Jeudi 18 juin 2015
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -Présentation du rapport de MM. François Calvet et Christian Manable : « Xynthia : 5 ans après, pour une véritable culture du risque dans les territoires »
M. Jean-Marie Bockel, président. - Le travail de nos collègues François Calvet et Christian Manable, mené depuis cinq mois, intéressera nos concitoyens et tous ceux qui suivent avec attention les rapports du Sénat. Si nous n'avons pas tous un littoral, nous sommes en effet tous concernés par les risques d'inondation. Un rapport sénatorial avait été rédigé en 2010, peu après la catastrophe. Cinq ans après, il paraissait opportun de faire un point sur les enseignements qui ont été tirés.
M. François Calvet, rapporteur. - Je présenterai les événements et les initiatives prises ces cinq dernières années, tandis que Christian Manable exposera les recommandations que nous avons formulées. Je tiens en premier lieu à souligner le plaisir que j'ai eu à travailler avec Christian Manable pour l'élaboration de ce rapport.
Je rappellerai les faits en quelques mots. Les 27 et 28 février 2010, la tempête Xynthia ravageait le littoral atlantique, causant en France 47 décès, 79 personnes blessées, 767 personnes évacuées, ainsi que de nombreux dégâts matériels, évalués à plus de 2,5 milliards d'euros. 1 520 vies ont été sauvées.
Dès le 25 mars 2010, soit moins d'un mois après les événements, le Sénat a estimé nécessaire de tirer les leçons de cette tragédie, en constituant une mission d'information présidée par notre collègue Bruno Retailleau, alors président du conseil général de la Vendée. En juin et juillet 2010, deux rapports d'information ont permis d'établir que ce drame aurait pu être évité. La mission d'information a mis en lumière d'importantes carences, à tous les niveaux, en termes de culture du risque et d'intégration des politiques. 92 propositions ont été formulées en matière de sécurité civile, de prévention des risques naturels, d'occupation des sols, d'urbanisme et d'indemnisation de victimes.
La nécessité de consolider la chaîne de gestion du risque, selon un triptyque prévision/prévention/protection défini par Bruno Retailleau, allait devoir conduire la réflexion du législateur et l'action des différents acteurs locaux de la gestion du risque : Etat, administrations, élus, associations et citoyens.
Parmi les 92 préconisations de la mission sénatoriale, 24 ont été reprises dans la proposition de loi votée par le Sénat le 3 mai 2011, mais cette proposition n'a, à ce jour, pas été examinée par l'Assemblée nationale.
La tempête Xynthia a également trouvé une traduction sur le plan judiciaire. La décision rendue le 12 décembre 2014 par le Tribunal de grande instance (TGI) des Sables-d'Olonne, actuellement en appel, a en effet constaté des dysfonctionnements dans la gestion du risque, tant au niveau des collectivités que des services de l'Etat.
Immédiatement après la tempête, l'Etat a pris en urgence des mesures pour garantir la sécurité des personnes dans les zones inondables, avant le déploiement, en 2011, d'un plan submersions marines dont les actions doivent se poursuivre jusqu'en 2016.
Xynthia a mis en lumière, d'une part, les insuffisances de nos politiques de lutte contre les risques d'inondation et de submersion marine et, d'autre part, de graves défaillances dans la chaîne de gestion du risque.
Cinq ans après, notre délégation a souhaité évaluer l'action de l'Etat et des collectivités territoriales afin de vérifier si les pouvoirs publics ont pris toute la mesure des actions à mener pour éviter de nouveaux drames.
Sur le volet prévision, le drame a résulté en partie d'une mauvaise compréhension du risque météorologique : le système d'alerte visait à protéger les populations contre des vents violents et non pas contre un risque de submersion marine. Au cours de notre rencontre avec une association de victimes de La Faute-sur-mer, celle-ci nous a expliqué que les habitants avaient fermé leurs volets et avaient ainsi été piégés dans leur maison, l'électricité ayant été coupée. Depuis, l'Etat a pris les mesures nécessaires pour améliorer la connaissance des aléas, grâce au programme vigilance météorologique « vagues/submersion » ; à l'extension du dispositif de vigilance « crues » ; au renouvellement des radars météorologiques ; à la mise en place du dispositif Avertissement sur les pluies intenses à l'échelle communale (APIC). Ce dispositif permet notamment au maire et au préfet de recevoir gratuitement l'information en temps réel par SMS ou via un serveur.
Pour être tout à fait complet, le volet prévision ne saurait être efficace sans une surveillance effective. Sur ce point, le ministère de l'Environnement nous a confirmé le développement actuel, via le Service à compétence national chargé de l'activité de prévision des crues (SCHAPI), d'un nouveau service d'avertissement sur la possibilité de crues soudaines, permettant de raccourcir la chaîne d'information vers les populations. Ceci constitue une « avancée notable » selon le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
Sur le volet prévention, le constat réalisé par les différentes inspections qui se sont penchées sur cette politique est sévère : le risque de submersion marine n'est pas suffisamment intégré. Notre pays souffre d'une trop faible culture du risque. Cette carence a évidemment eu des conséquences.
La planification urbaine a en effet trop longtemps sous-estimé les risques d'inondation ou de submersion. Il faut se souvenir que les communes des côtes atlantiques touchées par la tempête n'étaient même pas dotées de Plans de prévention des risques d'inondation (PPRI), alors même qu'elles étaient particulièrement exposées au risque de submersion. Nous nous sommes rendus sur le terrain afin de rencontrer M. Albertini, préfet de Vendée. Celui-ci nous a expliqué qu'un premier PPRI avait été prescrit à La Faute-sur-Mer en 2001, sans être jamais approuvé. Suite à la tempête, un nouveau PPRI a été prescrit, mais, ironie du sort, il vient d'être annulé par le tribunal administratif ! Concrètement, aucun PPRI ne couvre actuellement le territoire de La Faute-sur-mer.
De même, les Plans communaux de sauvegarde (PCS), qui doivent théoriquement couvrir l'ensemble des risques et recenser concrètement les moyens de protection de la population, étaient quasi inexistants dans les zones les plus exposées.
Enfin, de nombreuses constructions ont pu être édifiées dans des zones dangereuses, parfois même sans permis. Ces défaillances dans la gestion des permis ont concerné, hélas, tant les services de l'Etat que les collectivités territoriales.
Depuis le drame, une réelle prise de conscience des acteurs impliqués a eu lieu.
Des progrès ont été enregistrés en matière de couverture des territoires par les PPRI, comme cela nous a été confirmé tant par le ministère de l'Ecologie pour l'ensemble du territoire que par la préfecture de Vendée, département dans lequel nous nous sommes rendus. Il est d'ailleurs notable que l'accélération du rythme de révision des PLU dans le cadre du Grenelle et de la loi ALUR permet de mieux prendre en compte le risque d'inondation et de submersion marine. Les prescriptions de risques pourront ainsi être introduites par les préfets.
S'agissant des PCS, là encore, on peut se féliciter que la situation se soit considérablement améliorée, en particulier sur le territoire vendéen. Au niveau national, le taux de couverture des PCS dans les communes soumises à obligation légale est passé de 44 % en 2011 à plus de 65 % aujourd'hui, l'objectif étant de 70 % dans un ou deux ans.
Enfin, en matière de délivrance des permis de construire, vous ne connaissez que trop bien l'échéance imminente du 1er juillet 2015, qui mettra fin à l'instruction des permis par les services déconcentrés de l'Etat dans les communes membres d'un EPCI de plus de 10 000 habitants. Nous devons répondre à l'inquiétude des maires qui souhaitent préserver la qualité du contrôle de légalité et c'est en ce sens que nous formulons une recommandation, sur laquelle nous reviendrons dans un instant.
Sur le volet protection, plusieurs carences ont été pointées lors de la tempête Xynthia. La première est un défaut général d'entretien des digues, tenant à la complexité du régime des digues qui fait intervenir une multiplicité de propriétaires (Etat, collectivités territoriales, associations, propriétaires privés), dont certains n'ont pas toujours les moyens de les prendre en charge. Sur ce point, nous devons saluer l'action des collectivités territoriales, en particulier sur le littoral atlantique, qui ont dû parfois financer elles-mêmes l'entretien des digues.
Deuxième carence : l'inefficacité d'un système d'alerte vétuste, datant de 1954 et reposant principalement sur des alertes phoniques par le biais de sirènes, dont certaines ne fonctionnent d'ailleurs plus. 5 000 nouvelles sirènes devaient être déployées. À ce jour, 2 800 l'ont déjà été.
En Vendée, le préfet a dénombré presqu'une centaine d'intervenants différents, dont 64 ASA, à réunir pour mettre en oeuvre la GEMAPI. Par ailleurs, sur l'ensemble du territoire national, 99 programmes d'action de prévention des inondations (PAPI) ont été mis en place, dont 25 sur la côte vendéenne. Si les travaux sont en cours, les avancées concrètes sont néanmoins encore insuffisantes, compte tenu de la multiplicité des outils, souvent illisibles, ainsi que des coûts financiers.
Je cède la parole à mon collègue Christian Manable, pour présenter les recommandations que nous avons formulées.
M. Christian Manable, rapporteur. - Comme l'a indiqué François Calvet, notre constat est en demi-teinte : certes, les services de l'Etat se sont, aussitôt après la tempête, engagés dans le perfectionnement du système de prévention des risques et de protection des populations, mais les actions réalisées depuis n'ont toujours pas permis de développer une véritable « culture du risque » sur nos territoires. Celle-ci passe en effet par une meilleure communication entre les acteurs ainsi qu'un partage clair des responsabilités dans la diffusion aux populations de l'information sur le risque. Comme nous le disait une des personnes que nous avons auditionnées, il s'agit de mettre en oeuvre « une démarche transversale à l'ensemble de la société ».
Nous le savons, les phénomènes météorologiques extrêmes sont amenés à se reproduire et, au-delà de la nécessaire meilleure prise de conscience des risques, il faut réaliser des projets de territoire qui intègrent ceux-ci. En clair, le risque n'est pas seulement une contrainte, mais peut être un facteur de projet de territoire.
C'est dans cette perspective que nous vous présentons dix recommandations ciblant trois objectifs : mieux préparer la population et les élus locaux ; clarifier la planification urbanistique en amont du risque ; améliorer la transmission de l'alerte en cas de réalisation du risque.
Notre première recommandation appelle les collectivités territoriales à déployer le plus rapidement possible les repères de crue. Nous avons en effet pu constater le recours trop faible à cet outil simple de visualisation du risque. À titre d'exemple, dans les communes touchées par la tempête Xynthia, l'Etat avait distribué 2 000 repères de crue. Selon les chiffres fournis par le ministère de l'Ecologie, seuls 295 repères ont été installés à ce jour. Une instruction du Gouvernement du 14 janvier dernier a même été publiée pour accélérer la pose des repères de crue. Je rappelle que les collectivités territoriales peuvent, au titre des PAPI, bénéficier d'une aide financière à hauteur de 50 % du coût de la pose, financée par le fonds Barnier. Nous devons encourager au niveau territorial ces initiatives en complément des actions de l'État, qui prévoient notamment la création d'un site internet national, ouvert au public, des repères de crue.
Notre deuxième recommandation vise à engager une concertation entre les collectivités territoriales, l'Etat et les assureurs afin de créer un système d'indemnisation des catastrophes naturelles qui soit plus responsabilisant pour les populations, autrement dit un système de malus ou d'indemnisation dégressive en cas d'absence d'efforts de prévention. En effet, la mise en place d'un mécanisme d'indemnisation plus responsable nous apparaît comme un outil efficace pour préparer les populations face aux risques. Le CGEDD, que nous avons auditionné, regrettait le caractère déresponsabilisant des indemnisations qui ne sanctionnent pas l'insuffisance des efforts de prévention et d'amélioration de la résilience. Il plaidait pour la mise en place à cet égard d'un mécanisme plus responsable qui influerait sur les comportements tant des élus que des citoyens. Bien évidemment, cela ne peut se faire qu'en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés : secteur de l'assurance, usagers, Etat et collectivités. Nous devons responsabiliser nos concitoyens en leur transmettant la culture du risque. Au passage, cela nous permettrait d'économiser des ressources précieuses du fonds Barnier. À La Faute-sur-mer, 600 maisons sur un total de 2 000 ont été détruites. C'est le fonds Barnier qui a indemnisé leurs propriétaires. Nous nous sommes rendus sur place ; nous en sommes revenus psychologiquement marqués après avoir constaté le piège dans lequel les habitants ont été enfermés, dans des maisons dont les volets roulants étaient fermés. Nous avons également vu l'emplacement entouré de digues où les maisons ont été rasées et nous nous sommes rendus au mémorial sur lequel sont gravés les noms de 29 victimes, dont des familles entières. M. Retailleau nous a également fait part des témoignages recueillis par les pompiers au téléphone. Un des responsables d'une association nous a reçus chez lui, dans une maison reconstruite comptant une pièce de sauvegarde en hauteur, et nous a montré le buffet sur lequel il avait passé la nuit avec sa femme, et qui était heureusement disposé contre un mur porteur. Le village reste marqué par cette catastrophe.
Notre troisième recommandation constitue sans doute la pierre angulaire de nos réflexions : il s'agit de développer la sensibilisation du public à la prévention des risques d'inondation et de submersion en expliquant aux populations exposées les comportements à adopter en cas de survenance de ces événements, avec un effort particulier auprès des jeunes publics, grâce au soutien de l'Education nationale. La culture du risque, ce n'est pas le risque zéro, mais le fait d'apprendre à vivre avec le risque. Dans notre pays, de nombreuses associations spécialisées réalisent un travail remarquable en matière de prévention des risques. Nous avons pu rencontrer des acteurs de terrain, comme l'association IFFO-RME (Institut français des formateurs Risques majeurs et protection de l'environnement), qui sensibilise nos concitoyens à la culture du risque, afin que chacun devienne acteur de sa propre sécurité, pour reprendre les mots mêmes de la loi de 2004 de modernisation de la sécurité civile. Ce changement de paradigme nous paraît indispensable. Information et éducation sont les deux piliers de l'évolution des comportements, notamment auprès des jeunes publics.
Notre quatrième recommandation vise à garantir des moyens financiers et humains suffisants dans les préfectures afin d'assurer une aide technique aux collectivités territoriales en matière de prévention des risques naturels. Face à la complexité des outils de prévention des risques à mettre en place, de nombreuses communes se trouvent parfois démunies. En Vendée, des efforts ont été réalisés depuis la tempête Xynthia par les services déconcentrés pour accompagner les communes dans l'élaboration des plans communaux de sauvegarde. Nous avons pu constater que l'association des maires et présidents des communautés de communes de Vendée avait apporté un soutien significatif en mettant à disposition un chargé de mission spécifiquement dédié. Toutes les communes exposées au risque ne peuvent hélas pas bénéficier du même type d'assistance et c'est pourquoi nous devons leur assurer une aide technique pérenne. Cette dernière est évidemment conditionnée par la préservation de moyens humains et financiers suffisants dans les préfectures. C'est le sens de notre proposition.
Notre cinquième recommandation vise à prévoir une information systématique du conseil municipal par le maire, en début de mandat, sur les risques naturels encourus par la commune. La décision du TGI des Sables-d'Olonne, actuellement en appel, a mis en évidence des carences en matière de bonne information du conseil municipal de La Faute-sur-Mer sur les risques naturels majeurs. Or, il existe une large information relative à ces risques ; elle doit être portée à l'attention des élus du conseil municipal, et non uniquement du maire. À titre d'exemple, dans le département de la Somme, une expérience intéressante a associé le préfet, les élus locaux et l'IFFO-RME, à travers des rencontres et des ateliers menés dans chaque circonscription. Ces réunions sur les risques majeurs rencontrent un succès certain auprès des maires. Les catastrophes récentes ont en effet suscité une véritable prise de conscience de l'opinion publique et des élus. Nous devons encourager ce type d'initiatives et diffuser au maximum l'information relative aux risques auprès des élus locaux. L'IFFO-RME se tient à la disposition des élus locaux pour cela.
Les recommandations 6, 7, 8 et 9 visent à clarifier la planification urbanistique.
Notre sixième recommandation a pour but d'en finir avec la fragmentation du droit et des outils relatifs aux risques naturels. On nous l'a suffisamment répété lors de nos auditions : l'accumulation des instruments juridiques relatifs aux risques naturels engendre une complexité administrative qui devient asphyxiante pour les collectivités territoriales et qui brouille le message. C'est pourquoi nous recommandons d'engager d'urgence un travail de simplification associant les services de l'Etat et les associations d'élus afin de rendre plus lisible l'articulation des outils relatifs aux risques.
Nous souhaitons également renforcer l'opposabilité des plans de prévention des risques. Aujourd'hui, un plan de prévention des risques vaut servitude de droit public. De ce fait, il s'impose automatiquement aux documents d'urbanisme (le PLU, par exemple). Toutefois, devant la multitude de textes à prendre en compte, il n'est pas toujours aisé de savoir quel document est applicable. C'est pourquoi, dans un objectif de plus grande lisibilité, nous proposons là encore, dans notre septième recommandation, de prévoir une obligation pour les communes de réviser leurs documents d'urbanisme en cas d'approbation, de mise en application anticipée ou de modification d'un PPR.
Comme vous le savez, dans quelques jours (le 1er juillet 2015), le nombre des communes bénéficiant d'une instruction de leurs permis de construire à titre gratuit va diminuer de façon draconienne. À partir de cette date, l'enjeu du contrôle de légalité sur les permis de construire, comme moyen de sécuriser les maires, deviendra donc crucial. Nous partageons l'inquiétude de la Cour des comptes au sujet des effectifs qui y sont consacrés, du fait de la réorganisation des services déconcentrés. C'est pourquoi nous souhaitons - c'est l'objet de notre recommandation n° 8 - sécuriser les élus locaux en assurant la présence d'effectifs suffisants dans les préfectures afin de garantir un contrôle de légalité extensif et de qualité sur les actes d'urbanisme.
Toujours dans le domaine de l'urbanisme, nous avons été sensibles à un problème rencontré par de nombreux maires : celui de l'aménagement de « cabanons » (ou HLL, habitations légères de loisirs) devenus au fil du temps de véritables habitations pérennes, sans qu'aucune demande de permis de construire n'ait été formulée. De nombreux maires craignent de voir leur responsabilité engagée, d'autant que la procédure pour obtenir la destruction des constructions réalisées sans permis de construire est particulièrement difficile à mener à terme. Afin d'accélérer les procédures et pour simplifier la vie des élus locaux, nous recommandons de désigner dans les services du parquet des substituts du procureur de la République spécialisés dans le contentieux des actes d'urbanisme, compétents en particulier en matière de construction illégale (recommandation n° 9).
Enfin, pour répondre au souci d'améliorer l'alerte et la transmission des appels d'urgence, nous avons souhaité recommander de soutenir le déploiement sur l'ensemble du territoire du nouveau système d'alerte fondé sur le SMS « selfbroadcasting », permettant une alerte rapide de la population, même en cas de fonctionnement dégradé des réseaux. Concrètement, dans les situations d'urgence, l'enjeu principal est de pouvoir transmettre rapidement l'information en évitant toute saturation du réseau. Cette capacité est conditionnée au déploiement d'un système communément appelé « selfbroadcasting », qui existe déjà dans certains pays comme les Pays-Bas ou Israël, et présente un triple avantage : il n'y a pas de problèmes de saturation ; ce canal ne peut pas être désactivé par l'utilisateur ; si le téléphone est éteint, il est automatiquement rallumé pour transmettre le message.
Selon nos informations, le ministère de l'Intérieur s'est récemment rapproché du ministère de l'Economie et du numérique. Ils envisagent la mise en place d'une inspection interministérielle sur la possibilité et les conditions du déploiement de cette technique en France. Nous l'appelons de nos voeux.
Avant de conclure, je souhaiterais insister sur la complémentarité de notre collaboration : un sudiste et un nordiste, un juriste et un historien-géographe. Nous avons travaillé en bonne intelligence. J'ai eu vraiment plaisir à travailler avec François Calvet.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Ce travail me paraît d'un grand intérêt et ces recommandations arrivent à point nommé, à un moment où nous sommes entre l'amertume et l'oubli.
M. Philippe Mouiller. - Je tiens également à féliciter les rapporteurs pour ce travail. Je suis élu de Poitou-Charentes et j'imagine facilement le choc que vous avez pu connaître en vous rendant sur place.
Ma première question concerne les engagements pris par les collectivités territoriales et l'Etat pour la remise en état des digues. À l'époque, les préconisations relatives au niveau des digues et à leur implantation n'étaient pas respectées. Je ne suis pas persuadé que l'ensemble des recommandations et prescriptions des services de l'Etat soient à ce jour mises en oeuvre, notamment du fait des problèmes de financement.
S'agissant du fonds d'indemnisation pour la destruction des maisons, la Vendée a été exemplaire. En revanche, je ne suis pas certain que la situation soit identique en Poitou-Charentes. Disposez-vous d'informations sur le niveau de réalisation de cet engagement ? Cette question renvoie également aux incidences fiscales pour les collectivités, avec les pertes de ressources locales induites par ces destructions.
Je ne peux qu'approuver l'ensemble des recommandations que vous avez présentées. Je souhaiterais en particulier insister sur l'importance du respect des règles d'urbanisme. Je ne suis, à cet égard, pas persuadé qu'il soit pertinent d'attendre les révisions de PLU.
Enfin, l'une des difficultés pour l'Etat et les élus est de bien qualifier le niveau d'alerte ; nous sommes en effet assez souvent prévenus d'événements climatiques potentiellement dangereux pour nos populations. Quelle est la capacité réelle pour les élus locaux de qualifier le niveau d'alerte et de demander en conséquence une évacuation ?
Mme Françoise Gatel. - Je souhaite vous exprimer mes profonds remerciements pour la qualité de votre rapport, car ce qui fait un jour la une de nos journaux a rapidement tendance à sombrer dans l'oubli sans que l'on en tire les leçons. Nous devons développer une culture du risque, qui ne doit pas être une culture de l'inaction. Nous devons sensibiliser nos concitoyens au risque. La prévention ne supprime pas le risque, mais elle permet d'en limiter les effets. Afin de limiter le phénomène de judiciarisation, il convient de rappeler que la prévention, bien entendu nécessaire, ne supprime pas le risque.
S'agissant des responsabilités des maires mis en cause, je ne défends personne. Je constate qu'il y a eu des erreurs extrêmement graves. Les personnes qui ont reproché l'insuffisance du maire sont toutefois souvent celles qui ont exercé des pressions pour que leur terrain devienne constructible... Le maire ne peut être laissé seul dans ce domaine. Lorsque des plans sont nécessaires, le préfet doit imposer au maire de les mettre en oeuvre de façon à ce que les conseils municipaux comprennent qu'il s'agit d'une responsabilité collective.
Les habitants doivent également être responsabilisés. Votre idée d'échanges entre les assureurs, l'Etat et les collectivités me paraît intéressante dans un contexte où nous avons des difficultés à gérer des actions d'urbanisme qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation.
Ce débat renvoie, à mon sens, aux échanges que nous avons eus sur la loi NOTRe, avec la problématique de la compétence de la prévention des inondations. Confier cette responsabilité aux intercommunalités me paraît réducteur. L'eau échappe en effet aux périmètres administratifs. Même si une collectivité a fait le nécessaire, des efforts sont également indispensables en amont et en aval afin d'éviter les catastrophes. Ceci est d'autant plus important que se pose la problématique de la capacité de financement des différents propriétaires.
Enfin, je pense que la culture du risque et que le principe de précaution sont nécessaires, mais doivent être appliqués avec discernement. Dans mon secteur, la baie du Mont-Saint-Michel, les conclusions retenues suite à la tempête Xynthia amènent l'Etat à décliner de manière uniforme les précautions à prendre. Or, la baie du Mont-Saint-Michel n'est en aucun cas dans la même situation que le littoral vendéen. Même si les catastrophes déclenchent des peurs - compréhensibles - chez les serviteurs de l'Etat, qui vont chercher à se protéger, les réalités géographiques doivent être prises en compte.
M. Rémy Pointereau. - Je souhaite m'associer à mes collègues pour remercier les rapporteurs de la qualité de leur travail. Pour connaître le village de Charron, j'ai conscience du choc ressenti au sein des populations. Ce drame ne doit à l'évidence pas se reproduire.
Le risque zéro n'existe pas. Pour autant, les digues auraient dû, en premier lieu, être entretenues. Les initiatives menées en matière de culture du risque dans un pays tel que les Pays-Bas, dont des populations importantes vivent sous le niveau de la mer depuis de nombreuses années, pourraient être examinées.
Les alertes se banalisent. Nous recevons, en tant que maires, de nombreuses alertes liées à différents événements climatiques. Si nous communiquons auprès des habitants, ceux-ci nous rappellent trop souvent qu'il ne s'est rien passé lors de la dernière alerte.
La loi Maptam affecte la Gemapi au bloc local. Si celui-ci peut prélever des taxes sur les habitants, l'Etat doit, à mon sens, assurer cette compétence. Dans notre département, nous comptons des digues tout au long de la Loire. Je ne vois pas comment nos collectivités pourront assumer cette compétence. Cet élément devrait, à mon sens, être ajouté au rapport.
M. Marc Daunis. - J'apprécie l'esprit du rapport et son éclairage sur la problématique. La culture du risque doit être fortement mise en avant. À défaut, les élus locaux risquent d'être mis en difficulté.
La négation du risque doit être remplacée par une culture de prévention du risque et d'atténuation des effets en cas de survenue d'une catastrophe, sans quoi les exigences de normes et de procédures risquent d'être sans cesse augmentées.
Dans le département des Alpes-Maritimes, nous connaissons une forte pression foncière en bordure de mer, à proximité des montagnes. En dépit des phénomènes de judiciarisation et d'une culture administrative de plus en plus tatillonne, nous devons trouver un équilibre entre ce qui est financièrement possible, ce qui est techniquement le plus soutenable et ce qui peut être assumé vis-à-vis des citoyens.
Par ailleurs, je suis toujours surpris du délai de réponse aux infractions en matière d'urbanisme que je transmets au procureur ainsi que du nombre de classements sans suite. Ainsi, la désignation, dans les services du parquet, de substituts du procureur de la République spécialisés dans le contentieux des actes d'urbanisme m'apparaît particulièrement pertinente.
S'agissant de l'entretien des digues, je me demande si nous n'avons pas à intégrer un plan digues dans les contrats de plan Etat-région. Je prends l'exemple du Rhône, où des investissements considérables seront nécessaires, notamment dans le Gard ou en Camargue. Je pense qu'il faudrait insérer une recommandation spécifique sur l'entretien, éventuellement en distinguant différents niveaux.
Enfin, l'usage des technologies d'information est essentiel. Nous avons des outils remarquables à notre disposition. Nous pourrions examiner ce point avec les ministères concernés et utiliser des technologies d'entreprises françaises.
M. Christian Manable, rapporteur. - Je me suis porté volontaire pour travailler sur ce rapport, estimant qu'il existait des similitudes entre la Vendée et le littoral picard, qui a déjà connu des submersions marines, certes moins dramatiques, en 1990. En tant que président du département pendant sept ans, mais aussi en tant qu'historien et géographe, je m'étais intéressé au sujet, sans pour autant être spécialiste de ces problématiques. Nous sommes confrontés au même problème dans la baie de Somme, notamment dans la baie d'Authie, où les digues comptent une multitude de propriétaires, qui ne sont, du reste, pas toujours connus. La mémoire humaine est finalement relativement courte, ce qui explique l'absence de cette culture du risque.
Le PAPI permet, s'agissant des digues, un financement à hauteur de 40 % par l'Etat, dans le cadre de travaux intégrés à un PPRL. La gestion des digues peut s'effectuer dans le cadre de la GEMAPI.
Une nouvelle carte des zones d'extrêmes dangers est en cours d'élaboration, afin de prendre en compte des sites de plus petite dimension.
S'agissant du linéaire de digues, les PAPI prévoient le renforcement de 454 km de digues, pour un montant de 1,33 milliard d'euros.
M. François Calvet, rapporteur. - En Vendée, les travaux programmés portent sur 76 km de digues. Seuls 8 km ont été réalisés à ce jour. Si l'Etat finance les travaux à hauteur de 50 % et le Conseil départemental de Vendée à hauteur de 30 %, les communes, les propriétaires ou les ASA ne peuvent contribuer, pour autant, aux 20 % restants, d'autant que l'Europe a exclu ces travaux de protection de son financement. L'Europe, dans son ensemble, est pourtant affectée et la tempête Xynthia a, par exemple, touché jusqu'à l'Allemagne. L'eau ne s'arrête évidemment pas aux frontières.
J'ajoute que le financement de la DGF est en baisse de 37 % pour la commune de La Faute-sur-Mer. Le prix moyen des acquisitions par France Domaine des maisons à détruire était de 2 300 euros le m2. Entre 700 millions d'euros et 1 milliard d'euros ont été mobilisés pour les acquisitions foncières dans le cadre du fonds Barnier.
M. Christian Manable, rapporteur. - Au-delà de la baisse du financement de la DGF, la diminution du nombre des résidents permanents entraîne une baisse des effectifs à l'école. En outre, la notoriété de la commune est affectée. Le nouveau maire de La Faute-sur-Mer souhaite, pour réagir, créer, sur l'emplacement de l'ancien lotissement, un golf 9 trous et un parking. La population est très partagée sur l'idée de créer un espace de loisirs sur le lieu de la catastrophe. Le maire défend sa proposition, estimant qu'il faut tourner la page et donner une nouvelle image à la commune.
M. Jean-Marie Bockel, président. - De la même façon, à Vaison-la-Romaine, la vie a pu reprendre son cours sur les lieux de la catastrophe.
M. Christian Manable, rapporteur. - Se pose sans doute une problématique de temps. La catastrophe Xynthia est encore très récente.
La culture du risque, qui doit être développée dans notre pays, ne doit pas être sclérosante et doit comprendre un aspect positif. C'est la raison pour laquelle nous avons rappelé que le risque pouvait être un facteur de projet de territoire.
M. François Calvet, rapporteur. - L'association IFFO-RME dispose de kits pour les enfants et pourrait intervenir plus souvent dans le cadre des TAP. La culture du risque doit en effet être largement diffusée auprès des plus jeunes.
M. Christian Manable, rapporteur. - S'agissant des alertes, comme vous l'avez indiqué, nous ne parvenons pas toujours à déterminer le niveau d'alerte pertinent.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Ce rapport pourrait susciter un débat public ; nous y réfléchirons. Je vous remercie messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, et je vous propose d'adopter ce rapport à l'unanimité, nourri par les échanges que nous avons eus.