Mercredi 8 juillet 2015

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Commission d'enquête « Service public de l'éducation, repères républicains et difficultés des enseignants » - Présentation du rapport

La commission entend la présentation du rapport de la commission d'enquête « Service public de l'éducation, repères républicains et difficultés des enseignants », par M. Jacques Grosperrin, rapporteur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre ordre du jour appelle la présentation du rapport de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession par son rapporteur, Jacques Grosperrin, et sa présidente, Françoise Laborde, que je remercie de cette heureuse initiative. Elle est actuellement retenue par un petit déjeuner prévu de longue date du groupe d'amitié France-Irlande qu'elle préside et nous rejoindra très rapidement.

C'est la première fois qu'une commission d'enquête rend compte de ses travaux à ce que je qualifierais de « commission de rattachement », avant même leur présentation à la presse.

Il ne s'agit évidemment pas de refaire ici le débat que ceux d'entre vous qui appartenaient à la commission d'enquête ont eu lors de l'adoption du rapport. Il ne nous appartient pas davantage de donner une appréciation de ses conclusions ni d'autoriser la publication de son rapport.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Le 1er juillet, la commission d'enquête m'a fait l'honneur d'adopter mon rapport. L'embargo de six jours prévu par l'instruction générale du Bureau étant expiré, j'ai maintenant la possibilité, et le plaisir, de vous présenter nos conclusions.

L'idée de cette présentation à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication revient à Mme Laborde, et je l'ai trouvée d'autant mieux fondée qu'à la fin de nos travaux, nous recommandons que le Parlement soit mieux associé aux décisions stratégiques intéressant l'enseignement, notamment par un débat qui serait organisé sous l'autorité de votre commission.

Dans l'avant-propos de mon rapport, j'ai résumé les deux maîtres mots qui m'ont guidé tout au long de ce travail :

- sortir du déni, face à un ensemble de problèmes et de difficultés connus depuis longtemps, mais face auxquels les pouvoirs publics n'ont pas vraiment réagi ;

- libérer la parole, à commencer par celle des personnels de l'éducation nationale qui vivent ces difficultés au quotidien.

Nous avons fait un travail en profondeur, sans exclusive ni esprit partisan.

Dès le départ, plusieurs membres de la commission d'enquête avaient rejeté par principe cette formule, mais cela n'a pas empêché d'avancer les uns et les autres pour, au bout du compte, parvenir à trois constats que mettent clairement en évidence nos auditions, nos visites et le témoignage vécu de la quasi-totalité des personnes entendues.

Premier constat : les incidents de janvier 2015 ont été un nouveau révélateur. Il y a eu des incidents dans de nombreuses écoles lors de la « minute de silence » en janvier, mais les services de l'éducation nationale ont été incapables d'en quantifier le nombre. Le ministère a parlé d'environ 200 incidents. Nos décomptes ont abouti à plus du double, mais sont eux-mêmes sans doute fortement sous-évalués, car une proportion significative d'incidents ne remontent pas. La ministre, lors de son audition du 2 juin, a quant à elle fait part de 816 signalements, mais il s'agit des faits de radicalisation qu'il ne faut pas confondre avec les incidents dont on parle.

Bref, une chose est certaine : cette hésitation sur les chiffres met en évidence la faiblesse de l'appareil statistique du ministère de l'éducation nationale, alors que cette question devrait faire l'objet d'une attention renforcée. C'est d'ailleurs l'objet d'une des propositions du rapport.

Avec le recul, la minute de silence partait sans doute d'une bonne intention, mais elle a souffert d'une totale impréparation. Ce genre d'exercice n'était pas approprié pour traiter de la question : comme l'a dit un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas ! Dans tous les cas, la minute de silence aurait dû être précédée « d'une heure de parole », pour reprendre l'expression de Mme Laborde.

Mais l'essentiel est ailleurs : car si les incidents de janvier n'ont pas affecté de manière grave le service public de l'éducation, ils ont révélé un état d'esprit, et même un malaise profond que le rapport de M. Jean-Pierre Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué.

Deuxième constat : le délitement du sentiment d'appartenance. Le malaise de l'école est en bonne part lié au délitement du sentiment d'adhésion de beaucoup de jeunes à des valeurs qu'ils ne connaissent pas bien ou - pour certains - qu'ils rejettent.

De quelles valeurs parle-t-on ? Pour faire simple, j'ai gardé l'expression de « valeurs républicaines » mais il serait plus judicieux de parler des « valeurs de l'école républicaine », sur lesquelles devraient s'accorder tous les membres de la communauté éducative. Elles incluent la laïcité et la neutralité des enseignements, l'égalité de tous sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance, une stricte égalité entre les filles et les garçons, la conviction que l'émancipation de chacun passe par le savoir plutôt que par les dogmes, le respect mutuel entre tous les membres de la communauté éducative, ainsi que le crédit attaché à la parole de l'enseignant. Cette liste n'est bien sûr pas figée, et ces valeurs se déclinent au quotidien à tous les instants de la vie scolaire. La laïcité reste la première de ces valeurs, car c'est par la laïcité que l'école parvient à assurer le vivre ensemble, sans distinction d'origine ou de confession religieuse, et la neutralité des enseignements.

Nos travaux ont aussi montré, chez certains jeunes, une difficulté à se reconnaître membre à part entière de la communauté nationale, au profit d'autres repères identitaires comme le quartier, le « groupe ethnique », la « communauté religieuse », la « nationalité des parents », etc... Le problème est que ces groupes ont leurs propres lois, leurs codes, leurs repères, leur croyances, ce qui place les élèves en porte-à-faux. Mais en tout état de cause, je considère que ces « valeurs particulières » ne doivent pas prendre le pas sur celles de la République, car la République est la seule à garantir à tous l'égalité devant ses lois, sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance.

Méconnaissance des valeurs de la République, voire rejet de ces valeurs : pourquoi ? Parce que, d'avis presque unanime, le mode actuel de transmission de nos valeurs nationales par l'école laisse fortement à désirer... Les enseignants sont les premiers à le déplorer et ont un besoin de soutien dans cette mission essentielle. Mais gardons bien à l'esprit que l'école n'est pas responsable de tout, et ne peut pas tout.

Il est évident que la précarité économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l'adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l'école. Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social. Aujourd'hui, la parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, envahissement du « bruit numérique », travail de sape des théories du complot...

Certes, le temps des fameux « hussards noirs de la République » est derrière nous, mais leur mission de transmission des valeurs demeure pleinement légitime. Si elle veut contrer les dérives et restaurer les canaux de transmission du sentiment d'appartenance, l'école doit redonner à ses enseignants confiance en eux-mêmes ; c'est la première des priorités pour qu'à leur tour, les professeurs soient à nouveau en mesure de transmettre des valeurs qui soient perçues, non pas comme des contraintes imposées, mais comme des facteurs d'émancipation et de libre-arbitre.

Troisième constat : la « perte des repères » résulte d'un certain nombre de fragilités structurelles. Nos travaux ont mis en évidence un certain nombre de fragilités structurelles largement détaillées dans mon rapport écrit, et auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses. Sans les énumérer toutes, je crois indispensable de pointer celle qui me paraît la plus grave : aujourd'hui, nombre d'élèves ne maîtrisent pas le socle commun requis à leur niveau, en particulier en ce qui concerne le français. Ce problème a été soulevé par de très nombreux enseignants lors des auditions, et il apparaît clairement dans les grandes enquêtes internationales sur les résultats de notre système d'enseignement.

Pour y remédier, la commission d'enquête suggère de travailler dans deux directions, vers les élèves d'un côté, vers les enseignants de l'autre. Concernant les élèves, trop de jeunes arrivent en 6ème sans maîtriser les français : comment, dans ces conditions, leur faire passer utilement le message des valeurs, dans une langue qu'ils ne comprennent même pas ? C'est pourquoi une de nos propositions fortes consiste en un investissement massif sur l'apprentissage du français au primaire et au collège, et ceci dès la maternelle. Dans mon esprit, une maîtrise suffisante du français en fin de CM2 doit devenir une condition pour l'accès en 6ème.

Concernant les enseignants et l'institution scolaire, la priorité la plus flagrante est de revoir la formation, car les professeurs ne sont pas correctement préparés à transmettre les valeurs : formation initiale inappropriée, et formation continue en totale déshérence. Par ailleurs, il faut permettre à l'école républicaine de pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu'elle est en charge de transmettre, notamment en favorisant certains « rites républicains ».

Loin de moi l'idée d'imposer une sorte de catéchisme laïc ! Il s'agit simplement de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l'émergence du sentiment d'adhésion. Je crois indispensable d'associer et de responsabiliser les parents à cet effort, car l'éducation ne s'arrête pas à la sortie de l'école, et les familles sont entièrement partie prenante de ce processus.

Vous noterez que nous ne proposons pas de réforme institutionnelle majeure : l'idée n'est pas de revenir sur la loi d'orientation du 8 juillet 2013 sur la refondation de l'école de la République, mais simplement de faire en sorte que cette loi s'applique mieux et qu'elle favorise une authentique transmission des valeurs de la République.

En revanche, il a semblé à beaucoup d'entre nous que le Parlement n'est pas assez associé à la définition des choix stratégiques qui organisent l'école et qui, comme tels, déterminent la formation des citoyens de demain. Certes, les assemblées votent des lois comme celle de juillet 2013, et chaque année, nous avons un débats sur les crédits de l'enseignement, mais est-ce suffisant ? Sur un thème aussi fondamental, nous avons jugé souhaitable que les représentants de la nation puissent débattre plus régulièrement et dans un cadre mieux adopté : c'est l'objet d'une de nos principales propositions.

Mes chers collègues, je ne veux pas allonger cette présentation. Vous trouverez la liste de nos propositions dans le document qui vous a été distribué, organisées en quatre axes prioritaires : favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté ; restaurer l'autorité des enseignants et mettre en place une vraie formation à la transmission des valeurs ; mettre l'accent sur la maîtrise du français et veiller à une meilleure concentration des élèves ; mieux responsabiliser tous les acteurs.

Dans mon rapport écrit, figure un certain nombre d'autres propositions et recommandations que je qualifie de « mesures d'accompagnement », comme par exemple encourager, là où c'est possible, l'accueil des enfants de moins de trois ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.

Telles sont les orientations générales du rapport de notre commission d'enquête. J'en retire au moins deux certitudes :

- la première est que nous avons dressé un constat général objectif qui, à mon avis, ne peut qu'être partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux ;

- la deuxième est que notre travail était attendu, et qu'il ne restera pas vain.

La défense de l'école républicaine et la promotion des valeurs de la République sont un combat de tous les instants. Votre commission de la culture et de l'éducation y est en première ligne, et en tant que rapporteur de la commission d'enquête, j'ai été fier d'y participer.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie pour cette présentation.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je m'interroge sur le format de cette présentation, notamment l'absence de débat sur les propositions que vient de nous présenter le rapporteur.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je trouve également surprenant que nous ne puissions avoir un échange sur ces propositions, à mon sens graves et dangereuses.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, je vous rappelle que la commission d'enquête n'est pas - à la différence d'un groupe d'études - rattachée à notre commission. Nombre d'entre vous ont participé aux travaux de la commission d'enquête et ont pu débattre de ces propositions au sein de celle-ci.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Pourquoi alors faire une communication devant nous ? Nous aurions pu nous contenter d'un dépliant. À partir du moment où celle-ci a lieu, il faut que nous puissions nous exprimer sur la question.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'ordre du jour de notre réunion est très chargé. Nous devons examiner le rapport sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et entendre les conclusions de la mission d'information sur la Hadopi. J'invite néanmoins ceux qui le souhaitent à s'exprimer brièvement sur la communication du rapporteur de la commission d'enquête. Par ailleurs, nous pourrions demander à la Conférence des présidents l'organisation d'un débat en séance plénière sur ses conclusions, à la rentrée.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit au sein de la commission d'enquête ; la présidente a tout à fait raison, il ne s'agit pas de raviver ce débat.

Le rapporteur nous fait part de fragilités que nous connaissons déjà et qui pour beaucoup trouvent leur origine dans les politiques éducatives qui ont été menées ces dix dernières années. C'est le cas notamment de la formation des enseignants, de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, des moyens de remplacement ou encore de la baisse des heures d'enseignement dans le primaire du fait du passage à la semaine de quatre jours. Je rappellerai d'ailleurs que ce n'est pas la gauche qui a étouffé le rapport de Jean-Pierre Obin.

Qui, ici, peut soutenir que certaines des propositions que vous faites ne sont pas des provocations ? C'est le cas notamment de la création d'établissements pour élèves perturbateurs, assurément un moyen de ségrégation sociale, ou encore le retour de la loi Ciotti, qui avait fait la preuve de son inefficacité et qui avait été abrogée par la précédente majorité sénatoriale. Vous nous proposez un triptyque pour nous inacceptable : la répression, la sanction et la coercition.

De plus, le ministère a déjà pris de nombreuses mesures, qui vont pour beaucoup dans le sens de celles que vous prônez, mais qui ne peuvent donner leur plein effet en quelques mois. Vos autres propositions ne nous conviennent absolument pas.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - La commission d'enquête aurait gagné à s'interroger sur le bien-fondé de l'organisation de la minute de silence et de ses modalités. Vous avez dénombré plus de quatre cents incidents : il y a soixante-quatre mille établissements, ne dramatisons pas ! Elle aurait également dû réfléchir sur les causes des phénomènes sur lesquels elle enquête : pourquoi une partie de la jeunesse est-elle en rupture de ban avec les institutions de la République, dont l'école? Comment l'école fait-elle vivre concrètement les valeurs de la République et comment la République traite-t-elle les élèves ?

Je ne partage pas du tout vos propositions. Il est étonnant de lire que vous proposez de restaurer la formation des enseignants, provenant d'une formation politique qui l'a supprimée.

Mme Corinne Bouchoux. - Si certaines de vos propositions ont un fort potentiel polémique, je suis rassurée de constater que sur vingt, dix au moins sont déjà mises en oeuvre ou ont déjà été annoncées. D'autres sont intéressantes mais impossibles à droit constant, telles que l'allocution hebdomadaire du chef d'établissement, qui peut fonctionner dans l'enseignement privé, mais ne correspond pas forcément « aux habitudes » de l'enseignement public.

Quel sens y a-t-il à imposer une minute de silence à des enfants sans leur en présenter les enjeux ? Tous les éducateurs - de droite comme de gauche - vous diront qu'il s'agit d'un exercice inadapté. Si je dois retenir une leçon de votre rapport, c'est que la minute de silence n'est pas appropriée et que l'institution scolaire doit viser à libérer la parole des élèves dans une optique éducative. Je rappelle que l'adhésion aux valeurs de la République ne se décrète pas, elle se vit.

M. Jean-Claude Carle. - Je salue le geste de courtoisie du rapporteur et de la présidente, qui ont tenu à ce que les conclusions de la commission d'enquête soient présentées devant nous aujourd'hui, avant la conférence de presse. Cela ne devrait pas se retourner contre eux.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - M. Magner, je rappelle que les réflexions que vous avez formulées sont incluses dans le rapport. Notre rapport conclut que la minute de silence n'est pas un exercice approprié dans le cadre scolaire et qu'à tout le moins il aurait dû être précédé « d'une heure de parole », pour reprendre l'expression de Mme Laborde. Pour ce qui est de libérer la parole, je considère que nos travaux ont permis de libérer celle des enseignants et des personnels de l'éducation nationale et de sortir du déni.

Mme Françoise Laborde, présidente de la commission d'enquête. - Je remercie la présidente de nous avoir permis de nous exprimer devant vous. Je souligne l'importance du travail qui a été accompli durant ces cinq mois. Au-delà du caractère polémique de certaines propositions, je vous invite à lire attentivement les deux tomes du rapport. Comme la présidente de la commission l'a évoqué, nous demanderons à la Conférence des présidents l'organisation d'un débat en séance plénière à la rentrée. Le rapport préconise également l'organisation d'un débat annuel sur les orientations stratégiques de la politique éducative, considérant qu'au regard de l'importance du budget de l'enseignement scolaire, le temps qui lui est consacré dans la discussion budgétaire est bien trop réduit.

- Présidence de M. Jean-Claude Carle, vice-président -

Deuxième dividende numérique et poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de Mme Catherine Morin-Desailly et élabore le texte de la commission sur la proposition de loi n° 544 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre.

EXAMEN DU RAPPORT

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a une apparence, celle d'un texte essentiellement technique destiné à accompagner une évolution technologique qui nécessite de mettre à disposition des opérateurs de téléphonie mobile davantage de fréquences pour répondre à l'accroissement de l'usage de l'Internet mobile et de regrouper les chaînes de télévision sur une partie plus restreinte du spectre grâce aux progrès réalisés dans la compression des données.

Mais, comme souvent, il convient de ne pas s'attarder uniquement sur les apparences pour rechercher la vérité des choses. Quelle est-elle cette vérité ?

Oui, les opérateurs de télécommunication auront besoin de fréquences nouvelles pour répondre à l'accroissement du trafic sur Internet... mais pas avant plusieurs années.

Oui, il est possible de regrouper les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) sur une partie plus restreinte du spectre mais outre le fait que toutes les chaînes, si elles passent à la haute définition, risquent d'être un peu à l'étroit sur six multiplex, des doutes existent sur la possibilité de développer la ultra haute définition (UHD) sur une zone de fréquences toujours plus réduite à l'avenir.

La modernisation de la diffusion audiovisuelle constitue un objectif auquel notre commission est attachée, voilà pourquoi on ne peut que regretter qu'une étape aussi importante pour son avenir que l'arrêt de la norme de compression MPEG-2 couplé à la généralisation du MPEG-4 et à une réorganisation des multiplex soit réalisée dans la précipitation, sans s'entourer de toutes les précautions tant en ce qui concerne le débat parlementaire que le calendrier de mise en oeuvre. Nous nous sommes à plusieurs reprises émus de ce problème sur lequel nous avons alerté, avec la commission de l'économie, le Gouvernement.

Pourquoi cette précipitation ? Alors qu'une très grande majorité de pays a décidé de ne procéder au transfert de la bande des 700 MHz aux opérateurs de télécommunication qu'entre 2018 et 2022 selon les recommandations du rapport de M. Pascal Lamy à la Commission européenne, que nous avons entendu la semaine dernière, la France est le seul parmi les pays qui recourent à la TNT par voie hertzienne pour une part significative de la réception télévisée à engager ce transfert dès 2016 en Île-de-France. L'Allemagne ne recourt que très marginalement à la TNT hertzienne qui plus est pour un nombre limité de chaînes, la situation entre les deux pays est donc différente.

La raison en est simple et tient essentiellement à des considérations budgétaires. Alors que de nombreuses études économiques démontrent que le prix des fréquences de la bande des 700 MHz devrait être plus élevé en 2020 lorsque les opérateurs en auront besoin, le Gouvernement français s'apprête à les céder en 2015 à un moindre prix afin de boucler le financement de la loi de programmation militaire.

On ne peut que regretter que la cession d'un actif public ne fasse pas l'objet d'une étude objective pour déterminer la date la plus opportune pour procéder à la vente. Mais, comme me l'a indiqué le président de la commission des participations et des transferts, que nous avons également entendu la semaine dernière, celle-ci n'est pas compétente pour se prononcer sur le meilleur moment pour vendre un actif mais seulement sur le fait de savoir ce qu'on peut en attendre à un moment donné. C'est pourquoi elle a préconisé un prix de réserve de 416 millions d'euros pour chacun des six lots qui seront mis aux enchères.

Le Gouvernement vend donc « un bijou de famille ». Et il le fait au plus vite en voulant absolument procéder aux enchères cette année. Voilà pourquoi la date de l'extinction du MPEG-2 a été fixée au 5 avril 2016 ainsi que le transfert de la bande des 700 MHz en Île-de-France. Tout report en 2017 ou au-delà aurait, certes, eu pour conséquence d'arranger les différents acteurs qu'il s'agisse des diffuseurs, des éditeurs de programmes ou des opérateurs de télécommunication, que nous avons également entendus, et qui auraient pu s'organiser de façon plus efficiente mais il aurait surtout eu pour effet de faire encore diminuer le prix des fréquences en introduisant un délai entre la date des enchères et la mise à disposition des fréquences. Il faut donc aller vite et les différents acteurs sont invités à presser le pas pour que tout soit prêt dans sept mois.

Or, comme l'ont reconnu les acteurs du monde de l'audiovisuel que j'ai auditionnés lors d'une table ronde le 30 juin dernier, le risque que des millions de Français se retrouvent avec un écran noir lors d'une des nombreuses étapes de cette transition ne peut plus être écarté car le travail de préparation n'a toujours pas commencé : il dépend, en particulier, du vote de cette proposition de loi.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), par exemple, a besoin de pouvoir disposer d'un certain nombre de nouveaux pouvoirs pour pouvoir engager la recomposition des multiplex. L'article 3 de la proposition de loi doit ainsi lui permettre de recomposer les chaînes de la TNT sur six multiplex au lieu de huit au moment de la généralisation du MPEG-4, le 5 avril 2016. L'article 4 supprime l'obligation pour les services de télévision en clair qui diffusaient en MPEG-2 avant 2007 de maintenir une diffusion au niveau standard. Sans le vote de cette proposition de loi, impossible donc d'arrêter la double diffusion standard et haute définition qui est très coûteuse pour les chaînes.

Le temps est donc compté d'ici au 5 avril 2016 et on peut déplorer que le Gouvernement n'ait pas présenté ce texte au Parlement l'année dernière s'il était si pressé d'engager le transfert de la bande des 700 MHz aux opérateurs de télécommunication. Le choix du recours à une proposition de loi doit également nous interroger puisqu'il fait peu de doute que celle-ci a été inspirée par le ministère de la culture et de la communication. Avec quels résultats ? L'absence d'avis du Conseil d'État et d'étude d'impact rendent incertaine la compréhension de certaines dispositions, qui n'ont fait l'objet que d'un examen sommaire à l'Assemblée nationale.

J'en veux pour preuve l'article 7 de la proposition de loi qui propose de supprimer cinq articles de la loi du 30 septembre 1986 au motif qu'ils seraient obsolètes, sans plus de précisions. Est-ce bien le cas ? L'article 96-2 de la loi de 1986, dont on nous propose la suppression, prévoit par exemple que « les éditeurs de services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique assurent la diffusion de leurs services par voie hertzienne terrestre en mode numérique auprès de 95 % de la population française selon des modalités et un calendrier établis par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ». Le même alinéa prévoit aussi que « le Conseil supérieur de l'audiovisuel a compétence pour assurer une couverture minimale de la population de chaque département par voie hertzienne terrestre en mode numérique ». En quoi ces deux dispositions seraient-elle obsolètes ? Ces suppressions « à la hussarde » n'ont-elles pas plutôt pour effet de fragiliser la couverture du territoire par la TNT ? Faute de véritable débat à l'Assemblée nationale, nous n'en savons rien.

Face à une telle situation, quelle doit être la ligne de conduite du Sénat ? Bien sûr, nous ne pouvons que déplorer cette précipitation et le préjudice financier qui ne manquera pas d'en résulter pour les comptes de l'État. Mais nous savons également qu'une fois qu'une décision est prise, il est important de l'accompagner et c'est aussi la responsabilité du Sénat que d'essayer d'améliorer un texte dont nous partageons au moins l'un des objectifs : moderniser la plateforme de la TNT.

Aujourd'hui, les acteurs de l'audiovisuel sont inquiets.

L'absence de dispositions dans la proposition de loi prévoyant la possibilité d'une indemnisation des sociétés de diffusion du fait des ruptures à venir des contrats qui les lient aux éditeurs de programmes est aujourd'hui devenue un facteur de blocage dans le processus de préparation au basculement de la bande des 700 MHz puisque deux des trois sociétés de diffusion (Towercast et Itas-Tim) ont décidé de ne plus participer aux réunions de travail du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), mettant ainsi en péril le bon déroulement de l'opération. Le choix du Gouvernement de confier une mission d'expertise à l'Inspection générale des finances (IGF), qui devra rendre son rapport d'ici un mois, apparaît, certes, utile pour expertiser le montant des préjudices encourus mais trop tardif pour rassurer les diffuseurs et les convaincre de participer à la préparation de la généralisation du MPEG-4 et à la réorganisation des multiplex. Le calendrier est donc extrêmement tendu.

Le plan d'accompagnement des foyers préparé par le Gouvernement prévoit, certes, une aide à l'équipement pour les foyers dépendant exclusivement de la télévision numérique terrestre (TNT) et non encore équipés, une aide à la réception versée sans condition de ressources ainsi qu'une assistance technique pour les téléspectateurs âgés ou handicapés. Mais il ne prévoit cependant aucune aide pour le million de foyers qui reçoit la TNT par satellite et qui va être impacté par le passage au MPEG-4. Alors que ces foyers, souvent situés en zone rurale ou de montagne, ont été incités à recourir à la réception satellitaire en MPEG-2, ils risquent d'être pénalisés au seul motif que le basculement vers le MPEG-4 a été décidé par leur opérateur satellite et non par la puissance publique, ce qui constitue, à l'évidence, une rupture d'égalité entre les Français selon leur mode de réception de la TNT qui est le plus souvent déterminé par des contraintes techniques.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le contexte dans lequel s'inscrit le projet de transfert de la bande des 700 MHz manque de sérénité. Des clarifications sont nécessaires. Au-delà des réserves sérieuses que m'inspire cette proposition de loi, l'esprit de responsabilité qui nous anime doit nous amener à rechercher le moyen de réussir cette transition dans l'intérêt tant du secteur audiovisuel que du secteur des télécommunications.

Voilà pourquoi j'ai engagé un dialogue avec la ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, pour lui indiquer que la recherche d'une voie de compromis lors du débat au Sénat nécessitait au moins trois évolutions.

Le choix de la date du 5 avril 2016 pour l'arrêt du MPEG-2, tout d'abord, apparaît trop incertain pour ne pas faire l'objet, le cas échéant, de perspectives d'aménagement. Il serait dans ces conditions plus raisonnable de prévoir que l'arrêt du MPEG 2 aura lieu entre les mois d'avril et de septembre 2016 à l'issue d'une véritable concertation, qui doit notamment associer les parlementaires dans le cadre de la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle (CMDA).

Ensuite, le principe d'une indemnisation des sociétés de diffusion doit être établi non seulement parce qu'il est équitable que les acteurs économiques ne supportent pas seuls le poids de décisions prises par l'État mais également parce qu'il est indispensable de rétablir la confiance entre ces acteurs et l'État. Compte tenu du fait que le rapport de l'IGF ne sera disponible que dans un mois et que le montant des crédits dévolus à cette indemnisation aura vocation à figurer seulement en loi de finances, j'ai proposé que le Gouvernement s'engage sur un calendrier précis vis-à-vis des sociétés de diffusion ainsi que sur des principes d'indemnisation de nature à les rassurer ;

Enfin, le principe d'une aide sociale aux foyers qui reçoivent la TNT par satellite me semble correspondre également à un principe d'équité sachant que le montant de 25 euros prévu pour les foyers recevant la TNT hertzienne ne couvrira que partiellement l'effort que devront réaliser les foyers concernés, qui s'élève plutôt à 90 euros. Là encore, il me semblait judicieux que le Gouvernement s'engage à étendre son plan d'aide à ces foyers qui ne doivent pas être victimes d'un changement de norme dont ils ne sont pas responsables.

Comme je l'ai indiqué à la ministre de la culture et de la communication, des avancées sur ces trois sujets me semblaient de nature à permettre la recherche d'un accord au Sénat.

Compte tenu du délai limite de dépôt des amendements lundi dernier, j'ai néanmoins déposé plusieurs amendements qui reprennent ces trois préoccupations.

L'amendement COM-1 prévoit que dans un délai d'un mois, la CMDA rend son avis sur la date choisie pour procéder à tout changement de standard de diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique. Cette consultation de la CMDA sur la date d'arrêt du MPEG-2 doit permettre de s'assurer que le délai retenu par le Gouvernement est bien tenable compte tenu des contraintes techniques et de l'état d'avancée des travaux.

Les amendements COM-2 et COM-5 prévoient le principe d'une indemnisation des éditeurs de programmes télévisés et des sociétés de diffusion suite à la rupture des contrats qui les lient dans le cadre de la réorganisation des multiplex.

L'amendement COM-4 prévoit, pour sa part, que le Gouvernement remettra au Parlement dans les trois mois qui suivront la promulgation de la loi un rapport sur l'éligibilité à l'aide à l'équipement des foyers dégrevés de la contribution à l'audiovisuel public.

Enfin, un cinquième amendement, COM-3, complète le dispositif en supprimant l'abrogation de deux articles qui semblent comporter encore des dispositions nécessaires concernant la couverture territoriale par la TNT.

Vous aurez compris que le dépôt de ces amendements constituait une mesure de précaution dans l'attention de la réponse de la ministre et du débat qui va s'engager dans les jours à venir. Au final, nos positions ne sont pas si éloignées. Mais une distance subsiste qui est la même que constatent les acteurs de l'audiovisuel et qui explique leur inquiétude à l'égard du processus de transfert de la bande des 700 MHz.

M. Jean-Claude Carle, président. - Merci de ces éclairages sur un sujet qui est autant technique que politique.

M. Claude Kern. - Mes félicitations à notre rapporteure pour son excellente présentation. Je ne m'engagerai pas dans l'épineuse question de l'affectation de la ressource. Je m'interroge, en revanche, sur le choix de calendrier du Gouvernement, qui ne me semble pas stratégiquement judicieux. Qu'arrivera-t-il si le prix de réserve n'est pas atteint lors de la vente ? Vendre si tôt ne fait-il pas perdre des dizaines de millions d'euros ? Le choix du Gouvernement n'est-il pas dicté par une démarche purement politicienne, qui consiste à s'empresser de dégager une ressource « one shot », quitte à faire perdre beaucoup d'argent à la collectivité ?

M. David Assouline. - L'argument financier compte pour l'État, personne ne peut le nier, mais au-delà, ce texte répond à un nécessaire objectif de modernisation. L'enjeu est de diffuser des programmes au bénéfice d'un plus grand nombre, dans des normes techniques de meilleure qualité, et d'accompagner un besoin croissant de bonne réception en mobilité. L'Europe ne raisonne pas autrement quand elle demande une harmonisation des normes d'ici à 2017.

Le produit de la mise aux enchères, évalué à 2,5 milliards d'euros ne sera pas de trop, alors que l'Etat a besoin de ressources, notamment pour des dépenses fondamentales - celles de notre armée. N'allons pas chercher dans cette opération des raisons politiciennes en disant que l'on se précipite pour vendre avant les prochaines échéances présidentielles, alors même qu'il n'a jamais été envisagé, quelles que soient les hypothèses, de vendre après 2017.

La Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle, qu'a évoquée Mme Morin-Desailly, est une commission composée de parlementaires. J'y siège, ainsi que M. Retailleau...

M. Bruno Retailleau. - Qui ne manquera pas de s'exprimer à son tour.

M. David Assouline. - ...aux côtés de deux sénateurs de la commission de l'économie et de quatre députés issus des mêmes organes de l'Assemblée nationale. Nous avons tous deux été confrontés, dans le passé, à un autre basculement, de l'analogique vers le numérique, et savons que rien n'est simple : délais, information assurée en amont, garanties réclamées par les diffuseurs, risque à prévenir de l'écran noir sont autant de questions que s'est posée la CMDA. Le travail sur ce sujet n'a pas commencé avec les auditions de notre rapporteure, qui pose des questions certes légitimes, mais auxquelles nous apportons des réponses. J'ajoute que l'on ne pourra engager ce que vous appelez de vos voeux que si l'on vote ce texte. La campagne d'information à l'intention des citoyens ne pourra commencer qu'une fois la loi promulguée. Tout est prêt, nous sommes dans les starting blocks. Aurions-nous pu nous y prendre dès l'an dernier ? Mais on nous aurait plus encore reproché de nous précipiter ! Et la CMDA avait besoin de travailler sur le sujet.

Autant sur toutes les problématiques soulevées par notre rapporteur, je conviens qu'il nous faut être vigilants, autant j'estime que rien ne justifie de différer, alors que c'est en votant la loi sans tarder que l'on se mettra en mesure de résoudre les difficultés. Vous ne nous proposez, certes, que d'amender ce texte, mais vous savez bien que cela revient à différer sa mise en oeuvre. Il y a eu unanimité à l'Assemblée nationale et, au Sénat, la commission des affaires économiques - saisie pour avis - s'est également prononcée à l'unanimité pour l'adoption de la proposition de loi sans modification. Vous ne proposez, dites-vous, que de donner un peu de marge, entre avril et septembre 2016. Faut-il vous rappeler qu'en d'autres circonstances, alors que la majorité était passée à droite, nous avons voté d'un seul bloc, sans nous engager dans des joutes politiciennes, parce qu'il y allait de l'intérêt national.

Au cas présent, soyez assurée que le Gouvernement fera tout pour que le basculement se passe dans les meilleures conditions. S'il devait se poser un problème d'écrans noirs en avril, il sait bien qu'on le lui reprocherait d'autant plus que l'on ne sera plus très loin de l'Euro 2016, qui doit débuter en juin. C'est d'ailleurs une raison de plus de ne pas se montrer pusillanimes : retarder le processus au risque de devoir basculer en plein Euro 2016 ne serait pas raisonnable.

Vous dites n'être pas pleinement satisfaite de vos échanges avec la ministre, mais il y a pourtant des réponses aux questions que vous posez dans vos amendements. Rien n'interdit de l'interpeller, en séance, pour obtenir des garanties sur tous ces points - délais, consultation sur l'indemnisation des diffuseurs, aide à l'équipement. Nous savons combien, en période de fin de session, la navette peut être sujette à aléas. C'est en se contentant d'une lecture que l'on pourra aller de l'avant, sans prendre le risque de compliquer le calendrier.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je ne reviens pas sur les aspects techniques, car la question de fond est pour nous la suivante : dans quelles conditions procéder aux évolutions nécessaires ? Les fréquences sont une ressource rare, qui appartient au domaine public, c'est à dire à l'État. Il y a là un enjeu stratégique important. Est-il légitime de mettre ces fréquences aux enchères ? Telle est la première question que nous nous posons. Sans compter que le produit de ce transfert au privé - vous avez évoqué le chiffre de 2,5 milliards d'euros - est d'ores et déjà affecté au ministère de la défense.

Se pose, ensuite, la question de l'indemnisation des opérateurs de l'audiovisuel pour rupture anticipée de leur contrat de diffusion. Nous rejoignons là-dessus, vos interrogations. Quel sera l'impact de ces modifications sur les opérateurs ? Nous sommes également sensibles à la situation des foyers qui reçoivent les programmes par satellite. Bref, nous comprenons le sens de vos amendements et réservons notre vote pour la séance publique.

M. Bruno Retailleau. - Nous ne faisons pas une question politique de cette proposition de loi. Je félicite notre rapporteure d'avoir défriché un terrain très aride mais où poussent à foison les acronymes, qui sont autant d'obstacles à la compréhension de qui n'est pas averti. Mais sous ces dehors techniques, le sujet, au fond, ne l'est pas. La plate-forme TNT est la pointe de diamant qui donne voix à la diversité culturelle et à la création audiovisuelle et cinématographique. Y toucher serait saper le socle de la création en France.

L'autre question, nécessairement chère au Sénat, haut conseil des territoires, est celle de la couverture du territoire. Pourquoi sortir cet objectif de la loi, à l'heure ou nos concitoyens se sentent trop souvent abandonnés de la République ?

Se pose, enfin, une question de justice. Lorsque l'on a basculé de l'analogique vers le numérique, on a obligé un certain nombre de foyers à acheter des paraboles. On ne peut pas, aujourd'hui, les laisser sans réponse.

Si le sujet n'est pas technique, il ne mérite pas non plus de devenir un enjeu de politique politicienne. Je suis le sujet depuis 2007, moment de la bascule vers la télévision du futur. Le mobile du texte qui nous est soumis remonte à un peu plus d'un an, quand le Gouvernement recherchait des recettes exceptionnelles pour la défense - après avoir heureusement renoncé à l'idée des sociétés de projet, qui étaient, à notre sens, des machines à fabriquer de la dette, dessaisissant de surcroît le Parlement de son pouvoir de contrôle. Mais ce mobile n'existe plus, puisque le Gouvernement nous soumet un projet de loi actualisant la programmation militaire, dans lequel il a réexaminé les besoins de la défense et rendu ses arbitrages.

Cela étant, ce n'est pas moi qui vous dirai que l'on n'a pas besoin de la ressource, au service de la mobilité, ainsi que l'a rappelé M. Assouline, et alors que se multiplient les objets connectés et que le trafic double tous les dix-huit mois. Mais les opérateurs en ont-ils besoin à échéance si précipitée ? Hormis Free, qui a fait le choix de ne pas acheter de fréquences sur la bande des 800 MHz, les autres opérateurs ont les moyens d'attendre jusqu'à 2018, voire 2020. Tout ce qu'ils devront y consacrer dans l'immédiat, alors qu'ils n'en ont pas besoin, sera soustrait au développement de la fibre. Ils devront payer cher et vite des fréquences dont ils n'ont pas besoin, au détriment de l'investissement utile.

J'ajoute que l'on va prélever un tiers de la ressource hertzienne du secteur audiovisuel, qui est en droit d'émettre quelques objections. Les contrats vont s'arrêter deux ans avant le terme prévu. Prévoir une indemnisation dans cette loi nous est impossible, en vertu de l'article 40, mais il nous faut des garanties. Certes, l'IGF a été saisie et rendra sa copie dans quelques semaines, mais cela ne nous interdit pas d'inscrire dans la loi le principe d'une indemnisation. C'est une question de justice. Certaines chaînes pourraient s'estimer lésées, et engager des procédures. Le risque d'écrans noirs ne peut être écarté. Quelques-unes l'estiment à 20 %.

Une échéance si proche pose également problème pour les téléspectateurs. La bascule aura lieu en pleines vacances, hypothèse que nous avions formellement écartée lors de la bascule de l'analogique au numérique. Cette opération porte la marque d'un grand amateurisme. Et ce n'est pas une remarque partisane, car il m'est arrivé d'en juger de même au sujet de mes propres amis politiques.

Pour 1,7 million de foyers, soit 6 % d'entre eux, ce sera la double peine. Alors qu'on leur a imposé de s'équiper pour le satellitaire, est-il normal de ne pas les accompagner pour acquérir un adaptateur ? Si la gauche estime que ces foyers démunis peuvent passer par pertes et profits, nous lui en laissons la responsabilité.

M. David Assouline. - C'est moi qui ai soulevé le problème devant la commission de modernisation !

M. Bruno Retailleau. - C'est moi qui, en 2007, ai porté l'objectif d'une couverture d'au moins 95 % de la population, avec possibilité pour le CSA de prévoir une couverture par département. Pourquoi veut-on ici supprimer cet objectif ? Je ne suis pas d'accord. N'oublions pas que la TNT, c'est la diffusion gratuite. Si vous souhaitez reculer, libre à vous, mais nous ne sommes pas prêts à vous suivre.

Sur le premier dividende numérique, c'est le rapport parlementaire qui a éclairé le Gouvernement, et nous n'avons pas été soumis à un tel rythme. Alors que cette recette n'est plus indispensable à la défense, donnons-nous un peu de temps !

M. David Assouline. - Vous préférez que l'on bascule en juin, au moment du coup d'envoi de l'Euro 2016 ?

M. Bruno Retailleau. - On va dans le mur depuis le départ. La plupart des opérateurs techniques estiment que retenir la date du 5 avril, c'est prendre des risques. Pour quels avantages ?

Mme Corinne Bouchoux. - La question est à la fois technique et politique. Je suis toujours embarrassée d'entendre dire que nous ne pouvons pas comprendre, et que parmi les parlementaires, il faut laisser le champ à ceux qui savent. Nous devrons tous, dans nos territoires, expliquer ce qu'il en est à nos concitoyens.

Ce texte répond à une triple préoccupation. Il fallait, tout d'abord, des crédits pour l'armée, et le deuxième dividende numérique offrait une opportunité intéressante ; il fallait, pour les mobiles, parvenir à couvrir équitablement le territoire, sans laisser de zones d'ombre ; il fallait, enfin, offrir aux téléspectateurs la qualité maximale, à laquelle ils ont droit, sans léser pour autant les ménages les plus modestes.

C'est un bien commun que l'on va transférer à quelques-uns, ce qui pose la question de ses modalités et son opportunité. Les opérateurs ne sont pas unanimes ; l'un d'eux est plus pressé que les autres. Les écologistes prendront leur décision à la veille du débat public. J'observe que nos collègues de l'Assemblée nationale, qui ne sont jamais d'accord sur rien, sont parvenus au consensus. La Haute Assemblée, dans sa sagesse, devrait parvenir à faire de même. Cela étant, nous devons être vigilants sur la façon dont on expliquera le processus à nos concitoyens. L'équipement d'une armée dans un contexte difficile est certes crucial mais, alors que le monde culturel manque de tout, ce texte ne résout pas la question des moyens dont il a grand besoin.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous sommes d'accord sur l'ensemble des objectifs. Il faut un cadre juridique pour les atteindre. Il s'agit de poursuivre la modernisation de la TNT ; assurer de meilleures normes de diffusion, pour des images de qualité plus parfaite ; répondre au besoin des opérateurs de disposer de plus de fréquences d'ici à 2020, pour répondre à l'évolution des usages. Autant d'objectifs qui participent d'une même logique de développement, selon un équilibre qui doit également être atteint au niveau européen, ainsi que le soulignait Pascal Lamy.

Il nous appartient de vérifier que toutes les conditions de la réussite sont remplies pour ces deux chantiers successifs que seront le basculement, prévu le 5 avril 2016 et la libération des fréquences. Nous devons nous poser les bonnes questions. Je m'étonne de m'entendre dire que mes amendements vont mettre en péril ce processus. Le droit d'amendement fait partie de nos prérogatives. Il n'est pas question d'y renoncer au motif que cela perturberait le calendrier arrêté par le Gouvernement. C'est, à l'inverse, au Gouvernement de répondre à nos interrogations, pour nous rassurer quant à la faisabilité d'un tel calendrier.

M. Retailleau nous a rappelé que les opérateurs du secteur ne sont pas demandeurs avant 2020 et ont apporté des réserves quant à la pertinence du calendrier. Sur le prix de réserve et la possibilité que tous les lots ne trouvent pas preneurs, monsieur Kern, nous avons interrogé le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui ne nous a pas apporté de réponse. Les acteurs, cependant, jugent que l'estimation étant bradée, les opérateurs feront nécessairement des offres. Une vente plus tardive, madame Gonthier-Maurin, aurait sans nul doute rapporté davantage. Quant à la compensation du préjudice lié à la rupture des contrats multiplex, deux diffuseurs nous ont dit qu'ils risquaient la faillite si elle n'avait pas lieu.

M. Assouline nous assure que le Gouvernement est dans les starting blocks pour engager la campagne de communication. L'Agence nationale des fréquences (ANFR) nous a en effet confirmé que l'appel d'offre européen pour le choix de l'agence de communication qui pilotera la campagne était lancé, mais, alors que les chaînes estiment que cette campagne devrait être lancée dès septembre, le directeur général de l'ANRF a précisé que le prestataire ne sera choisi qu'en septembre, pour un lancement en novembre. Preuve qu'il y a de réelles interrogations quant à la pertinence du calendrier. Il faut en outre s'assurer qu'un nombre suffisant d'adaptateurs seront disponibles le moment venu, pour que la diffusion de l'Euro 2016 se déroule dans de bonnes conditions. Ces équipements sont fabriqués en Chine, avec un délai de fabrication de quatre mois. Or, alors que ce marché ne concerne aujourd'hui que quelque 500 000 adaptateurs chaque année, il en faudra bientôt des millions.

M. David Assouline. - D'où vous viennent ces chiffres ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - De l'ANFR.

M. Bruno Retailleau. - Il n'en faudra pas seulement pour 1,7 million de foyers équipés de paraboles.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Il faut aussi prendre en compte les dix à quinze millions de postes secondaires.

M. David Assouline. - On ne peut pas tout mettre dans le même paquet. L'objectif, c'est que tous les foyers y aient accès. Autre chose est de prendre en compte tous les téléviseurs dont disposent certains foyers.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - On se heurte néanmoins à un problème très concret de fabrication.

Notre souci, au total, est d'obtenir des garanties sur les questions légitimes que nous nous posons.

Les acteurs considèrent qu'un report du basculement de la bande des 700 MHz à fin 2017 réduirait le préjudice des diffuseurs, qui pourraient amortir leurs investissements, ce qui éviterait à l'Etat d'avoir à les indemniser dans la précipitation.

Nous avons eu, monsieur Assouline, des échanges utiles avec la ministre, mais les engagements pris ne sont pas assez précis. Sur la question du calendrier, elle a accepté de réunir une nouvelle fois la CMDA, pour faire le point, mais sans mentionner explicitement la possibilité de repousser de quelques semaines l'arrêt du MPEG-2, alors que nous estimons qu'il faut prévoir un peu de souplesse, en cas de nécessité. Elle n'envisage pas expressément à ce stade de prévoir une indemnisation des éditeurs de programme et des diffuseurs, dans le cadre du projet de loi de finances, si un préjudice sérieux est constaté. Enfin, elle reste sur sa position défavorable en ce qui concerne l'accompagnement des foyers équipés en satellitaire. En ce qui nous concerne, l'abandon de la ruralité reste un souci constant, et on ne saurait imposer la double peine à ces foyers, qui devront être contributeurs, à hauteur de 90 euros, à un changement qu'ils n'ont pas demandé.

Le débat en séance plénière sera déterminant. Ce que nous voulons, c'est que soit retenu le calendrier le plus opportun, pour assurer les conditions de la réussite.

M. Michel Savin. - Nous avons un devoir de solidarité à l'égard des populations et des territoires, notamment les territoires de montagne, qui ont dû, au moment du passage à la TNT, s'équiper de paraboles. Les obliger à changer à nouveau sans compensation, c'est leur imposer la double peine. C'est une question d'équité non seulement à l'égard des populations mais aussi des territoires, qui vivent déjà, comme cela est le cas en montagne, une situation difficile. Nous déposerons un amendement pour que la situation de ces foyers soit prise en compte.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'article 40 interdit de prévoir une prise en charge. C'est pourquoi j'ai proposé, sur cette question, un amendement renvoyant à un rapport.

M. Guy-Dominique Kennel. - Je me pose une question technique qui concerne les zones frontalières. L'Allemagne a retenu une norme différente - la MPEG-5 - si bien que lors du basculement, 7 millions de foyers frontaliers perdront la possibilité de recevoir les chaînes allemandes, et inversement, de l'autre côté de la frontière. Y a-t-il une possibilité de compatibilité avec le MPEG-4 ?

M. Jean-Claude Carle, président. - La question vaut aussi pour les chaînes suisses.

M. Alain Vasselle. - Le problème de la compensation pour les foyers équipés de paraboles ne concerne pas les seules zones de montagne, mais aussi les zones rurales. Je suis maire d'une petite commune rurale où l'on n'a pas accès au haut débit et aucun opérateur n'est prêt à y investir, car le nombre de clients potentiels est trop faible. La solidarité nationale doit primer et venir compenser les concours financiers qu'apportent les collectivités territoriales. Le département de l'Oise s'est engagé dans le très haut débit et les ruraux subissent la double peine : non seulement les foyers doivent apporter une contribution mais le conseil général, à l'époque socialiste, a décidé de ponctionner plusieurs millions d'euros sur l'enveloppe destinée au financement des équipements des collectivités. L'amendement identique que je comptais déposer va sans doute être déclaré irrecevable au regard de l'article 40. Qu'il y ait au moins, grâce à l'amendement de notre rapporteure, un appel solennel au Gouvernement à ne pas oublier la solidarité en cette période de vaches maigres.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous y veillerons. C'est un point pour nous important, mais sur lequel la ministre tient ferme, nous objectant qu'il n'y a pas eu de prise en charge au moment du premier dividende numérique. Il est clair, pourtant, que les départements ont vu leurs conditions se dégrader. L'abandon des services dus à la population rend la situation extrêmement délicate.

J'ai cité, monsieur Kennel, le travail de Pascal Lamy, parce que nous devons, en effet, trouver une stratégie européenne pour coordonner la réaffectation de la bande des 700 aux services mobiles et le développement durable de la plate-forme TNT. L'Allemagne privilégie plutôt le câble mais il est vrai qu'en cette période de transition, il risque d'y avoir des problèmes aux frontières, y compris des risques de brouillage. L'ANFR nous a dit avoir engagé des échanges avec les opérateurs des pays frontaliers. Face à ce problème de coordination, Pascal Lamy a ouvert des perspectives très ciblées dans le cadre du plan « 2020-2030-2025 ». On voit qu'au regard de ce calendrier, nous sommes en avance, il nous faut la garantie que ce choix est tenable.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Mme Françoise Laborde. - Je n'ai pas encore examiné précisément le texte de la proposition de loi. Le groupe du RDSE ne prendra donc pas part, pour l'heure, au vote.

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mon amendement COM-1 vise, indirectement, à introduire de la souplesse, le cas échéant, dans le calendrier. Il prévoit que la CMDA rendra son avis sur la date choisie pour procéder à tout changement de standard de diffusion des services nationaux de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

M. David Assouline. - J'aimerais vous convaincre de le retirer. Vous demandez un avis consultatif de la CMDA sur la date de basculement. Mais la CMDA a déjà délibéré sur le calendrier. Je comprends que vous craigniez le bug, dont on n'est jamais à l'abri, mais la ministre s'est engagée à réunir à nouveau la CMDA, à la fin de l'année, pour faire le point. On verra, à ce moment-là, si cela est ou non jouable.

Je ne peux laisser croire, comme vous semblez le suggérer, que la CMDA ne s'est pas prononcée sur le calendrier. Elle l'a fait lors de sa dernière réunion, au cours de laquelle elle a voté une résolution sans aucune voix contre. Et il y aura un point d'étape. Que voulez-vous de plus ?

M. Bruno Retailleau. - Si j'ai demandé à ne pas participer au vote lors de la dernière réunion de la CMDA, c'est en mettant explicitement en cause le calendrier. Je rappelle que dans ses conclusions, la Commission « attire l'attention sur le caractère exigeant de l'ensemble du calendrier arrêté, comme sur les conditions nécessaires à sa mise en place ».

Pourquoi, surtout, s'accrocher à cette date fétichiste du 5 avril 2016, en pleine période de vacances ? Quel technocrate a bien pu imaginer pareille chose ? Le seul motif qui justifiait cette urgence était la nécessité de mobiliser des recettes exceptionnelles pour la défense, ce qui n'a plus lieu d'être, puisque le Gouvernement propose désormais d'autres voies de financement.

Pour les téléspectateurs, pour les chaînes, pour les opérateurs, pour la bonne valorisation du patrimoine de l'État, ce qui est ici proposé est la plus mauvaise solution.

Mme Dominique Gillot. - Et vous parlez de manoeuvre politicienne ! Si c'est la date du 5 avril qui vous dérange, monsieur Retailleau, présentez donc un amendement en en proposant une autre. Si vous préférez le 1er mai, je serai prête à le voter !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je rappelle que le choix de la date est d'ordre réglementaire. S'interroger sur le caractère soutenable de la date retenue par le Gouvernement relève du simple bon sens.

M. David Assouline. - Que faites-vous de l'avis de la CMDA ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Loin de moi l'idée que la CMDA n'aurait pas travaillé. Nous sommes d'accord, cependant, sur la nécessité d'un point d'étape. Ce qui suppose que, le cas échéant, cette date puisse être revue. La ministre craint qu'à ouvrir trop largement le calendrier, on ne démobilise les acteurs. Mais ils sont totalement sous tension ! S'ils savent qu'un petit décalage est éventuellement possible, ils n'en seront que plus à l'aise.

L'amendement n° COM-1 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les articles 3, 4 et 5 sont successivement adoptés sans modification.

Article additionnel

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La libération de la bande des 700 MHz en vue de son utilisation par les opérateurs de communications électroniques nécessite la réduction du nombre de multiplex et donc l'abrogation des autorisations d'usage de la ressource radioélectrique dont ils sont titulaires. Ces abrogations sont susceptibles de causer aux éditeurs de service de télévision un préjudice de nature à ouvrir droit à indemnisation selon les principes généraux de la responsabilité administrative.

L'objet de mon amendement COM-2 est de faire supporter le coût de cette indemnisation aux opérateurs de communications électroniques qui bénéficient de l'usage des fréquences de la bande des 700 MHz. Un décret en Conseil d'État viendra préciser les modalités de calcul de ce coût et les modalités d'indemnisation des opérateurs de diffusion.

M. David Assouline. - Question majeure, mais à laquelle le Gouvernement a apporté une réponse très claire. Il a confié une mission d'expertise à l'Inspection générale des finances (IGF) sur l'impact du passage à la nouvelle norme et la fin de deux multiplex. L'analyse permettra de déterminer s'il est nécessaire, en amont de la réparation naturelle du préjudice par le juge. On peut d'ailleurs s'interroger sur la possibilité juridique de porter la charge de l'indemnisation éventuelle sur une catégorie particulière d'acteurs, les opérateurs mobiles, alors que le préjudice, s'il existe, relèverait de la responsabilité du fait des lois, donc, de l'État. Ne confondons pas les dispositifs visant à faire porter la charge des travaux de réaménagement sur les bénéficiaires de ces travaux et la réparation du préjudice né de l'application de la loi. Il y a là confusion ou du moins imprécision.

En l'absence de connaissance précise des contrats liant opérateurs de multiplex, donc éditeurs, et leurs prestataires techniques de diffusion, il n'est pas possible de déterminer si une éventuelle indemnisation devrait concerner les opérateurs ou leurs prestataires. Pour ces raisons, nous ne pouvons vous suivre sur cet amendement, ce qui ne veut pas dire que nous nous opposons au principe de l'indemnisation : attendons le rapport de l'IGF.

M. Bruno Retailleau. - Il faut en effet distinguer la contribution des opérateurs aux travaux de réaménagement - ce qui a été le cas pour la bande des 800 MHz - de l'indemnisation résultant d'une décision de l'État - le préjudice étant estimé dans une fourchette de 30 à 90 millions d'euros. Ce que j'observe, c'est que même si l'on retient l'hypothèse haute, on reste très largement en deçà du prix de réserve, fixé à 2,5 milliards d'euros. Je voterai donc cet amendement, même si j'aurais préféré le voir sous-amendé, pour acter le principe de l'indemnisation sans cependant le faire supporter par les opérateurs de télécommunication.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je souscris pleinement à ce qui vient d'être dit. C'est en réalité à l'État de porter ce préjudice, et non aux opérateurs. Mais nous nous heurtons au couperet de l'article 40.

M. David Assouline. - C'est bien pourquoi il vaudrait mieux ne pas présenter cet amendement.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Il ne vise qu'à mettre l'État devant ses responsabilités. D'ailleurs, on peut se demander pourquoi on a tant tardé à demander cette étude à l'IGF, alors que le projet a été annoncé par le Président de la République il y a deux ans. Même si l'objectif est louable, le problème de méthode est indéniable.

M. David Assouline. - Mais le fait est que votre amendement prévoit une indemnisation des éditeurs à la charge des opérateurs du mobile. Or, c'est bien l'État qui est responsable, comme vient de le rappeler M. Retailleau. C'est une drôle de façon de légiférer que de maintenir un amendement dont vous admettez qu'il est bancal au motif de soulever le débat.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Il reviendra au Gouvernement de modifier sa rédaction en séance. Lui seul peut mettre en place l'indemnisation des diffuseurs. J'attire en outre votre attention sur le fait que si l'on s'en tient à mon amendement, le coût de l'indemnisation sera pris en compte par les opérateurs dans le montant de leurs enchères.

Mme Corinne Bouchoux. - Le groupe écologiste s'abstiendra.

L'amendement n° COM-2 est adopté et devient article additionnel après l'article 5.

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - M. Retailleau a fait état des travaux auxquels il a participé, et qui ont conduit à fixer dans la loi un objectif de couverture du territoire. L'obligation de couverture par la TNT à 95 %, et le correctif départemental de 91 % ne sont pas obsolètes et il apparaît risqué de supprimer ces dispositions législatives pour leur préférer des dispositions conventionnelles comme le fait l'article 7. Mon amendement COM-3 y remédie.

M. David Assouline. - Nous souscrivons pleinement à cet objectif de couverture territoriale. Mais c'est encore un amendement d'appel, qui ne vise qu'à engager un débat. Les articles 96-2 et 97 de la loi du 30 septembre 1986 visés dans cet article ont été introduits par la loi du 5 mars 2007, qui organisait l'extinction anticipée de la diffusion hertzienne analogique des services de télévision. Ils visaient à garantir une couverture géographique de la TNT. L'article 96-2 concernait les services nationaux de télévision en clair diffusés en mode analogique, c'est à dire TF1 et M6. Les éditeurs avaient l'obligation de couvrir 95 % du territoire, en contrepartie de quoi cet article prorogeait leur autorisation de cinq ans. L'article 97 concernait les nouvelles chaînes nationales de la TNT de l'époque, ainsi de Canal+ qui, en contrepartie d'un engagement de couverture précisé par décret pouvaient bénéficier d'une prorogation de leur autorisation allant également jusqu'à cinq ans. Ces chaînes ont choisi de prendre un engagement de couverture à 95 % et obtenu une prorogation de cinq ans. Ces deux articles ont donc trouvé leur application à cette époque. Les obligations de couverture ont été traduites par le CSA dans des conventions des éditeurs de services. Toutes les autorisations en cause ont été prorogées de cinq ans. Depuis cette époque, pour tous les nouveaux entrants de la TNT, le CSA a, de lui-même, repris les dispositions permettant de maintenir cette double obligation de couverture, au niveau national et départemental. Il a donc apporté des garanties devenues indépendantes de ces articles, aujourd'hui obsolètes. Cette abrogation n'a donc aucun effet en droit. On ne cesse de clamer vouloir s'employer à élaguer tout ce qui est inutile ou obsolète dans la loi, pour la rendre lisible...

M. Claude Kern. - Ces objectifs sont donc obsolètes ?

M. David Assouline. - Ces articles concernaient certaines chaînes. Depuis, le CSA a entrepris de lui-même de fixer les mêmes règles pour les nouvelles. Ce n'est pas en maintenant ces articles que l'on garantira par la loi une couverture de l'ensemble du territoire pour toutes les chaînes.

M. Bruno Retailleau. - Je préfère faire confiance à la loi, et aux objectifs que nous votons, qu'à une quelque autorité de régulation que ce soit. Cet objectif n'est pas devenu obsolète. J'étais corapporteur, à l'époque, avec Louis de Broissia, et puis témoigner que sans ces articles, les choses auraient autrement tourné. Je tiens à affirmer qu'il faut les maintenir, en votant cet amendement.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Il s'agit de garantir un objectif. L'inscrire dans la loi a eu des résultats, mais rien n'indique, si on l'en retire, que les opérateurs ne reculeront pas.

L'amendement n° COM-3 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les articles 7 bis et 7 ter sont successivement adoptés sans modification.

Article additionnel

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Mon amendement COM-4 vise à prendre en compte la situation des foyers qui ont dû s'équiper d'une parabole satellitaire lors du passage au numérique. Il prévoit que « dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'éligibilité à l'aide à l'équipement des foyers dégrevés de la contribution à l'audiovisuel public et ne recevant les services de télévision en clair que par la voie satellitaire sans abonnement ».

M. Michel Savin. - Dans l'objet de votre amendement, vous indiquez qu'« il est important que l'ensemble des foyers impactés, directement ou indirectement, par la décision du Gouvernement puisse bénéficier d'un traitement équitable de la part de l'État ». Serait-il possible de viser, outre les foyers, « les zones du territoire géographiquement isolées » ?

M. David Assouline. - Ce Gouvernement ne fait que reconduire à l'identique un dispositif imaginé par M. Retailleau, et mis en place par le Gouvernement de l'époque, après que nous l'avions voté. Quand quelque chose fonctionne, nous nous y tenons, même si cela est venu de la droite.

Cette proposition de loi vise à permettre le changement de norme des services de diffusion par voire hertzienne. Les opérateurs du câble et du satellite recourent aux normes qu'ils souhaitent, en toute liberté. Afin d'optimiser leurs coûts de diffusion, les distributeurs d'offre satellitaire avaient d'ailleurs déjà exprimé, depuis plusieurs mois, leur intention d'arrêter la diffusion en MPEG-2, avant même que le Premier ministre ne confirme, en décembre 2014, la date d'arrêt. Ces distributeurs s'apprêtent à engager leurs propres actions de communication auprès de leurs téléspectateurs. Ils ne proposent d'ailleurs déjà plus de décodeur satellitaire non compatible MPEG-4. L'arrêt du MPEG-2 sur les satellites n'est donc pas une conséquence de l'arrêt du MPEG-2 sur la TNT. La proximité temporelle de ces opérations ne tient à rien d'autre qu'à un choix de ces distributeurs satellitaires. Il en va de même pour le câble. Le modèle économique des distributeurs d'offre gratuite par satellite repose sur des bouquets payants, voire d'autres services à valeur ajoutée qu'ils proposent également à leurs téléspectateurs. L'État n'a donc pas à intervenir via un nouveau dispositif d'aide. Je suis donc défavorable à cet amendement. M. Retailleau sait fort bien de quoi je parle et c'est pourquoi il n'a pas proposé, à l'époque, un dispositif tel que celui qu'il soutient aujourd'hui.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je souscris au souhait de M. Savin de voir compléter l'objet de mon amendement, pour y mentionner les zones isolées et non couvertes du territoire.

À M. Assouline, je réponds qu'en cinq ans, les conditions économiques ont évolué. La ruralité est en souffrance. Le sentiment de relégation est aggravé, notamment par la baisse des dotations aux collectivités. Devant ces difficultés, il convient d'affirmer un principe d'équité. Car les inégalités se sont accrues entre territoires connectés et non connectés, entre zones urbaines et zones rurales. Cela mérite une réponse concrète.

L'amendement n° COM-4 est adopté et devient article additionnel après l'article 7 ter.

Les articles 7 ter et 7 quater sont successivement adoptés sans modification.

L'article 8 est adopté sans modification.

Article additionnel

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mon amendement COM-5 est le pendant du COM-2 relatif aux éditeurs de services télévisuels. Il concerne les opérateurs de diffusion, dont deux, notamment, pourraient être mis en difficulté par l'abrogation des autorisations d'usage - d'autant qu'ils ont investi pour assurer le déploiement des multiplex -, qui pourrait leur faire subir un préjudice de nature à ouvrir droit à indemnisation. L'objet de cet amendement est de faire supporter le coût de cette abrogation aux opérateurs de télécommunications électroniques, qui vont bénéficier de l'usage de la bande des 700 MHz. C'est un amendement important, parce qu'encore une fois, les opérateurs sont mis en difficulté.

M. David Assouline. - Lesquels ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Towercast et Itas-Tim.

M. David Assouline. - On en revient au même sujet que tout à l'heure, où M. Retailleau m'a donné raison sur le plan juridique. Encore une fois, une mission d'expertise a été confiée à l'IGF, qui rendra son analyse sous un mois. J'ajoute que l'on peut s'interroger, ici encore, sur la possibilité juridique de faire porter la charge de l'indemnisation éventuelle sur une catégorie d'acteurs particulière, alors que le préjudice relèverait de la responsabilité du fait des lois, donc de l'État. Le même raisonnement que ci-devant vaut ici, je n'y reviens pas.

Même si cet amendement soulève une problématique à laquelle nous sommes tous attentifs, il ne tient pas juridiquement. C'est bien pourquoi nous attendons le rapport de l'IGF.

Pour conclure, je veux dire à Mme Morin-Desailly et à la majorité parlementaire que beaucoup des préoccupations qui les animent n'exigent pas que l'on modifie cette proposition de loi. J'entends, cependant, qu'il leur est nécessaire de recevoir des engagements nets de la ministre, et j'espère que les débats en sa présence, en séance plénière, permettront de lever leurs doutes. Puissions-nous, dans un esprit constructif, arriver à un vote unanime sur ce texte.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - On ne peut pas accuser cet amendement de n'être pas juridique. Vous estimez que ce n'est pas aux opérateurs de porter la charge de l'indemnisation ? Que le Gouvernement propose une solution effective ! Nous n'attendons pas autre chose. J'ajoute, encore une fois, que les opérateurs pourront déduire les coûts de l'indemnisation du prix des enchères.

L'amendement n° COM-5 est adopté et devient article additionnel après l'article 8.

Les articles 8 bis, 9, 10, 10 bis, 10 ter et 11 sont successivement adoptés sans modification.

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est saisie pour avis d'un seul article. Je vous remercie de votre invitation et me ferai l'écho, lors de sa réunion de la semaine prochaine, de la teneur de ces débats animés.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Droit des étrangers en France - Demande de renvoi pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi n° 2189 (AN, XIVe légis.) relatif au droit des étrangers en France (sous réserve de sa transmission) et désigne M. Guy-Dominique Kennel rapporteur pour avis sur ce texte.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme :

- M. Michel Savin rapporteur sur la proposition de loi n° 489 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale ;

- M. Dominique Bailly rapporteur sur la proposition de loi n° 531 (2014-2015) de M. Dominique Bailly et plusieurs de ses collègues relative à la représentation des supporters ;

- M. Claude Kern rapporteur sur la proposition de loi n° 564 (2014-2015) de M. Claude Kern, visant à développer l'entrepreneuriat étudiant.

M. Jean-Jacques Lozach. - En ce qui concerne la désignation du rapporteur sur la proposition de loi sur les sportifs de haut niveau, on se retrouve dans la même situation que pour la proposition de loi sur le deuxième dividende numérique : il s'agit d'une proposition de loi d'inspiration gouvernementale, qui a fait l'objet d'un vote unanime à l'Assemblée nationale, et qui ne devrait donc pas faire l'objet de polémiques politiciennes. En outre, des parlementaires ont travaillé depuis longtemps sur ce sujet, en parallèle au rapport présenté par M. Jean-Pierre Karaquillo. Pourtant, ce ne sont pas eux qui sont nommés rapporteurs. On peut se demander s'il s'agit d'une volonté dissimulée de détricoter ce texte qui, je le rappelle, a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'écoute avec attention votre argument. Parce qu'un texte serait adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, le Sénat ne devrait plus y toucher ? Dans ce cas, autant dire que le Sénat ne sert à rien. Je trouve assez choquant cette idée que le Sénat devrait s'autocensurer. Le fait d'examiner avec attention un texte ne signifie nullement qu'on l'aborde de manière politicienne ou même qu'il va être modifié. Toutefois, dans la mesure où il existe une majorité différente à l'Assemblée nationale et au Sénat, il me paraît normal que ce dernier puisse faire entendre son point de vue dans le cadre de la navette parlementaire.

Regardez les travaux que nous avons réalisés sur la proposition de loi portant diverses dispositions sur la modernisation du secteur de la presse. On nous a reproché, sous prétexte que c'était le député Michel Françaix - appartenant au groupe socialiste - qui en était l'auteur, que le texte soit ensuite examiné au Sénat sur le rapport de M. Philippe Bonnecarrère. Cet examen par un membre de la majorité du Sénat a permis d'améliorer considérablement le texte et d'aboutir à un large accord lors de la commission mixte paritaire. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les autres commissions. Je vous rappelle que j'attache une grande importance à ce que les travaux de contrôle soient confiés conjointement à deux membres de notre commission - l'un appartenant à la majorité, l'autre à l'opposition -, ce qui permet au Sénat de travailler de manière constructive. En revanche, pour l'examen des textes de loi, il me paraît normal que les majorités - différentes - du Sénat et de l'Assemblée nationale puissent s'exprimer par le biais de la navette parlementaire.

M. Jean-Jacques Lozach. - Je ne fais pas de procès d'intention à qui que ce soit et ne préjuge pas des résultats de l'examen de ce texte. Pour autant, j'estime qu'un représentant de notre groupe pouvait légitimement prétendre être nommé rapporteur.

Mme Françoise Cartron. - Je soutiens les propos de M. Lozach dans la mesure où il s'agit de reconnaître le travail qu'il a mené de longue date sur ce sujet. Au nom d'un partage équitable des travaux de commission tel qu'il a pu exister un temps dans cette commission, il pourrait apparaître légitime que la personne la plus engagée dans le secteur soit nommée rapporteur. J'avais déjà fait cette remarque lors du refus de nommer Mme Dominique Gillot comme rapporteur sur le projet de loi relatif à l'université des Antilles. Il ne faut ensuite pas s'étonner de certaines crispations.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je rappelle la difficulté d'exister lorsqu'on est un petit groupe et revendique donc la possibilité de conduire des travaux au sein de cette commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - À cet égard, je vous rappelle que vous avez été désignée par le Bureau pour animer un groupe de travail relatif à la culture et au handicap conjointement avec M. Vasselle.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Nous avions évoqué cette possibilité mais je ne sais pas où en est la procédure et j'en profite donc pour vous demander comment seront réparties les compétences entre les deux rapporteurs.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous rappelle également qu'un membre du votre groupe a été nommé au conseil national du livre.

M. Michel Savin. - Je remercie Mme la Présidente de me faire confiance pour rapporter sur cette proposition de loi. Mon but n'est pas de détricoter le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. En revanche, je ne peux pas accepter l'idée que seuls ceux qui se sont déjà investis sur un dossier doivent nécessairement être nommés rapporteurs des textes de loi qui le concerne. Cela signifierait que les autres sénateurs ne pourraient pas s'impliquer sur ces sujets alors qu'il est important que plusieurs parlementaires, quel que soit le groupe politique auquel ils appartiennent, s'investissent sur la même question.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pour répondre à Mme Cartron, je reprendrai l'exemple de la proposition de loi sur la vente à distance de livres : Mme Khiari a été nommée rapporteur alors que le rapporteur pour avis des crédits des industries culturelles était M. Legendre. De même, alors que M. Leleux était le rapporteur budgétaire pour le cinéma, c'est M. Marie - devenu sénateur deux mois plus tôt seulement - qui a été rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à l'artisanat.

Mme Maryvonne Blondin. - Un tableau retraçant les différentes désignations de rapporteurs ainsi qu'au sein des organismes extraparlementaires (OEP) depuis un an permettrait de disposer d'un bilan objectif.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis tout à fait d'accord et on pourrait même élargir ce tableau à la mandature précédente afin d'avoir une vue plus globale. Je comprends votre déception, qui vient du fait qu'on doit renoncer à un certain nombre de rapports quand on passe dans l'opposition. J'ai connu cette dure loi au cours de la mandature précédente, je n'ai jamais eu de rapport mais cela ne m'a pas empêchée de travailler sur les sujets traités par la commission.

Organismes extraparlementaires - Désignations

La commission propose à la nomination du Sénat, en application de l'article 9 du Règlement du Sénat, la candidature de Mme Dominique Gillot pour siéger au sein du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche et de M. François Commeinhes pour siéger au sein du Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs.

En outre, la commission désigne, en application de l'article 9 du Règlement du Sénat, M. Claude Kern au Conseil supérieur des programmes.

Hadopi - Présentation du rapport d'information

Puis, la commission entend la présentation du rapport d'information sur la Hadopi, par M. Loïc Hervé et Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur. - À titre liminaire, je souhaite remercier les circonstances qui m'ont permises d'être co-rapporteur d'une mission qui ne m'était initialement pas destinée et la commission de la culture, de l'éducation et de la communication de m'avoir donné l'occasion de travailler sur un sujet aux multiples enjeux.

Concept plusieurs fois centenaire, le droit d'auteur « à la française » peut être défini par le fait d'accorder, par le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, une garantie contre la concurrence déloyale et la contrefaçon pour les éditeurs et les producteurs, une reconnaissance de la création d'oeuvre originale pour les auteurs, ainsi que des droits voisins pour les prestations des artistes et interprètes.

Le numérique a profondément modifié les pratiques culturelles et déstabilisé les modalités d'application des droits d'auteur comme de financement de la création. Il a également permis une circulation des oeuvres dans un espace géographique infini et avec une rapidité jamais égalée. Dès lors, une adaptation du droit d'auteur à cette nouvelle réalité s'est imposée, non sans difficultés.

Quelque deux ans après l'adoption de la loi 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite DADVSI, dont les débats ont vu s'opposer vivement deux conceptions antagonistes quant aux solutions à apporter à la lutte contre le piratage et à la rémunération des créateurs, le Parlement est ainsi saisi, à l'automne 2008, du projet de loi favorisant la diffusion et la création sur Internet. Après plusieurs mois de discussions plutôt houleuses et une censure éclatante du Conseil constitutionnel, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) est créée par les lois du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la création sur Internet et du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet.

Avec la Hadopi, le gouvernement d'alors avait cru imaginer la solution au piratage, à l'époque dominé par les réseaux « peer to peer ». Hélas, le bilan que nous allons vous présenter est mitigé. Il faut dire que la Hadopi, née dans la douleur, n'a jamais fait l'objet d'un consensus, ni politique, ni social. Est-ce là la cause de son échec relatif et, surtout, de sa mise à l'écart progressive des politiques de lutte contre la contrefaçon sur Internet ? Serait-ce plutôt les évolutions technologiques qui auraient rendu l'instrument obsolète ? Au contraire, bien pensé, le mécanisme n'aurait-il souffert que de l'opprobre général ?

En remontant aux origines de la Hadopi et en dressant un bilan de son action, nous avons essayé, de façon posée, de répondre à ces questions et d'imaginer un avenir à une institution décriée. Au fil des auditions menées, comme de nos déplacements à Bruxelles et dans les locaux de la Hadopi, il nous est en effet apparu combien le débat entre les « pros » et les « antis » était par trop simpliste. Il est nécessaire de le dépasser.

La Hadopi ne peut en aucun cas être considérée comme le remède absolu au piratage massif des oeuvres. Mais sa disparition constituerait un message démissionnaire incompréhensible à l'heure où les pouvoirs publics et les titulaires de droits renforcent leur mobilisation dans un contexte européen et international tendu pour le respect du droit d'auteur et le financement de la création.

Les missions de la Haute Autorité sont triples. Elle est d'abord chargée d'encourager le développement de l'offre légale et d'observer l'utilisation licite et illicite des oeuvres auxquelles est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin sur Internet. Il lui revient de publier des indicateurs du développement de l'offre légale, d'attribuer un label permettant aux internautes de l'identifier, d'en gérer un portail de référencement, d'évaluer les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance de contenus et de filtrage, mais également d'identifier et d'étudier les modalités techniques permettant un usage illicite des oeuvres protégées.

La Hadopi a également une mission de protection de ces mêmes oeuvres par le biais de la réponse graduée. Ce système a été conçu comme un outil pédagogique d'avertissement destinée à rappeler aux titulaires d'un abonnement à Internet utilisé pour télécharger ou mettre à disposition une oeuvre protégée leur obligation de surveillance de cet accès. En cas de manquement réitéré, après l'envoi, par courrier électronique puis par courrier recommandé, de deux recommandations, la Commission de protection des droits de la Hadopi peut saisir le Procureur de la République au titre de la contravention de 5e classe de négligence caractérisée. L'amende encourue peut s'établir à 1 500 euros, mais le juge peut également prononcer une peine complémentaire de suspension de l'accès Internet pour une durée maximale d'un mois, sanction jamais appliquée puis supprimée par décret en date du 8 juillet 2013, suivant une proposition de la mission confiée à Pierre Lescure par Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication.

Enfin, la Hadopi doit réguler et assurer une veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin.

Structurellement, la Hadopi se divise en deux organes distincts :

- le Collège, composé de neuf membres nommés par le Conseil d'État, la Cour des comptes, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, les ministères concernés et le Parlement, renouvelés par tiers tous les deux ans, et présidé, depuis l'installation de la Haute Autorité, par Marie Françoise Marais, magistrat de la Cour de Cassation, également présidente de la Hadopi. Le Collège a la charge de mettre en oeuvre les missions confiées par la loi à l'institution, à l'exception de la réponse graduée ;

- la Commission de protection des droits, présidée par Mireille Imbert-Quaretta et composée de trois magistrats respectivement issus de la Cour de Cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes. Elle a, indépendamment du Collège, la responsabilité de la réponse graduée.

Pour mener à bien ses missions, la Hadopi emploie aujourd'hui 52 agents, contractuels ou fonctionnaires détachés, pour un plafond d'emplois de 71 équivalents temps plein. Exception notable au sein d'une autorité publique : près des deux tiers des agents sont des femmes et la moyenne d'âge s'établit à 36 ans.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur. - Je tiens pour ma part à rappeler que ni Corinne Bouchoux ni moi n'étions sénateurs à l'époque des débats ayant présidés à la création de la Hadopi. Cette virginité nous a permis d'aborder nos travaux avec recul, sans a priori et avec un vif intérêt.

Missions et structures de la Hadopi ayant été rappelées, il convient de dresser maintenant le bilan des presque cinq ans d'action de l'institution. S'il peut apparaître en demi-teinte - et il l'est effectivement - la Hadopi est loin d'être la seule à blâmer.

La réponse graduée tout d'abord : dispositif pédagogique progressif contre le piratage « pair à pair » et pour la sensibilisation aux droits d'auteur, elle représente le coeur symbolique de l'institution. Au 31 mai 2015, le bilan de cette mission s'établit, pour un total d'environ 37 millions de saisines par les ayants droit, soit une moyenne de 70 000 par jour, à 4,6 millions de premières recommandations envoyées, 458 000 secondes recommandations, 2 117 délibérations de la Commission de protection des droits, 313 transmissions aux procureurs de la République et 49 décisions de justice.

Le caractère particulièrement régressif de ce résultat conduit l'efficacité de la réponse graduée à constituer un sujet de débat permanent. En réalité, il est difficile d'en dresser un bilan évident, tant le mécanisme pâtit d'une ambiguïté de départ, sorte de malentendu originel entre les espoirs répressifs des titulaires de droits et le choix de ne pas (ou peu) sévir fait par la Commission de protection des droits, qui privilégie systématiquement la pédagogie sans éviter pour autant d'irriter certains internautes.

S'agissant de l'offre légale, après les errements du label PUR et de la plateforme associée, dont il faut rappeler, avant de les railler, que leur création constituait une obligation législative, la Hadopi a modifié son approche en créant le site www.offrelegale.fr et un service de signalement des oeuvres introuvables. Trop tard, cependant, pour rattraper son retard en la matière : l'initiative du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) pour les oeuvres audiovisuelles, louable par ailleurs, est déjà installée et la musique a su proposer seule une offre légale diversifiée et accessible. Qu'on le qualifie ou non de camouflet pour la Hadopi, nous avons choisi d'en prendre acte.

La Haute Autorité peine également à s'imposer en matière d'information et de sensibilisation au droit d'auteur. Faute de moyens et de partenariats, son action demeure limitée à des interventions ponctuelles dans des établissements scolaires.

La mission de régulation des mesures techniques de protection, parfaitement utile et justifiée demeure, pour sa part, rarement mise en oeuvre, en raison de la méconnaissance, par les acteurs concernés de son rôle dans ce domaine. Cette méconnaissance a également des conséquences dommageables sur la reconnaissance de la validité des avis rendus par les professionnels comme par le public.

Pour ce qui concerne enfin la mission d'observation et de veille, l'expertise largement reconnue de la Hadopi l'a conduite à produire des travaux de grande qualité, reconnus comme tels en France comme à l'international. Malheureusement, certains errements, et notamment l'étude controversée relative à la rémunération proportionnelle du partage, ont rendu cette mission douteuse pour les ayants droit comme pour de nombreux chercheurs.

Devant ce bilan on ne peut plus mitigé, l'erreur serait de conclure à la nécessaire suppression d'un outil décevant et impopulaire. Ce serait oublier que la Hadopi n'a jamais bénéficié d'un soutien politique à la hauteur des enjeux - on se souvient des menaces répétées de suppression ou de transfert - et que son asphyxie budgétaire progressive a été programmée dès 2012.

Ce serait également oublier que sa disparition serait malvenue au moment où le Gouvernement s'engage avec détermination dans la lutte contre le piratage mafieux sur Internet.

Il nous a donc semblé qu'il convenait plutôt d'en rénover les missions et la gouvernance pour rendre l'institution plus crédible et son action plus efficace. En effet, l'institution, ni défendue par ses fondateurs ni supprimée par ses détracteurs, doit se réformer : améliorer, par une procédure de sanction administrative plus systématique, l'efficacité de la réponse graduée ; renforcer ses actions pédagogiques dans le cadre de nouveaux partenariats ; réserver ses interventions en matière d'offre légale et d'études aux domaines où n'interviennent pas d'autres acteurs.

Vous trouverez dans la synthèse qui vous a été distribuée la liste exhaustive de nos propositions. Pour limiter la durée de cette présentation, nous ne vous les présentons pas ici en détail mais nous nous tenons à votre disposition, au cours du débat qui suivra, pour vous apporter toutes les précisions que vous souhaiteriez obtenir et répondre à vos interrogations.

Cette réforme ne pourra, en outre, faire l'économie d'une modification substantielle de sa gouvernance et une simplification de son organigramme autour d'un nombre limité de directions. Un changement de nom, aussi symbolique qu'indispensable au renouveau de l'institution, devra également être envisagé.

Au total, nous avons estimé à environ 10 millions d'euros et à une soixantaine d'agents les ressources nécessaires au fonctionnement d'une Hadopi ainsi modernisée, soit l'équivalent des premières années de dotation. Cette somme ne prend toutefois pas en compte l'éventuel remboursement aux fournisseurs d'accès à Internet de leur tâche d'identification des adresses IP au sujet duquel plusieurs contentieux sont en cours, malgré l'absence de base légale à la prise en charge financière de cette mission.

Une Hadopi rénovée et au champ de compétences mieux défini ne pourra, et nous en sommes convaincus, en être que mieux respectée des internautes comme des pouvoirs publics. Dès lors, ces derniers devront sortir d'une attitude, encore maintenue entre la critique et l'indifférence, pour intégrer l'institution à la mise en oeuvre des politiques de lutte contre la contrefaçon sur Internet, notamment s'agissant du suivi de la stratégie « follow the money » en cours d'installation et des mesures de blocage des contenus illicites. La tâche est aussi vaste qu'ardue et l'expertise de la Hadopi dans le domaine de l'Internet ne peut ni ne doit être mésestimée pour les services qu'elle pourrait ainsi accomplir.

Il n'en demeure pas moins que, selon nous, le curseur de la politique culturelle doit se déplacer de l'obsession de la défense du droit exclusif, quand bien même il demeure nécessaire de le protéger, vers des impératifs de facilitation de l'accès du plus grand nombre à la culture et d'éducation de tous, notamment au sein des établissements scolaires, aux bons usages du numérique.

Les enjeux essentiels que représentent la protection des artistes et des oeuvres, comme l'objectif d'un meilleur accès de tous à la culture, nous obligent moralement tous à engager une réflexion sur ce que sera la vie culturelle de demain, dans le respect d'un juste équilibre entre les intérêts des auteurs, des industriels et des citoyens.

Dans ce cadre, une Hadopi modernisée, plus crédible et plus efficace, a indiscutablement un rôle à jouer, aux côtés d'autres outils et d'autres partenaires. Ni solution ultime ni ratage absolu, la réalité de la Hadopi nous est, en effet, apparue plus complexe à l'issue de ces quatre mois de travaux. Il est, selon nous, temps, en conclusion, de dépasser l'opposition entre le monde de la culture et les citoyens internautes. Tiers de confiance, la nouvelle Hadopi devra y contribuer.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente- Merci à vous, chers collègues, pour cet exposé très clair. N'ayant pas participé aux débats antérieurs, vous apportez un regard distancié enrichissant sur le sujet. Je soumets maintenant vos propositions au débat.

M. David Assouline. - Il était effectivement judicieux de confier ce rapport à des parlementaires qui n'ont pas participé aux débats par le passé. Le sujet de la Hadopi était alors miné par les malentendus et par la panique engendrée par le piratage, avec la conscience de légiférer à contretemps face à l'évolution rapide des pratiques. Au moment de l'adoption de la loi DADVSI, le secteur cinématographique ne se sentait pas tellement concerné car il fallait alors trois jours pour télécharger un film. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et le piratage des oeuvres est devenu massif. Nous sommes face à de nouvelles problématiques, notamment avec le développement du streaming. Le Sénat avait, lors des discussions relatives aux lois Hadopi, dépassé les clivages du débat entre droit à la culture et droit de la culture, jugeant que l'absence de protection des créateurs réduirait l'offre de créations au détriment du consommateur.

Je soutiens deux propositions fortes de votre rapport. Sur le plan politique, je suis partisan du changement du nom de la Haute Autorité. Elle doit regagner en crédibilité. Par ailleurs, vous avez raison, il est nécessaire d'en finir avec la sanction judiciaire. En particulier, il faut réduire le montant de la peine, qui paraît décalé par rapport à la gravité du délit et, dès lors, est rarement appliqué. Or, l'absence de réponse à un manquement revient à l'encouragement ; c'est l'inverse de la pédagogie, qui comporte une part de sanction. Je pense que l'amende systématique - telle que prévue dans votre proposition n° 1 - au bout d'un troisième rappel, serait plus adaptée que le système actuel.

J'approuve également les propositions n°s 2 et 3 de votre rapport : l'essentiel de la lutte contre le piratage doit porter sur les sites contrefaisants. Pour cela, doit être levé un obstacle juridique. Aujourd'hui, lorsqu'on ferme un site, il réapparaît dans les heures qui suivent. Votre proposition consistant à créer une injonction de retrait prolongé éviterait de relancer les procédures de fermeture à l'encontre d'un site contrefaisant et permettrait ainsi une vraie dissuasion. Je vous félicite pour ces décisions de bon sens.

M. Jean-Pierre Leleux. - Ce rapport est très opportun et bienvenu. J'ai soutenu la création de l'Hadopi et je la soutiens encore. Cette institution n'est pas la seule à blâmer, dites-vous, de son bilan en demi-teinte. J'irai plus loin : je la félicite. Certes, les technologies et les comportements des internautes ont évolué. Mais il n'en reste pas moins que cette initiative française a inspiré d'autres pays. Nous savions, lors de l'élaboration du texte, qu'il s'agirait d'une première étape, qui devrait faire l'objet d'un bilan comme celui que nous dressons aujourd'hui. Elle permet de mettre l'accent sur la pédagogie afin d'ancrer le concept de droit d'auteur dans les esprits. En ce sens, l'Hadopi a fait oeuvre utile, bien qu'elle n'ait pas tout réussi.

L'heure est venue aujourd'hui de réorienter, comme vous le proposez, l'action de l'institution vers une protection plus large du droit d'auteur. La répartition des tâches en matière de lutte contre le piratage entre les différents organismes mérite également d'être précisée. Certains ont voulu la fin d'Hadopi. Au contraire, une clarification des rôles est nécessaire.

Je reviens sur un détail qui n'en est peut-être pas un. Vous évoquez le changement de nom de l'Hadopi. J'émets des réserves à ce sujet. Il est vrai que les jeunes internautes n'aiment pas cette institution, pour autant c'est sans doute l'une des rares qu'ils connaissent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je vous remercie pour ce travail. On ne soulignera jamais assez combien Internet constitue désormais une condition d'accès à la culture et aux oeuvres au plus grand nombre. Vous soulignez l'impopularité de l'Hadopi mais vous proposez de la faire évoluer sans aller jusqu'à sa suppression. Je salue ce choix.

Lors du démarrage d'Hadopi, nous nous étions inquiétés de faire peser injustement le poids de la culpabilité sur les internautes, notamment parce que ceux susceptibles d'être sanctionnés étaient probablement ceux qui ne disposaient pas de la capacité de masquer leur adresse IP, donc les populations les plus fragiles. C'est pourquoi votre proposition n° 1, relative au passage d'une sanction judiciaire à un système d'amende administrative, me convient. Je soutiens également votre proposition n° 2 sur l'élargissement des compétences de l'Hadopi en matière de lutte contre le piratage.

Je vous remercie pour ce travail, qui fait avancer notre réflexion quant à l'évolution de cette autorité.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je remercie M. Hervé et Mme Bouchoux pour leur présentation. Le regard neuf qu'ils apportent est précieux.

Je ferai deux observations. Tout d'abord, je soutiens votre première proposition. Les chiffres que vous donnez - 37 millions de saisines en cinq ans - sont impressionnants, mais ce sont des volumes que le système judiciaire est incapable de traiter. Je dresserai une comparaison entre la notion de saisine par les ayants droit à l'égard de l'Hadopi et les procès-verbaux qui peuvent exister à l'intention des parquets. Selon les chiffres clés de la justice, en 2012, environ 4,2 millions de procès-verbaux ont été établis, ce qui représente un peu moins de cinq millions de saisines. Vous voyez immédiatement l'ordre de grandeur. Seul le nombre des procès-verbaux en matière de stationnement est comparable à celui qui résulte de l'activité de la Hadopi. Face à une telle masse, le juge judiciaire est manifestement inadapté. Le problème ne peut être abordé que par le biais de la sanction administrative. Je me permets de vous suggérer seulement de veiller à ne pas reporter les contentieux sur les tribunaux administratifs.

Je ne partage pas, par ailleurs, complètement votre point de vue sur les propositions n°s 4 et 7. Vous nous avez expliqué que le combat de l'Hadopi est dépassé au regard de l'offre diversifiée qui s'est développée. Je ne comprends donc pas la raison qui vous pousse à maintenir une direction « études et développement de l'offre légale ». Par ailleurs, vous proposez qu'une direction de l'Hadopi « prévention, information et formation » soit chargée d'organiser des modules de formation à la protection des droits sur Internet dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ). Je crains qu'une dispersion des missions à travers la multiplication des directions soit contreproductive, même si cette proposition part d'une bonne intention.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur. - La loi fixe déjà à la Hadopi une mission de formation au sein des ÉSPÉ. Il en est de même en ce qui concerne les études et la promotion de l'offre légale. Nous nous contentons en réalité de proposer que l'Hadopi limite cette dernière mission au secteur public. La France a une vision latine de la protection des droits ; elle passe par un appel à la vigilance des parents quant aux éventuels mauvais comportements de leurs enfants : il s'agit d'une pédagogie privative. Or, il convient de remarquer que de nombreux téléchargements illégaux ont lieu sur le lieu de travail. L'Hadopi a mis l'accent sur l'usager et l'internaute, mais n'a peut-être pas assez insisté sur la prévention en milieu professionnel alors que les responsabilités sont partagées.

Dans d'autres pays, on a choisi d'autres modes de pédagogie. En Allemagne par exemple, à la suite de téléchargements d'images pornographiques, tous les ordinateurs des « députés » et de leurs collaborateurs ont été vérifiés et des chargements illégaux ont été observés chez les uns et les autres. Nous sommes donc tous collectivement concernés, et non pas simplement quelques adolescents aux mauvaises manières.

Par ailleurs, il nous semble indispensable de sensibiliser l'ensemble des enseignants à l'enjeu que représente la propriété intellectuelle. L'Hadopi est donc nécessaire même si elle est dépassée : c'est un totem en matière de lutte contre le piratage.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur. - Je suis d'accord avec les remarques de M. Assouline relatives aux évolutions technologiques, concernant notamment le développement du streaming. L'Hadopi doit s'interroger sur les nouvelles techniques de téléchargement illégal d'oeuvres.

Je tiens également à rassurer M. Leleux. Il n'est pas question de supprimer l'Hadopi. Son changement de nom constitue une simple suggestion ; elle ne figure toutefois pas parmi les propositions. Cette réflexion résulte de l'évolution de ses missions institutionnelles.

La déjudiciarisation de la sanction nous apparaît inévitable. Cela ne doit pas être la priorité des parquets. Elle prendrait la forme d'une amende administrative mais n'aboutirait pas à un transfert vers la juridiction administrative, puisque les appels se feraient devant la Cour d'appel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie pour ce travail remarquable. C'est un sujet qui me tient à coeur. C'est également un thème sensible que personne n'osait plus aborder, mais il était important de réaliser ce travail de fond avec un regard neuf. Plusieurs parmi nous ont participé aux débats des lois dites Hadopi 1 et 2, ainsi qu'à la discussion de la loi DADVSI. À l'époque, nous avions une vision assez idyllique d'Internet. Depuis, nous en avons analysé les menaces, les rapports de force et avons constaté la nécessité d'une régulation. J'émettrais juste une réserve sur l'assouplissement de la chronologie des médias. Celle-ci permet de financer la création ; il convient donc d'être prudent, d'autant que nous l'avons déjà assouplie. La réflexion doit être poursuivie tout en prenant garde de ne pas remettre en cause les mécanismes de financement de la création. Nous avons également un important sujet de réflexion à venir : il s'agit de l'absence de neutralité des moteurs de recherche et des plateformes, qui bride la circulation des oeuvres.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La réunion est levée à 12 h 20.