COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mardi 12 janvier 2016
- Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente -La réunion est ouverte à 18 h 30.
Commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l'enfant
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi relative à la protection de l'enfant s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 12 janvier 2016.
La commission mixte paritaire procède à la désignation de son bureau, qui est ainsi constitué :
- Mme Catherine Lemorton, députée, présidente ;
- M. Alain Milon, sénateur, vice-président.
Puis ont été désignées :
- Mme Annie Le Houerou, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;
- Mme Michèle Meunier, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen du texte.
Mme Catherine Lemorton, députée, présidente. - Comme toutes les commissions mixtes paritaires, celle-ci a pour but d'essayer de dégager un texte commun à nos deux assemblées.
J'ai cependant le sentiment qu'il existe un certain nombre de points d'opposition importants entre nos deux assemblées.
Ces oppositions portent en particulier sur la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, et sur le dispositif relatif au versement de l'allocation de rentrée scolaire lorsqu'un enfant est confié au service d'aide sociale à l'enfance.
Les interventions de nos rapporteures vont nous permettre de mesurer l'importance de nos désaccords qui ne s'arrêtent pas à ces deux points.
M. Alain Milon, sénateur, vice-président. - Sur cette proposition de loi relative à la protection de l'enfant, dont l'examen a été engagé au Sénat en septembre 2014, les constats sont partagés. Mais lorsqu'un texte passe de vingt à cinquante articles, des nuances apparaissent nécessairement même s'il n'y a pas de divergence de fond sur les objectifs poursuivis. Certaines sont liées aux procédures nouvelles pour les départements. Par ailleurs, sur la question de l'attribution de l'allocation de rentrée scolaire au titre des enfants placés, le Sénat défend de longue date une position qui n'est pas celle qu'a retenue l'Assemblée nationale.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour le Sénat. - Comme vous le savez, j'ai été à l'origine, avec notre ancienne collègue Muguette Dini, de la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui. L'objet de cette proposition de loi était, dans la continuité d'un rapport que nous avions présenté au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, d'améliorer la loi du 4 mars 2007 réformant la protection de l'enfance afin de rendre les avancées qu'elle a permises plus effectives sur l'ensemble du territoire. La loi de 2007 est en effet, de l'avis de tous, une bonne loi. Elle a permis de rénover la politique de protection de l'enfance tout en réaffirmant sa décentralisation. Néanmoins, si certains départements se distinguent par des pratiques avancées, d'autres accusent un retard notable, y compris au regard des principes posés par la loi de 2007. À titre d'exemple, le projet pour l'enfant, bien qu'obligatoire, n'est souvent jamais élaboré, ou est perçu par certains services départementaux non comme un outil d'une meilleure prise en charge, mais comme une formalité administrative supplémentaire.
La philosophie de cette proposition de loi était donc d'améliorer la gouvernance nationale et de généraliser les meilleures pratiques locales afin de garantir, sur tout le territoire, la meilleure protection possible pour les enfants en danger.
Ce texte a recueilli un large consensus au Sénat qui, tout en amendant le texte sur certains points, l'a adopté à l'unanimité en mars dernier. Cette initiative a été reprise par l'Assemblée nationale et soutenue par le Gouvernement et je m'en réjouis. Le travail des députés et l'implication de la ministre, qui a mené en parallèle une large concertation au niveau national, ont permis d'enrichir le texte et d'élargir son objet à des thématiques qui n'avaient pas été abordées initialement.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est donc le fruit d'un travail conjoint des parlementaires de nos deux assemblées et du Gouvernement. Au terme de deux lectures dans chaque chambre, près de la moitié des articles que comporte désormais le texte ont été adoptés dans les mêmes termes, et pour plusieurs autres les divergences qui demeurent n'apparaissent pas insurmontables. Nos deux assemblées partagent en effet le souhait de renforcer la place du projet de l'enfant et de mieux définir son contenu et de rechercher une plus grande stabilité dans le parcours des enfants placés. Nous sommes également d'accord pour qu'un référent « protection de l'enfance » soit désigné au sein de chaque département, pour aligner le montant des droits de succession exigé en cas de décès de l'adoptant durant la minorité de l'adopté sur le droit applicable aux successions en ligne directe, pour réviser la procédure judiciaire d'abandon, pour faciliter l'obtention de la nationalité française par des mineurs recueillis notamment par kafala, ou encore pour inscrire la notion d'inceste dans le code pénal.
Parmi les nombreux ajouts opérés par l'Assemblée nationale, le Sénat en a accepté plusieurs. Notamment, la sécurisation du placement de l'enfant auprès d'un tiers bénévole n'a pas suscité d'opposition de fond de la part du Sénat, tout comme l'encadrement des recours aux tests osseux. Enfin, le Sénat a voté le dispositif visant à mieux répartir sur le territoire les mineurs isolés.
Il ne faut donc pas sous-estimer l'importance des convergences entre nos deux assemblées, signe d'un consensus fort sur la nécessité de traiter la question de l'enfance en danger.
Toutefois, sur un certain nombre de points, les positions de la majorité sénatoriale divergent nettement de celles adoptées par l'Assemblée nationale. Le Sénat a ainsi affirmé dès la première lecture son opposition à la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, prévu à l'article 1er. Le Sénat s'est également opposé à l'article 7, qui prévoit l'examen annuel de la situation de l'enfant placé par une commission pluridisciplinaire. Par deux fois, l'Assemblée nationale a rétabli ces dispositions.
Parmi les articles ajoutés au texte de l'Assemblée nationale, le Sénat s'est notamment opposé à ce que la loi rende obligatoire l'accompagnement des jeunes devenus majeurs jusqu'au terme de l'année scolaire ou universitaire. Surtout, le Sénat s'est opposé au dispositif proposé par le Gouvernement qui consisterait à verser l'allocation de rentrée scolaire (ARS) due au titre d'un enfant placé sur un compte bloqué à la Caisse des dépôts et consignations. La majorité sénatoriale souhaite en effet que cette allocation soit versée au service départemental de l'aide sociale à l'enfance auquel l'enfant est confié.
À titre personnel, je suis favorable à la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, qui constitue une des recommandations principales du rapport d'information dont je suis la co-auteure. J'approuve également la solution innovante proposée par le Gouvernement à propos de l'ARS, qui vise à ce que cette allocation bénéficie effectivement au jeune, et contribue à répondre à la problématique de la sortie des dispositifs de l'ASE.
Mais au vu des votes intervenus au Sénat, il me semble qu'il s'agit là de divergences importantes qui paraissent difficiles à surmonter au sein de notre commission mixte paritaire.
Mme Annie Le Houerou, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je tiens tout d'abord à saluer le travail globalement constructif qui a été réalisé par le Sénat lors de l'examen, en deuxième lecture, de la présente proposition de loi. À l'issue des travaux de la Haute Assemblée, 8 des 51 articles de la proposition de loi qui restaient en discussion au terme de la première lecture à l'Assemblée nationale ont été adoptés conformes. Un autre, l'article final de gage financier, a fait l'objet d'une suppression conforme.
À l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, 23 articles ont fait l'objet d'une adoption ou d'une suppression conforme. Il reste donc 21 articles en « navette ».
Un certain nombre d'avancées majeures contenues dans la proposition de loi ont été confortées et enrichies par le Sénat, notamment celles prévues à l'article 5, qui tend à préciser le rôle et le contenu du « projet pour l'enfant », ainsi que les modalités de son élaboration.
Par ailleurs, s'agissant de l'introduction dans le code pénal de la qualification d'inceste, qui constitue une avancée essentielle de cette proposition de loi, le Sénat a adopté trois amendements qui permettent d'améliorer la définition de l'inceste retenue à l'article 22 en supprimant la condition « d'autorité de droit ou de fait » pour les incestes qui seraient commis par le frère, la soeur, l'oncle, la tante, le neveu ou la nièce, et en excluant de la qualification d'inceste les actes commis par le tuteur, le délégataire de l'autorité parentale ou par l'ancien conjoint ou l'ancien concubin.
Néanmoins, je confirme que deux mesures importantes continuent de faire l'objet de profonds désaccords entre nos assemblées.
Il s'agit tout d'abord des dispositions de l'article 1er qui prévoient la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, supprimées par le Sénat en deuxième lecture avant d'être rétablies par l'Assemblée nationale. La question majeure de la gouvernance de la protection de l'enfance ne fait pas consensus entre nos assemblées. Nous estimons pour notre part que la création de cette instance consultative permettrait d'améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l'enfance, celles-ci restant à l'heure actuelle caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les départements et, au sein d'un même territoire, par un cloisonnement de l'action des différents acteurs (conseils départementaux, caisses d'allocations familiales...).
Il s'agit ensuite du dispositif de l'article 5 ED relatif au versement de l'allocation de rentrée scolaire, lorsqu'un enfant est confié au service d'aide sociale à l'enfance (ASE). Le Sénat souhaiterait que cette allocation soit versée à ce service. L'Assemblée nationale estime pour sa part que l'allocation de rentrée scolaire ou la part d'allocation différentielle qui est due à l'enfant confié à l'ASE doit être versée à la Caisse des dépôts et consignations de façon à ce qu'elle en assure la gestion jusqu'à la majorité de l'enfant ou, le cas échéant, jusqu'à son émancipation. À cette date, le pécule serait attribué et versé à l'enfant. Il nous semble qu'il s'agit là d'une mesure innovante de nature à faciliter l'entrée de ces adolescents dans la vie d'adulte.
Outre ces deux principaux points de désaccord, un certain nombre de sujets importants suscitent toujours une divergence de vues entre nos assemblées, parmi lesquels :
- l'accompagnement des jeunes majeurs au-delà du terme de la mesure de protection dont ils font l'objet. Cette mesure est prévue par l'article 5 EA que le Sénat a supprimé et que l'Assemblée nationale a rétabli. Elle doit permettre de finir l'année universitaire engagée ;
- le suivi des mesures prises pour lutter contre l'absentéisme scolaire et le décrochage. Ce dispositif est organisé par l'article 2 ter que le Sénat a supprimé et que l'Assemblée nationale a rétabli afin de mieux coordonner les établissements d'enseignement et les services de la protection de l'enfance ;
- l'obligation faite par l'article 7, au président du conseil départemental, de mettre en place une commission pluridisciplinaire pour examiner les situations d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis plus d'un an lorsqu'il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l'enfant paraît inadapté à ses besoins - cet examen devant avoir lieu tous les six mois lorsqu'il s'agit d'enfants de moins de deux ans. Là encore, cette commission pluri-institutionnelle doit jouer un rôle majeur et être maintenue ;
- de même, l'encadrement strict du recours aux tests osseux dans la rédaction que nous avons adoptée en première lecture apporte les garanties nécessaires aux mineurs, sans qu'il soit nécessaire de créer, dans chaque département, un comité d'éthique chargé de statuer sur la minorité ou la majorité des personnes à partir des éléments d'évaluation comme le souhaiterait le Sénat ;
- enfin, ne saurait être retenue la rédaction adoptée par le Sénat à l'article 22 quater, qui prévoit l'obligation, pour les départements, de transmettre au ministère de la Justice les informations dont ils disposent sur le nombre de mineurs isolés étrangers présents sur leur territoire. Cette transmission d'information permet au ministère de la justice de fixer des objectifs de répartition proportionnés aux capacités d'accueil de ces mineurs dans les différents départements. Il s'agit donc d'un dispositif de solidarité nationale entre les départements et l'article 22 quater ne peut donc prévoir une simple « évaluation » des capacités d'accueil des départements, mais doit fixer des objectifs de répartition entre les différents départements.
Mes chers collègues, nos points de vue s'opposent sur un certain nombre de sujets et sont dans une certaine mesure inconciliables, notamment sur la création du Conseil national de la protection de l'enfance et les modalités de versement de l'allocation de rentrée scolaire due à l'enfant confié à l'ASE. Ces mesures sont attendues par les acteurs de la protection de l'enfance et elles sont issues de longues concertations réalisées par la ministre. Il ne me semble donc pas utile de prolonger davantage les débats de notre commission mixte paritaire ni d'examiner les articles de la proposition de loi.
Mme Catherine Lemorton, présidente. - Au vu de ce qu'ont déclaré nos rapporteures, je pense que les divergences entre nos deux assemblées rendent impossible l'élaboration d'un texte commun susceptible d'être adopté tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat.
Mme Bérengère Poletti, députée. - Je souhaiterais m'exprimer au nom du groupe Les Républicains. Certaines des dispositions de cette proposition de loi sont bonnes mais les mesures risquent de souffrir du manque de moyens dans ce contexte d'économies.
Il est vrai que 30 % des départements n'ont pas participé à la définition de projets pour l'enfant mais la présente proposition risque d'ajouter des difficultés supplémentaires pour des conseils départementaux qui sont pour certains déjà au bord de la « faillite ».
L'article 1er bis ajoute de nouvelles contraintes et probablement des surcoûts pour les départements. L'article 5 ED qui consiste à créer une forme d'épargne pour les jeunes ne nous paraît pas utiliser l'outil adapté. Ce sont les départements qui assurent l'aide sociale à l'enfance et c'est à eux que devrait être versée l'allocation de rentrée scolaire. Il s'agit d'une question de bon sens : si ces jeunes ont besoin d'un pécule, ce n'est pas à cette allocation de l'alimenter, il faut trouver une autre source de financement comme les allocations familiales. Le niveau de ce pécule est également contestable.
S'agissant de la question fiscale traitée par l'article 16, nous soutenons la version du texte adoptée par le Sénat en deuxième lecture. La situation au regard des droits de succession des mineurs qui ont fait l'objet d'une adoption seule est une véritable injustice. La défense de leurs intérêts est très aléatoire puisqu'elle dépend du tuteur. En commun avec Denys Robiliard, nous avons pris l'initiative de proposer une mesure d'équité pour les intéressés, contre l'avis du gouvernement. La solution qui a finalement été préférée consistant en des remises gracieuses paraît moins favorable car elle perd tout caractère automatique. Le gage n'a pas été levé. L'Assemblée doit agir au mieux pour résoudre cette situation.
Nous nous abstiendrons dans le cadre de cette commission mixte paritaire.
Mme Laurence Cohen, sénatrice. - Le groupe Communiste, républicain et citoyen regrette que cette commission mixte paritaire ne puisse pas aboutir, même si nous admettons que certains points posent problème notamment en raison des restrictions budgétaires qui laissent penser que les moyens déployés seront très différents selon les collectivités. Nous regrettons également l'introduction des dispositions envisagées relatives aux tests osseux, même si la ministre a cherché à encadrer cette pratique. Nous aurions souhaité qu'il n'y ait pas cet ajout mais notre amendement demandant la suppression des tests osseux n'a pas été retenu.
M. Alain Milon, vice-président. - J'ai tout dit lors de mon propos introductif mais je souhaite préciser suite à l'intervention de Mme le Houerou que le travail du Sénat n'a pas été « plutôt constructif » mais tout à fait constructif !
Mme Annie le Houerou, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je vous l'accorde.
M. Alain Milon, vice-président. - Il reste effectivement deux points sur lesquels nous nous différencions. En premier lieu, la question de l'allocation de rentrée scolaire qui nous semble indissociable de la fonction d'éducation de l'enfant. Or, celle-ci est assurée par les conseils départementaux dans le cas dont nous parlons. Quant à la question de la mise en place d'un Conseil national pour la protection de l'enfance, la position du Sénat est que ce sont les départements qui sont en charge de cette politique publique et qu'il ne saurait y avoir au-dessus d'eux autre chose que la loi, et en particulier aucun conseil national qui viendrait leur imposer ses choix.
Mme Catherine Lemorton, présidente. - Nous ne pouvons donc que constater l'échec de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant.
La réunion est levée à 19 heures.