- Mercredi 14 octobre 2015
- Contrôle budgétaire - Société de financement local (SFIL) - Communication
- Projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes - Communication
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial
- Approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers - Examen du rapport et du texte de la commission
- Crédit immobilier de France - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
Mercredi 14 octobre 2015
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 05.
Contrôle budgétaire - Société de financement local (SFIL) - Communication
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
Projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes - Communication
La commission entend une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes, transmis pour avis à la commission en application de l'article 13 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La commission des finances a reçu jeudi dernier, soit le 8 octobre, un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 232,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 184,5 millions d'euros en crédits de paiement.
Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), notre commission doit faire connaître son avis concernant la régularité du décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret.
Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. Il est donc encadré par la LOLF, qui définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance.
Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. En outre, pour éviter que cet outil réglementaire ne permette de contourner une éventuelle loi de finances rectificative, les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours. Ces trois critères sont purement mathématiques, techniques et je me bornerai à constater qu'ils sont respectés.
En revanche, le dernier critère, celui de l'urgence, est plus subjectif, plus qualitatif et répond selon la Cour des comptes « aux deux conditions que sont la nécessité, constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l'imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face ». La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures.
Les ouvertures en crédit de paiement concernent deux missions : la mission « Égalité des territoires et logement », à hauteur de 130 millions d'euros, et « Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation » pour 54,5 millions d'euros. En autorisations d'engagement, s'y ajoutent 48 millions d'euros au titre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ces ouvertures, si elles peuvent paraître d'une ampleur limitée au regard du budget général, sont relativement importantes à l'aune des programmes auxquels les crédits sont alloués : elles représentent entre 9,5 % et 55 % des plafonds déterminés en loi de finances initiale.
Sur les 130 millions d'euros demandés pour l'hébergement d'urgence, près de 80 millions d'euros abonderont le budget opérationnel du programme (BOP) de la région Île-de-France, dont 68 millions d'euros au titre des nuitées hôtelières - sujet bien connu. 10 millions d'euros sont destinés au BOP de la région Lorraine et les 40 millions d'euros restants seront répartis pour couvrir les insuffisances de l'ensemble des autres régions. Plus d'un tiers des crédits destinés au programme 177 permettront de verser les dotations dues pour le logement adapté et les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) afin d'éviter des ruptures de trésorerie.
Concernant l'indemnisation des collectivités touchées par les calamités publiques, 48 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement. Ils sont liés à divers évènements climatiques survenus de septembre 2014 à mai 2015 - dont je pourrai vous communiquer le détail si vous le souhaitez - qui ont touché un grand nombre de départements. La prise en charge urgente de ces évènements avait nécessité des redéploiements à partir des subventions pour travaux divers d'intérêt local (TDIL). Il s'agit, par le décret d'avance, de permettre que soient pris les arrêtés attributifs de subvention avant la fin du mois d'octobre.
Enfin, 54,5 millions d'euros sont ouverts pour mettre en oeuvre l'accord entre la France et les États-Unis du 8 décembre 2014 portant sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France. Il s'agit de mettre en place un fonds ad hoc doté de 60 millions de dollars, dont la gestion reviendra au Département d'État américain, pour les victimes n'ayant pu bénéficier d'une réparation au titre du droit français en raison de leur nationalité. Cet accord a été approuvé par le Parlement le 9 juillet 2015 : c'est la raison pour laquelle le financement du fonds ne pouvait donc être prévu en loi de finances initiale ni dans le décret d'avance notifié en mars. Le projet de décret vise à abonder le fonds prévu par l'accord, ce qui doit être fait par la France avant le 1er novembre 2015, date d'entrée en vigueur de l'accord.
Dans ces trois cas, l'urgence est avérée dans le sens où il apparaît nécessaire d'ouvrir rapidement ces crédits. Mais l'urgence ne saurait s'apprécier au seul regard de la nécessité d'ouvrir les crédits dans un délai contraint : toutes les dépenses du budget de l'État pourraient alors être considérées, à un moment ou à un autre de l'année, « urgentes ». Comme je l'ai indiqué à titre liminaire, la Cour des comptes considère que l'urgence regroupe à la fois la nécessité d'ouvrir les crédits, constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l'imprévisibilité des dépenses que le décret d'avance vise à financer.
Ces deux composantes ne sont pas explicitement précisées dans la LOLF, mais elles se déduisent du caractère dérogatoire du décret d'avance. En effet, le décret d'avance est défini comme un dispositif « exceptionnel » puisqu'il contrevient au principe selon lequel les crédits budgétaires ne peuvent être modifiés que par une loi de finances. Le caractère dérogatoire du décret d'avance implique que les ouvertures de crédits auxquelles il procède n'auraient pas pu être intégrées à une loi de finances.
L'appréciation du caractère imprévisible des dépenses financées par le projet de décret d'avance appelle deux remarques. Tout d'abord, le décret d'avance fait suite à d'importants redéploiements intervenus en cours d'année. Concernant l'hébergement d'urgence ainsi que les calamités publiques, des fonds ont été prélevés sur d'autres dispositifs, dont le paiement est plus tardif.
Ainsi, en matière d'hébergement d'urgence, la dotation des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) a été utilisée pour pallier la sous-budgétisation initiale - qu'on pourrait qualifier de chronique - et pour financer les mesures décidées par la circulaire interministérielle de l'été dernier. Comme cette dotation est versée aux centres chaque mois par douzième, 44 millions d'euros ont pu être réaffectés. Les CHRS menacent désormais de faire face à une rupture de trésorerie si les derniers douzièmes - prévus en loi de finances initiale - ne leur sont pas versés.
De même, concernant l'indemnisation des calamités publiques, 48 millions d'euros en autorisations d'engagement ont été prélevés sur les fonds prévus pour les travaux divers d'intérêt local (TDIL). Pour que les subventions correspondantes puissent être notifiées avant la fin de l'année, les arrêtés attributifs doivent être pris avant novembre : là encore, l'urgence n'est pas tant celle des calamités que des subventions à partir desquelles les crédits ont été redéployés.
Le décret d'avance finance ainsi, pour partie, non les besoins imprévisibles apparus en cours de gestion, mais les dispositifs à partir desquels les redéploiements ont été opérés et qui étaient, pour leur part, prévus en loi de finances initiale. C'est donc une première nuance qui doit être apportée quant au respect du critère d'urgence. Nous avions d'ailleurs déjà souligné, dans notre avis sur le précédent décret d'avance, relatif au plan de lutte contre le terrorisme, que le Gouvernement n'avait pas de doctrine très ferme en matière de recours au décret d'avance. Tantôt il présente un décret d'avance dès l'apparition du besoin supplémentaire, tantôt il attend d'avoir procédé à tous les redéploiements possibles. L'une comme l'autre option semblent acceptables, mais il apparaît nécessaire que le Gouvernement explicite les facteurs qui commandent son choix. Cela l'amènerait à justifier d'une part le caractère imprévisible des évènements qui ont nécessité le redéploiement, d'autre part la nécessité de combler les manques liés aux redéploiements sans attendre le projet de loi de finances rectificative de fin d'année.
La deuxième remarque que je souhaite formuler concerne spécifiquement les dépenses d'hébergement d'urgence et de veille sociale. Ces dépenses font l'objet depuis longtemps d'une sous-budgétisation chronique. Le Gouvernement lui-même reconnaît que les besoins réellement apparus en cours d'année ne s'élèvent qu'à 30 millions d'euros, et que les 100 millions d'euros restant résultent simplement de l'écart entre l'exécution 2014 et la budgétisation initiale pour 2015. Celle-ci était trop faible, ce qui était tout à fait prévisible, comme en témoigne la remarque faite par le rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », Philippe Dallier, dans son rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015. Il indiquait alors que « l'enveloppe budgétaire sera, une fois encore, vraisemblablement insuffisante compte tenu notamment des dépenses exécutées au cours des derniers exercices et des besoins toujours plus importants en termes d'hébergement d'urgence ». Le respect du critère d'urgence doit donc être, à mon sens, fortement nuancé en ce qui concerne l'hébergement d'urgence et la veille sociale : il s'agit plutôt d'une mauvaise préparation budgétaire.
Je terminerai en évoquant rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Vingt missions sont touchées par les annulations. Les missions connaissant les annulations les plus fortes sont les missions « Justice » et « Recherche et enseignement supérieur ». Les missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Sécurités », « Écologie » et « Action extérieure de l'État » voient également leurs crédits réduits d'un montant compris entre un peu moins de 16 et un peu plus de 18 millions d'euros. L'ensemble des annulations porte sur la mise en réserve : les crédits annulés étaient « gelés » et n'étaient donc pas, à ce titre, alloués à un dispositif particulier.
Pour conclure, je vous propose de donner un avis favorable au présent projet de décret : il me semble que les critères de régularité sont respectés, mais je souhaite émettre une réserve concernant le caractère plutôt prévisible des besoins supplémentaires en hébergement d'urgence. Je propose que le terme de « réserves » figure explicitement dans le texte de l'avis.
M. Roger Karoutchi. - Au sujet de l'hébergement d'urgence, je relevais la semaine dernière en présentant mon rapport sur la mission « Immigration, asile et intégration » que le projet de loi de finances pour 2016 sous-évalue de façon très nette les crédits nécessaires à l'hébergement d'urgence des migrants. Ce décret d'avance vient confirmer mes observations : les crédits nécessaires sont sous-estimés de 30 % depuis des années. Le projet de loi de finances ne respecte même pas l'exécution de l'année précédente, d'où la nécessité de recourir systématiquement à des décrets d'avance. Il faudra bien à un moment en finir avec ce type de procédé et inscrire les crédits nécessaires en loi de finances initiale.
Je souhaite également rappeler que 80 % des crédits de l'hébergement d'urgence sont concentrés sur l'Île-de-France. Chaque fois qu'il est interrogé, le Gouvernement s'engage à mieux répartir l'hébergement d'urgence sur le territoire national mais, depuis des années, la situation ne connaît aucune amélioration. La quasi-totalité des hôtels « une étoile » de Paris et de la proche couronne sont réservés pour accueillir des migrants et aucune répartition n'est organisée. Il faut que les engagements soient respectés : ce décret d'avance traduit le fait qu'ils ne le sont pas.
M. André Gattolin. - L'indemnisation des collectivités territoriales touchées par des calamités publiques est à mon sens également une dépense prévisible, surtout dans la période récente où ce type d'évènement tend à se multiplier, comme nous l'avons encore vu au début du mois avec les inondations survenues dans le sud-est.
En effet, le budget du programme 181 « Prévention des risques » du ministère de l'écologie a été réduit de 30 % ces dernières années. Je l'avais déjà souligné le 31 mars dernier en expliquant que la diminution des moyens consacrés à la météorologie nationale et à la prévention des risques - qui ont pourtant besoin de bénéficier de calculateurs fournissant de meilleures prévisions - entraîne in fine des dépenses considérables pour réparer les catastrophes naturelles : il y a là une véritable aberration.
Je voudrais par ailleurs signaler que dans le projet annuel de la mission « Écologie » pour 2016, j'ai trouvé une anomalie à laquelle ne m'a toujours pas répondu le ministère. Le chiffre des personnels embauchés pour la prévention des risques dans le cadre du programme 181 ne nous est plus communiqué. Est-ce une erreur de frappe ou un oubli ? Est-ce parce qu'il a diminué ?
M. Philippe Dallier. - Je regrette que le Gouvernement me donne raison a posteriori sur le programme 177. C'est tous les ans le cas...
Sur les 130 millions d'euros ajoutés par le décret d'avance, 100 millions d'euros vont remettre les crédits au niveau de l'exécution de l'année 2014. La question est donc de savoir si les 30 millions d'euros supplémentaires qui sont prévus seront suffisants pour passer la fin de l'année. Je suis, pour ma part, persuadé du contraire.
Quant à l'utilisation de la trésorerie des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour pallier l'urgence, il s'agit également d'une très mauvaise idée car ce sont des établissements qui ont besoin de stabilité eu égard aux publics qu'ils accueillent : leur donner des sueurs froides sur leur trésorerie est un mauvais procédé.
Enfin, je note que le décret ne prévoit rien pour le Fonds national d'aide au logement (FNAL) : rendez-vous en collectif budgétaire, comme chaque année, pour constater ce qu'il manque et voir à quel niveau se situera la dette !
M. Claude Raynal. - La façon dont le rapporteur général a présenté certaines hausses de crédits me paraît un peu spécieuse. Faire apparaître une augmentation de crédits de 55 % sur la mission « Anciens combattants » peut paraître choquant alors qu'elle est totalement justifiée, les 18,5 % relatifs aux aléas climatiques également et c'est finalement sur le chiffre de 9,5 % de hausse du programme 177, en lien avec l'hébergement d'urgence, que s'instaure un petit débat.
En réalité, nos échanges portent sur un décret d'avance sur lequel nous aurons finalement tous un avis favorable, les enjeux budgétaires sont relativement faibles mais cela permet de rouvrir le débat sur l'hébergement d'urgence et la veille sociale - Roger Karoutchi et Philippe Dallier n'ont pas manqué d'aller sur ce terrain - alors que la seule question qui nous est posée est la suivante : donnerons-nous un avis favorable ou non à ce décret d'avance ? Il s'agit presque, à mes yeux, d'un détournement de procédure...
M. Vincent Delahaye. - Je partage l'avis du rapporteur général et voterai l'avis qui nous a été soumis, avec les réserves qu'il a soulignées.
Je voudrais dire à Claude Raynal que le débat ne porte pas sur l'hébergement d'urgence mais sur la sous-budgétisation récurrente de nombreuses missions du budget de l'État et sur la sincérité des chiffres présentés. J'avais déjà demandé que la commission des finances puisse faire une liste de ces sous-budgétisations, ce qui nous permettrait, dans la discussion du projet de loi de finances, de mettre le doigt sur des pratiques qui ne donneraient plus lieu à des décrets d'avance s'il était mis un terme à cette sous-estimation répétée d'un certain nombre de crédits.
M. Vincent Capo-Canellas. - Quelle pourrait être l'alternative à ce décret d'avance, qui fait l'objet d'un certain nombre de critiques ? S'agirait-il d'examiner un collectif budgétaire pour procéder aux redéploiements de crédits nécessaires ?
Concernant l'hébergement d'urgence, il y a un effet déstructurant pour les communes de la petite couronne à voir arriver dans leurs hôtels, de manière souvent non coordonnée, des populations en difficulté sans qu'il n'y ait d'accompagnement social. Certains hôtels y trouvent un marché - des étages voire des hôtels entiers sont, en quelque sorte, « privatisés » pour l'accueil de ces populations.
Il faudrait élaborer une réflexion sur les problèmes de répartition de ce type d'hébergements hôteliers et sur l'accompagnement social de ces personnes, afin d'éviter que nos écoles et nos services sociaux ne soient ensuite débordés.
M. Éric Bocquet. - On ne peut que saluer la pertinence du constat sur le différentiel de 100 millions d'euros entre l'exécution 2014 et la budgétisation 2015. En tant que rapporteur de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », je peux témoigner du fait que l'on peut avoir l'impression que les crédits sont toujours, coûte que coûte, réduits avant que l'on constate ensuite dans l'urgence qu'il faut les rétablir ! Je voudrais rappeler amicalement à notre rapporteur général que ce constat est valable pour tous les gouvernements et n'a nullement commencé en 2012.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je le reconnais volontiers.
Mme Fabienne Keller. - Je suis en phase avec Roger Karoutchi, Philippe Dallier, Vincent Delahaye et Éric Bocquet. Nos opérateurs de l'hébergement d'urgence, les CHRS, qui doivent faire face aux situations personnelles difficiles des personnes qu'ils accueillent, se voient infliger une précarité supplémentaire de nature budgétaire. On leur fait des annonces de retraits, on prend conscience qu'ils risquent pour certains d'arrêter leurs activités pour cause de cessation de paiement ou de non-versement de ce qui leur est dû par l'État. Je voudrais dire, avec mes collègues, que nous ne sommes pas face à une gestion budgétaire assumée et stabilisée. On devrait au contraire protéger sur le plan budgétaire ces structures qui portent une mission d'intérêt général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - André Gattolin, concernant les risques climatiques, a évoqué le fait que le budget alloué à la prévention est insuffisant. C'est peut-être un autre débat, même s'il mériterait sans doute que l'on s'y intéresse. Certes, on peut considérer que les catastrophes se multiplient, qu'il y en a plus aujourd'hui et que la prévention est insuffisante. Mais par définition, sur le plan budgétaire, quoi de plus imprévisible que l'impact des catastrophes naturelles ? L'imprévisibilité me semble tout à fait avérée.
Claude Raynal, il ne s'agit en effet pas de débattre sur les crédits de l'hébergement d'urgence : nous devons émettre un avis juridique sur la régularité du décret d'avance. On est là dans une exception au principe de l'autorisation parlementaire. Bien sûr, le décret d'avance offre une certaine souplesse au Gouvernement et les montants de crédits ouverts ne justifieraient sans doute pas la préparation et l'examen d'un projet de loi de finances rectificative, mais le recours au décret d'avance demeure dérogatoire. C'est la raison pour laquelle la LOLF encadre cet outil, que la Cour des comptes rend chaque année un rapport sur les crédits ouverts par décret d'avance et que notre commission doit rendre, dans un délai de sept jours, un avis sur la régularité du décret.
Comme nous l'ont rappelé Roger Karoutchi, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Vincent Capo-Canellas et Fabienne Keller, l'hébergement d'urgence connait une sous-budgétisation chronique, qui ne date pas d'hier. Je rejoins Vincent Delahaye sur l'intérêt d'identifier les missions ou les programmes systématiquement sous dotés et qui doivent être abondés par décret d'avance ou en loi de finances rectificative.
L'alternative au décret d'avance serait tout simplement que la budgétisation initiale soit adaptée ! Bien sûr, dans quelques cas, comme par exemple l'accord franco-américain ratifié par le Parlement en juillet ou les calamités naturelles, il n'est pas possible de prévoir les besoins budgétaires. Mais dans le cas de l'hébergement d'urgence, l'imprévisibilité n'est pas de même nature.
Si nous émettions un avis défavorable, cela n'aurait pas de conséquence. Au demeurant, je vous propose d'émettre un avis favorable accompagné d'une forte réserve concernant l'imprévisibilité des besoins supplémentaires constatés en matière d'hébergement d'urgence.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.
L'avis est ainsi rédigé :
La commission des finances,
Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ;
Vu le projet de décret d'avance notifié le 8 octobre 2015, portant ouverture et annulation de 232 500 000 euros en autorisations d'engagement et 184 500 000 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;
1. Constate que le projet de décret d'avance a pour objet de mettre en oeuvre l'accord conclu entre le Gouvernement français et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah ainsi que de tirer les conséquences des moyens supplémentaires mis à disposition des dispositifs d'hébergement d'urgence et de veille sociale d'une part et des collectivités territoriales touchées par des calamités publiques d'autre part ;
2. Note que, dans ces deux derniers cas, l'ouverture de crédits a pu être différée par des redéploiements de crédits en provenance d'autres dispositifs dont le paiement intervient en fin d'année ;
3. Réitère à ce titre la position exprimée dans son avis relatif au décret n° 2015-402 du 9 avril 2015 et souligne de nouveau qu'en cas de décisions ou d'évènements entraînant des dépenses supplémentaires conduisant à l'insoutenabilité de l'exécution du programme considéré, la doctrine du Gouvernement en matière de calendrier de présentation d'un décret d'avance ne semble pas fermement établie ;
4. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant de crédits mis en réserve, portant principalement sur les missions « Justice » et « Recherche et enseignement supérieur » ;
5. Relève que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;
6. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée pour les crédits ouverts au titre de l'hébergement d'urgence et de la veille sociale, au regard de la nécessité d'organiser l'accueil des personnes déplacées et en transit en lien avec la crise migratoire européenne et d'éviter que les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ne soient confrontés à des ruptures de trésorerie qui les empêcheraient d'accomplir leurs missions, leurs dotations ayant été redéployées en cours d'année pour faire face aux besoins supplémentaires constatés ;
7. Considère que l'urgence est également manifeste pour les ouvertures d'autorisations d'engagement relatives aux subventions pour travaux divers d'intérêt local (TDIL) au titre de l'année 2015, dans la mesure où le redéploiement d'une partie des crédits y afférents en direction de l'indemnisation des collectivités territoriales touchées par des calamités publiques nécessite aujourd'hui une ouverture de crédits afin de permettre la notification des subventions avant la fin de l'année ;
8. Relève que l'urgence est établie pour les ouvertures de crédits correspondant à la mise en oeuvre de l'accord conclu entre le Gouvernement français et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah, la ratification par le Parlement français intervenue le 9 juillet 2015 ne permettant pas la budgétisation de ces crédits dès la loi de finances initiale et l'accord prévoyant la création d'un fonds d'indemnisation de 60 millions de dollars qui doit être abondé par la France avant le 1er novembre 2015, date d'entrée en vigueur de l'accord ;
9. Note que le montant des ouvertures de crédits par le présent projet d'avance excède le plafond de 2 % des crédits de chaque programme et ne pouvait par conséquent pas faire l'objet d'une procédure de virement de crédits ;
10. Constate qu'il n'apparaît donc pas possible d'ouvrir les crédits supplémentaires considérés autrement qu'en recourant à un décret d'avance ;
11. Observe que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc réunies ;
12. Relève cependant que l'insuffisance des crédits alloués à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale au titre de l'année 2015 était manifeste dès la budgétisation initiale au regard de l'exécution pour l'année 2014 ;
13. Estime qu'en matière d'hébergement d'urgence, le recours chaque année à des ouvertures de crédits supplémentaires en cours de gestion nuit tant à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement qu'à la crédibilité de la budgétisation initiale et souligne, par conséquent, que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère ;
14. Émet, sous les réserves formulées précédemment, un avis favorable au présent projet de décret d'avance.
La réunion est levée à 10h25
Loi de finances pour 2016 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial
La réunion est ouverte à10 h 25.
Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale. - La mission « Remboursements et dégrèvements » présente deux spécificités.
D'une part, elle fait partie, avec la mission « Engagements financiers de l'État », des deux missions du budget de l'État dont les crédits sont évaluatifs et non limitatifs : en d'autres termes, les montants inscrits dans le projet annuel de performances correspondent davantage à une prévision qu'à un plafond. D'autre part, c'est la mission la plus lourde du budget de l'État : en 2016, 100,2 milliards d'euros de crédits sont demandés, montant quasiment stable par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2015.
Ces deux caractéristiques doivent être prises en compte : le poids budgétaire de la mission s'explique par le fait qu'elle récapitule tous les grands enjeux de la première partie du projet de loi de finances et le caractère évaluatif des crédits conduit à prêter davantage attention à la logique des dispositifs fiscaux qui sont à l'origine des restitutions, au-delà du commentaire des évolutions prévisionnelles dont le caractère est incertain. En d'autres termes, il s'agit de s'attacher aux causes des prévisions plutôt qu'aux montants inscrits.
Je vous présenterai successivement les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État puis d'impôts locaux, avant de dire quelques mots du contrôle budgétaire que j'ai commencé au sujet des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Le programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » devrait s'élever à 88,2 milliards d'euros en 2016, en baisse d'environ 3 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2015. Cette baisse prévisionnelle de 3,2 %, soit 2,9 milliards d'euros, fait suite à deux années consécutives de forte augmentation des crédits alloués au programme. À cet égard, la hausse entre 2014 et 2015 devrait être encore supérieure à celle d'abord anticipée puisque la prévision révisée pour 2015 est supérieure d'environ 3,3 milliards d'euros à l'estimation de la loi de finances initiale pour 2015.
La baisse attendue en 2016 est principalement portée par deux grands ensembles : les restitutions d'excédents de versement d'acomptes d'impôt sur les sociétés d'une part et la restitution de la prime pour l'emploi d'autre part. En effet, l'augmentation anticipée du bénéfice fiscal des entreprises entre 2014 et 2015 s'élève à près de 10 % en raison de la reprise estimée de la croissance.
M. Serge Dassault. - Estimée !
Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale. - Oui, s'agissant du projet de loi de finances pour 2016, il s'agit forcément d'une estimation.
Du fait de cette augmentation du bénéfice fiscal, les premiers acomptes versés par les entreprises en 2016 - au titre des revenus 2015 - devraient dans l'ensemble être inférieurs au total de l'impôt dû et donner lieu à moins de restitutions.
La baisse drastique des remboursements liés à la prime pour l'emploi (PPE) est simplement le résultat de la suppression du dispositif, à compter de 2016, par la seconde loi de finances rectificative pour 2014. Des remboursements résiduels sont prévus à hauteur de 55 millions d'euros en 2016.
S'agissant des impôts locaux, les crédits demandés en 2016 au titre des remboursements et dégrèvements s'élèvent à 11,97 milliards d'euros, en hausse de 2,8 %, soit 325 millions d'euros, par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. L'actualisation des prévisions pour 2015 se limite à une augmentation de 36 millions d'euros, inférieure à celle de l'année passée qui était de 142 millions d'euros et qui tranche avec les chiffres observés certaines années. Je pense notamment à l'année 2012 où l'ajustement avait atteint 1,1 milliard d'euros. Contrairement aux années précédentes, cette hausse ne s'explique pas par l'évolution des dégrèvements d'impôts économiques, mais essentiellement par l'augmentation des dégrèvements de taxe d'habitation et de taxes foncières.
M. Philippe Dominati. - C'est-à-dire que la situation des ménages se dégrade...
Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale. - Je note d'ailleurs qu'il est constaté une hausse du contentieux de 3,2 % sur la taxe d'habitation et de 4,6 % sur les taxes foncières, sans qu'elle soit compensée par une baisse des demandes gracieuses. Peut-être faut-il y voir, mais ce n'est qu'une hypothèse, une plus grande vigilance des collectivités territoriales sur l'évolution de leurs bases fiscales, dans le contexte de la forte diminution des concours de l'État.
Je souhaite également insister à nouveau sur l'importance de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, dont l'expérimentation s'est récemment achevée. Au-delà des effets qu'elle aura en matière de justice fiscale et de justice entre collectivités, en permettant de disposer de potentiels fiscaux plus fiables, cette révision pourrait avoir des effets très importants sur les dégrèvements d'impôts locaux, si elle devait se traduire par une baisse relative de la valeur locative des logements des ménages de condition modeste.
Enfin, je profite de la présentation de ce rapport pour vous faire part des premières conclusions du contrôle budgétaire que j'ai commencé au cours de l'année 2015, qui a porté sur le profil des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Le CICE constitue une dépense fiscale extrêmement coûteuse alors même qu'un large consensus s'était formé ces dernières années pour réduire le coût de ces « niches » : le coût budgétaire du CICE, c'est-à-dire le montant de CICE consommé en 2015, devrait s'élever à 12,5 milliards d'euros. Quant à la créance fiscale, qui est supérieure à son coût budgétaire puisqu'elle intègre des créances constituées sur l'État mais non consommées, elle devrait atteindre près de 18 milliards d'euros en 2015 pour atteindre plus de 20 milliards d'euros en 2017.
Tout d'abord, je souhaite rappeler les conséquences de la mise en place du CICE sur les services fiscaux : elle se traduit par une hausse significative des demandes de restitution d'impôts sur les sociétés, dans un contexte de diminution des effectifs. Le dispositif fait peser une charge de gestion - mais aussi de promotion - importante sur l'administration fiscale. Comme j'ai pu le constater lors d'une visite sur place à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France, le travail préalable de vérification d'un dossier de demande de CICE est très lourd et fait intervenir un grand nombre de logiciels, dont certains apparaissent d'ailleurs vétustes.
Les interlocuteurs que j'ai rencontrés m'ont expliqué les conditions tendues dans lesquelles le CICE a été mis en place : il représentait une priorité politique absolue et a pris le pas sur d'autres dispositifs ou d'autres missions, au détriment du bon fonctionnement des services. Si les années à venir devraient être plus apaisées, en raison de l'adaptation des services à cette nouvelle charge, les représentants syndicaux que j'ai rencontrés ont fait part de leur inquiétude quant aux conditions dans lesquelles les missions de recouvrement et de contrôle sont effectuées et le seront à l'avenir. Or ces missions restent fondamentales : l'administration fiscale a pour principal rôle de recouvrer des recettes, et non de verser des fonds aux entreprises.
En outre, l'analyse du profil des bénéficiaires du CICE fait ressortir que la présentation du dispositif, et son intitulé, ne paraissent pas correspondre à la réalité de son fonctionnement. En effet, le CICE n'est pas concentré sur les entreprises qui sont effectivement soumises à la concurrence internationale, c'est-à-dire celles qui exportent. Je m'interroge donc sur l'intérêt de mettre en place un tel dispositif, d'autant que les allègements de cotisations sociales déjà en oeuvre depuis 1993, ainsi que le crédit d'impôt recherche (CIR), sont maintenus sans que l'impact sur l'emploi et l'investissement dans les entreprises ne paraisse significatif.
Je poursuivrai ce contrôle en 2016 et pourrai donc compléter ces premières observations.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je me demande où nous en sommes par rapport aux ambitions du Gouvernement concernant l'expérimentation de la révision des valeurs locatives, qui devait se tenir dans cinq départements. Avez-vous reçu des éléments d'information relatifs aux résultats de l'expérimentation dans ces départements ?
Par ailleurs, concernant le fonctionnement du CICE, je souhaite rappeler que la majorité sénatoriale était en faveur d'un dispositif automatique de dégrèvement, la TVA dite sociale, qui n'aurait pas nécessité de travail particulier de la part de l'administration. Le choix d'un crédit d'impôt ne me paraît pas simple : l'entreprise doit formuler une demande, ce qui lui fait du travail, ces demandes doivent ensuite être traitées par les services fiscaux, ce qui leur fait aussi du travail... cela n'est pas compatible la réduction des moyens alloués à l'administration fiscale. C'est un sujet de fond qui dépasse le CICE. Il faut y penser lorsque l'on met en place des crédits d'impôt : des dispositifs automatiques sont préférables.
M. Maurice Vincent. - Je voudrais rappeler que la mise en place du CICE comme celle du crédit d'impôt recherche fait suite au rapport de Louis Gallois sur la compétitivité de l'économie française. Ce rapport dressait le constat d'un affaiblissement de notre compétitivité depuis dix ans, problème auquel le CICE vise à répondre. Il s'agit donc d'une politique structurelle de long terme poursuivant l'objectif d'une redynamisation de l'économie. En ce qui concerne le CIR, le rapport non publié de la commission d'enquête sénatoriale présidée par Francis Delattre, qui faisait suite à une initiative du groupe communiste, républicain, citoyen (CRC), concluait dans un sens favorable à ce dispositif. Même s'il recommandait certains ajustements, il montrait que le CIR permet de soutenir la recherche et développement et de relocaliser des activités économiques en France. Je ne partage donc pas les conclusions de notre collègue rapporteure spéciale.
Par ailleurs, de manière plus générale, je relève, suite au rapport qui nous a été présenté, que de nombreux citoyens vont échapper à l'impôt sur le revenu en 2016 mais que nous retrouvons tout de même une part de ménages assujettis proche de celle qui a précédé le déclenchement de la crise.
M. Vincent Delahaye. - Je m'interroge sur l'écart entre les prévisions et l'exécution 2015 du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » - respectivement 87,8 et 91 milliards d'euros - : ne risque-t-on pas de voir se reproduire le même écart en 2016 ?
M. Vincent Capo-Canellas. - À mon sens, la rapporteure spéciale est un peu sévère sur le CICE et le CIR. Je souligne que nous souffrons toujours d'un manque de recul sur ce dernier. C'est un dispositif récent qu'il s'agit de rendre stable et plus lisible, et non de bouleverser quelques temps à peine après sa mise en oeuvre. J'estime, pour ma part, qu'il est loin d'être inutile puisqu'il réduit les charges des entreprises. Nous devons prendre le temps pour évaluer cette mesure, qui a certainement été une bouffée d'oxygène pour l'économie française. Par ailleurs, s'agissant de la révision des valeurs locatives, nous sommes tous d'accord pour dire que le système actuel est injuste, mais je souligne le risque d'aboutir à un désordre majeur à force de vouloir tout réformer en même temps. C'est une contradiction dont il faudra un jour sortir, mais comment ?
M. Francis Delattre. - Je vais me concentrer sur le CIR puisque j'ai présidé la commission d'enquête sur le sujet. Nous n'avons pas constaté de détournements et n'avons proposé que quelques ajustements. Quand j'entends dire que le CIR n'a pas eu de résultats, je trouve cela absolument scandaleux. C'est totalement inexact. Il a permis d'impulser des projets de recherche dans des petites entreprises comme dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Je pense, par exemple, au cas des équipementiers du constructeur automobile Toyota : ces ETI que j'ai eu la chance de rencontrer assurent parfois la fourniture de plus de 10 % du coût total de la voiture. C'est grâce à la recherche et développement encouragée par le CIR que ces entreprises ont pu être au niveau en matière technologique et s'épanouir dans un contexte de crise.
De nombreux exemples du même type existent : je me suis rendu au salon des start-up à Los Angeles, l'electronic entertainment expo (E3). Nos entreprises sont, en gros, en deuxième position après les entreprises américaines. Le problème est qu'elles se font racheter dès qu'elles ont de bons produits, souvent parce que se pose la question du financement de l'innovation. Il s'agit d'un enjeu majeur. Le fait que le CIR permette parfois de financer un peu d'innovation n'a rien de scandaleux.
Nous disposons d'un autre atout : ce sont nos doctorants. Grâce au CIR, les partenariats entre des entreprises et des universités ou des centres de recherche se sont multipliés. Le CNRS, que nous avons auditionné, est très favorable à cette dynamique de coopération. Il s'agirait de 500 millions d'euros sur le total de 6 milliards d'euros au profit de nos laboratoires de recherche publique. Il ne faut pas opposer le CIR à la recherche publique.
On peut, certes, considérer que le CIR est un « cadeau » aux entreprises - mais je souhaite rappeler qu'il a été mis en place sous le Gouvernement de Pierre Mauroy dont des communistes faisaient alors partie.
Je conclurai donc que nous pouvons améliorer ce dispositif mais qu'il ne me semble pas opportun de le faire disparaître.
M. Serge Dassault. - Je me demande comment financer les dépenses supplémentaires liées au CICE, soit 12,5 milliards d'euros. D'où viendront ces crédits ? Qui va payer ? J'imagine qu'on va encore recourir à l'emprunt. J'avais interrogé à ce sujet le secrétaire d'État au budget Christian Eckert, qui ne m'avait pas répondu. Je rappelle, de plus, que ce dispositif concerne essentiellement des entreprises de services, donc des entreprises qui reposent sur des personnels à bas salaires. Les entreprises de production, celles qui contribuent le plus fortement à la croissance, ne sont pas concernées. Je m'interroge, en outre, sur la réforme de l'impôt sur le revenu. Là aussi, la question du financement se pose. Recourra-t-on à l'emprunt une fois de plus ? Tout cela n'est pas de la bonne gestion.
M. Jean-Claude Boulard. - Le montant total des dégrèvements pour les taxes foncières et la taxe d'habitation représente 5 milliards d'euros. J'espère que ce ne sera jamais une variable d'ajustement mais nous devons rester vigilants, notamment lors de la révision des bases locatives que nous attendons avec une infinie patience. Il n'y a pas de raison technique au report de la réforme. La seule raison est politique et réside dans le fait que la contraction des recettes des uns se fera en contrepartie de plus grandes ressources pour d'autres. C'est une réforme de vases communicants et il faudra un jour que soit organisé un débat sur les causes ayant conduit à ce que cette réforme soit différée, à juste titre, depuis plus de vingt ans.
Par ailleurs, je souhaiterais savoir si l'exonération de taxe sur le foncier bâti pour le logement social est remboursée ou dégrevée.
S'agissant du CICE, j'indique que les collectivités territoriales peuvent aussi en bénéficier. J'ai connu le cas, au Mans, d'une société d'économie mixte (SEM) de transport, donc peu exposée à la concurrence internationale, qui va bénéficier du CICE et le remboursera à la collectivité. C'est intéressant et j'invite mes collègues à se renseigner sur le sujet, d'autant plus que les collectivités territoriales participent au financement du CICE : le repli des dotations aux collectivités territoriales s'explique par la mise en place du CICE depuis 2014 et du pacte de responsabilité depuis cette année.
M. Marc Laménie. - Le montant de la prévision 2016 du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » s'élève à 88 milliards d'euros. C'est une somme importante. Puisque plus de 49 milliards d'euros correspondent à la TVA, quel est le montant lié aux collectivités territoriales au titre du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) ?
M. Richard Yung. - Nous ne pouvons pas suivre les conclusions de la rapporteure spéciale sur le CIR et le CICE. Il s'agit de deux dispositifs essentiels de l'action du Gouvernement. Sur le CIR, Francis Delattre a dit l'essentiel. Il fait la force, l'image et la compétitivité de notre économie. Le remettre en cause serait se tirer une balle dans le pied. Pour ce qui concerne le CICE, c'est la pièce maîtresse du Gouvernement à la fois pour restaurer un meilleur niveau de compétitivité et pour créer des emplois. Je note qu'il atteint désormais son rythme de croisière : ce n'est vraiment pas le moment de le contester.
M. Bernard Lalande. - Les positions anti-CIR et anti-CICE m'ont toujours surpris. Francis Delattre et Richard Yung ont montré que le CIR permet de financer l'avenir. C'est notre responsabilité d'assurer le financement de la recherche et de l'innovation des entreprises françaises. Nous étions quelques-uns qui, faisant partie de la commission d'enquête sur le CIR, avions suivi les conclusions de son président Francis Delattre car nous estimions que ce dispositif a toute sa raison d'être.
Je tiens à apporter des précisions sur la nature du CICE : il ne faut pas être dogmatique, il ne s'agit pas d'une réduction de charges. 65 à 70 % des entreprises bénéficiaires sont des entreprises françaises qui n'exportent pas. Baisser les charges des entreprises diminue leur prix de revient ; immédiatement le marché vient chercher ce gain pour faire de la compétition. Le CICE est un crédit d'impôt et ne modifie donc pas le prix de revient de la prestation ou du bien. Si nous nous contentions de baisser les charges, ce serait le tonneau des Danaïdes : le marché viendrait s'ajuster aux nouveaux coûts. Le CICE n'est pas dans cette logique ; au contraire, il favorise le développement des entreprises et leur permet de renforcer leurs fonds propres. Si l'on peut constater de meilleurs résultats en 2015 en matière de défaillances d'entreprises, c'est pour une part grâce au CICE.
Mme Fabienne Keller. - Les remboursements et dégrèvements de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) sont assez stables alors qu'on devait voir ce montant baisser en raison du plafonnement des dégrèvements au profit des taxis. Cette dépense fiscale s'apparente, en effet, à une subvention aux énergies fossiles. Peut-on en savoir plus sur cet écart par rapport aux prévisions ?
En ce qui concerne le CICE, j'estime pour ma part qu'il constitue un effet d'aubaine. Un chef d'entreprise qui veut recruter calcule ce que lui coûte un salarié et si la réduction de charges n'est pas certaine l'année du recrutement mais se fait en décalé, comme dans le cas du CICE, le dispositif n'a pas d'effet sur l'emploi. Il sera très difficile de revenir à un système de réduction de charges, puisque l'on rencontrera un problème de double exonération l'année de bascule. À travers le CICE, nous sommes face à un système d'économie administrée : les pouvoirs publics prennent d'abord pour restituer ensuite. Il ne conduit pas à responsabiliser et libérer les énergies, ce que permettrait à l'inverse une baisse du coût du travail grâce à la réduction des charges des entreprises.
M. André Gattolin. - Je soutiens la rapporteure. Le CIR a conduit notre pays à être perçu à l'étranger comme un paradis fiscal en matière de recherche...
M. Michel Bouvard. - Pour une fois !
M. André Gattolin. - Certains États voient en effet leurs chercheurs partir pour venir travailler en France. Mais le problème n'est pas seulement celui d'une réduction générale des charges des entreprises. À ce sujet, je conseille à Francis Delattre de lire le rapport que j'ai co-écrit avec Bruno Retailleau sur l'industrie des jeux vidéo : nos travaux nous ont conduit à constater que la difficulté provient en grande partie de l'impossibilité d'un soutien sectoriel, contrairement à ce qui se passe en Amérique du Nord et en Asie. A filière équivalente, le salaire dans le domaine de la création informatique n'est pas plus élevé en France, charges comprises, qu'aux États-Unis. Mais hors secteur culturel, il devient impossible d'avoir des dispositifs de soutien sectoriel et de ce fait, les personnes que nous formons ou les filières que nous développons partent ensuite à l'étranger.
D'ailleurs, la conformité du CIR au droit européen pose question : la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, ouvre une enquête à ce sujet. La réglementation européenne ne nous permet de développer une stratégie sectorielle.
M. Éric Bocquet. - On est en droit de s'interroger sur ces dispositifs et je suis dubitatif sur les effets du CICE. Je voudrais vous présenter une note de Patrick Artus, qui n'est pas un dangereux révolutionnaire, relative au CICE. Nous constatons que les marges des entreprises progressent - c'était l'objectif - grâce à la diminution du prix du pétrole, à la dépréciation de l'euro et, en partie, du fait du CICE. Cette amélioration de la marge, comme le montre Patrick Artus, peut être utilisée de différentes façons : augmenter les réserves de liquidité, se désendetter, baisser ses prix de vente, augmenter les dividendes, augmenter les salaires, accroître les investissements, augmenter les stocks et embaucher. Sur beaucoup de ces points, les progrès sont très timides voire un peu suspects. La croissance de l'emploi reste très faible, les stocks se réduisent, les salaires ralentissent, les entreprises continuent à accumuler des réserves liquides et monétaires... Permettez donc que nous nous interrogions !
M. Didier Guillaume. - On peut certes s'interroger sur le CICE, sa mise en place, son évolution, son efficacité... Il ne faut pas oublier qu'il s'agissait d'un choix de stratégie politique, comme le rappelaient tout à l'heure Maurice Vincent et Richard Yung. Nous avons fait le choix de ne pas confirmer la TVA sociale de nos prédécesseurs et, comme l'a précisé Bernard Lalande, d'aider toutes les entreprises et pas uniquement celles qui exportent. La situation des entreprises en 2012 et 2013 était catastrophique : face aux difficultés économiques, les marges des entreprises ont beaucoup baissé et le coût du travail était très important. Les entreprises n'avaient aucune marge et licenciaient. L'objectif du CICE était de leur redonner des marges de manoeuvre, peut-être pas assez diront certains. Mais ce n'est pas de l'économie administrée.
Il n'y a pas toujours de décalage annuel, car certaines entreprises ont bénéficié d'un préfinancement. Les patrons de PME et de TPE que je rencontre sont très contents du travail de Bpifrance. À partir de cette année, il n'y aura plus besoin de préfinancement, car les entreprises toucheront automatiquement le CICE au titre des années passées. C'est une baisse des charges très importante, qui redonne aux entreprises des marges de manoeuvre. Il permet à certaines, qui auraient mis la clé sous la porte autrement, de bénéficier de 5 000 ou 10 000 euros pour acheter une machine ou simplement constituer la trésorerie qui leur a permis de ne pas fermer et, demain, d'être plus compétitives.
On peut certes s'interroger sur l'efficacité du CICE après deux années pleines d'application, mais c'est sur la durée qu'il faudra voir si les objectifs sont atteints. Si ce n'est pas le cas, nous serons les premiers à dire : nous avons tenté quelque chose qui n'a pas forcément fonctionné. Les résultats des entreprises permettent de dire que ça a quand même l'air de fonctionner. On peut s'interroger sur le fait que toutes les entreprises soient concernées, même la Poste, mais toutes les entreprises ont besoin d'être compétitives ! Et je préfère que la Poste bénéficie du CICE, continue à distribuer le courrier six jours sur sept à J+1 et soit compétitive, plutôt qu'elle soit rachetée par une entreprise extérieure.
Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale. - Je me réjouis de l'affluence à notre réunion de ce matin, qui sera désormais la règle et grâce à laquelle nous avons un vrai débat sur cette mission, contrairement aux années précédentes.
S'agissant de mon travail sur le CICE, le but est de savoir si les objectifs annoncés ont été atteints. Je n'en suis encore qu'au commencement et je le poursuivrai l'an prochain, mais les éléments à notre disposition ne vont pas dans ce sens. Je vous invite à lire le troisième rapport d'évaluation du comité de suivi du CICE, présidé par Jean Pisani-Ferry, qui dit notamment - et je l'ai constaté lors de mon déplacement - que dans les grandes entreprises, le CICE est demandé et géré par la direction des affaires financières, sans que la direction des ressources humaines ne semble fortement associée aux « gains » qui découlent de cette niche fiscale. Je rappelle que les comités d'entreprise devraient également être associés, mais nous n'avons pas encore d'éléments nous permettant de dire qu'ils l'ont été. S'agissant des investissements, le même rapport indique que le CICE n'a pas toujours permis leur augmentation.
Je n'ai pas écrit qu'il fallait supprimer le CICE - même si je le pense -, j'ai simplement expliqué que les éléments à notre disposition montrent que les effets sur l'emploi et l'investissement ne paraissent pas significatifs. Lors de la création de ce dispositif, le Gouvernement insistait sur deux points : la compétitivité et l'emploi. Mais si le vrai objectif est d'aider les PME et les TPE en matière de trésorerie, il est possible de trouver un outil plus adapté que le CICE.
S'agissant du CIR, si le président de la commission d'enquête que Francis Delattre était avait autorisé la publication du rapport, nous n'aurions pas ce débat. D'après les éléments à ma disposition, le rapport allait plutôt dans le sens d'une modification du dispositif que vers sa suppression.
J'en viens aux questions plus précises qui m'ont été posées. Qui finance le CICE ? Il n'y a pas de financement particulier, il s'agit d'une moindre recette au budget de l'État.
Par ailleurs, je précise à Didier Guillaume qu'il y aura encore du préfinancement assuré par la banque publique d'investissement, même si les conditions d'accès ont été renforcées. D'ailleurs, le CICE n'est pas forcément la formule la plus pertinente pour répondre aux problèmes de trésorerie des petites entreprises : peut-être faudrait-il plutôt réfléchir à un outil ad hoc.
Pour répondre à Vincent Delahaye sur l'évolution des crédits de la mission, l'essentiel de la variation des crédits du programme 200 provient de l'impôt sur les sociétés et plus particulièrement d'un dynamisme plus important que prévu du CICE. Il est difficile de prévoir à quel moment une entreprise va mobiliser la créance qu'elle détient sur l'État. En 2017, la créance fiscale liée au CICE devrait atteindre 20 milliards d'euros.
On m'a interrogée sur le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, mais il n'est pas retracé dans la mission « Remboursements et dégrèvements ».
S'agissant de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, que les taxis acquittent mais pour laquelle ils bénéficient d'un taux réduit, aucune évolution significative n'est constatée.
S'agissant des dégrèvements d'impôts locaux portés par la mission, ils ne font pas partie des « variables d'ajustement » au sein des concours financiers de l'État, qui comprennent des compensations d'exonération et sont des prélèvements sur recettes. Il faut être attentif à ce que cela ne change pas. Concernant la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, un rapport aurait dû être remis au Parlement le 30 septembre dernier sur les résultats de l'expérimentation. Pour ma part, j'insiste sur le fait que la révision des bases fiscales doit conduire à diminuer la fiscalité des foyers modestes.
J'en viens enfin aux crédits de la mission : à titre personnel, compte tenu des observations que je vous ai présentées, je voterai contre l'adoption des crédits. Mais je ne propose pas à la commission de les rejeter.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».
Approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Éric Doligé, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission, sur le projet de loi n° 651 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Notre commission est saisie en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral du 29 octobre 2014, signé à Berlin sous l'égide l'OCDE, concernant l'échange automatique de renseignements fiscaux.
Priorité politique majeure portée par les pays de l'OCDE et du G20, le passage à l'échange automatique d'informations fiscales est la clé de voûte de la lutte contre l'évasion fiscale des particuliers. Aujourd'hui, la coopération fiscale entre États repose sur l'échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas. Or l'échange à la demande présente une faiblesse importante : il suppose de savoir a priori ce que l'on recherche, et dépend de la bonne volonté des États partenaires. Pourtant, le passage à l'échange automatique est longtemps resté un voeu pieu, en raison de la difficulté à trouver un consensus international ou européen.
Il a fallu une initiative unilatérale, et à vrai dire quelque peu cavalière, de la part des États-Unis, pour faire évoluer les choses : c'est la loi « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act), adoptée en 2010. Celle-ci fait obligation aux établissements financiers du monde entier de transmettre aux États-Unis toutes les informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. La loi FATCA a finalement fait l'objet d'accords bilatéraux avec les États-Unis pour faciliter son exécution, et centraliser les informations au niveau de chaque administration. Dans le cas de la France, nous devons beaucoup à l'analyse et à la présentation faite par Michèle André, alors rapporteure du projet de loi de ratification. Poussés par l'aiguillon de la loi FATCA, plusieurs pays européens, puis les pays du G20, se sont mobilisés en faveur de l'échange automatique et ont demandé à l'OCDE d'élaborer une « norme commune de déclaration ». C'est cette norme que reprend le présent accord multilatéral, que 94 États se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014 - 61 l'ont fait à ce jour, les autres devraient suivre.
La norme commune de déclaration de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions. Premièrement, les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro fiscal du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit. Deuxièmement, les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités. Troisièmement, les institutions financières soumises à l'obligation déclarative sont définies largement.
Ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes des non-résidents. Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017.
Le passage à l'échange automatique d'informations constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il a d'ores et déjà produit des effets tangibles : la seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d'actifs dissimulés à se manifester auprès du « service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR). Ceci devrait permettre à l'État de collecter près de 2,7 milliards d'euros de droits et pénalités en 2015.
L'accord multilatéral de l'OCDE souffre toutefois d'une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il n'a pas de caractère contraignant. De plus, la généralisation de l'échange automatique comme nouvelle norme mondiale se heurte aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA. La première différence - et elle est de taille - est la non-réciprocité de FATCA. La seconde différence est le champ d'application de la loi FATCA, qui définit les contribuables américains non seulement en fonction de la résidence, mais aussi en fonction de la nationalité et d'autres critères. Enfin, de nombreux seuils et définitions sont différents. À la demande de notre commission, la direction de la législation fiscale a élaboré un comparatif détaillé des normes FATCA, OCDE et de l'Union européenne.
L'avancée que représente la signature de l'accord multilatéral ouvre la période, tout aussi importante, de sa mise en oeuvre technique. À cette fin, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques (DGFiP) ont mis en place une infrastructure informatique, qui se base sur le système élaboré pour l'application de la loi FATCA : nous sommes donc déjà « rôdés » pour l'échange automatique.
L'identification des comptes déclarables requiert toutefois que les banques procèdent à un balayage complet de l'ensemble de leurs comptes, afin de déceler les indices de « non-résidence ». Or il semble que la base juridique prévue à l'article 1649 AC du code général des impôts soit insuffisante pour permettre ce balayage complet. Je me permettrai donc de demander en séance publique au Gouvernement de travailler aux ajustements nécessaires, afin de garantir la pleine sécurité juridique des opérations.
Par ailleurs, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire « pédagogique » d'un ou deux ans, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. Cela a d'ailleurs été accepté par les États-Unis pour la loi FATCA. À terme, toutefois, on peut s'interroger sur le montant de l'amende de 200 euros par compte prévue par notre droit interne, qui semble bien faible au regard des enjeux financiers qui peuvent s'attacher à chaque compte non déclaré.
En conclusion, l'objectif de cet accord est bien de faire de l'échange automatique le nouveau standard mondial, multilatéral et pleinement réciproque. Sous le bénéfice des deux observations qui précèdent - clarification du droit interne et période pédagogique -, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le système mis en place par cet accord n'est pas une simple évolution mais constitue une véritable révolution. En effet, l'on passe d'un système d'entraide fiscale, où il faut interroger les administrations au cas par cas, à un système d'échange automatique. Il y a quelques années, avant l'entrée en vigueur de la loi FACTA, le bureau de la commission des finances a effectué un déplacement aux États-Unis ; nous étions alors très loin d'un tel système. Je le répète, cet accord constitue une révolution, même si des adaptations sont évidemment nécessaires.
Mes questions portent sur le champ de l'accord, qui est censé s'appliquer aux comptes financiers et aux institutions financières. Pourriez-vous nous préciser si l'ensemble des produits d'assurance-vie rentreront dans son champ ? Celui-ci semble très large et devrait donc, normalement, trouver aussi à s'appliquer aux assurances vie. Par ailleurs, cet accord s'appliquera-t-il aux trusts ?
M. Éric Bocquet. - Cet accord constitue une avancée qu'il faut apprécier à sa juste valeur, bien qu'il ne concerne, pour l'instant, que les comptes financiers des personnes physiques. Je souhaitais, comme le rapporteur général, évoquer la question des trusts. Il me semble en effet qu'il demeure des zones d'ombre.
On ne peut que se féliciter que cet accord mette fin au système d'échange à la demande prévu par les conventions bilatérales, dont nous connaissons tous les limites en termes d'efficacité des renseignements obtenus, lorsqu'ils étaient obtenus...
Je souhaitais également évoquer la question des ports francs, qui émergent ici ou là : à Genève, Singapour, etc. ainsi que celle de la situation des personnes morales qui, je le sais, ne relève pas de ce texte. À cet égard, nous pourrons évoquer en séance les propositions et les limites du plan « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) présenté par l'OCDE.
Enfin, je souhaitais connaître les raisons avancées par certains États pour ne pas s'engager dès maintenant, et de quels États il s'agit.
M. Éric Doligé. - En principe, l'ensemble des assurances vie sont couvertes par le texte. Seuls de très rares produits d'assurance sont exonérés de déclaration, notamment lorsqu'ils sont présents sur un marché exclusivement local ou dans d'autres cas particuliers définis. Il n'y a pas d'exemple en France.
En ce qui concerne les réticences de certains États, je rappelle que les premiers échanges débuteront en deux temps. Pour un premier groupe comportant cinquante-sept pays, ceux-ci débuteront à partir de 2017. Ils seront rejoints à partir de 2018 par un second groupe de trente-sept États, parmi lesquels figurent par exemple l'Andorre, l'Autriche, les Bahamas ou encore la Suisse. Ce décalage doit permettre à ces États de se mettre en conformité avec les règles prévues dans cet accord.
S'agissant des trusts, l'accord prévoit un contrôle à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en ont le cas échéant le contrôle. Cela constitue une avancée par rapport à la loi FATCA, qui ne permet pas ce type de contrôle.
Mme Michèle André, présidente. - Puisqu'Éric Bocquet a évoqué le projet BEPS, je rappelle que notre commission entendra le directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, Pascal Saint-Amans, le 3 novembre prochain.
M. Éric Doligé. - J'ai rencontré la Fédération bancaire française, qui m'a indiqué qu'au-delà des deux observations que j'ai faites, les banques ne devraient pas rencontrer de difficultés pour répondre aux exigences prévues par cet accord dans la mesure où elles s'y sont déjà préparées lors de la mise en place de la loi FATCA. Le coût devrait aussi être plus faible que prévu.
La commission adopte le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
La réunion est levée à 11h27
La réunion est ouverte à 11h34
Crédit immobilier de France - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
Enfin, la commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le Crédit immobilier de France.
La réunion reprend à 11 heures 34.
Mme Michèle André, présidente. - Nous abordons ce matin un sujet qui a beaucoup occupé, sinon préoccupé, la commission des finances du Sénat depuis trois ans : la situation du Crédit immobilier de France (CIF).
Je vous rappelle qu'en septembre 2012, après l'annonce de la dégradation de la notation du CIF par l'agence Moody's, l'État avait annoncé qu'il apporterait sa garantie au CIF. Cette garantie a été votée dans le cadre de la loi de finances pour 2013. Elle s'était accompagnée d'un intense débat sur l'avenir du CIF, sur les conséquences sociales de sa restructuration et sur son impact sur l'accession sociale à la propriété, dont il était un acteur important.
Notre commission des finances avait été très active sur le sujet : elle avait organisé des auditions publiques dès le mois d'octobre 2012, et elle avait lancé une mission de réflexion sur le sujet, dont François Marc, alors rapporteur général, avait présenté les conclusions en décembre 2012.
À ce titre, il nous a semblé utile de faire le point sur la résolution du CIF, trois ans après le début de cette restructuration, en confiant à la Cour des comptes des comptes le soin de réaliser une enquête.
Comme à l'accoutumée, la commission des finances se réunit aujourd'hui afin d'entendre la Cour des comptes des comptes sur cette enquête et de connaître les réactions des représentants de la direction générale et du conseil d'administration du CIF, ainsi que de la direction générale du Trésor et de la Banque postale.
Cette réunion est également ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site Internet du Sénat.
Je donnerai, tout d'abord, la parole à Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes des comptes, qui a réalisé l'enquête. Il est accompagné de Monique Saliou, conseillère maître et présidente de section.
Puis, François Marc, rapporteur, présentera les principaux enseignements qu'il tire de l'enquête. Il posera également ses premières questions aux différentes personnes entendues ce matin.
M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Vous avez sollicité, en application des dispositions de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, un rapport sur le CIF, et vous avez rappelé à l'instant le contexte dans lequel l'État a été amené à apporter sa garantie au CIF. Je rappelle que les finances publiques sont engagées à un niveau élevé, le plafond de la garantie que vous avez autorisée se situant à 28 milliards d'euros, soit près 1,5 point de PIB, sur une période très longue, jusqu'en 2035.
Dans ce cadre, vous nous avez demandé d'examiner les conditions dans lesquelles se déroulait le processus de mise en résolution du CIF qui a accompagné, comme il se devait, l'octroi de la garantie. Je veux saluer à cet égard, comme vous l'avez fait avant moi, la forte implication et l'excellente connaissance de François Marc sur ce sujet, avec lequel les quatre magistrats de la Cour des comptes des comptes qui m'accompagnent ont pu échanger tout au long de l'instruction.
Avant de présenter les principaux constats de ce rapport, je souhaiterais très brièvement revenir sur les questions de compétence de la Cour des comptes.
La compétence de la Cour des comptes se fonde sur l'article L. 111-7 du code des juridictions financières qui l'autorise à exercer un contrôle sur les organismes bénéficiant du concours financier de l'État. Le CIF Développement, organe central du groupe CIF, entre dans ce cas de figure à compter de l'octroi de la garantie temporaire, en février 2013. Néanmoins, pour répondre pleinement aux demandes de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a également eu accès à des informations concernant la période antérieure à l'octroi de la garantie de l'État, ainsi qu'à des informations concernant les Sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (Sacicap), même si celles-ci ne sont pas soumises à sa compétence pleine et entière.
En résumé, la Cour des comptes a eu accès à toute l'information utile, tant auprès du CIF et de ses actionnaires que des administrations concernées, ou encore de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Tout au long de l'instruction, qui a conduit les rapporteurs à se déplacer à Marseille, à Lille et à Lyon, la Cour des comptes a cherché à répondre à trois questions : comment le CIF en est-il arrivé à une situation aussi critique ? Pourquoi l'État a-t-il dû intervenir et était-il contraint de le faire ? Le déroulement du plan de résolution ordonnée met-il en péril les finances publiques ?
S'agissant de la première question, le rapport vise à exposer les raisons profondes de la situation critique qu'a connue le CIF, en particulier à compter du premier semestre 2012.
En premier lieu, il convient tout d'abord de rappeler que le CIF était un acteur spécialisé, qui ne recevait pas de dépôts et qui se refinançait exclusivement sur les marchés. Cette forte dépendance aux ressources de marché l'a particulièrement exposé à la crise de liquidité qui a eu lieu en 2008-2009, puis en 2011-2012, période durant laquelle l'accès à la liquidité est devenu de plus en plus difficile pour le groupe.
Une autre source de fragilité résidait dans la forte imbrication des deux véhicules chargés de collecter les ressources de marché - une centrale de trésorerie, la caisse centrale du CIF (3CIF), et une société de crédit foncier, CIF Euromortgage. Le risque de défaut est apparu en février 2012, en même temps que l'abaissement de la notation de la 3CIF. La société de crédit foncier était en situation de demander le remboursement de la trésorerie placée auprès de la 3CIF, société qui n'aurait alors pas été en mesure d'honorer ce paiement et aurait donc été mise en défaut.
En second lieu, le CIF était un acteur isolé, donc faible. Sa principale erreur stratégique est vraisemblablement de ne pas avoir réussi à s'adosser à un réseau bancaire plus puissant quand il en était encore temps. Si l'adossement devenait difficile à partir de la crise de 2008, l'enquête a montré que le CIF pouvait être considéré comme une cible attrayante avant la crise. En 2006-2007, le groupe a décliné plusieurs offres d'adossement. Des considérations tenant au poids des filiales régionales, au souci de maintenir leur indépendance, ont probablement pesé lourd dans ce choix, ainsi que d'autres raisons tenant peut-être également au devenir des dirigeants de l'époque.
Au total, la banque était fragile de plusieurs points de vue. Son activité de prêteur immobilier était étroite et sensible aux retournements de la conjoncture. Son modèle financier reposait sur une dépendance structurelle aux financements de marché qui, pour maintenir la viabilité du groupe, devaient rester abondants à faible prix.
Enfin, le groupe ne pouvait compter sur des actionnaires puissants capables d'intervenir financièrement de façon rapide en cas de difficultés. Le CIF connaissait ces risques mais il a pu traverser la crise de 2008 sans remettre en cause son modèle. Toutefois, ce qui a été possible en 2008 s'est révélé impossible après 2011.
Pourtant, les alertes n'avaient pas manqué dans la période précédente. Le superviseur avait formulé des recommandations fortes à l'attention du CIF ; celles-ci avaient été contestées devant le Conseil d'État. Avec les services de l'État, les relations s'étaient distendues et dégradées depuis le prélèvement opéré en 2006 par l'État sur les fonds propres des Sacicap.
Deuxième question : dès lors que le modèle du CIF était condamné par la crise financière, l'État se devait-il d'intervenir ?
Sans intervention extérieure, la dégradation de la note du CIF, qui n'a été effective qu'à la fin du mois d'août 2012, entraînait sa mise en défaut. Nous avons cherché à analyser et à expliquer comment, pendant la période intermédiaire qui a précédé l'annonce de l'octroi d'une garantie de l'État, au premier semestre 2012, les services de l'État se sont mobilisés pour tenter de trouver une solution alternative. Aucune banque n'a souhaité venir au secours de l'établissement. L'enquête a confirmé que la reprise par La Banque postale présentait des risques importants pour cette dernière.
Dans ce contexte, l'État a été contraint d'intervenir. La raison en est que la défaillance du CIF aurait en effet pu se traduire, au-delà du groupe lui-même, par des conséquences systémiques sur le secteur des obligations foncières. L'État a donc écarté l'option du dépôt de bilan ; il a exploré, puis écarté, celle de la nationalisation, et il a, en définitive, choisi la voie de la garantie des financements.
L'octroi de cette garantie entraînait inévitablement la mise en extinction du CIF, conformément au droit de l'Union européenne en matière d'aide d'État, dès lors que le retour à la viabilité ne pouvait être démontré, puisqu'il n'y avait pas de repreneur pouvant laisser espérer ce retour à la viabilité.
La Caisse des dépôts et consignations n'a pas souhaité reprendre l'établissement. L'idée de la transformation du CIF en service d'intérêt économique général, sous la forme d'une « banque publique de l'accession sociale », si elle a été évoquée à plusieurs reprises, n'était pas conforme au droit de l'Union et n'était pas apparue nécessaire à la politique du logement.
Pour autant, le plan de résolution, validé par la Commission européenne, contient une dérogation par rapport à sa doctrine habituelle, car il permet un retour financier aux actionnaires qui restent en place. C'est, à notre connaissance, une situation unique parmi les plans de restructuration bancaire intervenus en Europe depuis le début de la crise.
En effet, les fonds propres importants du CIF devraient lui permettre de supporter les coûts de la résolution et le coût de la rémunération de la garantie de l'État, en dégageant, si tout se passe comme prévu, un bonus final. Il existe donc une possibilité de distribution d'un dividende aux actionnaires, ce qui est une incitation à ce qu'ils engagent la bonne mise en oeuvre de la résolution. L'État, de son côté, y a naturellement intérêt, pour ne pas mettre en danger les finances publiques.
Troisième question : comment se déroule le plan de résolution ? Existe-t-il un risque pour les finances publiques ?
De fait, la mise en oeuvre du plan de résolution ne s'est pas faite sans difficulté. Entre l'été 2014 et le début de l'année 2015, le CIF a connu une grave crise de gouvernance, qui a conduit au départ de son directeur général, les actionnaires étant en désaccord avec ce dernier sur certaines des modalités de la gestion de la résolution et de ses priorités.
La Cour a identifié et listé de façon précise, sous forme de recommandations, les conditions qui doivent présider à l'avenir à la gestion de cette résolution pour garantir son succès :
- la mise en oeuvre du plan tel que prévu, en particulier la simplification de l'organisation du groupe par la fusion des filiales et la centralisation de sa gestion ;
- la transparence complète sur les risques du portefeuille, encore en cours à la date de l'enquête ;
- le déroulement des plans de sauvegarde de l'emploi selon le calendrier et à l'intérieur de l'enveloppe prévue ;
- le maintien des compétences-clés au sein de l'organisation pour assurer le recouvrement des prêts ;
- enfin, une gouvernance stabilisée entre le conseil d'administration et le directeur général, d'une part, entre le CIF et l'État, d'autre part.
C'est à ces conditions que les finances publiques pourront être préservées.
Je souhaiterais à présent revenir sur trois sujets sur lesquels vous aviez demandé à la Cour des comptes des éclaircissements particuliers, à savoir :
- les conséquences de la disparition du CIF sur les 2 000 collaborateurs du groupe ;
- les conséquences de la disparition du CIF sur l'offre de crédit aux ménages modestes ;
- les conséquences de la disparition du CIF sur les missions sociales des Sacicap.
Avant d'évoquer ces trois questions, un point a fait l'objet d'une attention particulière et d'une recommandation de la Cour des comptes. Il s'agit des conditions de départ des deux dirigeants effectifs du groupe à la mi-2012. Malgré les fortes réserves exprimées par l'État, qui ne disposait alors d'aucun moyen juridique pour s'y opposer, les dirigeants ont perçu des indemnités qui s'élèvent à 1,13 million d'euros.
Compte tenu de ce vide juridique, qui est général s'agissant des établissements bancaires bénéficiant d'un concours financier exceptionnel pour éviter leur défaillance, la Cour des comptes propose l'adoption d'une disposition législative interdisant le versement d'indemnités de départ aux mandataires sociaux et dirigeants effectifs de ces établissements. Cette disposition devrait nécessairement s'articuler avec celles, toutes récentes, prévues par l'ordonnance du 25 août 2015, qui ont été codifiées à l'article L. 613-50-10 du code monétaire et financier.
La disparition du CIF a naturellement constitué une épreuve pour ses salariés. Dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, des conditions de départ, que nous qualifions d'avantageuses, ont été négociées. Elles représentent un coût total pour l'entreprise de 600 millions d'euros, soit 275 000 euros en moyenne par salarié. Toutes choses égales d'ailleurs, ce plan est plus généreux, et donc plus coûteux, que celui mis en place à l'occasion de la résolution concernant le groupe Dexia.
Ces conditions de départ, avantageuses tant du point de vue des indemnités de licenciement que des mesures d'accompagnement, n'ont pas accéléré les reclassements externes. À la fin du premier semestre 2015, seule la moitié des salariés concernés par le premier plan social avait trouvé une solution définitive ou provisoire à l'issue de leur congé de reclassement.
La Banque postale avait pris l'engagement de donner la priorité aux collaborateurs du CIF sur 300 postes. Nous considérons qu'elle a rempli cet objectif sur le nombre d'offres ; elle a également embauché, à l'issue de ce processus, 80 salariés qui ont pu conserver leur ancienneté.
Les banques de la place s'étaient engagées, par l'intermédiaire de la Fédération bancaire française, à participer autant qu'il leur était possible au reclassement des salariés du CIF. D'après les éléments transmis à la Cour des comptes au premier semestre, elles ont recruté peu de collaborateurs. Force est de constater qu'elles avaient, à cette époque, reçu peu de candidatures de la part des salariés du CIF.
La Cour a également cherché à analyser l'impact éventuel de la cession d'activité du CIF sur la distribution de crédit à l'habitat aux ménages modestes, qui constituaient la clientèle cible du CIF.
Nous nous livrons avec prudence à de telles analyses, la matière étant délicate. Il n'existe pas de lecture univoque et simple permettant d'apprécier l'impact éventuel de la disparition du CIF sur la distribution de crédits aux ménages modestes. En effet, entre 2011-2012 et 2015, bien d'autres facteurs que la disparition du CIF ont été susceptibles d'affecter aussi bien l'offre que la demande de crédits immobiliers.
Au vu de certains indicateurs, il semble que l'accès au crédit des ménages les plus modestes paraisse moins aisé aujourd'hui qu'il ne l'était avant la crise. La distribution des prêts à l'accession sociale a diminué entre 2011 et 2014 pour les ménages les plus modestes, c'est-à-dire ceux dont les revenus annuels sont inférieurs à 11 000 euros.
De façon plus qualitative, il a été relevé que les concurrents du CIF exigent aujourd'hui plus d'apport personnel et sont davantage sélectifs sur les conditions d'octroi.
La Banque postale s'est engagée, à la demande de l'État, à accélérer le déploiement de sa nouvelle offre d'accession à la propriété mais il nous a semblé qu'elle était elle aussi - sans que ce soit une appréciation critique - plus sélective que ne l'était celle du CIF.
En tout état de cause, il convient de rappeler que la distribution de prêts pour les clients les plus fragiles présentes des risques pour les banques, mais aussi pour les emprunteurs eux-mêmes, risques accrus lorsque les établissements de crédit distribuent des produits complexes à taux variables ou à paliers, comme cela a pu être le cas à un moment de la part du CIF.
Permettez-moi enfin de revenir sur les conséquences de la disparition du CIF sur leurs actionnaires, les Sacicap qui, comme vous le savez, utilisaient une partie du dividende pour financer des prêts et avances au profit de propriétaires ou copropriétaires modestes dans le cadre d'une convention cadre conclue avec l'État.
En raison de l'arrêt du versement, beaucoup de Sacicap ont fortement diminué, voire arrêté, ces missions sociales. D'autres cependant, en meilleure santé financière du fait de la profitabilité de leur pôle immobilier, les ont maintenues, voire augmentées.
À l'issue de nos investigations, nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle ces missions sociales pouvaient dans une large mesure se poursuivre grâce aux dividendes prélevés sur les activités immobilières des filiales des Sacicap et au boni de liquidation que celles-ci devraient en principe percevoir dès 2018.
Notre sentiment est que ces missions sociales gagneraient cependant à s'inscrire dans le cadre d'une nouvelle convention avec l'État, la précédente arrivant à échéance en 2017, l'actuelle ne donnant lieu qu'à un suivi relativement lointain et distant de la part des services de l'État. L'objet de cette nouvelle convention devrait être d'identifier les champs dans lesquels les Sacicap sont susceptibles d'apporter une véritable valeur ajoutée. Il faudrait aussi que cette convention garantisse la bonne application des engagements pris par l'ensemble des composantes du réseau. La Cour des comptes formule donc une recommandation à ce sujet.
En résumé, le principal message que la Cour des comptes souhaite porter à l'attention de votre commission est que la stricte application du plan de résolution ordonnée constitue la seule voie possible pour concrétiser l'éventualité du boni de liquidation que les actionnaires attendent et poursuivre les missions sociales. Du côté de l'État, la stricte application du plan de résolution apparaît comme la seule solution qui s'offre pour préserver les finances publiques.
M. François Marc, rapporteur. - Je remercie Raoul Briet de son propos introductif et, plus encore, de l'enquête très complète et précise que la Cour des comptes nous a fournie sur un sujet qui est à la fois complexe et source de nombreuses tensions, au croisement de différents impératifs contradictoires : la stabilité financière, l'accession sociale à la propriété, la protection des deniers publics. N'oublions pas qu'il existe 28 milliards d'euros de plafond de garantie ; cela nécessite que le Parlement porte sur ce sujet un regard attentif.
De cette enquête, je retiens trois principaux éléments d'analyse, que je voudrais présenter rapidement.
Le premier a trait aux raisons qui ont conduit aux difficultés et à la résolution du CIF. Je partage l'idée que ces raisons tiennent d'abord à un modèle économique inadapté, trop spécialisé et sans source de financement alternative aux marchés, et à des problèmes d'organisation interne et de gouvernance.
Le deuxième élément d'analyse concerne la mise en oeuvre du plan de résolution. L'enquête de la Cour des comptes démontre que la résolution ordonnée était la seule solution envisageable pour le CIF, compte tenu, notamment, des règles européennes en matière d'aide d'État. La mise en oeuvre de ce plan appelle de ma part trois remarques. La première est qu'elle nécessite une vigilance particulière des organes dirigeants du CIF pour maîtriser l'évolution des risques sur le portefeuille géré.
La deuxième est qu'elle s'est accompagnée d'un renouvellement des instances dirigeantes du CIF, dont les anciens dirigeants effectifs sont partis, ainsi que vous l'avez souligné, avec des indemnités de départ d'environ 700 000 euros et 430 000 euros, qui posent question.
Enfin, la troisième remarque concerne le plan social mis en oeuvre - 275 000 euros par salarié en moyenne - bien plus généreux que ce qui a été fait pour Dexia, ou pour la société Gad, en Bretagne, environ cinq fois moins.
Enfin, le troisième élément d'analyse dont je souhaitais faire part à la lecture de l'enquête de la Cour des comptes a trait aux conséquences de l'arrêt de la production du CIF sur le marché de l'accession sociale à la propriété.
Cette conséquence est double. D'une part, l'enquête de la Cour des comptes, tout en restant prudente, avance l'idée d'une réduction de l'offre de crédit immobilier pour les catégories de ménages les plus modestes. Cela pose la question des conditions de l'accès au crédit de cette clientèle.
D'autre part, les missions sociales des actionnaires du CIF, notamment des prêts et avances pour la rénovation thermique de l'habitat ou la rénovation des copropriétés dégradées, ne peuvent plus être financées comme elles l'étaient auparavant. Une solution doit, selon moi, être trouvée en faveur d'un tel financement dès lors que le plan de résolution permet le versement d'un dividende aux Sacicap à compter de 2018.
Pour compléter et éclairer cette première analyse, je me permets de poser quelques questions complémentaires aux différentes personnes entendues, qui pourront ainsi réagir au rapport de la Cour des comptes. Ces questions s'adressent tout d'abord à Jérôme Lacaille, directeur général du CIF. La direction générale du CIF est chargée de mettre en oeuvre le plan de résolution qui a été négocié avec la Commission européenne. Quels sont selon vous les principaux risques opérationnels de cette mise en oeuvre ? Comment maîtriser l'évolution du coût du risque ?
Deuxièmement, quel est, aujourd'hui, le boni de liquidation que vous espérez et à partir de quelle date pensez-vous raisonnable d'en verser une partie aux actionnaires sous forme de dividende ?
Enfin, le plan de reclassement des salariés n'a, pour l'instant, pas rempli tous ses objectifs, d'après l'enquête de la Cour des comptes qui indique qu'environ 465 salariés, sur les 906 concernés, ont bénéficié d'un reclassement. Pensez-vous, comme la Cour des comptes, que la générosité du plan social freine les reclassements ? Les acteurs de place, et notamment la Banque postale, ont-ils joué leur rôle pour reprendre les salariés du CIF ? Quelles sont les perspectives et les actions que vous comptez mener pour garantir la réussite des différents reclassements ?
Je me tourne ensuite vers Yannick Borde, président du conseil d'administration du CIF et également président de l'Union d'économie sociale pour l'accession à la propriété (UES-AP). L'actionnariat du CIF est constitué de cinquante-six Sacicap, qui sont présentes sur l'ensemble du territoire métropolitain. Avec la mise en extinction du CIF, ce réseau doit-il évoluer et comment ? Comment préserver les missions sociales des Sacicap ?
La Cour des comptes montre que certains actionnaires n'adhérent pas au plan de résolution tel qu'il a été réactualisé par la direction générale en 2014-2015. Quelles sont les craintes exprimées par les actionnaires ? Considérez-vous, comme la Cour des comptes, qu'il s'agit d'un risque pour la mise en oeuvre du plan ou pensez-vous que ces réticences sont aujourd'hui levées ?
M. Jérôme Lacaille, directeur général du CIF. - J'ai pris mes fonctions le 1er juin dernier, pour une mission extrêmement claire, qui consiste à optimiser l'actif net du CIF dans le cadre du plan de résolution ordonnée et d'un traitement juste des salariés et des clients.
Vous m'avez posé la question de savoir quels étaient selon moi les principaux risques concernant le bon déroulement du plan de résolution ordonnée. Le principal est un risque humain. Nous sommes dans une situation particulière, dans laquelle, chaque année, pour répondre aux impératifs de l'évolution de l'activité et aux dispositions du plan de résolution ordonnée, nous devons conduire un plan social d'entreprise.
Nous avons donc besoin de maintenir un certain nombre de compétences-clés dans cette entreprise pour pouvoir conduire cette résolution, dont je vous rappelle que l'horizon est assez long. En même temps, année après année, un certain nombre de salariés sont amenés à quitter l'entreprise.
Ceci crée une situation très particulière que vous pouvez imaginer assez facilement. Il faut donc mener une action très importante pour garantir l'employabilité des salariés au service de la conduite du plan de résolution ordonnée, et pour leur permettre de se reclasser dans les meilleures conditions sur le marché du travail.
Le second risque qui m'apparaît concerne la juste appréciation du coût risque à terminaison. C'est pourquoi, parmi les premières décisions que j'ai prises après mon arrivée, a figuré la décision, comme l'a relevé la Cour des comptes, de lancer un audit externe portant à la fois sur l'appréciation des méthodes de provisionnement et sur leur juste application.
J'attends de cet audit à la fois une vision précise, partagée entre l'ensemble des parties prenantes, sur la situation exacte du risque de contrepartie, mais également un certain nombre d'orientations qui puissent servir de guide opérationnel pour la conduite du plan de résolution ordonnée. Les conclusions de cet audit me parviendront dans les semaines qui viennent, et l'ensemble des résultats sera connu avant la fin de l'année.
Le troisième élément important reste dans le rythme d'écoulement des encours de crédit. Nous sommes dans une situation dans laquelle, aujourd'hui, nous avons à faire face à une montée importante des remboursements anticipés.
Naturellement, ceci a toute une série d'impacts, à la fois positifs et négatifs, du point de vue de l'actif net. Ces impacts sont en train d'être mesurés et seront présentés dans le cadre du diagnostic que je me suis engagé à fournir avant la fin de l'année au conseil d'administration.
Enfin, le dernier élément concerne la gestion du coût de la garantie apportée par l'État. Il est clair que son taux a été déterminé par l'Union européenne ; en revanche, il existe toute une série d'actions à conduire pour accélérer le rythme d'écoulement de cette garantie et réduire au maximum l'exposition de l'État et les coûts payés par le CIF, qui viennent naturellement peser sur son actif net.
De vraies actions sont à conduire : la preuve en est qu'en l'espace de quatre mois, nous avons réduit les encours sous garantie interne de 1,8 milliard d'euros, soit une économie nette pour le CIF de 27 millions d'euros chaque année.
Voilà le cadre général de la gestion de ce plan de résolution ordonnée.
Comment tout ceci va-t-il être mis en oeuvre ? Vous l'avez rappelé, il existe un grand besoin d'apaisement et de restauration de la confiance entre les différentes prenantes.
Le président Raoul Briet a fait état d'un certain nombre de tensions survenues au cours des derniers mois entre les différentes parties prenantes. Pour pouvoir rétablir parfaitement la confiance et conduire la résolution ordonnée de façon apaisée, il est important de disposer d'un diagnostic partagé et, sur cette base, d'identifier un certain nombre d'actions prioritaires, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer devant le conseil d'administration, auprès du Comité de suivi et auprès des autorités de régulation. J'ai ainsi identifié quatorze chantiers prioritaires à conduire dans le cadre de la résolution ordonnée.
Quant au boni de liquidation, je ne dispose pas pour le moment d'informations complémentaires par rapport à celles présentées aux actionnaires lors de l'assemblée générale du 28 mai dernier, qui faisaient apparaître que la somme de 650 millions d'euros actualisés sur l'horizon du plan de résolution ordonnée pouvait être attendue sous forme de versements de dividendes.
Le reclassement des salariés est une de mes préoccupations les plus importantes. En dépit de la palette très riche d'instruments identifiés par l'accord de gestion sociale, les bilans pouvant être tirés du reclassement des salariés qui ont été concernés par le premier plan social, ont été, d'après les informations à fin août dernier, relativement décevants : 51 % seulement des salariés ont retrouvé un emploi. D'autres ont trouvé des formations longues, mais je les exclus, pour ne retenir que l'emploi. Je trouve le chiffre de 51 % décevant. Je m'en suis ouvert au comité central d'entreprise ; j'ai proposé aux organisations syndicales de conduire un bilan partagé des premiers mois d'application de cet accord de gestion sociale. Je leur ai proposé, dans ce cadre, et dans celui de l'enveloppe financière telle qu'elle avait été déterminée, d'étudier les améliorations qui pouvaient être apportées à l'efficacité des instruments du point de vue de l'aide au reclassement interne.
Nous entrerons demain en période d'élections professionnelles. Ces élections vont durer environ un mois. Les négociations pourront donc commencer, je l'espère, d'ici la fin de l'année.
Enfin, vous m'avez interrogé sur le rôle des banques. Je n'ai pas grand-chose à ajouter par rapport au constat dressé par la Cour des comptes. Cela fera partie du bilan que l'on pourra tirer des premiers mois. Il conviendra de s'interroger sur les raisons pour lesquelles il n'y a pas eu davantage de candidatures présentées aux autres banques, et pourquoi celles-ci n'ont pas recruté davantage de salariés du CIF, sachant que, comme le remarque la Cour des comptes, la compétence des salariés du CIF est parfaitement reconnue sur la place.
M. Yannick Borde, président du CIF - Vous m'avez interrogé, en ma qualité président de l'UES-AP, sur le contexte propre des Sacicap et, en second lieu, en ma qualité de président du CIF, sur l'attente de l'actionnariat par rapport à l'exécution du plan de résolution ordonnée.
Au moment de la dégradation par l'agence Moody's et de la décision de l'État de proposer la mise en résolution du CIF, personne n'aurait imaginé que, trois ans plus tard presque jour pour jour, les cinquante-six Sacicap seraient toutes présentes. À l'intérieur même de notre réseau, un certain nombre s'interrogeaient légitimement sur leur capacité à résister à ce moment particulièrement difficile de la vie de nos entreprises.
Trois ans plus tard - même si, dans les semaines récentes, quelques opérations de restructuration sont apparues, notamment avec la fusion de quelques sociétés entre elles - l'ensemble du réseau demeure. Les fusions actuellement à l'ordre du jour se font plus dans une stratégie de redéploiement ou de développement que dans une stratégie défensive, ou une stratégie d'actionnaires pour celles ayant des actionnaires significatifs. Il s'agit d'une véritable volonté d'accélérer la restructuration de notre réseau.
Il faut se souvenir que, globalement, dans l'activité des Sacicap figuraient, jusqu'au mois d'août 2012, trois champs, un champ de missions sociales directement couvertes par la société, et deux champs pour une grande partie filialisés, l'un pour la branche crédit, et l'autre pour la branche immobilière.
Si l'on consolide l'activité des sociétés, même si elle n'existe pas dans un réseau, on peut considérer que, sur l'exercice 2012 ou les exercices précédents, la remontée de dividendes aux Sacicap des deux branches était issue à 80 % environ de la branche crédit et à 20 % de la branche immobilière.
Bien évidemment, le contexte du CIF, qui prive depuis 2012 les actionnaires d'un dividende dans ce domaine, a nécessité que l'on réorganise notre approche de gestion d'entreprises de Sacicap, que l'on renforce nos stratégies en matière immobilière, et que l'on s'adapte par rapport à la convention signée avec l'État en matière de missions sociales.
Cette convention date de 2007 ; elle avait été prolongée par avenant en 2010. Elle court donc dorénavant jusqu'en 2017. Elle établit, dans un premier chapitre, que les Sacicap s'engagent à investir 35 millions d'euros par an sous forme de financement à 0 % au profit des familles modestes, généralement sous plafond ANAH, dans le domaine d'un certain nombre de missions sociales, qui couvrent la précarité énergétique, la sortie d'insalubrité, l'adaptabilité du logement, l'intervention de copropriétés, etc.
À mi-2015, l'engagement cumulé des sociétés est tenu. À la fin de l'année 2015, alors que nous avions un peu d'avance fin 2014, celle-ci sera quelque peu grignotée. On sera légèrement en-dessous, en tout cas très proches de l'engagement cumulé de huit années à 35 millions d'euros, soit 270 millions d'euros investis en missions sociales. Je rappelle que, pour un euro de mission sociale, il existe environ 3 à 4 euros d'opérations.
Certes, aujourd'hui, comme l'a souligné le président Raoul Briet, l'hétérogénéité des territoires est réelle, et les capacités d'intervention de nos sociétés sont assez différentes. Sur les cinquante-six Sacicap, sur la première partie de l'année 2015, seule une petite dizaine n'a pu intervenir dans le cadre de missions sociales.
Le conseil d'administration de l'UES-AP désire que l'on fasse tout, collectivement, pour respecter les engagements signés avec l'État afin de démontrer notre volonté d'aller jusqu'au bout, sans mettre en difficulté l'une ou l'autre de nos sociétés. C'est là que peuvent apparaître quelques exemples de mutualisation entre l'une des sociétés qui aurait un projet et qui ne pourrait le financer, et une autre qui pourrait l'accompagner.
Je voudrais illustrer notre volonté de tout mobiliser dans ce domaine en évoquant deux dossiers. L'un est assez exemplaire et concerne la région Aquitaine, la Sacicap de Gironde et la Sacicap « Les prévoyants ». La région a signé un accord assez important en début d'année pour démultiplier son action. Le second dossier concerne la région Bourgogne et la Sacicap de Dijon, en lien avec la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), et a trait au financement des opérations pour les retraités modestes.
La volonté est là ; l'engagement collectif sera respecté, bien évidemment suivant les territoires, en tenant compte de leur hétérogénéité.
En juin dernier, nous avons fait approuver par l'assemblée générale de l'UES-AP un ensemble d'orientations qui met en avant le fait que la bonne résolution ordonnée du CIF fait partie de notre projet, mais également notre volonté d'aller au-delà de 2017 en matière de missions sociales, ce qui nous amène à avoir en ce moment des discussions confidentielles avec un certain nombre d'acteurs proches de ce domaine, afin d'étudier la façon de pérenniser nos actions et, je l'espère, de les développer.
Bien évidemment, comme l'a suggéré la Cour des comptes, ceci devra s'inscrire dans le cadre d'une nouvelle discussion avec l'État, de façon à poursuivre la convention à échoir dans un peu plus de deux ans maintenant.
Je souhaite revenir ici sur la convention signée avec l'État, car on la ramène souvent à la partie des financements. Or, cette convention comportait une deuxième partie qui concernait l'intervention des sociétés dans le domaine du logement, de la construction et de l'accession sociale, voire très sociale, principalement en zone ANRU, dans des dispositifs dit de prix maîtrisé et de type location-accession.
Entre 2007 et 2017, nous devions réaliser 25 000 logements. Nous sommes là aussi en avance sur cet engagement. Nous serons en effet à environ 21 000 à 22 000 logements dès la fin de cette année. C'est un champ que nous entendons investiguer à nouveau. Nous explorons le nouveau programme national pour la rénovation urbaine (NPNRU) avec grand intérêt, ainsi que des dispositifs d'accession progressive. Les sociétés sont très mobilisées sur cette partie, et ce malgré la conjoncture.
En effet, en plus de la difficulté du CIF, ce contexte est intervenu dans une conjoncture immobilière difficile. Nous avons malgré tout maintenu notre production et nos chiffres d'affaires dans nos différents métiers, notamment les services immobiliers ; aujourd'hui nous sommes un acteur immobilier complet dans l'habitat, quasiment sur tous les champs, tout en tenant compte de l'hétérogénéité des missions sociales en fonction des territoires. Il s'agit de couvrir l'ensemble du territoire avec l'ensemble des métiers de l'immobilier. Nous inscrivons cette politique dans le domaine du logement social, puisque nous appartenons à la famille du mouvement HLM.
Reste un sujet, effleuré dans le rapport de la Cour des comptes : cela nécessitera vraisemblablement de notre part, la loi le permettant, à travers le règlement intérieur, de repenser notre gouvernance nationale, de façon à pouvoir appliquer nos engagements de façon plus homogène sur l'ensemble du territoire. C'est une volonté, qui est partagée par tous les dirigeants de nos sociétés.
S'agissant de l'adhésion des actionnaires au plan de résolution ordonnée, il faut avoir à l'esprit qu'un dossier tel que celui qui nous est arrivé courant 2012 est également traumatisant pour les actionnaires. On ne va pas revenir sur l'ensemble du rapport. Il est nécessaire de parfaitement connaître les causes. Nous serons sans doute toujours quelque peu en désaccord avec l'interprétation de l'État sur un certain nombre de points du dossier.
Je voudrais inscrire mes propos dans le présent et l'avenir.
Le traumatisme du dossier du CIF a fait que le démarrage de la résolution ordonnée a été complexe. Il n'est pas facile d'éteindre un bilan de 35 milliards d'euros. Jérôme Lacaille a évoqué la durée théorique de l'extinction, qui est très longue. Il a fallu que chacun trouve ses repères dans ce contexte.
L'année 2013 a été plutôt positive pour le fonctionnement de notre relation. J'ai pris la présidence l'UES-AP en octobre 2012, au moment de la crise, et la présidence du CIF en janvier 2013.
L'année 2013 a globalement été favorable, puisqu'elle a permis à la fois à l'État et au CIF de conduire les scénarios permettant d'aboutir à la garantie définitive fin 2013 et à négocier de façon dérogatoire, comme l'a évoqué la Cour des comptes, le plan de résolution ordonnée auprès de la Commission européenne.
Je tiens à saluer le fait que, pendant cette période, les intérêts ont été parfaitement partagés entre l'État et la gouvernance du CIF pour aboutir à quelque chose qui implique les actionnaires de façon durable dans la résolution ordonnée.
L'année 2014 a été plus compliquée ; la Cour des comptes fait état d'un certain nombre de difficultés de gouvernance. Une fois les grandes modalités du plan de résolution définies, on a vu apparaître des orientations de la direction générale alors en place assez éloignées de celles qui étaient débattues et parfois approuvées par le conseil d'administration de CIFD.
Il nous a fallu rappeler à plusieurs reprises à la direction générale, au comité de suivi et aux autorités publiques - direction générale du trésor et ACPR principalement - que la résolution ordonnée, ainsi qu'une note du directeur général du Trésor de l'époque datant de janvier 2013 l'indiquait, que la gouvernance du CIF devait garder toutes ses prérogatives, et que le processus de décision passait par une validation des décisions par un comité de suivi.
Ce fonctionnement ne s'est pas révélé totalement opérationnel ; le conseil d'administration et le président que je suis se sont sentis dépossédés de leurs prérogatives et ont voulu les remettre en ordre à partir du milieu de 2014.
Je passe sur tout cela, pour aboutir à l'arrivée de Jérôme Lacaille et à la nouvelle gouvernance qui a été mise en place ; elle permet aujourd'hui un fonctionnement apaisé, ainsi que je l'ai récemment indiqué au Trésor, que nous considérons comme normalisé, l'entreprise devant normalement fonctionner, même si le CIF est sous résolution ordonnée.
Concernant les actionnaires, vous vous doutez bien que dans un tel réseau, il peut y avoir quelques discussions de temps en temps. Je souligne que même s'il y a eu régulièrement, notamment à l'approche d'échéances importantes en assemblée générale, des tensions très fortes, toutes les décisions ont été adoptées à 95 %, voire à 100 % par les actionnaires depuis novembre 2013.
Je pense en particulier à deux opérations ; la dernière, fin 2014, concernait une très grosse opération technique d'apports, qui rendaient tous ceux qui travaillaient sur ce dossier assez fébriles. Cette opération a été approuvée par les actionnaires à 100 %. Par ailleurs, le processus de fusion des sociétés financières régionales (SFR) avec CIFD, lancé en mai dernier, a également été approuvé à 100 %.
Le conseil d'administration et les actionnaires sont aujourd'hui résolument inscrits dans cette dynamique, et vont dans le sens des recommandations formulées par la Cour des comptes sur les étapes du plan de résolution, qu'il s'agisse de processus de fusion - dont deux ont été approuvés hier, que l'on doit entériner cet après-midi - en lien avec l'organisation des plates-formes ou avec la maîtrise des risques.
Les intérêts de l'État et ceux des Sacicap sont liés. Si l'État n'est pas sécurisé en matière de garantie, les Sacicap ne pourront prétendre à ce qu'elles ont négocié en 2013 avec la Commission européenne, au travers de l'accord dérogatoire. Soyez certains que c'est notre volonté.
M. François Marc, rapporteur. - Je me tourne à présent vers Didier Moaté, directeur de la banque de détail au sein de La Banque postale, afin qu'il nous éclaire sur la question du plan de reclassement et sur la question des prêts pour permettre aux catégories les plus modestes d'accéder à la propriété.
Tout d'abord, l'enquête de la Cour des comptes reconnaît que La Banque postale a respecté son engagement en proposant 300 postes aux salariés du CIF, dont seulement 88 ont débouché sur un recrutement. Comment expliquez-vous le faible taux de reclassement, malgré les offres formulées ?
D'après la Cour des comptes, la disparition du CIF a eu un impact sur le marché de l'accession sociale à la propriété, en particulier pour les foyers les plus modestes. L'offre développée par La Banque postale serait plus sélective, et s'adresserait davantage à la partie « haute » des foyers concernés par l'accession sociale à la propriété. Partagez-vous cette analyse ?
Enfin, le CIF distribuait des produits non conventionnels, par exemple des prêts à taux variables non plafonnés, avec des pratiques de « surfinancement » non conformes aux règles prudentielles auprès de la clientèle fragile. Cette clientèle ne peut-elle être servie que par ce type de produits ou de pratiques ? Le renforcement des règles prudentielles exclut-il de facto une partie de la population française de l'accès au crédit immobilier ?
M. Didier Moaté, directeur de la banque de détail du groupe La Banque postale. - Nous avions pris l'engagement de proposer 300 offres d'emploi aux collaborateurs du CIF. Nous en aurons en fait proposé en tout 368. Nous avons quasiment réalisé 116 embauches, dont 101 collaborateurs, soit plus que les 80 cités dans le rapport de la Cour des comptes.
Cependant, ce chiffre de 101 collaborateurs finalement embauchés pour 368 offres d'emploi constitue une déception. Les collaborateurs du CIF ont été assez exigeants quant aux conditions d'embauche de La Banque postale s'agissant des rémunérations. On était alors en pleine discussion du plan social. 101 collaborateurs ont suivi le projet que nous leur avons présenté et ont rejoint une Banque postale en développement, pour la plupart dans la filière commerciale.
Le fait que beaucoup aient rejoint la filière immobilière consacrée à l'accession sociale que nous avons créée à l'époque est une satisfaction. Nous avions pris l'engagement d'affecter 3 milliards d'euros de crédits à l'accession sociale. Pour ce faire, nous avions besoin de renforcer nos compétences. Or, il faut reconnaître que celles des collaborateurs du CIF sont réelles. Nous en profitons aujourd'hui, puisque nous avons créé une filière consacrée à l'accession sociale, avec des chargés de financement répartis à travers toute la France pour accueillir des clients modestes pour les accompagner dans leurs projets. Il s'agit, pour l'essentiel, d'anciens collaborateurs du CIF.
S'agissant des prêts aux personnes les plus modestes, nous revoyons les engagements que nous avons pris.
Il existe un sujet plus général relatif à l'accompagnement de ce type de clientèle. Je ne vous rejoins pas sur l'idée qu'il y aurait un durcissement en raison des règles prudentielles. Je préfère parler d'attention plutôt que de sélectivité. Nous avions pris l'engagement de consacrer à cette activité plus de 3 milliards d'euros ; à fin juin, nous en étions à 3,1 milliards d'euros. Nous serons très au-delà de nos engagements à la fin de l'année. Ils sont donc largement tenus.
Rappelons que La Banque postale ne réalisait pas de prêts d'accession sociale avant 2012 ; en 2015, elle enregistre une progression de plus de 75 % dans ce domaine, ce qui fait dire à la Société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFGAS), dans son dernier rapport, qu'avec 75 % de progression, « La Banque postale a pris la place du CIF » sur ces sujets.
44 % de nos prêts concernent la clientèle modeste. Qui sont ces clients modestes ? Ils se situent entre moins de deux Smic et moins de trois Smic. Il s'agit pour nous d'hommes et de femmes, dont il faut prendre la responsabilité, ou pas, d'accompagner dans leur projet. C'est ainsi que nous voyons notre mission d'accompagnement en général et de crédit immobilier en particulier. Sur 3 milliards d'euros, un milliard d'euros a été consacré à des personnes percevant moins de deux Smic.
Faut-il aller au-delà ? C'est tout le sujet. Quand on consent un prêt d'accession sociale (PAS), il faut respecter un certain nombre de normes et de quotités de financement. Faut-il amener des ménages parmi les plus modestes à aller au-delà ? Pour nos équipes sur le terrain, formées à l'écoute de ce type de clientèle, la question est de savoir jusqu'où aller.
Pour bénéficier de la garantie du SGFGAS, mais également de l'APL, le souscripteur d'un prêt d'accession sociale doit respecter un minimum de quotité de financement. Le fait d'accepter des surfinancements fait courir aux clients modestes le risque de perdre l'APL. C'est ce type de responsabilités qu'il nous faut endosser.
Certaines familles ont un reste à vivre de moins de 1 000 euros par mois pour deux personnes, ou de moins de 700 euros pour des gens seuls. C'est, selon nous, un seuil à ne pas franchir. Notre responsabilité est de savoir jusqu'où aller. C'est là notre métier. C'est pourquoi je préfère parler d'attention, d'accompagnement, plutôt que de durcissement.
Voilà notre philosophie et la manière dont La Banque postale continue à faire son métier en accompagnant ce type de clientèle.
M. François Marc, rapporteur. - Je me tourne maintenant vers Corso Bavagnoli, chef du service du financement de l'économie au sein de la direction générale du Trésor. Le rapport de la Cour des comptes insiste sur le caractère dérogatoire du plan de résolution négocié avec la Commission européenne. Ce plan prévoit en particulier la possibilité de verser un dividende aux actionnaires à partir de 2018.
Comment cette dérogation a-t-elle pu être négociée ? Quelles sont les conditions posées par Bruxelles ? Cette dérogation est-elle compatible avec l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 2011, dit « plan Dexia », qui encadre le versement de dividendes dans les sociétés aidées par l'État ?
Enfin, la gestion extinctive du CIF fait apparaître une progression du coût du risque, qui pourrait mettre en péril le boni de liquidation espéré. Comment le Trésor assure-t-il le suivi de cette gestion extinctive pour prévenir la survenance de ces risques ?
M. Corso Bavagnoli, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor. - Un mot tout d'abord sur le rapport de la Cour des comptes. Nous adhérons au constat que fait ce rapport, tout à fait utile et pertinent, qui amène des éléments d'analyse nouveaux qui méritent d'être soulignés pour bien comprendre les raisons de la crise au CIF, les conditions d'intervention de l'État et ses contraintes, les enjeux de la résolution ordonnée, et les raisons pour lesquelles il est impératif de maîtriser au mieux les risques qui demeurent.
Je ne sais si l'on peut qualifier le plan de résolution ordonnée de « dérogatoire ». C'est à la Commission européenne de savoir si elle a dérogé ou non à ses règles. Ce n'est pas son habitude. Je serai donc prudent à propos de ce qualificatif. En tout cas, il est vrai que ce plan a une caractéristique essentielle. C'est le discours que l'on a tenu conjointement avec les représentants des actionnaires et la direction générale du CIF. En effet, on recherche un alignement entre les intérêts de l'État garant - qui a exposé les finances publiques de manière très substantielle avec le CIF - et les intérêts des actionnaires, dans un contexte où le choix qui avait été fait, pour des raisons qui s'expliquent parfaitement, était de ne pas nationaliser l'entreprise et d'avoir durablement un système dual, avec des actionnaires et un État qui, en tant que garant, avait naturellement un droit de regard sur la bonne marche de l'entreprise.
Ce point me semble devoir être relevé. L'innovation de ce plan réside dans le fait que la convergence d'intérêts entre l'État, les actionnaires et le corps social du CIF a été reconnue par la Commission européenne.
Y a-t-elle mis des conditions ? Oui. Quand elle a autorisé la possibilité, à terme, de restituer des fonds propres aux actionnaires, la Commission européenne a mis pour condition à cette autorisation une rémunération de la garantie significativement plus élevée que dans le cadre de Dexia, par exemple.
C'est pourquoi, dans un cas, on a une commission de garantie rémunérée avec quelques points de base et, dans l'autre, une commission de garantie rémunérée bien plus cher. C'était la contrepartie de l'acceptation par la Commission européenne d'une possibilité de restitution à terme de fonds propres aux actionnaires.
Ceci est-il compatible avec l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 2011 ? Oui, à notre sens, et toute autre solution aurait été à écarter, car cette distribution était conditionnelle. C'est là qu'apparaît véritablement l'alignement des intérêts entre les actionnaires et le garant. En effet, pour que cette distribution puisse avoir lieu, plusieurs conditions doivent en effet être réunies à partir de 2018. Il faut d'abord que le niveau de solvabilité, mesuré par le ratio de fonds propres de l'entreprise, soit supérieur à un certain seuil, qui donne de la sécurité à l'État garant quant à la présence de fonds propres en quantité suffisante dans l'entreprise pour protéger sa garantie. Ensuite, une autorisation au cas par cas doit être donnée par l'État, en accord avec l'autorité de contrôle prudentiel pour que cette distribution ait lieu.
Cette distribution est possible. Elle est conditionnelle, et ne peut avoir lieu que s'il y a suffisamment de confiance, à la fois sur le plan quantitatif et qualitatif quant à la bonne gestion de l'entreprise et à la maîtrise des risques.
Pour ce qui est de la question des enjeux de la gestion extinctive, nous poursuivons trois objectifs : un objectif de protection des données publiques, de préservation de la stabilité financière et une certaine attention aux situations humaines, car la situation du CIF constitue, pour les employés, un traumatisme certain.
C'est autour de ces objectifs que se structure le dialogue avec la direction générale de l'entreprise et les actionnaires au sein du comité de suivi qui nous réunit régulièrement. L'accent a été mis de façon permanente sur la transparence des risques et la bonne gestion, ainsi que sur la maîtrise des coûts de fonctionnement, une banque qui n'a plus de nouveaux revenus devant nécessairement ajuster ses coûts pour ne pas fragiliser sa situation financière. Le reclassement des salariés constitue également une priorité dans le dialogue avec La Banque postale.
Ce sont là les enjeux, et c'est ainsi que nous essayons de conduire cette résolution ordonnée, en bonne intelligence collective.
Mme Michèle André, présidente. - L'ACPR et le Trésor se sont révélés très démunis face à la crise qu'a traversée le CIF. Depuis 2012, et l'entrée en vigueur de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires en 2013, la procédure de résolution donne des pouvoirs supplémentaires à l'ACPR. Ce cadre est sans doute plus sécurisant. Serait-on aujourd'hui moins impuissant face à de telles difficultés ? Les outils prudentiels, comme le relèvement du ratio de solvabilité, auraient-ils été utiles et efficaces face à un établissement confronté à une crise de liquidité ?
M. Philippe Dallier. - Quelques mots pour dire que cette affaire laisse le sentiment d'un grand gâchis, avec des occasions manquées, avant 2008, de s'adosser à un groupe plus solide, et une résolution dont on nous dit qu'elle dégagera peut-être un boni après avoir payé des indemnités de licenciement relativement confortables... On éteint la lumière et on a encore de quoi distribuer un peu d'argent aux actionnaires ! C'est assez surprenant, mais nous ne sommes pas là pour réécrire le passé. Nous essayons simplement besoin d'analyser les conséquences.
Ma question concerne le financement de l'accession sociale à la propriété. La Cour des comptes relève une segmentation un peu différente et des critères plus restrictifs de La Banque postale - mais vous affirmez le contraire et on a donc du mal à se faire une idée. Le taux de défaut des clients du CIF était-il particulièrement élevé ? C'est là toute la question ! L'accession sociale, je la défends depuis longtemps. On a essayé de faire en sorte que l'APL Accession ne disparaisse pas. Didier Moaté en a dit deux mots, et peut-être pourrait-on vous interroger à ce sujet. Faire sortir des gens du logement social, c'est libérer un logement et cela en représente un de moins à construire dans la crise actuelle. À deux fois et demie le Smic, en première couronne parisienne, avec des loyers compris entre 850 euros et 900 euros, ne vaut-il pas mieux devenir propriétaire ? Être trop restrictif limite la possibilité de transition vers la propriété.
La Cour des comptes ou les représentants du CIF peuvent-ils nous dire si le taux de défaut de leurs clients était particulièrement élevé ? Ceci permettait d'établir que vous êtes trop prudents, si tel n'était pas le cas.
M. Francis Delattre. - On nous a toujours présenté le taux de non remboursement des prêts des familles concernées comme raisonnables. La commission des finances du Sénat a longtemps soutenu le CIF, malgré ses difficultés, car nous sommes sur le terrain et l'on voit bien l'intérêt de vos interventions lorsqu'il existe un projet ANRU.
En deuxième couronne parisienne également, vous représentiez un levier indispensable pour le financement social de ceux qui souhaitaient accéder à la propriété, car vous possédiez un véritable savoir-faire. Votre disparition, qui semble programmée, est donc regrettable.
Je ne poserai qu'une seule question au président du CIF: selon vous, quelles sont les véritables raisons pour lesquelles on a voulu et on continue à vouloir votre disparition ? Je puis vous affirmer que la Banque postale, sur le terrain, n'a aucune volonté de prendre le relais !
M. Maurice Vincent. - Je formulerai une question de béotien : je relève qu'à l'origine de la crise de liquidité, on retrouve un élément qui est également observé dans la crise et l'effondrement de Dexia, qui constitue un modèle de financement de court terme pour des opérations de long terme. Comment ce désajustement a-t-il pu échapper aux autorités de contrôle ? Cela paraît étonnant, surtout compte tenu des montants financiers en jeu !
Mme Marie-France Beaufils. - Le directeur de La Banque postale a affirmé que seule une centaine d'offres d'emplois sur 368 avaient trouvé preneurs auprès des salariés CIF. Cela s'explique-t-il par une exigence salariale ou vient-il du type d'emploi recherché ?
Lors des auditions que nous avions organisées à ce sujet, j'avais relevé la grande qualité professionnelle des employés du CIF qui accompagnaient les demandes d'accession à la propriété, et retenu que les risques d'impayés étaient relativement modestes. Je me place ici plus du point de la province que de l'Île-de-France.
Ne doit-on pas davantage tenir compte de ce que les candidats à l'accession à la propriété sont prêts à faire par rapport à ce qu'ils font lorsqu'ils sont locataires ?
M. Yannick Borde. - S'agissant du défaut des clients du CIF, je pense qu'il faut prendre garde à la lecture que l'on peut avoir de la situation nous concernant. Dans un établissement sous résolution ordonnée, le comportement du client peut être différent par rapport à un autre établissement. Il faudrait donc retravailler la génération des dossiers.
De 2004-2005 à 2008-2009, période de dynamique immobilière assez forte, les prises de risque du CIF ont été supérieures à ce qu'elles étaient auparavant. Cela ressort aujourd'hui clairement des analyses de la gestion extinctive. D'ailleurs, on voit apparaître, dans les conseils d'administration de 2009, des alertes, des positions et des recadrages de l'offre commerciale.
Je voudrais toutefois souligner avec force que même si le CIF traitait une clientèle très modeste, même s'il a parfois pris des risques légèrement supérieurs à la moyenne du marché, les résultats ont toujours été positifs. Bien que les actionnaires de l'économie sociale et solidaire ne soient pas parmi les plus exigeants en matière de dividendes, le CIF a pu, tous les ans, alimenter ses actionnaires. En outre, le ratio de solvabilité était bien au-delà des normes imposées à la profession, puisqu'il tangentait les quatorze points durant la dernière année de référence.
Le débat va au-delà de ce dossier. Il s'agit du débat sur l'accession sociale à la propriété, et de la volonté publique de la favoriser ou non. On sait qu'il existe des doctrines très différentes suivant les endroits. C'est un dossier sur lequel on a un avis, mais qui n'est peut-être pas l'objet de la réunion d'aujourd'hui.
M. Francis Delattre. - C'est dommage !
M. Yannick Borde. - C'est un vrai et beau sujet, au sujet duquel on doit se donner rendez-vous. Nous sommes preneurs !
Il faut se rappeler que le CIF a constitué un établissement spécifique. Son modèle était particulier. On a vraisemblablement manqué quelque chose. Philippe Dallier a parlé de gâchis. Nous pouvons l'entendre, et on peut partager ce point de vue. À un certain moment, il fallait s'adosser. Cela n'a pas pu se faire ; après 2008, dans le contexte économique et financier, ce n'était plus possible. On peut le regretter, mais il est facile de dire, cinq ans après, qu'il aurait fallu faire ceci plutôt que cela ! Cela ne s'est pas fait Nous sommes aujourd'hui au moins cinquante-six à le regretter. C'est plus un constat qu'autre chose.
M. François Marc, rapporteur. - J'ai cru comprendre qu'un certain courant s'exprimait au sein des Sacicap pour conserver leur indépendance. Je ne suis donc pas sûr que ce que vous dites soit tout à fait exact !
M. Yannick Borde. - A aucun moment les actionnaires n'ont été amenés à se prononcer sur l'adossement. Je l'ai dit à la Cour des comptes, et l'un de mes regrets est que cela n'ait pas été dit tout à fait ainsi dans le rapport. J'entends votre remarque, mais j'émets cette réserve.
M. Didier Moaté. - Le recrutement et la clientèle modeste sont des questions qui nous tiennent très à coeur.
La possibilité offerte aux collaborateurs du CIF constituait aussi pour nous une opportunité, puisque nous étions et que nous sommes toujours en pleine phase de développement, avec un besoin d'expertise important. Le fait de proposer 368 postes à des conseillers compétents constituait pour nous une opportunité.
On les proposait dans toute la France. La mobilité géographique et fonctionnelle a été une condition qui n'a pas toujours été facile à accepter pour un certain nombre de collaborateurs. Les collaborateurs spécialisés dans l'immobilier sont venus nourrir la filière consacrée à l'accession sociale que nous avons créée.
Nous avions également proposé de nombreux postes de conseillers commerciaux bancaires généralistes, et le passage a parfois - pour ne pas dire souvent - constitué un obstacle. Voilà les trois raisons qui expliquent qu'il n'y ait eu que cent recrutements pour 368 postes proposés.
Quant à la discussion sur les clients modestes, il s'agit d'un débat à fois bancaire et d'un débat de société. On peut se renvoyer les chiffres : nous ne faisions pas d'action sociale, nous réalisons aujourd'hui plus de 3 milliards d'euros de production en la matière, dont 44 % s'adresse à une clientèle modeste et très modeste. Plus d'un milliard d'euros est consacrée à une clientèle gagnant moins de deux Smic.
Je répète que le sujet, pour cette clientèle, lorsqu'elle est prise en charge par des conseillers, est de savoir jusqu'où aller. La Banque postale se refuse en effet à aller trop loin et à proposer des taux variables purs. Vous évoquiez les produits structurés : notre philosophie n'est pas d'amener des ménages, par des montages financiers, par une capacité que nous organiserions, à supporter des charges qu'ils ne seront pas à même d'assumer toute leur vie. S'il existe des impayés, ce n'est pas parce que les gens sont malhonnêtes. Les taux d'impayés de ces clientèles ne sont pas plus élevés que d'autres, mais les accidents de la vie peuvent concerner tout le monde. Laisser des personnes avec des restes à vivre de quelques centaines d'euros est une responsabilité que nous ne souhaitons pas endosser en tant que banquiers citoyens, pour reprendre les termes de notre devise.
Nous menons par ailleurs un certain nombre de réflexions avec les Sacicap, ainsi qu'avec plusieurs régions de France et des associations engagées auprès de ces clientèles modestes afin de trouver des solutions - transition énergétique, précarité énergétique. Nous sommes plutôt bien avancés pour accompagner, dès le 1er janvier, dans le cadre d'un éco-PTZ Plus, des ménages très modestes.
Nous avons également créé un conseil avec des experts de l'accession sociale de tous horizons pour trouver des solutions alternatives sur un certain nombre de sujets, mais ceci s'arrête au devoir de conseil, afin de ne pas engager des familles ou des personnes seules dans des situations qui, à terme, peuvent leur être dommageables.
M. Corso Bavagnoli. - Le cadre a-t-il évolué ? Oui, il a évolué de manière très significative avec la loi du 26 juillet 2013 qui a mis en place un cadre de résolution qui dote les autorités publiques - Banque de France, État - de pouvoirs d'intervention plus précoces. Si l'on avait transposé ceci au CIF, l'État aurait été doté de pouvoirs contraignants pour l'entreprise dès le moment de l'annonce de la garantie.
Quant à la partie prudentielle, il faut souligner que les pouvoirs de l'ACPR ont été mis en oeuvre dans le cadre du CIF, dans le cadre d'une décision relevant du pilier 2, qui a été contestée et annulée par la juridiction administrative. On ne peut donc dire que le sujet n'a pas été abordé, ni que les autorités de contrôle n'ont pas réagi face à une situation qu'elles considéraient comme insoutenable.
S'agissant de la similitude avec Dexia, comme le montre bien le rapport de la Cour des comptes, il existe, dans le cas du CIF, un problème de liquidité mais aussi d'actif. Il ne s'agit pas tant de la partie limitée que le rapporteur a évoquée, qui existe, que de la faible rentabilité, due à la faiblesse des marges, et de l'absence de domiciliation des clients. Ce point mérite d'être souligné, car il n'est pas tout à fait similaire à la situation qu'on a pu observer dans le cas de Dexia.
Le second point qui mérite d'être souligné concerne la liquidité et, plus précisément, la rapidité de la dégradation. Parmi les problèmes de liquidité figure l'absence de dépôt et le fait qu'au moment de la crise de 2011, toutes les banques ont eu des difficultés pour se refinancer pour la partie qu'elles allaient chercher sur les marchés, notamment le CIF, peut-être plus que d'autres à cause de la fragilité de son modèle. Or, très vite, la part des financements de marché s'est accrue, surtout de courts termes. Durant cette période, le CIF a substitué à des financements longs, qu'il ne parvenait plus à aller chercher sur les marchés, des financements de court terme qui ont créé beaucoup de volatilité et ont d'autre part alimenté le problème de liquidité qui a suscité l'intervention de l'État.
Il faut insister sur le fait que l'accélération a été très brutale. Elle date de la crise de 2011, tout ceci alors que le CIF était engagé, de 2009 à 2011, dans une production très dynamique, ce qui est venu gonfler son besoin de liquidité. Qui dit en effet production, dit nécessité de disposer de financements.
Ces éléments sont importants à rappeler pour essayer de déterminer les similitudes et les différences avec Dexia.
M. Raoul Briet. - Comparaison n'est pas raison s'agissant de Dexia, mais on trouve à l'origine la même croyance qu'il n'y aurait pas de problème de liquidité, les marchés devant fournir une liquidité abondante à peu de prix, l'absence de base de dépôts existant dans les deux cas. Il y a aussi vraisemblablement eu de la part du CIF une attitude qui, au fil du temps, a conduit à ignorer l'extérieur. Ses relations avec l'État s'étaient distendues - et nous employons là des termes courtois - et celles qu'il entretenait avec l'ACPR étaient intermédiées par la voie de recours devant le Conseil l'État. On a le sentiment d'une forme d'enfermement intellectuel du CIF, convaincu qu'il pouvait résister à cette situation et, en dépit des alertes, d'une sous-estimation du risque réel que cela représentait.
Cet enfermement a conduit à une accélération brutale et à des décisions qui apparaissent rétrospectivement surprenantes, mais qui s'expliquent par la longue histoire du CIF, seul de son genre, sûr de son bon droit et de son modèle, et ignorant les avertissements qui avaient pu lui être adressés.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. François Marc, rapporteur.
La réunion est levée à 13 heures 10.