- Mardi 2 février 2015
- Mercredi 3 février 2015
- Nomination de rapporteurs
- Prévention et lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
- Permettre l'application aux élus locaux des dispositions relatives au droit individuel à la formation - Examen des amendements au texte de la commission
- Inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1er de la Constitution - Examen des amendements
- Supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires - Examen des amendements au texte de la commission
- Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes - Examen des amendements aux textes de la commission
- Suivi de l'état d'urgence - Communication
- Prorogation de l'état d'urgence - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 2 février 2015
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 9 h 10
Suivi de l'état d'urgence - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
La commission entend M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, dans le cadre du suivi de l'état d'urgence.
M. Philippe Bas, président. - Le ministre de l'intérieur a accepté de se présenter devant nous dans la perspective de l'adoption, par le conseil des ministres de demain, du projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sur lequel notre commission délibérera demain, à la suspension de la séance du soir. Le temps nous sera compté. Heureusement, de nombreuses auditions ont déjà été menées par notre rapporteur spécial, Michel Mercier, qui conduit les travaux du comité de suivi de l'état d'urgence.
Nos collègues s'interrogent, monsieur le ministre, sur l'opportunité d'une prorogation de l'état d'urgence ; vous allez nous expliquer comment, à vos yeux, il se justifie et en quoi les mesures prises dans ce cadre sont utiles à la lutte contre le terrorisme.
Avant de vous céder la parole, je salue la présence de deux membres de l'assemblée de la Polynésie française, Mme Vaiata Perry-Friedman et Mme Chantal Flores-Tahiata, accompagnées de Mme Anthinéa Grand-Pittman, dans le cadre de la convention de partenariat signée le 20 janvier entre le Sénat et cette assemblée.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. - Le 13 novembre dernier, la France était frappée par l'acte de terrorisme le plus meurtrier de son histoire. Avec responsabilité, sans faiblir, le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, a aussitôt décrété l'état d'urgence. Je dois dire que depuis lors, le Parlement, par-delà les divergences politiques, a hissé très haut les valeurs républicaines. Ce fut le cas au Congrès, lorsque la nation, incarnée par ses représentants, a fait bloc le 16 novembre dernier ; ce fut le cas également lorsque vous avez eu à connaître dans des délais très restreints de la loi prorogeant l'état d'urgence et réformant les dispositions de la loi du 3 avril 1955 ; ce fut le cas encore, lorsque vous avez pris le parti de contrôler la mise en oeuvre de l'état d'urgence avec une vigilance républicaine qui vous honore. Ici, à la commission des lois, vous êtes en première ligne sur ces questions.
Nous avons beaucoup échangé à Matignon et à Beauvau, dans les réunions hebdomadaires que nous organisions avec le Premier ministre et avec des parlementaires. J'aimerais rendre un hommage appuyé aux contributions de MM. Alain Richard, Jacques Mézard et Michel Mercier.
Demain, sous l'autorité du Président de la République, le conseil des ministres adoptera un projet de loi prorogeant une nouvelle fois l'état d'urgence. Le Sénat en sera saisi en tout premier lieu, vous contraignant à statuer dans un délai très restreint. En réalité, grâce au travail conduit par le comité de suivi, vous disposez d'ores et déjà d'éléments très précieux. Les contacts entre les collaborateurs de M. Mercier et les miens se sont encore accrus ces derniers jours. J'ai formulé des instructions très précises et très fermes à mes services, pour que tous les éléments vous soient transmis. Ce contrôle au jour le jour du Parlement est une démarche inédite.
J'ai, par ailleurs, pris connaissance de la proposition de loi déposée par le président Bas et le rapporteur Mercier, et tout en me gardant bien de toute ingérence dans vos débats, je tenais à vous signifier combien elle témoigne, une nouvelle fois, de votre connaissance précise et méticuleuse de ces questions.
Je voudrais d'abord dresser un bilan des mesures mises en place dans le cadre de l'état d'urgence. Depuis le 13 novembre, 3 284 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 560 armes, dont 208 armes longues, 163 armes de poing, 42 armes de guerre et 147 autres armes qui sont pour la plupart très dangereuses ; 392 interpellations ont eu lieu, soit près de 12% des perquisitions, entraînant 341 gardes à vue.
Au lendemain des attentats du 13 novembre, l'autorité publique a fait le choix de créer un effet de surprise - et même, dirais-je, de sidération -, d'éviter des répliques et de déstabiliser les filières. Nous y sommes manifestement parvenus.
Concernant l'usage qui a été fait des perquisitions, Michel Mercier et Jean-Jacques Urvoas m'ont interrogé sur chacun des cas ayant fait l'objet de commentaires dans la presse ; ils ont pu constater avec quel souci de précision les cibles avaient été identifiées. Néanmoins, j'ai pu constater que quelques opérations n'avaient pas été menées avec le discernement nécessaire : ainsi, une perquisition dans une ferme bio du Périgord le 24 novembre, parfaitement injustifiée, et une autre, le 17 novembre, dans une mosquée à Aubervilliers, dans des conditions qui ne me semblaient pas suffisamment respectueuses de ce lieu de culte. J'ai dit mon sentiment aux responsables concernés et donné des instructions extrêmement fermes pour que les objectifs soient toujours parfaitement pertinents et le déroulement, irréprochable. Je l'ai fait par écrit, par un télégramme daté du 25 novembre que j'ai transmis à Michel Mercier et que je tiens à votre disposition. J'ai également demandé aux directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale de relayer ces consignes sur le terrain ; si bien que cette déontologie et ce professionnalisme, auxquels je tiens particulièrement, ont été éprouvés, constatés et appliqués durant ces trois mois d'état d'urgence.
Depuis plus d'un mois, nous avons affiné les objectifs. Est-ce à dire pour autant que nous n'utilisons plus les mesures de l'état d'urgence ? En aucun cas. À titre d'exemple, dans la nuit du 19 au 20 janvier dernier, 38 armes ont été recueillies et, durant la semaine dernière, 64 perquisitions administratives ont eu lieu. Ce n'est pas parce que le rythme a baissé que nous n'utilisons plus les moyens de l'état d'urgence. La fréquence d'emploi de ces mesures répond à une stratégie minutieuse : nous ne ferons pas du chiffre pour du chiffre. Nous cherchons à appliquer avec discernement les mesures de police administrative avec une seule préoccupation : celle de leur efficacité.
Au-delà des saisies, l'enjeu réside dans l'exploitation des éléments recueillis lors des perquisitions administratives. À la date du 28 janvier, 563 procédures avaient été ouvertes correspondant à 17,3 % des perquisitions.
Sur les 341 gardes à vue, 65 condamnations ont d'ores et déjà été prononcées et 54 décisions d'incarcération ont été prises, ce qui correspond respectivement à 19 % et 15,8 % des gardes à vue. Parce que vous connaissez bien ces matières, vous savez que ces taux sont absolument considérables. L'objectif principal a été de cibler les personnes en lien avec l'islam radical. Hors périmètre de la préfecture de police de Paris, 61 % des perquisitions administratives ont ciblé des personnes d'ores et déjà fichées à ce titre.
Nos opérations désorganisent les réseaux qui arment et financent le terrorisme, en particulier à travers les trafics d'armes et de stupéfiants. Les saisies d'espèces, qui s'élèvent à plus d'un million d'euros, déclenchent l'ouverture d'enquêtes administratives par les services du ministère de l'économie et des finances sur la provenance de ces avoirs. Il ne fait pas de doute que les données numériques saisies, en cours d'exploitation, déboucheront également sur de nouvelles incriminations.
Ces éléments sont encore très loin d'être exhaustifs : les données numériques ne sont pas encore toutes exploitées, les renseignements sont en cours de recoupement ; des rebonds sont à prévoir dans des procédures existantes.
Parce que nous souhaitons inscrire notre action dans le cadre scrupuleux du droit, et préserver tant les garanties dues aux personnes mises en cause que la sécurité juridique des procédures, nous avons donné des directives très précises dès le lendemain des attentats afin d'associer pleinement l'autorité judiciaire, à travers les procureurs de la République, aux opérations de perquisition administrative, et ce en parfait accord avec le ministère de la justice. Michel Mercier, qui a pu décortiquer les dispositifs mis en oeuvre par les services du ministère de l'intérieur, vous dira lui-même en quoi cette coopération a pu renforcer l'efficacité des services de l'État durant cette période.
Les assignations à résidence doivent être abordées sous le prisme du contrôle juridictionnel qu'elles ont engendré. Dans le cadre de l'état d'urgence, ce contrôle est exercé à titre principal par le juge administratif. Certains n'ont pas manqué de s'étonner de l'absence du juge judiciaire, y voyant une mise à l'écart. C'est faire litière des principes généraux du droit, qui veulent que le juge administratif soit compétent pour contrôler la légalité des mesures de police administrative - au demeurant, il a eu l'occasion, historiquement, de démontrer qu'il n'était pas moins indépendant que le juge judiciaire. Les plus prompts à dénoncer l'absence de ce dernier ont été les plus prompts à se féliciter de l'annulation de certaines assignations à résidence par le juge administratif : c'est donc qu'il y a un juge !
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'assignation à résidence, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 22 décembre 2015, déclaré les dispositions relatives à l'assignation à résidence résultant de la loi du 20 novembre 2015 conformes à la Constitution, et a réaffirmé la compétence du juge administratif, l'assignation à résidence n'étant pas constitutive d'une privation de liberté au sens de l'article 66 de la Constitution. Le contrôle exercé par le juge administratif est donc considéré comme substantiel. L'intervention du juge administratif, sa capacité à remettre en cause des décisions de l'autorité administrative, la décision du Conseil constitutionnel constituent donc autant d'éléments objectifs qui ne sont pas le résultat de la réflexion du Gouvernement mais qui témoignent de la rigueur du raisonnement qui a été le sien quant au recours juridictionnel dans le cadre de la mise en oeuvre de mesures de l'état d'urgence. Ils témoignent également de la parfaite constitutionnalité de ce que le Parlement a voté sur proposition du Gouvernement.
Ainsi, 392 assignations ont été prononcées depuis le début de l'état d'urgence. 27 de ces assignations à résidence, qui concernaient des personnes susceptibles de constituer une menace pour l'ordre et la sécurité publics durant la Conférence internationale sur le climat, ont été levées à l'issue de la COP 21, c'est-à-dire le 12 décembre. L'administration a elle-même abrogé 26 assignations lorsque le doute sur la dangerosité des intéressés a été levé : elle ne fait pas preuve de rigidité dans la gestion des mesures qu'elle prend.
Enfin, 118 référés liberté ont été soumis à la juridiction administrative et 10 suspensions ont été prononcées, traduisant tout à la fois le sérieux des procédures engagées par le ministère de l'intérieur et l'absence de faiblesse de la part de la juridiction administrative. Par ailleurs, 83 recours en plein contentieux ont été introduits, une seule annulation a été prononcée. Les suspensions et cette annulation ne concernent pas des personnes assignées dans le cadre de la COP 21, qui n'étaient pas des militants écologistes mais des individus violents ; il a ainsi été jugé que ces assignations ne méconnaissaient pas le principe de proportionnalité, puisqu'elles ciblaient des individus présentant un risque pour l'ordre public dans le contexte qui prévalait.
Aujourd'hui, 331 assignations à résidence sont toujours en vigueur, dont 83 % s'appliquent à des individus déjà fichés au titre de l'islam radical. À la suspension de l'état d'urgence, leur assignation tombera, même si à terme, des suites judiciaires et administratives dans le droit commun pourraient être envisagées. Le Gouvernement assume parfaitement ces mesures.
De même, les interdictions de manifester décidées par les préfets jusqu'au 12 décembre 2015 étaient pleinement justifiées par l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le Gouvernement de garantir le maintien de l'ordre public, alors que nos forces étaient tout entières mobilisées pour garantir la sécurité des Français et le bon déroulement de la COP 21, sur la voie publique, dans les transports en commun, devant les lieux sensibles et à nos frontières.
Les mouvements sociaux qu'a connus le pays ces dernières semaines, qu'ils émanent des chauffeurs de taxi ou du monde agricole, témoignent que le droit de manifester dans le cadre de l'état d'urgence demeure la règle, quand bien même des débordements sont à craindre. L'interdiction demeure l'exception. On m'a demandé pourquoi je n'interdisais pas ces manifestations : tout simplement parce que nous sommes dans un État de droit. Si l'on veut que l'état d'urgence protège contre le terrorisme, nous devons nous montrer irréprochables dans son application, sur le respect des libertés publiques.
J'ajoute que 45 mosquées, certaines clandestines, et lieux de culte ont fait l'objet d'une perquisition administrative ; 10 ont été fermées. Dans ces lieux, des prêches qui n'avaient rien à voir avec le culte musulman propageaient une vision de l'islam incompatible avec les valeurs de la République, encourageant ou légitimant des actes constitutifs d'une menace sérieuse pour l'ordre et la sécurité publics.
Je voudrais illustrer ce propos par deux exemples : la mosquée de l'Arbresle dans le Rhône et celle de Lagny en Seine-et-Marne. La seconde a fait l'objet d'une dissolution, la toute première, par l'adoption de trois décrets en conseil des ministres prononçant la dissolution des associations qui constituaient les personnes morales sur lesquelles reposait la mosquée. Plutôt que d'utiliser l'article 6-1 de la loi du 3 avril 1955 pour procéder à cette dissolution, nous nous en sommes tenus à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans le cadre d'une procédure contradictoire. Mes consignes sont très claires : le recours aux mesures de l'état d'urgence doit être une nécessité et certainement pas un confort ; lorsque nous pouvons opter pour le droit commun plutôt que pour les mesures de l'état d'urgence, nous l'utilisons. Vous noterez qu'à l'occasion des perquisitions réalisées dans cette mosquée, et lorsque nous avons commencé à envisager cette dissolution, de nombreux commentaires avaient été faits, y compris d'élus locaux. Depuis que cette dissolution, accompagnée des éléments de justification, est intervenue, les protestations se sont tues. On constate ainsi qu'il y a autour des mesures de l'état d'urgence un certain « bruit » organisé par des individus qui réalisent que l'état d'urgence fait obstacle à la poursuite de leur oeuvre sectaire d'endoctrinement.
Je veux indiquer que nous continuons à bloquer des sites internet qui se livrent à l'apologie ou à la provocation au terrorisme sans avoir recours à la loi du 20 novembre 2015 qui nous autorise pourtant à le faire, mais en application de la loi du 13 novembre 2014 ; en effet, nous estimons que l'efficacité et les garanties du droit commun sont suffisantes.
Le renseignement est la clé de cette nouvelle phase de l'état d'urgence, où la coopération entre le renseignement territorial et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se déploie avec force. Depuis le 13 novembre, 1 492 nouveaux signalements ont été inscrits aux fichiers gérés par les services de renseignement. Plus de 10 000 mises à jour de ces fichiers ont eu lieu, dont 1 020 actualisations la semaine passée, ce qui est considérable. C'est la preuve que nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Les mesures que nous avons mises en oeuvre n'ont pas encore révélé toute leur vérité ; c'est à l'aune de cet intérêt stratégique qu'il faut examiner la question de la prorogation de l'état d'urgence.
Au-delà de la stratégie très fine de renseignement, de déstabilisation, de judiciarisation que nous mettons en oeuvre, l'état d'urgence s'apprécie, conformément au texte qui le fonde, à l'aune d'un « péril imminent ». Plusieurs mois après les actes terroristes du 13 novembre, ce péril qui menace la France ne s'est pas estompé, bien au contraire, il s'est amplifié.
Depuis le 13 novembre, des attentats, même de moindre ampleur, se sont répétés, en France et à l'étranger, visant nos intérêts et nos ressortissants ainsi que des alliés directs de la France, au nom d'organisations terroristes telles que Daesh ou Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
À la fin de l'année 2015, plusieurs attentats ont été déjoués en Belgique et en Allemagne. De même, au mois de décembre, deux projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués, le premier émanant d'un individu résidant à Tours et le second, de deux personnes de la région orléanaise qui cherchaient à se procurer des armes avec le projet d'attaquer des représentants de la force publique.
Le 24 décembre 2015, un couple demeurant à Montpellier a été mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la commission d'actes de terrorisme et financement du terrorisme, et écroué. De la documentation djihadiste et un faux ventre de femme enceinte qui aurait pu servir à dissimuler des objets, recouvert d'une couche d'aluminium, ont notamment été saisis à leur domicile. Le 7 janvier 2016, un individu apparemment porteur d'un engin explosif, qui s'est avéré factice, et d'un document de revendication au nom de l'organisation terroriste Daesh a été abattu par des policiers en faction devant le commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris alors qu'il les menaçait avec une arme blanche. Le 11 janvier, à Marseille, un mineur a blessé à l'arme blanche un professeur de confession juive devant l'Institut franco-hébraïque de la Source, avant de revendiquer son action au nom de l'organisation Daesh.
Ces dernières semaines, les organisations terroristes ont démontré leur capacité à frapper partout dans le monde et à viser là où se trouvaient des ressortissants français et européens. Le 20 novembre 2015, deux terroristes attaquaient l'hôtel Radisson Blu de Bamako, au Mali, essentiellement fréquenté par des occidentaux, et abattaient vingt otages avant d'être neutralisés. Le groupe djihadiste Al-Mourabitoune de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar a revendiqué la prise d'otages.
Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul et visant des touristes allemands causait la mort de dix d'entre eux et blessait dix-sept autres personnes. Le 15 janvier, un triple attentat était perpétré à Ouagadougou, au Burkina Faso, visant un hôtel et des établissements connus pour être fréquentés par des expatriés, causant la mort de trente personnes, dont trois ressortissants français.
La menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé, portée soit par des individus isolés et radicalisés, sensibles aux messages d'incitation au passage à l'acte qui leur sont adressés, soit par des organisations terroristes dont la force de frappe, en France ou à l'étranger contre les intérêts ou ressortissants français, est indiscutable.
Ainsi, début 2016, environ six cents Français étaient présents en zone irako-syrienne, susceptibles de revenir sur le territoire national pour y perpétrer des actions violentes commanditées par Daesh. Pour la seule année 2015, 329 nouvelles arrivées sur zone en provenance de notre territoire ont été enregistrées. Le nombre de personnes n'ayant pas encore mis leur projet à exécution est passé de 295 fin 2014 à 723 fin 2015. De même, de nombreux candidats à la lutte armée, empêchés de quitter le territoire national pour des raisons administratives ou matérielles, sont susceptibles de passer à l'acte, de manière isolée ou pilotée depuis la Syrie.
C'est pourquoi le fait qu'aucun nouvel acte grave d'une ampleur comparable à celle des attentats commis le 13 novembre 2015 ne soit survenu depuis cette date ne saurait laisser penser que le péril imminent a cessé. Au contraire, dans sa propagande diffusée sur internet après les attentats de Paris, l'organisation terroriste Daesh a réitéré ses appels à l'action terroriste violente et meurtrière contre la France, en ciblant divers services publics, en plus de tous les objectifs potentiels déjà cités dans ses communications précédentes.
En raison de notre détermination à éradiquer le terrorisme, en raison de notre engagement dans des opérations militaires extérieures de grande envergure visant à frapper les bases des groupements terroristes, en raison de notre volonté de porter haut et fièrement les valeurs qui sont les nôtres, nous sommes devenus une cible privilégiée aux yeux des organisations criminelles opérant au Proche-Orient, au Sahel, et à présent en Libye. Dans ce combat - que nous remporterons - nous ne pouvons nous permettre la moindre approximation. Si la guerre est totale, elle doit être menée à chaque instant.
Pour toutes ces raisons, le Président de la République a pris la décision de vous soumettre une nouvelle loi de prolongation de l'état d'urgence.
Le contrôle parlementaire, inscrit dans son principe dans la loi du 3 avril 1955, n'a jamais été aussi rigoureux. J'ai immédiatement signifié à Michel Mercier, ainsi qu'à Jean-Jacques Urvoas pour l'Assemblée nationale, ma détermination à tout mettre en oeuvre pour garantir un contrôle inédit allant même au-delà de celui qu'exerce une commission d'enquête parlementaire. Mon ministère sera toujours à votre disposition pour vous transmettre l'ensemble des éléments pertinents. L'état d'urgence ne signifie pas davantage de pouvoirs et davantage d'opacité, mais davantage de transparence pour plus d'efficacité ; voilà ma conception de l'État de droit, et si vous nous renouvelez votre confiance pour prolonger l'état d'urgence, compte tenu du danger qui nous menace, c'est dans cet esprit que les services placés sous ma responsabilité exerceront leur mission.
M. Philippe Bas, président. - Merci de cet exposé complet et intéressant, qui me donne l'occasion de saluer le dialogue de qualité qui s'est noué entre les services du Gouvernement et notre commission.
D'une certaine façon, nous pourrions avoir une préférence pour un système, sous le contrôle du Parlement, d'état d'urgence temporaire, par rapport à une législation permanente qui restreindrait les libertés publiques durablement, pour faciliter la lutte contre le terrorisme. Vous n'avez pas à nous convaincre que le péril qui avait justifié la déclaration d'état d'urgence est toujours là ; mais quand pouvons-nous espérer qu'il ne le sera plus ? Il ne suffit pas que le péril demeure pour reconduire indéfiniment l'état d'urgence : il faut aussi démontrer que les mesures administratives prises dans ce cadre sont réellement utiles à la lutte contre le terrorisme. Or si ces mesures étaient principalement ciblées sur des personnes fichées au titre de l'islamisme radical, les poursuites judiciaires ont surtout concerné des délinquants ordinaires. Je comprends que ces faits de délinquance peuvent être reliés à la préparation d'actions terroristes. Mais c'est une question que nous nous posons : le filet qui a été jeté n'a-t-il permis d'attraper que des faits de délinquance ordinaire ? Il est très important pour nous de bien comprendre en quoi la lutte contre le terrorisme a réellement progressé avec la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Le filet mis en place n'a-t-il permis de remonter que du menu fretin ?
Vous avez également dit que la mise en oeuvre de l'état d'urgence ne posait aucune difficulté constitutionnelle, en particulier les assignations à résidence. Ce point n'est pas anodin au moment où le Parlement est saisi d'un projet de révision constitutionnelle qui, certes, ne porte pas exclusivement sur l'état d'urgence. J'aimerais cependant comprendre ce qui vous manque dans la Constitution pour sécuriser les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence ?
Enfin, notre souci est de relier l'ensemble des mesures prises à l'efficacité de la lutte contre le terrorisme, qui est un impératif majeur. Nous nous devons, en tant que représentants de la Nation, de démontrer à nos concitoyens l'utilité de l'état d'urgence. En suivant la mise en oeuvre des mesures dans leur continuité, le Parlement apporte la garantie qu'aucun abus ne sera commis dans ce cadre.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence. - Je vous donne acte de la parfaite collaboration entre nos services et les vôtres, ainsi que de votre disponibilité. Notre comité a entendu le préfet de police de Paris, le préfet de Seine-Saint-Denis, les directeurs des services de renseignement et de la police. Tous nous ont expliqué clairement ce qu'ils étaient en mesure de faire dans le cadre de l'état d'urgence.
Mais nous ne pouvons rester indéfiniment sous ce régime : les terroristes auraient alors gagné. Le président de la République et le Gouvernement s'apprêtent à nous demander de proroger une nouvelle fois l'état d'urgence, mais il faudra revenir un jour au droit commun. Tel est l'objet de la proposition de loi que nous allons examiner cet après-midi en séance publique : faciliter le retour aux procédures de droit commun en armant le juge judiciaire pour la lutte anti-terroriste.
Pouvez-vous définir la notion de péril imminent ? Le Conseil d'État a développé une jurisprudence, mais sans apporter de définition claire ; or c'est indispensable.
Il est vrai que le juge administratif, comme vous le dites, a efficacement contrôlé les mesures prises dans ce cadre ; reste qu'il intervient seulement a posteriori. Là est la principale différence avec un régime de droit commun : le juge judiciaire ordonne, le juge administratif contrôle. Oui, le juge administratif a exercé son contrôle, en particulier sur les assignations à résidence ; la décision, la semaine dernière, du juge des référés du Conseil d'État de suspendre une assignation en témoigne. Le juge administratif est, lui aussi, un juge des libertés publiques.
À l'occasion de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, le juge administratif a fait apparaître un nouveau concept, expliquant que la condition d'urgence est toujours présumée pour les atteintes graves à la liberté individuelle que sont les assignations à résidence : il a parlé, à cette occasion, de droit à l'audience. Le Gouvernement compte-t-il l'inscrire dans la loi ? Dans le cas contraire, des parlementaires pourraient le faire.
Je voudrais enfin aborder la question du contrôle des perquisitions administratives : les procédures d'urgence en matière de perquisitions sont inopérantes car, par définition, quand le juge est saisi, la perquisition est achevée et il n'y a plus lieu de suspendre la mesure. La perquisition ne peut donc être contrôlée que par la voie du plein contentieux, ce qui met en jeu la responsabilité de l'État, notamment en matière d'exécution de la perquisition. Je pense qu'il y a là un problème.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous avez évoqué l'effet de surprise engendré par l'état d'urgence au bénéfice des forces de l'ordre ; mais jusqu'à quand jouera-t-il ? Vous avez également utilisé l'expression de « guerre totale » ; c'est bien le cas, mais alors elle ne sera pas menée par des moyens exclusivement policiers, voire militaires. C'est aussi un combat idéologique. De ce point de vue, les basculements violents, souvent inattendus, de certains jeunes gens répondent à un vide. Depuis janvier 2015, nous sommes confrontés à la réalité du terrorisme. Qu'a fait le Gouvernement dans le domaine du combat des valeurs ?
M. Jacques Mézard. - Nous ne mettons pas en cause l'action personnelle que vous menez ; mais vous n'avez évoqué que l'un des deux piliers de l'état d'urgence. Le premier est de rassurer l'opinion publique ; mais dans ce cas peut-on rester durablement sous ce régime ? Le second est l'efficacité ; et dans ce domaine, quelles sont les mesures techniques indispensables aux services chargés de notre sécurité ? Nous ne pouvons rester dans l'urgence de manière durable - comme l'a dit Michel Mercier, ce serait une victoire des terroristes. Malgré tout le bien que vous dites du contrôle administratif, il s'exerce a posteriori. On ne peut éluder les réactions qu'ont exprimées des juges judiciaires récemment, comme lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation.
Pour sortir de l'état d'urgence, nous dit-on, il faut légiférer pour renforcer l'action de nos services de police. Mais il est à craindre que nous ayons les deux simultanément ! La majorité sénatoriale a déposé un texte, le Gouvernement un autre... Serait-il envisageable, sur un sujet pareil, d'avoir une politique concertée ? Sinon ce sera une course à la mer, dangereuse pour les libertés individuelles.
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien. Je suis d'accord !
Mme Catherine Tasca. - Monsieur le ministre, certaines mesures ont été prises, avez-vous dit, sur le fondement du droit commun et non du régime de l'état d'urgence. À quel moment peut-on dire, dès lors, que celui-ci s'impose car celui-là ne suffit plus ?
Avez-vous des informations relatives aux menaces dont les établissements d'enseignement ont fait l'objet ? Leur origine est-elle connue ?
M. René Vandierendonck. - Je veux saluer votre engagement avec la plus grande sincérité, monsieur le ministre, ainsi que vos qualités humaines et pédagogiques.
Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe radical à l'Assemblée nationale, a rappelé le temps qu'avait duré jadis l'application de l'état d'urgence... Le rôle de l'autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles est fréquemment rappelé, mais n'oublions pas que le juge administratif - je pense bien sûr à l'arrêt Canal du Conseil d'État - peut aussi s'affranchir de toute dépendance à l'égard des pouvoirs publics, président de la République inclus, pour faire triompher le droit.
La vraie question est celle des justifications de l'état d'urgence ; l'ancien président de la commission des lois de l'Assemblée nationale Jean-Jacques Urvoas a avancé dans la presse l'hypothèse d'un essoufflement... Si ce n'est pas le cas, Michel Mercier a raison, il faut proroger l'état d'urgence, mais en recentrant les mesures prises sur la lutte contre le terrorisme et en précisant le contrôle du juge.
Sur la saisine du juge a priori ou a posteriori, voyez la jungle de Calais : aucun juge judiciaire n'a jamais réussi à améliorer l'accueil des réfugiés ; il a fallu que le juge administratif enjoigne à l'État de prendre les mesures qui s'imposaient.
Autre problème : l'absence de terme fixé à l'état d'urgence, qui a sans doute contribué à l'emballement médiatique.
M. Philippe Bas, président. - Avez-vous vraiment besoin de tout l'arsenal offert par l'état d'urgence ? Toutes les mesures ne sont pas utilisées, ni même, certainement, nécessaires.
M. René Vandierendonck. - D'où l'intérêt de le constitutionnaliser. À défaut, tout législateur réunissant une majorité de fortune pourrait en faire ce qu'il veut...
M. Christian Favier. - Nous ne sous-estimons pas la menace et nous n'avons pas d'états d'âme à soutenir la lutte implacable contre les réseaux terroristes. Mais l'effet de surprise qui rendait les premières mesures efficaces ne s'est-il pas dissipé ? Il n'est en outre pas démontré que les actes individuels - certes à caractère terroriste - que vous avez cités soient liés à des réseaux terroristes ; ils peuvent aussi bien s'inscrire dans un climat général amené à perdurer. On y sera toujours confronté : faudra-t-il donc toujours proroger l'état d'urgence.
Que pensez-vous des préconisations du Défenseur des droits Jacques Toubon relatives aux perquisitions menées dans les foyers, sous les yeux des enfants ?
Les moyens déployés pour la sécurisation des lieux publics pourront-ils être maintenus ? Les collectivités territoriales ont été fortement sollicitées à cette fin ; mon département a ainsi dépensé 500 000 euros en 2015, et déjà 120 000 euros en janvier 2016. Compte tenu de la baisse des dotations de l'État, nous ne pourrons continuer très longtemps à dépenser 30 000 euros par semaine... L'État envisage-t-il d'en prendre une partie en charge ?
M. Alain Marc. - Des instructions ont-elles été données aux préfets pour décliner les mesures prises dans les départements - en matière de protection des écoles par exemple ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Veillons, sur ce sujet difficile, à éviter toute posture et à faire preuve de responsabilité collective. Que dirait-on, qu'entendrait-on si un attentat était perpétré deux jours après la décision de mettre fin de l'état d'urgence ? Ne dirait-on pas que cela aurait été une erreur d'y mettre un terme ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce n'est pas un argument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je ne reprends pas ce raisonnement à mon compte, mais la nature du débat public dans notre pays me laisse penser que la question serait posée de la sorte dans de telles circonstances, et que les Français s'interrogeraient sur la résilience de notre société face aux risques. En toute hypothèse, ce débat peut être ouvert - je le referme, pour l'heure, car ce n'est pas la raison qui nous conduit à demander la prorogation de l'état d'urgence.
Nous disposons d'éléments objectifs : en 2015, 18 filières de recrutement djihadiste ont été démantelées et 11 attentats déjoués, dont 8 au cours des derniers mois de l'année, et nombre de ces projets étaient commandités par les mêmes personnes que les attentats de novembre. Je rappelle que ni l'artificier, ni le coordinateur des attentats de Paris, ni Salah Abdeslam ni Mohamed Abrini n'ayant été arrêtés, ils peuvent frapper de nouveau. Nous arrêtons tous les jours des personnes, non sur de simples soupçons, mais sur la base d'éléments autorisant leur défèrement et leur incarcération après leur garde à vue. Bref nous avons encore besoin de pouvoir prendre des mesures prévenant la commission de nouveaux actes terroristes. Je suis surpris de constater qu'après les 130 morts de novembre, l'état d'urgence - que nous utilisons avec discernement et dont je souhaite comme vous un contrôle parlementaire accru - soit regardé comme un danger plus grand pour nos libertés que la menace terroriste elle-même... Sur la base de l'avis rendu par le Conseil d'État et des éléments objectifs que j'ai fournis, chacun prendra ses responsabilités.
Une révision constitutionnelle est-elle nécessaire ? D'abord, le Conseil d'État a approuvé le texte, sans disjoindre les dispositions relatives à l'état d'urgence. Ensuite, le Conseil constitutionnel n'a pas statué sur la totalité des mesures prises sur le fondement de l'état d'urgence, seulement sur une partie d'entre elles. Enfin, on ne saurait dénoncer le danger que constituerait l'état d'urgence pour les libertés publiques et refuser simultanément son encadrement par l'inscription dans la Constitution de principes incontestables.
Le Conseil d'État s'est donc prononcé en faveur de la nécessité d'une telle révision et le Gouvernement a décidé de suivre cet avis.
M. Mercier m'interroge sur le péril imminent. Je vous ai donnés des précisions sur les circonstances. J'ajoute que lorsque le Conseil d'État s'est prononcé sur la prorogation de l'état d'urgence, il a apprécié ce qu'était le contexte et par conséquent l'imminence du péril. Vous me demandez ensuite si je suis favorable à inscrire dans la loi le fait que la personne assignée à résidence puisse se rendre lui-même devant la juridiction administrative. Il y a déjà une pratique mise en place : les personnes assignées souhaitant assister à l'audience demandent, ce qui leur est généralement accordé, à bénéficier d'une « sauf-conduit » pour venir s'exprimer devant la juridiction administrative.
Dès lors, la consécration dans la loi d'une pratique ne me semble pas problématique. Plus on mobilise de mesures préventives, plus les garanties doivent être importantes.
Je comprends mal les termes du débat sur le contrôle juridictionnel a priori ou a posteriori. « Les services sont intervenus et n'ont rien trouvé », me dit-on souvent. C'est que la police administrative a précisément pour objet de prévenir la commission d'une infraction, de lever un doute, pour ainsi dire. Si la commission de l'infraction était certaine, si l'on savait à l'avance que des armes de poing, des armes lourdes ou des vidéos appelant au djihad se trouvaient dans l'appartement perquisitionné, c'est la justice qui serait saisie... De plus, dans la plupart des cas, le préfet agit en étroite collaboration avec le procureur de la République, parce que la protection de l'ordre public va également dans le sens de leur intérêt, et parce que cela facilite, le cas échéant, la judiciarisation des affaires. Certes, le contrôle juridictionnel est postérieur mais si le juge judiciaire contrôlait les actes de l'administration, le principe de séparation des pouvoirs serait méconnu. Je ne vois rien dans la pratique qui contrevienne à quelque principe général du droit que ce soit, contrairement à ce que l'on peut lire à longueur de colonnes...
M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence. - Ce n'est pas ce que je dis !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je le sais que ce n'est pas ce que vous dites mais votre question me permet d'apporter une précision. Monsieur Collombat, nous avons en effet pris de nombreuses mesures dès le déclenchement de l'état d'urgence pour profiter de l'effet de surprise. Mais le passage du temps ne les rend pas inefficaces pour autant, car les informations obtenues suscitent de nouvelles perquisitions, et les services de renseignement prennent le relais. Les réseaux terroristes s'adaptent, à nous d'en faire autant.
Il est vrai que l'état d'urgence ne suffira pas pour remporter la guerre totale contre le terrorisme. C'est pourquoi le Gouvernement a renforcé les effectifs et les moyens budgétaires du renseignement territorial, du renseignement intérieur et de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris ; nous avons en outre complété notre arsenal juridique par la loi du 13 novembre 2014 et par celle du 24 juillet 2015, dont la majorité des textes d'application ont été pris, rendant les nouvelles techniques mobilisables ; créé une plateforme de signalement des personnes radicalisées et un dispositif de prise en charge de ces personnes au moyen d'une circulaire cosignée en avril 2014 avec la garde des sceaux ; déployé grâce au centre interministériel de prévention de la délinquance des équipes mobiles de formation des fonctionnaires - 4 000 en ont bénéficié à ce jour. C'est aussi pourquoi je me bats au niveau européen, comme lors de la dernière réunion des ministres de l'intérieur européen à Amsterdam, pour renforcer les contrôles aux frontières extérieures, systématiser le recours au système d'information Schengen (SIS), homogénéiser son alimentation par les divers pays, le connecter aux fichiers criminels des personnes recherchées, utiliser la banque de données Eurodac à des fins de sécurité, mettre en place une plateforme de lutte contre les faux documents, etc.
Je partage l'approche de Jacques Mézard sur le rôle protecteur des libertés individuelles dévolu au juge judiciaire. Je voudrais vous convaincre que ce n'est pas parce que l'on exerce la fonction de ministre de l'intérieur que l'on n'est pas soucieux des libertés. Les décrets et circulaires que j'ai pris, que j'ai transmis au rapporteur, sont venus encadrer les modalités de mise en oeuvre de ces mesures de police administrative, et je souhaite que le contrôle parlementaire que vous exercerez les améliore.
Les établissements d'enseignement sont clairement ciblés par Daesh. Pour assurer une protection en garde statique des 80 000 établissements que compte notre territoire, 320 000 policiers seraient nécessaires, soit davantage que les effectifs totaux de mon ministère... Nos forces de sécurité assurent par conséquent des gardes dynamiques dans le cadre du plan Sentinelle, et nous formons les chefs d'établissement aux mesures de précaution et de confinement - j'ai constaté leur efficacité lors d'un déplacement en Dordogne. Des alertes sont venues des États-Unis, nous procédons à des investigations, mais l'utilisation d'adresses « IP écrans » rend l'identification difficile.
Monsieur Vandierendonck, dans l'affaire de la « jungle » de Calais, les mesures que le juge des référés a enjoint à l'administration de prendre sont celles que je venais de présenter aux associations, lesquelles ont tout de même formé un recours. C'est agaçant, mais cela fait partie de la vie...
Monsieur Favier, si vous avez connaissance d'une manifestation à caractère social qui a été interdite, dites-moi laquelle ! Même après les débordements observés en marge de la COP 21, et malgré les critiques qui m'ont été adressées, j'ai refusé d'interdire une manifestation organisée par des ONG, qui s'est heureusement bien déroulée. Les polémiques naissent plus souvent de mon refus de faire obstacle à de tels rassemblements. Je n'ai pas interdit la manifestation des migrants de Calais, décision que le juge aurait de toute façon annulée, car l'autorité de l'État tient aussi à la qualité juridique de ses décisions. Un député de Paris m'a jugé incompétent au motif que j'ai refusé d'interdire la manifestation des chauffeurs de taxi à Paris ; j'aurais pourtant, là aussi, été désavoué par le juge administratif. Je décèle pour ma part derrière les reproches contradictoires qui me sont adressés la preuve du discernement qui caractérise notre action.
J'ai donné des instructions aux préfets pour qu'ils réunissent les maires une fois par mois, et demandé la communication des comptes rendus de ces réunions. Je veillerai à ce qu'elles aient lieu ; si ce n'est pas le cas dans votre département, faites-le moi savoir.
M. Philippe Bas, président. - Chacun aura apprécié la finesse de votre dialectique juridique, monsieur le ministre. La question que vous avez soulevée en introduction se posera seulement le jour où l'état d'urgence sera levé... Vous avez par conséquent bien fait de de refermer tout de suite ce débat.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La lutte antiterroriste montrant à mesure que le temps passe son extrême complexité, et appelant à toujours plus de vérité et de rigueur, j'ai bon espoir que les vaines polémiques cessent.
M. Philippe Bas, président. - Polémiques que nous avons évitées ce matin. Monsieur le ministre, merci.
Renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste - Examen des amendements au texte de la commission
La commission procède à l'examen des amendements sur son texte n° 336 (2015-2016) sur la proposition de loi n° 280 (2015-2016) présentée par M. Philippe Bas et plusieurs de ses collègues tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.
M. Philippe Bas, président. - Nous examinons à présent les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, dont le rapporteur est M. Michel Mercier.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le mardi matin étant en principe réservé aux réunions des groupes politiques, ne pourrait-on reporter l'examen de ces amendements à cet après-midi ?
M. Philippe Bas, président. - Je vous propose de poursuivre nos travaux jusqu'à 11 heures, et de statuer alors.
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 4
L'amendement de coordination n° 28 est adopté.
Article 23
L'amendement rédactionnel n° 29 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Articles additionnels avant l'article 1er
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 1 a déjà été repoussé, de même que l'amendement n° 2.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1, ainsi qu'à l'amendement n° 2.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 15 autorise le maire à obtenir communication des éléments relatifs à des faits liés à des infractions terroristes ou démontrant toute forme de radicalisation issus du fichier des personnes recherchées : cela outrepasse le rôle du maire, avis défavorable.
M. François Pillet, président. - Le maire a certes la qualité d'officier de police judiciaire, mais cette proposition n'est pas justifiée.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 15.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 16 prévoit l'information du maire des suites données à un signalement qu'il aurait effectué auprès de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste ou d'un autre service compétent dans la lutte antiterroriste. Ce n'est pas du domaine de la loi.
M. François Pillet, président. - Et sans doute davantage du domaine de la circulaire que de celui du décret...
La commission demandera au président du Sénat de prononcer l'irrecevabilité de l'amendement n° 16 au titre de l'article 41 de la Constitution.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 17 supprime l'article 2 : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 17.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 6 supprime l'article 4, ce qui est contraire à la position de la commission...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 6.
M. Michel Mercier, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 7 qui, en supprimant l'article, supprime l'extension au parquet de la faculté de recourir à la technique de l' « IMSI catching », ainsi qu'aux amendements identiques de suppression nos 18, 26 et à l'amendement n°25 rectifié.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 7, ainsi qu'aux amendements de suppression nos 18 et 26 et à l'amendement n° 25 rectifié.
M. Michel Mercier, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 27, qui supprime la possibilité pour le parquet d'avoir recours aux techniques de sonorisation des lieux privés.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le juge se voit de plus en plus conférer les techniques accordées aux services de renseignement, il y a de quoi s'inquiéter...
M. Michel Mercier, rapporteur. - Il ne s'agit ici que de donner au juge judiciaire les moyens de conduire des enquêtes.
M. Pierre-Yves Collombat. - Au risque de confondre justice et police !
M. Michel Mercier, rapporteur. - En aucune façon. Ce n'est pas le juge qui entrera au petit matin chez les gens, tournevis à la main, pour poser des micros ! Il s'agit simplement de garantir aux services la possibilité de conduire des enquêtes, sous le contrôle du juge ; ces éléments seront versés au dossier de la procédure et feront l'objet d'un débat contradictoire.
M. Alain Richard. - Une mesure de police administrative se reconnaît en principe à son caractère préventif ; une enquête judiciaire, elle, à l'objectif de poursuivre les auteurs d'une infraction constatée pour les réprimer. Cela fait une différence...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 27.
M. François Pillet, président. - Certains amendements ont déjà été rejetés lors de notre réunion de la semaine dernière : je vous propose de réitérer la position exprimée alors par la commission.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 8 et 19.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 11 rectifié porte la période de sûreté pour les crimes commis en bande organisée constituant un acte de terrorisme à cinquante ans. C'est contraire aux engagements internationaux de la France : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11 rectifié.
Article additionnel après l'article 11
M. Michel Mercier, rapporteur. - Nous n'avons à ce jour jamais touché aux dispositions du code pénal relatives à l'immunité familiale. Ne commençons pas, fût-ce en matière de terrorisme. Avis défavorable à l'amendement n° 12.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12.
Article 12
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 20.
Article 14
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 21.
Article 15
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 22.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 4 introduit une échelle de durées d'interdiction du territoire français pour les auteurs d'infractions terroristes, écrasant de ce fait le mécanisme permettant de prononcer systématiquement une telle interdiction. Celles prononcées étant généralement définitives, cet amendement n'est pas nécessaire, et serait même contreproductif puisque le juge serait encouragé à prononcer des durées faibles. Enfin, il n'existe aucun délit terroriste puni de trois ans d'emprisonnement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
Articles additionnels après l'article 15
La commission demandera au président du Sénat de prononcer l'irrecevabilité de l'amendement n° 5 au titre de l'article 41 de la Constitution.
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 10 supprime la possibilité pour les personnes condamnées pour une infraction terroriste de demander le relèvement de leur peine complémentaire d'interdiction du territoire français. C'est contraire à la Constitution : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
Article 16
La commission émet un avis défavorable aux amendements de suppression nos 9 et 23.
Article additionnel après l'article 16
M. Michel Mercier, rapporteur. - L'amendement n° 13, relatif à la déchéance de nationalité, est un cavalier... Avis défavorable à défaut d'un retrait.
La commission demandera le retrait de l'amendement n° 13 et, à défaut, y sera défavorable.
Article additionnel après l'article 17
M. Michel Mercier, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 14, qui reviendrait à garder en prison, en-dehors de toute décision juridictionnelle, des personnes ayant purgé leur peine, ce qui est contraire aux articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vieilleries que tout cela ! (sourires).
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.
Article 19
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 24.
Article additionnel avant l'article 22 (supprimé)
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission donne les avis suivants sur les autres amendements de séance :
La commission est levée à 11 heures
Mercredi 3 février 2015
- Présidence de M. Philippe Bas, président -La réunion est ouverte à 9 heures
Nomination de rapporteurs
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à la nomination de deux rapporteurs.
M. Philippe Bas, président. - Pour rapporter le projet de loi prorogeant l'état d'urgence, le nom de Michel Mercier, notre rapporteur spécial pour le suivi de l'état d'urgence, s'impose.
M. Michel Mercier est nommé rapporteur sur le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence.
M. Philippe Bas est nommé rapporteur sur le projet de loi constitutionnelle n° 3381 (A.N., XIVème lég.) de protection de la Nation (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).
Prévention et lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
MM. Philippe Bas, François Bonhomme, Alain Fouché, François Zocchetto, Alain Richard, Jean-Claude Leroy et Mme Éliane Assassi sont désignés en qualité de membres titulaires et M. Pierre-Yves Collombat, Mmes Jacky Deromedi et Sophie Joissains, MM. Louis Nègre, Jean-Jacques Filleul et Roger Madec et Mme Catherine Troendlé en qualité de membres suppléants.
Permettre l'application aux élus locaux des dispositions relatives au droit individuel à la formation - Examen des amendements au texte de la commission
La commission procède à l'examen des amendements sur son texte n° 338 (2015-2016) sur la proposition de loi n° 284 (2015-2016) présentée par M. Jean-Pierre Sueur visant à permettre l'application aux élus locaux des dispositions relatives au droit individuel à la formation.
Article additionnel avant l'article 1er
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement n° 1 rectifié supprime la ponction de 1 % opérée sur l'indemnité des élus locaux afin de financer leur droit individuel à la formation. Il est contraire au dispositif retenu. Retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 1 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Même avis sur l'amendement n° 2, de conséquence.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 2 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
La commission donne les avis suivants :
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, vice-président -
Inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1er de la Constitution - Examen des amendements
La commission procède à l'examen des amendements sur la proposition de loi constitutionnelle n° 258 (2015-2016) présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1er de la Constitution.
M. Philippe Bas. - La semaine dernière, nous sommes convenus, au terme de l'examen de cette proposition de loi constitutionnelle, qu'il ne convenait pas de légiférer. Les principes de la loi de 1905, notamment celui selon lequel nul culte ne peut être salarié ou subventionné, sont entrés dans les moeurs et ont donné lieu à de nombreux assouplissements législatifs. Dès 1906, la possibilité a été donnée aux communes de construire des lieux de culte pour les céder ensuite aux associations cultuelles sous la forme de baux emphytéotiques ; en 1924, le régime concordataire d'Alsace-Moselle a été consolidé ; des adaptations ont été aménagées dans les collectivités d'outre-mer et des dispositions fiscales prises pour l'ensemble du territoire. Une constitutionnalisation de la loi du 9 décembre 1905 aurait pour conséquence de faire tomber toutes ces législations particulières.
Est-ce à dire que certaines formes d'expression religieuse ne posent pas problème dans leurs relations avec la loi ? Nullement : les revendications communautaristes qui font prévaloir la religion sur les règles communes ont une très forte portée subversive.
Ne rouvrons pas le débat sur la postérité de la loi de 1905, mais traitons le problème de l'heure, celui du communautarisme. Énoncer que « nul individu, nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune » donne aux responsables de collectivités territoriales, d'établissements publics et d'entreprises les moyens d'opposer, de manière solennelle, la règle commune à toute revendication communautariste. Pour autant, elle n'empêche pas les employeurs de prévoir des assouplissements de cette règle au sein de leur établissement, mais elle interdit de considérer les revendications communautaristes comme des droits qui s'imposent à l'employeur ou à la collectivité.
La présidente de la RATP m'a récemment fait part du besoin d'une référence à opposer à ces revendications. Certes, le Conseil constitutionnel a eu de nombreuses occasions de rappeler l'égalité devant la loi de tous les citoyens, en application de l'article 1er de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme. Mais la phrase que je propose d'inscrire à l'article 1er de la Constitution donnerait plus de force que la jurisprudence à l'exigence républicaine de respect de la règle commune - loi, réglementation ou règlement intérieur d'un établissement public ou d'une entreprise.
M. François Pillet, rapporteur. - Votre amendement démontre l'intérêt et la pertinence du débat introduit par la proposition de loi constitutionnelle. Les motivations de l'amendement, détaillées dans l'objet, sont claires : préciser les conséquences du principe de laïcité. On répondra que ces conséquences ont déjà été dites ; mais peut-être ne l'ont-elles pas été assez. Notre commission est unanime pour dire que ce principe doit être acquis. Est-il utile de le réaffirmer, dans les termes proposés ? Dans les circonstances présentes, je pense, à titre personnel, qu'une réaffirmation, en termes purs, des conséquences de ce principe dans la Constitution peut être acceptée : en réalité, celle-ci répète en matière de laïcité ce que dit la Déclaration des droits de l'homme.
M. Jean Louis Masson. - Face aux nombreuses dérives communautaristes parfois cautionnées par des élus ou des responsables, c'est le moment ou jamais de réaffirmer le principe de laïcité. Dans l'amendement, après « s'exonérer », il faudrait cependant ajouter « ou être exonéré », car ces revendications sont souvent validées par ceux qui entrent dans le jeu du communautarisme, en violation des règles de la laïcité. La précision n'est pas inutile.
M. Didier Marie. - La semaine dernière, nous avons tous rappelé que le respect de la laïcité devait demeurer au coeur de nos préoccupations, au regard des récents évènements et de la montée du communautarisme. Toutefois, nous étions réservés quant à la pertinence d'une révision constitutionnelle ; la même observation vaut pour cet amendement. Ne modifions pas la Constitution à la va-vite.
La rédaction de l'amendement pose aussi problème. L'origine et la religion ouvrent un champ très large, qui pourrait aussi inclure les opinions ; même flou dans le verbe « se prévaloir », qui suggère une action devant les tribunaux ; enfin, on peut aussi s'interroger sur la portée juridique de la notion de « règle commune ».
La loi de 1905 se suffit à elle-même. Modifiée onze fois, sa formulation actuelle répond à l'ensemble des situations que notre société rencontre, à condition d'être appliquée pleinement et totalement. La loi, toute la loi et rien que la loi : la République a les outils pour rester laïque et lutter contre tous les communautarismes et les intégrismes.
Mme Esther Benbassa. - Je parlerai en tant qu'historienne des religions. Un bref rappel de l'histoire de la loi de 1905 n'est pas inutile. Le mot de laïcité en est absent. À l'époque, la France était divisée en deux par l'action du président du Conseil d'alors, le petit père Combes.
M. Pierre-Yves Collombat. - Pie X, ce n'était pas mal non plus !
Mme Esther Benbassa. - Combes s'était attaqué à l'enseignement congréganiste. En 1905, parler de laïcité, c'était s'opposer à la religion majoritaire, le catholicisme, et ainsi diviser la France. En revanche, en 1946, le gouvernement tripartite, qui comprenait des communistes et des catholiques, s'est entendu pour introduire le mot « laïque » dans la Constitution de la IVe République - repris ensuite dans la Constitution de 1958.
Dans une décision du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel s'est opposé à la suppression du concordat demandée par une association alsacienne laïcarde.
À l'heure où la France se trouve à nouveau divisée, attention à ne pas stigmatiser l'islam. Le communautarisme, dans les banlieues, prend des apparences laïques recouvrant une opposition aux institutions, ce qui est bien plus grave. Ces dernières années, la laïcité est devenue un élément de division. Arrêtons-nous à une laïcité ouverte, inclusive, respectueuse de la liberté de culte. Les textes existants sont clairs et suffisants pour ceux qui veulent promouvoir le vivre-ensemble. J'en appelle à une laïcité conviviale et généreuse.
M. Alain Anziani. - Les motifs de l'amendement sont louables, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions. Quelle est la règle commune à laquelle il fait référence ? S'il s'agit des divers textes législatifs et réglementaires, l'amendement est inutile ; dans le cas contraire, qui édicte cette règle commune ? Par nature, elle varie en fonction du temps et du lieu, et ne saurait pour cette raison être inscrite dans la Constitution. En voulant apaiser, votre amendement ouvre un champ d'interprétation, de conflit et de contentieux.
M. François Grosdidier. - Le fait est rare, je souscris entièrement aux propos d'Esther Benbassa sur la nature de la laïcité. Le principal défi n'est pas le concordat ou les dispositions dérogatoires outre-mer, mais bien la poussée communautariste et ceux qui l'instrumentalisent, dans l'anticléricalisme à gauche, dans l'islamophobie à droite.
Dans la laïcité actuelle, les musulmans sont moins égaux que les autres, puisqu'ils n'avaient pas de lieux de culte en 1905. Le communautarisme, ce n'est pas l'organisation des cultes, mais la volonté d'imposer des prescriptions religieuses hors de la sphère individuelle et de les faire prévaloir sur les lois de la République. La laïcité est posée par l'article 1er de notre Constitution, alors qu'elle ne figure pas dans la loi de 1905. Si la proposition de loi constitutionnelle se borne à rappeler l'article 1er de la loi de 1905, très bien. Mais si elle fait référence à l'article 2, nous sommes déjà dans les modalités.
La loi de 1905 a été un acte fondateur, et le 9 décembre devrait être commémoré, mais ce n'est pas l'alpha et l'oméga de la laïcité. La loi est par nature évolutive, et Philippe Bas aurait pu citer le financement de la construction de la grande mosquée de Paris. Geler un principe constitutionnel en le mettant sous cloche est le meilleur moyen de le tuer.
Si la proposition de loi doit être modifiée - et je n'en suis pas convaincu -, elle doit l'être dans le sens que suggère Philippe Bas. Le pouvoir constituant pourrait ainsi rappeler au Conseil constitutionnel à quel point il s'oppose aux dérives communautaristes. Ce n'est pas indispensable, mais cela peut être utile.
M. René Vandierendonck. - Je vais assister, à Roubaix, à une cérémonie en hommage à André Diligent. Deux constats : il y a plus de gens qui parlent de laïcité que de gens qui la pratiquent au quotidien ; et la foultitude de lois, la kyrielle d'arrêts du Conseil d'État et de décisions du Conseil constitutionnel montrent à quel point l'architecture de la laïcité est difficile. Jaurès préconisait d'apaiser la question religieuse pour poser la question sociale. La jurisprudence du Conseil d'État s'est merveilleusement acquittée de la nécessaire différenciation à opérer à l'égard de l'Alsace-Moselle.
Je vais finir par regretter la Constitution d'avant 2008, où la possibilité d'une révision constitutionnelle par initiative parlementaire était strictement encadrée, et non laissée à l'encan ! Vous le savez, je suis un binational : moitié centriste, moitié socialiste...
Mme Esther Benbassa. - Vous allez finir apatride !
M. René Vandierendonck. - Loin de me renier, je le redis avec force : ne modifions pas la Constitution à la légère. La dernière chose que m'a confiée Jean-Jacques Hyest avant de rejoindre le Conseil constitutionnel est la suivante : la Constitution n'est pas un texte qui interdit. Laissez les juges faire leur travail !
M. Jacques Bigot. - L'enfer est décidément pavé de bonnes intentions. Je comprends celles de Philippe Bas, mais son amendement recèle des possibilités dangereuses. Personne ne saurait revendiquer que des menus halal soient servis dans les cantines de sa commune ; mais rien n'empêche les communes de le faire.
En Alsace-Moselle, le Vendredi Saint est un jour férié institué par le code du travail local. À l'origine, comme les protestants sont particulièrement attachés au Vendredi Saint, la disposition s'appliquait aux communes où se trouvait un temple, avant d'être généralisée. Si l'amendement de Philippe Bas est voté, alors les commerces locaux pourront le faire valoir pour demander l'autorisation d'ouvrir le Vendredi Saint ! Attention aux conséquences d'une réflexion trop hâtive. Recherchons l'apaisement plutôt que de ressusciter de vieux débats.
M. François Zocchetto. - Je m'associe aux appels à la prudence. Notre groupe, après une réflexion de plusieurs mois, est parvenu à la conclusion qu'il convenait de ne pas réviser la Constitution.
D'abord, le Conseil constitutionnel n'a rencontré aucune difficulté pour interpréter l'article 1er de la Constitution, comme le montre notamment la décision du 19 novembre 2004. Ensuite, la loi de 1905 est elle aussi particulièrement claire, et il n'y a pas lieu de modifier son articulation avec cet article 1er. Enfin, la formulation de l'amendement laisse penser, a contrario, qu'il existe des cas où l'on peut s'exonérer du respect de la règle commune. La formulation positive est préférable, qui affirme que la République « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens » et « respecte toutes les croyances ».
C'est pourquoi nous voterons contre l'amendement.
M. André Reichardt. - Je vois mal l'objectif poursuivi par la proposition de loi constitutionnelle et son apport, mais je vois clairement les dégâts qu'elle pourrait entraîner pour le concordat d'Alsace-Lorraine.
La semaine dernière, les sénateurs RDSE n'étant pas là pour nous fournir une explication de texte, nous nous sommes interrogés sur de possibles arrière-pensées visant la lutte contre le communautarisme ; de ce point de vue, l'amendement de Philippe Bas a l'avantage d'être très clair. Mais est-il nécessaire d'inscrire dans la Constitution ce que le Conseil constitutionnel a déjà rappelé dans ses décisions ? Il ne faut toucher à la Constitution qu'avec une main tremblante, or les révisions sont à la mode en ce moment, sans qu'on en subodore toujours les incidences...
Jacques Bigot a rappelé qu'au nom de la lutte contre le communautarisme, on risquait de remettre en cause des situations qui ne posent pas problème - et pas seulement le Vendredi Saint ! La semaine dernière, nous avons rejeté cette proposition de loi, préférant maintenir ce qui fonctionne et contribuer à une laïcité apaisée. Je suis par conséquent réservé sur l'amendement, qui risque d'engendrer de nouvelles difficultés. Soyons prudents !
M. Pierre-Yves Collombat. - Nous n'avons que deux possibilités claires et acceptables. La première est celle que nous proposons : rappeler la loi de 1905, qui explicite la notion de laïcité à une époque pas aussi apaisée que certains le prétendent. Esther Benbassa a évoqué les divisions suscitées par le père Combes, mais il avait face à lui une Église qui refusait la République - je vous renvoie au Syllabus et au Quanta Cura de Pie IX !
La loi Carle - que j'ai votée car elle apportait des améliorations pratiques - consacre néanmoins l'égalité de traitement entre l'enseignement public et l'enseignement privé ; ce n'était pas dans la Constitution, mais devient un principe fondamental de la République...
La seconde position consiste à considérer que le moment n'est pas venu de réviser la Constitution et que la laïcité se suffit à elle-même ; que l'on va aggraver la situation alors que la jurisprudence a jusqu'à présent su régler les problèmes. De là à réécrire entièrement notre proposition de loi... Notre président estime qu'il faut traiter le problème de l'heure, mais la Constitution n'est pas un panneau d'affichage ! Votez la proposition de loi ou ne la votez pas, mais ne la transformez pas par un amendement à la rédaction discutable.
Mme Catherine Tasca. - Esther Benbassa a eu raison de convoquer l'Histoire sur un sujet complexe, d'une actualité permanente. Il y a un consensus autour de la nécessité de ne retoucher la Constitution qu'en cas d'extrême nécessité. En l'espèce, la jurisprudence s'accommode très bien des textes actuels. Il est donc inutile de raviver ce débat, qui plus est en contradiction avec la position prise par notre commission la semaine dernière sur cette proposition de loi. Pourquoi lui substituer une autre formulation ? Le contenu de la laïcité est mis en forme par les décisions des tribunaux, les initiatives des élus et les demandes de nos concitoyens. Ils attendent de nous qu'on apaise le débat.
M. Yves Détraigne. - Le sujet est sensible. À la suite des polémiques sur les crèches dans les mairies, l'Association des maires de France a cru bon de publier un bulletin explicitant la notion de laïcité. Nombre de maires de mon département s'en sont indignés ; quatre d'entre eux, pourtant guère militants, refusent depuis de payer leur cotisation à l'AMF. Nous avons ouvert un faux débat, qui n'existe pas dans la société !
M. François Grosdidier. - Comme la déchéance de nationalité !
M. Jacques Mézard. - Notre débat de ce matin suffit à mon contentement.
M. Alain Richard. - Nous pourrions peut-être nous en tenir là ?
M. Jacques Mézard. - Souffrez, monsieur le ministre, que je m'exprime. Sur la forme, je n'ai pas l'habitude d'être une « mère porteuse législative ». Sur le fond, je suis sensible à l'amendement de Philippe Bas, qui adresse un message au communautarismes, mais il ne correspond pas à notre texte initial, d'où des appréciations diverses au sein de notre groupe.
Les propos entendus ce matin sont très révélateurs de l'évolution de la société française - au-delà du respect de toutes les opinions, y compris la défense des intérêts locaux. La laïcité n'accepte pas de demi-mesure : il n'y a ni laïcité inclusive, ni laïcité accommodante. Soit on applique la loi de la République, soit ce sont des dérives communautaristes ; voyez le débat autour de l'Observatoire de la laïcité ! Ce point figurait dans les propositions du candidat Hollande. Ne prévoir qu'une obligation de moyens et non de résultat, voilà qui est original...
L'article 1er de la loi de 1905 a vocation à entrer dans la Constitution, pour cristalliser la liberté de conscience, la liberté d'exercer un culte et la séparation des Églises et de l'État. Ce serait plus opportun que d'y inscrire la déchéance de nationalité ! J'approuve M. Vandierendonck : ne touchons pas trop à la Constitution - mais que les premiers d'entre nous commencent par le faire !
M. René Vandierendonck. - Exactement !
M. Jacques Mézard. - Tout recul de la laïcité serait un recul de la République. N'engageons pas notre République dans une frilosité, conjugaison de pudeur, de pruderie et de pudibonderie. Il est des valeurs sur lesquelles on ne saurait transiger sans y renoncer.
Mme Sophie Joissains. - Autant inscrire l'article 1er de la loi de 1905 dans la Constitution ne m'aurait pas gênée, autant j'estime qu'il ne faut pas la modifier pour la déchéance de nationalité ou l'état d'urgence. Je m'abstiendrai sur toute proposition de révision constitutionnelle.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement de M. Bas a suscité pas moins de quatorze interventions....
M. Philippe Bas. - Je suis très sensible à ce succès d'estime, ainsi qu'à vos fortes convictions. Saisis de cette proposition de loi, nous l'avons rejetée après délibération. Pour répondre aux questions réelles et sérieuses soulevées, qui reflètent l'état de la société, et en l'absence de solutions concrètes à ces phénomènes qui tiennent une place croissance dans la vie quotidienne, j'avais proposé une nouvelle formulation, qui peut être améliorée.
Néanmoins je reste ferme sur certains points. On ne peut traiter ce sujet sans un minimum de consensus. Ce n'est pas en nous divisant artificiellement que nous ferons progresser les choses. Le texte fondateur de notre société ne doit pas être trop fréquemment révisé : il n'est pas contingent. Il comporte des règles fondamentales, à commencer par ses articles 1er et 2. Il comporte aussi des règles d'organisation des pouvoirs publics, que l'on peut faire évoluer. Nous ne pouvons réviser la Constitution sans cause réelle et sérieuse, ni dans l'improvisation. Nous aurons à en reparler...
S'il y a un problème de vivre-ensemble, qui se retrouve dans les rapports entre individus et institutions et qui menace la cohésion de la société, c'est bien le communautarisme. La subversion - mot affreux ! - est à l'oeuvre contre les principes républicains. Donnons-lui un coup d'arrêt, par un acte politique républicain fort, faisant l'objet d'un consensus large, et répondons aux exigences de l'heure qui sont loin d'être secondaires. Mon amendement créerait du contentieux ? C'est parce qu'il y a du contentieux qu'il est nécessaire et utile !
Je me borne à constater que le sujet n'est pas mûr. Je ne regrette pas d'avoir provoqué le débat ; je vous avais promis, la semaine dernière, de rechercher une solution pour progresser. J'estimais que cet amendement tenait la route, je ne désespère pas de vous convaincre. Il s'agit de fixer une référence claire pour les employeurs, les maires, les services de police, sans avoir à attendre des années de contentieux - comme dans l'affaire Baby Loup - pour savoir quelles règles appliquer.
Si le foyer du terrorisme se trouve dans les conflits du Proche-Orient, l'écho du fanatisme dans certains lieux à l'intérieur même de la société française justifie qu'on traite de la relation entre sentiment religieux, même s'il est dégénéré, et l'application de la règle commune. Je vais retirer mes amendements, qui ne seront donc pas examiné en séance.
M. René Vandierendonck. - Merci !
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
M. François Pillet, rapporteur. - L'amendement n° 3 de Jean-Louis Masson peut être retiré sans crainte, puisque nous nous orientons vers la non-adoption de cette proposition de loi. L'amendement tend à sauvegarder le régime particulier d'Alsace-Moselle, mais oublie la Polynésie française, la Guyane, Wallis-et-Futuna, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes... ainsi que les dérogations à l'interdiction de subventionner les cultes.
M. Jean Louis Masson. - Je maintiens mon amendement. Rien n'empêche tel ou tel sénateur d'en déposer sur les Terres australes ou la Polynésie, mon but n'est pas d'empêcher la prise en compte des autres particularismes.
Je suis partisan de la philosophie de M. Mézard, mais il aurait été plus rassembleur s'il avait pris en compte les situations particulières. Il faut être aveugle pour ne pas voir que le terrorisme puise ses racines dans le communautarisme ! Cette disposition mettrait en cause le Vendredi Saint ? Si l'on exonère les trois départements pour les quatre cultes reconnus par le régime concordataire - catholique, protestants, israélite - il n'y a pas de problème. Mais un vide juridique existe pour les autres cultes. De nombreux élus locaux s'y engouffrent pour pratiquer un électoralisme communautariste ; c'est extrêmement dangereux. Je ne propose pas de ne pas appliquer la proposition de loi à l'Alsace-Lorraine, mais de préserver la législation afférente aux quatre cultes reconnus.
M. François Grosdidier. - Je voterai l'amendement de M. Masson - je l'aurais volontiers co-signé, s'il me l'avait proposé ! - afin de protéger le droit applicable, dans l'hypothèse où la proposition de loi serait adoptée. Le concordat - qui dérive du beau mot de « concorde », que je préfère à « vivre-ensemble » - est une autre façon de vivre la laïcité.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ça, c'est la meilleure !
M. François Grosdidier. - La législation applicable apporte des réponses et met tous les pratiquants à égalité de droits.
M. André Reichardt. - Si ce texte est voté, il rendrait inconstitutionnel le droit des cultes alsacien-mosellan. Votons donc cet amendement, même s'il mérite d'être amélioré. Nous vivons en Alsace-Moselle une laïcité apaisée, maintenons-la.
M. Philippe Bas, président. - MM. Masson, Grosdidier et Reichardt et Mme Troendlé - par délégation - votent en faveur de l'amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
La commission donne les avis suivants :
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Article unique |
||
M. BAS |
1 rect. |
Retiré |
M. MASSON |
3 |
Défavorable |
Intitulé de la proposition de loi constitutionnelle |
||
M. BAS |
2 rect. |
Retiré |
Supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires - Examen des amendements au texte de la commission
La commission examine les amendements sur son texte n° 331 (2015-2016) pour la proposition de loi organique n° 3 (2015-2016) présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
M. Jean Louis Masson. - Il est anormal qu'un parlementaire dont la mission est prolongée soit remplacé par son suppléant. Ce tour de passe-passe est particulièrement choquant, d'autant qu'il est devenu, pour le pouvoir - de droite comme de gauche - une habitude, tous les trois ou quatre ans. Je n'ai rien contre des missions de six mois, mais sans possibilité de prolongation : cela empêchera le remplacement par le suppléant.
M. Hugues Portelli, rapporteur. - Cet amendement est incompatible avec la proposition de loi organique la commission a votée la semaine dernière.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
M. Michel Mercier. - Je défends notre amendement n° 2. Oui au maintien du système des parlementaires en mission, mais non au remplacement au Parlement sans élection. Le principe de parlementaires en mission est sain, dans un régime qui sépare strictement le législatif de l'exécutif. Le parlementaire peut ainsi participer à l'élaboration d'un texte ou élargir son champ. Un parlementaire en mission plus de six mois se trouverait dans une situation analogue à celle d'un ministre redevenant parlementaire.
M. Hugues Portelli. - Amendement incompatible avec notre position.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2, ainsi qu'à l'amendement n° 3.
Intitulé de la proposition de loi organique
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
La commission donne les avis suivants :
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Article 1er |
||
M. MASSON |
1 |
Défavorable |
Mme GOURAULT |
2 |
Défavorable |
Mme GOURAULT |
3 |
Défavorable |
Intitulé de la proposition de loi organique |
||
Mme GOURAULT |
4 |
Défavorable |
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes - Examen des amendements aux textes de la commission
La commission examine les amendements sur son texte n° 333 (2015-2016) pour la proposition de loi n° 225 (2015-2016) présentée par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes et sur son texte n° 334 (2015-2016) pour la proposition de loi organique n° 226 (2015-2016) présentée par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 4
L'amendement de coordination n° 17 est adopté.
Article 10
L'amendement rédactionnel n° 18 est adopté.
Article 11
L'amendement rédactionnel n° 19 est adopté.
M. Jacques Mézard. - Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ne doit pas être considéré comme une autorité administrative indépendante (AAI) - il est consultatif, comme son nom l'indique. Mais pour répondre aux inquiétudes de son président et de ses membres, nous proposons d'inscrire dans la loi que « le comité exerce sa mission en toute indépendance », afin de consacrer explicitement son indépendance sans ouvrir la brèche dans le statut des AAI.
L'amendement n° 20 est adopté.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'amendement n° 21 corrige une erreur matérielle.
L'amendement n° 21 est adopté.
Article 31
L'amendement de coordination n° 22 est adopté.
Article 36
L'amendement de coordination n° 23 est adopté.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'amendement n° 24 instaure un renouvellement partiel au sein de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et adapte en conséquence les règles relatives à la parité.
L'amendement n° 24 est adopté.
Article 42
L'amendement rédactionnel n° 25 est adopté.
Article 49
L'amendement de coordination et de précision n° 26 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
M. Alain Richard. - L'amendement n° 12 propose de reclasser dans la liste des AAI des autorités ayant des garanties d'indépendance, comme l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la Commission nationale du débat public (CNDP), la commission des participations et des transferts ou la Commission des sondages.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je soutiens cet amendement. Le Sénat a adopté une proposition de loi que j'avais déposée avec M. Portelli, qui renforce considérablement la composition et les compétences de la Commission des sondages, et dont j'espère qu'elle prospérera. Ce vote conforte l'amendement de notre collègue.
M. Pierre-Yves Collombat. - La CNDP ne prend aucune décision.
M. Alain Richard. - Elle impose des débats publics.
M. Pierre-Yves Collombat. - Allons ! Même chose pour la Commission des participations et des transferts, qui nous a précisé qu'elle n'émettait que des propositions. L'État fait ce qu'il veut ! J'en déduis qu'elle ne prend aucune décision.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je remercie M. Richard pour son approche constructive. Je connais son attachement à la Commission consultative du secret de la défense nationale, qu'il a lui-même créée. D'accord pour la classer parmi les AAI, sous réserve d'en modifier l'appellation pour supprimer « consultative ».
Défavorable, en revanche, pour l'ACPR, qui est adossée à la Banque de France et dont le président nous avait dit ne pas se considérer comme AAI ; son nouveau président nous a écrit la même chose, sur papier à en-tête de la Banque de France. Ne soyons pas plus royalistes que le roi !
De même, la CNDP ne peut être une AAI, pour les raisons exposées dans le rapport. La Commission des participations et des transferts n'a jamais, jusqu'à ce jour, été qualifiée d'AAI, pas plus que la Commission des sondages. Certaines autorités, indépendantes ou non, nous font remonter leurs demandes. Nous ne proposons nullement de supprimer ces organismes, nous disons seulement qu'elles ne sont pas des AAI.
M. Alain Richard. - Cela a le temps d'évoluer. L'ACPR a un vrai pouvoir de décision ; la position de son président me semble motivée par des raisons d'intendance...
M. Philippe Bas, président. - L'avis du rapporteur est favorable au II, sous réserve de rectification, et défavorable au reste. Nous voterons par division en séance.
La commission émet un avis favorable au II de l'amendement n° 12, sous réserve de rectification, et un avis défavorable aux I, III, IV et V.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'amendement n° 1 de la commission de la culture préconise que l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) conserve son statut d'AAI. Je propose un avis de sagesse pour débattre en séance publique.
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 1.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié : si nous disons oui au Médiateur national de l'énergie, la liste des AAI va prospérer !
M. René Vandierendonck. - Très bien !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'amendement n° 2 concerne Hadopi. Sagesse.
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 2.
M. Alain Richard. - Notre amendement n° 10 améliore la rédaction sur le constat de manquement et prévoit le cas d'un manquement du président. Le constat d'incompatibilité ne résulte pas d'un vote mais d'une observation, qui revient au président.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avis favorable, avec une suggestion de rectification, pour ne pas limiter les obligations dont la violation peut donner lieu à cette procédure car le seul renvoi aux articles 10 et 13 empêcherait le collège de statuer sur des manquements liés aux règles particulières à chaque autorité.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10, sous réserve de rectification.
M. Alain Richard. - La pensée du rapporteur est parfois empreinte de radicalité ! Les incompatibilités électives imposées aux membres d'une AAI sont plus strictes que celles imposées aux parlementaires ! Tenons-nous en à celles-ci : non aux fonctions exécutives, oui aux fonctions délibératives.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je salue cette sage position. M. Richard n'a jamais été un adepte du non-cumul.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 16.
M. Alain Richard. - Selon les praticiens, le volume d'activité de certaines AAI ne justifie pas que le président soit à temps plein. L'amendement n° 11 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de déterminer lesquelles, car cela ne relève pas du niveau législatif.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avis défavorable. Cet amendement supprime la règle prévoyant que le président d'une AAI ou d'une API ne puisse exercer parallèlement une autre activité professionnelle ou un autre emploi public. La présidence d'une telle autorité est suffisamment prenante pour qu'en droit ou en pratique, cette règle soit déjà appliquée. La question peut subsister pour une ou deux, comme la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) - mais ses prérogatives vont être renforcées par le projet de loi pour une République numérique. Si une autorité exerce des prérogatives suffisamment importantes pour être qualifiée d'AAI, son président ne peut être à temps partiel !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'amendement n° 9 rectifié reprend la proposition n° 8 du rapport de la commission d'enquête. Si certaines AAI bénéficient des services, notamment fiscaux, de l'État, ceux-ci les utilisent en retour et selon leurs finalités propres pour mener des investigations tous azimuts. Les éléments collectés à cette occasion font fâcheusement douter de l'indépendance de l'AAI....
M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est délicat, car mon avis en tant que rapporteur est différent de ma position en tant que cosignataire de l'amendement...
M. René Vandierendonck. - Ce n'est pas au Parti socialiste que l'on verrait ça !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En raison de sa formulation générale, cet amendement pourrait faire l'objet de difficultés d'interprétation. S'il est bon que le débat ait lieu - notamment en ce qui concerne la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV) - cette règle pourrait faire obstacle à la transmission d'informations et s'articulerait difficilement avec l'article 40 du code de procédure pénale. La proposition de la commission d'enquête est un objectif que le législateur doit garder à l'esprit, mais je ne suis pas sûr qu'elle se prête à une disposition générale. Retrait ?
M. Pierre-Yves Collombat. - La commission d'enquête avait accepté cette proposition. Où est le problème ? En théorie, ces autorités dites indépendantes devraient avoir leur propre personnel et leurs propres moyens d'investigation - la HATVP le revendique - mais souvent, elles sont contraintes d'utiliser les ressources des administrations. Ces dernières se prévalent alors du travail réalisé par l'AAI et poursuivent leurs propres finalités. Curieuse conception de l'indépendance !
M. Philippe Bas, président. - Le Sénat se prononcera. L'article 40 du code de procédure pénale dispose que tout agent public qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République. Cette règle prévaudrait probablement, mais l'amendement pose un problème de droit, car il faut pouvoir transmettre les informations au juge.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est la Haute Autorité qui transmet !
M. Alain Richard. - En réalité, derrière le caractère général de l'amendement, la cible est précise : la HATVP ne peut analyser les déclarations de patrimoine sans l'assistance des fonctionnaires des impôts. Ainsi, des personnes soumises au contrôle de la Haute Autorité se voient demander, plus ou moins longtemps après, une vérification de leur situation fiscale. C'est très contrariant, évidemment, mais nous ne pouvons voter un amendement interdisant à l'administration de s'intéresser à la situation fiscale des personnes contrôlées par la HATVP ; ce serait du self service !
M. François Pillet. - Comment homogénéiser le droit avec les règles régissant l'exercice du droit de communication de l'administration fiscale ? Il faudrait mettre en concordance le livre des procédures fiscales.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'administration fiscale a le droit de réaliser tous les contrôles qu'elle souhaite. Mais il est bizarre de les justifier en invoquant une déclaration à la HATVP, d'autant plus lorsque les vérifications et éventuels redressements portent sur un patrimoine qui n'a pas à être déclaré à la HATVP - comme dans le cas d'un mariage sous le régime de la séparation. Et ce qui l'est davantage, c'est que cela ne vous semble pas curieux ! Soit cette autorité est une autorité indépendante, soit elle ne l'est pas. Dans ce cas, autant la supprimer et la remplacer par les services fiscaux : ce serait plus simple et économique.
M. Alain Vasselle. - M. Collombat veut appliquer le principe de précaution ! J'avais suggéré, lors du débat sur le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires, que l'on évalue la loi de 2013, afin d'apprécier les éventuels excès, avant de déposer, le cas échéant, une proposition de loi pour les corriger.
M. Philippe Bas, président. - Proposition judicieuse, je vous propose que le bureau en délibère.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 9 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
Article additionnel après l'article 15
M. Pierre-Yves Collombat. - L'amendement n° 8 rectifié encadre la procédure en matière de délais, de motivations et de recours.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'intention est excellente mais étendre certaines règles de procédures à toutes les AAI créerait des problèmes techniques, pour l'Autorité de sûreté nucléaire par exemple. Concentrer le contentieux des AAI et API au profit du Conseil d'État n'est pas opportun puisque le contrôle de certaines relève du juge judiciaire.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 8 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'amendement n° 7 rectifié organise le suivi systématique des activités des hautes autorités, conformément à la proposition n° 11 de la commission d'enquête.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Rappeler la nécessité de discuter du suivi des recommandations faites par les missions de contrôle est opportun, mais contraindre le Parlement à organiser des débats en séance publique ne me paraît pas conforme à notre Constitution : avis défavorable à défaut d'un retrait.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 7 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
Article additionnel après l'article 23
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'auteur de l'amendement n° 6 juge contraires à la Constitution les règles fixées en 1988 relatives aux obligations déclaratives des parlementaires. Or le Conseil constitutionnel les a validées dans sa décision du 9 octobre 2013, et le lien avec l'objet du texte n'est pas évident...
La commission demande le retrait de l'amendement n° 6 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 25
La commission émet un avis de sagesse sur l'amendement n° 3.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 4 rectifié et 15 rectifié bis portent sur le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), nous en avons déjà parlé. Avis défavorable.
M. Alain Vasselle. - Je partage la position des auteurs de ces amendements : en matière d'éthique, l'indépendance totale est souhaitable.
M. Philippe Bas, président. - Le CCNE n'est pas une autorité administrative indépendante, ses membres le reconnaissent eux-mêmes. Mais il fallait, notamment vis-à-vis de ses homologues étrangers, réaffirmer son indépendance ; d'où l'amendement n° 20 du rapporteur adopté tout à l'heure, qui précise que le Comité « exerce sa mission en toute indépendance ». Son autorité tient à la force consensuelle de ses recommandations.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le CCNE ne nous a fait parvenir aucune observation.
La commission demande le retrait des amendements identiques nos 4 et 15 rectifié bis, et, à défaut, y sera défavorable.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 13 rectifié. Les règles de parité, introduites par l'ordonnance du 31 juillet 2015, ne sont pas incompatibles avec celles encadrant le renouvellement partiel du collège de l'Autorité des marchés financiers - pas plus qu'avec celles relatives au collège de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, de la HATVP, du Conseil supérieur de l'audiovisuel ou de l'Agence française de lutte contre le dopage. Le treizième alinéa de l'article L. 621-2 du code monétaire et financier applicable au collège de l'AMF prend déjà en compte la diversité des autorités de nomination pour arriver à l'objectif de parité.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13 rectifié.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L'amendement n° 14 rectifié, qui maintient une dyarchie au sein de l'AMF, illustre le poids du lobbying de certains exécutifs d'AAI. Son secrétaire général, nommé après agrément du ministre de l'économie, ayant autorité sur les services, on se demande quels sont les pouvoirs réels de son président ! Avis très défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14 rectifié.
EXAMEN DES AMENDEMENTS À LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
M. Alain Richard. - L'amendement n° 2 complète les règles relatives aux incompatibilités.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je proposerai d'ici à la séance publique une rectification pour prendre en compte la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2, sous réserve de sa rectification.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si la commission en est d'accord, je déposerai en outre des amendements de coordination en son nom afin de tirer les conséquences des votes qui seront intervenus à l'article 1er de la proposition de loi sur la liste des AAI.
M. Philippe Bas, président. - Nous vous donnons mandat.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission pour la proposition de loi est retracé dans le tableau suivant :
La commission donne les avis suivants :
PROPOSITION DE LOI
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Suivi de l'état d'urgence - Communication
La commission entend une communication de M. Michel Mercier sur le suivi de l'état d'urgence.
M. Philippe Bas, président. - Nous serons saisis, sans doute en fin de matinée, à l'issue du Conseil des ministres, du texte du gouvernement relatif à la prorogation de l'état d'urgence, que nous examinerons ce soir en commission et le mardi 9 février en séance publique. Il est toutefois de bonne méthode de commencer à y réfléchir dès à présent, à partir des nombreuses auditions et des riches travaux menés par le comité de suivi de l'état d'urgence, dont le rapporteur spécial est Michel Mercier.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial du comité de suivi de l'état d'urgence. - Le comité de suivi a en effet beaucoup travaillé, et je remercie ses membres de leur implication. Nous avons utilisé les informations transmises par le ministère de l'intérieur et, dans une moindre mesure, par le ministère de la justice, dont les services nous ont quotidiennement alimentés en statistiques. Nous avons complété ces éléments quantitatifs par de nombreuses auditions : d'autorités administratives responsables de la mise en oeuvre de l'état d'urgence - le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, le préfet de police de Paris, le préfet de Seine-Saint-Denis, les directeurs des services de police et du renseignement intérieur -, mais aussi d'acteurs qui en contestent l'application : avocats, associations de défense des droits de l'homme, etc. L'audition de la Quadrature du Net, association spécialisée dans la défense des libertés publiques sur Internet, a bien montré combien le champ de l'action publique s'était déplacé : le temps où l'on pouvait voir les pilotes de la machine administrative est révolu ; désormais, des machines nous en séparent ! C'est une novation profonde de nos sociétés.
Les mesures prises sur le fondement de l'état d'urgence, bien plus nombreuses que pendant la guerre d'Algérie, qu'en 1985 ou en 2005, et applicables sur tout le territoire, outre-mer compris, ont permis au juge administratif d'établir une jurisprudence nouvelle. Première catégorie : les assignations à résidence, très attentatoires aux libertés individuelles, le plus souvent prononcées dans la commune de résidence de la personne visée. Sur les 392 décisions d'assignation signées par le ministre de l'intérieur, seul compétent, 307 ont été prises entre le 15 et le 30 novembre 2015, 70 en décembre et une quinzaine en janvier 2016. Quant aux 27 assignations à résidence prononcées en marge de la COP 21, elles ont concerné des personnes susceptibles de se livrer à des actes violents, comme à l'occasion des précédentes conférences climat à l'étranger, et non les militants écologistes en tant que tels. Sur les 392 assignations, 339 demeurent en vigueur.
Deuxième catégorie de mesure prise sur le fondement de l'état d'urgence : les perquisitions administratives qui, pouvant être effectuées de jour comme de nuit, bien qu'en présence d'un officier de police judiciaire, sont une atteinte grave au principe d'inviolabilité du domicile la nuit gravé dans notre tradition juridique depuis la Constitution du 22 frimaire an VIII. Depuis le 14 novembre 2015, 3 299 perquisitions ont été effectuées, dont les trois quarts avant le 8 décembre. Bien que l'effet de surprise se soit depuis dissipé, le ministre de l'intérieur nous a indiqué hier que des perquisitions plus ciblées continuent. Ces mesures ont donné lieu à 338 gardes à vue et à la saisie d'armes de toutes catégories. Sur 2 827 perquisitions, 563 ont donné lieu à des suites judiciaires : 209 pour infraction à la législation sur la détention d'armes, 199 pour infraction à la législation sur les stupéfiants, 155 pour d'autres infractions ; seules cinq enquêtes ont été confiées au parquet antiterroriste de Paris.
D'autres mesures ont été prises sur le fondement de la loi de 1955 : la remise d'armes, l'interdiction de manifester sur la voie publique ou encore l'interdiction de circuler autour de sites sensibles - la préfète du Nord-Pas-de-Calais a ainsi interdit la rocade portuaire de Calais à la présence de piétons. Quant à la possibilité de bloquer les sites Internet et réseaux faisant l'apologie du terrorisme, introduite par la loi du 20 novembre 2015, aucune mesure n'a été prise sur son fondement, le Gouvernement préférant utiliser l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui autorise l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) à demander aux fournisseurs d'accès le retrait des contenus en cause. Preuve que nous n'étions pas totalement dépourvus de moyens juridiques...
Un mot sur le rôle du juge administratif - que j'ai toujours considéré comme un défenseur des libertés au même titre que le juge judiciaire. Depuis l'arrêt Heyriès du Conseil d'État du 28 juin 1918, sa jurisprudence a évolué vers un contrôle désormais plein et entier des mesures prises lors de circonstances exceptionnelles. Sous le régime de l'état d'urgence, l'administration républicaine peut certes agir de façon dérogatoire au droit commun, mais elle est désormais soumise à un véritable contrôle du juge, qui définit le cadre dans lequel elle doit inscrire son action. Peu de recours ont été intentés au fond. Le Conseil d'État a principalement statué en référé, et en particulier en référé-liberté.
La recevabilité d'un recours en référé-liberté est soumise à une double condition : l'urgence et l'atteinte grave à une liberté fondamentale. Le Conseil d'État a jugé qu'en restreignant la liberté d'aller et venir, l'assignation à résidence remplissait ces deux conditions, et a posé le principe d'un droit à l'audience de la personne assignée à résidence. Sans doute devrions-nous réfléchir à inscrire explicitement ce droit dans la loi.
Second apport majeur de la jurisprudence du Conseil d'État : la plénitude de son contrôle sur les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence. Le juge vérifie en effet la nécessité de la mesure prise et sa proportionnalité à l'objectif recherché. La semaine dernière, le propriétaire d'un restaurant a pu se rendre devant les juges du Palais-Royal - tel le Huron de Jean Rivero - pour se défendre ; les éléments fondant la décision de fermeture de son établissement ayant été jugés insuffisants, celle-ci a été annulée. D'aucuns regretteront que le contrôle ne s'exerce qu'a posteriori. C'est exact, mais il demeure que le juge fixe des règles que l'administration sera tenue de respecter. C'est ce qui fonde la différence - considérable - entre le régime républicain et le régime d'exception.
La Ligue des droits de l'homme avait également saisi le Conseil d'État dans l'espoir qu'il enjoindrait au président de la République de mettre fin à l'état d'urgence. Il est d'abord remarquable que le Conseil d'État ait jugé le recours recevable.
M. Alain Richard. - Il n'a pas considéré que ce fût un acte de gouvernement...
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Exact, l'acte de gouvernement est en voie de disparition dans notre droit public. Le Conseil d'État, analysant si les conditions de recours à l'état d'urgence étaient encore réunies, a estimé que la France faisait toujours face à un péril imminent, caractérisé par la commission d'autres attentats en France et dans d'autres pays depuis le 13 novembre et au regard des informations à la disposition des services de police et de renseignement. Les progrès du contrôle juridictionnel enregistrés ces deux derniers mois sont indéniables. L'on peut regretter l'absence de pouvoirs plus large du juge administratif, mais le Conseil d'État agit en cela comme le Conseil constitutionnel, qui refuse de se reconnaître un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement.
À l'heure où je m'exprime, le Conseil des ministres a sans doute examiné le projet de loi prorogeant l'état d'urgence, qui nous sera transmis incessamment. Mais la situation a un peu changé : le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui jugeait dans une interview récente que l'utilité pratique de l'état d'urgence s'amenuisait - j'ai pour ma part toujours refusé de m'exprimer sur nos travaux, estimant parfois utile de savoir se taire... - est devenu garde des sceaux. Nous devrons réfléchir aux dispositions de la loi de 1955 qu'il conviendrait de conserver ; toutes ne le méritent peut-être pas.
Le Conseil d'État, en garantissant le droit à l'audience des personnes assignées à résidence et en faisant usage de la plénitude de son pouvoir de contrôle, a fait preuve d'une grande subtilité. Il s'est aussi refusé à reconnaître qu'un lien direct dût unir la situation à laquelle une mesure entend remédier et la menace terroriste - raisonnement qui a conduit à l'annulation de la fête des Lumières à Lyon. Le ministre de l'intérieur a manqué, lui, à sa subtilité coutumière en disant : imaginez qu'un attentat soit perpétré alors que vous venez de voter la fin de l'état d'urgence ! Cela peut aussi arriver le lendemain de la décision de le proroger : ce serait à lui alors de rendre des comptes !
Nous sommes dans une nasse. Nous ne sortirons de l'état d'urgence que lorsque nous aurons rendu efficaces nos procédures de droit commun. C'est l'objet de la proposition de loi de Philippe Bas que nous avons votée hier, et qui arme le juge judiciaire de moyens d'action modernes. Il faut préparer activement la sortie de l'état d'urgence.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour ce bilan et cette analyse des conditions qui pourraient justifier la prolongation de l'état d'urgence.
Il est aisé de démontrer que la France fait toujours face à un péril imminent. Sa persistance sera le centre de gravité du débat que nous aurons avec le Gouvernement, car une chose est de déclarer l'état d'urgence, une autre est d'en sortir...
Nous y parviendrons lorsque nous aurons rendu plus efficaces nos dispositifs de droit commun, avez-vous dit. Il ne s'agit pas de les durcir, de restreindre les libertés. Mais nous sommes sur le fil du rasoir. J'ai souvent dit que je préférais l'état d'urgence à des dispositions législatives nouvelles parce qu'il permet un contrôle parlementaire et que les mesures mises en oeuvre ne sont que temporaires.
Le terrorisme brouille la distinction entre police administrative et police judiciaire. La création en 1986 du délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, puis en 2014 du délit d'entreprise individuelle terroriste, ont confié au procureur des moyens d'action préventive, effaçant la distinction entre prévention et répression. À cet égard, la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, dont je suis l'auteur, réaffirme le rôle du parquet et précise les responsabilités nouvelles du juge judiciaire.
Devons-nous proroger l'état d'urgence avec tous les pouvoirs qu'autorise la loi de 1955 modifiée, ou n'en retenir que certains ? Ce n'est pas parce que les assignations à résidence semblent moins efficaces aujourd'hui qu'elles ne le redeviendront pas demain...
M. Mathieu Darnaud. - Je remercie Michel Mercier pour son exposé. Certains événements d'envergure vont se dérouler dans un contexte tendu - je pense notamment à l'Euro 2016. Quelle sera la déclinaison de l'état d'urgence sur le territoire ? Certains maires s'inquiètent des menaces qui pèsent sur les manifestations d'ampleur, d'autant que cette problématique risque de s'installer dans le temps. Comment distinguer les événements qui nécessitent une mobilisation particulière des forces de police et de sécurité ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Je remercie Michel Mercier et les membres du comité de suivi pour leur travail. La question est pragmatique : y a-t-il péril imminent ou non ? Il n'y a pas de réponse incontestable, tout dépend des éléments fournis par le ministère de l'Intérieur. Je suis en désaccord avec le ministre quand il brandit le risque d'un « attentat, demain matin » pour justifier le maintien de l'état d'urgence - on serait amené à le prolonger ad vitam aeternam ! Même chose lorsque le Premier ministre fixe la borne à quand Daech sera définitivement vaincu... L'état d'urgence doit rester exceptionnel. Quant aux mesures législatives, elles doivent donner davantage de moyens à l'autorité judiciaire, comme le préconise le procureur Molins, sans que cela se traduise par une inscription permanente de l'état d'urgence dans la loi. Le jugement doit rester pragmatique et les décisions se prendre en fonction de l'imminence du péril.
M. René Vandierendonck. - Le contrepied politique auquel vous vous livrez est dans la tradition du Sénat. C'est bien joué. Encore faut-il éviter le pas de trop, c'est-à-dire le régime intermédiaire, à la « Canada Dry ». Il est indispensable de réaffirmer notre confiance aux juges. Inscrivons l'indépendance des magistrats dans la Constitution, c'est autrement plus important que la déchéance de nationalité pour les binationaux !
M. François Bonhomme. - Je rappelle que l'association la Quadrature du Net siège dans le comité juridique de la Ligue des Droits de l'Homme, qui continue à communiquer sur la dérive sécuritaire, sur les dangers qui pèsent sur les libertés fondamentales... La décision de sortir de l'état d'urgence est intrinsèquement liée à la nature du péril qui nous menace. Nous avons entendu François Molins ; si nous avions besoin d'évidences, il nous en a donné.
Mme Éliane Assassi. - Je remercie Michel Mercier et nos collègues du comité de suivi. Les auditions ont montré un grand sens des responsabilités de part et d'autre. C'est tout à l'honneur du Sénat. Je ne répondrai pas à la provocation de M. Bonhomme. La Ligue des Droits de l'Homme existe depuis des décennies, elle a été utile à tous les gouvernements en jouant un rôle d'aiguillon. Je suis fière d'avoir participé à la manifestation de samedi dernier pour dire non à la prolongation de l'état d'urgence et à la déchéance de nationalité. La menace terroriste va durer. La force de l'état d'urgence décrété le 13 novembre au soir, était dans l'effet de surprise. Il est passé. En attendant le débat de fond sur la révision constitutionnelle, notre groupe ne votera pas la prolongation de l'état d'urgence.
M. Alain Richard. - Je suis convaincu par cette présentation positive du juge administratif. Selon la Constitution, l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Les libertés publiques constituent un espace de protection autre. Michel Debré était un fervent admirateur de la conception anglaise des droits de la personne et de l'Habeas Corpus - qui comprend le secret des correspondances, y compris électroniques. Manque, parmi les prérogatives du juge administratif, un contrôle sur les perquisitions, du fait de leur caractère immédiat. Il y aura sans doute des contentieux indirects, mais on aimerait pouvoir confirmer que les 3 200 perquisitions opérées étaient bien justifiées.
Initialement, il me paraissait évident que lorsque nous aurions renforcé les pouvoirs du juge judiciaire, l'état d'urgence ne se justifierait plus. Plus les jours passent, moins j'en suis certain. La menace terroriste, organisée, stimulée de l'extérieur, va durer des années et ses manifestations s'imposeront à nous à des dates que nous ne pourrons prévoir. Je préfère éviter les paroles définitives.
M. Philippe Bas, président. - Pourrions-nous faire une proposition concernant le maintien des perquisitions ?
M. Alain Richard. - Ce serait compliqué...
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Faut-il maintenir l'état d'urgence sur tout le territoire ? Dans mon petit village, nous disposons d'un bureau qui délivre les passeports. Un individu s'y est présenté, dont les papiers montraient qu'il avait séjourné à plusieurs reprises en Syrie. En tant que maire, j'ai averti qui de droit. Il figure parmi les six djihadistes arrêtés, hier, dans le Rhône et dans la Loire.
La menace est partout, certains s'auto-radicalisent sur Internet. Il faut pourvoir intervenir partout. L'état d'urgence n'empêche pas de faire preuve d'intelligence ! Aucun match de foot n'a été interdit, un seul a été reporté, malgré l'attentat au stade de Saint-Denis. Nous ne pouvons pas arrêter de vivre, ce serait la victoire du terrorisme. Les services de renseignement nous aident à apprécier le risque réel. Théoriquement, il est envisageable de réduire le nombre des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence ; pratiquement, c'est difficile. La sortie de l'état d'urgence doit se préparer. L'état d'urgence ne nous protège pas des attentats. Nous devons apprendre à vivre avec ce danger en nous donnant les moyens de nous protéger contre le terrorisme.
Mme Catherine Tasca. - C'est moins la justification des perquisitions qui pose problème que les conditions dans lesquelles elles se déroulent, eu égard notamment aux enfants et aux familles. L'attention portée aux enfants est insuffisante. Soyons exigeants sur la manière dont les perquisitions se déroulent.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. - Je suis sensible à cette question. Néanmoins, si les forces de sécurité enfoncent les portes plutôt que de sonner, c'est pour éviter que les terroristes ne sortent leur kalachnikov ou ne déclenchent leur ceinture d'explosifs. Quant aux enfants qui vivent avec des parents qui manient des armes et regardent des sites d'apologie du terrorisme, c'est en amont qu'il faut les protéger ! C'est le rôle des conseils départementaux.
M. Yves Détraigne. - On manque de place...
M. René Vandierendonck. - Je rappelle que Gouvernement a débloqué 9,5 millions d'euros pour le fonds dédié aux mineurs étrangers isolés, cher à Jean Arthuis.
M. Philippe Bas, président. - Nous pouvons considérer, si vous en êtes d'accord, que ces échanges ont tenu lieu de discussion générale sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence, dont nous délibérerons ce soir.
La réunion est suspendue à 12 h 30
La réunion est reprise à 21 heures
Prorogation de l'état d'urgence - Examen du rapport et du texte de la commission
Au cours d'une seconde réunion tenue à l'issue de la séance publique de l'après-midi, la commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence.
M. Philippe Bas, président. - Nous avons déjà eu un débat très approfondi ce matin sur l'état d'urgence.
M. Michel Mercier, rapporteur. - C'est un sujet important. Il faut préparer l'après-état d'urgence. Nous avons reçu le projet de loi cet après-midi, après son adoption en conseil des ministres ce matin. Il tient en un article unique qui proroge l'application de l'état d'urgence de trois mois à compter du 26 février 2016.
Le Gouvernement nous a transmis l'avis du Conseil d'État. Nous nous sommes posé les mêmes questions que le Conseil d'État. Ses pistes de réponse sont extrêmement intéressantes. Il reconnaît que la nouvelle prorogation est justifiée par la persistance d'un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, comme l'exige l'article 1er de la loi du 3 avril 1955. Le Conseil d'État cite les éléments constituant cet état de péril imminent : les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l'étranger contre la France n'ont rien perdu de leur intensité ; un nombre important de ressortissants français sont présents en zone irako-syrienne aux côtés de groupes terroristes et sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes ; des actions terroristes de moindre ampleur qu'avant l'état d'urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace.
Des contrôles sont exercés par le Conseil d'État, en particulier un contrôle de proportionnalité. Les assignations à résidence en cours le 26 février cesseront. Elles devront toutes être réexaminées ; leur pertinence devra être vérifiée. Les décisions administratives prises en la matière pourront aussi être soumises au contrôle du juge administratif. Le Gouvernement, compte tenu de la moindre intensité de la pression extérieure, devrait réduire sensiblement le nombre de mesures restrictives de liberté.
Le Conseil d'État, ce qui est plus important, juge que l'état d'urgence doit demeurer temporaire. Ce n'est pas nouveau : le juge des référés du Conseil d'État, le 9 décembre 2005 à propos de l'état d'urgence de 2005, répété le 27 janvier 2016, rappelle qu'un régime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l'espace. Le ressort géographique déterminé par les décrets des 14 et 18 novembre 2015, soit l'ensemble du territoire national, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna, est proportionné aux circonstances. L'état d'urgence reste un état de crise par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment. Le Gouvernement doit chercher dès à présent une façon d'en sortir. La durée de trois mois proposée n'apparaît pas inappropriée au regard des motifs justifiant la prorogation.
Lorsque, comme cela semble être le cas, le péril imminent ayant motivé la déclaration de l'état d'urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c'est à des instruments pérennes, donc autres que ceux de l'état d'urgence, qu'il convient de recourir.
L'état d'urgence perd son objet dès que s'éloignent les atteintes graves à l'ordre public ayant créé le péril imminent ou que sont mis en oeuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l'état d'urgence, ont vocation à répondre de façon permanente à la menace. L'état d'urgence permet de recourir à des mesures de police administrative exceptionnelles. Mais cela ne peut pas durer toujours.
Le Conseil d'État énumère des pistes de sortie, citant tous les moyens légaux des périodes normales et, d'abord, une bonne coopération entre la justice, la police judiciaire et les autres forces de sécurité. Il dit surtout qu'il faut renforcer les procédures de droit commun, comme le prévoit le projet de loi du Gouvernement qui a pour objectif d'améliorer l'efficacité des enquêtes et des investigations sous le contrôle de l'autorité judiciaire - exactement le titre I de la proposition de loi que nous avons votée hier soir. Il dit aussi qu'il faut préserver les garanties des justiciables - des dispositions également votées hier par le Sénat. La surveillance des personnes rentrant de zones contrôlées par des groupes terroristes doit être assurée : là encore, cela correspond à une disposition votée par le Sénat, qui crée le délit de séjour intentionnel à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes et permet de placer ces personnes sous contrôle judiciaire. Cette surveillance peut être exercée soit par des mesures administratives d'assignation à résidence, soit par des mesures de sûreté prononcées par le juge judiciaire.
En résumé, le Gouvernement propose de proroger de trois mois l'état d'urgence ; le Conseil d'État émet un avis favorable, tout en rappelant que cet état ne peut pas être permanent et qu'il faut, dès à présent, en préparer la sortie.
Je propose un amendement de réécriture de l'article unique. Le fond est identique, mais la rédaction plus précise. L'article dispose que l'état d'urgence, déclaré par décret et prorogé par la loi, est à nouveau prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 février 2016 et selon les modalités prévues aux articles 2 et 3 de la loi du 20 novembre 2015.
Je propose d'écrire que l'état d'urgence emporte, pour sa durée, application du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, c'est-à-dire le droit de procéder à des perquisitions administratives ; qu'il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l'expiration de ce délai. Les assignations à résidence sont de droit, contrairement aux perquisitions administratives. Il est bon de permettre aux Français de faire des recours, et au Parlement de se prononcer distinctement sur la prorogation de l'état d'urgence, la possibilité de mener des perquisitions administratives et la possibilité pour le Président de la République, de mettre fin à l'état d'urgence.
Je propose à votre commission d'accepter l'article unique de ce projet de loi, tel que rédigé par mon amendement.
M. Philippe Bas, président. - Merci à Michel Mercier, rapporteur du comité de suivi et ancien garde des Sceaux. Je me réjouis qu'il ait été nommé rapporteur car nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles. Il a fallu, en un temps record, se poser les questions et proposer une rédaction bien plus lisible que celle du Gouvernement.
M. Alain Richard. - Nous avons déjà débattu du cadre global ce matin. Je soulève une interrogation : devons-nous dès maintenant conclure que lorsqu'une loi supplémentaire renforçant les prérogatives de la justice pour conduire des enquêtes plus rapides et par surprise aura été votée, nous serons naturellement conduits à juger la prorogation suivante injustifiée ?
Inévitablement, les avis du Conseil d'État sur des projets de loi changent de signification lorsqu'ils deviennent des documents publics, ce qui est contraire à leur nature et à la tradition. La liberté de mise en garde voire de mise en défaut du Gouvernement était plus grande tant que ces avis relevaient uniquement du rôle confidentiel de conseil juridique de l'exécutif.
Le Conseil d'État estime qu'en ce mois de février, le péril imminent est toujours constitué, mais il ajoute que si, « comme cela semble être le cas », ce péril trouve sa cause dans une menace permanente, l'état d'urgence doit demeurer temporaire. Le raisonnement du Conseil d'État est que si l'arsenal pénal était complété par le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, dont le Gouvernement a délibéré ce matin en conseil des ministres, il devrait être mis fin à l'état d'urgence. Si, donc, ladite loi était promulguée et non contestée avant le 26 mai prochain, il ne faudrait pas à nouveau proroger l'état d'urgence. Faisons réserve des événements et des données de renseignement qui se présenteront d'ici là... Le rapporteur a souligné l'adéquation de la proposition de loi dont nous avons discuté hier soir avec les remarques du Conseil d'État. Manque la notion de surveillance : le projet de loi anticipé par la proposition de loi ne concerne que la police judiciaire, non le renseignement, ni les visites par surprise. C'est plus restrictif, sans remplir totalement le même objectif. Il n'est pas possible de mener une perquisition, juste pour voir. Il n'existe pas de procédure judiciaire permettant une surveillance. Une personne de retour de Syrie peut être poursuivie, mais elle ne peut pas être mise sous surveillance. Le raisonnement pâtit d'une petite fragilité. La question pourra sans doute être reposée en fonction de l'évolution des événements.
Je ne vois aucune objection à la réécriture proposée par le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. - Il n'est pas question de partir d'un avis du Conseil d'État pour donner la solution de la sortie de l'état d'urgence. Il appartient au Gouvernement et au Parlement de décider, dans la plénitude de leurs pouvoirs. Le Conseil d'État exprime simplement des pistes dont le Gouvernement, et éventuellement le législateur, pourront s'inspirer pour bâtir des procédures de droit commun efficaces. Le Conseil d'État souligne que si un péril imminent est devenu permanent, on ne peut pas rester en état d'urgence.
Tout ceci est fragile. Nous sommes chargés, au Parlement, d'élaborer une doctrine et de rappeler au Gouvernement la nécessité d'avancer plus vite qu'il ne l'a fait jusqu'à ce jour sur la recherche de mesures renforçant les procédures de droit commun, tout en respectant les principes fondamentaux de notre droit.
Mon amendement, qui ne change rien au fond et conserve la structure du Gouvernement, explicite l'autorisation parlementaire ; il est également plus parlant pour nos concitoyens.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pouvez-vous répéter ce qui justifie la différence de traitement entre les perquisitions et les assignations à résidence ?
M. Michel Mercier, rapporteur. - La loi de 1955 prévoit de droit l'assignation à résidence, mais exige une mention expresse pour les perquisitions, par décret ou par la loi.
M. Alain Richard. - La durée de trois mois est-elle un usage, ou est-elle inscrite dans la loi ?
M. Michel Mercier, rapporteur. - Il s'agit d'un usage. En 1961, après le putsch des généraux, l'état d'urgence est proclamé. Michel Debré avait appelé, à la télévision, les Parisiens à enfiler leurs imperméables et à se rendre à pied, à cheval, en voiture, à Orly pour s'installer sur la piste et empêcher les parachutistes d'atterrir. J'étais gamin ; dans ma campagne, nous n'avions pas d'aéroport et ne savions pas comment faire pour les empêcher d'atterrir ! L'état d'urgence est d'abord proclamé par décret pour deux jours, puis l'article 16 de la Constitution a été mis en oeuvre... et le général de Gaulle a prononcé la prorogation, par deux décisions prises en avril puis septembre 1961, jusqu'au 15 juillet 1962 ! C'est qu'il avait le pouvoir législatif complet. La durée de trois mois est un usage récent.
L'amendement COM-1 est adopté et l'article unique est ainsi rédigé. En conséquence, le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est levée à 21 h 30