- Mardi 17 mai 2016
- Audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Insee
- Audition de MM. Jean Bassères, directeur général, Stéphane Ducatez, directeur des statistiques, des études et de l'évaluation, de Pôle emploi, et de Mmes Selma Mahfouz, directrice, Corinne Prost, cheffe de service, adjointe à la directrice, de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (Dares)
- Jeudi 19 mai 2016
Mardi 17 mai 2016
- Présidence de Mme Anne Emery-Dumas, présidente-La réunion est ouverte 14 h 35.
Audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Insee
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Nous entendons M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Il est accompagné de Mme Chantal Cases, directrice des statistiques démographiques et sociales, et de Mme Anne-Juliette Bessone, cheffe de la division synthèse et conjoncture du marché du travail. Un questionnaire préalable vous a été transmis ; je donnerai donc directement la parole au rapporteur, Philippe Dallier, puis aux membres de la commission d'enquête. Cette audition vise à éclairer la commission sur les modalités d'établissement par l'Insee des statistiques en matière d'emploi et de chômage et, en particulier, de l'enquête emploi que vous publiez trimestriellement.
Cette audition est ouverte à la presse et sera captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Luc Tavernier, Mme Chantal Cases et Mme Anne-Juliette Bessone prêtent successivement serment.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - L'Insee comptabilise les chômeurs sur une période de trois mois, Pôle emploi sur un mois. Comment effectuez-vous l'enquête-emploi ? Vous interrogez environ cent mille personnes ; dans quelles conditions ? Qui effectue l'enquête ? Comment les personnes sont-elles sélectionnées puis contactées ? Les entretiens se font-ils en face-à-face ?
M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Insee. - Comme toutes les enquêtes auprès des ménages, l'enquête emploi est menée par les enquêteurs de l'Insee, qui sont contractuels de droit public depuis le 1er janvier 2013 ; ils sont au nombre d'un millier environ, soit 700 équivalents temps plein. L'échantillon est tiré au sort par nos méthodologues. Nos enquêteurs se déplacent au logement de la personne ; en général, ils effectuent d'abord un repérage, laissent un mot puis reprennent contact. Il y a une dimension panel : les mêmes personnes sont interrogées six trimestres de suite : la première fois en face-à-face, chez la personne, les quatre fois suivantes par téléphone puis à nouveau en face-à-face, la sixième fois.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner des exemples de questions posées ? Les personnes qui nous saisissent sur Internet se plaignent, en ce qui concerne Pôle emploi, de ne pas toujours comprendre les questions posées, au point de devoir cocher la case « autre cas », faute de savoir comment répondre... Rencontrez-vous aussi ce type de difficulté ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Toutes les questions ne sont pas posées à tout le monde, puisqu'il y a une arborescence dans le questionnaire. Le premier entretien, en face-à-face, sert à dissiper les malentendus. Les enquêteurs sont formés chaque année. Grâce à un retour régulier des enquêteurs auprès de la maîtrise d'ouvrage, on sait quelles questions passent plus ou moins bien ; c'est ce qui a conduit à modifier le questionnaire en 2013. Nous essayons toujours d'optimiser !
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Posez-vous les mêmes questions lors des six entretiens ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Oui. Les questions portent sur le cadre général - « avez-vous travaillé ? » - et sur les critères de l'activité au sens du Bureau international du Travail (BIT) : recherche active d'emploi, temps partiel, etc., car il s'agit bien d'une enquête emploi, pas d'une enquête chômage.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Qu'entendez-vous par maîtrise d'ouvrage ?
M. Jean-Luc Tavernier. - C'est le département de l'emploi et des revenus d'activité de l'Insee qui pilote l'enquête, avec des enquêteurs dans toute la France.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Vous prenez une semaine de référence par trimestre. Est-ce la même pour tous les enquêteurs ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Les enquêtes sont lissées au cours du trimestre, pour une meilleure représentativité : on n'aura pas le même résultat en août ou en septembre ! On fixe toujours la semaine de référence deux semaines avant la date de l'interrogation. Nous essayons de couvrir toutes les semaines de l'année, d'une part pour éviter les biais liés à la saisonnalité, qui peuvent être forts, d'autre part parce que le nombre d'enquêteurs est limité.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Jusqu'en 2008, l'Insee publiait des statistiques mensuelles ; elles sont désormais trimestrielles. Était-ce trop compliqué à établir ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Jusqu'en 2008, l'enquête emploi était représentative sur la périodicité annuelle uniquement. En attendant le résultat, on extrapolait les données de l'année précédente en utilisant les demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM) comptabilisés par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
En 2006-2007, alors que la chronique des DEFM faisait apparaitre une baisse, la donnée annuelle de l'enquête-emploi s'est révélée très supérieure : l'extrapolation n'était pas bonne. Face à la demande sociale d'information, l'Insee - le contribuable ! - a consenti un effort en augmentant l'échantillon de l'enquête pour le rendre plus représentatif et donner ainsi un taux de chômage pertinent, avec un intervalle de confiance à 95 % : on a 95 % de chance d'être à plus ou moins 0,3 point autour du taux publié. Il faut arbitrer entre précision et coût : nous sommes passés à une enquête emploi en continu, mais fournir une enquête emploi pertinente au niveau mensuel exigerait de tripler le nombre de personnes interrogées chaque mois.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Quel serait le coût supplémentaire ?
M. Jean-Luc Tavernier. - L'enquête emploi coûte environ 20 millions d'euros ; ce coût triplerait, et il faudrait en outre augmenter le plafond d'emploi de l'Insee.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - D'autres pays européens offrent-ils un degré de précision supérieur ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Il y a de tout, beaucoup de systèmes hybrides... Eurostat publie un taux de chômage mensuel en se calant sur le taux Insee trimestriel et en extrapolant à partir de la statistique administrative des DEFM. Méthode que nous avons abandonnée, car ces deux mesures - données administratives et données d'enquête - sont de nature différente. Une telle extrapolation n'apporterait pas d'autre information que l'évolution des DEFM, déjà largement documentée et qui peut en outre être perturbée par des phénomènes administratifs ou par le fonctionnement de Pôle emploi.
Nous améliorons nos données de production et réalisons des gains de productivité. Nous nous apprêtons ainsi à publier le taux de chômage sept semaines après la fin du trimestre, au lieu de neuf semaines. Ainsi, pour le premier trimestre 2016, il sortira avant les données de Pôle emploi pour le mois d'avril.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Quels sont, à vos yeux, les statistiques les plus efficientes pour comparer les politiques européennes ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Pour les comparaisons internationales, les données du taux de chômage au sens du BIT, publiées par Eurostat, sont bien plus pertinentes que les statistiques administratives. Les méthodes varient en effet beaucoup dans la statistique européenne : on nous demande avant tout un résultat. Les chiffres de population, de PIB sont obtenus avec des méthodes très différentes selon les pays. L'enquête emploi est sans doute la plus encadrée, avec un questionnaire et un modus operandi assez largement harmonisés, encore que l'Allemagne, par exemple, ne conduise pas d'interrogations chaque semaine.
M. Georges Labazée. - L'Insee est reconnu au niveau européen comme une référence incontestable. Les instituts étrangers, notamment notre voisin espagnol, s'inspirent-ils de votre méthodologie ? Sollicitent-ils votre ingénierie ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Le travail se fait plutôt au niveau multilatéral : outre des réunions stratégiques avec mes homologues, il y a des task forces, des groupes de travail. Tous les pays européens participent par exemple à la réflexion sur l'évolution du questionnaire. Nous n'avons pas de collaboration spécifique avec l'Espagne sur les méthodes de sondage ; je n'ai pas de raison de douter de la qualité de leurs données. En revanche, nous regardons avec attention les pays qui expérimentent les enquêtes sur Internet, que nous réservons quant à nous aux enquêtes auprès des entreprises. Les résultats obtenus par ces nouveaux modes de collecte sont très variables, très heurtés. Bref, le système n'est pas mûr pour l'instant, tant les données obtenues exigent d'être retraitées.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - L'enquête par Internet permettrait d'élargir votre panel à moindre coût.
M. Jean-Luc Tavernier. - Certes. Les Pays-Bas s'y essayent, mais ont dû considérablement recaler les résultats.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Où se situent les risques en termes de fiabilité des chiffres ? Avez-vous une procédure d'alerte en cas d'incident, comme celle qu'a dû mettre en place Pôle emploi après le fameux bug SFR ?
M. Jean-Luc Tavernier. - En régime courant, il n'y a guère de risque de process pour l'enquête-emploi -sauf à imaginer une gigantesque panne informatique. Avec 95 % de chances d'être à plus ou moins 0,3 point, on a deux chances sur trois d'être à plus ou moins 0,1 point... Mais on peut aussi se retrouver en « queue de distribution » de l'erreur d'échantillon, à plus ou moins 0,4. Ne renouveler l'échantillon que par sixième est sans doute facteur d'inertie et limite les risques.
Je souhaite également soulever un problème structurel, qui pourrait faire l'objet d'un amendement parlementaire. Les enquêteurs de l'Insee n'échappent pas au sentiment croissant de défiance envers les agents publics et ont de plus en plus de mal à se faire ouvrir la porte ; résultat, le taux de réponse baisse dans certaines agglomérations. Ils souhaiteraient disposer d'un « vigik », comme les facteurs ou les pompiers, pour accéder aux immeubles - ce qui suppose de modifier la loi. L'amendement est tout prêt, s'il vous intéresse.
M. Michel Raison. - Méfiance !
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Tous les maires qui procèdent au recensement connaissent le problème.
M. Jean-Luc Tavernier. - Nous avons observé une rupture de série début 2013, à un moment à la fois de refonte de la chaîne informatique, de légère modification du questionnaire et de « choc métier », l'accès au statut de contractuel de droit public ayant conduit à une baisse transitoire du nombre d'enquêteurs sur le terrain, due notamment à l'impossibilité de cumul avec un autre emploi. De ces trois éléments, il s'est avéré que c'était surtout l'évolution du questionnaire qui modifiait, de quelques dixièmes de point, la réponse globale. Dans un cas pareil, il faut communiquer le plus largement possible. Depuis, la série a été rétropolée, avec un nouveau questionnaire.
Mme Élisabeth Lamure. - Nous avons beaucoup de données relatives au marché du travail et de l'emploi, mais pas de source administrative centralisée. Quel outil serait susceptible de centraliser et d'exploiter ces données ? Comment font nos voisins ?
M. Jean-Luc Tavernier. - En matière d'emploi, les données fondées sur la statistique administrative sont incontestables : après la déclaration annuelle de données sociales, la déclaration sociale nominative (DSN) mensuelle, qu'il faudra bien sûr corriger, sera une mine d'informations homogènes. En matière de chômage, les choses sont plus compliquées : il y a un dilemme entre la statistique administrative, certes exhaustive mais qui reflète des comportements très différents, et notre enquête qui utilise les critères au sens du BIT mais qui, par nature, ne peut concerner qu'un échantillon réduit.
M. Éric Doligé. - Vos homologues européens se posent-ils les mêmes questions ? La compréhension des questions est-elle meilleure dans d'autres pays ? Quelle est la marge d'erreur ?
M. Jean-Luc Tavernier. - La statistique européenne est régulée par l'obligation d'arriver au même résultat ; les moyens d'y arriver relèvent de la subsidiarité. Cela dit, le questionnaire emploi, régi par les textes européens, ne varie guère d'un pays à l'autre. Le degré de précision est lié à la taille de l'échantillon, elle-même liée au coût de l'enquête, plus élevé proportionnellement pour un petit pays que pour un grand.
Les questions sont-elles plus ou moins bien comprises selon les pays ? Je ne saurais répondre. Nous regardons attentivement les pays qui mènent les enquêtes par Internet et menons des expérimentations en ce domaine, mais pour l'instant, l'outil n'est pas stabilisé.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Comment analysez-vous les écarts constatés avec les chiffres de Pôle emploi ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Le propre de l'Insee est d'être à la fois économiste et statisticien. Chaque trimestre, nous regardons si les chiffres qui ressortent de l'enquête sont cohérents avec les données de Pôle emploi sur le même trimestre, avec l'augmentation spontanée de la population active, etc. Nous ne cherchons pas à assurer à tout prix cette cohérence, car nous sommes conscients que nous ne mesurons pas la même chose - les dispenses de recherche d'emploi ou le découragement des chômeurs âgés, par exemple, peuvent jouer dans un sens ou dans l'autre. Cela dit, il peut y avoir une divergence sans raison économique, comme ce fut le cas en 2006-2007 ou en 2013-2014.
La réponse consiste alors à récupérer les données individuelles pour tenter de comprendre si les personnes interrogées répondent de façon cohérente. Un vrai travail de bénédictin...
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Comment faites-vous, concrètement ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Après avoir obtenu l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), il faut faire un appariement - sachant que nous ne conservons pas le nom des personnes mais seulement leur prénom et adresse ! Ce travail très lourd, que nous avons mené en 2006-2007, a fait apparaître des incohérences difficiles à expliquer entre l'enquête et les chiffres de Pôle emploi, et nous n'avons jamais réussi à publier un résultat... Nous ne nous décourageons pas pour autant et avons fait une nouvelle demande auprès de la Cnil pour nous y atteler à nouveau.
M. Michel Raison. - Vous avez évoqué le manque de civisme auquel se heurtent vos enquêteurs. Avez-vous dressé une carte du non-civisme en France ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Les départements que vous représentez sont exemplaires, bien sûr !
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je sais pour ma part combien le recensement est compliqué en Seine-Saint-Denis.
M. Jean-Luc Tavernier. - En effet, il y a une moindre bénévolence envers les agents publics dans certaines zones urbaines et les taux de réponses, qui s'amélioraient tendanciellement, sont en berne aux confins des agglomérations. En outre, le nouveau statut des enquêteurs qui prévoit une grille de rémunération fixe, au seuil très bas, ne facilite pas le recrutement et la fidélisation des enquêteurs, notamment dans l'agglomération parisienne.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - M. Dominique Bureau, président de l'Autorité de la statistique publique (ASP), nous a dit souhaiter une évaluation de toute modification de la méthode de chiffrage du chômage et des demandeurs d'emploi. Savez-vous évaluer l'impact d'un changement de méthode ?
M. Jean-Luc Tavernier. - À sa place, je dirais la même chose ! La question est celle de la faisabilité. Lorsque nous avons modifié le questionnaire en 2013, des tests ont été réalisés sur quelques centaines d'interrogations - ce qui était manifestement insuffisant. Il faudrait idéalement réaliser l'enquête deux fois, sur le même trimestre, auprès des mêmes personnes - ce qui ne serait pas sans poser des questions de moyens et d'acceptabilité...
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Les statistiques de l'Insee pourraient-elles être labellisées par l'ASP ? N'y a-t-il pas actuellement un risque de conflit d'intérêt, le comité du label étant composé largement de représentants de l'Insee ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Dans un monde idéal, il y aurait une muraille de Chine entre les statisticiens publics et les certificateurs extérieurs qui donnent leur quitus. Mais là aussi, le pragmatisme s'impose... Les collaborateurs de l'Insee qui siègent au comité du label sont d'une intégrité à toute épreuve, la collégialité fonctionne ; bref, il n'y a pas de lacune avérée. Évitons donc de mobiliser deux fois plus de compétences que nécessaire !
L'ASP a le pouvoir et le devoir de labelliser ou non les statistiques hors du champ de la statistique publique, comme celles de Pôle emploi. Avec l'assistance de l'inspection générale de l'Insee, elle fait des recommandations sur la communication autour des chiffres des DEFM. Pour ma part, je rapporte chaque année devant l'ASP ; j'ai en outre été auditionné lors des problèmes rencontrés en 2013.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Les moyens de l'ASP étant faibles, elle doit s'en remettre à d'autres. Peut-elle dès lors porter un regard véritablement indépendant ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Le monde de la statistique publique est composé de gens qui ont fréquenté les mêmes écoles, exercé le même métier... Même avec un staff dédié, il serait difficile d'éviter les conflits d'intérêts, tant le métier est spécialisé.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - On peut avoir cessé d'exercer le métier au moment où l'on endosse l'habit de certificateur !
M. Jean-Luc Tavernier. - Au président et aux membres du collège de dire s'ils estiment être menés par le bout du nez...
Mme Chantal Cases, directrice des statistiques démographiques et sociales - Le comité du label ne comporte pas que des représentants de l'Insee mais aussi des chercheurs, des représentants des syndicats, de la Cnil...
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Sous quelles conditions l'Insee pourrait-il envisager de publier des taux de chômage régionaux ?
M. Jean-Luc Tavernier. - Il le fait déjà.
Mme Anne-Juliette Bessone, cheffe de la division synthèse et conjoncture du marché du travail. - L'Insee publie des taux de chômage trimestriels régionaux et départementaux, en employant une méthodologie spécifique. Le règlement européen sur les enquêtes emploi veille à la représentativité des échantillons localisés. Pour produire des estimateurs trimestriels sur des échelons aussi fins, nous réalisons des estimations à partir des données de l'enquête emploi nationale et des DEFM. Ces taux de chômage ne sont pas estampillés comme étant des taux de chômage au sens du BIT mais bien comme des taux localisés. Le site de l'Insee précise ces écarts conceptuels.
M. Jean-Luc Tavernier. - C'est une méthode hybride, malheureusement, puisque nous utilisons l'information des DEFM - non en évolution mais en structure. L'application du règlement européen pose difficulté dans certaines petites régions. Ainsi, la Corse est intéressée au taux de chômage des moins de 25 ans, susceptible d'ouvrir l'accès aux fonds structurels européens... Or nous avons un problème de représentativité - sans parler des départements et collectivités d'outre-mer.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Avez-vous abandonné l'idée de publier un chiffre mensuel du chômage ? Le rythme trimestriel est-il plus sûr ?
M. Jean-Luc Tavernier. - La question se pose dans d'autres domaines de la statistique, comme la sécurité, où notre enquête Cadre de vie et sécurité donne des résultats différents des données enregistrées par la police et la gendarmerie. L'optimum de premier rang est de ne pas faire de rétention d'information, et d'éduquer le public ! Proscrire la publication mensuelle des DEFM, comme l'ont préconisé certains à l'ASP, me semble chimérique. Je suis pragmatique : les deux données existent, il faut vivre avec cette dualité. Les journalistes savent que la statistique administrative est plus volatile que l'enquête emploi ; reste que l'information à fréquence mensuelle s'impose dans les médias...
L'autre optimum serait que vous nous donniez les moyens de réaliser une enquête mensuelle - mais je n'y crois pas. Est-ce d'ailleurs le meilleur emploi à faire de 40 millions d'euros ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. - À moins que vous n'y parveniez en conduisant l'enquête sur Internet...
M. Jean-Luc Tavernier. - Nous y travaillons, mais c'est une perspective à très long terme ! Pour l'heure, aucun pays n'y est parvenu.
Mme Chantal Cases - Peut-être d'ici 2020-2021 ? Je l'espère !
M. Jean-Luc Tavernier. - Je ne m'engagerai pas sur cette date !
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Merci.
Audition de MM. Jean Bassères, directeur général, Stéphane Ducatez, directeur des statistiques, des études et de l'évaluation, de Pôle emploi, et de Mmes Selma Mahfouz, directrice, Corinne Prost, cheffe de service, adjointe à la directrice, de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (Dares)
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, qui est accompagné de M. Stéphane Ducatez, directeur des statistiques, des études et de l'évaluation de Pôle emploi, de Mme Selma Mahfouz, directrice l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, la Dares, et de Mme Corinne Prost, cheffe de service, adjointe à la directrice, de la Dares.
Un questionnaire vous a été transmis, mesdames, messieurs, préalablement à cette réunion. Je laisserai donc directement la parole au rapporteur et aux membres de la commission, afin qu'ils puissent vous interroger sur la base des réponses apportées par vos soins.
Cette audition doit nous permettre de mieux appréhender les problématiques et enjeux liés aux statistiques mensuelles des demandeurs d'emploi établies par Pôle emploi et la Dares. Il serait en outre utile de connaître les rôles respectifs de ces organismes dans ce processus.
Je précise que cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et donnera lieu à la publication d'un compte rendu.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean Bassères, Stéphane Ducatez et Mmes Selma Mahfouz et Corinne Prost prêtent serment.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Quelles conclusions avez-vous tiré de l'épisode du « bug » SFR ? Les réponses au questionnaire qui vous a été adressé sont assez détaillées. Pouvez-vous néanmoins revenir sur cet événement avant d'aborder d'autres sujets ?
M. Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi. - Pour comprendre l'origine du « bug SFR » - un très mauvais souvenir pour nous -, il faut avoir en tête le processus d'actualisation. Celui-ci, très encadré en termes de calendrier, prévoit un dispositif de relance -au onzième jour- des personnes n'ayant pas actualisé leur situation qui passe le plus souvent par l'envoi d'un SMS.
En septembre 2013, nous avons enregistré un nombre très important d'absences d'actualisation au titre du mois d'août 2013. Nous en avons recherché les causes, mais en nous concentrant sur des éléments de la chaîne très internes à Pôle emploi. N'ayant rien trouvé, nous avons signalé avec la DARES, dans notre publication mensuelle, qu'un nombre important de personnes n'avaient pas actualisé leur situation. Quelques jours après, nous apprenions que des SMS n'avaient pas été envoyés : SFR avait eu un incident technique, ne nous en avait pas informés, et nous-mêmes -je m'en fais encore le reproche- n'avions pas été en mesure de nous en rendre compte.
Nous nous sommes immédiatement mis eu travail, avec la Dares, pour essayer de comprendre la nature de l'incident et ses conséquences sur les chiffres publiés, même si, d'un point de vue strictement formel, nous avions bien communiqué le nombre exact de personnes inscrites à Pôle emploi en fin de mois.
Nous avons fait immédiatement un communiqué de presse sur le sujet.
Ce bug a eu deux conséquences. D'une part, il a marqué le début d'importantes difficultés de communication pour Pôle emploi, car nous avons perdu en crédibilité, alors même que nous pensons avoir progressé, au cours des dernières années, dans la qualité de cette statistique ; d'autre part, nous avons instauré un processus très cadré de surveillance de cette période d'actualisation.
Nous rencontrerons sans doute d'autres difficultés techniques à l'avenir, mais je souhaite que nous soyons en mesure de les détecter en temps utile, afin d'éviter de publier une information le mercredi pour devoir la démentir trois jours plus tard.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Qui était l'expéditeur du SMS, Pôle emploi ou SFR ?
M. Jean Bassères. - SFR a emporté un marché public et c'est en tant qu'opérateur sous-traitant qu'il gère, pour nous, l'envoi des SMS de relance. La procédure de relance existe depuis 1995.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Les chiffres que vous établissez sont très liés aux comportements des inscrits à Pôle emploi. Or nous avons quelques inquiétudes quant à la clarté des instructions. Certains internautes, par exemple, nous indiquent avoir des difficultés à comprendre ce que signifie précisément : « Êtes-vous immédiatement disponible ? ». Avez-vous récemment réfléchi à votre manière d'interroger les personnes ?
M. Jean Bassères. - Nous avons réfléchi, avec la Dares, à la simplification du calendrier d'actualisation. Jusqu'à l'année dernière, celui-ci était établi en jours ouvrés et la date changeait tous les mois. Désormais, il est impossible d'actualiser son dossier au-delà du 15 du mois suivant.
S'agissant du sujet précis que vous évoquez, la clarté des questions posées, nous devons tout particulièrement nous pencher sur les réinscriptions à Pôle emploi, mal cernées dans notre questionnaire. Nous avons une rubrique « autres cas » dans les motifs d'inscription à Pôle emploi qui totalise 40 % des réponses. Ce résultat peu satisfaisant est essentiellement dû aux réinscriptions. C'est donc un travail que nous devons mener, avec, comme objectif, de ramener le taux des réponses « autres cas » à 15 % d'ici à 2017.
Mme Selma Mahfouz, directrice de l'animation de la recherche, des études et des statistiques. - Les chiffres issus de Pôle emploi sont obtenus à partir des données administratives relatives aux inscrits sur les listes de l'organisme. L'autre source d'information sur le chômage est l'enquête menée par l'Insee, par le biais de questionnaires, sur l'emploi au sens du BIT. Il faut, monsieur le rapporteur, avoir en tête que votre question se pose aussi, voire encore plus, dans ce cadre-là.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Certes, mais il faut bien que les personnes interrogées aient compris les questions pour que vous puissiez établir des statistiques se rapprochant le plus de la réalité !
Mme Selma Mahfouz. - Le fait de poser des questions aux gens soulève, en soi, de nombreuses interrogations quant à la façon dont ces questions vont être comprises.
M. Jean Bassères. - La question sur la disponibilité à laquelle vous faites référence, monsieur le rapporteur, ne me semble pas figurer dans le questionnaire d'actualisation de Pôle emploi. On déduit la disponibilité de données objectives fixées par la loi.
M. Stéphane Ducatez, directeur des statistiques, des études et de l'évaluation de Pôle emploi. - Lors de l'actualisation, nous interrogeons les demandeurs emploi sur leur activité au cours du mois précédent. Mais, effectivement, nous ne les questionnons pas sur leur disponibilité, cette donnée relevant plutôt de l'enquête de l'Insee.
M. Jean-Louis Tourenne. - Les différences entre les indicateurs nous ont été expliquées à plusieurs reprises. Mais s'il n'en fallait qu'un, lequel devrait-on retenir ? Y a-t-il un chiffre que nous pouvons considérer comme bon ?
M. Jean Bassères. - Si l'on cherche à établir des comparaisons dans le temps et l'espace, c'est l'indicateur de l'Insee sur le chômage qu'il faut retenir. Notre indicateur, lui, concerne le nombre d'inscrits à Pôle emploi.
On cherche en permanence à comparer ces deux statistiques, mais elles ne sont pas établies selon les mêmes méthodes et mesurent des phénomènes différents.
Nous sommes confrontés à une difficulté supplémentaire : l'évolution du nombre de demandeurs d'emploi inscrits en catégorie A à Pôle emploi - c'est la donnée qui se rapproche le plus de la définition du BIT - diverge de l'évolution de cette dernière depuis 2013, sans que nous ne parvenions à expliciter cette différence de trajectoire.
M. Éric Doligé. - Il serait souhaitable de préciser, dans un tableau, les compétences de chacun des organismes et les résultats que l'on attend d'eux. Cela permettrait de clarifier la situation et d'éviter que l'on ne retrouve, dans les gros titres, des chiffres ne correspondant pas à la réalité.
Mme Selma Mahfouz. - La plupart des pays ont recours à deux indicateurs : un indicateur trimestriel au sens du BIT, comme celui à partir duquel le taux de chômage est calculé en France, et un indicateur mensuel, extrait des données administratives de l'organisme, tel Pôle emploi, gérant l'indemnisation et l'accompagnement des chômeurs.
Je voudrais revenir sur la définition du chômage donnée par le BIT. Celle-ci est très stricte : la personne doit ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu'une heure, pendant la semaine de référence - celle qui précède la tenue de l'enquête -, avoir été en recherche active d'emploi dans le mois précédent et être disponible sous quinze jours.
Effectivement, cette donnée présente l'avantage d'être comparable dans le temps et dans l'espace, ce qui en fait une statistique intéressante pour un économiste. En revanche, contrairement aux données de Pôle emploi, elle n'a pas le mérite de l'exhaustivité.
L'enquête sur l'emploi distingue trois états : inactif, en emploi ou au chômage. Toutefois, une personne pourra être considérée comme inactive si, par exemple, elle souhaite travailler, mais n'est pas immédiatement disponible. Il existe donc une sorte de « halo » du chômage, constitué d'inactifs au sens du BIT, qui sont en recherche d'emploi, voire, pour certains, inscrits à Pôle emploi, ou d'actifs en sous-emploi.
Un indicateur est-il meilleur que l'autre ? Tous deux donnent en fait un éclairage différent sur la réalité complexe du chômage.
Les indicateurs au sens du BIT reposent sur une définition précise, harmonisée aux niveaux européen et international. Ils sont moins sensibles à tous les phénomènes pouvant affecter l'inscription à Pôle emploi. Mais, issus d'une enquête, ils n'ont pas de caractère exhaustif, exigent un délai de restitution, sont établis trimestriellement, comportent une marge d'incertitude et sont plus coûteux à produire. En outre, comme je viens de le signaler, la définition, assez stricte, nécessite d'être complétée.
La statistique tirée des inscriptions à Pôle emploi nous offre un reflet de la réalité et de la diversité des situations, au travers de données disponibles rapidement, à un coût plus faible. Mais ces données ne sont pas comparables au niveau international et demeurent sensibles aux comportements des demandeurs d'emploi.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Nous avons bien compris qu'il existait deux chiffres, calculés selon des procédés différents. Mais cette information n'est pas connue de l'opinion publique, dans sa très grande majorité, et lorsque le « bug SFR » vient s'ajouter à cela, un réel problème de crédibilité se pose. Peut-on donc, à un moment donné, s'accorder sur un autre indicateur, qui serait reconnu par tous et ne prêterait plus à discussions ? J'ai cru comprendre que certains pays avaient adopté un indicateur unique, combinant les deux types de données.
Mme Corinne Prost, cheffe de service, adjointe à la directrice, de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques. - L'indicateur du chômage au sens du BIT est trimestriel, tandis que l'indicateur reposant sur les inscrits au service public de l'emploi est mensuel. Certains pays se débrouillent pour avoir du « mensuel » équivalent à du « chômage BIT ». Mais combiner deux indicateurs pour essayer d'en tirer une vérité médiane n'aurait aucun sens en termes statistiques.
Mme Selma Mahfouz. - Nous avons travaillé sur un projet d'indicateur unique par le passé, mais l'Insee a jugé le résultat peu fiable.
M. Jean Bassères. - En tant que directeur général de Pôle emploi, je suis très sensible à la question que vous soulevez, monsieur le rapporteur. Je m'interroge même sur l'intérêt de l'indicateur que nous produisons, et ce d'autant plus que, chaque mois, l'image de Pôle emploi est associée à la publication de ces chiffres.
Par conséquent, ne déduisez pas de mon intervention que nous serions très attachés, à Pôle emploi, à l'élaboration de cette statistique. Celle-ci existe, et nous faisons tout pour l'améliorer depuis deux ans. Mais nous ne tenons pas, absolument, à la produire. D'ailleurs, certains pays ne communiquent pas de chiffres sur les inscrits à leur service public de l'emploi et se contentent des seuls indicateurs BIT.
Il faudrait toutefois un sacré consensus politique dans ce pays pour que l'on accepte de mettre un terme à la publication de cette statistique.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les conditions d'inscription à Pôle emploi ? J'ai le souvenir d'avoir entendu un ancien ministre du travail annoncer à la presse que 400 000 chômeurs avaient en fait occupé un emploi à temps plein dans le mois précédant leur comptabilisation dans les effectifs de Pôle emploi. La définition du demandeur d'emploi ne semble vraiment pas être la même selon qu'elle est donnée par Pôle emploi ou par le BIT...
M. Jean Bassères. - Un demandeur d'emploi sera comptabilisé en catégorie A s'il n'a pas du tout travaillé le mois précédent, en catégorie B s'il a travaillé moins de 78 heures et en catégorie C s'il a travaillé plus de 78 heures. Ce peuvent être des personnes qui travaillent à temps plein, mais cherchent un autre emploi.
Mais il est clair qu'il existe une différence d'approche entre le BIT et Pôle emploi, y compris pour la catégorie A, la catégorie la plus comparable.
Certaines personnes déclarent être au chômage à l'Insee, sans être inscrites à Pôle emploi, et inversement. Je prendrai comme exemple un phénomène qui s'est accentué au cours des dernières années : avec l'abandon de la dispense de recherche d'emploi et l'allongement de l'âge de la retraite, certaines personnes proches de la fin de carrière se retrouvent inscrites en catégorie A de Pôle emploi, mais déclarent spontanément qu'elles ne recherchent pas d'emploi dans le cadre de l'enquête Insee.
M. René-Paul Savary. - Mais comment expliquer de telles différences dans les courbes ? Avez-vous essayé de neutraliser les effets de la suppression de la dispense de recherche d'emploi ?
M. Jean Bassères. - C'est toute la difficulté des appariements de fichiers. Nous, nous comptabilisons tous les inscrits, qu'ils cherchent ou non du travail. Mais nous nous efforçons, autant que faire se peut, d'introduire des données trimestrielles dans nos publications mensuelles, précisément pour favoriser une approche permettant des comparaisons. L'Autorité de la statistique publique nous incite à poursuivre dans ce sens.
Mme Selma Mahfouz. - Les différences entre les deux courbes peuvent être porteuses de sens et nous essayons de les comprendre.
La réapparition des seniors en dispense de recherche d'emploi dans les statistiques de Pôle emploi est assez facile à percevoir. En revanche, les écarts continuent de s'accroître au-delà de 2013, et ce phénomène à lui seul ne peut pas tout expliquer.
Le nombre d'inscrits à Pôle emploi qui se déclarent inactifs dans l'enquête de l'Insee est en croissance. S'agit-il de chômeurs découragés ? Parmi les chômeurs au sens du BIT, le nombre d'inscrits à Pôle emploi progresse lui aussi. Ce sont autant de phénomènes que nous cherchons à analyser.
Cela étant, l'abondance d'informations est-elle souhaitable ou apporte-t-elle de la confusion ? La question est complexe. Dans certains pays, il serait impensable de ne pas publier les données mensuelles, dès lors qu'elles existent.
La véritable problématique s'agissant de ces données mensuelles est de savoir ce qu'elles nous apprennent sur les tendances lourdes. Sur un plan statistique, les variations au mois le mois doivent atteindre un certain seuil pour traduire une modification de trajectoire. Nous mettons donc l'accent dans les commentaires, notamment vis-à-vis des journalistes, sur la nécessité d'examiner ces données mensuelles comme tendance.
M. Jean-Claude Lenoir. - Les chiffres, évidemment, nous intéressent, au plan national - pour mesurer l'efficacité des politiques publiques -, régional - pour cerner les évolutions dans les bassins d'emploi - et local. J'ai par exemple connu, sur mon territoire, une fermeture d'entreprise ayant entraîné 120 suppressions d'emploi. Nous avons été un certain nombre d'élus locaux à nous intéresser au sort des personnes concernées, estimant avoir un devoir envers elles, mais celles-ci sont très rapidement sorties de nos écrans de contrôle.
Au-delà de cette observation, j'ai trois questions à vous soumettre.
Depuis la fusion entre l'ANPE et l'Unédic, êtes-vous en mesure de vérifier que tout bénéficiaire des allocations chômage est bien inscrit à Pôle emploi ? Par ailleurs, l'unification des indicateurs, telle qu'elle a été envisagée tout à l'heure, permettrait-elle d'éviter le psychodrame si bien décrit par François Rebsamen - il avait annoncé à celle qui lui succédait au ministère du travail qu'elle vivrait chaque mois un « grand moment de solitude » ? Enfin, que pouvez-vous nous dire à propos d'un nettoyage supposé de ses listes par Pôle emploi ?
M. Jean Bassères. - Votre remarque, monsieur le sénateur, me fait penser à un autre avantage de l'indicateur que nous produisons avec la Dares : il est décliné à un niveau très local.
Mme Selma Mahfouz. - L'Insee ayant recours à une enquête auprès d'un échantillon, il lui est impossible d'atteindre un tel niveau de finesse.
M. Jean Bassères. - Par ailleurs, il faut être inscrit à Pôle emploi pour pouvoir percevoir des allocations chômage ou de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) et la fusion entre l'ANPE et l'Unédic a permis, en toute logique, de consolider l'accès à ces informations, sauf des cas de fraude que nous combattons.
Votre troisième question me permet d'évoquer les radiations, qui, je le précise, sont automatiques si le demandeur d'emploi n'a pas actualisé sa situation ou opérées par nos agents en cas de non-réponse à une convocation ou d'absence à une session de formation. Il se dit que Pôle emploi aurait une politique en la matière... Il n'y en a pas ! C'est la conclusion que Jean-Louis Walter, médiateur national de Pôle emploi, a tirée après avoir travaillé sur le sujet. Je l'affirme également avec fermeté, même si je ne sais pas comment tordre le cou à tous ces bruits.
Quant à la solitude du ministre, elle est avérée, surtout lorsque les chiffres augmentent. Il lui faut effectivement, chaque mois, commenter des évolutions mensuelles, très difficiles à expliciter.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Pôle emploi compte actuellement, au niveau national, 200 conseillers chargés de vérifier l'effectivité des recherches d'emploi. Ce nombre me surprend. Quelle efficacité peut-on attendre d'un tel dispositif centralisé ?
M. Jean Bassères. - Le contrôle de la recherche d'emploi vise à s'assurer qu'un demandeur d'emploi effectue des actes répétés de recherche d'emploi. Certes, les conseillers concernés ne sont que 200, mais mesurons que le dispositif n'existait pas voilà deux ans ! Nous l'avons expérimenté et mis en place, les effectifs ayant été pris, non pas sur notre population de conseillers, mais sur nos fonctions supports. Il s'agit d'équipes régionales. La procédure débute par un examen du dossier et se poursuit, en cas de doute, par un questionnaire, puis un entretien.
Nous élaborerons, dans quelques mois, un compte rendu public des résultats obtenus. Le dispositif a deux vertus : il permet d'afficher l'existence d'un contrôle, donc de ne pas laisser croire qu'un demandeur d'emploi pourrait ne pas chercher d'emploi sans être sanctionné, mais aussi de repérer des personnes découragées, qu'il convient de réinsérer dans un processus d'accompagnement.
Faudra-t-il aller au-delà de l'effectif de 200 salariés ? Cela dépendra de l'arbitrage qui sera fait entre le conseil et le contrôle. Les conseillers n'aimaient pas avoir à faire les deux simultanément. Désormais, la situation est clarifiée.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Comment les demandeurs d'emploi contrôlés sont-ils sélectionnés ? Combien sont-ils ?
M. Jean Bassères. - Pour environ 30 % d'entre eux, ils sont choisis aléatoirement. Le reste est ciblé. Ce sera, par exemple, le cas d'un demandeur d'emploi ayant bénéficié d'une formation dans un secteur en tension qui n'a pas trouvé de travail quelques mois plus tard. Je n'ai pas le chiffre précis des personnes concernées : elles sont quelques milliers chaque année.
Mme Élisabeth Lamure. - D'après vos tableaux, 43 % des sorties relèvent du défaut d'actualisation, une partie importante correspondant, si j'en crois les explications données, à une reprise d'emploi. Dès lors, pourquoi cet élément n'est-il pas directement intégré à la catégorie des reprises d'emploi déclarées ? Par ailleurs, 70 % des radiations administratives sont prononcées pour non-réponse à convocation. Qu'advient-il des demandeurs d'emploi ainsi radiés ? Enfin, tenez-vous un tableau de l'évolution de la population active, et quelles en sont les variations ?
M. Jean Bassères. - S'agissant du taux de non-actualisation, nous n'avons pas souhaité combiner une donnée exhaustive et un résultat d'enquête.
Les personnes radiées pour non-réponse à convocation le sont pendant deux mois. Elles doivent ensuite se réinscrire.
Mme Selma Mahfouz. - La population active est suivie par l'enquête emploi de l'Insee qui distingue les inactifs des actifs - les personnes au chômage et les personnes dans l'emploi. Actuellement, la population active augmente à cause des seniors, mais je n'ai pas, ici, les chiffres précis.
Mme Éliane Giraud. - Pôle emploi a été critiqué pour la place que l'organisme accordait à une politique du chiffre, au détriment de la qualité. Ces discussions sur les indicateurs, tout comme la création d'une équipe de 200 conseillers chargés d'une mission de contrôle, ne témoignent-elles pas d'une certaine dérive ? N'accorde-t-on pas trop de place aux statistiques, en oubliant le rôle premier de Pôle emploi, et le bug ne nous aurait-il pas entraînés encore plus loin dans cette direction ?
Peut-être notre commission d'enquête pourrait-elle appeler à plus de calme, afin que l'on puisse de nouveau se pencher sur le sens : travailler sur l'évolution de la population active, l'analyse fine des catégories socioprofessionnelles, les questions liées au genre, etc.
M. Jean Bassères. - Sur mes treize indicateurs stratégiques, aucun ne concerne la statistique. Personnalisation et qualité de service sont au coeur de notre stratégie, que j'aurai grand plaisir à venir vous présenter. Les après-midi, par exemple, sont consacrés à l'accueil sur rendez-vous ; un demandeur d'emploi peut désormais demander à déplacer un rendez-vous pour empêchement. Nous ne sommes absolument pas sur une politique du chiffre, et la dynamique en place produit des résultats. Ainsi, au cours du premier trimestre de 2016, la satisfaction des entreprises a progressé de 5 points.
M. Éric Doligé. - Nous avons évoqué la solitude du ministre... Dans quel état de solitude vous trouvez-vous, ainsi que les personnels de Pôle emploi ? Les chiffres que vous allez publier peuvent changer la face du pays. Cette perspective ne soumet-elle pas vos équipes à une certaine pression ?
M. Jean Bassères. - Tout mon travail consiste à montrer que nous ne devons pas être jugés sur les chiffres du chômage. Les conseillers n'y pensent pas trop. Ils sont plus sensibles au fait qu'on dit rarement du bien d'eux. Leur travail, qui est de qualité, n'est pas suffisamment valorisé.
La réunion est levée à 16 h 45.
Jeudi 19 mai 2016
- Présidence de Mme Anne Emery-Dumas, présidente-La réunion est ouverte 14 heures.
Audition de M. Gallo Gueye, directeur des statistiques sociales de la direction générale d'Eurostat
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Mes chers collègues, nous continuons notre cycle d'auditions de la semaine en entendant M. Gallo Gueye, directeur des statistiques sociales d'Eurostat, qui est accompagné de Mme Anne Clémenceau, chef de l'unité marché du travail et formation tout au long de la vie, et de M. Boyan Genev, administrateur d'Eurostat.
Je rappelle qu'un questionnaire préalable vous a été transmis. Je donnerai donc directement la parole, à l'issue de mon propos, au rapporteur, Philippe Dallier, puis aux membres de la commission d'enquête, qui vous interrogeront sur la base des réponses que vous nous avez transmises.
Cette audition doit permettre d'éclairer les membres de la commission sur le rôle d'Eurostat dans le pilotage du système statistique des États membres de l'Union européenne, s'agissant, en particulier, de la mesure de l'emploi et du chômage. Il nous serait également utile de connaître le regard que vous portez sur les statistiques françaises en matière d'emploi et de chômage.
Je vous précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Nous essayons de mieux comprendre comment les chiffres du chômage sont produits en France et utilisés au niveau européen. Nous nous interrogeons également sur les comparaisons que nous pouvons opérer entre pays européens, tout particulièrement avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie. Or ces trois pays n'élaborent pas leurs statistiques selon la même méthode.
Votre interlocuteur en France est l'Insee, qui produit des statistiques trimestrielles. Mais vous utilisez également les données administratives qui vous sont communiquées par Pôle emploi. Celles-ci n'étant pas au format souhaité, vous procédez à des extrapolations, ce que vous ne faites pas pour les trois pays auxquels nous souhaitons nous comparer.
En quoi consiste cette extrapolation ? Nos données sont-elles vraiment comparables à celles des pays précédemment cités ?
M. Gallo Gueye, directeur des statistiques sociales de la direction générale d'Eurostat. - Eurostat est l'autorité statistique de l'Union européenne. Ce service de la Commission européenne a pour rôle de promouvoir la législation statistique en Europe et son application. Les statistiques sociales sont assises sur des règlements européens, destinés à assurer la comparabilité des données statistiques européennes.
Nous recueillons et agrégeons les statistiques en provenance des États membres, qui, s'agissant du chômage et de l'emploi, sont des données annuelles, trimestrielles et mensuelles.
Nous coopérons très étroitement avec les organisations internationales, notamment le BIT et les instituts de statistique des principaux partenaires de l'Europe.
Nous sommes particulièrement soucieux de la question de l'indépendance au service de la qualité des statistiques. Nous travaillons avec les instituts de statistique de chacun des États membres afin d'assurer cette indépendance. Pour cela, nous disposons d'un comité consultatif sur la gouvernance statistique.
Cette architecture d'ensemble est tournée vers l'élaboration de statistiques comparables et de qualité.
Les statistiques mensuelles que nous élaborons sont assises sur les définitions internationales du BIT. Nous avons l'obligation de produire ces statistiques, utilisées dans certains cadres particulièrement importants de l'Union européenne comme la procédure sur les déséquilibres macroéconomiques.
Dix-sept États membres nous transmettent directement des chiffres du chômage conformes aux BIT. La Finlande et la Suède produisent en réalité des chiffres mensuels à partir de l'enquête sur les forces de travail, dénommée « enquête emploi » en France ; d'autres pays appliquent des méthodes d'extrapolation, mais en restant, toujours, dans le domaine de l'enquête emploi. Les données administratives ne jouent aucun rôle dans l'élaboration de ces statistiques.
Eurostat produit les chiffres pour les onze autres États membres, en employant une méthode hybride combinant les données administratives sur les demandeurs d'emploi et les données issues de l'enquête emploi.
L'extrapolation est opérée les mois où les données de l'enquête emploi sont indisponibles. La méthode, validée par le groupe de travail statistique sur le marché de l'emploi, consiste à appliquer, aux données relatives aux demandeurs d'emploi transmises par la Dares, un ajustement par désagrégation.
Cette méthode est solide. Les estimations initiales sont parfois révisées, mais le différentiel, en positif ou négatif, ne dépasse pas 0,3 points de pourcentage. Que ce soit pour la France ou les dix autres pays concernés, les révisions ne paraissent pas hors normes.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Quelles données de l'Insee allez-vous utiliser pour obtenir le taux de chômage de janvier 2016, sachant que Pôle emploi vous aura transmis ses propres données dans le courant de février ?
M. Gallo Gueye. - La règle en matière de transmission des données trimestrielles de l'enquête emploi veut que ces données nous soient transmises au maximum douze semaines après la fin du trimestre. Mais certains pays les publient bien avant ce terme.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Selon la rapidité de réponse des pays, pour ce même mois de janvier 2016, vous seriez donc amené à utiliser des données trimestrielles correspondant à des périodes différentes. N'est-ce pas problématique ?
M. Gallo Gueye. - Le risque existe. Mais, à nouveau, nous considérons que des révisions de 0,3 points de pourcentage ne sont pas hors normes.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Observez-vous une différence entre les mois où vous vous appuyez sur le chiffre trimestriel et ceux où vous produisez la donnée par extrapolation ?
M. Gallo Gueye. - Des variations peuvent être constatées d'un mois sur l'autre, mais la moyenne des trois mois est toujours calée sur le résultat de l'enquête emploi.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Les dix-sept pays produisant leurs propres données emploient-ils la même méthode ? Ce point a-t-il une importance pour vous ?
M. Gallo Gueye. - Comme je l'ai souligné, tous les pays ne procèdent pas de la même manière, et les méthodes sont même assez diverses. Après examen des séries qui nous sont transmises sur une longue période et discussion avec les différents pays sur la pertinence de leurs procédés, nous jugeons ces différentes méthodes satisfaisantes. Pour autant, nous continuons à travailler sur leur amélioration dans le cadre des contacts permanents que nous entretenons avec nos interlocuteurs dans les États membres.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - L'Europe cherche-t-elle à aller vers l'uniformisation ? Des objectifs sont-ils fixés dans ce domaine ?
M. Gallo Gueye. - Nous ne cherchons pas à ce que la même méthode soit employée partout. Notre objectif est la comparabilité des résultats. Cela n'exclut pas que nous discutions avec les pays d'éventuels points qui nous paraîtraient obscurs.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Après vos explications sur vos procédés d'extrapolation, je ne suis pas totalement rassuré sur la comparabilité, in fine, des résultats. Les différences entre pays - en particulier, toujours, entre la France et les trois pays déjà cités - sont-elles moindres sur les périodes trimestrielles ?
M. Gallo Gueye. - J'ai évoqué des écarts - de 4 mois, environ - dans les délais de transmission, par les pays, des données sur lesquelles nous nous calons pour sécuriser nos extrapolations. Mais nous obtenons, dans les extrapolations mensuelles, un niveau d'harmonisation acceptable pour l'objectif qui est le nôtre. Ce décalage ne remet pas en cause notre statistique mensuelle.
Les données trimestrielles reposent sur une base légale. L'implémentation de l'enquête diffère d'un pays à l'autre, conformément au principe de subsidiarité. Mais, à nouveau, nous visons la comparabilité du résultat.
Les chiffres de l'Insee sont en parfaite conformité avec le règlement européen, ainsi que les statistiques trimestrielles fournies par le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie.
Mme Anne Clémenceau, chef de l'unité marché du travail et formation tout au long de la vie d'Eurostat. - Les règlements européens imposent de nombreuses contraintes techniques et méthodologiques, ce qui garantit, pour les données trimestrielles et annuelles, un niveau de comparabilité très supérieur à bon nombre de statistiques. Mais nous continuons de travailler, notamment sur la séquence des questions dans les différents questionnaires nationaux, pour progresser encore.
Pour les statistiques mensuelles, notre objectif est de parvenir à l'utilisation de méthodes encore plus harmonisées, mais il sera difficile à atteindre.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Si l'on veut être certain d'utiliser des statistiques fiables, il faut donc préférer les données trimestrielles aux données extrapolées.
M. Gallo Gueye. - Les chiffres trimestriels sont effectivement plus solides, même si la comparabilité n'est jamais complète. Mais nos chiffres mensuels, plus représentatifs que les données relatives aux demandeurs d'emploi, en tout cas dans les cadres d'évaluation que nous utilisons, ont toute leur place parmi nos indicateurs.
M. Georges Labazée. - Mme Christine Erhel, que nous avons auditionnée le 11 mai, a évoqué l'existence d'un « halo » autour du chômage et, en particulier, la frange d'inactifs en fin de carrière, qui n'apparaît pas dans certaines statistiques. En France, on en dénombrerait 1,408 million ! Au niveau européen, la population concernée devrait atteindre des niveaux très élevés, sachant que l'âge de départ à la retraite varie d'un pays à l'autre. Prenez-vous ce phénomène en considération ?
M. Gallo Gueye. - Je ne crois pas que les différences entre pays sur cette question précise aient une incidence sur les données trimestrielles au sens du BIT.
M. Éric Doligé. - Peut-on envisager qu'une harmonisation complète soit un jour possible ? Votre travail en serait-il simplifié ?
M. Gallo Gueye. - S'agissant des chiffres trimestriels et annuels, nous l'avons dit, le niveau d'harmonisation est très satisfaisant.
S'agissant des chiffres mensuels du chômage au sens du BIT, nous ne cessons de pousser à l'harmonisation, mais, encore une fois, il s'agit d'obtenir, non pas le recours à une méthode unique, mais une comparabilité indirecte des résultats. L'objectif porte sur l'« output », même si, pour l'atteindre, nous travaillons aussi sur l'« input ».
Cela étant, tout soutien des efforts d'amélioration de méthodologie que nous portons serait bienvenu !
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Vous indiquez dans les réponses à notre questionnaire qu'Eurostat est amené à corriger des chiffres mensuels déjà publiés. Est-ce plus fréquent pour les onze pays dont les chiffres sont extrapolés ou pour les dix-sept autres ?
M. Gallo Gueye. - Nos analyses ne révèlent aucune différence entre les deux groupes de pays.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je m'interroge depuis longtemps sur la fiabilité et la comparabilité des chiffres mensuels du chômage. Vos propos viennent conforter mes doutes. Votre office pourrait-il demander de ne plus publier les données mensuelles, moins porteuses de sens que les données trimestrielles ?
M. Gallo Gueye. - Les chiffres du chômage selon le BIT publiés mensuellement par Eurostat répondent aux objectifs de nos cadres d'évaluation et, j'y insiste, nous jugeons la série mensuelle solide.
Le marché du travail est un système complexe. Notre préoccupation première est d'expliquer clairement, de la façon la plus transparente possible, la signification de chacune des séries mensuelles publiées. Je rappelle que nous ne publions pas les chiffres mensuels des demandeurs d'emploi, uniquement utilisés pour l'extrapolation.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Au-delà des relations bilatérales avec tous les instituts statistiques nationaux, entretenez-vous des relations multilatérales ?
M. Gallo Gueye. - La méthode d'extrapolation hybride que nous utilisons a été validée par un groupe de travail d'Eurostat réunissant des experts statisticiens de tous les instituts nationaux de statistique en Europe. Celui-ci se réunit au moins deux fois par an, et d'autres réunions sont prévues entre directeurs des instituts nationaux. Les méthodologies sont toutes définies dans ce cadre, et non, de manière isolée, par Eurostat ou la Commission européenne.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - En cas de rétropolation, les États sont amenés à vous transmettre d'éventuelles corrections sur une base volontaire. Cette transmission ne devrait-elle pas être obligatoire ?
M. Gallo Gueye. - Nous sommes en contact avec les instituts nationaux, qui nous informent de projets de révision ou de changements pouvant entraîner des rétropolations. Mais, effectivement, cette communication n'est prescrite par aucun texte juridique et repose sur le volontariat.
Nous disposons néanmoins d'un code de bonnes pratiques, édictant un certain nombre de règles, et voilà quelques années, nous avons défini des lignes directrices concernant les révisions de série, la rétropolation et l'information entourant ce processus.
Il ne serait pas évident d'établir une obligation en la matière. Mais je ne connais pas de cas dans lequel nous n'aurions pas été informés.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - En France, une statistique mensuelle du nombre de demandeurs d'emploi a dû être corrigée du fait du fameux « bug » SFR. Avez-vous également modifié votre chiffre issu de l'extrapolation, en fonction des informations transmises par Pôle emploi ?
M. Gallo Gueye. - Je ne peux pas vous répondre sur le champ. Nous vérifierons cette information.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - L'Insee interviewe 100 000 personnes pour son enquête trimestrielle. Interrogé sur la possibilité de procéder à cette enquête chaque mois, son directeur nous a opposé une question de coût. Mais l'utilisation d'Internet pourrait engendrer des économies, permettant une évolution en ce sens. Si l'Insee se lançait dans cette opération, faudrait-il vous consulter en amont ?
M. Gallo Gueye. - Nous sommes très fréquemment consultés sur les changements envisagés. Nous l'avons été sur le changement de l'ordre du questionnaire en 2013 ou sur les évolutions relatives aux DOM. J'imagine qu'il en irait de même dans le cas que vous mentionnez.
Nous examinons les modes d'administration des questionnaires très attentivement au niveau européen, car la question du biais est essentielle. Les expériences menées ici ou là ne démontrent pas pour l'instant que l'on obtient des résultats identiques en interrogeant la même population selon des méthodes différentes.
Mme Éliane Giraud. - Les économistes, selon les pays, travaillent-ils plutôt avec les données trimestrielles ou les données mensuelles ?
M. Gallo Gueye. - Les chercheurs travaillent aussi bien avec les unes que les autres. Mais ils utilisent aussi des schémas de modélisation et de prévision.
Audition de M. Yves Perardel, économétricien à l'Organisation internationale du travail (OIT)
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Yves Perardel, économétricien au Bureau international du travail (BIT).
Je rappelle que le BIT est le secrétariat permanent de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui a adopté, en 1982, la définition internationale du chômage dont nous avons déjà longuement parlé au cours des auditions précédentes.
Notre commission a souhaité vous entendre, monsieur Perardel, pour que vous puissiez rappeler l'historique et les modalités de fonctionnement de l'appareil statistique international en matière d'emploi et de chômage.
Il serait, en outre, intéressant que vous nous précisiez le regard que vous portez sur la qualité du système statistique français en matière d'emploi et de chômage.
Je vous donne maintenant la parole pour un exposé liminaire d'une vingtaine de minutes, à la suite duquel le rapporteur, M. Philippe Dallier, ainsi que les autres membres de la commission vous poseront leurs questions.
M. Yves Perardel, économétricien à l'Organisation internationale du travail. - Nous disposons de différentes sources officielles de statistiques sur le marché du travail. Quatre d'entre elles peuvent en particulier nous intéresser : le recensement général de la population et des logements ; les enquêtes effectuées auprès des ménages sur la main-d'oeuvre ainsi que sur les revenus et les dépenses des ménages ; les recensements et enquêtes auprès des entreprises et établissements ; enfin, les registres administratifs.
Le recensement général n'est plus une source de statistiques en matière d'emploi pour la France ou, plus largement, les pays de l'Union européenne, mais il reste la seule source disponible pour une soixantaine de pays. Il a lieu en général tous les dix ans ou par rotation de manière annuelle. Son avantage est qu'il couvre tous les habitants : il s'agit d'une enquête exhaustive. En revanche, son coût est très élevé et sa périodicité très faible. Les questions relatives au travail sont en général très limitées, car le questionnaire est court.
L'enquête auprès de la main-d'oeuvre est ce qu'on appelle habituellement en France l'« enquête emploi ». Dans la plupart des pays, elle a lieu chaque trimestre ; seule une quinzaine de pays la publie chaque mois. L'avantage de cette enquête est que le questionnaire et la méthodologie employés se concentrent sur les problématiques d'emploi ; en particulier, tous les indicateurs clés peuvent être mesurés. Son coût est nettement inférieur à celui d'un recensement et sa périodicité beaucoup plus élevée. En revanche, l'échantillon interrogé est non pas exhaustif mais uniquement représentatif de la population. Tous les pays de l'Union européenne utilisent pour cette enquête, effectuée à un rythme trimestriel, un questionnaire harmonisé par Eurostat, ce qui permet la comparabilité des résultats.
Le registre administratif, tel, en France, celui qui est tenu par Pôle Emploi, ne présente quant à lui pas de problèmes d'échantillonnage puisqu'il s'agit d'un registre exhaustif de la population concernée. Ses données sont publiées plus rapidement et plus fréquemment que pour les enquêtes auprès de la main-d'oeuvre. En revanche, il dépend uniquement du cadre législatif défini par chaque État : les comparaisons entre les pays sont donc impossibles. Par ailleurs, il n'offre pas de dénominateur : on compte le nombre de chômeurs inscrits sans pouvoir calculer le taux de chômage, en l'absence de données sur la population active. Tous les autres chiffres relatifs au marché du travail - le taux de sous-emploi, par exemple - ne peuvent pas non plus être mesurés.
Enfin, les enquêtes auprès des entreprises et des établissements permettent d'apprendre le nombre de postes vacants disponibles au moment de l'enquête ; cette donnée est généralement calculée en équivalent temps plein. Cela permet de mesurer la demande de main-d'oeuvre alors que les autres sources mesurent l'offre. Les établissements non déclarés, dont le nombre est souvent très important dans les pays en développement, ne peuvent en revanche être pris en compte. Par ailleurs, comme pour l'enquête auprès de la main-d'oeuvre, l'échantillon étudié est représentatif et non pas exhaustif.
Aucune source de données ne peut donc à elle seule répondre à tous les besoins. Un système intégré de statistiques du travail doit reposer sur leur combinaison. Les données du recensement permettent ainsi de faire des évaluations comparatives et d'élaborer des bases de sondage pour les enquêtes ultérieures. Les données issues des enquêtes servent aux estimations intercensitaires et au suivi des tendances à court terme ; elles permettent en outre d'évaluer le sous-enregistrement dans les sources administratives, qui sont quant à elles utiles par leur fréquence et leur rapidité d'obtention. Les données issues des registres administratifs ne représentent qu'une fraction de ce que peut nous apprendre l'enquête emploi.
La définition actuelle du chômage a été adoptée par la treizième Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) en octobre 1982. La CIST rassemble, tous les cinq ans, des statisticiens du travail de tous les pays membres de l'OIT, actuellement au nombre de 187. Les statisticiens invités proviennent des instituts nationaux de statistique, tel en France l'Insee, et des ministères couvrant le domaine du travail et de l'emploi. Des représentants des syndicats d'employeurs et de travailleurs sont également conviés.
Les personnes au chômage, suivant cette définition, sont des personnes en âge de travailler - en général de 15 à 74 ans - qui remplissent trois critères.
Tout d'abord, ces personnes doivent être sans travail durant la semaine de référence : elles n'ont pas d'emploi rémunéré ou ne travaillent pas comme indépendant pour une durée minimale d'une heure.
Ensuite, elles sont disponibles pour travailler, c'est-à-dire pour commencer un emploi rémunéré ou indépendant au cours des deux semaines suivant la semaine de référence.
Enfin, elles sont en recherche active d'un travail : elles ont pris des mesures spécifiques, dans la période de quatre semaines se terminant avec la semaine de référence, pour chercher un emploi rémunéré ou indépendant, ou elles ont trouvé un emploi commençant dans les trois mois suivants.
Cette définition a été adoptée par tous les États membres de l'OIT. Ainsi, elle permet d'obtenir des chiffres comparables, si tant est que les questionnaires employés dans chaque pays permettent de mesurer ces trois critères.
Le nombre de chômeurs inscrits sur des registres administratifs dépend du cadre législatif national, qui varie de manière importante selon les pays.
En général, les trois critères du BIT sont appliqués. Néanmoins, des différences peuvent apparaître sur plusieurs points. Parfois, le critère d'une heure travaillée dans la semaine de référence peut être assoupli, ce qui permet, par exemple en France, de distinguer certaines catégories de demandeurs d'emploi.
Quant au critère de disponibilité, des personnes malades, qui ne sont donc pas disponibles, vont être prises en compte dans les registres administratifs de nombreux pays. À l'inverse, certains pays demandent une disponibilité à temps complet, ce qui n'est pas le cas de la définition internationale.
Pour ce qui est du critère de recherche active, certains pays demandent des preuves de cette recherche pour maintenir les personnes concernées sur le registre. De plus, certains pays imposent de prendre un emploi trouvé par le service public d'emploi.
Enfin, contrairement à la définition internationale, les chômeurs inscrits doivent s'enregistrer auprès du service public d'emploi. Si les personnes concernées voient un bénéfice potentiel à s'inscrire - aide pratique et personnalisée à la recherche d'emploi, indemnité financière -, la majorité d'entre elles s'inscrira. Ce n'est pourtant pas toujours le cas, notamment dans les pays dépourvus d'un système d'indemnisation des chômeurs.
Les registres de chômeurs inscrits sont parfois plus restrictifs que la définition internationale du chômage. Cela est particulièrement vrai dans les cas suivants.
Les jeunes, tout d'abord, sont souvent exclus des registres, car ils n'ont pas encore exercé d'emploi ou ils sont encore étudiants.
Certaines personnes plus âgées peuvent quant à elle être au chômage selon la définition internationale alors que, ayant atteint l'âge officiel de la retraite dans leur pays, elles sont automatiquement exclues du registre des chômeurs.
Par ailleurs, les personnes en recherche d'un emploi à temps partiel - moins de 20 heures par semaine - sont parfois exclues du registre.
Enfin, dans certains pays, seules les personnes ayant le droit de recevoir une indemnité financière sont conservées dans les registres de chômeurs inscrits. Toute personne n'ayant droit à aucune indemnité sera automatiquement exclue du nombre total. Cela réduit souvent considérablement le nombre de personnes inscrites.
À l'inverse, la définition internationale du chômage est parfois plus restrictive que le registre national. C'est le cas pour les personnes travaillant à temps partiel, qui sont souvent comptées dans les registres alors que la définition internationale les exclut dès la première heure de travail hebdomadaire effectuée. C'est aussi le cas, dans certains pays, des personnes dont la rémunération est inférieure à un seuil, qu'on autorise alors à s'inscrire au registre des chômeurs.
Je peux vous montrer un tableau qui compare, pour un ensemble de pays, le nombre de chômeurs inscrits sur leurs registres et celui qui a été calculé selon les normes internationales à partir des enquêtes auprès de la main-d'oeuvre. Le ratio entre ces deux nombres varie considérablement d'un pays à l'autre. Dans certains, tels la France ou l'Islande, les deux nombres sont du même ordre de grandeur. Comparons à présent l'Autriche et la Macédoine : ces deux pays ont un nombre comparable de chômeurs suivant la définition de l'OIT, environ 250 000 personnes. En revanche, le nombre de chômeurs inscrits sur leur registre varie du simple au triple : le nombre de chômeurs inscrits sur les registres autrichiens dépasse les 380 000, alors que les registres macédoniens ne comptent que 125 000 chômeurs.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Dans le cas de la France, le nombre de chômeurs inscrits au registre national est-il celui fourni par Pôle Emploi ?
M. Yves Perardel. - Tout à fait ; il s'agit de la seule catégorie A de Pôle Emploi. Comme il n'existe pas de norme internationale pour les registres administratifs, nous utilisons les données fournies par les pays suivant leur système propre.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Qui vous fournit le nombre de chômeurs suivant les normes internationales ? Eurostat a-t-il un rôle à jouer ?
M. Yves Perardel. - L'Insee le calcule à partir de son enquête trimestrielle et nous le fait parvenir directement, sans l'intermédiaire d'Eurostat. En revanche, du fait de l'harmonisation des questionnaires, ces données sont très aisément comparables entre les pays de l'UE.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Ces questionnaires ne sont pourtant harmonisés que jusqu'à un certain point, à en croire le représentant d'Eurostat que nous avons auditionné.
M. Yves Perardel. - Je dirais qu'ils sont plus harmonisés que les autres. La manière dont les questions sont posées est très importante : demande-t-on directement à la personne si elle est en recherche d'emploi ou bien lui pose-t-on cinq questions indirectes dont on déduit la réponse ? Des différences peuvent subsister à ce niveau entre pays européens.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Parmi les 187 États membres de l'OIT, combien vous fournissent des statistiques trimestrielles fiables ?
M. Yves Perardel. - Environ la moitié d'entre eux. Une quinzaine de pays nous fournissent même des données mensuelles.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Ces derniers pays nous intéressent particulièrement, car nous sommes incapables de produire ces statistiques mensuelles. Comment s'y prennent-ils ? Y a-t-il des pays européens parmi eux ?
M. Yves Perardel. - Les pays européens se sont mis d'accord pour fournir des données trimestrielles fondées sur un questionnaire et une méthodologie harmonisés. Il me semble donc qu'aucun d'entre eux, sauf exception, ne publie de statistique mensuelle à partir des enquêtes emploi. Je vous ferai en tout cas parvenir la liste des pays publiant ces statistiques à un rythme mensuel.
Pour en revenir au tableau comparant chômeurs inscrits et chômeurs selon la définition internationale, le ratio entre ces deux nombres est aussi fonction de la générosité du système d'indemnisation. Le système macédonien est sans doute beaucoup plus contraignant et moins généreux que le système autrichien. À l'échelle mondiale, rappelons que seules 28 % des personnes ont un accès potentiel à une indemnisation chômage.
Je veux maintenant présenter l'exemple des États-Unis, pays qui fournit d'ailleurs des statistiques d'enquête mensuelles. La différence entre le nombre de chômeurs suivant la définition internationale - 8 674 000 - et le nombre de chômeurs inscrits pour recevoir une indemnisation - 2 254 000, seuls les personnes recevant une indemnisation demeurant sur le registre - est extrêmement importante. Par ailleurs, l'enquête menée auprès des entreprises et établissements montre que 5 851 000 postes sont vacants.
Comment les États-Unis parviennent-ils à publier mensuellement les statistiques fondées sur les normes internationales ? C'est parce que leur échantillon représentatif est suffisamment large pour fournir une estimation fiable chaque mois. Par ailleurs, le nombre de chômeurs inscrit au registre est publié à un rythme hebdomadaire ! Cette fréquence accrue est permise par l'informatisation totale du registre, qui permet à chaque agence d'avoir un aperçu instantané du nombre de personnes inscrites. Cela illustre bien les avantages du registre en termes de rapidité et d'exhaustivité.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Y a-t-il une seule enquête pour l'ensemble des États-Unis ou bien chaque État mène-t-il sa propre enquête ?
M. Yves Perardel. - Une seule enquête est menée dans l'ensemble du pays et le même questionnaire est utilisé dans tous les États. En revanche, chaque État publie ses statistiques de chômage.
L'enquête publiée en France de manière trimestrielle s'effectue déjà en continu. Pour passer à une publication mensuelle, il faut augmenter l'échantillon pour qu'il soit représentatif à l'échelle d'un mois.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Selon l'Insee, c'est bien une question de coût. Savez-vous comment s'effectue l'enquête aux États-Unis, par Internet - ce qui permettrait sans doute de réduire les coûts -, par téléphone ou par rendez-vous ?
M. Yves Perardel. - Je ne sais pas comment ils procèdent. De plus en plus de pays effectuent ces enquêtes par Internet ou par téléphone, certains le font encore sur papier.
Je tiens à rappeler les indicateurs issus de la 19ème CIST. Cette conférence a abouti à la première définition internationale du travail, dont l'emploi ne constitue que l'une des cinq formes, aux côtés du travail de production pour la consommation personnelle, du travail en formation non rémunéré, du travail bénévole et des autres activités productives. Il nous importe de mieux reconnaître ainsi les autres formes de travail, particulièrement importantes dans les pays en développement. Elles sont en revanche moins significatives en France.
Par ailleurs, au vu des contraintes entourant le chômage, en particulier dans les pays en développement où les indemnités de chômage n'existent pas, différents critères de sous-utilisation de la main-d'oeuvre ont été mis en place : le sous-emploi lié au temps de travail ; le chômage, dont la définition ne change pas, conformément à une forte demande des pays développés ; enfin, la main-d'oeuvre potentielle, qui est composée de deux catégories, les demandeurs d'emplois non-disponibles et les demandeurs potentiels disponibles. Chacune de ces deux catégories assouplit un critère de la définition du chômage pour englober ce qu'on nomme en France le « halo du chômage ». Ces nouveaux indicateurs seront testés dès l'an prochain en Europe par le biais d'un nouveau questionnaire harmonisé par Eurostat.
Le Bureau international du travail fournit un appui technique aux États membres qui le souhaitent - surtout des pays en développement - dans la conception du questionnaire de l'enquête emploi, afin de s'assurer que tous les indicateurs pourront être calculés correctement, ainsi que dans la préparation de l'échantillon représentatif et des tableaux issus des micro-données et l'analyse des résultats.
Notre site Internet permet l'accès à toutes les données qui nous ont été transmises par les États membres, ainsi qu'aux résolutions adoptées par l'OIT.
En conclusion, la source primaire d'information sur les statistiques du travail demeure l'enquête emploi. Néanmoins, la mesure du nombre de chômeurs inscrits reste pertinente et complémentaire.
Il ne faut pas comparer les deux chiffres sur le nombre de chômeurs en espérant qu'ils soient identiques, car ils couvrent des concepts certes proches mais distincts.
De plus, dans le cas d'une étude européenne ou internationale, le nombre de chômeurs inscrits sur des registres n'a pas de sens : il est fonction, dans chaque pays, de la législation nationale.
Dans un pays donné, l'évolution historique du nombre de chômeurs inscrits est pertinente uniquement si le cadre législatif de l'inscription des personnes n'évolue pas.
D'autres indicateurs existent néanmoins et doivent également être mis en évidence ; ils peuvent être mesurés uniquement par l'enquête emploi.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Si je vous comprends bien, vous édictez des normes, vous conseillez les pays qui vous sollicitent, mais rien d'autre : vous vous contentez de récupérer les données que ces pays veulent bien vous transmettre sans disposer d'aucun rôle de contrôle de la validité des données qui vous sont fournies. Ai-je bien résumé les choses ?
M. Yves Perardel. - Nous contrôlons la conformité des critères officiellement employés par les pays dans leurs enquêtes par rapport à ceux qui fondent la définition du chômage. Certains pays ne suivent pas les recommandations de la CIST en excluant, par exemple, le critère de la recherche active. Dans un tel cas, nous publions les données fournies mais nous les accompagnons d'une annotation précisant qu'elles ne peuvent faire l'objet de comparaisons internationales.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Les États membres de l'OIT ne doivent-ils pas s'engager, par la signature d'une charte, à suivre les critères de l'organisation ?
M. Yves Perardel. - Tous les pays devraient suivre les normes établies et, de fait, l'immense majorité d'entre eux le fait. Pour autant, chaque État est souverain et s'il décide, pour quelque raison que ce soit, de ne pas suivre ces normes, cette décision prévaut. Nous avons seulement un rôle de conseil.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner votre opinion de la qualité du système statistique français ? Notre commission d'enquête ne doute pas de la qualité du travail de l'Insee. En revanche, les commentateurs et la classe politique utilisent en permanence le nombre mensuel de chômeurs, dont on commence à mieux mesurer les limites de la pertinence, et non pas tant le nombre trimestriel correspondant à vos critères. Voilà pourquoi les pays capables de fournir des statistiques mensuelles conformes à ces critères nous intéressent tant.
Par ailleurs, le découplage existant entre les données de Pôle Emploi et de l'Insee, auquel s'ajoutent les extrapolations opérées par Eurostat, apparaît problématique. Comment, selon vous, pourrait-on améliorer cette situation et rendre le système plus rationnel et pertinent ?
M. Yves Perardel. - Je veux d'abord souligner la qualité exceptionnelle du travail de l'Insee, notamment dans la précision des données qu'il fournit à un rythme trimestriel.
En revanche, le travail d'extrapolation mené par Eurostat à partir des données mensuelles issues des registres administratifs peut présenter des risques. Si l'on veut obtenir des données mensuelles valables, il faudrait surtout augmenter l'échantillon des enquêtes emploi afin de pouvoir publier des données mensuelles avec la même confiance qui entoure les données trimestrielles actuelles.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Notre interlocuteur d'Eurostat nous a assuré que ce processus d'extrapolation ne pose pas tant de difficultés et que les données qui en résultent sont acceptables si l'on tient compte de la marge d'erreur. Partagez-vous cette conviction ?
M. Yves Perardel. - Ces données sont acceptables mais elles ne seront jamais aussi bonnes que celles produites à partir d'une enquête représentative de la population, dès lors que l'on prend le temps nécessaire pour l'exploitation des résultats. L'enquête emploi reste la manière la plus fiable de mesurer le nombre de chômeurs et le taux de chômage d'un pays tout en assurant la possibilité de comparaisons internationales.
Certes, on peut mener des travaux économétriques préliminaires à partir des tendances des registres administratifs ; c'est bien moins coûteux que d'augmenter la taille de l'échantillon représentatif. Néanmoins, en tant qu'expert, je préfèrerais une enquête représentative mensuelle.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Sauriez-vous nous dire à combien de personnes il faudrait porter l'échantillon pour remplir cet objectif ?
M. Yves Perardel. - C'est à l'Insee de répondre précisément à cette question. La solution n'est pas forcément l'élargissement de l'échantillon : on pourrait également interroger l'échantillon actuel à un rythme plus fréquent.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Un tel rapprochement ne rend-il pas moins pertinentes les données issues de l'enquête ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Environ 100 000 personnes sont interrogées dans le cours de chaque trimestre. Il faudrait avoir les moyens de les interroger dans le cours d'un mois seulement. Cela semble techniquement possible et, peut-être, moins coûteux dès lors que l'on utilise Internet. Encore faut-il s'assurer que les personnes répondent au questionnaire sans qu'on ait à les solliciter.
M. Yves Perardel. - Il n'y a en effet aucun problème technique : un pays comme la France peut tout à fait se le permettre. Il faut simplement analyser le rapport coût-bénéfice d'une telle initiative. Chaque pays mène des enquêtes au rythme qu'il peut, que ce soit cinq ans ou un mois.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Quel est l'intérêt fondamental de bénéficier d'un calcul mensuel, si ce n'est de faire la démonstration du décalage entre les données de l'Insee et celles de Pôle Emploi ?
M. Yves Perardel. - De fait, beaucoup d'indicateurs mesurés par l'enquête emploi auront une variabilité très faible de mois en mois. L'indicateur ayant la plus forte variabilité est le taux de chômage ; pour d'autres, tel le taux d'emploi, une valeur trimestrielle est largement suffisante. La raison principale de passer à un rythme mensuel est sans doute la volonté de connaître plus précisément l'évolution du taux de chômage.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Il sera intéressant d'apprendre de ces pays quelles données sont chez eux plus mises en avant. Pour que ce passage au rythme mensuel ait un sens, il faut que ces données issues de l'enquête deviennent, en quelque sorte, les données officielles.
M. Yves Perardel. - Tout à fait.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Tel est bien le but recherché. Il serait bon qu'on puisse enfin comparer aisément nos données avec celles d'autres pays, ce qui exige d'utiliser les mêmes méthodes de calcul. L'immédiateté de l'information reçue est aussi séduisante ; le rythme hebdomadaire de parution du nombre de chômeurs inscrits aux États-Unis va peut-être un peu trop loin en ce sens.
M. Yves Perardel. - Le principal intérêt du registre administratif, outre son exhaustivité, est sa périodicité plus fréquente que celle de l'enquête emploi. Si celle-ci devenait mensuelle, il perdrait cet avantage. Le passage à la publication hebdomadaire représente peut-être une réponse à ce problème.
Beaucoup de pays ne connaissent pas ce débat entre les deux comptabilisations des chômeurs : les deux valeurs y sont en effet si différentes, historiquement, que l'on n'a jamais cherché à les comparer ou à les opposer. La proximité des deux valeurs en France y nourrit ce problème.
Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Merci de nous avoir fourni toutes ces informations.
La réunion est levée à 15 h 50.