Jeudi 8 octobre 2015
- Présidence de M. Philippe Bonnecarrère, président -La réunion est ouverte à 8 h 20.
Examen du rapport
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Je tiens à vous remercier de votre participation et à féliciter le rapporteur pour le travail réalisé. Les propositions du rapport sont pragmatiques et s'inscrivent dans un cadre législatif, et ne s'en tiennent pas aux exhortations et aux voeux pieux.
Nous envisageons de présenter le rapport, si vous l'adoptez, lors d'une conférence de presse le jeudi 15 octobre à 10 heures. Je vous invite à ne pas en divulguer le contenu avant cette date.
Il est d'usage d'annexer les contributions des groupes politiques au rapport. Nous vous invitons à nous les adresser, si vous le souhaitez, avant lundi à 18 heures.
Le document que nous vous présentons aujourd'hui fera, je le crois, l'objet d'une approbation unanime ; c'est un reflet fidèle de nos travaux. Dans la logique de notre travail, nous avons souhaité éviter toute approche idéologique, et le rapport ne contient aucune expression critique à l'égard de nos gouvernants d'hier ou d'aujourd'hui, nulle formule susceptible de blesser quiconque.
Deux idées directrices le structurent. L'état du droit de la commande publique, issu des directives, laisse toute latitude aux acheteurs publics qui le souhaitent d'encourager l'accès des PME. Le droit de la commande publique, historiquement marqué par le droit de la concurrence, s'inscrit naturellement dans la logique de la mondialisation, mais il offre aussi des possibilités de développement de l'économie de proximité et des territoires. Les acheteurs publics ont les moyens de mener des politiques en ce sens sans contre-indication juridique. Nous ne formulerons par conséquent, pour ce qui est des questions purement juridiques, que quelques propositions à la marge. En revanche, il conviendra de se concentrer sur la culture de l'achat public.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nos travaux ont commencé en suivant deux lignes de force : la commande publique doit être une politique économique à part entière, et la part des PME dans celle-ci doit augmenter. Puis est intervenue la transposition des directives européennes sur l'achat public, qui facilitait l'accès des PME à la commande publique. Ce travail a été enrichissant : au mois de juin, nous avons formulé dans une lettre au ministère de l'économie plusieurs recommandations concernant cette transposition, qui ont été écoutées.
Le montant de la commande publique est souvent évalué à 70 ou 80 milliards d'euros, mais cela correspond à seulement une partie des seuls achats publics, et il paraît plus réaliste de retenir un montant proche de 400 milliards, soit 20% du PIB : cela vaut vraiment la peine d'en faire une véritable politique.
Trop souvent, les marchés publics sont abordés sous l'angle juridique par les acheteurs publics, soumis aux longs contrôles des chambres régionales des comptes. Or, comme l'a souligné Jean Tirole, la commande publique, avant d'être un acte administratif, reste un acte d'achat. Le formalisme juridique limite les initiatives des acheteurs. Ce droit est aussi complexe : dès notre première réunion, nous avons tous insisté sur la nécessité d'une simplification...
M. Gérard César. - Oui !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Le risque de contentieux est très surestimé : dans la plupart des cas, les chambres régionales des comptes ne trouvent pas à redire. Inversement, l'enjeu économique est sous-estimé : à preuve, il n'existe pas de chiffrage précis du montant de la commande publique. En 2011, les PME, qui assuraient 35,7% du chiffre d'affaires des entreprises, ne représentaient que 25 % du montant des marchés publics, avec un décrochage systématique pour les marchés supérieurs à 1 million d'euros.
Face à ces constats, notre mission a retenu cinq orientations : conforter la place des PME dans la commande publique ; simplifier les procédures ; faire émerger une communauté de la commande publique, ce qui suppose, au-delà des textes, une volonté politique ; responsabiliser les acheteurs publics ; les inciter à mettre en oeuvre des politiques d'achat volontaristes et à en faire un enjeu majeur.
La transposition en droit français du paquet « commande publique » est une opportunité à saisir. Les trois directives du 26 février 2014 concernant respectivement les marchés publics, les secteurs spéciaux et les concessions témoignent d'une évolution importante et positive de la législation communautaire : désormais, l'on envisage la participation des PME à une commande publique mise au service de l'économie. Les acheteurs sont dotés de nouveaux instruments : la procédure concurrentielle avec négociation, même pour les appels d'offres ; la possibilité, pour les Etats, de rendre l'allotissement obligatoire pour les entités adjudicatrices - rappelez-vous notre audition des représentants de la SNCF ; et, d'ici d'octobre 2018, la dématérialisation des procédures, qui a déjà considérablement réduit les délais de paiement dans certaines collectivités.
Le Parlement a un rôle important à jouer dans une transposition par ordonnances ; un débat parlementaire aura lieu ; nous souhaitons qu'il se base sur les travaux de notre mission. En outre, un débat à l'initiative du Sénat est nécessaire en séance publique sur le rôle économique de la commande publique.
Les directives vont dans le sens de la simplification, ce qui correspond à nos demandes ; de plus, les sources juridiques sont rationalisées. Si, dans certains domaines, le droit français alourdit le droit européen, Bercy n'a pas manifesté la volonté de surtransposition que l'on pouvait craindre.
Première proposition, il est indispensable d'encourager les PME à constituer des groupements ; j'en ai un exemple à Montbéliard, où 37 PME se sont regroupées pour accéder à des marchés jusqu'à 4 ou 5 millions d'euros et concurrencent les grands groupes. Les organisations professionnelles pourraient généraliser ces pratiques. L'accompagnement des PME par les syndicats et chambres consulaires doit être amélioré. Nous suggérons, en outre, d'indiquer le taux d'accès des PME à l'achat public dans la liste annuelle des marchés et les comptes administratifs des collectivités territoriales, pour montrer l'impact de la commande publique dans l'économie locale. Enfin, nous proposons d'écarter effectivement les offres anormalement basses au terme de la procédure de l'article 55 du code des marchés publics, comme l'exige la nouvelle directive.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Comment définit-on une offre anormalement basse ?
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Cette question, qui nous a tourmentés pendant de longues années, est désormais derrière nous. Partant du constat de l'impossibilité d'une écriture objective de la notion, la directive « marchés » du 26 février 2014 reprend une proposition qui figurait déjà dans le code des marchés publics. Elle invite les acheteurs qui ont des doutes devant une offre à demander à son auteur des éléments complémentaires pour se prononcer définitivement.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Cette règle offre une protection juridique aux acheteurs publics.
M. Claude Kern. - Bercy a donné instruction aux DGFiP d'épauler les communes qui rencontreraient des difficultés avec des offres anormalement basses.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Les problèmes de trésorerie pénalisent fortement les PME dans les marchés les plus importants, malgré l'extension de l'allotissement obligatoire, et l'interdiction d'exiger un chiffre d'affaires égal à plus du double de la valeur estimée du marché au stade de la candidature. Dans ce contexte, nous préconisons une augmentation et une extension de l'avance obligatoire.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - En l'état du droit, le système d'avance n'est obligatoire que pour les marchés de plus de 50 000 euros hors taxes ; nous souhaitons abaisser ce seuil à 25 000 euros, de manière à davantage ouvrir la commande publique aux artisans locaux. Nous proposons également de porter l'avance obligatoire de 5 à 10 % du montant du marché, et d'abaisser la retenue de garantie en fin d'exécution de 5 à 3 %.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - L'augmentation de l'avance obligatoire représenterait un gain de trésorerie pour les PME d'environ 2,5 milliards d'euros par an.
M. René Vandierendonck. - Ce n'est pas rien !
M. Daniel Raoul. - Ramener à 3% la retenue de garantie me semble problématique. Ayant présidé durant vingt-cinq ans une commission d'appel d'offres, je puis attester que les contentieux liés à l'exécution sont nombreux, et que leur règlement prend parfois des années.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Les choses ne se jouent pas sur la retenue de garantie. Lorsque vous refusez la réception de l'ouvrage ou formulez des réserves, cela tient à la finition ou correspond à une contestation globale. Quand les désordres surviennent après réception, l'on retrouve les mécanismes assurantiels classiques de la retenue de garantie.
M. Daniel Raoul. - Il arrive que l'entreprise laisse le chantier inachevé, avec par exemple des problèmes de raccordement.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le problème que vous évoquez se traite classiquement par un refus de paiement de la dernière situation. Si l'acheteur n'est pas satisfait du travail exécuté, il ne paie pas la situation. La retenue de garantie s'applique à partir de la réception du chantier.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Le moment de la livraison est celui où les problèmes sont signalés et où le dernier paiement peut être refusé.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Entre la position de Jean Tirole, qui estime que les politiques environnementales et sociales ne sauraient relever de la commande publique, et ceux qui y voient un progrès pour la société, la question des clauses sociales et environnementales aurait pu perturber nos travaux. Il n'en a rien été : il convient nous semble-t-il de conserver les critères classiques du cahier des charges ; mais l'acheteur qui veut y ajouter une action sociale ou environnementale peut faire connaître à l'entreprise retenue ses critères en la matière. En d'autres termes, ces clauses ne doivent pas être un critère d'attribution, mais une condition d'exécution, ce qui écarte tout risque d'éviction des PME lors de l'attribution.
M. Daniel Raoul. - Généralement, un taux minimal de contrats d'insertion est inséré dans l'appel d'offres, libre à l'entreprise d'aller au-delà. Cela fonctionne bien, et le code des marchés publics l'autorise.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Il est nécessaire d'y prendre garde : de grandes entreprises remportent souvent des contrats grâce aux clauses sociales, mais les PME ont la possibilité de recourir à des associations ou entreprises d'insertion.
M. Daniel Raoul. - Le pourcentage minimal peut être défini dans le cahier des charges avec l'appui de structures spécialisées dans l'insertion ou d'organisations professionnelles.
M. René Vandierendonck. - Je vous remercie pour ces clarifications. Il conviendrait que le rapport soit assorti de nombreux exemples, car beaucoup d'élus ne sont convaincus que par des éléments concrets. Donnons également des statistiques sur les clauses d'insertion. La question des publics très éloignés de l'emploi reste ouverte ; il faudrait illustrer la question des chantiers-écoles, qui, pour certains tribunaux, restent dans une zone grise.
Trop de travail a été accompli collégialement pour ne pas s'interroger sur la suite de ce rapport : il mérite incontestablement un débat ; l'on peut également, au moment de la ratification des ordonnances, prendre le temps de développer nos préconisations.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Juridiquement, le système offre la souplesse nécessaire à ceux qui souhaitent insérer des clauses sociales et environnementales.
La première proposition de M. Bourquin est d'inviter le Sénat à saisir l'occasion du débat sur la ratification pour présenter des amendements, la voie de l'ordonnance ne nous satisfaisant pas. Toutefois, celle-ci marque une avancée, dans la mesure où l'ensemble des principes fondamentaux du droit de la commande publique sera de nature législative. Je vous rappelle qu'actuellement, l'intégralité du code des marchés publics relève du domaine réglementaire. Notre rapporteur demandera un débat en séance sur la commande publique au premier trimestre 2016.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, nous a dit que 70 % des viandes servies dans la restauration scolaire et les hôpitaux sont d'origine étrangère. En pleine crise de l'élevage ! Cela nous place devant nos responsabilités. La commande publique doit être un outil de développement territorial et agricole. On peut se contenter de prendre les clauses sociales et environnementales comme un supplément d'âme, mais nous ne mettrons fin à ce scandale qu'en les mobilisant au service d'une politique économique.
M. René Vandierendonck. - Votre réponse m'a convaincu. Pour les maires de la métropole lilloise, que j'ai réunis récemment, il est urgent de doter les intercommunalités désireuses de favoriser les retombées sur l'agriculture locale d'un cahier des charges type. À gauche ou à droite, les discours sous les préaux tardent à se concrétiser par des mesures.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - L'on nous reproche souvent de ne pas savoir traiter les offres anormalement basses, de ne pas nous intéresser aux PME, de négliger les circuits courts... Ce sont de faux problèmes. L'arsenal juridique ménage désormais une place aux PME et aux objectifs économiques dans la commande publique.
Une partie du rapport intitulée « Pour une économie de proximité » est consacrée aux circuits courts. L'article 53 du code des marchés publics donne à l'acheteur la possibilité d'introduire des critères en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs et de sécurité d'approvisionnement.
Notre problème n'est plus de nature juridique. L'acheteur craint, notamment, qu'on lui reproche de choisir des fournisseurs locaux pour des raisons personnelles. Pourtant, les contentieux sont peu nombreux. C'est avant tout une question de comportement, de culture de l'achat public - de là le titre du rapport.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Il reste beaucoup à faire pour que les petits donneurs d'ordres s'emparent de ces outils. Comment apporter cette connaissance ?
M. Martial Bourquin, rapporteur. - C'est l'objet du rapport. Nous nous sommes aperçus que le droit européen nous offre de nouvelles possibilités, et notamment celle de généraliser certaines pratiques. Auparavant, l'accent était mis sur les problèmes juridiques. Désormais, il faut insister sur la culture de l'achat public.
M. Jackie Pierre. - Les bons usages...
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Très juste : les élus certes, mais aussi les services des collectivités territoriales et des entreprises publiques.
M. Jackie Pierre. - De nombreux départements ont créé des cellules d'aide aux maires et élus locaux, ce qui les rassure.
M. Daniel Raoul. - Les services aussi ont peur ! Ils ouvrent le parapluie...
M. Martial Bourquin, rapporteur. - ...qui devient parfois parasol !
Nous nous sommes également penchés sur le travail détaché illégal. Lors de notre visite à Berlin, nous avons vu que tous les pays européens n'ont pas la même appréhension du problème, comme nous l'a confirmé un responsable du patronat allemand : avec la démographie allemande, avoir des salariés mieux payés à côté de travailleurs détachés et de services low cost n'est pas un problème. L'arrivée du salaire minimum rééquilibrera la concurrence entre la France et l'Allemagne, notamment dans le secteur agricole et l'élevage.
Une protection sociale de qualité ne doit pas devenir un désavantage concurrentiel. La mobilisation des corps de contrôle, et notamment de l'inspection du travail, est essentielle. Souvenez-vous de la condamnation d'un grand groupe concernant le chantier de l'EPR à Flamanville... Rien ne remplacera les corps de contrôle. Généralement, les travailleurs détachés travaillent pour la sous-traitance, au deuxième ou au troisième niveau, pas pour l'entreprise titulaire du marché. Bien sûr, nous ne sommes pas indifférents aux propositions unanimes du Conseil économique social et environnemental (CESE). Cependant, la renégociation de la directive européenne sur les travailleurs détachés peut prendre du temps, notamment au regard de la position de l'Allemagne... Pour lutter contre la fraude dans le pays d'origine, nous pourrions prélever les cotisations pour son compte et lui reverser ensuite.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous avons essayé de conserver une position équilibrée sans rentrer dans le débat pour ou contre une société libérale. Je soutiens la proposition du rapporteur de renégociation de la directive, même si les effets de telles exhortations sont souvent limités. Nous nous associons, en outre, à la demande d'harmonisation des régimes sociaux et des niveaux de prélèvement. Et de manière plus pratico-pratique, nous proposons de prélever les cotisations dans le pays d'accueil des travailleurs détachés, au taux applicable dans le pays d'origine, pour les reverser ensuite à ce dernier comme vous l'a précisé M. Bourquin.
M. René Vandierendonck. - C'est une bonne piste !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Il faudra examiner la faisabilité de cette piste de travail.
M. Daniel Raoul. - Vous dites que l'harmonisation est un horizon lointain, mais 62 pays se sont accordés à Lima dans le cadre de l'OCDE pour imposer les entreprises sur le lieu de production de la richesse. C'est dans la même veine ! Personne n'y croyait, c'est pourtant arrivé : c'est dans l'air du temps.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nous proposons également de favoriser le développement des PME innovantes et de se fixer comme objectif de porter leur part dans les marchés publics à 2% en 2020 et 4% en 2025, de généraliser les variantes techniques et de sécuriser le partenariat d'innovation. Nous devons aussi réduire les coûts de procédure en généralisant les marchés publics simplifiés et en simplifiant le document unique de marché européen (DUME)...
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le projet de DUME figure en annexe du rapport, il est incompréhensible !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Tout le monde se félicitait de pouvoir utiliser ce document pour centraliser les informations relatives à la candidature. Désormais, il faudrait le simplifier.
Nous suggérons de porter le seuil des marchés à procédure adaptée (Mapa) de 25 000 à 40 000 euros. Daniel Raoul souhaite que les marchés inférieurs à ce nouveau seuil soient contrôlés par le président de la commission d'appel d'offres. Augmenter le seuil simplifiera les marchés et donnera des possibilités nouvelles aux collectives locales. Cependant, cela ne va pas sans des procédures d'autocontrôle adaptées.
M. Georges Labazée. - C'est une question de vocabulaire. Après les Mapa, on pourrait mentionner les marchés à bons de commande.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Ils fonctionnent très bien.
M. François Bonhomme. - Après le décret plaçant le seuil à 25 000 euros au 1er octobre 2015, j'ai vu une interview d'une association « anti-corruption ». D'un côté les PME demandent une simplification, de l'autre cette association dénonce un passe-droit pour les élus.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le Sénat, par définition, fait confiance aux collectivités locales : il n'est pas scandaleux de proposer des mesures de simplification. Notre réponse est parfaitement juridique : un Mapa ne signifie pas une absence de concurrence. Les principes généraux de la commande publique doivent être respectés : diversité des offres, transparence... C'est loin d'être un choix discrétionnaire ! Ayons confiance dans les élus locaux pour faire tourner l'économie. Au 1er octobre, le seuil a été fixé à 25 000 euros par décret ; l'idée serait de l'augmenter sur trois ans. Notre position est équilibrée, il ne s'agit pas de donner blanc-seing, d'où les autocontrôles. Adjoindre à la liste des marchés publics fournie au conseil municipal les attributions au-dessous du seuil constitue une autre précaution.
M. Éric Doligé. - Existe-t-il un seuil européen de Mapa ?
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Les Mapa pourraient être possibles pour les marchés dont le montant est inférieur aux seuils européens, fixés à 134 000 euros pour les marchés de services ou de fournitures et à 5 186 000 euros pour les marchés de travaux.
M. Éric Doligé. - C'est un argument non négligeable : les élus européens ne sont pas plus vertueux que les élus français ! Les parlementaires s'auto-flagellaient depuis dix ans à refuser des seuils trop élevés, cessons ! Le seuil de 40 000 euros fluidifiera les marchés.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - L'Europe aussi souhaite fluidifier, notamment en généralisant la négociation, les logiques de sourçage... Sortons de cette culture de l'angoisse, achetons mieux !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Il est trop facile de jeter l'opprobre sur les élus pour gêner la commande publique. En réalité, il y a peu de problèmes juridiques.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Tordons le coup à l'idée que les Mapa ne sont pas contrôlés ! La chambre régionale des comptes a vérifié ceux de ma commune.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Les Mapa, sans être soumis au formalisme, doivent respecter les principes de la commande publique.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Il faut également aller plus loin dans la simplification, généraliser les logiciels d'assistance à la rédaction des marchés, dématérialiser progressivement les procédures tout en tenant compte de la taille des acheteurs, mieux former les acheteurs publics, encourager les bonnes pratiques et rédiger un manuel d'accompagnement aux acheteurs faisant référence à l'échelle nationale.
M. René Vandierendonck. - C'est fondamental.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - En encourageant les bonnes pratiques et la formation, nous arriverons à mettre en place une politique économique de la commande publique.
Nous proposons aussi de favoriser la mutualisation des achats et l'expertise, comme le fait l'UGAP pour le marché de gaz naturel, et d'asseoir les centrales d'achat. On pourrait poursuivre la mutualisation des achats à l'échelle locale de manière que les centrales calibrent leurs services pour les grandes régions, comme l'envisage l'UGAP, afin de prendre en compte les productions locales et les PME - ainsi que le demandent les élus locaux. M. Taupiac, ýdirecteur délégué à l'innovation de l'UGAP, nous confirmait d'ailleurs ce changement : la culture de l'achat public évolue sensiblement.
Nous devons aussi unifier et étendre les procédures de régularisation des offres et développer le sourçage car le métier d'acheteur public change énormément. Auparavant, il suffisait de publier une offre, de vérifier si les demandes correspondaient aux pièces administratives et de choisir le moins disant.
Il faudrait enfin recentrer le délit de favoritisme sur l'intention dolosive.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Les possibilités de régularisation de l'offre, qui sont fortes sur les concessions, sont moins larges dans les marchés publics. Il faudrait unifier ces régimes pour pouvoir régulariser en cas d'erreur manifeste de l'entreprise. En cas de réception d'une seule offre recevable et de par exemple deux offres irrégulières, on serait tenté de recommander qu'on invite les deux entreprises à régulariser leur offre.
M. René Vandierendonck. - Oui.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Recentrons le délit de favoritisme sur l'intention : nous sommes prêts à l'assumer, il faut pouvoir mener à bien des projets économiques, tout en sanctionnant celui qui choisit délibérément de privilégier une entreprise. Nous ne faisons que suivre les recommandations de Jean-Louis Nadal, ancien procureur général près la Cour de cassation, et actuel président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Les possibilités de régularisation des offres ouvertes par la jurisprudence sont plus faibles pour les marchés publics que pour toutes les procédures de concession. Aussi demandons-nous d'harmoniser sur le modèle du droit des concessions, où seules les irrégularités substantielles ne peuvent être « rattrapées » : la régularisation pourrait être demandée pour des éléments de forme.
M. François Bonhomme. - Le juge pénal prend en compte les éléments constitutifs du délit et non l'intention dolosive : comment cela se traduit-il en droit ? Il y a un risque de mauvaise interprétation.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Vous avez totalement raison. Nous répondons à la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : toute infraction formelle est condamnable ; si une trentaine seulement de condamnations sont prononcées chaque année, elles pèsent comme une chape sur les élus et bloquent leur initiative.
Le droit administratif a changé : désormais, une personne ayant un intérêt peut demander l'annulation d'un marché public. Avec les jurisprudences du Conseil d'Etat Tropic travaux et Tarn-et-Garonne, inutile de surutiliser l'arme pénale : l'arme administrative suffit.
Notre écriture est mesurée : la jurisprudence a adopté une vision extensive du délit de favoritisme, indispensable garde-fou ; nous proposons de prendre en compte l'intention dolosive et d'étendre le champ du délit. Curieusement, certains domaines comme les concessions de travaux n'y sont pas soumis.
Enfin, élargissons les critères et prévoyons la même définition en matière de conflit d'intérêts. En 2013, la loi du 11 octobre sur la transparence de la vie publique a défini le conflit d'intérêts : harmonisons avec la notion applicable au droit de la commande publique ; nous recevons l'approbation de M. Nadal.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Il est très important de souligner que le délit de favoritisme est un garde-fou indispensable. Si nous proposons de modifier l'article 432-14 du code pénal, c'est seulement pour rappeler la nécessité d'intention dolosive. Et c'est important de passer le seuil des Mapas de 25 000 euros à 40 000 euros.
M. François Bonhomme. - J'anticipe le débat.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nous l'aurons.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - On ne peut pas demander plus de filières courtes ou de clauses environnementales dans les marchés sans pouvoir orienter l'achat public. Soyons cohérents !
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nous devrons rester vigilants sur les conflits d'intérêts.
L'économie de proximité est un énorme dossier. La commande publique peut privilégier les circuits courts : c'est un enjeu extraordinaire pour l'élevage, pour l'économie territoriale. L'article 53 du code des marchés publics permet de privilégier les circuits courts et certains groupements ou types d'entreprises.
Enfin, nous devons mettre en place un dispositif statistique fiable et exhaustif, et veiller à ce que le futur traité transatlantique ne remette pas en cause les principes français de la commande publique.
M. Daniel Raoul. - C'est une vraie question, on en reparlera.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - C'est la question des tribunaux d'arbitrage. Mais les droits européen et français doivent être souverains.
M. Éric Doligé. - Je vous remercie de ce très bon rapport, particulièrement intéressant. Un des graphiques montre la part des PME dans le nombre de marchés. Les collectivités locales sont plus vertueuses : elles accordent aux PME entre 10 à 15 points de plus de part dans leurs marchés que l'État. C'est un problème technocratique : les collectivités locales sont plus souples. L'État devrait accorder davantage de place aux PME.
C'est aussi un problème de culture : les critères environnementaux et sociaux rentrent de plus en plus dans les moeurs. Les Allemands nous disaient qu'ils n'avaient aucun chiffre sur la part des PME dans les marchés publics : attention, les chiffres annoncés dans le tableau des comparaisons européennes en cette matière pourraient poser des difficultés de comparaison.
Concernant les centrales d'achats, Approlys, que j'ai créée il y a un an et demi, est débordée par le succès : nous visions 30 millions d'économies la première année, ce sont 60 millions qui ont été réalisées sur un an.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Merci de vos propos et de votre approbation générale. La rédaction de notre rapport est équilibrée à votre égard. Le rapport Sueur-Portelli fait au nom de la commission des lois en 2014 est cité, comme le souhaitait le groupe socialiste, mais sans attaquer les contrats de partenariat, dont le nombre se réduit tout seul.
M. Éric Doligé. - Notez que je n'ai pas évoqué la question...
M. Georges Labazée. - Pouvez-vous rédiger un glossaire d'une page pour expliquer les termes techniques ?
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous avons fait la guerre à toute formule trop technocratique.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Le groupe socialiste propose, dans sa demande de modification n° 1, de préciser les deux chiffres mentionnés dans la synthèse : dans le premier paragraphe, la commande publique représente 400 milliards d'euros de dépenses annuelles ; le quatrième paragraphe indique que les achats publics sont de l'ordre de 200 milliards d'euros.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous le ferons par une note de bas de page.
La demande de modification n° 1 est adoptée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 2 du groupe socialiste suggère d'enrichir le rapport d'exemples reflétant les bonnes pratiques d'achat public. Ce serait utile.
M. René Vandierendonck. - Ces exemples peuvent-ils être insérés ?
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Oui, mais attention à ne pas multiplier les exemples dans tous les secteurs et à se concentrer sur la commande publique.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Un exemple de mutualisation concerne la police municipale.
M. René Vandierendonck. - Un exemple intéressant : lors du débat sur la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République - dite loi NOTRe -, notre tendance culturelle aurait pu nous pousser à transférer des compétences et dessaisir les maires. Heureusement, nous avons des exemples de mutualisation de différentes fonctions de back office ou de vidéosurveillance au profit des intercommunalités sauvegardant le pouvoir de police des maires. En 2012, j'ai fait avec M. Pillet un rapport sur ce débat actuel.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Je vous suggère de retirer votre proposition sur ce point, mais votre rapport sera cité.
La demande de modification n° 2 rectifiée est adoptée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 3 du groupe socialiste distingue un objectif spécifique de développement de l'économie territoriale. Nous sommes d'accord : c'est dans le rapport.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Cette demande est satisfaite.
La demande de modification n° 3 est retirée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - J'approuve la demande de modification n° 4 du groupe socialiste de prévoir que les procédures internes devant accompagner le relèvement du seuil des Mapa doivent consister en un contrôle du président de la commission d'appel d'offres.
M. René Vandierendonck. - On est au coeur du problème.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous rajouterons dans le rapport que ces procédures peuvent « le cas échéant » correspondre au contrôle du président de la commission d'appel d'offre.
La demande de modification n° 4 rectifiée est adoptée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 5 du groupe socialiste vise à relever ce seuil pour les achats de livres afin de soutenir les librairies indépendantes. Mais 100 000 euros ne passera jamais. Nous vous avons déjà proposé de relever ce seuil à 40 000 euros pour tout le monde.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Entre le relèvement à 40 000 euros pour tout le monde, dont les libraires, et les circuits courts, vous avez satisfaction. Nous pourrons signer un courrier expliquant le relèvement du seuil et la position de la mission d'information.
M. René Vandierendonck. - C'est un juste milieu.
M. Daniel Raoul. - On peut avoir une mise en réseau des bibliothèques dans les intercommunalités.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Absolument.
La demande de modification n° 5 est retirée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 6 du groupe socialiste tend à indiquer que les cahiers des clauses techniques particulières pour les achats de défense et de sécurité tendent à restreindre la concurrence ; les dispositions techniques devraient porter sur les seuls matériels opérationnels.
M. Daniel Raoul. - J'en avais fait la remarque lors de l'audition de la Direction générale de l'armement, le matériel civil relevant des marchés spécialisés de défense et de sécurité pose problème, de la même manière que l'achat de fournitures dans un hôpital coûte trois fois plus cher qu'ailleurs. Lorsqu'il s'agit des mêmes véhicules que dans le civil, pourquoi restreindre le marché à certaines entreprises ?
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Votre point de vue a été pris en compte dans le rapport. Nous rappelons les règles applicables aux achats de matériel de défense et de sécurité. Les règles habituelles des marchés publics s'appliquent aux achats non spécifiquement militaires. L'exonération, partielle ou totale, ne porte que sur deux catégories intrinsèquement militaires. Vous avez largement satisfaction.
M. Daniel Raoul. - La règle de l'allotissement devrait s'appliquer aussi chez eux. Rappelez-vous nos auditions.
M. Georges Labazée. - La Poste la pratique.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - Ces achats peuvent concerner des véhicules livrés à l'armée qui doivent être opérationnels pour ne pas mettre en danger la vie de nos soldats !
M. Éric Doligé. - C'est aussi affaire de culture du matériel de sécurité. Ainsi, les sapeurs-pompiers avaient tendance à acheter du matériel 40 % plus cher pour avoir la couleur « rouge pompier ». Après un an de discussion, ils ont fini par accepter un matériel d'un autre rouge. Des dizaines de millions d'euros sont en jeu. Ce ne sont pas seulement des problèmes de sécurité.
La demande de modification n° 6 est retirée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 7 du groupe socialiste développe le point sur la mutualisation et propose de citer les chiffres de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) sur les groupements de commandes. Cela semble opportun.
La demande de modification n° 7 est adoptée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 8 du groupe socialiste demande d'insérer une citation du rapport Portelli-Sueur sur les contrats de partenariat, selon laquelle « sur le plan financier, le contrat de partenariat est une bombe à retardement budgétaire souvent ignorée par des arbitrages de court terme ».
M. René Vandierendonck. - Le Sénat était unanime sur les Semop.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le rapport Portelli-Sueur est déjà cité dans le projet de rapport.
M. Éric Doligé. - Je ne suis pas d'accord avec la citation proposée par le groupe socialiste. Le jeu politique est très important en matière de PPP. Dans mon département, j'ai construit des collèges grâce à des PPP. L'opposition a voté pour au début, avant de se raviser. Un conseil général voisin, de gauche, m'a demandé des conseils sur cette procédure qu'il trouvait très intéressante. Il lance un grand marché, la droite fulmine. Lorsqu'elle prend le pouvoir, elle annule tous les projets en PPP : il n'y avait que des raisons idéologiques.
M. Daniel Raoul. - C'est à idéologie variable !
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous sommes dans le juste milieu : la proposition du groupe socialiste est satisfaite car nous citons déjà le rapport Portelli-Sueur. Nous mentionnons la diminution du nombre de contrats de partenariat mais avons évité toute formule anti-contrats de partenariat.
M. Daniel Raoul. - Nous n'avons pas été jusqu'à demander de citer le stade du Mans ou les hôpitaux parisiens !
M. Éric Doligé. - Je pourrais vous trouver d'autres exemples...
La demande de modification n° 8 est retirée.
M. Martial Bourquin, rapporteur. - La demande de modification n° 9 du groupe socialiste précise le paragraphe sur la loi instaurant les sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP). Cela valoriserait le travail du Sénat sur les SEMOP. Êtes-vous d'accord ?
M. Daniel Raoul. - Je ne suis pas objectif comme signataire...
La demande de modification n° 9 est adoptée.
M. Philippe Bonnecarrère, président. - Tous les groupes peuvent, s'ils le souhaitent, nous faire parvenir une contribution jusqu'à lundi 18 heures. La conférence de presse se tiendra jeudi 15 octobre à 10 heures en salle Médicis.
Le rapport est adopté à l'unanimité.
La réunion est levée à 10 h 15.