- Mardi 21 juillet 2015
- Règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014 - examen du rapport
- Union des marchés de capitaux - Examen du rapport et du texte de la commission
- Désignation de rapporteurs
- Questions diverses
- Audition de Mme Valérie Plagnol, préalable à sa nomination au Haut conseil des finances publiques par le Président du Sénat
Mardi 21 juillet 2015
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 08.
Règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014 - examen du rapport
Mme Michèle André, présidente. - Nous devons nous prononcer en deuxième lecture sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il est identique à celui que notre assemblée avait rejeté le 15 juillet. En effet, l'Assemblée nationale a adopté jeudi dernier le même texte qu'en première lecture ; il correspond d'ailleurs au projet initial du gouvernement.
Le projet de loi de règlement ne constitue pas seulement une photographie de l'exécution budgétaire et comptable de l'année passée. Il reflète la politique budgétaire du Gouvernement dont la majorité sénatoriale conteste profondément les principes pour les raisons que nous avons déjà exposées.
Le déficit de l'État vient de repartir à la hausse, comme vient de le redire la Cour des comptes, et la dette publique continue d'augmenter : elle est au-delà des 2 000 milliards d'euros et approche les 100 % du PIB. Le ralentissement des dépenses affiché par l'exécutif repose sur des économies de constatation ou des réductions forfaitaires de crédits, non sur des réformes pérennes. Pour stabiliser la dette, il aurait fallu que le déficit effectif s'élève à 0,6 % du PIB en 2014.
Dans le budget de l'État, l'apparente réduction des dépenses sur la norme zéro valeur cache d'importantes débudgétisations principalement reportées sur le programme d'investissements d'avenir, pour les crédits militaires, par exemple. Quant aux recettes, l'optimisme excessif du Gouvernement a été confirmé par la moins-value de près de 10 milliards d'euros réalisée en 2014 sur les rentrées fiscales de l'État. Enfin, les reports de charges accrus laissent craindre des difficultés budgétaires pour les années à venir. La reprise de la hausse des dépenses de personnel est d'autant plus préoccupante que le Gouvernement prévoit de créer plus de 8 000 postes l'an prochain, tant pour combler les besoins militaires - et nous l'approuvons - que ceux d'autres ministères.
Ces différents éléments me conduisent à préconiser que le Sénat n'adopte pas l'ensemble du projet de loi de règlement. Par conséquent, je vous propose de ne pas adopter les différents articles du projet de loi.
Mme Marie-France Beaufils. - Ce n'est pas tout à fait pour les mêmes raisons que nous ne voterons pas la loi de règlement. La chute des recettes nous inquiète beaucoup. Le moindre rendement de l'impôt sur les sociétés résulte d'un choix, mais la réduction de la participation des entreprises à l'équilibre ne contribue pas au redressement des comptes publics. Nous avions voté contre la loi au moment de son élaboration. Il faut aller au-delà de la photographie : les choix qu'elle exprime n'ont pas été les bons.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2014. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.
Union des marchés de capitaux - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Richard Yung et Jean-Paul Emorine sont à l'initiative de la proposition de résolution européenne sur l'union des marchés de capitaux.
Dans le cadre du projet politique de la nouvelle Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker, la mise en oeuvre de l'union des marchés de capitaux a été confiée au commissaire Jonathan Hill, que nous avons reçu le 20 mai. Lorsqu'il est venu devant notre commission, le 11 mars dernier, le directeur général du Trésor, Bruno Bézard, a défini cette union comme « une initiative européenne très positive au contenu encore flou... ».
La Commission européenne estime que des progrès peuvent être accomplis pour dynamiser le rôle des marchés d'actions et d'obligations au service du financement de l'économie. À ce titre, elle entend faciliter la circulation des capitaux dans l'Union européenne et offrir un plus grand choix d'investissements aux épargnants européens. Elle veut lutter contre la fragmentation des marchés, c'est-à-dire contre l'organisation sur une base essentiellement nationale du financement des économies. En soi, ce projet ne peut que recevoir notre approbation, puisqu'il contribue à mobiliser plus de financements pour les entreprises, pour les collectivités publiques ainsi que pour les infrastructures, et ce à un coût moindre. Néanmoins, comme je le disais, le contenu reste flou.
La Commission européenne a publié un livre vert en février 2015, pour lancer une phase de consultation qui vient de se terminer. Elle sera suivie, d'ici la fin de l'année, d'un plan d'action : nous connaîtrons alors les propositions concrètes de la Commission européenne.
Je regrette que l'analyse économique qui sous-tend le projet d'union des marchés de capitaux soit assez pauvre. La Commission européenne souligne par exemple que le faible développement des marchés de capitaux fragilise nos économies en cas de resserrement du crédit bancaire, sans voir que durant la crise, les marchés de capitaux ont, eux aussi, connu un recul substantiel. De manière générale, elle constate plus qu'elle n'analyse les raisons de la fragmentation des marchés. Le livre vert se contente d'indiquer que « l'intégration et le développement des marchés de capitaux de l'Union européenne se heurtent à différents obstacles découlant de facteurs historiques, culturels, économiques et juridiques, dont certains sont profondément ancrés et difficiles à surmonter ». Il s'agit par exemple « de la préférence historique des entreprises pour certains modes de financement, des caractéristiques des régimes de retraite, de l'imposition de règles prudentielles et d'obstacles administratifs, de certains aspects de la gouvernance des entreprises et du droit des sociétés, de lacunes en matière de données, de caractéristiques de nombreux systèmes fiscaux et du manque d'efficience des structures de marché ». Vous en conviendrez, un tel catalogue de « portes ouvertes » n'est guère éclairant.
En réalité, l'union des marchés de capitaux, qui se veut le pendant de l'union bancaire, est surtout une vitrine politique pour les différentes mesures que la Commission européenne envisage de proposer en matière de financement de l'économie, sans qu'elles forment un tout cohérent. Le commissaire Hill a d'ailleurs déclaré devant nous : « l'union des marchés de capitaux est un projet de long terme. Ce sera le cumul de plusieurs mesures concrètes ». Les deux pistes les plus clairement identifiées sont la relance de la titrisation et la modification de la directive Prospectus.
La titrisation, qui consiste à vendre sur les marchés obligataires des parts de prêts bancaires est une technique financière qui a été abondamment utilisée pour les subprimes. La saturation des bilans bancaires ainsi que les nouvelles normes comme Bâle 3, réduisent les financements disponibles pour les entreprises, notamment les PME. Telles sont les raisons pour lesquelles la Commission européenne, en accord avec la Banque centrale européenne et les régulateurs bancaires, entend relancer la titrisation. Le livre vert de la Commission européenne estime que « si le niveau des titrisations de prêts aux PME pouvait regagner - en toute sécurité - ne serait-ce que la moitié du terrain perdu par rapport à 2007, cela pourrait représenter quelque 20 milliards d'euros de financement supplémentaire ». Bien entendu, il conviendrait de mettre en place des garde-fous pour éviter la dispersion des prêts les plus risqués, comme cela s'est produit aux États-Unis.
La seconde piste identifiée consiste à modifier la directive Prospectus, qui oblige les entreprises à mettre à disposition des investisseurs une documentation financière accompagnant toute émission d'actions ou d'obligations, ce qui est particulièrement coûteux pour des entreprises de taille intermédiaire et franchement dissuasif pour des petites entreprises. La Commission européenne envisage des règles plus simples et une documentation allégée pour que les PME et les ETI - en réalité surtout les ETI - accèdent plus facilement aux marchés et ne dépendent pas exclusivement de financements bancaires.
Pour le reste, il faudra attendre le plan d'action de la Commission européenne. Lorsque nous avions reçu le commissaire Hill, notre commission des finances avait insisté sur la nécessité de prendre en compte les nouveaux modes de financement (financement participatif, opérateurs alternatifs). Ils connaissent en effet une forte croissance et la mise en place d'une réglementation européenne serait la bienvenue. Vous l'aurez compris, l'essentiel du travail de réflexion et de législation est encore devant nous.
Soyons vigilants sur le maintien des réformes Barnier. Le commissaire Hill nous a assurés que ces réformes avaient renforcé la stabilité financière, tout en ajoutant que « nous avions peut-être également créé sans le vouloir des difficultés pour l'économie ». De nombreux lobbys financiers n'attendent qu'une chose : que la nouvelle Commission détricote les réformes votées lors de la précédente mandature. Si les règles relatives à la titrisation méritent d'être recalibrées, il n'est pas question pour autant que l'union des marchés de capitaux devienne le prétexte d'une nouvelle phase de dérégulation. Les mauvaises habitudes reviennent vite...
Il faudra également favoriser le développement de la place financière de Paris. Bruno Bézard avait insisté sur la défense de nos intérêts industriels. L'industrie financière représente plusieurs milliers d'emplois qualifiés à Paris. Il importe que les entreprises qui se financent en euros puissent s'appuyer sur des centres financiers solides situés dans la zone euro. Nous devrons garder cela à l'esprit lors des prochaines négociations.
Le texte qui nous est soumis reprend les différents points que je viens de présenter. Pour des raisons de lisibilité et afin de rendre le message plus direct et sans changer le fond, j'ai déposé un seul amendement qui en propose une nouvelle rédaction.
Par ailleurs, je n'ai pas modifié, hormis sur un point rédactionnel, la partie sur la réforme structurelle des banques. La commission des affaires européennes a souhaité rappeler son inquiétude quant au projet européen de séparation des banques qui pourrait d'abord et avant tout affecter nos grandes banques françaises. En effet, les banques britanniques bénéficieraient d'une exemption du fait d'une loi nationale jugée équivalente à la proposition européenne et les banques allemandes seraient trop petites pour rentrer dans le champ d'application. Or l'on aura besoin des acteurs bancaires pour assurer le fonctionnement de l'union des marchés de capitaux.
Je vous propose également de ne pas entrer autant dans le détail sur plusieurs points que la PPRE initiale. En effet, certaines préoccupations essentielles, tels que le régime des chambres de compensation ou l'évolution du rôle l'Autorité européenne des marchés financiers, méritent un travail plus approfondi, de sorte que je souhaite remettre l'ouvrage sur le métier, conjointement avec la commission des affaires européennes, si elle le souhaite.
À ce stade, l'essentiel du travail reste devant pour créer cette union des marchés de capitaux, qui est une excellente initiative en soi, mais pour laquelle la Commission européenne en est plus au stade de la réflexion que la législation.
M. André Gattolin. - Il faut nous montrer prudents sur ce projet, dont l'auteur n'est pas complètement neutre. La procédure de consultation publique que la Commission européenne a lancée en ligne n'est pas représentative. L'essentiel des quelque 400 réponses émane de sociétés bancaires britanniques ou de leurs filiales belges, voire de hedge funds ; 87 % des répondants viennent du secteur financier. Dans le cadre de ses consultations, et même si elles sont ouvertes à tous, la Commission européenne a tout de même une tendance à appeler des contributions particulières des acteurs du secteur concerné. Les parlements et les institutions publiques ne participent pratiquement pas. Il faudrait que nous menions une veille en amont pour faire valoir notre point de vue. Comme son prédécesseur, le commissaire européen en charge de ces questions institutionnelles en convient : il est attentif aux remarques des parlementaires... quand il en a. Les réponses recueillies sur la base des livres verts ne sont représentatives ni de la population européenne, ni de l'ensemble des marchés, car certains pays sont sous-représentés par rapport à d'autres : la France et l'Allemagne, par exemple, participent peu. Comme le dit un proverbe zen, « À ne poser que des questions, on n'obtient que des réponses ».
M. Éric Bocquet. - L'idée de la Commission européenne est de diversifier les canaux de financement de l'économie. Depuis le mois de mars, la Banque centrale européenne a fait le choix de l'assouplissement quantitatif, en injectant tous les mois 60 milliards d'euros dans les circuits financiers européens, pour stimuler l'économie. On n'en perçoit pas encore les effets : si les banques perçoivent bien cet argent, la demande de la part des entreprises ou des particuliers n'est pas encore au rendez-vous. La règlementation instaurée après la crise de 2008 est loin d'être suffisante, même si certains la trouvent trop sévère et y voient un frein pour la reprise économique. Certains économistes prédisent au contraire une nouvelle bulle financière liée à l'injection massive de capitaux. Il ne faudrait pas que l'union des marchés de capitaux provoque un effet de domino, en cas de crise en Europe. Très réservés sur cette proposition de résolution européenne, nous nous abstiendrons.
M. François Marc. - En tant que membre de la commission des affaires européennes, je suis favorable à la rédaction proposée, qui me paraît tout à fait pertinente. On nous a dit récemment que ce qui nous menaçait, ce n'était pas l'excès d'Europe, mais son insuffisance. Le rapporteur général met l'accent sur la sécurisation de cette l'amélioration des circuits de financement, sous l'égide d'un renforcement de l'Autorité européenne des marchés financiers, ainsi que sur la concurrence équitable au sein de l'Europe. Le travail reste à faire pour arriver à un dispositif équitable tant pour les places financières que pour les modalités de fonctionnement du marché des capitaux. J'espère qu'il aboutira.
M. Vincent Eblé. - Je partage l'avis favorable de mon collègue. L'émergence de canaux de financement innovants ne peut qu'intéresser les collectivités territoriales, qui tendent de plus en plus à aller chercher sur les marchés de capitaux les financements nécessaires à leurs investissements. Elles obtiennent ainsi des financements à des taux plus faibles. Je l'ai moi-même expérimenté avec succès lorsque j'étais président de mon département.
On voit tous les jours éclore dans les territoires de nouvelles initiatives conduites par des appels à des financements participatifs. Même si le système bancaire continue à jouer un rôle majeur par son offre de crédit aux investisseurs privés et publics, je suis heureux que cette proposition de résolution européenne entende favoriser la diversification des modes de financement. Une régulation par la concurrence, dans cette matière, ne serait pas mauvaise pour la croissance et l'économie européenne.
M. Philippe Dallier. - Le groupe des Républicains votera en faveur de ce texte légèrement amendé par le rapporteur général.
Le Président de la République a appelé ce week-end à la création d'un gouvernement et d'un parlement de la zone euro. On pourrait s'interroger sur les compétences à donner à ce parlement comme sur le développement d'un fédéralisme plus poussé, auquel nous ne sommes certainement pas tous favorables. Il est néanmoins indispensable d'harmoniser notre système pour que tous jouent avec les mêmes cartes. Par conséquent, ce travail de réflexion est bienvenu.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il est vrai que, comme l'a souligné André Gattolin, les banquiers anglo-saxons sont davantage représentés dans la consultation, que l'agriculteur d'Eure et Loir ou le fabricant d'aligot d'Auvergne...
Nous ne sommes sans doute pas assez présents. Le Sénat pourrait renforcer sa présence dans ce type de consultation, y compris en relayant la contribution des groupes politiques.
Sans être opposés au projet d'un marché de capitaux européen, nous tenons à défendre les intérêts de la place financière de Paris et ceux des banques françaises. Vous l'avez dit, il est nécessaire de mettre en place certains garde-fous, par exemple pour éviter le retour de certains excès dus à la titrisation. Évitons de tout déréguler, car le naturel revient vite au galop. D'où l'amendement pour organiser le texte autour de trois thèmes : le projet d'union des marchés de capitaux, la titrisation et la directive Prospectus, et la réforme structurelle des banques.
Mme Michèle André, présidente. - Il est utile de travailler en équipe avec la commission des affaires européennes et d'unir nos forces dès le début.
L'amendement n° FINC-1 est adopté. En conséquence, la proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Désignation de rapporteurs
La commission désigne François Marc en qualité de rapporteur pour le projet de loi n° 552 (2014-2015) autorisant l'approbation de la décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l'Union européenne.
La commission désigne Éric Doligé en qualité de rapporteur pour le projet de loi n° 418 (2014-2015) autorisant la ratification de l'accord entre la République française et l'Union européenne visant à l'application, en ce qui concerne la collectivité de Saint-Barthélemy, de la législation de l'Union sur la fiscalité de l'épargne et la coopération administrative dans le domaine de la fiscalité.
Questions diverses
M. Vincent Delahaye. - Il serait utile que nous travaillions davantage sur l'analyse de l'évolution de la dette. Certains points restent obscurs : par exemple, en quoi les nouvelles émissions pour rembourser l'emprunt font-elles augmenter la dette ? Comment pourrions-nous éclairer ce genre de mécanismes ?
Mme Michèle André, présidente. - En la matière, notre rapporteur spécial est Serge Dassault. Le rapporteur général peut également intervenir à tout moment pour nous faire bénéficier de sa compétence.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avons parlé de l'évolution de la dette lors de l'audition du directeur général de l'Agence France Trésor, mais aussi pendant la discussion de la loi de règlement, et au sujet de la crise grecque et des risques qu'elle représentait pour les taux souverains. Notre niveau d'endettement a dépassé les 2 000 milliards d'euros et a connu une augmentation sans précédent au premier trimestre. Sans doute est-ce lié à la saisonnalité et au fait qu'il y a plus d'émissions en début d'année qu'en fin d'année. Nous pourrions programmer à la rentrée une audition spécialement consacrée à la dette. Je peux également vous faire parvenir une note sur ce sujet, dont on verra toute l'importance lors de la discussion du budget. Vu les stocks, la moindre évolution des taux d'intérêt a un effet sur la dette.
M. Philippe Dallier. - On connaît la courbe de l'impact des cent points de base par rapport à la maturité de la dette actuelle. En séance, le ministre nous a dit qu'il avait anticipé une éventuelle hausse des taux sur la base d'hypothèses précises. Sans doute faudrait-il superposer les deux pour mesurer le risque à trois ans. Cela éclairerait tout le monde sur les conséquences d'un dérapage par rapport au plan pluriannuel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On s'approche malheureusement des 100 % du PIB. On devra nécessairement insister sur la question de l'endettement dans la discussion du projet de loi de finances, et voir dans quelle mesure nous nous écartons du plan pluriannuel.
Audition de Mme Valérie Plagnol, préalable à sa nomination au Haut conseil des finances publiques par le Président du Sénat
Mme Michèle André, présidente. - L'article 11 de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques de décembre 2012 dispose que le Haut Conseil des finances publiques comprend « quatre membres nommés, respectivement, par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, les présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat en raison de leurs compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques ». Il est également prévu que « ces membres sont nommés après audition conjointe de la commission des finances et de la commission des affaires sociales de l'assemblée concernée ».
Aussi sommes-nous appelés à entendre Valérie Plagnol, économiste et consultante indépendante, désignée par le président Gérard Larcher afin de succéder à Michel Aglietta, dont le mandat prend fin cette année. Conformément au principe de parité qui guide les nominations au Haut Conseil, une femme vient succéder à un homme. Mme Plagnol effectuera un mandat de cinq ans.
À travers l'audition de ce jour, les membres des commissions des affaires sociales et des finances de notre assemblée s'assurent que la candidate retenue par le président du Sénat répond bien aux exigences de la loi organique et dispose des compétences requises dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques, même si nous ne saurions en douter. Par conséquent, après un court propos liminaire de Mme Plagnol, j'inviterai les rapporteurs généraux ainsi que les autres membres de nos deux commissions à lui poser les questions qu'ils jugent utiles.
En présentant les éléments de votre parcours personnel et professionnel qui concourent à vous qualifier pour l'exercice de la fonction de membre du Haut Conseil, vous apporterez, Madame, toutes les précisions que vous jugerez utiles pour éclairer l'avis des commissaires des finances et des affaires sociales.
Mme Valérie Plagnol. - Diplômée de Sciences Po Paris, j'ai ensuite effectué un cycle postgraduate à l'université de Keio à Tokyo, me spécialisant dans les prévisions macroéconomiques globales et la construction de modèles de croissance potentielle. J'ai ainsi pu étudier l'évolution du modèle japonais de développement économique.
J'ai ensuite passé la plus grande partie de ma carrière en tant qu'économiste au sein de banques d'investissement françaises et internationales, spécialisée dans les politiques monétaires des banques centrales, et notamment les prévisions de taux d'intérêt et de taux de change. J'ai étudié la construction de la monnaie unique et les enjeux de l'approfondissement de la zone euro. Il apparaît clairement, au vu de ce parcours, que mes spécialités géographiques sont l'Europe, l'Asie et les États-Unis.
En tant que membre du Conseil d'analyse économique, j'ai participé aux travaux de cet organisme sur le logement et l'impact de la croissance chinoise sur nos économies ; j'ai également suivi des projets dans le cadre de la mise en oeuvre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP).
Je préside la Société d'économie politique, une association savante fondée en 1842 et dédiée aux échanges et aux commentaires sur les questions économiques du moment. Je suis également administratrice du groupe d'assurances mutuelles Le Conservateur Finance ; en tant qu'économiste consultante, j'émets des recommandations sur les allocations d'actifs.
Je suis libre de toute affiliation professionnelle directe, ayant quitté la banque privée du Crédit Suisse l'année dernière. Enfin, spécialisée en économie des entreprises et en macroéconomie comportementale, je suis le cursus Executive MBA d'HEC.
J'ai étudié de près le modèle japonais de développement économique, fondé sur le commerce inter-industriel qui, au Japon, se caractérise par une faible ouverture au profit d'une très forte spécialisation verticale de filière décidée en amont. Initialement développé dans l'industrie lourde, ce modèle s'est ensuite étendu aux industries de consommation, avec une forte mobilisation de l'épargne domestique et sous l'autorité d'un ministère de l'industrie et du commerce extérieur puissant, qui ne dispose pas de participations directes mais agit par une pression indicative à travers la réglementation.
Ce modèle, suivi par d'autres pays asiatiques comme la Corée du Sud, Taïwan et la Chine, a été bousculé par l'éclatement de la bulle financière et immobilière dans les années 1990, l'accélération du vieillissement de la population et la montée en puissance de la Chine. L'économie japonaise se caractérise désormais par une faible croissance, des taux d'intérêt nominalement bas et une explosion de la dette publique, accompagnée d'un interventionnisme élevé de la banque centrale.
J'ai analysé les évolutions de l'épargne et de l'investissement au Japon, et l'impact de l'éclatement des bulles financière et immobilière. Plus l'endettement est important, plus, naturellement, la crise est spectaculaire. Je développe en la matière une approche historique.
Il faut également prendre en compte les bouleversements liés à l'émergence de l'économie numérique. Ma spécialisation actuelle porte ainsi sur la recherche d'une détermination plus précise de la croissance potentielle et de ses développements autour du modèle économique dit de « Silicon Valley », caractérisé par une décentralisation importante, un facteur risque élevé, un rôle plus réduit de l'État au profit d'autres vecteurs de mobilisation de l'épargne.
Au sein du Conseil d'analyse économique, je me suis intéressée à l'économie française et en particulier au déséquilibre entre l'offre et la demande solvable de logement, auquel Jacques Mistral et moi-même avons consacré un rapport.
Enfin, en tant qu'économiste de marché, je me suis attachée à étudier la question du coût de la dette sur le refinancement de l'économie. Les fonctions que j'ai pu occuper dans les banques d'investissement m'ont amenée à être présente auprès de l'Agence France Trésor (AFT) en qualité de spécialiste en valeurs du Trésor (SVT) ; aussi étais-je en position de formuler des avis sur la gestion de la dette publique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La question de la croissance potentielle a souvent été débattue ici. Cette notion conserve-t-elle un sens à vos yeux, alors que le Gouvernement révise régulièrement ses hypothèses ?
En tant qu'économiste, pensez-vous conserver l'indépendance de votre réflexion au sein du Haut Conseil, dont les avis sont collégiaux et les décisions solidaires ? Enfin, quelles seraient vos recommandations pour améliorer le Haut Conseil ? Doit-il émettre des préconisations en matière économique et fiscale et faut-il aller plus loin dans ses capacités à développer des analyses indépendantes ?
Mme Valérie Plagnol. - Il est vrai que le débat sur la croissance potentielle est vif et difficile à trancher. La question sous-jacente est celle de la productivité, dont la mesure est particulièrement complexe : l'un des facteurs de croissance est l'innovation, qu'il est difficile, voire impossible d'évaluer autrement qu'a posteriori. Cependant, cela reste à mes yeux une exigence déterminante au regard des bouleversements que nous connaissons. Il est nécessaire de s'attacher à discerner, même de manière imparfaite, ce potentiel qui nous sert de guide à moyen terme.
J'ai également pu constater que le Haut Conseil assurait un suivi des estimations et hypothèses du Gouvernement dans sa programmation annuelle et que ses avis sur les objectifs de croissance ont contribué à corriger quelque peu le biais optimiste de ces évaluations.
Ces deux données - la croissance potentielle à moyen terme et l'estimation à court terme - sont complémentaires pour déterminer le chemin de croissance, qui est essentiel. Même dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, on ne peut s'abstraire du cadre annuel et conjoncturel.
Pour ce qui concerne l'indépendance, il me semble qu'il n'y a pas de contradiction entre l'expression individuelle et la volonté du Haut Conseil d'émettre un avis collégial débattu en amont. Je ne peux qu'imaginer que les débats sont assez exhaustifs pour conduire à un consensus auquel chacun des membres adhère. La solidarité n'est par conséquent pas un problème à mes yeux.
Quant à son fonctionnement, je ne puis qu'observer, de mon point de vue extérieur, que certains de ses homologues - le Haut Conseil a été constitué conformément à des accords européens - délivrent des prévisions économiques. Cette question mérite d'être discutée, mais, si vous voulez bien me pardonner cette réponse, je n'ai pas d'avis à exprimer.
L'utilité du Haut Conseil des finances publiques est capitale au regard des enjeux plus larges de politique économique. C'est une excellente instance de consultation pour le Gouvernement et le Parlement sur la croissance de moyen terme.
Mme Michèle André, présidente. - Nous avons beaucoup appris, lors d'un déplacement du bureau de la commission des finances, de nos échanges avec les homologues portugais et espagnol du Haut Conseil, dont le fonctionnement est différent.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Peut-être un rapprochement avec le Haut Conseil du financement de la protection sociale serait-il opportun, car la protection sociale est très dépendante des prévisions en matière de finances publiques. Les écarts de prévision d'évolution des salaires, en fonction des hypothèses retenues sur le taux de productivité, sont considérables et ont des conséquences sur les prévisions en matière de financement des retraites. Quel est votre avis sur ce point ?
L'évolution du système de santé est fortement dépendante des innovations technologiques ; or les industriels spécialisés dans les dispositifs médicaux rencontrent des difficultés de financement et ont le sentiment de ne pas être assez intégrés dans les perspectives de croissance comme dans la réflexion sur le financement du système de soins. Qu'en pensez-vous ?
Mme Valérie Plagnol. - Il m'est impossible de vous donner une réponse définitive sur le rapprochement des deux conseils. Néanmoins, des éléments d'échange et de coordination seraient nécessaires pour apporter une vue globale sur ces dépenses et leur impact sur la protection sociale.
La question des retraites est un problème global. Le remplacement des générations induit une dépression sur les salaires, les nouveaux entrants sur le marché du travail étant moins bien rémunérés : c'est l'effet de noria. À cela s'ajoutent des contraintes plus importantes sur l'épargne en raison de l'allongement de la durée de la retraite. Une réflexion importante est menée sur cette question.
Sur les redéploiements technologiques dans le système de santé, une contradiction est fréquemment mise en avant : reconnu dans le monde entier, notre secteur des biotechnologies demande des investissements importants et flexibles, car le taux d'échec y est très élevé. La problématique, au point de vue du financement, consiste à accepter le risque associé à des rendements importants, avec au total un retour appréciable sur le système de santé, dans la perspective du maintien de la qualité et de l'équité des soins.
M. Éric Bocquet. - En tant que membre d'un groupe parlementaire qui applique la parité, je n'ai aucun problème avec le remplacement d'un homme par une femme ; en revanche, un universitaire est remplacé par une personne issue de la banque privée... Déjà, l'ancien président de notre commission, Philippe Marini, avait désigné dans cette instance Mathilde Lemoine, qui exerce ses fonctions chez HSBC. Vous aussi êtes passée par cette banque. Quant à Marguerite Bérard-Andrieu, elle travaille au sein du groupe BPCE. N'y a-t-il pas une sur-représentation de la banque privée au sein du Haut Conseil des finances publiques ? Votre expérience dans la finance privée est-elle une garantie d'efficacité et de neutralité ?
M. François Marc. - Je salue l'arrivée de Valérie Plagnol tout en saluant aussi Michel Aglietta, avec lequel nous avions beaucoup travaillé. Je suis convaincu que vous possédez les compétences macroéconomiques nécessaires pour faire honneur à cette noble fonction.
À la lumière de votre expérience japonaise, dans quel état d'esprit aborderez-vous la question de notre dette ? La dette publique au Japon s'élève à plus de 250 % du PIB ; en France, certains s'inquiètent de son niveau actuel, qui est d'environ 96 %. Quels enseignements tirez-vous du cas japonais et quelles préconisations formulez-vous ?
M. Francis Delattre. - La banque centrale japonaise pratique depuis longtemps déjà le Quantitative Easing. Quels sont, selon vous, les résultats à attendre d'une telle politique en Europe ?
Vous avez évoqué la question du capital-risque. Dans notre pays, hélas, l'épargne est dirigée en priorité vers l'assurance-vie ou l'immobilier. Quelles sont vos recommandations pour une meilleure diffusion du capital-risque ? Nous ne manquons pas de start-up, mais celles-ci ont des difficultés à se financer.
Mme Valérie Plagnol. - Si j'ai effectué l'essentiel de mon parcours dans le secteur privé, j'ai également travaillé auprès de clientèles très variées, par exemple lors de mon passage au Crédit mutuel. Le caractère international de ce parcours m'a donné l'occasion de prendre en compte les questions économiques dans une perspective globale ; j'ai pu étudier un grand nombre de modèles économiques. Du reste, la partialité n'est pas absente de l'Université.
Il se trouve qu'au cours des dernières années, c'est le monde financier qui a le plus développé la fonction économique. Davantage qu'un choix idéologique ou théorique, c'est le fruit des circonstances et du développement de ces marchés.
Vous l'avez dit, la dette publique japonaise s'élève à 250 % du PIB. Bien que les économistes Reinhart et Rogoff aient identifié l'existence d'un seuil critique à 90 % du PIB, l'expérience montre qu'il n'y a pas de seuil absolu : le seuil d'endettement au-delà duquel la Grèce n'a plus réussi à se refinancer est très inférieur à l'endettement actuel de la France. La crédibilité du débiteur entre en ligne de compte. Le Japon est-il pour autant dans une situation confortable ? Je ne le crois pas. Jusqu'à présent, le pays a pu équilibrer cette dette par la quantité considérable d'actifs détenus à l'étranger. Cependant, le vieillissement accéléré de la population le prive de marge de manoeuvre. En 2030, le pays pourrait compter 80 millions d'habitants contre 120 millions d'habitant actuellement : c'est un cas sans précédent dans l'histoire de l'humanité, où le vieillissement entraîne une décrue de la population en dépit d'une augmentation de l'espérance de vie. La dynamique démographique française est beaucoup plus favorable.
La dette réduit les marges de manoeuvre de l'État, contraint de définir des priorités budgétaires. Le seuil à partir duquel elle devient intolérable est cependant difficile à déterminer a priori. Nous évoluons dans un contexte de forte croissance de la dette des États. La mobilisation de l'épargne privée en faveur de l'investissement dépendra de la capacité des épargnants à mobiliser leur épargne au-delà du paiement des impôts. Des politiques fiscales peuvent favoriser certains produits d'épargne : c'est le cas de l'assurance-vie. Elles peuvent contribuer à dégager une épargne supplémentaire pour les placements plus risqués. Cependant, le risque et la rémunération associée doivent s'équilibrer.
Mme Laurence Cohen. - Je mesure la richesse de votre parcours et j'ai entendu vos explications. Il n'y pas d'impartialité, dites-vous. Toutefois, l'importance croissante de la financiarisation ne risque-t-elle pas d'infléchir et d'orienter la décision politique ? Certains des établissements pour lesquels vous avez travaillé ont été mis en cause pour fraude fiscale. Précisément, quelles mesures préconisez-vous pour lutter plus efficacement contre la fraude fiscale et dégager des moyens de manière à une meilleure répartition de la richesse ?
Mme Valérie Plagnol. - La crise financière et le renforcement de la règlementation ont une incidence sur l'intermédiation financière, dont le fonctionnement sera bousculé par la transition technologique. Beaucoup a déjà été fait contre la lutte fiscale, même si cette question excède les compétences du Haut Conseil.
Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie, Madame, de vos réponses. Nous vous souhaitons bonne chance dans ces fonctions.
La réunion est levée à 10 h 28.