette évolution s'explique par le fait que des Etats d'Asie du Sud-Est, à commencer par l'Indonésie, se montrent de plus en plus actifs dans la région. C'est aussi le cas du Timor-Oriental ou encore de la Thaïlande. La dimension indonésienne résonne de manière particulière pour la France car nous avons avec ce pays un partenariat stratégique et une relation ancienne. Mme Mohamed-Gaillard, dans le livre qu'elle a publié récemment sur l'histoire de l'Océanie chez Armand Colin, rappelle toute la période où des travailleurs venant de Java sont venus s'installer en Nouvelle-Calédonie, ce qui a donné naissance à des relations diplomatiques particulières. L'Indonésie entretient à Nouméa un consulat général depuis 1951. Et il y a une relation qui s'affirme aujourd'hui, y compris dans le « narratif politique » des dirigeants indonésiens, à travers l'affirmation de leur mélanésité. Il s'agit d'un affichage qui suscite certes quelques polémiques, notamment sur la situation particulière de la Papouasie-Occidentale avec les exactions qui peuvent y être commises, sur laquelle l'UE a pris un certain nombre de positions. Le fait de lier l'évolution du monde pacifique insulaire à l'Asie du Sud-Est est une dimension que nous partageons avec l'Australie.
La deuxième dimension consiste à lier plus globalement l'espace océanien au monde asiatique. Notre approche doit être, de plus en plus, une approche Asie-Pacifique, ne serait-ce, et les deux orateurs précédents l'ont rappelé, parce que tous les Etats de la région ont établi des partenariats politiques, dans des formats Océanie + 1, avec les Etats insulaires depuis la fin des années 90. C'est vrai du Japon, de la Chine, de Taïwan, de la Corée, de l'Indonésie et de l'Inde. Le partenariat politique se nourrit aussi du développement des relations économiques et commerciales. Nous le constatons aujourd'hui pour nos territoires. Les exportations de nickel calédonien se dirigent vers le Japon, la Corée, la Chine, et peut-être d'autres partenaires demain. C'est vrai aussi en matière de produits pétroliers : Singapour est devenu un partenaire de première importance pour Wallis-et-Futuna, son deuxième partenaire commercial. C'est une dimension qu'il faut prendre en compte et structurer.
La troisième dimension de la politique australienne qui entre en résonance avec notre approche, c'est une dimension indo-pacifique. Ce que nous avons de particulier et de commun avec l'Australie, c'est notre proximité avec l'Océan pacifique et l'Océan indien. Les Etats de l'Océan indien tournent un regard de plus en plus affirmé vers le Pacifique Sud. Je prendrai l'exemple de l'Inde. En trois années, on compte trois sommets de l'Inde avec des chefs d'Etat et de gouvernement des Etats océaniens, dans le Pacifique à Fidji, dans le Sud de l'Inde l'année dernière et dans quelques mois dans un autre Etat insulaire. Les contacts s'intensifient après la visite du Premier ministre indien Modi à Fidji et la visite du président indien Mukherjee en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Nouvelle-Zélande.
En conclusion, il faut voir notre relation avec l'Australie au travers de trois forums qu'il nous faut aujourd'hui valoriser. Premièrement, les forums institutionnels : la France a la particularité de participer à toutes les organisations régionales, comme Etat membre, Etat associé, partenaire de dialogue ou encore au travers de nos territoires - Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna. Ces organisations régionales sont appelées à évoluer pour éviter les doublons entre organisations et pour prendre en considération les nouveaux donateurs. Il est indispensable que dans toutes les organisations régionales les grands donateurs aient une place institutionnelle, à commencer par l'UE. La réforme des institutions du Pacifique est un travail que nous cherchons à conduire avec l'Australie et les autres Etats insulaires de la région de manière à avoir une approche la plus inclusive possible pour nos territoires au regard des défis qui se posent.
La deuxième orientation de notre relation à cette zone consiste à faciliter l'intégration régionale et sous-régionale de nos territoires, à commencer par la Nouvelle-Calédonie qui entretient des relations particulières avec l'Australie. Ceci passera par la mise en place, comme le prévoit l'accord entre le ministère des affaires étrangères, le ministère des Outre-mer et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, de délégués de la Nouvelle-Calédonie dans les ambassades de la région. C'est déjà le cas en Nouvelle-Zélande, cela devrait l'être aussi dans les années qui viennent en Australie, au Vanuatu, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Fidji. L'insertion régionale de nos territoires passe par les forums politiques. Le Président de la République et le Premier ministre ont rappelé ces derniers mois combien il est important que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française deviennent membres à part entière du forum des îles du Pacifique. Mais cela passe aussi par d'autres organisations régionales à caractère « technique », comme la Communauté du Pacifique, principal instrument d'aide au développement, mais aussi les organisations socio-professionnelles, on le voit au travers du développement des relations des chambres d'agriculture ou encore les business forums qui se multiplient.
Enfin, il faut bâtir un nouveau récit, ou « narratif » de nos relations qui tienne à la fois compte d'une Australie devenue un partenaire global, un partenaire structurant dans la région indopacifique et plus spécifiquement dans le monde océanien. Ce récit doit témoigner de notre volonté de poursuivre notre action au travers de l'UE, de notre volonté de développer nos territoires dans l'ensemble du spectre de leurs responsabilités, et de notre volonté d'affirmer durablement l'intérêt de la France dans cette région, dont la principale caractéristique est d'être très interconnectée.
M. Christian Cambon. - Merci, Monsieur l'Ambassadeur, pour ce propos très riche. Sans plus attendre je donne la parole à nos collègues qui souhaitent vous interroger. Je donne immédiatement la parole à Marie-Françoise Perol Dumont, coprésidente avec moi du groupe de travail de la commission des affaires étrangères sur l'Australie.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je tenais tout d'abord à remercier nos orateurs pour l'éclairage qui nous ont apporté ce matin. Cette table ronde s'inscrit dans le cadre de la mission sur l'Australie qui nous a été confiée, à Christian Cambon, André Trillard, Christian Namy et moi-même, dont l'intitulé est : « l'Australie, quelle place pour la France dans le Nouveau Monde ? ». On aurait pu, pour reprendre les propos de M. l'Ambassadeur, choisir comme titre « Comment écrire le nouveau narratif de la relation avec l'Australie ». Vous êtes par vos fonctions et vos travaux universitaires de grands experts de la région et je souhaite vous interroger plus particulièrement sur les lignes d'influence française.
Pour autant auparavant, je souhaiterais, Madame, vous inviter à préciser vos propos. Vous avez indiqué que Paris semblait minorer l'importance accordée à ce territoire. Vous me permettrez de m'interroger sur ces propos, dans un contexte où pour la première fois depuis que cet Etat existe, un président de la République française y a effectué une visite officielle. Dans un contexte où nous venons d'emporter un marché dont le succès n'était pas écrit d'avance, qui a été suivi par une visite du Premier ministre, dans un contexte marqué par le fait que la France appartient à toutes les institutions et tous les forums régionaux, j'aimerais que vous explicitiez l'impression que vous avez selon laquelle la France n'accorderait pas suffisamment d'importance à cette zone. Ce n'est pas d'ailleurs le sentiment que nous avons dans le cadre de la mission que nous conduisons.
Je souhaite intervenir sur une structure qui fait partie des organisations régionales précédemment mentionnées. Nous sommes avec Singapour à l'origine du dialogue Asie-Europe, dit ASEM, qui regroupe désormais 53 membres, dont l'Australie. En 2018 aura lieu le sommet de l'ASEM à Paris, seront invités 25 chefs d'Etat de toute l'Asie, auxquels s'ajouteront 28 chefs d'Etat ou de gouvernement européens ; comment faire fructifier cette opportunité de relations avec nos partenaires asiatiques ? Comment confirmer notre intérêt pour cette zone ? Et comment donner consistance à l'ASEM qui ne semble pas avoir aujourd'hui tenu les promesses qui présidaient à sa création ?
Au-delà de cette instance, comment renforcer la coopération stratégique entre la France et les pays de cette zone ? Plusieurs des propos que vous avez tenus m'incite à vous poser la question suivante : vous semblerait-il souhaitable et possible de développer des partenariats tripartites associant par exemple l'Inde et l'Australie à la France, afin d'asseoir notre influence dans cette partie du monde, maintenant que les difficultés que nous avons eues il y a quelques années sont derrière nous ?
La deuxième question que je souhaiterais vous poser concerne notre réseau diplomatique puisque la mission que nous conduisons porte également sur l'évolution de notre réseau diplomatique et sur les missions que l'ancien ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius avait confiées aux ambassadeurs chargés d'incarner la diplomatie économique. Comment voyez-vous la réactivité de notre réseau diplomatique ? La perception que nous en avons, nous, après avoir auditionné notre ambassadeur, est que notre réseau diplomatique a bien fait son travail et a bien joué son rôle. Si DCNS a emporté le marché de fourniture de sous-marins à l'Australie, c'est aussi grâce à l'aide de notre réseau diplomatique. Mais peut-on dynamiser encore notre réseau diplomatique pour qu'il soit encore plus efficient au service des intérêts de notre pays ?
M. Xavier Pintat. - Je vais essayer d'être court, merci pour ces présentations denses, intéressantes et complémentaires que vous nous avez présentées. J'aurai deux questions. Je voudrais revenir sur un sujet qui a déjà été un peu abordé. Le contrat du siècle signé par DCNS doit encore être négocié. Techniquement DCNS a remporté l'appel d'offres ouvert en 2012 par l'Australie, ce qui l'autorise à des négociations exclusives. Le précédent contrat de vente des Rafales à l'Inde ne doit-il pas nous pousser à la prudence ? Bien que l'Ambassadeur de France en Australie nous l'ait assuré, allant dans le même sens que M. Camroux, j'aimerais savoir ce que nos interlocuteurs pensent : la promesse du contrat ne peut-elle pas être contrariée par le résultat des prochaines élections législatives anticipées de juillet ?
Ma deuxième question concerne la diversification de l'économie de l'Australie. L'Australie se rapproche du marché asiatique, multiplie les traités de libre-échange ; pensez-vous que les entreprises françaises puissent profiter des opportunités offertes par cette nouvelle Australie asiatique ?
M. Jacques Legendre. - Une question simple : notre rapport avec l'Australie a tout de même été assez variable. Comme élu du Nord de la France, je suis très sensible à l'émotion des Australiens lorsque l'on retrouve des centaines de corps d'Australiens morts à Fromelles en 1916. Dans ces cas-là nous nous sentons très proches. Pour autant, je ne peux pas oublier non plus les difficultés que nous avons eues avec l'Australie lorsqu'elle s'est ingéniée à réduire l'influence française dans ce qui reste de l'ancienne Indochine, ou quand il s'agit du Vanuatu. J'aimerais savoir si les difficultés que nous avons pu rencontrer dans le temps avec l'Australie au Vanuatu sont derrière nous et s'il y a désormais une approche française et australienne commune vis-à-vis de ce pays ou bien si sur ce point une forme de compétition demeure ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je vous remercie d'avoir souligné quelques vérités, notamment que l'Australie est un continent mais aussi une île. Quand on regarde cet énorme continent qui est sous-peuplé dans un monde asiatique surpeuplé, cette situation peut-elle durer encore longtemps ?
M. Gilbert Roger. - J'ai remarqué dans l'ensemble des propos tenus par nos trois orateurs une grande absente : Sa Majesté la reine d'Angleterre. Or il me semble que par l'intermédiaire de l'Australie elle a une vue sur ce secteur. Le drapeau australien comporte bien l'Union Jack en son sein. Quelle est l'indépendance intellectuelle et économique de l'Australie par rapport au Royaume-Uni ? Et si le Brexit devait avoir lieu, quel sera l'avenir des relations commerciales, économiques, touristiques et autres entre l'Australie, dépendante du Royaume-Uni, et l'Union européenne et ses partenaires ?
M. Jean-Marie Bockel. - Il y a là des enjeux maritimes, des enjeux de relations commerciales avec les pays de la région, des enjeux propres au devenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : au-delà de tous ces défis brillamment rappelés par nos orateurs, quelle est la perspective pour la France ? Sera-t-elle un pays du Pacifique ou dans le Pacifique ? Bien sûr dans cette question se dessine l'idée d'une France, pays du Pacifique, notamment dans l'installation des relations diplomatiques que va développer la Nouvelle-Calédonie avec son environnement.
M. André Trillard. - Je souhaitais compléter la question de notre collègue en parlant de la perception des États-Unis par les pays de cette zone. Les États-Unis sont supposés avoir effectué un pivot vers l'Asie au prix d'un relatif désengagement des conflits majeurs du Moyen-Orient. Comment est perçu ce positionnement dans cette zone immense où l'on retrouve la Chine mais aussi l'Inde ? Comment se positionne l'Australie par rapport aux États-Unis, qui ne sont pas un partenaire anodin ?
Mme Gisèle Jourda. - Ma question porte sur les politiques de migration. L'Europe et la France doivent gérer les vagues de réfugiés de Syrie et des zones en guerre. Tel est également le cas de l'Australie. Dans un article du quotidien Libération du 27 avril 2016, consacré au verdict rendu par la Cour suprême de Papouasie-Nouvelle-Guinée qualifiant d'illégal et inconstitutionnel l'accord permettant à l'Australie de placer en détention sur le territoire de la Papouasie-Nouvelle-Guinée des demandeurs d'asile indésirables, vous indiquez, Monsieur Camroux, que la fermeture des camps et la prise en charge par l'Australie elle-même des demandes d'asile permettraient de réaliser une économie de 2 milliards d'euros. Pourriez-vous nous expliquer comment cette économie est possible ?
Mme Mohamed-Gaillard - Je ne voulais pas dire que la France minorait l'intérêt de l'Australie, mais que la France sous-estimait la place et le rôle que les collectivités d'outre-mer pouvaient jouer dans la relation avec l'Australie au sein de l'Océanie. Je pensais notamment aux délégués de la Nouvelle-Calédonie qui pourraient être en poste dans les ambassades. Je me souviens d'un colloque organisé par le Sénat en 2013 où avait été évoquée l'installation de ces délégués en Nouvelle-Zélande et dans d'autres ambassades à suivre - mais on en est resté à la seule Nouvelle-Zélande. C'est pourquoi je pose la question : quelle est la position de la diplomatie française à l'égard du rôle que peuvent jouer ces territoires dans le développement de relations avec l'Australie ou les autres Etats de la région ? La question qui se pose est celle de la capacité de ces territoires à jouer leur propre jeu au sein d'une diplomatie plus globale. Mon interrogation fait aussi écho au fait qu'il y a deux patrouilleurs en Nouvelle-Calédonie qui sont désarmés et qui ne seront pas immédiatement remplacés, ce qui pose des questions quant à la surveillance des zones économiques exclusives et à la capacité de la France à réagir dans le cadre des accords FRANZ.
Concernant les difficultés avec le Vanuatu, je pense - même si je ne suis pas toujours suivie sur ce point - qu'il faut faire attention à ce qu'on a pu dire de l'hostilité de l'Australie à l'égard de la France en Océanie entre les années 1960 et 1980. Il est évident que l'indépendance du Vanuatu a provoqué de grandes tensions avec la France, du fait de l'implication de l'Australie en sous-main pour l'indépendance de ce territoire. Je pense qu'il n'y a pas de difficultés à attendre dans la relation de la France avec l'Australie dans le cadre océanien, tant que la politique française dans ces territoires et la diplomatie menées iront dans le sens de la stabilité des îles et de la région, plus particulièrement de la Mélanésie.
Il est certain que si une politique française mettait à mal la sécurité australienne, il y aurait une réaction, mais ceci ne semble pas d'actualité. Il faut rappeler que la sécurité est un enjeu important pour l'Australie. Sa dimension insulaire peut être une protection, mais c'est aussi une vulnérabilité. Les archipels de la région, notamment mélanésiens, sont surveillés attentivement par l'Australie. Le pays mobilise beaucoup de moyens financiers et humains qui pourraient être déployés dans un cadre plus large, Asie-Pacifique ou indo-pacifique.
Concernant la Nouvelle-Calédonie et la question de savoir si la France est une puissance du Pacifique ou dans le Pacifique, il est certain que la France a longtemps été perçue plutôt comme une puissance dans le Pacifique, dont la légitimité à y être pouvait être questionnée. La situation a cependant changé dans les années 1990, avec la fermeture du centre d'expérimentations nucléaires et les accords de Matignon. De plus en plus, la France s'apparente à une nation du Pacifique. Mais là encore, la politique que la France mène dans ces territoires peut avoir un impact sur cette vision. Tant que les territoires seront stables, il n'y aura pas de tensions.
M. David Camroux - Je ne crois pas qu'un changement de gouvernement aura un impact sur la vente des sous-marins. Le contrat a fait l'objet d'une évaluation indépendante créée à cet effet et comprenant notamment des sous-mariniers américains. L'Australie s'est appuyée sur des considérations techniques pour faire son choix. Il y a certes une dimension politique, qui est celle de la construction dans les chantiers d'Adélaïde. Cet Etat d'Australie méridional peut basculer vers le parti travailliste. Mais ceci pourrait même avoir des avantages, du fait des liens entre le parti travailliste et les syndicats. En effet, le contrat est largement soutenu par le monde syndical en Australie.
Concernant les relations avec la monarchie britannique, il y a eu un référendum sur un passage à la république en Australie. Sur ce sujet, l'opinion varie. Les jeunes sont plutôt favorables à la poursuite de la monarchie constitutionnelle. Je considère pour ma part que la monarchie constitutionnelle a l'avantage d'opérer une réelle distinction entre chef d'Etat et chef de gouvernement. Quant au Brexit, je dirai plus largement qu'il est considéré comme une « bêtise monumentale » par tous les dirigeants des pays de la sphère anglophone. On ne comprend pas qu'un pays qui a tous les avantages de l'Union européenne sans les désavantages - l'euro et Schengen - souhaite en sortir. Il faut cependant rappeler que depuis la Seconde guerre mondiale, ce sont les Etats-Unis qui sont le grand protecteur de l'Australie et non le Royaume-Uni.
Sur la question des migrations, la politique australienne consistant à repousser des bateaux vers l'Indonésie et à mettre les migrants en détention provisoire sur l'île de Manus et l'île de Nauru me semble moralement répréhensible. D'un autre côté, en voyant les difficultés de l'Union européenne vis-à-vis de la Turquie, je constate que la situation n'est pas si simple. Cette question pèse dans le débat électoral. Si le parti travailliste revient au pouvoir, il fermera le camp de Manus conformément à la décision de la Cour suprême papouasienne. Quant à l'île Nauru, on s'oriente vers une solution consistant à traiter ces questions en Australie même, sur l'île Christmas. Par ailleurs, les centres de détention sont sous-traités à des entreprises de sécurité privées, ce qui est extrêmement coûteux, près de deux milliards d'euros. Il serait moins cher d'accueillir les personnes sur place.
M. Christian Lechervy - Concernant la politique américaine, il faut rappeler que les Etats-Unis sont un Etat positionné dans la région : avec les Marianne du Nord, les Samoa et l'île de Guam. Chacun de ces territoires a voté pour les primaires américaines, à défaut de pouvoir voter le jour de l'élection présidentielle à proprement parler. La campagne des primaires a montré une grande attention à l'importance stratégique du Pacifique Nord et à la poursuite de la politique du pivot. Les Etats-Unis, dans cette perspective, voient en Guam un « outil » de première importance. Je crois que, dans les années qui viennent, il y aura une évolution institutionnelle et un renforcement des moyens militaires déployés à Guam, on annonce 3.000 marines supplémentaires en 2021, mais aussi une opération de transfert qui coûtera 8 milliards de dollars dont 3 milliards seront intégralement pris en charge par le Japon. Sur le plan institutionnel, il y a des débats aux Etats-Unis concernant le fait que les citoyens américains dans ces territoires n'ont pas le droit constitutionnel de vote à l'élection présidentielle. Le statut de ces territoires sera débattu. Certains proposeront probablement un amendement constitutionnel, comme celui qui a donné le droit de vote aux ressortissants de Washington en 1961, d'autres proposeront peut-être de faire de Guam le 52ème Etat des États-Unis.
En complément, les Etats-Unis vont être interpellés par les partenaires Palaos, les Etats fédérés de Micronésie et les Marshall dans la mise en oeuvre du Compact Act - cet outil juridique qui lie ces pays avec les Etats-Unis depuis leur indépendance. Le Compact Act devrait venir à échéance en 2023, et certains acteurs disent qu'il pourrait être renégocié d'ici là.
La France est un partenaire des Etats-Unis, même si leur attention est prioritairement tournée vers la Micronésie. Nous participons avec les Américains et les Australiens aux relations dites QUAD, qui sont un lieu d'échange structuré en matière de défense. Les Etats-Unis développent par ailleurs de nouvelles relations avec les pays de la région dans des formats triangulaires Australie-Etats-Unis-Japon. L'Australie développe aussi un dispositif triangulaire avec le Japon et l'Inde, auquel se joignent ponctuellement les Etats-Unis. Le monde océanien entre dans cette politique générale du pivot américain qui, quel que soit le nouveau président, devrait se poursuivre.
Sur la politique de la Grande-Bretagne dans la région, je souligne que nous avons des relations avec les Britanniques au titre des territoires d'Outre-mer de l'Union européenne. Il est évident que si la Grande-Bretagne faisait le choix du Brexit, ces relations seraient mises à mal. Nos efforts menés avec les Britanniques pour donner de la synergie aux fonds européens de développement aux territoires du Pacifique et aux pays du Pacifique du groupe ACP seraient compromis. Néanmoins, nous entretenons des relations de coopération avec les îles Pitcairn sous souveraineté britannique. A l'heure où nous parlons, le gouverneur de Pitcairn est en Polynésie française pour évoquer un certain nombre de programmes de coopération. Dernier élément, la politique britannique dans la région est conduite notamment au travers du Commonwealth. Le Secrétariat du Commonwealth est un bailleur de fonds et offre des soutiens en matière de bonne gouvernance et de coopération juridique.
Concernant le Vanuatu, il faut rappeler combien nous travaillons étroitement avec l'Australie en matière de gestion de crise. Les efforts que nous avons menés dans le format FRANZ à l'occasion du cyclone Pam ont satisfait tout le monde, les victimes, le Vanuatu et nos territoires, qui ont apporté des concours très concrets : personnels de la sécurité civile, qui est une compétence des territoires, ne l'oublions pas, mais aussi aides en provenance des communes et des associations de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française.
Une deuxième dimension de notre relation avec le Vanuatu est la priorité que nous donnons, conjointement avec l'Australie, au développement de l'éducation. La commission mixte qui vient de se tenir en a fait une priorité. L'Australie octroie des bourses qui permettent à des étudiants du Vanuatu de venir étudier en Nouvelle-Calédonie, à l'université ou dans des formations socioprofessionnelles. Je soulignerai que la commission mixte s'est déroulée intégralement en français, le ministre des affaires étrangères, le Premier ministre, mais aussi d'autres autorités du Vanuatu sont parfaitement bilingues. L'affirmation de la francophonie du Vanuatu n'est pas mise en cause par nos partenaires.
Concernant le contrat sur les sous-marins, pour avoir longtemps travaillé au cabinet du ministre de la défense, puis du Président de la République sur l'exportation du Rafale en inde, je crois que la comparaison n'est pas tout à fait adaptée. Comme le rappelait le professeur David Camroux, le choix du gouvernement Turnbull de retenir l'offre française n'a pas été contesté. Il peut y avoir des débats sur la forme qu'a prise la décision, mais il n'y a pas de contestation de la qualité du produit ou de la fiabilité du partenaire. Ceci a été affirmé clairement par tous les acteurs politiques. Il appartient maintenant à l'industriel de conclure son contrat, avec le soutien de l'Etat et, lors de sa visite à Canberra, le Premier ministre a rappelé que les plus hautes autorités de l'Etat entendent s'impliquer dans la mise en oeuvre de ce programme. Ce contrat est structurant non seulement pour notre coopération industrielle, mais aussi pour notre action commune dans l'Océan indien et l'Océan pacifique. Nous avons des relations très étroites dans le domaine de la marine, la visite du chef d'état-major de la marine vient de le confirmer. Nous avons de bonnes chances de finaliser ce contrat dans les délais, et les délais sont très importants en termes de sécurité pour l'Australie. Ainsi nous pourrons développer un nouveau chapitre de la relation politique avec l'Australie.
M. Christian Cambon. - Je vous remercie pour ces précieux éclairages sur une région du monde où la France a de nombreux intérêts et des partenariats à développer.
Référendum britannique d'appartenance à l'Union européenne - Audition de Sir Julian King, ambassadeur du Royaume-Uni en France
La commission auditionne Sir Julian King, ambassadeur du Royaume-Uni en France, sur le référendum britannique d'appartenance à l'Union européenne.
M. Christian Cambon. - Monsieur l'ambassadeur, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous vous écoutons aujourd'hui, au sujet du référendum britannique du 23 juin par lequel le Royaume-Uni devra déterminer s'il reste ou s'il quitte l'Union européenne.
La période de réserve commence pour vous après-demain, c'est donc une de vos dernières expressions publiques. Merci d'être là. Votre position n'est pas facile puisque vous êtes tenu à la neutralité mais qu'en même temps le chef du gouvernement fait activement campagne pour le « Remain », « Plus fort en Europe », tandis que 7 membres du gouvernement dont le ministre de la justice Michael Gove, ministre de la justice, font campagne pour le « Leave ».
C'est un vote lourd d'enjeux pour nous tous Européens, même s'il est perçu au Royaume-Uni, qui a une relation « transactionnelle » et non pas émotionnelle avec la construction européenne, comme un enjeu essentiellement national. Au fond, les Britanniques, qui sont entrés dans l'Europe dans les années 70, et ont voté par référendum en 1975, se reconnaissent assez peu dans le projet politique européen d'une « union sans cesse plus étroite entre les peuples », et font aujourd'hui froidement -pragmatiquement- une sorte de bilan « coût-avantage » de leur appartenance. La réponse donnée par le peuple britannique aura des répercussions importantes au plan intérieur, y compris pour le Premier ministre et son leadership sur le parti conservateur d'ici aux élections générales de 2020.
Bien sûr pour nous Français un Brexit ouvrirait une crise majeure en Europe et il nous faut dès à présent réfléchir au jour d'après le vote, quelle que soit son issue. C'est pourquoi nous étions lundi à Londres avec le Président Raffarin où nous avons rencontré des politologues, des parlementaires, mais aussi l'équipe de David Cameron en charge de la campagne, et David Lidington, ministre des affaires européennes. Les sondages donnent un score très incertain, même si les parieurs misent, depuis les déclarations de Barack Obama fin avril, plutôt sur le Remain. Mais les intentions sont au coude à coude.
Nous avons constaté que deux enjeux dominaient la campagne. D'une part les enjeux économiques, sur lesquels le camp du Remain a l'avantage, du fait de l'avalanche d'études crédibles et alarmistes sur les conséquences négatives d'un Brexit. Toutefois, même sur ce terrain, certains estiment qu'une sortie permettrait à la Grande-Bretagne, libérée du poids des régulations européennes, d'être une sorte de « Hong Kong » de l'Europe continentale et de pouvoir enfin profiter à plein, via des accords de libre-échange qu'elle tisserait, de son ancrage dans la mondialisation.
Deuxième enjeu, l'immigration, sur lequel c'est le camp du Leave qui a l'avantage. L'immigration intra-européenne est visée, avec notamment les centaines de milliers d'arrivants polonais, roumains etc... ces dernières années, attirés par la croissance économique d'un pays qui est aujourd'hui au plein emploi. La crise des migrants, bien que le Royaume-Uni ne soit pas dans Schengen, a bien sûr aggravé cette perception d'une perte de contrôle des flux migratoires. Le slogan des Brexiters est « take control », qui résume bien leur état d'esprit. La pression sur le système de santé, ou sur les places à l'école, sont de puissants facteurs d'inquiétude pour tout un chacun.
La question de l'ancrage européen de la Grande Bretagne est pendante depuis des années au sein du parti conservateur, qui est aujourd'hui très divisé sur la question. Autant que le Labour, qui, majoritairement plutôt pro-européen a aujourd'hui un leader, Jeremy Corbin, pro-Brexit. Les divisions pourraient aussi être territoriales si, comme c'est possible, l'Ecosse votait pour rester, et le Royaume-Uni pour quitter l'Union européenne, ce qui relancerait la question de l'indépendance écossaise. Enfin l'Irlande, membre de l'UE, serait également impactée du fait de sa relation étroite avec le Royaume-Uni.
Dans le camp du « Remain » on trouve Londres, la finance, le business, les 2 millions de Britanniques vivant à l'étranger, l'Écosse et l'Irlande du nord ; dans le camp du Leave, à la fois les traditionnels eurosceptiques attachés à la souveraineté britannique mais aussi l'Angleterre « profonde » et une certaine jeunesse que l'Europe ne fait pas rêver.
Le résultat est très incertain, les réserves d'abstentionnistes dans le camp du « Remain » pouvant faire la différence, et dans les deux cas il faut préparer notre réponse : si le Royaume-Uni reste dans l'Union il faudra mettre en oeuvre au plan européen le « paquet » de mesures négociées en février par David Cameron ; si le Royaume Uni quitte l'UE, il faudra à la fois enclencher effectivement la séparation, sur la base de l'article 50 du Traité, mais aussi gérer au plan politique d'éventuelles contagions.
Notre préoccupation est grande ; à vous la parole, pour des analyses que nous espérons rassurantes...
Sir Julian King, ambassadeur du Royaume-Uni - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, merci de m'avoir invité à échanger avec vous aujourd'hui. Je vais m'efforcer de vous expliquer les raisons de ce référendum et la position favorable au maintien dans l'Union européenne défendue par le Gouvernement. Je serai ensuite ravi de répondre à vos questions sur ce thème, ou sur d'autres sujets que vous souhaiteriez aborder.
Nous sommes à quatre semaines du vote. C'est un moment historique. Celui où les Britanniques, après 40 ans sans avoir eu leur mot à dire sur la question, vont s'exprimer. C'est le choix d'une génération, entre deux avenirs.
Un accord a été trouvé au Conseil européen de février entre les États membres, pour répondre aux problématiques soulevées par notre Premier ministre David Cameron. Cet accord était nécessaire afin de répondre aux inquiétudes d'un certain nombre de citoyens et démontrer que l'Europe peut changer. Politiquement, cet accord permettait à David Cameron de rentrer au Royaume-Uni et de lancer la campagne pour le maintien au sein de l'Union Européenne. Mais cet accord n'est pas suffisant, car c'est désormais aux citoyens britanniques de se prononcer.
La question est simple : le Royaume-Uni doit-il rester dans l'Union européenne ou doit-il en sortir ?
Le Premier Ministre s'est engagé dans cette campagne afin que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. C'est la position officielle du Gouvernement. Mais le choix a été fait, conformément à notre tradition, de laisser aux ministres leur liberté de parole. Seuls 6 des 29 ministres du gouvernement se sont prononcés pour la sortie. Le Premier Ministre a à ses côtés des ministres importants comme le Foreign Secretary, Philip Hammond, la ministre de l'intérieur, Theresa May, et le Chancelier de l'Échiquier, George Osborne, entre autres. Plusieurs autres partis, dont le Parti travailliste, font également campagne pour le maintien.
La campagne bat son plein. Les sondages sont assez serrés et varient d'un jour à l'autre. Le plus récent (YouGov) annonce 44% pour rester, 40% pour sortir, et le reste d'indécis. Comme vous le savez, au Royaume-Uni, nous parions sur tout, et les chiffres des bookmakers sont aussi instructifs. Ils suggèrent deux tiers pour rester, contre un tiers pour partir.
D'après les sondages, les opinions sont assez tranchées en fonction de la géographie. Ainsi, les personnes vivant à Londres, en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, sont nettement en faveur du maintien au sein de l'UE. L'Angleterre rurale est plus divisée et pencherait plutôt pour la sortie.
Il y a aussi une division générationnelle. Les personnes âgées sont plutôt en faveur de la sortie. Au contraire, les jeunes sont plutôt en faveur du maintien, mais sont traditionnellement moins enclins à aller voter.
Deux organisations officielles ont été choisies afin de mener la campagne. Pour RESTER, l'organisation Britain Stronger In Europe qui est menée par Lord Rose l'ancien PDG de Marks & Spencer. Pour PARTIR, c'est l'organisation Vote Leave. Ces organisations officielles reçoivent une subvention publique de 600,000 livres pour mener leurs actions, ont droit à un plafond de dépenses électorales de 7 millions de livres, à des spots télévisés, et à la possibilité d'envoyer des informations aux électeurs par voie postale.
Leurs enjeux sont différents.
Pour le camp du maintien, l'enjeu est de mettre en avant les bénéfices de l'Union Européenne pour le Royaume-Uni et les Britanniques. Leurs arguments doivent aller au-delà des menaces ou d'arguments jouant avec la peur. Il s'agit de démontrer que notre présence au sein de l'UE amplifie notre influence dans le monde, et non l'inverse.
Pour le camp de la sortie, l'enjeu-clé est de présenter des alternatives crédibles pour le futur du Royaume-Uni hors de l'Union européenne. Un statut à la norvégienne ? Des accords bilatéraux comme avec la Suisse ? Un grand accord de libre-échange comme avec le Canada ? Ou encore l'application simple des règles de l'OMC ? Pour le moment, les différents partisans de la sortie ont du mal à se mettre d'accord. Il semble clair qu'une situation où nous appliquerions les règles européennes sans pour autant participer à leur définition ne serait pas une alternative satisfaisante.
Afin d'éclairer le débat, le Trésor britannique a publié une série de documents informatifs sur le processus de retrait de l'UE, les différentes alternatives à l'UE, le coût anticipé d'une sortie pour l'économie et les ménages britanniques. Cette dernière étude révèle que si le Royaume-Uni négociait un accord de libre-échange avec l'UE tel que nous avons actuellement avec le Canada, le PIB britannique diminuerait de 6% d'ici 2030, ce qui représente £4.300 par ménage et par an !
J'entends ceux qui, en France et dans les autres États-membres, doutent du bien-fondé de ce référendum. Mais il faut comprendre que ce référendum était devenu incontournable au Royaume-Uni, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la désaffection pour l'Union européenne. Ce sentiment ne se limite pas aux Britanniques, mais il y a un sentiment chez les Britanniques que l'UE est un objet non contrôlé, qui gère des sujets dont ils ne voient pas l'impact et qui n'en fait pas assez pour faire encourager la croissance et l'emploi.
Ensuite, l'UE a énormément changé au cours des dernières années, notamment du fait des élargissements successifs et de la crise financière et économique de la zone euro, qui a monopolisé toutes les ressources au niveau européen. L'organisation que le Royaume-Uni a rejointe en 1973 n'est plus du tout la même qu'aujourd'hui.
Il y a aussi une question démocratique. Les Britanniques n'ont plus voté sur la question depuis 41 ans. L'organisation d'un référendum sur le sujet avait été promise par le Premier Ministre Tony Blair lors de son élection, mais ne s'était pas concrétisée. Jusqu'alors, le débat était monopolisé par les tabloïds et ceux qui voulaient sortir à tout prix. Il était donc temps d'avoir un débat sain sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne.
J'entends aussi certaines inquiétudes ici ou là sur les risques relatifs à l'organisation d'un referendum. Mais le referendum en Ecosse de 2014 a prouvé qu'un débat sain et raisonné était possible, et que lorsque les enjeux sont clairement définis, les électeurs répondent à la question qui leur est posée.
Le Premier ministre s'est exprimé clairement sur la question. Il souhaite que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne, et a même dit qu'il ferait campagne pour rester avec « tout son coeur et toute son âme ». Les personnes qui ont vécu au Royaume-Uni vous le confirmeront, c'est assez inhabituel de voir un Premier Ministre britannique passer son temps à vanter les mérites de l'Europe !
Notre vision est que le Royaume-Uni est plus prospère, plus sûr et plus fort dans l'Union européenne.
Plus prospère : L'enjeu économique est la préoccupation majeure des électeurs britanniques pour ce référendum (47%). Nous sommes plus prospères dans l'UE car les entreprises britanniques ont un accès sans entraves au marché intérieur européen de 500 millions de personnes. Près de la moitié de nos échanges économiques se font avec l'Union européenne et on estime que 3 millions d'emplois dépendent de notre appartenance à l'UE. Un départ serait donc un coup dur pour notre économie. De plus, pas moins de 53 accords commerciaux dépendent de l'UE, et peut-être bientôt le futur accord de libre-échange avec les États-Unis. Mais le Royaume-Uni contribue aussi à cette prospérité. Nous sommes la 5ème puissance économique du monde et attirons des investissements étrangers de Chine, d'Inde, des États-Unis, comme porte d'entrée vers l'UE. Nous animons le marché intérieur et souhaitons aller plus loin pour développer le marché des services ou le marché du numérique.
Plus sûr : Les attaques terroristes de Paris et de Bruxelles nous ont rappelé que nous faisons face à ces menaces ensemble, et que la coopération européenne est essentielle en matière de renseignement, de sécurité aérienne, de lutte contre le trafic d'armes, de réponse à la crise migratoire, ou encore de lutte contre la cybercriminalité. Un exemple concret: le mandat d'arrêt européen. En 2005, 56 jours après les attaques de Londres, l'un des terroristes impliqués a été retrouvé en Italie et nous avons pu le faire juger au Royaume-Uni grâce au mandat d'arrêt. Demain, le PNR nous permettra également d'appréhender de potentiels futurs terroristes.
Au niveau stratégique, le Royaume-Uni et la France sont les deux principales puissances militaires en Europe avec un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Le Royaume-Uni contribue à la sécurité de l'UE par notre capacité à agir sur la scène internationale. Nous sommes également l'un des seuls pays de l'OTAN qui consacre 2% de son PIB à la défense et 0,7% de son PIB à l'aide au développement, avec tout ce que cela implique.
Et puis, tout simplement, comme l'a récemment rappelé le Premier ministre, le Royaume-Uni a toujours été une puissance européenne, et ce qui se passe à côté de chez nous nous impacte nécessairement, comme ce fut le cas en 1914, en 1940 et en 1989. Et encore aujourd'hui en 2016.
Plus fort : car nous sommes à la table des négociations. Si nous sortons nous n'aurons plus notre mot à dire sur les décisions prises par l'UE, notre capacité d'influence sera limitée. Au sein de l'UE, nous avons notre propre contribution à apporter. Par exemple, sur les questions climatiques, le Royaume-Uni a été à l'avant-garde ces dernières années, en total soutien à la France pendant l'organisation de la COP21. Mon pays sera le pays le plus peuplé d'Europe d'ici 2050 (77 millions), notre économie et notre poids sur la scène internationale contribuent à la force de l'UE. J'espère que vous serez d'accord avec moi sur ce point.
Cependant, même dans le cas d'un vote pour rester dans l'Union européenne, il ne s'agit pas de rester demain dans la même Union Européenne qu'hier. Certes, nous ne ferons pas partie de tous les « noyaux durs » de l'Union européenne, comme la zone euro ou l'espace Schengen, mais nous avons la volonté de jouer un rôle pionnier dans d'autres domaines : le marché intérieur, le marché des services, le numérique, la recherche, le climat, l'énergie, le développement, les affaires étrangères et la défense.
Nous espérons d'ailleurs pouvoir approfondir notre coopération bilatérale en matière de défense, dans la lignée des accords de Lancaster House, qui est essentielle pour nous.
Vous le savez mieux que moi, tous ces arguments rationnels que j'avance sont une chose. Mais les gens voteront également en fonction de leurs émotions et de leur ressenti. Certains voient ce débat comme la dernière chance de réaffirmer la souveraineté nationale britannique. D'autres, qui ont peut-être connu la guerre, ou qui ont des liens de l'autre côté de la Manche, veulent à tout prix défendre l'Europe.
Nos principaux alliés, comme le Président Hollande, ainsi que le Président Obama, mais également les dirigeants de nos partenaires au sein du Commonwealth, ont tous exprimé leur souhait de voir mon pays rester dans l'UE.
Les prochaines semaines vont être déterminantes pour le futur de mon pays. Si, comme je le souhaite, le peuple britannique se prononce pour le maintien le 23 juin, ce sera l'occasion de cimenter notre appartenance à l'Union européenne, afin de devenir ou de redevenir un partenaire utile pour tous les pays européens, y compris la France, bien évidemment.
Si vous le souhaitez, je serai ravi de répondre à vos questions sur ce thème ou sur d'autres thèmes qui vous intéressent.
M. Christian Cambon. - Une décision de sortie pourrait entraîner l'organisation de référendums dans d'autres pays : Pays-Bas, Pologne, voire en France comme le propose certains membres de mon parti. Il y a là un danger de dislocation. Nous essayons de savoir ce que la France peut faire au cours des quatre prochaines semaines. Nous ne pensons pas non plus que les mises en garde soient très efficaces sur le peuple anglais. Le président Obama a déclaré qu'en cas de Brexit, le Royaume-Uni devrait attendre son tour pour un traité de libre-échange, après que l'Union européenne aura signé le sien. Certains estiment que la France devrait se manifester de manière plus affective, au-delà des considérations sur l'économie ou sur l'immigration, envers le peuple britannique.
M. Jeanny Lorgeoux. - Le débat sur le Brexit ne révèle-t-il pas une grave crise identitaire au Royaume-Uni, avec la question de l'indépendance de l'Ecosse, le problème irlandais qui couve sous la cendre, le communautarisme : n'êtes-vous pas, comme nous, soumis à un questionnement historique sur ce que nous sommes ?
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Dans l'hypothèse d'une sortie, qu'adviendrait-il de l'Ecosse ?
M. Jacques Legendre. - C'est au peuple britannique de décider : nous n'avons pas à intervenir. En revanche, il ne faut pas que les conditions que le Royaume-Uni poserait pour son maintien nuisent à ses partenaires. Vous n'avez pas évoqué votre politique migratoire. La situation du port de Calais, entouré de barbelés, est pour nous insupportable. Nous prenons ces précautions à la demande du Royaume-Uni, parce que la frontière a été fixée à Calais et non à Douvres. Nous avons le mauvais rôle, avec des no-borders britanniques qui viennent à Calais protester contre le Gouvernement français ! Comment comptez-vous faire évoluer cette situation ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - Quand on analyse les dysfonctionnements de l'Europe - Eurojust, Europol, Frontex -, on s'aperçoit qu'ils proviennent d'un manque de fédéralisme. Les opinions des pays européens contestent l'efficacité de l'Europe, mais c'est parce qu'il n'y a pas assez d'Europe qu'elle est inefficace !
Mme Josette Durrieu. - Quel sera l'avenir de l'unité du Royaume-Uni après le référendum ? Le fait, éventuellement, de rester dans l'Europe, sera-t-il assorti d'encore davantage d'exigences qu'actuellement envers ses partenaires ? Enfin, vous avez dit que le Royaume-Uni était un partenaire utile ; n'est-il pas un partenaire nécessaire, notamment en matière de défense ?
M. Raymond Vall. - La libération du département du Gers aurait été beaucoup plus difficile sans l'action essentielle des Britanniques et du célèbre corps de Winston Churchill. Dès 1942, des jeunes gens et des jeunes femmes et le colonel Starck y ont dirigé l'ensemble des parachutages sur le grand Sud-Ouest. L'Europe n'existerait peut-être plus sans les Britanniques.
Il y a 26 000 Britanniques en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Ils semblent plutôt favorables au maintien dans l'Union européenne : si le Royaume-Uni sort, aurons-nous une vague d'installation de Britanniques en France ?
Sir Julian King, ambassadeur du Royaume-Uni - Merci pour ces questions. J'inviterai mes collègues à répondre à celles qui portent sur la défense et la gestion des flux migratoires. Je vais commencer par répondre aux questions du sénateur du Gers, département que je connais bien. Dans quelques jours, j'aurai l'honneur de participer à la commémoration du débarquement et fin juin, au centenaire de la bataille de la Somme. C'est vrai, il faut rappeler l'Histoire, et le Premier ministre David Cameron l'a fait, mais nous aurions peut-être dû le faire davantage. Cette Histoire, qui constitue les fondations de l'Union européenne, nous la partageons. Nous n'avons sans doute pas assez rappelé le caractère « affectif » de ces liens qui nous unissent. Pour l'arrivée massive des Britanniques en France, le scénario que vous évoquez n'est pas celui du Gouvernement, qui est favorable au maintien de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne. Il y aura sûrement beaucoup de visiteurs britanniques en France mais ils viendront comme citoyens européens. On estime qu'en 2016, il y aura 20 millions de visites « britanniques » en France dont 500 000 pour la compétition de l'Euro de football. C'est en partie la réponse au sénateur Legendre sur les avantages et les inconvénients de l'accord sur le port de Calais. Si nous avons trouvé cet accord ensemble, c'était aussi pour faciliter le trafic dans les deux sens. La France vend beaucoup plus au Royaume-Uni que l'inverse et il y a également plus de visites « britanniques » en France. J'aimerai bien que cela se rééquilibre. 25 % de notre alimentation passe par le port de Calais. C'est un lien essentiel dans les deux sens. Je sais qu'il y a un problème en ce moment avec l'afflux migratoire, à Calais, de gens qui veulent passer au Royaume-Uni. Les travaux de sécurisation du port que nous avons réalisés ensemble - ils ont été en partie financés par le Gouvernement Cameron - sont assez efficaces, mais il reste à régler ensemble un problème humanitaire, un problème pour les riverains, un problème d'économie illégale avec les « passeurs ». Ce sont des choses que nous traitons ensemble dans le Nord de la France, mais pas seulement. Un de mes collègues vous parlera de ce que nous faisons ensemble en amont pour lutter contre les causes de ces flux migratoires. Sur l'identité du Royaume-Uni et l'avenir du pays, c'est vrai que nous avons soulevé des questions précises dans le référendum et dans l'accord que nous avons trouvé ensemble sur le fonctionnement de l'Union européenne. Nous vivons une crise rurale. Il existe toute une population en dehors des grandes villes qui se pose des questions et qui se sent laissée de côté par un monde globalisé qu'elle ne comprend pas. C'est d'autant plus important pour nous de gagner ce référendum, que nous voulons bâtir, de l'intérieur, une Union européenne qui sera mieux à même de régler ces problèmes. Risque-t-on un éclatement du pays ? Pour le moment, non. La question écossaise a été réglée par référendum, un outil que nous venons de découvrir. C'est la troisième fois qu'on l'utilise. Le parti nationaliste écossais s'est déclaré clairement pour le maintien de l'Ecosse dans le Royaume-Uni. Sur la question, y aura-t-il plus de demandes de notre part après le référendum et le maintien dans l'Union européenne ? Honnêtement, je pense que oui parce que les questions que nous avons soulevées sont des questions importantes pour nous, mais pas seulement. Sur la question de la compétitivité, l'Union européenne n'a pas fait assez pour être plus compétitive dans le monde. Il faut faire plus, notamment dans le domaine numérique. Sur la question de la souveraineté, nous pensons qu'il faut des décisions prises plus près des citoyens pour qu'elles leur paraissent plus légitimes. Sur la question de la zone euro ? Nous ne sommes pas contre la zone euro, ni contre son évolution. Il faut cependant régler les relations entre les pays du noyau dur, comme ceux de la zone euro, et les autres, car nous voulons une Europe à vingt-huit, même s'il y a des groupes pionniers dans plusieurs domaines. Les questions que nous avons soulevées sont celles que nous devons traiter après le vote en faveur du maintien dans l'Union européenne et nous voulons les régler avec vous et d'autres partenaires. Nous ne ferons pas partie de tous les noyaux durs, notamment pas celui de la zone euro et de l'espace Schengen dans tous ses détails, mais nous aimerions faire partie des noyaux durs dans plein d'autres domaines, y compris pour les affaires étrangères et les questions liées à la défense. Je laisse la parole à mes collègues pour parler des questions d'immigration et de notre coopération de défense.
M. Nicholas Williams, conseiller aux affaires stratégiques - S'agissant des défis liés aux migrations, il y a les aspects internes et les aspects externes. Concernant les aspects externes, il faut pouvoir travailler en amont. C'est un domaine où le Royaume-Uni et la France coopèrent étroitement. Je pense en particulier à la Syrie et à la Libye. Nous faisons partie des acteurs qui essayent de trouver une solution politique durable en Syrie, notamment pour améliorer la situation humanitaire sur le terrain. C'est en effet une des causes principales des flux migratoires. Il s'agit d'un domaine dans lequel nous devons continuer à travailler ensemble. Concernant la Libye, nous sommes actuellement en train de renforcer nos moyens pour faire face au défi migratoire. Il y a un effort commun qui est mené pour élargir le mandat des forces navales présentes en Méditerranée. Il faut aussi travailler davantage en amont avec les pays de transit et les pays sources, au niveau européen mais aussi au niveau national. L'Ambassadeur a mentionné les aides importantes que nous apportons à ces pays.
Général de brigade aérienne Paul Lyall, attaché de défense - Il me semble que la sécurité et la défense de notre pays sont indissociables de la sécurité et de la défense des autres pays européens. C'est une donnée qui ne changera pas avec le référendum, quel que soit son résultat. Le Royaume-Uni n'a pas les moyens d'agir seul pour sa défense, pas plus que la France. Nous cherchons donc les partenariats les plus pragmatiques et les plus efficaces. L'OTAN et l'UE sont des partenaires importants, et nous voyons une complémentarité entre les deux. Il y a également les Etats-Unis, et bien sûr la France. Nous avons monté un exercice commun en Angleterre il y a quelque semaine pour montrer l'efficacité de l'effort bilatéral, avec 2000 troupes sur le terrain. J'ai été frappé par la volonté des soldats britanniques et français de travailler ensemble. Nous souhaitons aussi coopérer davantage avec les Allemands. Un problème qui se pose est la convergence de nos bases industrielles de défense. Nous serons de plus en plus efficaces à l'avenir si nous apprenons à fabriquer et à exporter ensemble. Il s'agit d'un défi difficile mais déterminant pour l'avenir.
M. Christian Cambon. - Je voudrais vous remercier, Monsieur l'Ambassadeur, ainsi que l'ensemble de votre équipe, pour cette analyse très détaillée qui nous a permis de mieux saisir les enjeux du débat. David Cameron a fait preuve de courage en prenant l'initiative de ce référendum. Dans des dossiers aussi épineux, je crois qu'à un certain moment, il ne faut pas hésiter à recourir à l'expression de la démocratie. Je voudrais également souligner que la coopération franco-britannique est à nos yeux un outil très précieux pour la sécurité de notre pays et de l'Europe. Le 12 juillet, nous aurons d'ailleurs une rencontre avec la Chambre des Communes et la Chambre des Lords pour faire le bilan du traité de Lancaster House. J'espère que cette rencontre aura lieu dans un cadre apaisé qui nous permettra d'ouvrir une nouvelle phase de notre coopération. Lors de notre voyage à Londres, nous avons senti que les exigences du Royaume-Uni seraient fortes à l'issue du référendum.
Je voudrais vous poser une question : en cas de Brexit - cas que nous ne souhaitons pas - que se passerait-il au niveau politique ? Boris Johnson, en particulier, mène une campagne très dure pour le Brexit. Faudrait-il attendre un changement de gouvernement en cas de victoire du « Leave »?
Sir Julian King - Concernant d'abord la coopération en matière de défense, je tiens à signaler que le contrat de vente de sous-marins à l'Australie que la France vient de remporter est une autre preuve de la collaboration très étroite entre nos deux pays en matière d'armement. Les sous-marins en question sont en effet dotés d'un sonar qui est fabriqué dans notre pays, nous sommes donc heureux que vous ayez obtenu ce contrat.
Concernant les conséquences politiques d'un Brexit, le gouvernement britannique ne se situe pas dans un tel scénario, mais dans l'hypothèse où il se réaliserait, la situation sera très difficile. Il faudra du temps pour en gérer les conséquences. C'est ce que j'ai dû expliquer aux citoyens britanniques en France, qui sont naturellement inquiets. Un vote pour la sortie déclencherait une procédure sans précédent. Jusqu'à aujourd'hui, seul le Groënland est sorti de l'UE, mais on n'a pas eu recours dans ce cas à l'article 50. L'article évoque des négociations susceptibles de durer deux ans, mais je pense pour ma part que cela risque d'être plus long. Dans l'hypothèse d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, je ne suis pas persuadé que ce serait le moment de tout changer au niveau politique chez nous. En tout cas, la position aussi bien des partisans de la sortie que du maintien est qu'il n'y aura pas d'effet immédiat sur le gouvernement.
Mme Hélène Conway-Mouret. - En vous écoutant, il me vient à l'esprit un regret émis par l'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing à propos de l'Europe. Il faisait remarquer que dans le cadre du grand marché commun, les Etats semblaient n'avoir pas réalisé qu'ils devaient venir avec un panier plein, et non venir avec un panier vide dans le seul but de le remplir sur le dos de leurs partenaires, pour se targuer ensuite devant leurs opinions publiques des gains obtenus. Il faut prendre conscience que nous avons beaucoup à nous apporter les uns aux autres. Le Royaume-Uni en particulier a un rôle à jouer dans les réformes dont nous avons besoin en Europe. Nous avons besoin des Britanniques pour réformer l'UE et la rapprocher des citoyens. Ceci ne passe pas seulement par les questions économiques ou de migration, mais touche à la vie quotidienne des citoyens, pour lesquels l'Europe a beaucoup à faire.
Sir Julian King - Nous espérons qu'après le 23 juin, nous pourrons nous revoir pour discuter des réformes à faire ensemble. Je rappellerai seulement que nous restons la cinquième économie mondiale et le deuxième contributeur net au budget européen. Les questions économiques ne sont pas les seules qui comptent, mais notre contribution économique est tout de même importante.
La réunion est levée à 12 h 06.