- Mercredi 10 juin 2015
- Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense - Audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées
- Nomination d'un rapporteur
- Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
- Jeudi 11 juin 2015
Mercredi 10 juin 2015
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -La réunion est ouverte à 9 h 30
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense - Audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées
La commission auditionne le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Avant d'accueillir le chef d'état-major des armées, quelques mots sur les missions de notre commission. La commission des affaires européennes vient de publier un rapport d'étape sur les relations entre l'UE et la Russie qui rend difficile la publication simultanément de notre propre rapport d'information en préparation sur les relations avec la Russie ; nous avons en outre un agenda très chargé avec plusieurs projets de loi à examiner. Je vous propose donc de présenter nos rapports d'information à la rentrée parlementaire d'octobre, et d'organiser alors un débat de politique étrangère en séance publique avec le ministre des affaires étrangères pour débattre de leurs conclusions et des grandes lignes de force qui s'en seront dégagées, débat que nous pourrions intituler « Politique étrangère : quelle indépendance pour quelle ambition ? ». Le ministre des affaires étrangères a donné son accord.
Le projet de loi d'actualisation de la loi de programmation militaire marque une inflexion importante. J'aimerais insister sur la nécessité de parvenir si possible à un texte stabilisé avant le 14 juillet prochain, dans la mesure où nos armées ont besoin d'une base pour une mise en oeuvre rapide.
- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président -
M. Jacques Gautier, président. - Nous accueillons le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. Général, vous nous aviez dit lors d'une précédente rencontre que la programmation 2013 était taillée au plus juste et que toute mission nouvelle impliquait des moyens nouveaux. Vous évoquiez les difficultés à identifier les déflations d'effectifs restantes. Vous nous aviez également indiqué que les ressources de la défense devaient impérativement être au rendez-vous « en temps et en heure » pour l'achat des équipements nécessaires aux missions de nos armées.
Votre engagement sincère nous avait convaincus. Nous avions d'ailleurs demandé au Gouvernement des éclaircissements sur les sociétés de projet et les solutions alternatives pour pallier le manque de ressources exceptionnelles, ce qui nous a conduits à effectuer un contrôle sur pièces et sur place à Bercy.
Nous nous retrouvons alors que les Rafale ont été exportés, que l'opération Sentinelle a été pérennisée, que les sociétés de projet ont été abandonnées et surtout que le Conseil de défense du 29 avril, traduit dans le projet de loi d'actualisation de la programmation militaire, a fixé de nouvelles orientations.
Ce projet de loi apporte-t-il à votre sens des réponses satisfaisantes aux questions que vous vous posiez ? Les crédits budgétaires seront-ils au rendez-vous, en particulier dès 2015 ? Je salue vos efforts pour obtenir que les économies réalisées sur le coût des facteurs soient directement investies dans de nouvelles capacités. La question des associations professionnelles de militaires se pose également.
Il faut aller rapidement de l'avant. Sur tous ces sujets, je vous laisse maintenant la parole.
Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - La dernière fois que je suis venu devant vous, c'était en octobre dernier pour le projet de loi de finances pour l'année 2015. Aujourd'hui, il s'agit de l'actualisation de la loi de programmation militaire et du projet de loi qui la porte et qui vient d'être voté hier à l'Assemblée nationale.
Je voudrais en premier lieu vous remercier de me donner une nouvelle fois l'occasion de m'exprimer devant vous. C'est toujours un plaisir de sentir l'intérêt que porte votre commission à nos préoccupations de défense. Merci pour cette relation de confiance entre vous, les parlementaires, et nous, les militaires. C'est un signe fort, incarné, du lien entre la Nation et son armée.
Je vous parlerai comme à mon habitude : sans langue de bois, en vérité et en toute transparence. La situation l'exige.
Si cette actualisation était prévue dans la LPM, c'est bien la dégradation du contexte sécuritaire national et international qui l'a accélérée ; elle est à l'origine de la décision du Président de la République, lors du conseil de défense du 29 avril dernier, de maintenir dans la durée 7 000 soldats dans l'opération Sentinelle, de réviser la cible des déflations, d'augmenter le budget de la défense et d'abandonner l'incertitude des recettes exceptionnelles au profit de ressources budgétaires.
Ces décisions, en termes budgétaires et d'effectifs, sont celles que je souhaitais, en accord total avec le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Si j'ai été entendu, c'est aussi grâce aux soutiens apportés par les parlementaires et singulièrement ceux de votre commission, ici au Sénat, dont je connais l'engagement et le sens de l'intérêt général.
Grâce à votre appui, le redressement de l'effort de défense permet de maintenir une cohérence entre les moyens qui nous sont donnés et les missions qui nous sont confiées. C'est bien l'idée maîtresse de ma démonstration aujourd'hui devant vous.
Dans le cadre de la LPM, nous avions défini un modèle complet d'armée, certes taillé au plus juste - je vous l'ai dit déjà plusieurs fois - mais cohérent et adaptable. C'est grâce à ces qualités que nous avons pu, jusqu'à présent, remplir les missions qui nous ont été confiées. C'est grâce à ces qualités que nous pouvons maintenant l'actualiser à l'aune du nouveau contexte.
Nous sommes dans un exercice de densification d'un modèle toujours pertinent et que nous voulons plus robuste, c'est-à-dire à la fois adapté à un contexte sécuritaire qui s'est durci et prenant en compte les missions nouvelles que nos armées doivent désormais assumer.
Pour remplir ces missions, l'augmentation du budget de la défense est plus qu'un besoin, c'est une nécessité.
Je ne mésestime pas l'effort que cela représente pour la nation dans le contexte économique actuel, mais ce n'est pas une faveur faite aux armées. C'est la preuve que notre pays, dans un monde de plus en plus imprévisible et menaçant, veut demeurer maître de son destin. C'est l'honneur de la France de prendre cette décision courageuse.
Renforcer le budget de la défense est strictement nécessaire : sans les ajustements proposés dans cette actualisation de la LPM, nous ne serions bientôt plus en mesure d'assurer correctement la totalité de nos missions, ni de conserver notre modèle d'armée, aujourd'hui et demain, notamment sur la période 2016-2019. Pour vous le démontrer, j'articulerai mon discours en trois parties :
- les facteurs qui mettent sous tension nos armées et justifient l'actualisation de la LPM ;
- la réponse qui est portée par le projet de loi ;
- mes points d'attention.
Pour commencer donc : les facteurs qui justifient l'actualisation de la LPM.
J'aborderai trois domaines : la protection du territoire national, les opérations extérieures et le soutien aux exportations.
1er domaine : les missions des armées qui concourent directement à la protection du territoire national. Au-delà bien sûr de la dissuasion nucléaire que je n'évoquerai pas ici et qui n'est pas directement impactée par l'actualisation, elles comprennent la protection des approches maritimes et aériennes de notre territoire - à laquelle concourent quotidiennement plusieurs milliers de marins et d'aviateurs - ainsi que l'engagement de nos soldats sur le sol national en protection de la population.
Sur le territoire national, jusqu'à 10 000 hommes ont été déployés en quelques jours en janvier dernier après les attentats parisiens. Ce déploiement sans précédent s'inscrit désormais dans la durée avec les 7 000 soldats de l'opération Sentinelle. Ce volume de troupes déséquilibre actuellement les armées, et singulièrement l'armée de terre. La préparation opérationnelle a été réduite, des engagements internationaux ont été annulés, des relèves modifiées. Des soldats ont eu leurs permissions diminuées, voire supprimées ; certains entament en ce moment leur troisième rotation, ce qui correspond parfois à 12 semaines d'engagement depuis la mi-janvier : 12 semaines sur 19. C'est considérable ! Qui assumerait cette charge sans faire valoir ses droits individuels ? Nos militaires, ces jeunes Françaises et Français que vous croisez dans Paris et dans vos circonscriptions, le font sans se plaindre. C'est mon devoir de vous le dire : ils méritent la reconnaissance de la Nation ; ils méritent en tout cas les moyens de leurs missions ; c'est un minimum. Les armées n'ont pas de syndicat ; leur seul syndicat, c'est la voix de leurs chefs ... et la mienne aujourd'hui devant vous !
Soyons clair : cet engagement n'est pas tenable sans effectifs supplémentaires. Le volume de forces engagées sur le territoire national s'ajoute en effet à celui en opérations extérieures, dans les missions permanentes, aux forces de présence et de souveraineté. Au total, à l'heure où je vous parle, environ 35 000 soldats sont déployés dans ces missions et dans la durée. On ne peut pas aller au-delà sous prétexte que les militaires ne se plaignent pas !
Sur l'emploi des armées sur le territoire national en protection de la population, une nécessaire réflexion doit être poursuivie : quel cadre, quelles missions, quelle coopération avec les forces de sécurité intérieure ? Un rapport sous l'autorité du Premier ministre a été demandé par le Président de la République sur ce sujet. Il permettra, je l'espère, de préciser l'emploi des forces déployées à l'intérieur de nos frontières.
2e domaine, après la protection du territoire national : les opérations extérieures.
Plus de 8 000 hommes et femmes de nos armées sont actuellement déployés en opérations extérieures. Ils remportent d'indéniables succès opérationnels. L'actualité du mois dernier le montre encore avec le bilan de l'opération qui a conduit, lundi 18 mai, au Nord Mali, à mettre hors de combat le principal chef opérationnel touareg d'AQMI au Nord Mali, Adelkrim le touareg, ainsi que l'adjoint d'Iyad Al Ghali en charge de la police religieuse et des éliminations ciblées d'opposants, Ibrahim Ag Inawalen. C'est un exemple emblématique, car la disparition de ces deux terroristes porte un coup sévère à nos adversaires. C'est aussi un exemple qui montre la qualité de la boucle vertueuse : renseignement ; suivi de la cible 24 heures sur 24 ; neutralisation au bon moment, au bon endroit, avec les bons modes d'action et les bons moyens.
Au-delà du volume de troupes, la pression opérationnelle exercée par les OPEX sur les armées est accentuée par deux facteurs principaux :
- 1er facteur : les élongations. Les opérations se déroulent sur des zones aux dimensions très importantes qui mettent sous tension nos moyens de transport aériens avec une surconsommation de leurs potentiels. La zone d'opération au Sahel représente, à elle seule, près de 8 fois la superficie de la France, ce qui implique des temps de vol importants pour que nos avions arrivent sur leurs objectifs ; et nécessite deux fois plus de moyens de commandement qu'un autre théâtre. Autre illustration de ces élongations : l'évacuation, par la marine, de nos ressortissants au Yémen il y a quelques semaines, s'est déroulée à 5 000 kilomètres de nos frontières.
- 2e facteur : la dureté des théâtres et des opérations. Les conditions d'engagement sont extrêmes pour le personnel comme pour les équipements. Au Nord Mali, du fait des 45° de chaleur, chaque homme consomme chaque jour plus de 12 litres d'eau. Le caractère abrasif des sables du Sahel et du Levant, de la rocaille des massifs du Nord Mali et de la latérite centrafricaine, conjugués aux vents violents, à la chaleur et aux amplitudes de températures de ces théâtres, provoquent également une usure accélérée de nos matériels. Pour les vecteurs aériens, notamment les hélicoptères, ces conditions extrêmes provoquent une dégradation accélérée des ensembles mécaniques. Pour les matériels terrestres, 20 % d'entre eux qui rentrent en panne de retour de l'opération Barkhane sont irréparables.
Sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et considérant leur âge, le maintien du niveau d'engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont les avions de transport tactique et de patrouille maritime, les hélicoptères de manoeuvre et les véhicules blindés. Sans moyens financiers supplémentaires pour l'entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel.
Il faut avoir en tête l'état réel de nos équipements : lors de mon dernier déplacement à Tessalit, j'ai embarqué dans un véhicule de l'avant blindé - un VAB - livré en 1983 !
Si nous ne réagissions pas, les conditions actuelles porteraient le risque de compromettre rapidement notre efficacité et notre capacité à durer. Nos amis britanniques ont connu ce phénomène de retour d'Irak et plus récemment d'Afghanistan. Pour éviter ce risque, des mesures urgentes sont nécessaires.
Cette nécessité s'impose avec d'autant plus de force que le contexte sécuritaire international se dégrade aussi bien sur le flanc Est que sur le flanc Sud de l'Europe. En effet, aujourd'hui :
- Ce sont Daech et le terrorisme islamiste radical qui continuent à se déployer en s'appuyant sur une propagande mondiale.
- Ce sont environ 1 600 résidents Français partis combattre à l'étranger, dont le retour, réel ou potentiel, accentue la menace à l'intérieur même de nos frontières.
- C'est AQMI et les groupes armés terroristes de la bande sahélo-saharienne, qui se jouent de la porosité des frontières pour se camoufler, puis agir.
- C'est Boko-Haram, qui déstabilise la région du lac Tchad et terrorise la population.
- C'est le risque de connexion entre les groupes armés terroristes des différents théâtres : AQMI au Sahel, Daech et Jabhat An-Nusra au Levant, Boko-Haram au Nigéria, sans parler des Shebabs de Somalie, etc.
- C'est la crise ukrainienne, qui fait peser le retour de la guerre en Europe. L'évolution de la situation y reste mouvante et incertaine.
- C'est la misère qui pousse des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants à prendre tous les risques pour rejoindre l'Europe.
Mesdames et messieurs les sénateurs, ne nous payons pas de mots : la guerre, l'affrontement, sont de retour de façon durable avec une multiplication de crises de plus en plus violentes, qui nous menacent très directement.
3e domaine : les exportations.
C'était un point d'attention de la LPM, et c'est un pari réussi ! Nous nous en réjouissons.
Grâce aux ventes de Rafale à l'Egypte, au Qatar, et probablement à l'Inde, d'une frégate pour ce qui concerne encore l'Egypte et de différents matériels pour le Liban, l'augmentation des exportations d'armements est significative. Nous devons collectivement en être fiers ; c'est le fruit d'années d'effort ; ce sont autant de succès pour « l'équipe France » et ils consolident l'équilibre et la soutenabilité de la LPM, tout en renforçant notre plateforme industrielle de défense.
Les armées ont pris leur part dans ces réussites avec, en amont, la participation aux travaux de conception et de définition du besoin, puis la crédibilité opérationnelle apportée aux équipements sur les théâtres d'opération.
Les armées participent également, par la qualité des relations internationales militaires qu'elles entretiennent de par le monde, à faciliter les négociations.
Les armées sont aussi mises à contribution pour l'accompagnement de ces marchés. Nous devons prendre en compte cette mission nouvelle, qui comprend notamment la formation des équipages, des pilotes et des maintenanciers. L'impact sur l'équipement de nos forces doit également être considéré. Deux exemples concrets :
- le prélèvement d'une frégate multi-missions FREMM pour l'export impose de prolonger 3 frégates anciennes, d'un an chacune. Cela représente une charge de 212 « équivalents temps plein » sur la période 2016-2019, effectifs auxquels s'ajoutent 35 marins dédiés au soutien à l'export.
- de la même manière, l'export de Rafale impose, entre autre, un surcroît d'activités et donc la nécessaire prolongation d'un parc de 6 MIRAGE 2000c pendant 4 ans.
Je tiens à préciser sur ce plan que ces exportations ne remettent pas en cause les cibles d'équipements au terme de la LPM : nos 26 Rafale et nos 6 FREMM seront bien livrés sur la période de la LPM. Seuls leurs calendriers de livraison devront être ajustés en fonction des engagements d'exportation.
L'actualisation de la LPM doit aussi intégrer ces paramètres. Et je dois vous dire que l'aléa de l'export Rafale levé, c'est un grand soulagement pour le chef d'état-major des armées que je suis.
Pour résumer cette première partie : sur la base d'une LPM sans marge, je souligne un engagement massif sur le territoire national qui remet en cause le format cible de nos armées ; des opérations extérieures qui usent les matériels ; des exportations qui impliquent de modifier sensiblement la LPM. Telles sont, sommairement décrites, les principales problématiques auxquelles l'actualisation de la LPM doit répondre. Cela m'amène à ma deuxième partie : la réponse à ces enjeux.
Cette réponse est à la fois capacitaire et organisationnelle : elle n'est possible qu'avec des ressources budgétaires adaptées.
Elle est d'abord capacitaire et se décline en trois domaines principaux : les effectifs, les équipements et le maintien en condition opérationnelle des matériels.
Premièrement : les effectifs.
La mise en oeuvre du contrat protection a montré la nécessité de pouvoir disposer d'effectifs militaires en nombre suffisant. Vous le savez, le Président de la République a décidé de réduire de 18 750 la déflation des effectifs du ministère d'ici 2019. Je rappelle d'ailleurs que ce n'est pas une augmentation des effectifs, mais bien une moindre baisse ; nous aurons en 2019 moins de militaires professionnels qu'en 1996 avant la professionnalisation. Ce n'est donc pas une inversion, mais une moindre déflation. Elle marque cependant une réelle inflexion de tendance et une mise en cohérence entre le constat sécuritaire et les conclusions qu'il faut en tirer ; entre les missions et les moyens.
Cette décision desserre l'étau des effectifs ; elle nous permettra une remontée en puissance rapide de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 soldats, afin de maintenir dans la durée 7 000 hommes dans l'opération Sentinelle. Elle donne la capacité permanente d'aller, si besoin et sur court préavis, jusqu'à déployer 10 000 soldats pour 4 semaines. À travers la force opérationnelle terrestre, qui est aussi le réservoir pour les OPEX, c'est donc bien aux unités de combat que va la priorité en effectifs. Pour la première fois depuis 50 ans, on va recréer des compagnies de combat dans les régiments. Donc, sur les 18 750, 11 000 seront affectés à la Force opérationnelle terrestre.
Mais cette dynamique bénéficie aussi à l'ensemble des armées. Les 7 750 restants se découpent en plusieurs tranches :
Environ 1 000 postes supplémentaires par rapport à la LPM initiale seront consacrés au domaine du renseignement et de la cyber. L'actualisation de ces besoins est incontournable. Traquer des terroristes et anticiper au plus tôt leurs attaques ; se protéger contre les attaques Cyber de Daech, telle que celle qui a ciblée TV5 monde au mois d'avril ; retrouver la trace d'un otage, comme le ressortissant néerlandais, au milieu du désert malien ; toutes ces actions nécessitent des moyens matériels perfectionnés et des ressources humaines de grande qualité.
Le reste des effectifs préservés permettra aux armées, directions et services :
- de répondre aux besoins nouveaux liés principalement au soutien des exportations et au renforcement de la protection des sites militaires ;
- de limiter les risques dans la conduite de leurs plans de transformation, en évitant un bourrage par des effectifs non identifiés dans les déflations.
La moindre déflation en effectif a un coût : il correspond à la masse salariale, la formation, la vie quotidienne - je pense en particulier à l'infrastructure -, l'équipement et l'entraînement de ces militaires.
Ce coût doit aussi prendre en compte la rénovation de notre système de réserve. Les réserves font partie intégrante de notre modèle d'armée professionnelle. Je suis pour ma part persuadé que le développement de la réserve pourrait contribuer, davantage encore, à la cohésion nationale. Elles doivent participer, plus et mieux, aux nouvelles missions et singulièrement à celle de la protection du territoire. Il s'agit d'un projet cohérent : une réserve plus jeune, plus réactive, plus nombreuse - avec une dotation budgétaire supplémentaire de 75 millions d'euros sur 2016-2019 -, avec des périodes plus longues, et plus attractive vis-à-vis de la fonction publique et du secteur privé.
Effort sur les effectifs, développement de la réserve, effets induits par le soutien à l'exportation nécessitent au total un financement de 2,8 milliards d'euros sur la période 2016-2019.
Je voudrais maintenant aborder les équipements et le maintien en condition du matériel.
Si le cap d'un modèle complet d'armée pour 2020 reste inchangé, nous avons dû, là encore, nous adapter au nouveau contexte en portant notre effort sur la modernisation de nos capacités renseignement et cyber, sur les frappes dans la profondeur, sur la mobilité et sur la protection des forces. C'est surtout le bon moment pour intégrer les enseignements de nos engagements des trois dernières années au Sahel, au Levant, en RCA et ailleurs.
Nous devons en fait veiller à quatre aptitudes principales. Ce ne sont pas les équipements qui dictent les choix, mais les aptitudes, dont doit disposer le chef militaire sur le terrain. Des mesures capacitaires portées par le projet de loi viennent les appuyer pour un montant total de 2 milliards d'euros : 1,5 milliard d'euros pour les équipements et 500 millions d'euros pour l'entretien programmé des matériels.
1ère aptitude : garder l'initiative.
Dans la bande sahélo-saharienne, nos opérations aéroterrestres nécessitent de disposer d'une grande réactivité pour conserver l'initiative. Nos actions combinent hélicoptères de transport de troupes et hélicoptères d'attaque. Le potentiel de nos parcs est actuellement insuffisant pour tenir le rythme des opérations. Pour y remédier, l'acquisition d'hélicoptères est primordiale. Le projet de loi prévoit d'anticiper l'acquisition de 6 NH90 et de valider la tranche conditionnelle de 7 Tigre supplémentaires.
Maîtriser le processus de ciblage, s'assurer de la précision des tirs et maîtriser les effets collatéraux, sont aussi des savoir-faire qui font la différence sur le terrain. C'est l'objectif de l'acquisition de 25 « pods » supplémentaires de désignation laser de nouvelle génération pour nos avions de chasse. Ils s'ajoutent aux 20 « pods » déjà prévus par la LPM initiale, soit au total 45 « pods » à l'horizon 2019.
De la même façon, l'achat de matériels, comme celui de 3 900 jumelles de vision nocturne complémentaires permettra à nos forces spéciales de conserver l'avantage technologique dans le combat de nuit.
2e aptitude : accroître la mobilité de nos forces.
Avec la dispersion des théâtres et leur étendue, face à un ennemi fugace, nous devons renforcer nos capacités de mobilité stratégique et opérative. Elles sont, vous le savez, particulièrement sous tension.
Le besoin sur les théâtres en transport tactique et en ravitaillement en vol est supérieur de 50 % à ce que prévoient les contrats opérationnels du Livre blanc. Nos avions de transport tactiques sont vieillissants et d'un fonctionnement très coûteux. L'urgence de la situation ne permet pas d'attendre plus longtemps la montée en capacité tactique des A400M. Par ailleurs, le vieillissement de la flotte de ravitailleurs fait peser un risque sur l'action aérienne. Il est donc de première importance d'acquérir 4 avions de transport tactiques C130 et d'avancer la livraison des trois derniers MRTT, soit 12 effectivement livrés avant 2025.
3e aptitude : optimiser l'endurance et la disponibilité de nos matériels.
Pour cela, nous devons consolider le soutien logistique avec un effort nécessaire pour « l'entretien programmé du matériel », indispensable à la régénération des équipements les plus sollicités.
Le projet de loi prévoit 500 millions d'euros sur la période 2016-2019. C'est un minimum, car actuellement, nous consommons plus vite que nous sommes capables de régénérer : c'est vital pour le maintien des capacités opérationnelles de nos armées.
4e aptitude : anticiper nos engagements.
Il s'agit de nos capacités de renseignement, de surveillance et de maîtrise des espaces matériels et immatériels.
La nécessaire anticipation stratégique et tactique passe notamment par l'observation spatiale avec l'acquisition en coopération avec l'Allemagne d'un 3e satellite pour le programme de la composante spatiale optique. Elle passe également par des capacités d'écoutes tactiques. Ces capacités amélioreront la surveillance des vastes zones d'opérations et l'appui direct des forces au contact ainsi que les actions de ciblage.
Au-delà de ces aptitudes essentielles, nous devons aussi répondre à l'urgence de ruptures de capacités réelles ou potentielles.
Nous le faisons avec des mesures de cohérence opérationnelle qu'il ne nous est plus possible de reporter, comme l'achat de lots OPEX pour les Rafale, la régénération des véhicules blindés légers, l'acquisition d'un bâtiment de souveraineté et d'assistance hauturier et d'un bâtiment multi-missions.
Répondre à l'urgence, c'est aussi améliorer la sûreté aérienne face aux menaces des mini-drones, que l'on a pu observer récemment au-dessus de sites sensibles, militaires, nucléaires ou urbains.
La mobilité, l'initiative, l'endurance et l'anticipation : toutes ces aptitudes ne valent que si elles sont mises en oeuvre par des hommes et des femmes compétents au sein d'une organisation performante ; ce qui m'amène à aborder, après ce premier volet capacitaire de la réponse, le volet organisationnel.
Ce volet est porté par la transformation des armées, directions et services qui continue. Oui, la transformation continue. Elle est, elle aussi, un enjeu de cohérence, une exigence de réussite et un gage d'avenir pour notre outil de défense.
Les objectifs de rationalisation et de réforme interne demeurent. Vous pouvez compter sur moi et sur les chefs d'état-major d'armées pour poursuivre le projet CAP 2020. Il s'agit toujours d'optimiser nos capacités opérationnelles et d'affûter notre organisation générale.
La transformation concerne toutes les armées, directions et services. Vous connaissez les différents projets mis en oeuvre par chacun : « au contact » pour l'armée de terre, « Horizon Marine 2025 » pour la marine, « Unis pour faire face » pour l'armée de l'air, « SCA 21 » pour le service du commissariat des armées, « SSA 2020 » pour le service de santé des armées, « projet DRM » pour la direction du renseignement militaire, « Quartz » pour la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense, « SEA 2020 » pour le service des essences des armées, « SIMu 2019 » pour le service interarmées des munitions. Si je vous les cite tous, c'est pour montrer qu'un modèle d'armée, c'est bien un tout cohérent avec nos trois armées et les directions et services. Tous ces projets sont en marche autour de trente-deux chantiers ministériels. Ces projets visent en particulier :
- La rationalisation du soutien, de l'environnement des forces et de nos organisations. Cela, sans fragiliser l'efficacité opérationnelle.
- La rénovation de notre modèle de ressources humaines. Nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, avec un vrai dépyramidage, plus souple dans la gestion des carrières, plus attractif par des parcours professionnels mieux adaptés aux besoins opérationnels des armées, en renforçant la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération.
- L'optimisation des structures de commandement symbolisée par le regroupement du ministère à Balard et qui concerne tous les états-majors.
La transformation, c'est en somme un nouveau logiciel de fonctionnement des armées, directions et services, avec, en prime, un recentrage encore plus marqué sur le coeur opérationnel.
Au bilan, je considère que l'effort humain et financier qui est porté par ce projet de loi nous donnera les moyens d'atteindre ces objectifs.
Je souhaite maintenant vous livrer précisément mes points d'attention. Ce sera ma troisième et dernière partie.
Ils sont au nombre de trois : la préparation de l'avenir, le budget et le moral de nos soldats.
Premier point d'attention : préparer l'avenir.
Les décisions que nous prenons dans le domaine de défense engagent toujours l'avenir sur le long terme. Aucun de nous ne sait de quoi demain sera fait. Préparer l'avenir, c'est notre devoir vis-à-vis des générations futures.
Le tragique du monde pourrait de nouveau changer les configurations actuelles. La défense des Français doit être globale et sans maillon faible. Elle est l'ultime garantie de la Nation. Elle doit s'adapter à toute surprise stratégique.
Face à un très large spectre de menaces, l'équilibre entre les 5 fonctions stratégiques - protection, dissuasion, intervention, connaissance et anticipation, prévention - décrites dans le Livre blanc, ne doit pas être remis en cause.
Pour assurer la cohérence d'ensemble, je reste attentif :
- à l'adéquation entre les missions et les moyens, j'en ai parlé ;
- à l'adéquation entre les besoins et les ressources. On touche là à la problématique des ressources exceptionnelles : le Président de la République a tranché, en sécurisant l'essentiel des ressources en crédits budgétaires ;
- à l'adéquation entre le physique et le financier, là où parfois la seule approche comptable peut faire des dégâts dévastateurs.
Ce qui m'amène naturellement à mon deuxième point d'attention : le budget.
En dépit d'un abondement en ressources, l'équation financière reste tendue. C'est la raison pour laquelle nous restons concentrés et organisés pour mobiliser en interne les ressources nécessaires au financement des capacités. C'est, entre autres, l'enjeu des plans de transformation dont je vous ai parlé.
Nous avons conjuré plusieurs risques initialement portés par la tension sur les effectifs, les hypothèses d'export, le montant des ressources exceptionnelles. Mais des préoccupations subsistent : ce sont principalement le surcoût des opérations extérieures et intérieures, le tempo d'arrivée des ressources et les conséquences des contrats d'exportation.
Le surcoût des opérations : au-delà de la provision annuelle de 450 millions d'euros, le mécanisme de financement des opérations doit continuer à répondre à une logique de besoins et non à une logique de moyens avec le principe de couverture par recours à la réserve interministérielle de précaution, conformément à l'article 4 de la LPM. Une revue des opérations est en cours afin de déterminer les potentielles sources d'économies. Nous veillons à modérer les coûts des opérations en prenant en compte un juste équilibre entre les effets à obtenir sur le terrain et les moyens engagés. À ce stade, pour 2015, la prévision est au moins de 1 milliard d'euros, auquel il faut ajouter le financement de l'opération Sentinelle.
Le tempo d'arrivée des ressources financières :
Je resterai très attentif pour éviter tout grignotage de nos ressources financières en gestion. Je vous l'ai dit, certains de nos matériels arrivent en fin de vie. Il n'est plus possible de les prolonger sans faire prendre des risques inconsidérés à nos soldats. Le calendrier d'arrivée des équipements ne peut être tenu que si le tempo de mise en place du budget correspondant est respecté. Il en va de l'équilibre structurel et indispensable entre les effectifs, les équipements et le budget.
Je vois trois domaines à surveiller en gestion :
- Le coût des facteurs. Actuellement, la conjoncture économique est favorable et a permis de prendre sous enveloppe certaines charges additionnelles sans remettre en cause les équilibres de la LPM. Nous restons néanmoins attentifs à un retournement, évidemment toujours possible, de la conjoncture économique, comme l'histoire nous l'a montré. Pour couvrir ce risque, la mission d'évaluation des conditions économiques confiée à l'inspection générale des finances et au contrôle général des armées a été prolongée. Elle devra analyser les conséquences des derniers indices économiques de mai, ainsi que l'évolution des charges nouvelles au sein du ministère de la défense qui viennent diminuer d'autant les économies putatives issues du coût des facteurs et du prix du carburant. Je rappelle sur ce plan qu'un milliard d'euros doit être dégagé pour financer les dépenses d'équipements. Je resterai vigilant.
- Le financement du service militaire volontaire. L'adaptation à la métropole du principe du service militaire adapté était une proposition des armées au titre de la cohésion nationale. Je crois en effet que nos armées peuvent aider les jeunes en marge des dispositifs traditionnels sociaux-éducatifs. Les armées sont déjà engagées dans des dispositifs d'aide aux jeunes en difficulté. Le service militaire volontaire est un enjeu de cohésion nationale et son coût - estimé annuellement entre 30 et 40 millions d'euros pour la phase expérimentale - ne doit pas être pris sur le budget de la défense. Mon discours ne varie pas : « à mission nouvelle, moyen nouveau ».
- les conséquences du soutien aux exportations sont également l'un de mes sujets de vigilance. Il est encore trop tôt pour les évaluer avec précision, contrat après contrat. Je reste d'ailleurs persuadé que notre excellent dialogue avec les industriels et la DGA nous permettra de bénéficier d'éventuels dividendes liés à l'accroissement de l'export. La copie reste à construire au fur et à mesure sur la période 2015-2019. Sur ce plan, je vous redis de la manière qui soit la plus claire possible combien nous sommes soulagés par cette bonne nouvelle de l'accroissement de nos chiffres à l'exportation des matériels militaires et singulièrement du Rafale. C'était un des aléas majeurs de la LPM ; il est désormais levé.
Troisième et dernier point d'attention : le moral.
Il reste pour moi un sujet majeur de préoccupation. Dans le contexte actuel, nos subordonnés, ne nous méprenons pas, ressentent parfois un double sentiment :
- d'une part, une surchauffe et une lassitude engendrée par l'opération Sentinelle, la livraison reportée de certains équipements majeures, et les conséquences des multiples réformes de ces dernières années ;
- d'autre part, une condition du personnel dégradée. Je pense au report de permissions, au célibat géographique, à l'état de certaines infrastructures, etc.
Les décisions prises par le Président de la République et leurs annonces publiques ont créé un soulagement certain et une espérance réelle. Mais les effets des décisions ne se feront pas tous sentir à court terme.
Le moral est à surveiller aussi dans le contexte de la création des associations professionnelles nationales des militaires. À défaut d'avoir été souhaitée par les militaires eux-mêmes, c'est une évolution inéluctable imposée par les arrêts de la cour Européenne des droits de l'homme. Le texte qui est inclus dans l'actuel projet de loi a été préparé en totale concertation avec les armées, sur la base du rapport Pêcheur. Ce texte est équilibré : il préserve la finalité opérationnelle des armées ainsi que le commandement de proximité.
Je n'ai pas d'inquiétude à ce stade. Je resterai attentif dans la mise en oeuvre, pour que la concertation ne s'oppose pas au commandement, mais que les deux s'enrichissent mutuellement, pour une plus grande efficacité de nos armées.
Le moral de nos armées est un sujet majeur, car ce sont les forces morales qui font la différence sur le terrain. Nous avons de formidables soldats. Ces femmes et ces hommes font preuve d'un courage, d'un sens du devoir et d'une générosité incroyables, alors que leurs conditions de vie et de travail sont souvent rudimentaires. Ils ne demandent que les moyens nécessaires pour remplir décemment les missions qui leur sont confiées. Depuis des années ils acceptent, ils endurent, ils risquent leurs vies et avec des rémunérations modestes. Nous leur devons une attention à la hauteur des sacrifices personnels, familiaux et financiers qu'ils consentent au quotidien pour protéger la France et les Français.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour conclure, je dirai que le projet qui vous est proposé est un bon projet et si je ne le pensais pas, je ne vous le dirais pas !
Je me suis battu, avec le ministre de la défense, pour obtenir trois décisions :
- Premièrement : la réduction des déflations d'effectifs à hauteur de 18 750 postes.
- Deuxièmement : l'augmentation du budget de la défense à hauteur de 3,8 milliards d'euros et le maintien du bénéfice des économies réalisées grâce à un environnement économique plus favorable, à hauteur d'un milliard d'euros.
- Troisièmement : la consolidation du budget avec des ressources désormais garanties et l'abandon de la majorité des recettes exceptionnelles qui le rendaient fragile, à hauteur d'environ 5,3 milliards d'euros.
Cette actualisation donne aux armées les moyens de remplir toutes leurs missions, telles qu'elles sont inscrites dans le Livre blanc et dans la LPM.
Dans un contexte économique difficile, j'ai bien conscience que le Président de la République, chef des armées, a pris une décision stratégique très volontariste. Elle répond à l'état du monde et aux menaces qui pèsent sur notre pays.
Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté pour mettre en oeuvre ce projet. Je suis dans l'action et c'est pour cela que j'ai besoin de décisions rapides et d'un calendrier resserré.
Nous sommes à un tournant stratégique de notre histoire où, pour la première fois depuis des années, nous avons l'occasion de redresser l'effort de défense. Un tournant historique à la mesure de la situation que nous vivons.
Nous comptons sur votre appui pour le respect du calendrier de mise en oeuvre de ces mesures de densification de notre outil de défense. Nos soldats, marins et aviateurs, soyez-en persuadés, demeurent fidèles à la belle devise du maréchal de Lattre, qui est illustrée par cette actualisation de la LPM aujourd'hui : « Ne pas subir ».
Je vous remercie et je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Jacques Gautier, président. - Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous exposer votre vision de l'actualisation de la LPM, en soulignant les points positifs, majoritaires, et en évoquant les quelques inquiétudes qui peuvent demeurer et les points de vigilance, auxquels nous serons très attentifs.
M. Xavier Pintat. - Je vous remercie, Général, pour la clarté de vos propos et pour votre force de conviction. Les membres de notre commission sont conscients que nos armées font admirablement face à des défis nombreux, dans des conditions très tendues.
Ma première question est d'ordre budgétaire. L'actualisation de la LPM prévoit de consacrer un milliard d'euros, issu d'économies sur divers postes (inflation, carburant...), au renouvellement des équipements. Nous devons être vigilants sur ce point. Avez-vous des garanties sur la réalité de ce montant et sa disponibilité ? Les indices économiques sur lesquels reposent ces économies sont volatiles. Une clause de sauvegarde ne doit-elle pas être introduite dans la LPM ? Par ailleurs, le collectif budgétaire nécessaire à la mise en oeuvre de l'actualisation sera-t-il très prochainement déposé ?
Ma seconde question porte sur l'OTAN. L'OTAN a prévu de renforcer sa force de réaction rapide NRF (Nato Response Force) et de créer, en outre, une force « fer de lance » de 5 000 hommes mobilisables sous 48 heures. La France assume le rôle de nation-cadre de cette nouvelle force. Aurons-nous les moyens d'exercer cette responsabilité, qui prendra effet à compter de 2021 ?
M. Robert del Picchia. - Quel est l'impact des moindres déflations sur les fermetures et restructurations d'unités ?
S'agissant des associations professionnelles de militaires, elles recueillent l'approbation des associations existantes, même si certains points soulèvent des interrogations, mais votre position est claire à ce sujet.
Vous avez évoqué rapidement les réservistes. Comment passer concrètement de 28 000 à 40 000 réservistes ? Quel travail effectuer auprès des employeurs ?
M. Gilbert Roger. - Nos points de vigilance sont communs, dans un contexte de dégradation de l'actualité internationale. L'actualisation est conforme à ce que ma famille politique attendait.
Ma première question porte sur les redéploiements. Un plan de restructuration des unités devait être présenté. Quand aurons-nous des précisions à ce sujet ?
Les industriels pourront-ils suivre le rythme prévu par l'actualisation, dans le contexte des marchés qu'ils ont gagnés à l'exportation ?
Général Pierre de Villiers. - Le montant d'un milliard d'euros d'économie sur le coût des facteurs constitue effectivement un point de vigilance. Les hypothèses retenues par le rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA) me paraissent réalistes. Nous devrons évidemment être attentifs aux évolutions de ces indices de coût des facteurs. C'est pourquoi cette mission a été prolongée. En outre, il existe des charges additionnelles, non prévues par la précédente LPM, qui sont de deux types : celles applicables à l'ensemble des ministères (TVA, taxes foncières...) et celles spécifiques au ministère de la défense (par exemple, le projet Telsite à Mururoa, le surcoût de Louvois...).
Au cours des prochaines semaines, nous allons procéder au fléchage de ce montant d'un milliard d'euros, par rapport aux besoins capacitaires sur la période 2016-2019. Il nous faut prendre en compte le fait que le montant de 500 millions d'euros, par ailleurs consacré aux équipements, sera plutôt disponible en fin de période. L'exercice implique aussi d'identifier quels sont les programmes qui bénéficient des économies sur le coût des facteurs. Pour la première fois, la LPM a été construite en euros courants et non constants. Or les indices se révèlent favorables. Mais ce montant d'un milliard d'euros est indispensable à l'équilibre d'ensemble.
La création de la VJTF (Very High Readiness Joint Task Force) de l'OTAN correspond à une demande des chefs d'état-major, afin que l'OTAN puisse répliquer très rapidement, au moment d'une crise et non après cette crise. À partir du dispositif de NRF, nous avons souhaité accélérer la rapidité de déploiement. La VJTF sera opérationnelle en 2016. La France y participera à partir de 2021. Nous serons alors en mesure d'assumer nos responsabilités de nation-cadre.
Concernant les restructurations, elles se poursuivront car la transformation des armées et des services continue de façon globale, même si dans certains cas elles seront atténuées. Il faut que cette loi d'actualisation soit votée rapidement pour que l'on puisse poursuivre les chantiers de rationalisation et d'optimisation en cours.
Concernant les associations professionnelles, les chefs d'état-major d'armées et moi-même étions favorables à ce qu'elles siègent au conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) mais pas aux conseils de la fonction militaire (CFM) des armées. Le projet de loi laisse une porte ouverte, en prévoyant un délai de cinq ans pour les intégrer aux CFM, ce qui permettra d'apprécier au préalable la manière dont les choses se déroulent au CSFM.
M. Robert del Picchia. - La liberté d'expression accordée aux associations professionnelles ne risque-t-elle pas de conduire à certaines dérives, dans la mesure où elles seront sollicitées par les médias ?
Général Pierre de Villiers.- Le projet de loi comporte un certain nombre de garanties. Ainsi les associations ne pourront se saisir de problèmes individuels ou de questions d'organisation. Elles ne pourront intervenir qu'au niveau national afin de ne pas alourdir le commandement de proximité. Concernant la réserve, il est vrai que l'objectif fixé, qui est de passer de 28 000 à 40 000 réservistes, suppose d'en développer l'attractivité dans les entreprises et dans la fonction publique. Pour ce qui est des entreprises, des discussions sont menées actuellement par le ministère avec le Medef. La montée en puissance de la réserve prendra du temps. S'agissant des relations avec les industriels, le dialogue est organisé et efficace. L'augmentation des ventes à l'export, de 6 milliards à 8, voire à 10 milliards d'euros, signifie des recettes en plus pour les industriels mais doit aussi se traduire pour les armées par des économies sur les équipements. La démarche que nous conduisons consiste à comparer, contrat par contrat et année par année, ce que les exportations d'armement nous coûtent et ce qu'elles nous rapportent. Cette démarche est nécessaire, compte tenu du changement d'échelle qu'implique la progression des ventes.
M. Jeanny Lorgeoux. - Pourriez-vous nous faire un point sur les forces de présence en Afrique ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'utilité des gardes statiques dans le cadre de l'opération Sentinelle fait-elle l'objet d'une évaluation ? Quel est votre point de vue sur l'efficacité de l'action de la coalition internationale contre Daech ? Enfin, l'ilot du boulevard Saint-Germain que vous allez prochainement libérer sera-t-il cédé à la Ville de Paris ou mis en vente sur le marché ?
M. André Trillard. - Où en est-on des conséquences du dysfonctionnement du système de solde Louvois et de la récupération des sommes indûment versées? Concernant les formations dispensées par les armées dans le cadre des ventes à l'export, les recettes perçues en contrepartie reviennent-elles au budget de la défense ? Enfin, il semblerait que la pratique consistant, en fin d'année, à reporter le paiement des équipements sur l'année suivante progresse, ce qui est regrettable. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Général Pierre de Villiers.- Le dispositif des forces de présence en Afrique reste globalement stable par rapport à ce qui était prévu par la LPM, au Sénégal, au Gabon, au Tchad et en Côte d'Ivoire. Pour Djibouti, des réflexions sont en cours mais je suis favorable au maintien des deux composantes - aérienne et terrestre -
La question de l'utilité des gardes statiques dans le cadre de Sentinelle va être au coeur d'un débat qui se profile pour les prochains mois. Une réflexion stratégique, doctrinale, interministérielle et interarmées sur ce que doit être la défense du territoire national dans toutes ses dimensions (aérienne, terrestre, navale, cyber) est nécessaire. Il faut d'abord définir une stratégie avant de se poser la question du concept d'emploi puis des équipements et des moyens. Je plaide pour qu'on ne se focalise pas sur Sentinelle mais sur cette réflexion stratégique globale qui devrait aboutir au plus tard au deuxième semestre 2015.
En ce qui concerne Daech, la Turquie a une approche spécifique de la crise syrienne ; elle doit notamment prendre en compte la question kurde et celle des réfugiés, particulièrement nombreux sur son territoire. Il me semble que l'action de la coalition internationale est efficace - Badgad ou Erbil ne sont pas tombés aux mains de Daech -, mais pas suffisante. Une action supplémentaire au sol sera en tout état de cause nécessaire, elle se fera par les forces irakiennes, d'où l'importance de leur formation à laquelle nous contribuons. Or cette formation, ainsi que l'émergence d'un esprit de combativité, prennent du temps, surtout face à la sauvagerie dont font preuve Daech et les autres groupes terroristes.
Il est bien prévu, dans les recettes exceptionnelles liées à des cessions immobilières, que l'ilot Saint-Germain soit vendu, mais les modalités de cette vente n'appartiennent pas à mon champ de compétences.
Louvois continue d'être une question qui nous empoisonne : je rencontre régulièrement des personnels de toutes catégories qui sont affectés par des dysfonctionnements. Nous avons mis en place un dispositif de suivi et de prévention qui est efficace, mais nous sommes dans l'attente de la nouvelle solution informatique en cours de développement. Nous tentons toutefois de tirer des expériences de cet épisode, par exemple pour organiser notre déménagement à Balard : nous devons être absolument certains du bon fonctionnement de l'ensemble des réseaux avant de procéder aux dernières phases du déménagement.
Chaque contrat à l'exportation est un cas particulier mais nous avons une ligne de conduite constante : le soutien à l'export ne doit pas peser d'une manière ou d'une autre sur la réalisation de la LPM. Je suis vigilant sur ce point, comme je le suis sur la gestion courante. Pour cela, la budgétisation des anciennes recettes exceptionnelles (2,1 milliards d'euros en 2015) doit arriver suffisamment tôt dans l'année. Nous n'avons pas encore de données consolidées en 2015 sur le report de charges, qui pèse notamment sur les PME ce qui est inacceptable, mais nous nous attendons à ce qu'il diminue.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - A mon tour de saluer la force de votre engagement ! J'aurai deux questions de nature différente. La mobilisation des réserves pose des difficultés avec les employeurs et le nombre de réservistes a déjà beaucoup diminué ces dernières années. Au-delà des mesures qui ont été décidées, une réserve plus « interarmées » ne pourrait-elle pas améliorer la situation ? Ne serait-il pas pertinent de mobiliser davantage la réserve citoyenne, par exemple en matière de cyberdéfense ? Par ailleurs, en ce qui concerne Daech, quel est votre sentiment sur son renforcement récent et que pouvons-nous faire face à la crise en Syrie ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Vous n'avez quasiment pas parlé de coopération européenne ! Est-ce à dire que l'idée d'une Europe de la défense est morte ? Serions-nous condamnés à nous en remettre aux Etats-Unis via l'OTAN ?
M. Alain Gournac. - Je suis étonné, et déçu pour tout dire, de l'évolution du programme A400M. Nous avions fondé beaucoup d'espoirs sur cet avion. Comment voyez-vous l'avenir sur ce sujet ? Par ailleurs, quelles sont vos orientations en ce qui concerne l'évolution du nombre des officiers généraux, ce qu'on appelle le « dépyramidage » ? Enfin, est-ce que le nombre de 7 000 militaires pour la protection nationale est arrêté de manière durable ou sera-t-il amené à évoluer ?
Général Pierre de Villiers.- La réserve est l'incarnation de la défense de la Nation, en particulier sur le territoire. Concernant la réserve civile, j'ai tenu à ce que le texte comporte des dispositions relatives à la cyberdéfense. Certains civils ont des compétences éminentes et sont très désireux d'en faire profiter la défense nationale : il faut moderniser la réserve pour les attirer davantage.
Quant à la situation en Irak d'une part, au Yémen d'autre part, elle relève avant tout de la diplomatie. Certes, la campagne aérienne de la coalition a produit des effets. Mais les forces disponibles au sol sont encore insuffisantes face à Daech. Je rappelle que nous n'en sommes qu'au 9e mois d'une campagne qui doit durer au moins 3 ans : il faut s'inscrire dans le temps long, que le rythme de nos sociétés fait perdre de vue. J'ai coutume de dire qu'il faut quinze ans pour résoudre une crise : regardons le Kosovo ! Il faut en outre une approche globale, politique, diplomatique et économique, telle qu'elle a été discutée lors de la dernière réunion des ministres des affaires étrangères de la coalition en format « small group ». D'un point de vue militaire, nous continuerons à participer aux opérations avec nos avions, à former les Peshmergas à Erbil et les forces irakiennes à Bagdad.
En ce qui concerne la coopération européenne, elle existe sur le terrain depuis des années ! Lorsque j'étais en Afghanistan, j'avais sous mes ordres un bataillon turc, un bataillon italien et un bataillon français, et mon état-major regroupait 15 pays, pour la plupart européens. La veille de ma dernière réunion à l'OTAN, j'assistais à la réunion des chefs d'état-major européens ! Il faut promouvoir des coopérations européennes sur des projets précis, comme c'est le cas par exemple en matière de transport aérien. Il existe bien une action européenne comme on le voit dans les opérations menées pour la formation des forces maliennes (EUTM Mali). En revanche, il est indispensable de bien réfléchir à la répartition des missions entre les différentes institutions, en particulier entre l'Union européenne et l'OTAN, afin d'éviter les redondances : ne sont-ce pas les mêmes moyens, les mêmes hommes, les mêmes crédits ? En tout état de cause, je suis en contact permanent avec mes partenaires européens et la coopération sur le terrain est une réalité, que ce soit au Mali, en République centrafricaine ou dans le golfe d'Aden avec l'opération Atalante, sans oublier l'opération, en cours de préparation, sur les migrants en Méditerranée. Certes, certains aspects de cette coopération restent perfectibles : je pense notamment à la clarification de la chaîne de commandement. Au total, cette dimension européenne n'a pas évolué par rapport à la LPM, c'est pourquoi je ne l'avais pas évoqué spontanément.
L'A400M est assurément un exemple de programme perfectible. Pour ma part, j'ai un besoin crucial de cet avion et je subis directement les retards du programme. L'A400M sera un bon avion, j'en suis certain. Il y aura des enseignements à tirer de cette expérience, loin de toute idéologie.
Par ailleurs, je me suis lancé dans une politique de dépyramidage clairement affichée : il y aura moins d'officiers généraux et moins de colonels. La tendance naturelle en temps de paix est d'augmenter le poids des états-majors. Au contraire, il faut rétablir le lien entre grade, responsabilité et rémunération et garantir des carrières attractives aux bons éléments.
La question des 7 000 hommes de l'opération Sentinelle doit être replacée dans le contexte plus large de la posture d'ensemble de nos forces : défense aérienne, cyberdéfense, action de l'Etat en mer, protection des flux maritimes, etc. Les 7 000 hommes de Sentinelle ne doivent assurément pas faire le même travail que des policiers ou des gendarmes, en raison de leurs modes d'action, de leurs équipements, et de leurs savoir-faire. Le Président de la République a décidé que cette opération s'inscrivait dans la durée car elle est nécessaire pour assurer la protection des citoyens et pour maintenir leur confiance en l'Etat. Nous diminuerons peut-être un peu l'amplitude pendant l'été. Mais aujourd'hui, qui peut convaincre les Français qu'il n'est plus nécessaire que les soldats assurent cette mission, compte tenu du risque persistant d'attentats ?
M. Jacques Gautier, président. - Daniel Reiner, qui n'a pu être présent aujourd'hui, aurait souhaité que je fasse une remarque pour souligner les efforts sur l'aéromobilité. En outre, il serait préférable d'acquérir des avions C130H plutôt que des C130J plus onéreux. Ensuite, il serait peut-être plus pertinent d'acheter un hélicoptère Tigre de moins pour pouvoir acquérir des pièces de rechange pour ceux que nous avons déjà.
Au nom de tous mes collègues, je vous remercie pour votre intervention.
- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président -
Nomination d'un rapporteur
M. Jacques Gautier, président. - Mes chers Collègues, il nous revient de désigner un rapporteur pour le projet de loi d'actualisation de la LPM que les députés ont adopté hier.
En accord avec notre président Jean-Pierre Raffarin, je vous propose qu'il en soit, conformément à la tradition, le rapporteur. Chacun des rapporteurs défense, dans leur domaine, se verraient déléguer l'examen des dispositions dans le détail :
- MM. Reiner, Pintat et moi-même pour les trajectoires financières, les équipements et le volet capacitaire ;
- MM. del Picchia et Roger pour la manoeuvre « Ressources humaines », les effectifs, les associations professionnelles de militaires : en clair de très nombreux articles du texte ;
- Mme Demessine et M. Pozzo di Borgo pour nous faire le point sur l'emploi des forces, l'entraînement ;
- MM. Trillard et Lorgeoux sur les crédits d'étude et ceux du renseignement.
D'ailleurs nous avons déjà commencé à travailler en organisant des auditions qui sont, je le rappelle, ouvertes à tous les commissaires : vous en recevez d'ores et déjà par mail le calendrier : nous aurons besoin de chacun et d'avance je vous remercie.
Nous devrions adopter le texte en commission le 24 juin et en séance autour du 7 ou 8 juillet - date à confirmer.
Il n'y a pas d'opposition à ce mode de fonctionnement ? Merci à tous de votre contribution !
La commission nomme rapporteur M. Jean-Pierre Raffarin sur le projet de loi n° 2779 (AN - XIVe législature) actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, sous réserve de sa transmission.
La réunion est levée à 11 h 30.
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
La commission auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, après le général de Villiers, nous avons l'honneur de recevoir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, à propos de la loi de programmation militaire (LPM), dont nous allons débattre début juillet.
Monsieur le ministre, nous constatons avec satisfaction que vous savez défendre vos dossiers dans les conseils interministériels, et que les arbitrages tombent du bon côté. Nous avons, à notre modeste niveau, contribué au combat que vous menez. Nous pensons qu'il est en effet important de renforcer les moyens de la défense nationale.
Vous nous aviez convaincus qu'il fallait défendre les sociétés de projet mais nous sommes heureux que les ressources de la défense soient budgétisées. Nous étions prêts à nous orienter vers d'autres solutions, mais nous préférons celle qui a été choisie.
Même si des avancées financières sont proposées sur la première partie de la programmation, les rendez-vous financiers qui auront lieu après 2017 sont tout aussi importants. Nous devons en débattre pour que chacun ait bien en tête les données du problème.
Nous apprécierions également de vous entendre à propos du commerce extérieur français, auquel vous contribuez de manière très active. Ceci est très important pour notre industrie de défense. Nous sommes tous très sensibles aux emplois qui sont derrière, en particulier en matière de technologie.
Toutes ces questions nous passionnent. Nous sommes également heureux de vous entendre au sujet des associations professionnelles de militaires, même si notre enthousiasme est un peu moins prononcé. Le Conseil d'Etat nous a expliqué pourquoi nous nous trouvions dans cette situation, en raison de l'arrêt de la CEDH, mais on peut constater l'impasse sans pour autant être totalement satisfait de la manière d'en sortir !
Sachez que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat prend tous ces sujets très au sérieux, et mesure l'implication qui est la vôtre dans ce domaine. Nous savons que vous entendez agir dans l'intérêt du pays.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est toujours un plaisir pour moi de me retrouver devant vous, je le dis avec conviction.
J'évoquerai rapidement la situation internationale ; elle mériterait certainement de plus amples développements, mais je suis disponible pour venir une autre fois apporter des informations sur l'évolution des différentes crises.
L'actualisation était déjà prévue pour fin 2015 dans la LPM votée en décembre 2013. Il s'agissait d'une mesure de sagesse. Elle est aujourd'hui accélérée avec la procédure d'urgence, à la demande du Président de la République, en raison des développements internationaux et du très grand engagement de nos forces depuis le début 2015. Il fallait absolument agir vite. Des observations ont été émises à l'Assemblée nationale à propos de l'urgence, mais celle-ci était une nécessité : dans la situation où se trouvaient nos forces, il fallait en effet absolument définir un cadre et une perspective à moyen terme rénovés, en particulier pour rompre le rythme très dur aujourd'hui subi par nos forces, en raison de l'importance de leurs missions. L'urgence, c'est la sécurité, et il me paraît donc souhaitable que l'on puisse aboutir rapidement.
Quelques mots sur l'environnement stratégique avant d'évoquer les principales mesures d'actualisation...
Depuis le vote de la LPM, l'environnement stratégique a évolué de manière négative et très préoccupante - mes différentes auditions devant votre commission en témoignent. Depuis janvier 2015, comme tous les autres États européens, la France est directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent. Je crois l'avoir déjà dit au Sénat en séance publique, cette menace nouvelle se joue des frontières, et il existe une à imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l'extérieur. Il n'y a donc pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure. C'est là une donnée tout à fait nouvelle.
Cette accélération se justifie également par le fait qu'il y a eu en même temps une simultanéité des risques et une aggravation de l'ensemble des menaces ; ceci a nécessité de revenir à une actualisation plus rapide que prévue.
Par rapport aux engagements de la LPM de décembre 2013, et en raison de la soudaineté et de la simultanéité des crises, nous avons mobilisé nos forces au-delà des contrats opérationnels retenus en 2013. Nous avons régulièrement plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures, un engagement sur le territoire national allant bien au-delà des 10 000 hommes pour un temps court prévu par le contrat « Protection », ainsi que des avions de combat déployés en nombre une fois et demi supérieur en gestion de crise. L'ensemble des contrats consécutifs à la LPM ont été dépassés par la simultanéité et la gravité des crises que nous vivons depuis fin 2013.
Je parle d'actualisation et non de révision, les principes fondamentaux sur lesquels nous nous sommes engagés en décembre 2013 restant les mêmes. En particulier, le triptyque protection-dissuasion-intervention doit impérativement continuer à structurer notre stratégie de défense et les missions de nos forces. J'entends parfois des voix qui suggèrent quelques abandons dans ce domaine. Je le dis avec force : ce n'est pas notre choix ni ce que je propose !
J'ajoute que ces menaces se poursuivent. Les crises sont toujours là. Il existe des éléments plutôt encourageants en ce moment, grâce à la perspective d'un règlement de paix au Mali, qui devrait se régler le 20 juin, dans la suite des accords d'Alger. Nous sommes là dans une évolution positive. J'espère que tout cela va durer.
Quant à la situation en Centrafrique, nous sommes dans un processus plutôt positif, après le forum de Bangui. On peut maintenant envisager de manière lucide des élections avant la fin de l'année, ce qui était le but recherché depuis longtemps. Du coup, le désengagement se poursuivra. Les nouvelles sont encourageantes, même si ces deux territoires nous ont réservé des surprises dans le passé.
Pour le reste, la situation en Ukraine est celle que vous connaissez ; en Lybie, les choses sont très préoccupantes, et je ne suis pas certain que les discussions de Berlin aboutiront au compromis nécessaire. En Syrie et en Irak, Daech reprend du territoire. C'est ce que j'avais dit au tout début de la crise en Irak. Après avoir pris Syrte, ils ont pris une autre ville, Haroua, à l'est, et ont maintenant deux cents kilomètres de linéaires de côtes.
La situation reste préoccupante, chacun en est convaincu. On peut craindre que les « combattants étrangers » de Syrie puissent arriver assez vite en Libye et entraîner d'autres difficultés. Nous vivons donc dans une période de menaces aggravées.
Cette prise de conscience n'a pas uniquement lieu en France. J'observe avec intérêt que d'autres pays européens ont décidé d'infléchir dans un sens positif leurs orientations budgétaires de défense. D'autres pays et d'autres acteurs se posent par ailleurs des questions. Je pense au débat qui vient de s'ouvrir en Grande-Bretagne sur la sécurité, qui va se poursuivre jusqu'à la fin de l'année, et qui ne manquera pas d'être intéressant.
Je voudrais à présent lister les neuf orientations majeures de l'actualisation, en rappelant que les grands équilibres de la LPM sont maintenus.
Premier point : le Président de la République a d'abord fait le choix de définir un nouveau contrat de « Protection » sur le territoire. L'objectif est désormais que nos armées disposent de la capacité de déployer sur la durée 7 000 soldats sur le territoire national, avec la faculté de monter presque instantanément jusqu'à 10 000 hommes pour un mois. C'est là une nouvelle donne.
Les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) seront ainsi portés à 77 000 hommes, au lieu des 66 000 initialement prévus. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue. Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente un tournant majeur dans notre histoire militaire récente. Un choix a été fait. Si d'autres idées ont été émises, comme l'hypothèse d'une garde nationale, d'une réserve territoriale massive, ou d'un renfort da la police ou de la gendarmerie, la décision a été prise de renforcer nos unités de combat professionnelles.
Nous écartons toute idée d'armée à deux vitesses. Il faut une armée professionnelle, un commandement, du renseignement, des capacités appropriées et renforcées. Il est hors de question de considérer ces forces comme supplétives. C'est une mission militaire, qui figure historiquement parmi les missions de nos armées. C'est une activation du concept de défense opérationnelle du territoire (DOT).
Je souhaite que l'on puisse, dans les semaines et les mois qui viennent, réfléchir ensemble, avec votre commission et avec celle de l'Assemblée nationale, sur les conséquences de ce renforcement de la force opérationnelle terrestre et sur le concept de protection du territoire, pour bien marquer l'importance d'une armée professionnelle pour remplir ce rôle. Il n'y aura pas de régiments affectés à la protection du territoire et d'autres aux interventions extérieures : c'est la même armée qui aura, en fonction des décisions du chef d'état-major de l'armée de terre, des missions différentes. Les régiments auront des itinéraires et des missions sur une année qui permettront d'agir à la fois sur le territoire national ou de remplir des missions à l'extérieur, en interventions, en projection extérieure ou en prépositionnement, comme c'est le cas aujourd'hui.
Second point : le Président de la République a décidé en conséquence un allégement des déflations d'effectifs, dans le but de renforcer nos capacités opérationnelles, très sollicitées, mais aussi de faire face à certains besoins majeurs, comme les services de renseignement ou la cyberdéfense.
Prise globalement, la diminution de la déflation permettra de gager des postes au bénéfice de la force opérationnelle terrestre, de créer plus de 650 postes dans le domaine du renseignement, au moins 500 postes - pour un total de mille postes sur 2014-2019 - dans le domaine de la cyberdéfense, et de renforcer le soutien aux exportations d'armement.
Cette réduction de la déflation est de 18 500 postes. Le nombre de postes à déflater est ainsi ramené à 14 925 sur la période 2014-2019, au lieu des 33 675 prévus initialement par la LPM votée en 2013. La déflation réalisée en 2014 s'élevant à un peu plus de 8 000, il reste donc 6 918 postes à supprimer sur la période 2015-2019, ce qui reste significatif.
Troisième point : le Président de la République a décidé d'accroître la dépense de défense de 3,8 milliards d'euros par rapport à la LPM initiale.
Ces crédits additionnels vont bénéficier tout d'abord au nouveau contrat « Protection », avec 2,8 milliards d'euros consacrés aux effectifs et aux coûts d'infrastructures et de soutien afférents à ces emplois.
Ensuite, cet effort supplémentaire va permettre d'améliorer l'équipement des forces, y affectant un milliard d'euros de crédits budgétaires supplémentaires, avec 500 millions d'euros de capacités nouvelles, et 500 millions d'euros pour l'entretien du matériel, sujet que j'avais déjà eu l'occasion d'évoquer longuement lors du débat sur la LPM en 2013.
Je ne souhaite pas que le maintien en condition opérationnelle soit une variable d'ajustement, comme cela a été le cas antérieurement. Il n'y a pas de ma part de volonté de polémique : je constate simplement que, depuis un certain nombre d'années, l'entretien des matériels faisait les frais d'ajustements divers et variés. Il fallait l'arrêter ; on l'a fait ! La LPM prévoyait 4,3 % d'augmentation annuelle d'entretien programmé des matériels. On ajoute à cette augmentation 500 millions d'euros sur la période, soit 100 millions d'euros par an de plus. C'est une nécessité, car les matériels utilisés et sollicités en opérations subissent des détériorations auxquelles il faut remédier.
Par ailleurs, 500 millions d'euros seront affectés à des capacités nouvelles, auxquels s'ajoutera 1 milliard d'euros issu de la réaffectation des gains de pouvoir d'achat liés à l'évolution favorable des indices économiques, du fait de l'inflation et des prix des carburants depuis le vote de la LPM. Ce gain sera affecté non au fonctionnement, mais investi dans de nouvelles capacités.
1,5 milliard d'euros de capacités viendra donc renforcer un certain nombre de capacités, comme la composante « hélicoptères ». L'actualisation prévoit l'acquisition de sept Tigre, de six NH 90 supplémentaires, et le déploiement d'un plan spécifique destiné à améliorer la disponibilité des hélicoptères.
Nous allons également renforcer nos capacités de transports aériens tactiques, excessivement sollicités, et confirmer la livraison des six FREMM sur la période de programmation, malgré le prélèvement de la Frégate égyptienne, en accélérant ce programme pour être dans le scénario prévu initialement. Nous allons boucler le financement du troisième CSO, réalisé en coopération avec l'Allemagne. Enfin, nous équiperons nos drones de surveillance d'une charge d'écoute électromagnétique, indispensable aujourd'hui, et renforcerons les moyens de nos forces spéciales, en particulier les lunettes de vision nocturne.
L'ensemble des engagements capacitaires que j'avais pris devant vous au moment de la LPM sont maintenus. Dans le dispositif que je propose, j'accélère également les trois MRTT manquants.
Quatrième point : le Président de la République a décidé de simplifier la structure des ressources financières de la programmation militaire. Il n'y aura donc plus de ressources exceptionnelles, à l'exception des ressources immobilières et des cessions de matériel, qui ne représenteront plus que 0,6 % de la programmation financière. Tout le reste sera budgété à partir de 2015.
Ainsi, la très grande majorité des 6,2 milliards d'euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver sur la période 2015-2019 seront converties en crédits budgétaires, à hauteur de 2,14 milliards d'euros, dès cette année. Le collectif permettra d'atteindre les 31,4 milliards d'euros sur lesquels le Président de la République s'était engagé.
Exit, donc, les sociétés de projet. J'ai déjà eu l'occasion de dire que j'étais preneur d'autres solutions. Celles-ci sont arrivées, et je trouve que c'est une meilleure gestion. On tourne donc la page, définitivement j'espère, des ressources exceptionnelles affectées au ministère de la défense.
Au total, notre effort de défense s'élèvera ainsi sur la période 2015-2019 à 162,4 milliards d'euros courants, contre 158,6 milliards d'euros votés en 2013.
Enfin, lors du débat à l'Assemblée nationale, vos collègues députés ont introduit trois dispositions auxquelles le Gouvernement a apporté son soutien :
- d'une part, l'inscription dans les articles de loi, et non plus dans le rapport annexé, de la clause de sauvegarde relative à la couverture des volumes de carburant nécessaires à l'activité des armées en cas de hausse des cours ;
- d'autre part, la remise d'ici fin 2015 de deux rapports du Gouvernement sur l'opportunité d'introduire dans la loi de programmation des clauses de sauvegarde financières dans le cas d'un retournement des indices économiques, et dans le cas où les cessions immobilières et de matériels ne seraient pas au rendez-vous.
Ces amendements ont été déposés par M. Lamour. Je les ai soutenus. Ils ont été intégrés dans le texte.
Cinquième point : la LPM comporte une véritable ambition pour notre industrie de défense. Par sa politique d'acquisition, l'État favorisera notre industrie du fait du surcroît d'investissements que j'ai décrit précédemment : en moyenne annuelle, le ministère dépensera 17,6 milliards d'euros pour ses acquisitions d'équipements.
La question des Rafale est maintenant derrière nous, les deux commandes fermes du Qatar et de l'Égypte étant là. Quant à l'Inde, la décision d'achat de trente-six Rafale a été prise lors de la visite du Premier ministre de l'Inde. Les discussions techniques sur la conclusion de l'accord se déroulent dans les meilleures conditions. La conclusion interviendra dans des délais assez courts, certainement avant la fin de l'année.
J'ajoute que nous souhaitons des leaders européens compétitifs. Dans cet esprit, un projet de drone MALE, qui pourrait équiper les armées à partir de 2025, s'élabore en coopération avec l'Allemagne et l'Italie. Nous avons conclu un accord avec les industriels concernés. Le débat sur le concept de drone même a été quelque peu compliqué en Allemagne, mais les choses s'éclaircissent. J'ai signé cet accord il y a environ un mois et demi.
Dans le même ordre d'idée, le rapprochement entre Nexter et KMW se déroule dans de bonnes conditions et pourrait se conclure très rapidement. Il sera bouclé d'ici la fin de l'année. Il s'agit là d'une avancée très significative.
Je précise que le chiffre des exportations de l'année 2014 est de 8,4 milliards d'euros, en augmentation de 18 % par rapport aux chiffres de 2013, eux-mêmes en augmentation de 40 % par rapport au chiffre précédent ! Nous avons déjà, en juin 2015, atteint le chiffre de 2014, niveau très significatif. Je puis vous annoncer, l'Élysée venant de le rendre officiel, qu'un nouveau contrat d'un milliard d'euros a été conclu avant-hier avec l'Émir du Koweït, lors de mon déplacement dans ce pays, pour l'acquisition d'hélicoptères Caracal, qui seront construits à Marignane - et ce n'est pas fini ! Cet accord avec le Koweït est très important, ce pays étant sous dominante anglo-saxonne totale
Sixième point : la création des associations professionnelles nationales de militaires. Même si vous avez évoqué votre réserve, monsieur le président, nous étions contraints par deux arrêts prononcés le 2 octobre 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme. Le projet de loi instaure le droit pour les militaires de créer et d'adhérer librement à des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) - et seulement à elles. Ces adhésions comportent les restrictions légitimes qui conviennent.
C'est une avancée pour la condition militaire, qui ne doit ni heurter, ni être précipitée, mais au contraire rassurer sur le fait qu'elle ne remet en cause ni les obligations fondamentales et constitutionnelles de nos armées, ni l'unicité du statut militaire.
Septième point : associer davantage les réserves au renforcement de la posture de protection de nos armées, qu'il s'agisse des déploiements ou de la cyberdéfense. Le projet comporte un effort sans précédent au profit de la réserve opérationnelle, qui passera de 28 000 hommes à 40 000 hommes, en favorisant un élargissement des recrutements vers la société civile, une augmentation du temps de période et de la rapidité de mobilisation.
Je me suis entretenu avec les responsables du MEDEF à ce sujet, et je pense que nous devons nous imposer comme discipline d'aboutir, car on a souvent tendance à négliger les réserves. Or, on a bien vu l'importance qu'elles pouvaient représenter.
Huitième point : nous allons lancer l'expérimentation d'un service militaire volontaire en métropole, à l'instar du service militaire adapté qui existe dans les Outre-mer. Deux centres accueilleront des jeunes à compter de la rentrée 2015, à Montigny-lès-Metz, en Moselle, et à Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne ; un troisième centre complètera l'expérimentation en 2016, à La Rochelle, pour accueillir un millier de volontaires. La défense est prête à mener l'expérimentation, mais si l'on souhaitait élargir ce dispositif, il faudrait que les choses soient financées et portées par d'autres organismes que le ministère de la défense.
Neuvièmement : l'ensemble de ces dispositions n'empêchera pas la transformation du ministère de la défense, qui est en cours. Il existait déjà des plans stratégiques pour l'armée de l'air, la marine, le service de santé et le service du commissariat des armées (SCA). Ces projets de service se poursuivront.
Il y a désormais le plan stratégique de l'armée de terre appelé « Au contact » qui va modifier de façon assez singulière cette armée : elle sera composée de sept brigades, dont une brigade d'aérocombat, la BAC, disposant de l'ensemble des hélicoptères que j'évoquais précédemment.
Je suggère à ce sujet que la commission auditionne le chef d'état-major de l'armée de terre pour qu'il vous présente l'ensemble du dispositif. C'est un changement assez significatif pour l'armée de terre, qui s'adapte ainsi à la nouvelle donne stratégique.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci.
La parole est aux rapporteurs.
M. Jacques Gautier, rapporteur. - Merci, monsieur le ministre, pour votre engagement personnel dans le combat que vous avez mené pour les ressources de la Défense, avec l'appui du Président de la République, il faut le dire.
Nous vous avions soutenu lors de la LPM de 2013, et vous nous aviez fait confiance ; malheureusement, nous y avions relevé quelques faiblesses : vous les corrigez globalement.
Nous souhaitions la réduction de la déflation d'effectifs compte tenu de l'évolution des menaces. On ne peut qu'applaudir à la préservation de 18 500 effectifs. Nous saluons l'augmentation du budget destinée à compenser ces effectifs et au-delà. Vous avez obtenu le maintien des économies d'un milliard d'euros réalisées en faveur de la défense grâce aux indices macroéconomiques. Nous vous en félicitons.
Vous vous êtes beaucoup battu au sujet de la consolidation du budget. Les sociétés de projet ont peut-être joué un rôle de l'épouvantail qui a fait céder Bercy.
Les recettes exceptionnelles (REX) disparaissent ; elles deviennent des crédits budgétaires, mises à part les REX immobilières, marginales.
Nous sommes donc globalement satisfaits, vous vous en doutez, les choses allant dans le sens que nous souhaitions. Nous avions émis des réserves lors de la loi de finances pour 2015 : vous y avez totalement répondu.
Je voudrais apporter cinq points au sujet desquels nous avons besoin d'être rassurés.
Les deux premiers points concernent les amendements Lamour au sujet de la garantie des REX immobilières, d'une part, ainsi que le retournement de l'évolution des indices économiques, d'autre part. Nous devons vous accompagner et vous soutenir sur ces questions.
Nous voulons également avoir la certitude que la Défense sera remboursée des frais engagés pour accompagner la vente à l'export des Rafale ou la FREMM. Il n'est pas naturel que ce soit la défense qui paie la formation de pilotes ou de marins - sauf cas exceptionnels. Il faut que nous obtenions le remboursement de ces frais de la part des pays ou des industriels concernés.
Quatrièmement, vous avez évoqué la montée en puissance de la réserve opérationnelle, à laquelle nous souscrivons. Elle nécessitera cependant des textes complémentaires, notamment pour allonger les contrats des réservistes et permettre aux employeurs, publics ou privés, d'accepter ces nouvelles organisations. Nous attendons donc que lesdits textes arrivent rapidement.
Enfin, vous venez d'évoquer l'expérimentation de mille services militaires volontaires : il n'y a pas de raison que ce soit la défense qui paie une décision qui la dépasse largement. Celle-ci peut être évaluée à 30 millions d'euros environ, si l'on extrapole les coûts du service militaire adapté (SMA). Ce n'est pas la peine que la défense aille plus loin sur son propre budget. Le SMA représente un coût direct de 18 000 euros par stagiaire et 30 000 euros en coût indirect. C'est un prix moyen qui représente au total 25 millions d'euros.
Voilà les éléments sur lesquels nous avons besoin d'être rassurés. Je sais que notre président Jean-Pierre Raffarin, rapporteur du texte, ira en ce sens pour vous accompagner.
Daniel Reiner est en déplacement en Iran, mais il ne me pardonnerait pas de ne pas évoquer notre soutien à l'aéromobilité. Nous avons là un petit différend : nous sommes d'accord avec les avions tactiques et, au-delà de la rénovation des C-130 actuels, très vieillissants, nous soutenons l'enveloppe prévue pour l'achat de nouvelles versions de C-130, mais nous sommes plutôt favorables à l'achat de C-130H d'occasion aux Américains, qui ont un bon potentiel. Cela peut paraître technique, mais l'enveloppe n'étant pas très importante, il nous faut en acheter le plus possible pour pouvoir réaliser les adaptations dont nous avons besoin.
Par ailleurs, vous avancez la livraison des NH90 dont les forces ont besoin, et vous commandez sept Tigre HAD supplémentaires, mais nous avions acheté quarante HAP. Seuls vingt appareils volent, les armées n'ayant pas commandé suffisamment de pièces de rechange. Nous sommes prêts à supporter la suppression du septième Tigre pour acheter des pièces de rechange afin de faire voler une dizaine de Tigre HAP supplémentaires !
M. Robert del Picchia, rapporteur. - Monsieur le ministre, il faut être très vigilant concernant le droit de communication des associations professionnelles de militaires, c'est un ancien journaliste qui vous le dit.
Pour le reste, bravo pour le Koweït. Vous dites que nous avons aujourd'hui déjà atteint le chiffre d'exportations de 2014. Cela comprend-il les livraisons d'armes au Liban ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Oui, ainsi qu'au Qatar.
M. Robert del Picchia, rapporteur. - Enfin, vous nous avez dit que Daech contrôle 200 kilomètres de côtes au Nord de la Libye. D'éventuelles interventions destinées à bloquer voire à détruire les bateaux de passeurs qui transportent des immigrés clandestins vers l'Europe ne risquent-elles pas de nous conduire à une confrontation directe avec Daech ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. - Monsieur le ministre, merci encore pour votre engagement et pour des décisions qui vont dans le sens de ce que souhaitait notre commission.
Vous avez rappelé que l'actualisation de la LPM prévoyait 3,8 milliards d'euros de crédits, dont 2,8 milliards d'euros pour les effectifs, et 500 millions pour le MCO. Il reste donc 500 millions pour l'équipement. Vous avez rappelé que l'effort de la LPM en matière d'équipements représentait 1,5 milliard d'euros. Il reste donc un milliard, que l'on dégage grâce à ce que vous avez appelé le « pouvoir d'achat ».
L'inflation, les taux d'intérêt et les prix des carburants peuvent fluctuer. N'avez-vous pas quelques craintes sur la réalité de ce milliard d'euros ? Ne faut-il pas prévoir une sanctuarisation de ces crédits ?
Par ailleurs, les crédits budgétaires doivent être rapidement mis en place pour compenser les REX. Il s'agit de le faire par le biais d'un collectif budgétaire, mais il est urgent que ces crédits soient disponibles. Avez-vous une date à nous annoncer pour ce collectif ? Si les choses arrivent trop tard, cela pourrait complexifier les achats.
Enfin, vous avez affirmé que la coopération internationale progressait. C'est une bonne nouvelle pour la défense. Est-on bien en accord sur l'étude de définition lancée avec l'Allemagne à propos de la nouvelle génération de drones ? Seront-ils armés ou non ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Ils ne seront pas armés.
M. Xavier Pintat, rapporteur. - Je crois que les choses avancent également en matière de satellite...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Oui, je l'ai évoqué.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. - Monsieur le ministre, l'entretien programmé des matériels, après avait longtemps subi de plein fouet les contraintes budgétaires, a été sensiblement mis en avant dans la LPM de décembre 2013, et doit bénéficier, sur la période 2014-2019, d'une progression annuelle moyenne de 4,3 %.
Pour autant, il existe toujours des tensions importantes de trésorerie sur le programme 178 qui comporte en particulier l'entretien programmé des matériels (EPM). Les retards de paiement sont importants ; les opérations extérieures accroissent les besoins. En outre, cette année, 2,14 milliards d'euros de crédits budgétaires destinés à remplacer les recettes exceptionnelles ne seront disponibles qu'en toute fin d'année, le collectif ne devant pas être présenté avant. Comment allez-vous surmonter ces tensions de trésorerie en 2015 ?
Par ailleurs, sur les 3,8 milliards d'euros de nouveaux crédits annoncés dans cette actualisation, 500 millions d'euros sont consacrés à l'EPM pour la période 2016-2019.
Nous pouvons nous féliciter de ce nouvel effort particulièrement nécessaire au regard de l'usure des matériels en OPEX ou de l'importance de la préparation et de l'activité opérationnelle, mais il semble que le message est quelque peu brouillé par le milliard d'euros annoncé pour de nouveaux équipements et financé par des gains de pouvoir d'achat qui peuvent varier.
Vous expliquez cette enveloppe d'un milliard d'euros par la baisse des coûts des facteurs, ce qui concerne l'entretien programmé des matériels. D'un côté, on constate une économie d'un milliard d'euros par rapport aux prévisions, largement sur le programme 178, et on l'affecte à de nouveaux matériels, dont ont par ailleurs besoin nos armées ; d'un autre côté, on annonce une enveloppe supplémentaire de 500 millions d'euros.
Il est difficile de comprendre le solde net de l'entretien programmé des matériels et le programme 178 dans son ensemble. Pouvez-vous nous éclairer sur ces évolutions ?
Enfin, permettez-moi de vous adresser une question en tant que sénateur de Paris : allez-vous vendre l'îlot Saint-Germain à la Ville de Paris bien moins cher que le prix du marché, ou allez-vous le mettre en vente normalement ?
M. Gilbert Roger, rapporteur. - Monsieur le ministre, n'est-il pas à craindre que Daech prenne de plus en plus de pouvoirs dans la bande de Gaza ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - S'agissant de Daech, M. Bernardino León, envoyé de M. Ban Ki-moon, mène des négociations difficiles depuis un certain nombre de semaines. On arrive aujourd'hui, à Berlin, à une butée avec la quatrième proposition de M. León. Nous souhaitons que les partenaires libyens puissent accepter ces solutions, qui nous conviennent. Il faut le faire avant le ramadan et la fin de la légitimité du Parlement de Tobrouk. Certains, qui ne sont pas décidés à trouver un accord, jouent la montre pour parvenir à l'invalidation du Parlement de Tobrouk, qui se retrouvera alors dans la même situation que le Congrès de Tripoli. Il s'agit là d'une nouvelle donne extrêmement compliquée.
Pour le Gouvernement, il n'y a pas de solution militaire à la crise libyenne. Je participais hier à Tunis à une réunion des ministres de la défense marocain, algérien, tunisien, espagnol, portugais, etc. Nous sommes tous convenus, même les Algériens et les Marocains, que seul cet accord permettrait de trouver une transition. J'espère qu'elle pourra avoir lieu. Dans le cas contraire, on sera dans une situation très difficile. Daech joue de deux façons en Libye, à la fois par la pénétration propre et par des ralliements successifs. Faute d'un accord, les ralliements vont se poursuivre. Nous ne sommes pas dans une logique d'intervention.
S'agissant des bateaux de migrants, il existe une proposition d'action en trois phases dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune. Un état-major a été installé à Rome la semaine dernière, sous commandement italien, avec un adjoint français.
La première phase, à laquelle nous comptons participer, concerne la connexion de toutes les informations dont on dispose, la deuxième consiste en l'interpellation en haute mer et la troisième phase a trait à l'intervention sur la base des mouvements.
Ces décisions reposent soit sur une demande des Libyens, qui n'a pas eu lieu, soit sur une résolution des Nations unies, qui n'a pas non plus vu le jour. On est dans une situation intermédiaire, mais il ne s'agit en aucun cas d'une logique d'intervention massive sur la situation intérieure libyenne.
Concernant les interventions contre les passeurs, nous ne pouvons agir que dans le cadre d'une légitimité internationale, qui n'existe pas. Elle ne peut émaner que de deux sources, soit de l'État concerné, soit des Nations unies. Ce n'est pas le cas pour le moment. Le Conseil européen du 22 ou du 23 juin va devoir aborder cette question. L'état-major installé à Rome fait pour le moment du renseignement et de la connexion d'informations.
S'agissant des ressources immobilières, l'îlot Saint-Germain va être mis en vente, après définition du prix par la Direction nationale d'interventions domaniales (DNID). On est aujourd'hui habitué à ces ventes. Pour l'instant, on ne s'en porte pas trop mal. J'espère que cela continuera. Seul sera conservé l'hôtel de Brienne, où se trouvent les anciens bureaux de Clemenceau et du général de Gaulle, qui font partie du patrimoine national.
Pour répondre à la question de M. Pozzo di Borgo, l'évolution des facteurs présente toujours un risque ; pour le moment, cela va dans un sens positif. Avec le Contrôle général des armées et l'Inspection des finances, nous avons évalué la réalité de l'avantage qui nous est affecté du fait de l'évolution favorable des indices à un milliard d'euros. Ceci est identifié agrégat par agrégat. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, je suis prêt à le détailler. Cette somme servira uniquement à se doter de capacités nouvelles.
S'agissant de l'exportation, le coût de l'accompagnement est relativement modeste. Le risque le plus important concerne les FREMM, mais les choses sont aujourd'hui réglées. On accélère la construction de la sixième FREMM, et on a décidé de lancer dès à présent, dans le cadre de l'actualisation, un programme de cinq Frégates de taille intermédiaire, ce qui nous permettra d'être plus performants à l'exportation, et qui correspond aux besoins de la marine nationale. Le nombre de FREMM s'élève donc à quinze.
Concernant les Rafale, nous en fournissions à l'Égypte trois au mois d'août et trois à la fin de l'année, que nous prélevons sur nos propres Rafale. Ils seront compensés assez rapidement.
M. Jacques Gautier, rapporteur. - La formation des personnels et leur mise à disposition seront donc bien compensées financièrement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Oui. Quatre cent postes sont affectés au soutien à l'exportation dans le cadre du redéploiement des effectifs. L'effort des armées à l'exportation se limite à cela.
M. Jacques Gautier, rapporteur. - Quels sont les textes nécessaires à la réserve opérationnelle ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Autant que je m'en souvienne, on n'a pas besoin de textes supplémentaires...
M. Jacques Gautier, rapporteur. - Il va bien falloir un texte pour que les employeurs acceptent que les salariés s'absentent plus longtemps !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - A priori, je ne le crois pas.
Concernant le SMV, il est hors de question que le ministère de la défense aille au-delà des trois sites expérimentaux, des mille personnels et des 35 millions d'euros.
Nous avons l'expérience du service militaire adapté (SMA) dont nous nous inspirons pour le SMV. On verra si on peut la prolonger ou non.
Pour ce qui est des C-130, nous avons provisionné des crédits pour l'achat de quatre appareils.
Quant aux hélicoptères, nous veillerons que les pièces détachées soient fournies. Les achats de pièces détachées avaient été sous-dimensionnés. Il avait été prévu d'en acheter pour vingt appareils, alors que le parc était de quarante. Le phénomène est corrigé. J'ai pu moi-même constater quelques difficultés dans ce domaine.
Je n'ai pas répondu à la question de M. Pintat à propos du budget 2015. Les sommes sont inscrites au collectif budgétaire. Les 2,14 milliards d'euros ne concernent que des équipements. Le dégel sera effectif à l'automne, et nous disposerons d'un décret d'avance anticipé. 31,4 milliards d'euros seront budgétés pour la défense. Les éventuels problèmes de trésorerie seront réglés soit par décret d'avance, soit par la levée du gel.
Concernant les drones et les discussions avec l'Allemagne, c'est un drone d'observation, et non de combat qui succède au Reaper. Pour le moment, les choses se passent bien, même si les approches de départ étaient différentes. J'espère que cela pourra aboutir. Nous l'avons déjà dénommé « Eurodrone ». Je souhaite qu'il connaisse une belle histoire.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La parole est aux commissaires.
M. Alain Néri. - Monsieur le ministre, on ne peut qu'être satisfait de voir que votre action reçoit l'approbation unanime de notre commission. Chacun se félicite des succès que vous avez enregistrés, et c'est un plaisir pour nous de constater que la France joue pleinement son rôle dans la lutte contre le terrorisme. Aujourd'hui, les choses sont pratiquement réglées sur le plan budgétaire, et il semble que l'on n'aura pas de grandes difficultés à faire adopter la LPM 2015.
Je me félicite que la France tienne son rôle. Le général de Villiers nous a dit ce matin que les Américains s'adressaient prioritairement à nous, reconnaissant ainsi la qualité de nos armées et de notre action, ainsi que de nos armements. Tout cela représente des rentrées budgétaires intéressantes, mais aussi des emplois : dans la situation actuelle, on ne peut que s'en réjouir.
Je me pose cependant une question. Bien que l'on soit à la pointe de l'action en Afrique, en Syrie, voire en Libye ou en Ukraine, on éprouve cependant des difficultés budgétaires. Les choses s'améliorent grâce à la baisse de l'inflation, du prix du pétrole, mais elles peuvent se retourner. Ne conviendrait-il pas de mettre cette situation favorable à profit pour relancer la défense européenne ?
Chacun nous félicite, mais personne ne met la main au portefeuille ! La solidarité en paroles est certes extrêmement appréciable, mais partager les dépenses, c'est faire preuve de solidarité réelle ! On le pratique dans nos communes et nos départements : ceux qui ont des facilités doivent participer à l'effort commun. C'est pourquoi il me paraîtrait souhaitable que les Allemands, toujours prompts à nous donner des conseils en matière de réduction de notre déficit, tiennent compte de nos efforts de défense et dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Ce serait une preuve de solidarité européenne !
M. Aymeri de Montesquiou. - La phrase du général de Gaulle sur le Moyen-Orient compliqué semble de plus en plus d'actualité. J'ai l'impression que l'on est un peu « contaminé ». En Syrie, il y a une hiérarchie de l'horreur entre le président Bachar al-Assad et Daech, et il semblerait que ce soit Daech qui gagne. De plus, Daech est devenu un objectif stratégique.
La ville d'Alep est défendue par les troupes gouvernementales, mais aussi par le PID et par le Hezbollah. Or, vous avez tenu, à Beyrouth, des propos assez durs contre le Hezbollah qui, malgré tout, est notre allié dans la lutte contre Daech. Quelle est la position de votre ministère vis-à-vis de Daech ?
M. Robert Hue. - Je ne pourrais être malheureusement présent à l'audition de M. Fabius, mais je voudrais revenir sur l'évolution de Daech en Afrique.
Ce matin, le général de Villiers nous disait qu'anticiper constituait un enjeu stratégique majeur. Or, un certain nombre de réseaux apparaissent dans toute l'Afrique. C'est ainsi que des réseaux dormants de Daech sont présents en Afrique du Sud, alors que ce pays ne compte que 1,7 % de musulmans ! N'est-il pas temps d'imaginer, au plan militaire, mais aussi au plan diplomatique, une coordination pour que son expansion s'arrête ? C'est une question majeure ! N'est-il pas optimiste de dire qu'il n'y aura pas de dérives financières, si l'on doit s'élargir dans le cadre d'une intervention plus générale ? On ne serait pas les seuls, mais ces questions doivent malgré tout être posées.
M. Jeanny Lorgeoux. - Monsieur le ministre, je considère que vous conduisez le ministère de la défense avec beaucoup de maîtrise ; vous remportez par ailleurs beaucoup de succès, et je vous en remercie pour la France !
Ma question sera très courte : selon vos informations, l'armée nigériane est-elle toujours déterminée à réduire Boko Haram ?
M. Cédric Perrin. - Monsieur le ministre, vous avez parlé de « diminution de la déflation des effectifs ». J'ai trouvé la formule particulièrement poétique !
J'aimerais cependant que vous nous fournissiez davantage d'informations concernant la restructuration des régiments. Il avait été demandé que des informations soient apportées bien en amont, au cas où ces restructurations devraient intervenir, d'une part pour le moral des soldats et, d'autre part pour l'information des élus. Je désirerais donc obtenir une réponse à cette question.
En second lieu, je rentre de Norvège, où nous avons rencontré un certain nombre d'entreprises françaises travaillant pour la défense de ce pays, des diplomates et du personnel du ministère de la défense norvégien. Ce pays va devenir dans quelques années l'un des plus riches au monde, avec un fonds souverain qui se montera bientôt à mille milliards d'euros ! Des contrats sont en train d'être négociés avec des entreprises françaises, comme DCNS, pour presque 4 milliards d'euros. Ces entreprises ont besoin d'un soutien efficace ; or, elles n'ont pas reçu la visite d'un ministre de la défense français depuis plus de dix ans ! Je vous invite donc fortement à effectuer un déplacement. Ce pourrait apporter une aide significative pour conquérir de nouveaux marchés !
M. Philippe Paul. - Monsieur le ministre, je voudrais évoquer les Rafale, sujet dont je me suis entretenu la semaine dernière avec le général Mercier. Ce dernier a dit que la livraison de ces appareils interviendrait en 2018 ; ce matin, le CEMA a indiqué que la reprise des livraisons se ferait en 2019, en fonction des livraisons aux pays étrangers. Pour le moment, on n'en sait guère plus. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? L'armée de l'air française pourrait en effet n'avoir aucune livraison durant quatre ans !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Tout d'abord, la question de la défense sera à l'ordre du prochain Conseil européen, qui va avoir lieu les 25 et 26 juin. Les chefs d'État et de gouvernement en ont parlé pour la dernière fois en décembre 2013. Ils avaient décidé d'aborder à nouveau le sujet dix-huit mois plus tard. C'est une grande nouveauté, car ils n'avaient pas traité la question depuis 2005. Cela démontre le faible intérêt que suscitait la préoccupation de stratégie commune. Elle est en train de se renforcer ; le président de la Commission est très allant sur cette nécessité, et avance même parfois des objectifs extrêmement ambitieux - armée européenne, etc. Certes, il faut ouvrir des perspectives, mais il faut également tenir compte de la dure réalité !
La question du financement commun de la défense sera sûrement posée. Je constate que ce sujet est bien plus d'actualité qu'auparavant. Beaucoup de ministres de la défense sont directement intéressés, l'évoquent très librement et en parlent à leur chef de gouvernement. Ce sujet ne sera pas définitivement réglé ici, mais il va venir dans la discussion.
Le premier acte très important qui présente un double intérêt serait qu'un groupement tactique de l'Union européenne (GTUE), ou battlegroup, puisse être mobilisé au nom de l'Union européenne lors d'une crise. Ceci ne s'est jamais produit. Il se trouve que la France, l'Allemagne et l'Italie - je ne sais plus dans quel ordre - vont devoir successivement assurer la veille, afin d'intervenir en cas de crise. Il faut d'abord que la décision politique soit prise, et que le financement du déplacement soit acté. Ce serait là une avancée considérable. C'est ce que je suggère au Président de la République de dire lors du Conseil européen. M. Junker est d'accord sur ce point. La Haute représentante également. Avancer dans cette direction constituerait un bon moyen d'entrer dans l'Europe de la défense. C'est pour cela que je me bats.
Quant à Daech, le Hezbollah n'est pas à ma connaissance à Alep. Notre position est claire : nous combattons Daech, avec l'ensemble des moyens qui sont à notre disposition, mais nous combattons aussi Bachar al-Assad, qui a créé Daech et qui l'a laissé prospérer ! Il n'y a pas de choix à faire entre l'un ou l'autre. Or, le Hezbollah soutient totalement Bachar al-Assad... Il faut trouver les voies et les moyens pour ce faire, mais il n'est pas question de s'allier avec le Hezbollah pour combattre Daech, puis de réinstaller ensuite Bachar al-Assad. Ce n'est pas dans notre logique.
Les combattants étrangers se trouvent également au sein de Daech et peuvent ensuite prospérer en Afrique. J'espère que ce ne sera pas le cas.
Je rappelle à Robert Hue que cela fait longtemps que j'ai cherché à attirer l'attention sur Daech. Sans changement de la situation en Libye, je crains le pire ! C'est très préoccupant.
Je réponds en même temps à M. Lorgeoux à propos de Boko Haram : le changement de présidence, au Nigeria, a donné une impulsion plus forte à l'engagement des armées nigérianes dans la lutte contre Boko Haram. Une bonne coordination se met enfin en place entre le Tchad, le Niger, le Cameroun, le Bénin et le Nigeria. Nous l'accompagnons avec un soutien technique, logistique, ainsi qu'en matière de renseignement. Je suis plutôt optimiste, car il existe une véritable volonté d'endiguer tout cela.
Certes, on peut nous accuser de soutenir tel ou tel chef d'État qui a par ailleurs peut-être un passé compliqué, mais la réalité de la menace principale réside bien dans le risque d'extension du conflit en Afrique.
Boko Haram avait fait allégeance à Daech, mais il s'agissait uniquement de communication et de publicité. Daech, après avoir pris Syrte, a repris hier soir une centrale thermique. On est dans une situation préoccupante. Il faut souhaiter qu'un accord intervienne aujourd'hui ou demain à Berlin, faute de quoi les choses seront très compliquées.
Monsieur Perrin, je ne peux imaginer que ce n'est pas DCNS qui se plaint de ne pas être assez soutenu... Nous avons là deux métiers différents : celui des politiques est d'ouvrir les portes. C'est ce que j'essaye de faire. Le second métier consiste à vendre. Je suis très au courant de ce qui se passe en Norvège en matière de sous-marins pour avoir déjà reçu en France mon homologue de ce pays. J'irai volontiers lui rendre visite à mon tour !
Le sujet principal pour les sous-marins se situe aujourd'hui en Australie. Sans sous-estimer la Norvège, je vais me rendre en Australie au mois d'août. Ce pays prendra sa décision avant la fin de l'année.
S'agissant des prises de commandes, on est à 15 milliards d'euros depuis le début de l'année. En termes de stock, la réduction est très significative, mais nous travaillons en flux. Cela n'empêchera pas des diminutions d'effectifs, car il ne s'agit pas automatiquement des mêmes métiers. Je ne veux pas l'affirmer avec une totale fermeté, mais il n'existe pas, actuellement, de perspectives de fermeture d'unités lourdes. Je n'exclus pas des fermetures ponctuelles de certains dispositifs qui nécessitent une cohérence plus globale - essence, matériels -, car nous avons en même temps un processus de rationalisation de trente et un chantiers en cours que j'ai initié dans le cadre du ministère de la défense. Dans certains cas, cela signifie une restructuration, une meilleure performance, entre autres en matière de matériels et de carburant.
Concernant les Rafale, je me réfère à mes tableaux. La production minimum de Dassault Aviation est de onze Rafale par an. Une livraison de onze appareils a eu lieu en 2014. Onze autres devraient être livrés en 2015 à l'armée française, et quatre en 2016, prévus dans la LPM. À un certain moment, nous étions dans un certain flou. Une cinquième tranche de livraison à l'armée de l'air française allait au-delà de 2019. Je ne sais si c'est à cette phase que vous faites allusion, mais celle-ci était destinée à remplacer les Mirage 2000. La base de notre flotte de chasse est de deux cent vingt-cinq Rafale. On en est aujourd'hui à cent cinquante.
Au titre de l'actualisation, l'échéancier qui été arrêté est le suivant : onze ont déjà été livrés en 2014 à l'armée de l'air française, cinq le seront en 2015, six en 2016, un en 2017, trois en 2018. On arrive au même chiffre global.
Il y aura donc bien six Frégate et vingt-six Rafale, un petit peu moins en 2015, du fait de l'accord avec l'Égypte, mais davantage en 2016.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci beaucoup de nous aider à aller au fond de ce dossier, et de faire en sorte que nos armées obtiennent les bonnes nouvelles qu'elles attendent du chef des armées le 14 juillet prochain, avec une LPM actualisée. Nous allons tout faire pour qu'il en soit ainsi !
La réunion est levée à 18 heures.
Jeudi 11 juin 2015
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -La réunion est ouverte à 9 h 45.
Situation internationale - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
La commission auditionne M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la situation internationale.
Cette audition ne donnera pas lieu à un compte rendu.
La réunion est levée à 10 h 50.