Mardi 29 septembre 2015
- Présidence commune de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances -La réunion est ouverte à 9 heures.
Financement de l'audiovisuel public - Présentation du rapport d'information
La commission entend les conclusions des travaux de MM. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, rapporteurs, sur le financement de l'audiovisuel public (réunion conjointe avec la commission des finances).
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Bienvenue à la présidente de la commission des finances, à son rapporteur général et à ses membres, qui ont bien voulu examiner avec nous un sujet de premier plan : France Télévisions, France Médias Monde, Radio France, Arte, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) occupent une place considérable dans le paysage audiovisuel français (PAF). Le budget correspondant est suffisamment important pour mériter toute notre attention - et il fait régulièrement l'objet de débats parmi nous.
Un rapport récent de la Cour des comptes a mis en évidence de nombreuses insuffisances dans la gestion de Radio France. Un groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions, piloté par Marc Schwartz, a émis des recommandations afin d'en améliorer la gestion. En conclusion d'un colloque organisé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) il y a un an, le Président de la République avait souhaité un débat sur la modernisation de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) pour tenir compte du développement des nouveaux usages qui menacent son rendement - débat que nous avons souvent eu au Sénat. Et, à l'automne dernier, la ministre de la culture et de la communication se prononçait pour la suppression des dotations budgétaires à France Télévisions.
Dans ces conditions, il est apparu indispensable à notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication d'entreprendre un travail de fond sur le financement de l'audiovisuel public. Je remercie Michèle André d'avoir accepté que ces travaux soient menés conjointement avec la commission des finances. Nos deux commissions n'avaient pas collaboré ainsi sur ce sujet depuis 2011.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Merci pour votre accueil. Ce rapport est le dernier d'une série de travaux commun de nos deux commissions : rapports de Philippe Adnot rédigé avec Jean-Léonce Dupont puis avec Dominique Gillot, de Dominique Bailly avec Jean-Marc Todeschini sur le financement des stades, et de vous-même, Madame la présidente, avec Claude Belot, sur les comptes de France Télévisions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - La parole est à nos deux rapporteurs : Jean-Pierre Leleux, membre de notre commission, et André Gattolin, ancien membre de notre commission !
M. André Gattolin, co-rapporteur. - Les travaux que nous vous présentons nous ont occupés un peu plus de six mois. Ils s'inscrivent dans un cadre particulier, non parce qu'ils ont été conduits par deux sénateurs de sensibilité politique différente - ce qui est habituel dans notre assemblée - mais parce qu'ils concernent un sujet politiquement très sensible : le financement, et plus généralement l'organisation, de l'audiovisuel public. Nous aurions pu, sur ce sujet souvent polémique, rester prisonniers de nos engagements respectifs et de nos préjugés, mais la gravité de la situation de notre audiovisuel public nous a invités à ne pas céder à cette tentation.
Notre constat est en effet sans appel : nos sociétés de l'audiovisuel public sont dans une situation difficile et leur modèle économique traverse une grave crise qui appelle une véritable refondation. Les ressources de ces sociétés ont tendance à devenir plus fragiles et incertaines quand leurs charges ne cessent de s'alourdir, faute de réformes satisfaisantes.
Certaines dépenses ont été particulièrement commentées dans les médias ou au sein du monde politique. Le chantier de Radio France a souffert d'une augmentation continue de ses coûts, qui ont atteint 575,5 millions d'euros, près du double de leur estimation initiale. L'absence de pilotage du chantier, dénoncée par la Cour des comptes, explique en grande partie cet « accident » financier. La négociation d'accords collectifs très favorables pour les salariés constitue une autre tendance coûteuse : l'accord collectif de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) prévoit une hausse annuelle de la rémunération moyenne comprise entre 1,65 % et 1,85 %, tandis que le coût de l'accord négocié à Radio France est estimé à 4,5 millions d'euros pour le personnel non journaliste et à 800 000 euros pour les journalistes. Les plans de départs volontaires ne sont pas exempts de tout reproche : les syndicats de France Télévisions nous ont indiqué qu'une part très importante des indemnités était consacrée aux très hauts cadres de l'entreprise, proches de l'âge légal de la retraite. Que dire de la pratique consistant pour ces hauts cadres à quitter l'entreprise pour créer des sociétés de production qui deviennent des prestataires de France Télévisions ? Au-delà, nous avons été frappés par le fait que la plupart des dirigeants des entreprises que nous avons rencontrés ne nous ont pas déclaré avoir pour objectif de réduire les dépenses.
Tous les indicateurs sont au rouge. Les coûts de grille de France Télévisions n'ont pas baissé depuis 2010, parallèlement, les charges de personnel ont augmenté de 93 millions d'euros. De 2010 à 2014, les dépenses de Radio France sont passées de 624 millions à 691 millions d'euros, voire 733 millions si l'on considère les estimations pour 2015. Les dépenses d'Arte France ont augmenté de 20 millions d'euros sur la même période, mais au moins cette hausse s'explique-t-elle par un accroissement des investissements dans les programmes. La hausse des charges atteint 8 millions d'euros à l'INA, où elle correspond entièrement à des hausses de la masse salariale. Seule exception à ce tableau, France Médias Monde a vu ses charges globales baisser de 12 millions d'euros depuis 2011. Grâce au seul rapprochement des structures de France 24 et de RFI, près de 14 millions d'euros ont été économisés et redéployés depuis cette date, ce qui peut donner une idée de la marche à suivre à l'avenir.
Si cette hausse globale des dépenses pose aujourd'hui problème, c'est aussi parce que les ressources ne peuvent plus suivre. Le montant de la CAP - l'ancienne redevance - est passé de 121 euros en 2010 à 136 euros en 2015, soit une augmentation de 15 euros par foyer. La CAP constitue l'essentiel des ressources des sociétés de l'audiovisuel public, mais elle est assise sur la détention d'un poste de télévision, selon une interprétation restrictive des services fiscaux. Son évolution, stratégique, suscite donc beaucoup d'interrogations. Le décrochage menace, car les jeunes générations renoncent de plus en plus à acquérir un téléviseur et préfèrent accéder aux programmes via des objets connectés. Le taux d'équipement des ménages en télévision, qui a atteint un point haut en 2010 à 97,8 %, est retombé à 97,1 % en 2012 et ne devrait pas cesser de baisser : nous ne disposons pas encore des chiffres de l'INSEE pour 2013, mais les enquêtes de Médiamétrie confirment cette tendance. Le rendement de la CAP n'est pas encore affecté par cette évolution, du fait du dynamisme démographique, de la hausse des décohabitations et de l'inflation : la direction du budget considère qu'à droit constant, il devrait progresser jusqu'à quatre milliards d'euros en 2020, mais qu'une accélération de la baisse du taux d'équipement pourrait être perceptible dès 2018. Se pose aussi une question d'acceptabilité de la CAP, puisque des personnes peuvent aujourd'hui accéder aux programmes télévisés de l'audiovisuel public à travers des objets connectés, sans s'en acquitter.
Ainsi, une extension de l'assiette de la CAP est indispensable pour préserver son rendement et assurer l'équité fiscale, mais il reste un peu de temps pour concevoir le dispositif le mieux adapté. Le problème à régler dans l'immédiat tient à l'avenir des dotations budgétaires qui avaient été prévues pour compenser la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions. Nous avions tous salué comme une garantie d'indépendance la décision du Gouvernement de mettre un terme d'ici 2017 à ces dotations, qui s'élevaient encore à 160 millions d'euros en 2015, grâce à une réforme de la CAP. Or, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement s'oriente vers une hausse du taux de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, ce qui semble augurer de la pérennisation des dotations budgétaires, ainsi que des mécanismes de régulation qui les accompagnent et qui nuisent à la prévisibilité des ressources des sociétés. Avec un tel système, les directions des entreprises peinent à inscrire leurs décisions d'investissement dans la durée.
Concernant la question des ressources propres, c'est-à-dire hors dotations de l'Etat et redevance, je présenterai en deux mots les principaux problèmes liés à la production pour les diffuseurs publics. D'une part, le cadre légal a pour conséquence de limiter drastiquement leurs retours sur investissements, alors que la loi impose à France Télévisions d'investir chaque année 400 millions d'euros dans la création audiovisuelle. D'autre part, l'opacité des relations avec les producteurs - les devis n'ont pas fait l'objet, comme dans le cadre de la production cinématographique, d'un formatage précis - ne permet ni des remontées de recettes satisfaisantes, ni un contrôle efficace des dépenses de production.
Ce sujet doit être traité en priorité, car les coûts d'achat des programmes de France Télévisions aux producteurs indépendants sont supérieurs à ceux de la masse salariale de l'entreprise !
M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - La publicité, qui est un véritable serpent de mer, pose à France Télévisions un double défi : continuer à vendre des messages en journée alors que les annonceurs privilégient de plus en plus le prime time, et affronter un marché de la publicité dont la baisse structurelle a fait diminuer le chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros entre 2010 et 2015. La situation est différente pour les autres sociétés. Radio France, qui maintient son chiffre d'affaires autour de 40 millions d'euros, se heurte surtout à un problème de diversification des annonceurs, tandis que France Médias Monde a réussi à augmenter son chiffre d'affaires d'un million d'euros. La publicité peut-elle constituer l'avenir du financement de France Télévisions ? Notre constat est sans appel : le marché publicitaire ne retrouvera pas ses niveaux historiques, en raison du basculement d'une partie croissante des annonceurs sur Internet. Dans ces conditions, le retour de la publicité après vingt heures ne constituerait pas une solution réaliste. De plus, il réduirait encore la spécificité du service public par rapport aux chaînes privées, et fragiliserait ces dernières, qui ne sont pas non plus en très bonne santé.
Si le service public de l'audiovisuel connaît aujourd'hui une crise financière et voit ses audiences - sur longue période - s'effriter et vieillir, c'est d'abord parce qu'il manque d'un projet clair appliqué dans la durée par des équipes ayant la légitimité et l'autorité nécessaires. L'un de nos principaux constats, qui confirme et prolonge l'analyse du rapport Schwartz, tient au fait que les faiblesses de la gouvernance et les relations compliquées avec la tutelle ne permettent pas aux dirigeants de diriger leurs entreprises sereinement. Depuis de nombreuses années, nous nous sommes focalisés sur le mode de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public, en pensant qu'il s'agissait du critère déterminant pour améliorer la gouvernance. Nous sommes désormais convaincus qu'il ne pourra pas y avoir d'indépendance de l'audiovisuel public tant que les conseils d'administration ne pourront pas jouer leur rôle, tant qu'ils seront précédés de pré-conseils d'administration entre la direction et les tutelles où se prennent toutes les décisions importantes, et tant que le calendrier politique de l'actionnaire l'emportera sur l'intérêt des sociétés, ce qui a pour conséquence de reporter systématiquement les décisions difficiles indispensables.
Ainsi, la question du financement de l'audiovisuel public ne peut être traitée séparément de celle de la gouvernance. Mathieu Gallet nous a révélé qu'il a dû concevoir le projet stratégique qu'il a présenté devant le CSA et lui a permis d'être désigné sans avoir le moindre accès aux données financières de Radio France, ce qui, compte tenu de leur forte dégradation à ce moment-là, rendait son projet, dès l'origine, irréalisable. Or, c'est bien ce projet qui est censé servir de base au contrat d'objectifs et de moyens (COM), ce dernier étant lui-même la base de référence pour déterminer le montant annuel de CAP attribué aux différentes sociétés, corrigé au regard des priorités budgétaires de l'État. Finalement, dix-huit mois après sa nomination, le président de Radio France ne dispose toujours pas d'un COM et il fait peu de doute que le document qui devrait nous être transmis d'ici peu sera assez différent des orientations du candidat. Cela pose la question de la pertinence de la désignation des présidents des sociétés de l'audiovisuel public par le CSA, puisque ce dernier ne peut vérifier le réalisme des projets stratégiques des candidats au regard de la situation financière des sociétés.
La désignation de la nouvelle présidente de France Télévisions n'a fait que confirmer ce constat en jetant, de plus, le doute sur les pratiques du collège. Les arbitrages de la ministre de la culture rendus publics le 13 septembre dernier par voie de presse ont également acté le désaccord entre la société et l'État sur les moyens dont elle devrait bénéficier. Une fois de plus, le calendrier politique a pris le pas sur l'intérêt de la société. La situation des entreprises semble gelée jusqu'à la prochaine élection présidentielle, puisque le Gouvernement ne paraît pas souhaiter assumer une réforme de la CAP, compte tenu de ses annonces en matière de baisses d'impôts. Cela rendra certainement très difficile le retour à l'équilibre de France Télévisions et Radio France d'ici 2017.
Notre constat, je le souligne, ne vise pas à mettre en cause spécifiquement le gouvernement actuel : l'année dernière, j'avais apporté mon soutien à la ministre de la culture lorsqu'elle avait annoncé son intention de supprimer les dotations d'ici 2017. Les précédentes majorités n'ont pas été plus vertueuses dans le respect de leurs engagements, concernant par exemple la compensation de la suppression de la publicité décidée en 2009. Quant au mode de nomination des présidents, nous ne proposerons pas non plus de revenir à un choix par le Président de la République compte tenu de l'absence de consensus sur ce sujet.
Nous sommes convaincus qu'il est devenu indispensable de refonder l'audiovisuel public pour en assurer la pérennité, en dépassant les clivages et en privilégiant l'intérêt des citoyens. Cette refondation doit être progressive, respectueuse des salariés et cohérente avec l'état de nos finances publiques. Les propositions que nous allons vous présenter ne sont ni de droite, ni de gauche, elles s'inspirent des meilleures pratiques européennes.
M. André Gattolin, co-rapporteur. - Oui, nous avons voulu présenter un projet global, systémique, afin de répondre dans la durée aux enjeux auxquels doivent faire face les sociétés de l'audiovisuel public. Nos propositions forment donc un tout et nous vous invitons à replacer chacune d'entre elles dans cette cohérence globale pour en apprécier la pertinence. Afin de tenir compte des réalités politiques, nous avons pris en compte le contexte, qui fait qu'une réforme d'ampleur ne semble pas possible avant la prochaine élection présidentielle. C'est pourquoi notre scénario prévoit trois étapes d'ici 2020.
La première étape pourrait être qualifiée d'étape de transition. En 2016 et 2017, nous proposons d'abord de stabiliser les ressources de l'audiovisuel public et de redonner de la prévisibilité aux entreprises, pour favoriser le retour à une situation financière plus saine. Nous actons le fait que la réforme de la CAP pourra intervenir dans un deuxième temps, en 2018, compte tenu du fait que son rendement est garanti dans les deux années qui viennent. Ainsi, pour faire face immédiatement à la dégradation de la situation financière de France Télévisions et de Radio France, et pour éviter de faire appel à l'endettement, nous proposons d'augmenter de 2 euros au-delà de l'inflation le montant de la CAP dans son format actuel en 2016 et en 2017, en contrepartie d'objectifs de réduction des dépenses, chiffrés année après année, définis dans les nouveaux COM. Certaines pistes sont évoquées dans notre rapport. Parallèlement, la suppression des dotations budgétaires à l'horizon de 2017 serait confirmée.
Afin d'apporter plus de stabilité financière aux entreprises de l'audiovisuel public et de cesser de « déshabiller Pierre pour habiller Paul », nous proposons la création d'une réserve de 150 millions d'euros qui serait constituée en début d'année sur la CAP et viendrait en minoration des sommes réparties annuellement entre les entreprises, pour répondre aux aléas et inciter aux mutualisations, en encourageant financièrement les initiatives communes. Les crédits non consommés seraient reversés en fin d'année sur des critères de performance.
La deuxième étape interviendrait en 2018 et 2019, afin de jeter les bases d'un nouveau modèle de financement fondé sur une double réforme : celle de la CAP et celle de la publicité. La réforme de la CAP la transformerait en une contribution forfaitaire universelle, sur le modèle de l'Allemagne, qui a effectué cette réforme depuis deux ans, et de la Suisse, qui l'a adoptée par référendum, afin de rétablir la justice fiscale et la neutralité technologique. Cette réforme pourrait être prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. Elle aurait pour conséquence d'intégrer parmi les redevables plus d'un million de foyers qui ne payent pas aujourd'hui la CAP et de garantir son rendement, qui ne serait plus dépendant du taux d'équipement en téléviseurs. Cette réforme permettrait mécaniquement d'augmenter son produit de l'ordre de 150 millions d'euros, étant précisé que nous estimons par ailleurs que celle-ci nécessite préalablement une remise à plat des conditions actuelles des dégrèvements et exonérations qui pèsent sur le budget général, notamment en ce qui concerne la limite d'âge. Nous proposons que ces ressources supplémentaires soient utilisées pour repenser la place de la publicité sur le service public. Une baisse du montant de la CAP pourrait aussi être envisagée, sur le modèle de ce que souhaite faire la Suisse.
M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - Là encore, nous avons voulu sortir du débat qui oppose les tenants de la suppression de la publicité sur le service public - dont je fais partie - à ceux de son maintien, voire de son extension. Nous reconnaissons que la suppression totale de la publicité, qui serait souhaitable, n'est sans doute pas possible financièrement, puisqu'elle nécessiterait de trouver environ 380 millions d'euros de recettes de substitution ou d'économies dans les dépenses des sociétés. Nous proposons donc une suppression partielle, qui ne serait plus fondée sur un critère quantitatif, distinguant avant vingt heures et après, mais sur un critère qualitatif. Seraient ainsi évités les messages publicitaires pour des produits ou des services qui ne seraient pas compatibles avec la protection de la santé et de l'environnement. Il s'agirait par exemple de favoriser les publicités en faveur des voitures hybrides et électriques plutôt qu'en faveur du diesel et de l'essence, des légumes et des fruits plutôt qu'en faveur des produits transformés industriels, et des investissements dans les économies d'énergie plutôt que dans la climatisation.
La France accueillera dans quelques semaines la 21e conférence des parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique avec un message essentiel : il faut changer nos modes de vie et nos habitudes de consommation. Nous proposons d'intégrer cette priorité politique dans les valeurs du service public de l'audiovisuel et, plus généralement, de réduire le temps global de la publicité. Une publicité raisonnable pourrait subsister et même être rétablie en soirée après vingt heures, mais le nombre de minutes serait globalement réduit et l'on pourrait également prévoir une interdiction totale lors des émissions destinées à la jeunesse - c'est l'objet d'une proposition de loi déposée par André Gattolin. Selon nos estimations, ce nouveau régime de la publicité pourrait se traduire par une baisse de chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros, qui serait compensée par la hausse du produit de la CAP réformée. Les annonceurs de Radio France seraient choisis selon les mêmes critères, sans conséquence sur le chiffre d'affaires compte tenu de son régime restrictif actuel.
Enfin, nous sommes convaincus qu'il faut engager un rapprochement des sociétés de l'audiovisuel public qui doit commencer par une meilleure coordination de leurs projets. Aujourd'hui par exemple, les contrats d'objectifs et de moyens (COM) ne sont pas synchronisés, ce qui signifie qu'ils ne prévoient aucune mutualisation des dépenses, chaque entreprise étant considérée individuellement. Nous proposons qu'ils le soient. Les COM étant liés aux mandats des présidents, nous proposons également de faire converger ces mandats. Ceux qui arriveraient à terme d'ici là ne seraient renouvelés ou prolongés que pour la durée restant à courir jusqu'à la mise en oeuvre de la troisième étape.
Celle-ci interviendrait en 2020, avec le rapprochement des sociétés de l'audiovisuel public au sein d'un même groupe, que nous proposons d'appeler « France Médias ». Ce rapprochement favoriserait les mutualisations, la polyvalence du personnel, le développement d'une marque commune et les investissements dans le numérique. Il dégagerait aussi des économies, à travers la mise en commun des fonctions support. Nous proposons qu'une mission de préfiguration étudie l'ensemble des questions liées à la mise en place de « France Médias », en particulier sa forme juridique.
La création de ce nouveau groupe est indispensable pour rénover profondément la gouvernance de l'audiovisuel public. Nous proposons que le nouveau président de « France Médias » soit nommé par l'organe délibérant du nouveau groupe, où ne siègeraient plus les représentants des ministères de tutelle. L'État ne serait représenté que par l'Agence des participations de l'État (APE) au nom de l'État actionnaire. Le conseil délibérant serait composé de personnalités issues du secteur public et choisies pour leur expertise, ou de personnalités issues du secteur privé ayant une véritable culture de l'entreprise, tout en veillant à leur indépendance et en proscrivant les conflits d'intérêts.
Bref, nous proposons de couper le lien de dépendance et de subordination qui fait que les présidents des sociétés de l'audiovisuel public ne sont pas responsabilisés et se cantonnent souvent à demander en permanence des moyens nouveaux et à retarder les réformes. Dans ce nouveau modèle, c'est l'organe délibérant de « France Médias » qui répartirait la CAP entre ses filiales et non l'État. C'est également lui qui nommerait les dirigeants des filiales. Au terme de ces trois étapes, c'est un nouveau modèle de l'audiovisuel public qui serait ainsi refondé sur des bases solides. Nous avons souhaité vous présenter une approche globale et systémique afin de garantir la solidité du projet. J'ajoute que le rapprochement que nous proposons reflète des évolutions observées dans de nombreux pays européens, l'Espagne et la Suisse l'ayant réalisé ces dernières années. Le rôle de notre assemblée est aussi de proposer des idées ambitieuses pour aider notre pays à avancer et à ne pas rester prisonnier des schémas du passé. Il ne s'agit pas de rejouer le débat sur l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), qui appartient bien au passé. Aujourd'hui, le service public ne compte que pour un quart de l'audience face aux médias privés et Internet menace de réduire encore cette influence. Il y a donc urgence à envisager des solutions nouvelles et surtout à donner une fois pour toutes son indépendance à notre audiovisuel public.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Merci pour cette présentation exhaustive de propositions fortes.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Merci pour cette présentation très complète. Vous proposez des solutions globales. Certains de vos constats font écho à ceux que nos rapporteurs spéciaux ont pu formuler : nécessité de procéder à des mutualisations entre les chaînes, et parfois même en leur sein, évolution de leur masse salariale, érosion prévisible de la base de la CAP. Vous n'avez pas évoqué, en revanche, la question des salaires de certains cadres qui sont pourtant sans emploi. Que pensez-vous du nombre de chaînes ? L'audience moyenne de France 4, par exemple, est de 1,4 %. Selon Médiamétrie, certaines de ses émissions ont une audience de zéro, c'est-à-dire qu'elles touchent moins de cinq mille foyers ! Vous n'avez pas évoqué les chaînes d'Outre-mer, ou la multiplicité des journaux télévisés de France 3. La France n'a-t-elle pas trop de chaînes publiques ? Pour obtenir une rationalisation des dépenses, le meilleur moyen est-il d'augmenter la CAP ? Nous voyons bien, dans les collectivités territoriales, comment le fait d'être mis au pied du mur, comme nous le sommes avec la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), contraint à réaliser des économies réelles. Pourquoi France Télévisions serait-elle exonérée de tels efforts de réforme ? Le meilleur moyen pour y parvenir ne consiste-t-il pas à devoir s'adapter à une diminution des ressources ?
M. David Assouline. - Voilà un débat d'actualité. Merci aux rapporteurs pour leur travail. Les propositions qu'ils formulent, toutefois, sont de nature politique et dépassent le cadre de la mission de contrôle financier qui leur était confiée. En préconisant une fusion, sur le modèle de la BBC, ils souhaitent transformer complètement le paysage audiovisuel français. Je laisserai de côté cet aspect de leur présentation, qui me semble insuffisamment étayé, pour me concentrer sur les résultats de leur contrôle financier.
Ils nous présentent la grande difficulté financière de l'audiovisuel public sans la dater. Or, notre dernier débat animé sur le sujet remonte à la loi qui a supprimé la publicité après vingt heures. Y avait-il alors un problème financier ? Au contraire ! Après des difficultés au début des années 2000, la situation s'était stabilisée autour de deux sources de financement, la publicité et la redevance, qui assuraient l'indépendance vis-à-vis du monde commercial comme de l'État. La situation était saine. La suppression de la publicité a ôté plusieurs centaines de millions d'euros à France Télévisions, suscitant une violente déstabilisation. Jean-François Copé avait alors déclaré que, « lui vivant », la redevance n'augmenterait pas d'un euro. L'État devait remplacer les ressources publicitaires par des taxes sur la publicité, qui allait fuir vers les chaînes privées. Celles-ci ont protesté, en partie à juste titre, car si elles ont bénéficié de cette manne, une partie des recettes a migré vers Internet. Bref, l'on n'a pas trouvé l'argent. Une taxe sur les télécoms fut créée, qui a été contestée à Bruxelles avant d'être pérennisée car déclarée conforme au droit communautaire. Mais l'État pouvait toujours décider de ne pas reverser cet argent à France Télévisions. Sans la publicité, le seul canal direct de financement demeure la CAP. Ne pas l'augmenter, tout en supprimant la publicité, a créé un chaos dont nous gérons encore les conséquences.
Je soutiens votre proposition d'augmenter la CAP de deux euros en plus de l'inflation. Il ne s'agit que de quelques centimes par mois, et cette hausse est indolore, comme l'a montré l'absence de protestation lors des dernières hausses. Les cinquante millions d'euros supplémentaires de produit règleront en partie les problèmes de déficit structurel.
Le service public devrait pouvoir diffuser du sport, notamment lorsque l'équipe de France joue. Or France Télévisions ne peut plus acheter un seul match après vingt heures. Pourtant, les publicités sont visibles sur les terrains : on accepte donc que les sponsors gagnent de l'argent, mais pas la chaîne qui diffuse le match ! Douze matches de l'Euro ont échappé à l'audiovisuel public, ce qui est un scandale ! L'Euro se joue en France, et le sport gratuit ne se trouve que sur France Télévisions. Nous pourrions autoriser la publicité pendant les mi-temps, ce qui règlerait ce problème.
Bref, l'origine des difficultés actuelles est la réforme de 2009. Or, en face du secteur privé contrôlé par les Bouygues et autres Bolloré, il faut un pôle public stable.
M. Éric Bocquet. - Il a raison !
M. Bruno Retailleau. - Je salue le travail des deux rapporteurs. Ils envisagent une réforme systémique en plusieurs étapes. Je ne puis approuver cependant l'augmentation de la CAP qu'ils proposent. Mieux vaut réfléchir à son universalisation, puisque chaque foyer compte désormais cinq, six ou sept écrans... C'est prendre les choses à l'envers que de proposer une augmentation de la redevance sans s'interroger au préalable sur le périmètre du service public, au moment où Delphine Ernotte propose la création d'une nouvelle chaîne d'information, alors que de nombreuses chaînes ne trouvent pas leur audience, et que les sources d'économies sont nombreuses.
Nous devons comparer le coût d'une heure d'antenne dans le public et dans le privé, par exemple, avant de recourir à la facilité que représente l'augmentation d'une taxe. La création d'un groupe unifié, « France Médias », peut constituer une source importante d'économies. Au moment où chaque organisation publique, notamment les collectivités territoriales, doit faire des économies, nous devons commencer par nous interroger sur des réformes structurelles : nombre de chaînes, système de production, types de contrats... Je n'avais pas voté la taxe dite Copé, et je m'oppose à son relèvement de 0,9 % à 1,2 %. On ne peut à la fois demander aux opérateurs de mener le grand chantier de la fibre et du haut débit pour réduire la fracture numérique et les lester de semelles de plomb !
M. Roger Karoutchi. - La hausse de la redevance est une absurdité ! En ce moment, les Français sont saturés d'impôts et de taxes. France 2, France 3, France 4, France 5, Arte, l'Outre-mer, bientôt une chaîne d'information en continu, le tout pour un public réduit, n'est-ce pas trop ? Surtout, où est la mission de service public ? Certains jeux, certaines émissions de téléréalité, certaines séries ou certains films diffusés sur les chaînes publiques sont strictement identiques à ceux que l'on trouve sur les chaînes privées. La mission de service public, cela a un sens. Peut-être faudrait-il recentrer nos chaînes publiques sur ce sens, et les sortir d'un certain mimétisme avec les chaînes privées. La diversification à tout-va est trop coûteuse. Avant de se demander comment financer, il faudrait se demander ce qu'on veut financer.
Mme Corinne Bouchoux. - La proposition n° 4.2 visant à interdire la publicité dans les plages horaires consacrées aux programmes destinés à la jeunesse a-t-elle fait l'objet d'un consensus entre les deux rapporteurs ? La proposition n° 9 qui a pour objectif de renforcer la transparence et le contrôle des prestations réalisées par les producteurs indépendants pour les chaînes publiques vise-t-elle les situations incestueuses où des anciens d'une chaîne deviennent producteurs, ou les relations familiales liant certains producteurs et certaines directions de chaînes ? Avez-vous réfléchi à ce qu'est la qualité du service public, qui devrait se rapprocher davantage de celle d'Arte que de celle de TF1 ?
M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - L'augmentation temporaire de la CAP, que nous proposons, n'est certes pas politiquement correcte dans le contexte actuel de nos finances publiques. Nous n'y étions d'ailleurs pas favorables, puisque nous considérons qu'il faut mieux maîtriser les dépenses de l'audiovisuel public et contraindre les sociétés concernées, en diminuant leurs ressources, à participer à l'effort de maîtrise des comptes publics. Nous proposons toutefois une hausse temporaire, à contrecoeur, car cela nous paraît indispensable au vu de la gravité de leur situation financière, qu'il serait sans cela impossible de redresser à court terme. Il s'agit d'une mesure réaliste et responsable, qui donnera à court terme un peu d'oxygène à ces sociétés. Actuellement, étant donné leur inertie, elles sont incapables de réagir assez rapidement à la situation. En deux ans, France Télévisions a accumulé un déficit de 200 millions d'euros, et le besoin de financement de Radio France pour la période 2015-2019 se monte à 170 millions d'euros. Aussi avons-nous inscrit nos propositions de réforme dans un calendrier à moyen terme, comprenant trois étapes. Autrement, il faudrait envisager une réduction des périmètres et des licenciements dès 2016 !
France Télévisions et Radio France ont lancé des plans de départs volontaires pour réduire leurs effectifs. Ils doivent sans doute être amplifiés. Quoi qu'il en soit, ces plans représenteront d'abord un coût net. Sauf à réduire les investissements dans la création, la seule source d'économies véritables réside dans le rapprochement des structures, qui sera long à mettre en oeuvre. Les économies les plus faciles ont déjà été faites par France Télévisions dans le cadre du plan lancé en 2012. Nous devons donc poser la question du périmètre des chaînes, ainsi que celle du réseau de France 3. La hausse provisoire de la CAP serait conditionnée à des efforts importants de réduction des dépenses définis dans les nouveaux COM. L'augmentation du taux de la taxe sur les télécoms envisagée par le Gouvernement pourrait rapporter de l'ordre de 150 millions d'euros sur deux ans, soit un montant proche de ce que dégagerait la hausse de la CAP. Pour autant, nous n'y sommes pas favorables, car elle renouerait avec une budgétisation de l'aide à France Télévisions : cette ressource serait probablement inscrite au budget général avant de faire l'objet d'une dotation à l'audiovisuel, ce qui fragiliserait sa pérennité. De plus, elle serait répercutée aux consommateurs. Enfin, elle obérerait les capacités d'investissement des opérateurs.
Dans une deuxième étape, nous proposons une réforme de la CAP pour stabiliser enfin son produit. Son extension à un million de foyers compensera la baisse probable des recettes publicitaires. La troisième étape consiste à refonder un grand groupe audiovisuel public, nommé « France Médias » pour mutualiser les ressources et les talents. Enfin, monsieur le rapporteur général, c'est moins France 4 que France Ô qui souffre d'un audimat presque nul.
M. André Gattolin, rapporteur. - France 4 représente 1,6 % d'audience.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a des émissions à 0 % pour cent d'audience.
M. André Gattolin, rapporteur. - Nous n'avons pas procédé à un audit complet des sociétés et ne pouvons donc guère en dire plus sur le salaire des cadres. Les plans de départs volontaires mis en place à France Télévisions ont des conséquences parfois paradoxales et pas toujours rationnelles : aujourd'hui, ceux qui partent sont des salariés plutôt jeunes, aux compétences utiles, qu'il faut ensuite remplacer en réembauchant ! À TF1, la réduction de 12 % de la masse salariale s'est faite sans plan social, mais au cas par cas, en étudiant, pour chaque salarié, les conditions de départ et les possibilités de requalification.
France Télévisions connaît un problème de gestion des ressources humaines : elle répond aux sollicitations des politiques en organisant de grands plans de départ. Mais avec la mise en place de l'entreprise unique, des gens ont touché rétroactivement des chèques considérables sans même l'avoir demandé ! La question des cadres relève de cette problématique plus vaste de gestion des personnes. Il faudrait être plus précis sur les incompatibilités : il n'est pas acceptable de voir un directeur des programmes devenir aussitôt après son départ directeur d'une entreprise privée de production prestataire de la chaîne, avec des contrats parfois signés ou décidés par la même personne des deux côtés.
De façon générale, les COM sont trop développés ; nous proposons de suivre le rapport Schwartz sur cette question. Sur 70 pages, seules deux pages et demie concernent les relations avec les producteurs privés. Or, cela représente un poste de dépenses supérieur à celui de la masse salariale de France Télévisions. Il faudrait au minimum établir des normes comparables à celles établies par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) pour les devis de production cinématographique.
Madame Bouchoux, nous avons voté dans la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public du 15 novembre 2013 une disposition visant à permettre aux chaînes du public de détenir des parts de coproduction, pour favoriser un meilleur intéressement aux droits audiovisuels, mais le décret d'application, venu plus d'un an et demi après le vote de la loi, après moult négociations avec les producteurs, en a donné une interprétation si restrictive que cela la vide de son sens. Il y a d'autres modèles que le modèle français fondé sur la redevance et la publicité, Monsieur Assouline : certains s'appuient sur des ressources propres bien supérieures grâce à la revente des productions. Lorsque le public finance une production, il doit avoir un retour sur investissement. Or aujourd'hui, des coproducteurs ayant financé 4 % ou 5 % des coûts touchent 90 % ou 95 % des droits d'exploitation !
Quant au périmètre, la proposition de Delphine Ernotte de créer une nouvelle chaîne d'information continue, même sur Internet, a-t-elle un sens ?
M. David Assouline. - Oui !
M. André Gattolin, rapporteur. - Je n'ai pas d'avis définitif sur cette question. Mais je crois plus dans le développement d'applications qu'en une chaîne linéaire. La délinéarisation sera le principal vecteur d'attraction des jeunes envers le service public. Le coût de France 4 et ce qu'elle rapporte sont en décalage, voyons ce que proposera la nouvelle direction. La suppression de France Ô, qui a eu 0,6 % d'audience moyenne en 2014, représenterait une économie de 10 millions d'euros : ce n'est pas la panacée, même s'il faut sans doute vérifier ces chiffres, donnés par France Télévisions.
Enfin, notre proposition d'interdire la publicité autour des émissions pour les enfants a pour but de protéger les publics les plus fragiles. Le service public doit montrer l'exemple. David Assouline a raison à propos des écrans de mi-temps lors de la diffusion de matchs.
M. Alain Vasselle. - Votre rapport contient-il un bilan chiffré d'ici 2020 avec une présentation annuelle ? Qu'entendez-vous par « publicité raisonnable » ? Ne nous faisons pas d'illusion sur ce que cela peut rapporter ; je crois plus à la mutualisation. La hausse de la redevance et des taxes est une fuite en avant. Si nous cherchons une solution de transition, je préfère passer par une dotation du budget général, pour donner un peu d'oxygène aux chaînes publiques, que par une augmentation de la redevance.
M. Éric Doligé. - Merci aux rapporteurs pour les informations et les propositions qu'ils nous fournissent. Combien est-on payé pour faire 200 millions d'euros de déficit ? Lorsqu'un nouveau président arrive, la première chose qu'il fait est de constater le déficit et de demander plus d'argent, puis, plutôt que de faire des économies, de créer une nouvelle chaîne... C'est étonnant. Nous allons dans le mur, avez-vous dit. Avez-vous analysé la possibilité de supprimer une chaîne : combien cela coûte-t-il ? Est-ce une option ?
M. Philippe Dominati. - Ce rapport permet de relancer un débat bienvenu. Cela me rappelle la discussion de la loi Copé, que je n'avais pas votée, car elle n'abordait pas le coeur du problème : le périmètre. À la lecture de vos propositions, reste le sentiment que si vous allumez votre poste, vous avez plus de chaînes qu'il n'y a de boulangeries artisanales à Paris. Or nous ne donnons pas 4 milliards d'euros pour en augmenter ce nombre... Si la première étape est d'augmenter la taxe et la deuxième de stabiliser, vous savez que cette deuxième étape n'arrivera jamais. Il faut réduire drastiquement le périmètre.
M. Georges Patient. - Vous déclarez que supprimer France Ô représenterait une économie de 10 millions d'euros. Voulez-vous supprimer tout le système audiovisuel ultramarin ? Je vous rappelle que nous avions mis en place cette chaîne pour compenser l'absence totale de l'Outre-mer sur les chaînes nationales, et que les chaînes régionales sont très importantes.
M. Louis Duvernois. - Je suis sur la même longueur d'ondes que nos rapporteurs. C'est la première fois que l'on envisage de rapprocher toutes les sociétés de l'audiovisuel public, y compris extérieur - France Médias Monde, dont vous proposez de vous inspirer pour créer « France Médias ». C'est une nécessité urgente. Oui, l'heure est venue de redéfinir la notion d'audiovisuel public, et par conséquent son périmètre.
En tant que Français établi hors de France et administrateur de France Médias Monde, je me réjouis que, pour la première fois, la globalisation soit prise en compte de manière à internationaliser le national sans le diluer. Au conseil d'administration, je constate les problèmes que rencontre l'entreprise avec les ministères de tutelle. Je ne porte pas de jugement sur la qualité des personnes qui les représentent, mais ils ont une vision sectorielle et non transversale. Votre proposition de ne nommer qu'un seul représentant pour l'actionnaire unique qu'est l'État est bienvenue. Cela n'empêcherait naturellement pas les ministères de s'exprimer en amont.
France 24, que peu de Français connaissent, souhaite être diffusée sur le territoire national, mais est bloquée par le CSA. Les Français, qui la financent, ont le droit de la regarder. A la proposition de Delphine Ernotte de créer une nouvelle chaîne, je préférerais réorienter l'action de France 24 vers le national.
M. Patrick Abate. - Roger Karoutchi évoque l'exemple de la téléréalité sur les chaînes publiques ; il pose une question de fond : que voulons-nous voir à la télévision publique ? Or ce rapport ne s'en préoccupe pas ; il entre dans le sujet par la petite porte, celle du financement. Prudence ! Nous ne pouvons pas analyser la situation sans connaître l'histoire. Je partage la théorie du chaos de David Assouline. L'audiovisuel public a besoin de ses deux jambes pour marcher, redevance et publicité, mais nous ne devons pas nous interdire de recourir à une dotation de l'État, la question de l'indépendance restant entière. Certes, nous ne consacrons pas 4 milliards d'euros à augmenter le nombre de boulangeries artisanales, mais sans doute plus à aider, au titre de la solidarité nationale, nos concitoyens éprouvant des difficultés à subvenir à leurs besoins quotidiens. Si nous voulons un service public, il nous faut de l'argent public.
L'éthique de la publicité ne concerne pas que le service public. Si nous prenons au sérieux nos ambitions pour la COP 21, nous devons l'imposer aussi aux chaînes privées. Ce serait à l'honneur de la télévision française dans son ensemble. Il ne faudrait pas plomber encore plus les recettes des chaînes publiques. Nous sommes par ailleurs en faveur de la publicité sur les chaînes publiques, dont elle constitue, que l'on s'en plaigne ou non, l'un des modes de financement.
M. Michel Canevet. - Merci aux rapporteurs pour la diversité de leurs propositions. Il faudrait néanmoins approfondir la réflexion sur le périmètre. Les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 10 %. Avez-vous observé des différences statutaires qui rendraient une fusion des sociétés plus difficile, et dès lors plus coûteuse ? Avez-vous envisagé de faire entrer dans le périmètre les deux chaînes parlementaires ?
Mme Michèle André, présidente. - Avez-vous utilisé le rapport Brucy, auquel Jean-Pierre Leleux et moi-même avions été associés ? Il y aurait plus de cent personnes chargées de contrôler si les contribuables ont ou non une télévision : est-ce une légende ?
M. André Gattolin, rapporteur. - Nous avons en effet utilisé le rapport Brucy, qui présente des pistes excellentes. Ce sont 181 personnes qui sont actuellement affectées au contrôle. Pour la CAP, nous optons pour le système universel à l'allemande, car le rapprochement de sa perception avec celle de la taxe d'habitation ne suffit pas.
Je suis d'accord avec Louis Duvernois sur France Médias Monde : nous avons une chaîne d'information continue d'une grande dimension internationale et créant une plus-value importante grâce à ses reportages ; nous pourrions imaginer d'en réaliser une déclinaison plus nationale. France Télévisions a plus de dépenses que prévu. La négociation se poursuit sur la fusion entre RFI, cette vieille dame de soixante-dix ans, et France 24, cette start-up de l'information. Nous en avons discuté avec Marie-Christine Saragosse et Victor Rocaries, le directeur général délégué de France Médias Monde : la réduction des coûts qu'ils ont réussi à obtenir depuis 2011 est intéressante.
Le montant des économies qu'une suppression de France Ô permettrait, n'est pas considérable. À aucun moment il n'a été question de remettre en cause les antennes locales ultramarines. France Ô devait valoriser la présence sur le territoire national de nos concitoyens d'Outre-mer, mais son audience est faible ; peut-être serait-il plus efficace de poursuivre le même objectif sur des canaux qui ont une audience supérieure. La vraie économie est à rechercher du côté de France 3, dont les seules antennes régionales regroupent 3 400 équivalents temps plein. Nous proposons de les réorganiser selon les nouvelles régions, avec une possibilité de décrochages et d'antennes locales. C'est déjà le cas en Rhône-Alpes-Auvergne. Dans un petit territoire ultramarin de moins de 6 500 habitants, l'antenne de France 3 compte 87 salariés dont 20 journalistes, soit un journaliste pour 320 habitants ! De même, France 3 Corse a des effectifs comparables à ceux de France 3 Île-de-France. Certaines équipes ont été constituées avec un objectif annuel de production ; l'objectif a été abandonné, mais les équipes restent...
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Nous avons cherché des solutions pérennes, capables de traverser les alternances et de ne pas susciter de débats frontaux comme par le passé. La structure des ressources de l'audiovisuel public français est différente de la moyenne européenne, où les recettes propres sont plus importantes. Le niveau intellectuel parfois faible de certaines émissions pose la question de la publicité, car c'est bien la recherche de l'audimat, en vue de la publicité, qui conduit les chaînes publiques à diffuser de tels programmes. Je partage la proposition 4.2. Nous avons voulu être réalistes et responsables.
Mme Michèle André, présidente. - Nos deux rapporteurs ont enrichi nos deux commissions par leur remarquable travail. Je ne doute pas que nous en autoriserons la publication.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Oui, grâce à un travail très approfondi et sans complaisance, les rapporteurs confortent le bien-fondé de l'audiovisuel public tout en soulignant les dysfonctionnements d'un système qui repose encore trop sur la culture de la dépense. Le mode de financement ne peut toutefois pas être détaché des autres questions : votre approche globale permet une mise en perspective bienvenue ; nous avons trop pris l'habitude de légiférer au coup par coup. Ainsi, dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, des collègues proposaient de supprimer certaines publicités, alors qu'une proposition de loi l'interdisant pour les programmes jeunesse nous sera bientôt présentée... Votre excellent rapport éclairera nos débats sur la loi de finances.
Je tiens à rappeler que la taxe sur les opérateurs, bien qu'affectée au budget général, devait être intégralement reversée à l'audiovisuel public, afin de compenser la fin de la publicité le soir ; si elle l'a été au début, ce n'est plus le cas ces dernières années. Il conviendrait d'en tenir compte, pour statuer sur les modalités à retenir pour la période transitoire avant la réforme de la CAP prévue pour 2018.
En 2009, la réforme de l'audiovisuel public a fusionné les 49 sociétés de France Télévisions ! Bruno Retailleau parle d'une source d'économies ; c'est aussi une source de lisibilité et d'efficacité, dans un monde globalisé. En effet, sans champion européen, sans société puissante, nous aurons du mal à répondre aux défis du monde numérique contemporain.
Les commissions de la culture et des finances autorisent la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est levée à 10 h 40.
Jeudi 1er octobre 2015
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 11 heures.
Questions diverses
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, à compter d'aujourd'hui, 1er octobre, l'intégralité des mesures décidées par le Bureau pour la réforme du Sénat entre en vigueur.
En conséquence, vous verrez apparaître dans les convocations de la commission et dans son programme prévisionnel des points d'ordre du jour doublement encadrés : il s'agira de nos réunions législatives du mercredi matin au sens de l'article 23bis du règlement.
Par ailleurs, si vous effectuez dans le cadre de vos missions pour notre commission des déplacements à l'étranger ou outre-mer, ceux-ci seront signalés par les services de la commission. Les déplacements que vous effectuerez au titre d'autres structures sénatoriales seront signalés par les services des structures concernées.
Mme Marie-Christine Blandin. - Certaines structures dans lesquelles nous avons été nommés par le Sénat, le Conseil supérieur des programmes en ce qui me concerne, mènent malheureusement leurs travaux sur certaines des plages réservées aux travaux parlementaires.
Mme Françoise Cartron. - C'est également le cas du CNESCO ...
Mme Dominique Gillot. - ... ainsi que du CNESER ...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - ... ou encore du groupe de travail de suivi de la loi de Refondation de l'école.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Je me ferai le porte-parole de vos remarques auprès du Bureau du Sénat. M. le Président du Sénat a écrit à l'ensemble de ces organismes extérieurs afin qu'ils adaptent leur calendrier de travail au rythme des assemblées parlementaires mais il est à craindre malheureusement que cette adaptation ne soit pas, dans tous les cas, d'effet immédiat.
Droit des étrangers en France - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de M. Guy-Dominique Kennel sur le projet de loi n° 655 (2014-2015) adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Droit des étrangers, maîtrise de l'immigration ..., dans un contexte marqué par la crise migratoire, ces questions nous interpellent et font débat. Et pourtant, ne nous y trompons pas, de larges consensus peuvent aussi émerger entre nous. J'espère réussir à vous le prouver ce matin.
Notre commission a souhaité se saisir pour avis de ce texte car trois thématiques présentes au sein de ce projet de loi ont retenu notre attention au regard des compétences qui sont les nôtres : l'apprentissage de la langue française par les étrangers, car la langue est le véhicule de notre culture ; l'attractivité de la France et notamment de son système d'enseignement supérieur ; le droit d'accès des journalistes dans les centres de rétention administrative et les zones d'attente.
Avant d'entrer dans le détail, permettez-moi de vous rappeler que le projet de loi initial, au travers de ses 36 articles, poursuivait trois objectifs principaux : rénover le parcours d'intégration des étrangers en France avec la personnalisation de l'actuel contrat d'accueil et d'intégration ; contribuer à l'attractivité de la France notamment en créant une carte de séjour propre aux « talents internationaux » et en simplifiant le parcours des étudiants et renforcer l'efficacité des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
J'ai donc laissé de côté une grande partie du projet de loi qui ne nous semblait pas relever des compétences de notre commission pour concentrer mon examen sur 6 des 57 articles que compte désormais ce projet de loi.
Sur les problématiques qui intéressent notre commission, les objectifs initialement poursuivis par le projet de loi étaient bons : renforcer les exigences en termes d'apprentissage de la langue française ; favoriser l'attractivité de la France, en direction des étudiants étrangers et des talents internationaux.
Il est malheureusement ressorti passablement « abîmé » de son examen par l'Assemblée nationale, mais la commission des lois du Sénat, dont nous examinons le texte adopté hier matin, l'a rendu plus lisible et plus efficace. Je salue ici le travail d'orfèvre réalisé par notre collègue François-Noël Buffet. Je ne vous cacherai pas que nombre des amendements que j'avais envisagé de soumettre à notre commission ont déjà été adoptés par la commission des lois. Je ne vous proposerai donc ce matin qu'une ou deux modifications à la marge.
Un peu plus de 200 000 nouveaux étrangers sont accueillis (régulièrement) chaque année dans notre pays, dont 45 % pour des motifs « familiaux », 30 % pour des motifs « d'études », 10 % pour des motifs « humanitaires » et 10 % également pour des motifs « économiques ». Depuis 2007, le contrat d'accueil et d'intégration constitue l'outil phare de notre dispositif d'accueil des étrangers en France : plus de 100 000 contrats sont ainsi signés chaque année. Un rapport d'inspection IGA-IGAS de 2013 avait formulé quelques critiques sur le fonctionnement de ce contrat. L'article 1er tente d'en tirer les conséquences en affirmant que désormais ce contrat sera plus « personnalisé ». Ce contrat rénové conservera bienheureusement, ses fondamentaux : la formation civique obligatoire ainsi que la formation linguistique, obligatoire elle aussi dès lors que le niveau de français de l'étranger qui arrive sur notre territoire est jugé insuffisant.
Mais les exigences posées aujourd'hui aux étrangers en matière de connaissance de la langue française sont dérisoires. Le niveau attendu à l'issue du contrat est ridiculement bas : il s'agit d'un niveau dit A1.1, qui n'existe même pas dans le cadre européen commun de référence pour les langues, dont le niveau le plus bas est le A1. Le niveau A1.1 équivaut à la maîtrise de la langue en fin de maternelle. La France est le seul pays européen dont l'objectif de maîtrise de sa langue par les migrants est aussi faible.
Cette situation n'est pas compatible, loin s'en faut, avec une intégration dans la société française, sans même parler d'insertion professionnelle ! Cette situation est même, de mon point de vue, indigne d'un pays qui prétend intégrer les étrangers qui arrivent sur son territoire. La méconnaissance de la langue du pays d'accueil favorise le repli sur soi, le communautarisme et, bien souvent, contribue à faire régresser la condition des femmes.
Le gouvernement envisage, par voie réglementaire, de rehausser le niveau que l'étranger devra avoir atteint à l'issue de son contrat : il devrait s'agir désormais du niveau A1. À cet égard je souhaite saluer l'initiative de la commission des lois qui, à l'article 11, a adopté une disposition qui prévoit désormais de lier l'atteinte de ce niveau de langue à la délivrance de la première carte de séjour pluriannuelle afin de rendre plus effectif cet apprentissage.
La commission des lois a aussi supprimé un ajout de l'Assemblée nationale selon lequel la formation civique devait comporter dans les départements et régions d'outre-mer un volet relatif à l'histoire et à la géographie du département et de la région d'outre-mer de résidence de l'étranger. Or, l'objet même de la formation civique est de rappeler ou de faire découvrir au ressortissant étranger les valeurs communes qui fondent la République et la société françaises, quel que soit le territoire de résidence effective de l'étranger concerné : la République est une et indivisible. Je me réjouis de cette suppression opérée par la commission des lois.
L'article 2 du projet de loi prévoit quant à lui qu'un niveau « suffisant » de connaissance de la langue française sera exigé pour obtenir la délivrance d'une première carte de résident : selon la feuille de route du Gouvernement, il devrait s'agir du niveau A2.
Ces dispositions vont dans le bon sens, certes, mais n'aurait-on pas pu être plus ambitieux encore et rehausser encore d'un cran nos exigences ? Exiger le niveau A2 (« conversation simple ») plutôt que le niveau A1 pour accéder à une carte pluriannuelle de séjour ? Le niveau B1 (« qui permet d'exprimer ses idées ») plutôt que le niveau A2 pour accéder à une carte de résident ? Et enfin le niveau B2 (« utilisateur indépendant ») plutôt que le niveau B1 pour une naturalisation ?
J'ai pleinement conscience qu'il s'agit là de mesures qui relèvent du domaine réglementaire et je ne vous proposerai donc pas d'amendement sur les deux premiers articles du projet de loi, conformément à la nouvelle vigilance décidée par la Conférence des Présidents. Toutefois, je prendrai la parole en séance publique pour rappeler l'importance de l'apprentissage de la langue française pour les populations immigrées et notre souci commun que le niveau de langue des étrangers dans notre pays devienne le véritable gage d'une intégration réussie.
Sur l'attractivité de la France à l'égard des étudiants étrangers et des talents internationaux, nous serons tous d'accord, je pense, pour soutenir cet objectif d'attractivité, favorable au rayonnement économique, scientifique, culturel et même moral de notre pays. Les talents étrangers que nous accueillons en France seront ensuite nos meilleurs ambassadeurs à travers le monde. Les débats qui ont eu lieu au Sénat et à l'Assemblée nationale en 2013 sur l'immigration étudiante et professionnelle avaient d'ailleurs fait émerger un large consensus autour de la nécessité de favoriser l'immigration étudiante, y compris à la suite de l'obtention du diplôme, ainsi que l'immigration professionnelle.
Les étudiants étrangers sont environ 60 000 à entrer sur notre territoire chaque année, en provenance principalement de Chine, du Maroc et d'Algérie. Ils représentent un peu plus de 12 % de notre communauté étudiante. Je ne peux pas aborder ce sujet sans rendre un hommage particulier à notre collègue Dominique Gillot qui, dès février 2013, avait déposé une proposition de loi sur l'attractivité universitaire de la France. Bon nombre des propositions qu'elle avait faites sont d'ores et déjà entrées dans le droit et d'autres sont reprises dans le présent projet de loi. Il sera très intéressant pour toute notre commission d'entendre tout à l'heure Dominique Gillot et Jacques Grosperrin sur ce sujet.
Vous savez sans doute que tous les étrangers entrant en France doivent passer une visite médicale auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'OFII réalise ainsi, chaque année, plus de 200 000 visites médicales dont 60 000 pour les étudiants étrangers. L'article 4bis propose de dispenser de visite médicale obligatoire les étudiants étrangers qui présenteront un certificat médical. Hier matin, la commission des lois a considéré que cette disposition ne relevait pas du domaine législatif et a supprimé cet article. Je voudrais néanmoins rappeler l'importance de cette visite médicale obligatoire, telle qu'elle est réalisée par l'OFII : elle permet de détecter des cas de tuberculose ou d'hépatite C, qui sont des enjeux de santé individuelle mais aussi publique. Or, l'OFII semble vouloir se défaire de cette mission afin de se concentrer sur d'autres missions, il conviendra peut-être d'interroger le ministre sur ses intentions en la matière : sous quelle forme entend-il maintenir la visite médicale pour les étudiants étrangers ? Quel(s) organisme(s) seront désormais chargés de l'effectuer ? Le cas échéant, avec quels moyens ?
L'article 5 vise à compléter l'actuel dispositif d'autorisation provisoire de séjour accordée aux étudiants au moins titulaires d'un master qui veulent réaliser une première expérience professionnelle en France. Ce dispositif facilite le changement de statut pour les étudiants à haut potentiel vers des emplois qualifiés en France : ces talents étrangers contribuent à notre croissance économique et à notre rayonnement international. C'est un dispositif qui fonctionne : environ 3 000 autorisations provisoires de séjour sont ainsi accordées sur ce fondement chaque année. Grâce à l'action de Dominique Gillot, le dispositif avait été bien assoupli en 2013. Il est proposé aujourd'hui de l'étendre aux étudiants qui justifient d'un projet de création d'entreprise.
L'Assemblée nationale a prévu que le salaire d'embauche minimal (actuellement fixé uniformément en France à 1,5 SMIC) serait désormais fixé en fonction des secteurs professionnels et des régions concernées, ce qui n'aurait pas contribué à la lisibilité de notre droit pour les étudiants étrangers et aurait joué très certainement « contre » notre attractivité. Fort heureusement, la commission des lois a supprimé cet ajout.
Je suis tout de même soucieux que le dispositif soit suffisamment encadré pour éviter tout effet d'aubaine et de détournement aux seules fins d'une prolongation du maintien sur le territoire. Or, l'encadrement de l'autorisation provisoire de séjour « création d'entreprise » est délicat : Comment justifie-t-on d'un projet de création d'entreprise au moment de demander l'autorisation provisoire de séjour ? Comment justifie-t-on du caractère « viable » de l'entreprise au moment de demander le changement de statut à l'issue de l'autorisation provisoire de séjour ? Je vous proposerai d'amender le présent article afin de rétablir le renvoi à un décret en Conseil d'État pour la fixation de ses conditions d'application. Ce décret est prévu dans le droit actuel, le Gouvernement le supprimait, il n'est peut-être pas inutile d'y renvoyer à nouveau.
L'article 11 est l'un des articles centraux du projet de loi. Il crée plusieurs cartes de séjour pluriannuelles parmi lesquelles la carte de séjour pluriannuelle générale qui sera notamment ouverte aux étudiants étrangers pour la durée de leurs études et la carte dite « passeport talent » ouverte à neuf catégories de « talents » étrangers.
La délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle qui serait désormais de droit commun pour les étudiants étrangers en France, d'une durée égale à la durée de leurs études, est une avancée intéressante en termes d'attractivité universitaire de la France. Mais au-delà de la qualité de l'accueil que notre pays se doit de réserver aux étudiants étrangers, je veux plaider pour le développement d'une politique plus volontariste d'accueil des étudiants étrangers sur des filières d'excellence et déficitaires. Car si nous sommes cinquième pays d'accueil en nombre d'étudiants étrangers (à égalité avec l'Allemagne), nous perdons régulièrement du terrain et nous n'attirons peut-être pas systématiquement les meilleurs étudiants mondiaux.
Cette nouvelle ambition que j'appelle de mes voeux passe par une exigence renforcée : exigence au moment de l'admission (exigence sur le niveau académique des étudiants, diversification des zones géographiques de provenance, exigence sur les filières et spécialisations choisies) mais aussi exigence au cours des études (exigence sur le « caractère réel et sérieux » des études - assiduité aux cours, présentation aux examens, contrôle de la progression des études et contrôle des changements de cursus -, attention portée au taux de réussite et d'échec des étudiants étrangers). Et la question du juste niveau des droits d'inscription dans nos établissements d'enseignement supérieur reste posée ...
Le « passeport talent » est un nouveau titre destiné aux étrangers qui apportent une contribution au développement et au rayonnement de notre pays. Il ne s'agit pas là non plus d'une idée neuve puisqu'avait été instaurée depuis 2007 une carte « compétences et talents » mais qui n'a malheureusement pas rencontré le succès escompté. S'agissant du champ de compétence de notre commission, le « passeport talent » concernera les artistes-interprètes et auteurs d'oeuvres artistiques et littéraires, les étrangers « dont les compétences et le talent sont établis dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif », les chercheurs et les professeurs de l'enseignement supérieur. Ces publics bénéficiaient aujourd'hui de titres de séjour divers et variés, le « passeport talent » sera un outil plus lisible et dont nos ambassades et consulats pourront plus facilement faire la promotion. La création de ce titre unique constitue un signal positif à l'attention des étrangers talentueux qui envisagent un séjour dans notre pays et pourrait concerner jusqu'à 10 000 étrangers chaque année.
Là encore, l'Assemblée nationale a adopté des modifications qui ne me semblent pas judicieuses :
- elle avait prévu que le caractère « réel et sérieux » des études suivies par les étudiants étrangers serait désormais souverainement attesté par les établissements eux-mêmes ; heureusement la commission des lois a adopté un amendement qui revient à une rédaction plus équilibrée dans laquelle l'appréciation du caractère réel et sérieux (qui resterait de la compétence de l'autorité administrative) s'appuierait sur les éléments fournis par les établissements et l'étudiant lui-même ;
- elle a prévu que des circonstances exceptionnelles pouvaient justifier la non-assiduité des étrangers aux formations prescrites dans le contrat personnalisé ; certes, mais il convient de ne pas affaiblir les principes posés par la loi ; je vous proposerai donc un amendement en ce sens ;
- elle avait prévu d'étendre le bénéfice du « passeport talent » aux étrangers qui avaient une renommée simplement nationale ; heureusement, la commission des lois a adopté un amendement de réécriture de cette catégorie en faisant référence plus simplement aux « compétences et talents » ;
- elle avait prévu de préciser que le redoublement ne remettait pas en cause, par lui-même, le caractère réel et sérieux des études des étudiants étrangers ; il me semblait totalement inopportun de prévoir ainsi dans la loi une sorte de « droit au redoublement », la commission des lois a supprimé cette disposition.
Par ailleurs, la commission des lois a fait plusieurs autres modifications qui recueillent de ma part un avis extrêmement favorable :
- elle a étendu le bénéfice du « passeport talent » aux titulaires non seulement d'un master mais aussi de tout autre diplôme prévu sur une liste fixée par décret afin de couvrir notamment les diplômes de certaines écoles de gestion ou de commerce qui proposent des parcours professionnalisant sans octroyer toutefois le grade de master à leurs titulaires ;
- elle a aussi lié la délivrance de la première carte pluriannuelle à l'obtention du premier objectif de connaissance de la langue française (A1 selon le souhait du gouvernement, A2 selon mes souhaits).
Sur le droit à l'information, un mot très rapide sur l'article 23 qui a retenu mon attention au titre de notre commission de la culture.
Il y a quelques mois, à l'occasion de la discussion de la proposition de loi sur la modernisation du secteur de la presse, nous avions autorisé les journalistes à pénétrer dans certains lieux de privation de liberté lorsqu'ils accompagnaient un parlementaire. Il est proposé, à l'article 23, d'autoriser l'accès des journalistes, même sans parlementaire, dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative, moyennant bien entendu quelques restrictions liées à la liberté des personnes, au respect de leur anonymat, etc. La commission des lois a proposé un dispositif totalement refondu qui me paraît très équilibré.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je regrette que notre commission soit consultée sur ce texte au lendemain de son examen par la commission au fond. Nous devrions pouvoir mieux maîtriser notre calendrier.
Ce projet de loi intervient dans une actualité marquée par la crise migratoire, une situation humanitaire extrêmement délicate et hors du commun. Il propose des avancées intéressantes, mais certaines de ses dispositions me paraissent confuses. A l'instar de certaines associations ainsi que du Défenseur des droits, je m'interroge par exemple sur le niveau de rémunération d'1,5 SMIC exigé des étudiants étrangers qui veulent s'insérer professionnellement dans notre pays, sur le niveau d'étude qu'il est exigé d'eux, sur la nature des « talents » des bénéficiaires du « passeport talent ». D'une manière générale, la commission des lois a durci le texte et a notamment aggravé les conditions d'accès des journalistes aux zones d'attente et aux centres de rétention administrative. Ce texte est perfectible et nous ferons nos remarques en séance publique.
Mme Marie-Christine Blandin. - Même si les modalités proposées par la commission des lois devront être étudiées avec attention, c'est une bonne chose que les journalistes puissent ne pas devoir être accompagnés d'un parlementaire pour pénétrer dans certains lieux privatifs de liberté. Il en va du droit à l'information.
Sachons porter un regard altruiste mais également humaniste sur les phénomènes migratoires : une société fermée est une société qui s'aigrit, se rancit et meurt. C'est sur notre « oxygène » que nous légiférons aujourd'hui.
Je me réjouis que la situation des artistes et interprètes étrangers trouve enfin sa place dans la loi mais nous serons attentifs au critère retenu : de « renommée nationale ou internationale » ou de « compétences et talents établis ».
Sur l'apprentissage de la langue française et les objectifs à atteindre, j'entends vos exigences, monsieur le rapporteur, mais il ne faudrait pas qu'elles soient un couperet au départ. Dans ma région, où le taux d'illettrisme de la population générale atteint 12 %, j'ai soutenu, pour qu'il puisse rester en France, un jeune étranger originaire d'Afrique noire qui au baccalauréat a obtenu 16/20 en histoire et 14/20 en français. Ce qui compte, c'est l'arrivée.
Le passeport talent nous rapproche d'une « immigration choisie ». L'un des talents mentionné par la loi est ainsi défini : « procède à un investissement économique direct en France ». J'espère que la fortune n'est pas considérée comme étant un « talent » en soi !
Mme Françoise Laborde. - Je ferai plusieurs remarques : le niveau A2 préconisé par notre rapporteur pour obtenir la carte pluriannuelle de séjour me paraît élevé. La carte de séjour pluriannuelle est une belle avancée. Il me semble difficile de porter un jugement sur la création d'entreprise, déjà peu aisée pour les Français dans le contexte économique actuel. Je m'interroge également sur le caractère potentiellement stigmatisant de la visite médicale. Enfin, j'engage tous mes collègues, y compris notre enthousiaste rapporteur, à prendre connaissance de l'avis du Défenseur des droits avant la discussion en séance publique.
Mme Dominique Gillot. - Je regrette également que nous ayons été saisis de ce texte important au lendemain de son examen par la commission au fond.
Des dispositions instaurées à partir de 2012 ont permis de mieux accueillir les étudiants étrangers. 280 000 d'entre eux s'inscrivent dans un établissement d'enseignement supérieur français chaque année. C'est une grande richesse, après l'épisode malheureux de la circulaire Guéant qui avait dissuadé les étudiants étrangers de venir en France.
Le niveau d'étude universitaire, licence ou master, auquel la carte pluriannuelle peut être délivrée fera l'objet d'une discussion en séance publique. C'est un enjeu extrêmement important qui ne doit pas être l'objet de polémiques destinées à vider de sa substance cette loi de simplification, d'ouverture et de témoignage de la capacité d'accueil de la France.
L'expérience professionnelle autorisée aux jeunes diplômés étrangers, qui figurait dans la loi sur l'enseignement supérieur de 2013, ne semble pas avoir été suffisamment affirmée. De plus en plus de diplômés français qui ont aujourd'hui des difficultés à trouver un poste pour acquérir une expérience professionnelle unissent leurs compétences disciplinaires pour créer leurs propres entreprises. L'investissement dans l'économie française évoqué dans le projet de loi est un investissement intellectuel, interdisciplinaire et transfrontière, favorisé par la mixité, la mutualisation de l'enseignement supérieur et les outils numériques à la disposition des jeunes. Il faut encourager et faciliter la création d'entreprise.
Sur l'exigence du niveau de langue, je rappelle que la loi de juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a introduit la possibilité d'un enseignement en anglais, afin que la non-connaissance de la langue ne constitue pas un obstacle à l'arrivée d'étudiants étrangers et pour ainsi permettre à des « francophiles » de devenir des « francophones ».
Même si la notion de « talent » est délicate à manier, l'instauration du « passeport talent » est un progrès, en particulier pour soutenir des parcours de réussite.
L'obligation de la visite médicale est une question de santé publique et individuelle. Elle n'est pas stigmatisante, au contraire, elle est une chance pour certains étudiants étrangers qui n'avaient pas bénéficié d'un suivi dans leur pays d'origine.
Enfin, sur l'article 23, nous serons très attentifs à ce que les propositions de la commission des lois ne dénaturent pas l'objectif même du projet de loi.
M. Jacques Grosperrin. - La France est une terre d'accueil, nous en sommes tous d'accord ; mais il ne faut pas se voiler la face : les étudiants qui choisissent de venir chez nous ne sont pas toujours les meilleurs, certains viennent parce qu'ils n'ont pas eu de place ailleurs ou pour d'autres motifs que les études. N'oublions pas que la circulaire Guéant avait pour objectif de cadrer certaines de ces pratiques. Je suis très attaché à ce que l'exigence de diplôme pour bénéficier d'un certain nombre de dispositifs favorables soit maintenue au niveau du master. La France est une terre d'accueil, mais elle ne doit pas accueillir surtout les étudiants refusés par d'autres pays.
Je soutiens les propositions de notre rapporteur en matière d'apprentissage de la langue française qui est un levier majeur d'intégration. Mais cette exigence s'imposera-t-elle aussi aux sportifs de haut niveau ?
Permettez-moi également de m'interroger sur la condition posée à l'article 11 relative à la « non-manifestation par l'étranger d'un rejet » des valeurs essentielles de la société française et de la République : comment ce critère sera-t-il apprécié ?
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Notre calendrier, madame Gonthier-Maurin, a été très contraint : c'est ce qui explique - et je le regrette comme vous - que nous examinions ce texte après la commission des lois. Sur la rémunération, nos collègues députés avaient prévu un paramétrage complexe qui s'apparentait à une véritable usine à gaz : le seuil à 1,5 SMIC est bien plus clair.
Je fais entièrement mienne la dimension humaniste, madame Blandin, mon rapport pour avis en porte témoignage et c'est bien dans cet esprit que j'accepte le texte issu des travaux de la commissions des lois, c'est ce qui motive mon avis favorable sur les articles dont notre commission s'est saisie. L'exigence de maîtrise du français ne sera pas un couperet, le premier niveau exigé le sera après une année passée en France, pour avoir accès à une carte pluriannuelle de séjour (à défaut, la carte annuelle de séjour pourra être renouvelée si toutes ses conditions de délivrance sont réunies). Le niveau A1 dit de « découverte » est très peu élevé et j'aurais préféré, à titre personnel, qu'on demande le niveau A2 pour pouvoir prolonger après un an. C'est un niveau de « communication simple », en-deçà encore du niveau B1 où l'on commence à pouvoir exprimer ses idées... Enfin, pour les investissements, je crois que le temps n'est pas à faire la fine bouche, nous avons besoin que des investisseurs choisissent notre pays pour y développer l'activité et des emplois.
Pour répondre à Mme Laborde, je crois, comme Mme Gillot, qu'il faut regarder l'obligation d'une visite médicale sous l'angle de la santé publique : quand la tuberculose est en recrudescence, il est tout à fait légitime de faire de la prévention et de rendre la visite médicale obligatoire. Qui s'en chargera ? L'OFII indique qu'à moyens constants, il ne peut plus faire face, mais les universités n'ont pas les équipes qui conviennent : c'est pourquoi le Gouvernement devra nous apporter des précisions sur ses intentions en la matière.
Je crois enfin inutile de continuer à polémiquer entre nous sur la circulaire Guéant : elle a entraîné une baisse des effectifs, mais maintenant regardons l'avenir !
Madame Gillot, tout ce que vous aviez proposé dans votre proposition de loi se met en place. A l'instar de M. Grosperrin, le niveau master exigé des diplômés étrangers me semble constituer une exigence académique raisonnable. Et je rappelle que la commission des lois a adopté un amendement permettant de déroger à cette règle pour les personnes ayant bénéficié d'une formation professionnalisante de haut niveau non sanctionnée par un diplôme.
M. Alain Vasselle. - Qui finance les visites médicales des étudiants étrangers ? Existe-t-il des accords bilatéraux prévoyant le remboursement par le pays d'origine d'une partie des dépenses supportées par la Sécurité sociale ?
Par ailleurs, les mesures prévues à l'article 22ter à l'encontre des personnes contrevenant aux règles me paraissent bien peu dissuasives.
M. Maurice Antiste. - Je remercie le rapporteur pour ce rapport au ton très mesuré. J'observe cependant, sous l'effet des amendements qui nous sont proposés, un durcissement général des dispositions de ce projet de loi. J'en suis assez surpris, particulièrement en ce temps où certains tentent de redéfinir l'appartenance à notre pays par l'origine. Pourquoi durcir le niveau d'exigence en matière linguistique pour la délivrance d'un titre de séjour pluriannuel, au risque de décourager ceux qui viennent donner un nouveau souffle à notre pays ?
M. David Assouline. - Je tiens à féliciter notre collègue rapporteur pour la qualité de son travail, éloigné des postures idéologiques, sur un sujet qui s'y prête pourtant. Vous vous inscrivez dans la tradition d'une certaine droite républicaine du Sénat, qui, il y a quelques années, s'était émue avec la gauche de la circulaire Guéant.
Il est dans l'intérêt de la France d'accueillir les étudiants étrangers et les talents d'ailleurs, comme il est dans l'intérêt des autres pays d'accueillir nos talents. La France est aujourd'hui forte et reconnue dans le monde, en partie du fait de cette ouverture.
Il me semble hasardeux de renvoyer la définition de certaines dispositions au pouvoir réglementaire, comme le propose notre rapporteur. Il me paraît préférable de les définir dans la loi.
S'agissant des circonstances exceptionnelles qui pourraient justifier que l'étranger n'ait pas été assidu aux formations prescrites par son contrat d'intégration, sachons rester souples : de nombreuses circonstances - guerre, maladie, problèmes familiaux - peuvent justifier un retour temporaire au pays et donc une interruption du parcours d'intégration.
Vos amendements ne me semblent donc pas utiles ; ils enlèvent de la souplesse où il n'y a pas besoin de rigueur. Je voterai donc contre vos amendements.
M. Michel Savin. - Je félicite notre collègue pour la qualité de son rapport. Je regrette néanmoins qu'un aspect du sujet n'ait pas été abordé. En effet, nulle part n'a été évoquée la situation de ces jeunes sportifs, âgés souvent de moins de seize ans et d'origine africaine, qui viennent en France à l'initiative des clubs sportifs professionnels, en particulier dans le milieu du football. Seul un de ces jeunes sur dix a l'occasion de poursuivre effectivement une formation de haut niveau. Les autres sont abandonnés, et demeurent sur notre territoire en situation irrégulière et de grande précarité.
Mme Claudine Lepage. - Je partage le constat du rapporteur sur la nécessité de la maîtrise de la langue française pour l'intégration des étrangers. Mais il convient de ne pas mettre la barre trop haut, le niveau A1 me semble satisfaisant. N'oublions pas que l'apprentissage d'une langue se fait dans la durée : accompagnons plutôt les nouveaux arrivants dans leur apprentissage de la langue française, plutôt que de fixer des barrières infranchissables à l'entrée.
Enfin, il est délicat de vouloir comparer les niveaux de compétence en langue française avec un niveau scolaire, utilisons plutôt le référentiel européen des langues.
M. Pascal Allizard. - Je me félicite que le passeport talent soit ouvert aux investisseurs internationaux : nous avons besoin pour renforcer l'attractivité économique de notre pays, d'investisseurs et de développeurs.
Mme Samia Ghali. - Je suis soucieuse du message que nous adressons à nos jeunes : mieux vaut être un sportif même si on ne parle pas la langue qu'un étudiant qui a envie de s'en sortir professionnellement ?
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Concernant les sportifs, je propose à mon collègue Michel Savin avec l'aide de Mme Samia Ghali d'évoquer ces questionnements spécifiques dans la proposition de loi sur les sportifs de haut niveau qu'il rapportera très prochainement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Après ces échanges fructueux, nous devons examiner les deux amendements.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 1 porte sur l'article 5. Il renvoie à un décret en Conseil d'État les conditions d'application du présent article.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je mets aux voix cet amendement.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. - Je supprime, dans l'amendement n° 2, qui porte sur l'article 11, la prise en compte, au niveau de la loi, de circonstances exceptionnelles pouvant justifier une non-assiduité aux formations prescrites dans le contrat d'intégration.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je mets aux voix cet amendement.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
La séance est levée à 12 h 30.