- Mercredi 6 mai 2015
- Octroi de mer - Examen des amendements au texte de la commission
- Nouvelle organisation territoriale de la République - Communication
- Nomination de rapporteurs spéciaux
- Organismes extraparlementaires - Désignations
- Enjeux de l'assurance vie - stabilité financière, financement de l'économie, concurrence réglementaire et fiscale en Europe - Audition de M. Thomas Groh, sous-directeur des assurances de la direction générale du Trésor, Mme Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, M. Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques, et M. Pierre de Villeneuve, président-directeur général de BNP Paribas Cardif
Mercredi 6 mai 2015
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Octroi de mer - Examen des amendements au texte de la commission
La réunion est ouverte à 9 h 02.
La commission procède à l'examen des amendements au texte de la commission n° 408 (2014-2015) sur le projet de loi n° 366 (2014-2015) modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 14 de Joël Guerriau vise à maintenir le seuil de taxation à l'octroi de mer à 550 000 euros, ce qui est contraire à la décision du Conseil du 17 décembre 2014. L'amendement n° 27 de Jacques Cornano propose, pour sa part, de fixer un seuil d'assujettissement à 85 000 euros, assorti d'une exonération pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 300 000 euros, ce qui se traduirait par un alourdissement des charges administratives pesant sur les entreprises. Je suis donc défavorable à ces deux amendements.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 14 et 27.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 15 de Joël Guerriau prévoit l'exonération obligatoire des livraisons de biens destinés à l'accomplissement des missions de l'État et l'amendement n° 16 du même auteur est un amendement de repli prévoyant l'exonération obligatoire des livraisons de biens nécessaires aux services d'incendie et de secours. Le dispositif d'exonération facultative prévu à l'article 7 de la loi de 2004 me semble suffisant.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 15 et 16.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Les amendements nos 1 et 2 de Georges Patient visent à mettre un terme au régime dérogatoire applicable en matière d'octroi de mer aux échanges entre le marché unique antillais et la Guyane. Une sortie simple de la Guyane de ce dispositif serait toutefois préjudiciable, tant pour les entreprises antillaises que pour les entreprises guyanaises. L'amendement n° 10 du Gouvernement à l'article 6, qui prévoit une liste de huit produits pour lesquels les dispositions du marché antillo-guyanais ne s'appliqueront pas, me semble préférable. Je pense qu'il ne faut pas remettre en cause l'accord intervenu le 28 avril dernier entre le Gouvernement et les différentes régions concernées, je demanderai donc à son auteur de bien vouloir retirer ces amendements.
La commission demande le retrait des amendements nos 1 et 2.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 10 du Gouvernement vise à exclure du mécanisme du marché antillo-guyanais huit produits, pour lesquels le droit commun sera appliqué. Il transpose ainsi l'accord intervenu le 28 avril dernier, sous l'égide du ministère. Il prévoit en outre la mise en place d'une commission chargée d'évaluer et d'analyser les échanges entre la Guyane et le marché unique antillais, de proposer d'éventuelles évolutions ou modifications de cette liste.
Le sous-amendement n° 35 proposé par Georges Patient vise notamment à exclure de l'application des règles du marché antillo-guyanais l'ensemble de la référence 4818 et non uniquement à la référence 4818 10 et à confier la présidence, qui serait tournante, de la future commission aux exécutifs locaux et non au ministre des outre-mer ou à son représentant. Je souhaiterais entendre la position du Gouvernement sur ces points.
M. Georges Patient. - Le relevé de conclusions de la réunion du 28 avril prévoit effectivement ces deux points, c'est pourquoi j'ai déposé ce sous-amendement. Je précise qu'il est cosigné par Serge Larcher, sénateur de la Martinique, et par Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe.
M. Richard Yung. - Nous pourrions donner un avis favorable à ce sous-amendement pour mettre un peu de pression sur le Gouvernement.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Effectivement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10 et au sous-amendement n° 35.
Articles additionnels après l'article 6
M. Éric Doligé, rapporteur. - Les amendements n° 28, 30 et 31 de Jacques Cornano prévoient la remise de rapports au Parlement concernant l'harmonisation des régimes locaux d'octroi de mer, sur l'extension de cette taxe au secteur des services et sur son utilisation pour lutter contre la vie chère. Je suis défavorable à l'ensemble de ces demandes de rapport. J'ajoute que les parlementaires qui le souhaitent ont la possibilité de se saisir de ces questions dans le cadre de leurs travaux.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 28, 30 et 31.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 3 de Georges Patient rectifié prévoit que les importations de biens figurant dans les listes de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taux ne peuvent pas être exonérées d'octroi de mer. Il me semble préférable de laisser cette décision aux conseils régionaux et départementaux.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3 rectifié.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 17 de Joël Guerriau prévoit la possibilité pour les conseils régionaux et départementaux d'exonérer les importations de biens destinés à l'accomplissement de l'ensemble des missions de l'État et plus seulement aux missions régaliennes. L'amendement n° 18 de Joël Guerriau propose le même dispositif mais uniquement pour les biens nécessaires aux services d'incendie et de secours. Je suis défavorable à ces amendements qui me semblent satisfaits par l'article 6 de la loi de 2004 tel que modifié par l'article 7 du présent projet de loi.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 17 et 18.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 4 rectifié de Georges Patient propose d'étendre l'exonération actuellement prévue aux « personnes » exerçant une activité scientifique, de recherche et d'enseignement, et non aux seuls « établissements » exerçant ces mêmes activités. Je ne suis pas certain de la pertinence de cet amendement, qui étendrait le dispositif à des particuliers. Peut-être Georges Patient pourrait nous expliquer les cas particuliers qui seraient concernés ?
M. Maurice Vincent. - Les consultants indépendants qui font de la recherche pourraient être concernés.
M. Georges Patient. - Il s'agit de s'assurer que l'association Interprobois, qui mène une activité de recherche importante, bénéficie de l'exonération.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Il s'agit donc d'une personne morale. Nous pourrions donner un avis favorable à votre amendement n° 19 rectifié, à condition de le modifier pour qu'il concerne les personnes morales.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 19 rectifié, sous réserve de sa rectification.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Les amendements nos 24 et 34, respectivement de Maurice Antiste et Alain Milon, visent à élargir la liste des établissements dont les importations de biens peuvent être exonérées d'octroi de mer. Ces amendements me semblent préciser utilement le champ des établissements pouvant bénéficier de l'exonération, sans créer de nouveaux cas d'exonération. Pour autant, je souhaiterais entendre l'avis du Gouvernement sur ces amendements.
L'amendement n° 22 de Maurice Antiste prévoit la possibilité d'exonérer biens pour lesquels « il est justifié d'une utilité économique ou sociale particulière et de l'impossibilité de s'approvisionner sur le marché local ». L'extension prévue par le présent amendement me semble recouvrir un nombre de situations potentiellement très élevé, mais je vous propose également d'entendre l'avis du Gouvernement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 24, 34 et 22.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 5 rectifié de Georges Patient prévoit que les importations de biens destinés à l'avitaillement ou les carburants utilisés à usage professionnel figurant dans les listes de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taux ne peuvent pas être exonérées d'octroi de mer. Il me semble préférable de laisser cette décision aux conseils régionaux et départementaux.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié.
Article additionnel après l'article 9
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 29 de Jacques Cornano prévoit la modification de la procédure d'actualisation des listes de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taux d'octroi de mer. Cela me semble contraire au droit communautaire et, en tout état de cause, a déjà été refusé par la Commission européenne.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 29.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 11 du Gouvernement est un amendement de cohérence.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 11.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 6 de Georges Patient rectifié vise à exclure du droit à déduction l'octroi de mer qui a frappé les importations de biens d'investissement figurant dans les listes de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taux, ce qui pénaliserait les entreprises dépendant de ces importations.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6 rectifié.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 12 du Gouvernement est un amendement de cohérence.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 12.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 13 du Gouvernement est un amendement de cohérence.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 13.
Article additionnel après l'article 30
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 25 rectifié de Georges Patient vise à mettre en place un mécanisme de reversement sur le modèle de ce qui existe au sein du marché unique antillais entre la Guadeloupe et la Martinique. Ce dispositif est intéressant. Pour autant, n'ayant pas les moyens d'évaluer ses éventuels impacts, et dans la mesure où il ne figurait pas dans l'accord du 28 avril dernier, je souhaiterais entendre l'avis du Gouvernement sur cet amendement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 25 rectifié.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 7 rectifié de Georges Patient, qui a été présenté maintes fois devant la commission, vise à exclure le département de Guyane de la répartition de l'octroi de mer, afin que seules les communes guyanaises en bénéficient. Il s'agit en fait d'appliquer le droit commun à la Guyane. Je ne puis être favorable à cet amendement qui déstabiliserait les finances du département de Guyane, mais nous pourrions cependant solliciter l'avis du Gouvernement, afin qu'il nous présente éventuellement une solution pérenne à cette question récurrente.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 7 rectifié.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Les amendements nos 9 rectifié et 20 rectifié de Georges Patient reprennent la même logique que le précédent. Par cohérence je vous propose le même avis.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 9rectifié et 20 rectifié.
Article additionnel après l'article 33
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 32 de Paul Vergès vise à supprimer, dans les modalités de calcul de la dotation globale de fonctionnement, le plafonnement de la dotation de superficie perçue par les communes guyanaises. Le plafonnement de la dotation de superficie des communes est certes une spécificité guyanaise, mais je rappelle que la situation actuelle est déjà favorable à la Guyane : le montant par habitant de la dotation de superficie est ainsi en moyenne de 3,28 euros en métropole, quand il est de plus de 53 euros en Guyane. J'ajoute qu'il concerne une dotation cristallisée depuis la dernière loi de finances.
M. Georges Patient. - Il s'agit d'une dotation superficiaire, il ne faut donc pas raisonner en fonction de la population ! Nous demandons simplement l'application du droit commun, ce qui conduirait les communes de Guyane à percevoir 12 millions d'euros supplémentaires.
M. Michel Bouvard. - La dotation de superficie avait été mise en place à l'initiative notamment des élus de montagne. Il s'agissait de prendre en compte les charges pesant sur les communes étendues, du fait des phénomènes d'érosion et de fréquentation par des populations touristiques. Ceci suppose donc qu'il y ait soit une population « de passage », soit une population dispersée géographiquement. La Guyane ne connait pas une situation similaire, dans la mesure où une importante partie de son territoire est uniquement occupée par de la forêt, même s'il est vrai qu'il y a une importante population non déclarée. Je pense néanmoins que le déplafonnement ne correspondrait pas à l'esprit qui a conduit à la mise en place de la dotation de superficie.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 32.
Articles additionnels après l'article 36
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 8 rectifié de Georges Patient vise à lever les secrets fiscal et statistique, au profit des conseils régionaux dans le cadre de leurs travaux relatifs à l'octroi de mer. Mais je pense que l'objectif visé peut être atteint sans lever ces secrets.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.
L'amendement n° 21 rectifié de Georges Patient prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d'un rapport sur la faisabilité d'une taxe territoriale sur les services en Guyane. Il me semble, encore une fois, que les parlementaires qui le souhaitent ont la possibilité de se saisir de cette question. J'y suis donc défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21 rectifié.
Articles additionnels après l'article 36 bis
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 26 rectifié de Georges Patient est une conséquence de l'amendement n° 25 ; par cohérence je vous propose de donner le même avis.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 26 rectifié.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 23 de Maurice Antiste prévoit la consultation obligatoire des conseils régionaux de Guadeloupe et de La Réunion, de l'assemblée de Guyane, de l'assemblée de Martinique et du conseil départemental de Mayotte avant toute modification du régime juridique de l'octroi de mer. Il me semble qu'il est satisfait par le droit existant.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 23.
M. Éric Doligé, rapporteur. - L'amendement n° 33 de Paul Vergès prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d'un rapport sur les pistes de réformes de la fiscalité dans les Outre-mer. Si le sujet me semble mériter une réflexion, celle-ci pourrait être menée dans le cadre de nos travaux parlementaires.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 33.
Nouvelle organisation territoriale de la République - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Charles Guené, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 336 (2014-2015), modifié par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, portant nouvelle organisation territoriale de la République (deuxième lecture).
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - Le Sénat va examiner dans quelques jours, en deuxième lecture, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Notre avis sur ce texte, en première lecture, avait été notamment l'occasion de déplorer l'absence de réponse apportée par le Gouvernement aux questions financières résultant des transferts de compétences prévus par la version initiale du projet de loi.
Les régions, dont les compétences sont élargies bénéficieront-elles de nouvelles ressources ? D'aucuns ont évoqué une part plus importante de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour financer les nouvelles compétences régionales... mais au détriment de quel niveau de collectivités territoriales ?
Ces questions devraient être traitées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 et la commission des finances pourra alors largement en débattre.
Toutefois, il m'a semblé important d'informer dès maintenant la commission de certaines modifications apportées par l'Assemblée nationale avant l'examen du texte en deuxième lecture au Sénat : c'est l'objet de la présente communication, qui se focalise donc sur les dispositions financières et fiscales de la réforme territoriale.
Je commencerais par évoquer la métropole du Grand Paris. En première lecture, le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement qui modifie profondément l'architecture de la métropole du Grand Paris prévue par la loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).
Cet article 17 septdecies a encore été modifié par l'Assemblée nationale, qui a notamment prévu une phase transitoire entre 2016 et 2021, s'agissant des ressources fiscales de la métropole.
Le texte qui nous est transmis prévoit un EPCI à statut particulier, la métropole du Grand Paris, des communes membres et, entre l'échelon communal et l'échelon métropolitain, des « établissements publics territoriaux » (EPT).
Ces EPT reprendront les limites des EPCI actuels et relèveront du régime des syndicats de communes : ils ne seront donc pas des EPCI à fiscalité propre. En d'autres termes, il n'y aura pas « deux niveaux d'EPCI à fiscalité propre ».
La question qui se pose, du point de vue de la commission des finances, est évidemment celle de la répartition des ressources entre ces trois échelons, et notamment entre la métropole et les établissements publics territoriaux (EPT).
Contrairement à ce qu'avaient pu souhaiter certains, il n'y aura pas, à terme, de partage de la fiscalité économique : la métropole percevra la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la CVAE, ainsi que les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau (IFER) et la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) ; les EPT percevront la taxe sur les ordures ménagères (TEOM), la taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE) et la taxe de séjour ; ils bénéficieront également chacun d'un « fonds de compensation des charges territoriales », abondé par leurs communes membres, en fonction des charges transférées. Quant aux communes, elles percevront les taxes ménages.
Par ailleurs, sera mise en place une « dotation de soutien à l'investissement territorial », versée par la métropole aux communes et aux EPT. Son montant sera lié à l'évolution des produits de CVAE et de CFE. Sera également mise en place une « dotation de solidarité communautaire », versée par la métropole aux communes, à des fins péréquatrices.
Enfin, la métropole percevra la dotation globale de fonctionnement (DGF) des EPCI, ce qui ne sera pas le cas des EPT.
Ce système sera en vigueur à partir de 2021, avec, à terme, un taux unique de CFE sur tout le territoire de la métropole. Entre 2016 et 2020, l'Assemblée nationale a prévu une période transitoire au cours de laquelle les EPT et la commune de Paris percevront la CFE. Voilà pour un rapide balayage de cet article.
L'article 32 bis concerne les emprunts toxiques contractés par les collectivités territoriales. Comme vous le savez, l'appréciation brutale du franc suisse en janvier dernier a entrainé une augmentation considérable des intérêts dus par certaines collectivités. Le surcoût pourrait se chiffrer à « plusieurs centaines de millions d'euros voire un milliard » d'après Christian Eckert.
Il serait donc nécessaire de doubler le montant du fonds de soutien. À ce stade, l'article 32 bis prévoit simplement d'augmenter la part des indemnités de remboursement anticipé (IRA) pouvant être prises en compte par le fonds, de 45 % à 75 %.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a introduit en première lecture un article relatif au Haut Conseil des territoires, instance de concertation entre l'État et les collectivités territoriales (il s'agit de l'article 1er bis).
M. Michel Bouvard. - Il concurrence le Sénat !
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - L'Assemblée nationale a en fait repris, pour l'essentiel, les dispositions qu'elle avait introduites lors de l'examen du projet de loi MAPTAM, qui prévoient notamment une consultation sur la politique à l'égard des collectivités et sur la programmation pluriannuelle des finances publiques.
Je rappelle que le Sénat avait, à l'époque, décidé de supprimer ce Haut Conseil. Nous verrons quel sort la commission des lois et le Sénat réserveront à cet article, mais, pour ma part, je souhaiterais tout de même souligner qu'il sera nécessaire, à terme, de mettre en place une vraie concertation avec l'État, quelle que soit la forme qu'elle prenne.
L'article 18 A instaure une « redevance de mouillage » dans les aires marines protégées. Cet article a été introduit par le Sénat en première lecture, supprimé en commission à l'Assemblée nationale puis réintroduit en séance publique.
Destiné à l'origine à permettre à la Corse de lutter contre l'afflux de navires provenant de Sardaigne, où ils sont désormais taxés, ce dispositif a fait naitre de nombreuses inquiétudes au sein de la filière nautique. Le montant initialement prévu s'élevait à 20 euros par mètre et par jour, mais il est désormais prévu qu'il soit fixé par décret.
Pour ma part, je souligne qu'il s'agit uniquement d'une possibilité pour les collectivités territoriales et les établissements publics concernés.
L'article 33, relatif à la participation des collectivités aux sanctions financières prononcées à l'encontre de l'État pour manquement au droit communautaire, a été profondément remanié à l'Assemblée nationale.
Je rappelle que nous avions souligné en commission des finances que le champ de la responsabilité des collectivités était insuffisamment circonscrit et que la contribution des collectivités était fixée après simple avis d'une commission, qui ne comportait pas de représentant des collectivités. Sur tous ces points, notre commission a été entendue.
En revanche, demeure la question de la capacité effective des collectivités à faire face à ces sanctions financières, dont le montant peut être très important.
L'Assemblée nationale a fixé à 20 000 habitants la taille minimum des EPCI ; ce seuil peut être abaissé à 5 000 habitants sous certaines conditions.
Par ailleurs, l'article 21 bis B, introduit à l'Assemblée nationale, vise à assouplir les conditions démographiques de création des communautés urbaines et des communautés d'agglomération.
Ainsi, le seuil de 250 000 habitants pour créer une communauté urbaine ne s'appliquerait pas aux EPCI comprenant une commune qui a perdu la qualité de chef-lieu de région en raison de la modification de la carte des régions. Sept chefs-lieux seraient concernés : il s'agit de Caen, Châlons-en-Champagne, Besançon, Limoges, Metz, Amiens et Poitiers.
M. Michel Bouvard. - Jackpot DGF !
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - Les communautés d'agglomération auxquelles appartiennent ces villes pourraient devenir des communautés urbaines, si la majorité de leurs communes membres en décidaient ainsi avant le 1er janvier 2020.
De plus, ce même article 21 bis B permet à des EPCI qui ne comprennent aucune commune de plus de 15 000 habitants mais dont la plus grande commune appartient à « une unité urbaine de plus de 15 000 habitants » de devenir une communauté d'agglomération. Douze communautés de communes pourraient bénéficier de cette possibilité.
Je vous rappelle que la dotation moyenne par habitant des communautés de communes est comprise entre 20,05 et 34,06 euros par habitant ; pour les communautés d'agglomération, elle s'élève à 45,40 euros par habitant et à 60 euros par habitant pour les communautés urbaines.
La création de nouvelles communautés urbaines ou d'agglomération conduit donc à majorer l'enveloppe à répartir au titre de la dotation d'intercommunalité de ces catégories d'EPCI, d'environ 32 millions d'euros. Cet accroissement de la dotation d'intercommunalité pèse sur la dotation de compensation des EPCI, c'est-à-dire sur les EPCI eux-mêmes.
Ces assouplissements posent question car il existe déjà de nombreuses dérogations, en particulier en ce qui concerne la création de communautés d'agglomération.
L'intégration des EPCI doit répondre avant tout à un projet territorial, et non à une logique d'optimisation d'une dotation au détriment des autres EPCI ; et ceci, d'autant plus que de tels assouplissements pèsent sur la dotation de compensation, dont on sait qu'elle n'est pas répartie de façon homogène entre les EPCI.
Ces demandes répétées d'assouplissement démontrent une nouvelle fois que l'architecture actuelle de la dotation globale de fonctionnement est à bout de souffle. La réforme annoncée de la DGF devra s'intéresser à ces écarts de dotation par habitant en fonction du type d'EPCI.
Lors de l'examen du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, notre regretté collègue Jean Germain avait noté qu'il était indispensable de renforcer la solidarité au sein des EPCI avant d'en appeler à la solidarité nationale : le rapport sur la politique de la ville et la péréquation de notre collègue député François Pupponi relevait en effet que les deux tiers des communautés de communes et 30 % des communautés d'agglomération concernées par la politique de la ville n'avaient pas institué de dispositif de péréquation interne. Aussi, nous avons souhaité contraindre les EPCI concernés par la politique de la ville à conclure un pacte financier et fiscal ou, à défaut, à introduire une dotation de solidarité communautaire (DSC).
L'article 17 septdecies AA renforce cette logique en prévoyant que les EPCI signataires d'un contrat de ville, les communautés urbaines et les métropoles qui n'auraient pas conclu de pacte financier et fiscal doivent instituer une dotation de solidarité communautaire dont le montant minimum correspond à 10 % de leurs recettes fiscales (CFE, CVAE et taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties). En effet, aujourd'hui, rien n'empêche les EPCI concernés d'instituer une dotation de solidarité communautaire au montant symbolique...
Cette disposition contribue à répondre à la problématique des communes pauvres situées dans des EPCI dits « riches ».
Par ailleurs, cet article rend obligatoire la création d'une DSC pour les EPCI à fiscalité propre issus d'une fusion entre deux EPCI dont les potentiels financiers agrégés sont très différents (supérieur à 40 %).
L'article 22 bis AAA permet, hors Île-de-France, de reverser des recettes issues des forfaits de post-stationnement à la collectivité, l'EPCI ou le syndicat mixte compétent pour la réalisation des opérations destinées à améliorer la circulation ou les transports en commun.
En effet, la redevance de stationnement est instituée par le conseil municipal, l'EPCI ou le syndicat compétent pour l'organisation des transports urbains mais ceux-ci ne sont pas nécessairement les seuls à financer les opérations d'amélioration de la circulation ou les transports en commun. Il s'agit donc de mieux articuler la réalité de l'exercice d'une compétence avec son financement.
L'article 22 quater A assouplit les règles de majorité applicables aux EPCI pour l'unification des impôts directs locaux et devrait permettre de surmonter des situations de blocage susceptibles d'empêcher à nos territoires d'avancer.
Enfin, l'article 37 sur les compensations de transfert de compétences ne cesse de nous interroger sur ces collectivités « boîtes aux lettres », qui perçoivent des dotations de compensation de la part de l'État et les reversent à d'autres collectivités.
Certes, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui prévoit des transferts de compétences en retrait par rapport aux annonces initiales du Premier ministre. Mais on le voit bien à travers cet article, la neutralité financière des transferts de compétences conduit à un enchevêtrement rendant illisible le financement de l'action publique.
La nouvelle répartition des compétences sera suivie d'une nouvelle répartition des ressources, ce qui nous promet de beaux débats à l'automne, pour ne pas dire une loi de finances sportive !
M. Philippe Dallier. - En première lecture, j'avais déposé un amendement visant à repousser d'un an la création de la métropole du Grand Paris. J'estimais à l'époque qu'on ne serait jamais prêt d'ici le 1er janvier 2016. Le temps passe, les périmètres des fameux établissements publics territoriaux ne sont toujours pas connus début mai, les simulations financières promises ne sont toujours pas publiées, la loi ne sera pas adoptée avant le mois de septembre et on voudrait imposer la création de la métropole le 1er janvier 2016 ? Imposer des intercommunalités d'au moins 300 000 habitants, alors que certaines communes n'appartiennent aujourd'hui à aucun EPCI ? Je continue à penser que c'est complètement irréaliste.
Le Sénat ne m'avait pas suivi sur cet amendement : on parle depuis si longtemps de la métropole - moi-même, j'en parle depuis tellement longtemps ! - qu'il aurait pu paraître paradoxal que je propose de décaler sa création d'un an. Mais il va falloir se rendre à l'évidence : comment acter de cette création au 1er janvier 2016 sans aucune information, ni sur les périmètres, ni sur les conséquences financières ou sur la péréquation ? Nous sommes dans le flou le plus complet et j'en profite pour signaler à mes collègues de province que nul ne sait quelles seront les conséquences de la création de la métropole sur le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) !
Il y a aussi la réforme de la DGF prévue à l'automne : franchement, je ne vois pas comment on peut tenir ce calendrier ! Je vais donc redéposer l'amendement suggérant de se donner une année supplémentaire avant la création de la métropole et j'aimerais, mes chers collègues de la commission des finances, que cette fois-ci, je ne sois pas le seul à avancer ces arguments, qui me semblent être de bon sens.
M. Roger Karoutchi. - Je n'avais pas voté l'amendement de Philippe Dallier mais ce qui est en train de se passer me laisse d'un scepticisme au-delà du naturel ! Certains d'entre nous viennent d'avoir une réunion avec des représentants ô combien efficaces du Gouvernement, qui nous ont expliqué que le Gouvernement déposerait des amendements en deuxième lecture à l'Assemblée nationale : ces amendements ayant peu de chance d'être votés au Sénat, nous ne les aurons pas et ils règleront leurs affaires directement à l'Assemblée nationale ! Ça suffit ! Les élus d'Île-de-France et de la métropole peuvent au moins savoir à quelle sauce ils vont être absorbés !
Nous ne disposons d'aucune étude d'impact et on nous explique quel sera le système finalisé en 2021 mais on ne sait pas même pas comment tout cela fonctionnera en 2016 ! La seule chose dont nous sommes certains, c'est que les communes vont se retrouver à la portion congrue. Il y a aura un combat entre la métropole et les EPT, mais pour communes, 2016 ou 2021, c'est la même chose : il n'y aura plus un sou !
Le Gouvernement veut revenir, contre son propre avis en séance publique, sur le transfert des offices HLM, sur les syndicats, sur le plan local d'urbanisme (PLU). On a vraiment l'impression que cette métropole est à l'encan, que le Gouvernement ne sait pas quoi en faire ! Il y a deux jours, le Gouvernement nous a annoncé qu'il souhaitait que la compétence relative au tourisme soit confiée à la métropole : il y a trois mois, il a dit l'inverse en séance publique !
Je pense que je vais finir par voter l'amendement de notre collègue Philippe Dallier concernant le report de la date de création de la métropole...
Sincèrement, je le dis pour la gauche et pour la droite : il y a des accords tactiques sur la gouvernance et la gestion futures de la métropole et, pour obtenir un tel accord, tout le système institutionnel et financier de la métropole a été bâclé.
M. Serge Dassault. - Je pense qu'il est inconcevable qu'un préfet puisse contraindre des communes à intégrer un EPCI alors même que ceux-ci peuvent regrouper une population considérable : il n'y a pas seuil maximum à la création d'une communauté d'agglomération ! Si on crée des communautés d'agglomération de 500 000 habitants, où va-t-on ? Les communautés d'agglomération doivent être limitées à 200 000 ou 250 000 habitants. Ils ont prévu des EPCI de 500 000 habitants pour qu'ils ne soient pas de droite ! Ce sont des combines !
M. Philippe Dominati. - J'appelle l'attention de mes collègues, toutes sensibilités confondues : le Sénat, chambre des collectivités territoriales, ne peut pas ne pas s'intéresser à la principale métropole de France ! Le texte issu de l'Assemblée nationale est le résultat d'un compromis : on a fait croire à certains de nos collègues qu'il pouvait y avoir une entente sur la gestion de la métropole.
Il est scandaleux qu'on crée un échelon administratif supplémentaire sans en supprimer aucun ! Le Sénat doit aborder largement ce sujet, comme ce fût le cas pour les métropoles de Marseille ou de Lyon. Je crois que le Sénat se dessaisirait d'une responsabilité extrêmement importante si le texte faisait l'objet d'un débat aussi faible qu'en première lecture sur le volet parisien.
Pour ma part, je n'ai pas voté le texte car je ne croyais pas à ces compromis.
M. Francis Delattre. - Je dénonce le périmètre de la métropole : à part peut-être le département de la Seine-Saint-Denis, c'est le rassemblement de collectivités territoriales à fort potentiel financier. Si la métropole représente entre 5 et 6,5 millions d'habitants, je tiens à souligner que la grande couronne regroupe cinq millions d'habitants. Sur le terrain, on se rend bien compte que les limites entre les différents périmètres sont totalement artificielles. Je regrette qu'on n'ait pas utilisé la notion de zone urbaine au sens de l'INSEE, où les problématiques sont identiques.
Par exemple, en ce qui concerne les transports en commun : ils sont gérés par la région et la métropole. Celle-ci, contrairement à la grande couronne, aura les moyens d'apporter des compléments financiers à la région. Le rôle de la grande couronne sera de gérer les bouts de lignes de RER ! Tout ceci n'a aucun sens !
De plus, c'est en grande couronne qu'on construit le plus de logements : pour accueillir les jeunes habitants qui s'installent chez nous, nous avons besoin de moyens ! Aussi, le distinguo entre le centre, qui aura des moyens financiers importants, et la grande couronne se fera au détriment de la solidarité qui existe entre la petite et la grande couronne.
Ce projet est d'une totale incohérence ! La grande couronne ne fera pas partie de la métropole, elle ne fera partie de rien et devra s'organiser avec les régions limitrophes, comme la Normandie, pour assurer une certaine cohérence territoriale.
M. Gérard Longuet. - Je souhaiterais revenir sur la redevance de mouillage, sujet plus modeste. L'initiative de l'Assemblée nationale est malheureuse, s'il s'agit de répondre à la réforme fiscale mise en oeuvre en Italie qui frappe durement les bateaux de loisirs qui mouillent le long de ses côtes. Nous observons un déplacement de la flotte de l'Italie vers la Corse, que cette dernière souhaite réguler. La solution proposée est inacceptable pour l'industrie nautique en France. Je suggère donc à la commission des finances de supprimer cet article : c'est un marteau pilon pour écraser une mouche et les effets collatéraux seront bien supérieurs aux rares avantages.
M. Vincent Eblé. - L'intervention de notre collègue Francis Delattre m'incite et me contraint à intervenir. Si, en tant qu'élus de la grande couronne, nous partageons certaines préoccupations en ce qui concerne la métropole du Grand Paris, nous n'en tirons pas les mêmes conclusions : s'il existe un risque de déclassement des territoires situés en grande couronne par rapport aux dynamiques métropolitaines - à l'oeuvre quelle que soit la solution institutionnelle retenue - je ne pense pas que la bonne géographie soit celle de la zone urbaine au sens de l'INSEE car cette définition est révisable chaque année par le simple fait de l'urbanisation. De plus, c'est la garantie d'un déclassement pour les territoires qui se situent au-delà de cette limite, alors même qu'il existe aujourd'hui un lien entre ces territoires et les zones urbaines de la grande couronne très dynamiques : la Seine-et-Marne est le département francilien où l'on construit le plus et nous organisons des coopérations et des péréquations entre les zones à fort dynamisme démographique et économique et les zones de grande ruralité.
Donc soit la géographie métropolitaine est régionale et elle couvre la totalité des territoires de l'Île-de-France, soit elle est resserrée autour de Paris et la première couronne ; mais elle ne peut pas venir « grignoter » les départements de la grande couronne.
M. François Baroin. - Je souhaiterais tout d'abord remercier le rapporteur Charles Guené qui, au-delà de sa légitimité, a aussi porté les intérêts des maires de France, et je souhaitais saluer son travail et son investissement.
L'évolution du texte peut avoir des conséquences sur la réforme de la DGF ; je souhaite rappeler les réserves très fortes qui sont les nôtres sur les orientations prises actuellement et le calendrier proposé d'ici la fin de l'année. Je veux attirer l'attention du rapporteur sur la nécessaire surveillance quant à la dimension financière du texte ; on lui transmettra les informations.
Concernant le Haut Conseil des territoires, on peut parfaitement comprendre les réserves du côté du Sénat, mais aussi dans l'état d'esprit global de l'opposition des associations d'élus vis-à-vis de l'État - une opposition républicaine dans un débat et un dialogue que l'on souhaite évidemment soutenus. En effet, il n'est pas acceptable qu'une loi de programmation des finances publiques prévoie une saignée aussi importante, en aussi peu de temps et avec aussi peu de discussions !
Cela soulève une question constitutionnelle et nous attendons avec impatience la fin des discussions avec le Gouvernement. Et se posent également des questions énormes concernant les conséquences financières, la fiscalité, la chute de l'investissement de 30 % sur trois ans, ce qui coûtera 0,6 point de croissance - c'est-à-dire une saignée effrayante ! - et les 80 000 emplois menacés de disparition dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Je rappelle ces chiffres que chacun connaît bien ici car il ne faudrait pas que derrière cette idée d'un Haut Conseil des territoires, se cache une idée - que nous allons contester - qui serait d'étendre aux collectivités territoriales le dispositif de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (ONDAM) avec les dépenses d'assurance maladie...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est l'objectif national de la dépense locale, l'ODEDEL !
M. François Baroin. - Il s'agit d'une mise en coupe réglée par l'État et c'est un ancien ministre du budget qui vous le dit : c'est tellement facile ! Mais ce n'est pas compatible avec l'idée que l'on se fait du suffrage universel et des mandats qui sont confiés aux élus de proximité qui font un travail considérable !
Je pense qu'il est bon de souligner, dans le débat autour du Haut Conseil des territoires, le fait qu'il ne s'agit pas simplement de la défense des territoires incarnés par le Sénat : cela va plus loin et il y a un projet - peut-être caché - qu'il convient dès à présent de combattre a priori.
Enfin, je rappelle la position qui est celle de l'Association des maires de France (AMF) sur le seuil de création des intercommunalités : nous sommes résolument hostiles au seuil de 20 000 habitants. On parle ici d'un élément de confiance qui doit s'établir entre des élus ; qu'il y ait un cadre facilitateur est une chose, mais que le législateur impose une contrainte réglementaire et légale, dans l'état d'esprit actuel qui anime les élus qui viennent d'être renouvelés, ce n'est pas acceptable !
M. Daniel Raoul. - Je souhaiterais revenir pour ma part sur l'article concernant la redevance de mouillage. Tel qu'il est rédigé, il est inapplicable, car il sera impossible de contrôler son respect. Si l'objectif est d'éviter de labourer les fonds, il serait préférable d'installer des bouées et de faire payer un droit d'entrée dans l'aire marine protégée, comme cela est le cas dans les Îles vierges britanniques.
D'autre part, taxer un navire en fonction de sa longueur est absurde ! Il n'y a qu'à penser aux différences évidentes entre un monocoque et un catamaran... Ou entre un bateau à moteur et un voilier...
Il vaudrait mieux inciter à créer des parcs naturels, comme en mer d'Iroise, et faire payer un droit d'entrée.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les plaisanciers sont vent debout contre la redevance de mouillage ! C'est une mesure discriminatoire ! On privatise l'espace maritime, ce qui n'est pas acceptable. Les gens resteront dans les ports, ce qui n'est pas une bonne chose d'un point de vue environnemental. Mettre en place un parc marin est très difficile - nous venons de le faire dans le bassin d'Arcachon - c'est pourquoi il n'y en a qu'une dizaine en France. Il faut concilier des intérêts très divergents : plaisanciers, ostréiculteurs, sportifs... On promeut les parcs marins en disant qu'ils permettent de récupérer une part du pouvoir réglementaire de l'État. Mais cette redevance met tout en l'air !
En fait, elle sert à financer l'Agence des aires marines protégées, il ne faut pas nous raconter d'histoires ! Les parcs naturels coutent cher et les collectivités ne veulent pas les financer.
Et renvoyer le montant de la redevance à un décret ne me rassure pas du tout ! D'après nos calculs, on peut arriver à 300 euros la nuit. Aujourd'hui on nous dit que seule la Corse serait concernée, mais ce sera facile de l'étendre par décret. Cette histoire est donc beaucoup plus préoccupante qu'il n'y parait.
M. Michel Bouvard. - Pour ma part, je souhaiterais savoir si le rapport relatif à la soutenabilité du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) prévu par la dernière loi de finances sera livré dans les délais.
M. Michel Canevet. - Nous avons beaucoup parlé de la métropole du Grand Paris et je comprends ces inquiétudes, mais je tiens à souligner que les territoires ruraux sont également très inquiets. On oblige les communautés de communes à fusionner en application de seuils qui n'ont parfois aucune signification. Les conditions de dérogation vont aboutir à des absurdités ! Il serait préférable de faire confiance aux élus locaux, qui ont montré qu'ils savaient s'associer lorsque cela était nécessaire. Les contraindre sans projet de territoire n'a pas de sens... D'autant plus que nous n'avons aucune visibilité financière.
M. Claude Raynal. - Les propos de François Baroin m'ont semblé caricaturaux. Le Haut conseil des territoires est une vieille revendication des associations d'élus. On ne peut pas dire que la baisse des dotations s'est faite sans concertation et s'opposer à la mise en place d'instances de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Il ne faut pas s'inquiéter de la mise en place du Haut Conseil des territoires mais au contraire s'en réjouir, c'est du bon sens.
S'agissant du seuil de 20 000 habitants, il faut effectivement faire attention aux effets de seuil et aux zones peu denses, mais nous savons bien que c'est le niveau intercommunal qui permet d'avoir une ingénierie de qualité.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. - Concernant la métropole du Grand Paris, je pense que c'est une bonne chose que la commission ait pu s'exprimer sur ce sujet, même si la gouvernance et le périmètre ne relèvent pas de la commission des finances et je partage les inquiétudes sur le calendrier.
S'agissant de la redevance de mouillage, à ce stade il s'agit d'une faculté de l'instituer, mais il est vrai qu'il faudra être attentif à cette question.
Enfin, le rapport relatif au FPIC devrait nous être transmis à l'automne.
La commission donne acte de sa communication à M. Charles Guené.
Nomination de rapporteurs spéciaux
La commission nomme M. Claude Raynal rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » en remplacement de M. Jean Germain, et M. Didier Guillaume rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » en remplacement de M. Claude Raynal.
Organismes extraparlementaires - Désignations
La commission nomme M. Claude Raynal pour siéger en tant que membre titulaire, en remplacement de M. Jean Germain, au sein du Comité national d'orientation et de suivi du fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêts ou des contrats financiers structurés à risque, créé par l'article 92 de la loi de finances pour 2014.
La commission nomme M. Vincent Eblé pour siéger en tant que membre suppléant, en remplacement de M. Jean Germain, au sein du Comité des finances locales.
Enjeux de l'assurance vie - stabilité financière, financement de l'économie, concurrence réglementaire et fiscale en Europe - Audition de M. Thomas Groh, sous-directeur des assurances de la direction générale du Trésor, Mme Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, M. Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques, et M. Pierre de Villeneuve, président-directeur général de BNP Paribas Cardif
La réunion reprend à 10 heures 40.
Mme Michèle André, présidente. - Cette audition sur l'assurance vie nous permettra d'aborder trois sujets importants pour ce qu'il est coutume d'appeler le « placement préféré des Français » et qui représente tout de même plus de 1 550 milliards d'euros d'épargne financière.
Premièrement, la situation de l'assurance vie dans un contexte de taux d'intérêt exceptionnellement bas : pour dire les choses de manière directe, les assureurs sont-ils ou seront-ils conduits à prendre des risques excessifs, en termes d'investissement ou de distribution des bénéfices mis en réserve, pour soutenir la performance de leurs contrats et servir les rendements garantis aux assurés ? Que se passera-t-il si les taux remontent brusquement ?
Deuxièmement, la contribution de l'assurance vie au financement de l'économie. L'insuffisance de cette contribution a été l'objet de reproches récurrents. Des mesures ont été prises et le Gouvernement en a annoncé d'autres le 8 avril dernier. La situation a-t-elle évolué ? À quelles nouvelles mesures peut-on s'attendre ?
Troisièmement, la concurrence réglementaire et fiscale en Europe, à travers notamment l'assurance vie luxembourgeoise, distribuée en France grâce à la libre prestation de service.
Pour traiter ces trois points, nous recevons Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui est l'autorité de régulation du secteur des assurances ; Pierre de Villeneuve, président-directeur général de BNP Paribas Cardif, l'une des principales sociétés d'assurance en France, mais également au Luxembourg, via sa filiale Cardif Lux ; Thomas Groh, sous-directeur des assurances à la direction générale du Trésor ; Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFIP).
Pour commencer, je donne la parole à Mme Sandrine Lemery, qui nous livrera, dans un bref propos introductif, le point de vue du régulateur sur les sujets qui nous réunissent aujourd'hui.
Mme Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur des sujets primordiaux pour l'assurance vie en France.
Tout d'abord, un rappel de l'importance de l'assurance et de l'assurance vie, en particulier dans le paysage économique français.
Quelques chiffres : 140 000 emplois en France pour l'assurance, 113 milliards d'euros de primes collectées en 2014 en assurance vie, à comparer en termes d'encours à 1 200 milliards de produits bancaires. Fin 2013, les assureurs étaient engagés à hauteur de 1 560 milliards d'euros vis-à-vis des ménages sur le marché français au titre de l'assurance vie, et les placements de tous les organismes d'assurance français s'élevaient à plus de 1 900 milliards d'euros.
Pourtant, cette industrie, stabilisatrice par sa gestion prudente et ses stratégies centrées sur des perspectives de long terme, pourrait être fragilisée par les évolutions récentes, notamment financières, et la baisse des taux, qui changent les perspectives des investisseurs de long terme.
Je voudrais évoquer les trois défis auxquels font face les assureurs vie.
En premier lieu, vous l'avez rappelé, madame la présidente, les conditions macroéconomiques ont conduit les taux d'intérêt à baisser très fortement pour atteindre des niveaux historiquement bas, qui pourraient à terme créer des vulnérabilités dans le secteur de l'assurance vie.
Ces niveaux de taux sont favorables pour une entreprise ou pour un particulier ; en revanche, l'assureur vie collecte des primes et les investit pour en retirer un rendement qui va servir à rémunérer l'épargne des assurés. C'est pourquoi le niveau actuel des taux bas suscite des inquiétudes pour la stabilité des organismes. L'ACPR est extrêmement vigilante à ce sujet.
Si le contexte de taux bas a permis aux groupes d'assurance d'améliorer sensiblement leur solvabilité réglementaire, mesurée avec les normes Solvabilité 1, il impose cependant une grande vigilance à moyen terme, même si certains acteurs ont d'ores et déjà fait évoluer leurs modèles en privilégiant la vente de contrats en unités de compte.
En effet, chaque nouvel euro collecté sur un contrat en euros réduit aujourd'hui le rendement de l'actif s'il est placé en obligations. Même si la proportion de taux garanti supérieur à zéro reste contenue en France, la marge financière se réduit. Il est donc impératif que les assureurs ajustent la revalorisation des contrats d'assurance vie pour préserver leur solvabilité, l'utilisation des réserves qu'ils ont constituées jusqu'à présent devant être soigneusement pesée. C'était le sens du message du gouverneur de la Banque de France de l'année dernière, qui appelait les assureurs à la modération sur les taux servis.
Deuxième défi : les assureurs sont appelées à jouer un rôle essentiel dans le financement de l'économie, en raison de leur place prépondérante dans les choix de placements patrimoniaux des ménages français. Cette évolution doit être suivie, du point de vue du superviseur, avec vigilance pour deux raisons.
Premièrement, les assureurs doivent adapter leur stratégie d'investissement aux engagements qu'ils portent. Il s'agit d'abord de passifs. Ils doivent donc avoir les actifs correspondant aux promesses qu'ils ont faites.
Deuxièmement, les assureurs n'ont pas encore cette expertise de financeurs en direct qu'ont acquise les banques. Il faut veiller que cela ne se fasse pas au détriment des assurés au travers d'une prise de risques trop accrue, qui serait in fine déstabilisatrice pour le secteur, et que les prises de risques soit évaluées de manière équivalente, que le financement soit fourni par un assureur ou par une banque.
C'est dans cet esprit que la réglementation prudentielle a évolué récemment. Auparavant, les investissements dans les sociétés non cotées étaient déjà autorisés, mais les prêts devaient être assortis de garanties, ce qui n'est plus obligatoire.
Les assureurs peuvent à présent investir de manière limitée dans des prêts non sécurisés à des entreprises non cotées ou dans des fonds de prêts à l'économie.
On peut citer deux exemples d'initiative dans ce domaine, la charte de l'Euro private placement, définie sous l'égide de la chambre de commerce et d'industrie de Paris Île-de-France et de la Banque de France, avec un cadre standard pour faciliter l'accès des entreprises au financement obligataire ou au crédit auprès de prêteurs non bancaires, ou encore les fonds Novo et Novi. Le fonds Novo a été créé à l'été 2013 par la Caisse des dépôts et consignations ; il est destiné aux financements non bancaires de PME non cotées. Fin 2014, le montant des prêts octroyés atteignait plus de 2 milliards d'euros, au bénéfice de plus de quarante entreprises.
En outre, depuis 2014 les contrats euro-croissance et vie-génération visent à orienter une partie de l'épargne des ménages vers des secteurs présentant d'importants besoins de financement. Toutefois, la contribution de ces contrats au financement de l'économie sera proportionnelle au volume des encours. Aujourd'hui, on compte 1,3 milliard d'euros sur ces contrats, et probablement quelques dizaines de milliards d'euros à terme.
Troisième défi pour l'assurance vie française : la concurrence en termes d'attractivité réglementaire et fiscale, notamment avec le Luxembourg.
Je voudrais souligner deux points à ce sujet, tout d'abord sur l'importance du phénomène : le marché luxembourgeois, pour les résidents français, est un marché récent qui progresse, mais dont le chiffre d'affaires et l'encours total demeurent relativement faible par rapport à l'ensemble du marché français.
Les primes émises en France et collectées par des assureurs résidant dans d'autres pays passent par deux vecteurs, la libre prestation de services ou la liberté d'établissement. Parmi tous ces assureurs qui opèrent depuis l'étranger, les sociétés localisées au Luxembourg représentent 95 % des primes collectées. C'est un phénomène essentiellement luxembourgeois. Les filiales luxembourgeoises d'assureurs français représentent également une part substantielle de cette collecte.
Le chiffre d'affaires localisé au Luxembourg a fortement crû ces dernières années ; en 2013, il était de près de 6,5 milliards d'euros, à comparer à 111 milliards d'euros pour les organismes français. Le total des engagements des assureurs vie luxembourgeois, en termes de provisions mathématiques, atteignait 29 milliards fin 2013, soit moins de 2 % rapportés à l'assurance vie française. Il s'agit donc d'un phénomène encore marginal.
Quant au rôle de l'ACPR, celle-ci a pour principal levier d'action ses compétences en matière de protection de l'épargne investie. Si la surveillance prudentielle des activités menées par les entités luxembourgeoises relève du Commissariat aux assurances luxembourgeoises, l'ACPR est toutefois fondée à mener des actions de contrôle au titre des réglementations d'application territoriale, selon le droit du contrat français, les règles de commercialisation et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ou encore la surveillance des groupes à tête française comportant des filiales luxembourgeoises.
L'ACPR a notamment pour mission de veiller au respect des règles de protection de la clientèle. La conformité des contrats d'assurance et leur commercialisation constituent des axes de préoccupation et font ainsi l'objet de contrôles réguliers.
À ce titre, les contrats d'assurance vie et leur commercialisation auprès de résidents français par des assureurs exerçant en libre prestation de service ou en liberté d'établissement, régis par le droit français, entrent dans le périmètre des contrôles de l'ACPR. Il en est de même du respect des règles applicables en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Mme Michèle André, présidente. - Après le régulateur, nous allons maintenant entendre Pierre de Villeneuve, PDG de BNP Paribas Cardif, qui va nous faire part de son point de vue de professionnel et de dirigeant de l'une des plus grandes sociétés françaises d'assurance.
M. Pierre de Villeneuve, président-directeur général de BNP Paribas Cardif. - Merci de me faire participer à vos réflexions. J'espère pouvoir répondre à toutes vos questions, les différents thèmes que vous venez d'aborder étant très vastes.
Avant tout, je me dois de rappeler que la priorité de tout opérateur de marché est de répondre aux besoins de ses clients. Or, en France, ceux qui souscrivent des produits d'assurance vie sont essentiellement préoccupés par leur retraite ou par des transferts de capitaux dans des perspectives à long terme, ce qui nécessite une gestion diversifiée des produits comprenant des actifs à risques qui, indexés sur l'économie, permettent une surperformance par rapport à des véhicules financiers de rendement.
Cet objectif correspond exactement à l'intérêt économique et politique de la France. Nous avons en effet besoin, pour appuyer la croissance, d'actifs longs et d'actifs à risques. Pour cela, il nous faut des objectifs, des offres et un cadre réglementaire.
Dans nos activités, on ne peut avoir des actifs à risques que dans la mesure où l'on a des provisions permettant de mutualiser ces fameux risques entre les assurés. Notre métier consiste à gérer des mutualités. Nous le faisons pour les activités de prévoyance ; nous avons le même objectif pour les activités d'épargne.
Le bon exemple est ce produit par lequel la compagnie d'assurance garantit, moyennant le versement d'un capital, une valorisation régulière de celui-ci, compte tenu de la gestion financière qui est assurée en contrepartie. Pour garantir une valorisation régulière, indépendante des situations de marché, certains assurés vont contribuer positivement à la mutualité, alors que d'autres vont y contribuer négativement. Tout dépend du comportement des actifs boursiers au cours de la période d'exécution du contrat. Il me paraît important de le préciser, ce produit - qui est le plus répandu en France - n'étant plus le mieux adapté à la situation financière du moment.
En effet, pour continuer à garantir la valorisation du capital, on peut de moins en moins recourir à des actifs à risques. Il est donc très important de pouvoir innover et de proposer autre chose. C'est ce qui a été fait, conjointement avec le Trésor et le Parlement, grâce à la création du contrat euro-croissance, pour lequel la garantie à court terme est moindre : on ne garantit plus une valorisation régulière, mais à une certaine date. C'est grâce à cela que nous pouvons à nouveau utiliser des actifs bien plus diversifiés. Ce produit est donc bien mieux adapté à la situation présente.
Il revient aux assureurs de modifier leurs offres et de transférer une partie des engagements qui vont être de moins en moins performants vers la nouvelle formule, mieux adaptée au contexte financier. C'est un travail que nous avons entrepris.
BNP Paribas Cardif a commencé à développer cette formule, qui existait sous forme de contrats dits « diversifiés », qui ne présentaient que peu d'attrait, à un moment où les taux d'intérêt étaient élevés, ce qui a changé avec la baisse des taux. Nous n'avons pas attendu 2014 pour nous lancer dans cette activité, qui fonctionne, même si le produit est bien plus complexe et nécessite des investissements. L'an dernier, la France a connu un rythme de production de plus ou moins 50 millions d'euros ; nous sommes maintenant à 80 millions d'euros pour ce seul produit. L'ensemble du marché est en train d'y travailler.
Vous évoquiez des risques : nous avons le moyen de gérer cette situation de manière satisfaisante, tant vis-à-vis des assurés que des pouvoirs publics.
Quant au financement, dans la mesure où les offres vont être mieux adaptées à la diversification des actifs, nous devrions pouvoir contribuer de façon satisfaisante à l'attente des pouvoirs publics et à vos propres attentes. De nombreuses formules innovantes sont apparues sur le marché. Certaines viennent d'être évoquées. Les assureurs jouent le jeu et profitent bien entendu de toutes ces innovations, dans leur propre intérêt. Celles-ci contribuent à un marché plus mature, et offre davantage de formules ; à terme, même si ce n'est pas totalement évident au départ, tout le monde y trouvera un certain intérêt, grâce à une gestion tournée vers le long terme, sur des marchés de plus en plus liquides.
S'agissant du Luxembourg, il faut relativiser les choses : les sommes ne sont pas si importantes - même si on en parle beaucoup ! Pour moi, le grand attrait du Luxembourg s'explique par l'inquiétude suscitée par les dettes souveraines et la situation de l'euro. Certains souscripteurs - on peut le comprendre - ont considéré qu'il leur fallait se diversifier, au sein de la zone euro, dans des pays qui, de leur point de vue, leur paraissaient plus sûrs.
En 2012, le marché de l'assurance vie des compagnies luxembourgeoises est passé, en France, de 2,7 milliards d'euros à 5 milliards d'euros, soit un quasi-doublement. Nous ne sommes plus dans ce rythme de croissance. BNP Paribas Cardif est passé de 600 millions d'euros à 1,2 milliard d'euros en 2012. En 2013, nous n'avons réalisé que 900 millions d'euros de chiffres d'affaires, puis 800 millions d'euros en 2014.
On parle beaucoup du succès des produits luxembourgeois en France, mais celui-ci s'explique en grande partie par l'inquiétude suscitée par l'euro et par la confiance que l'on pouvait avoir dans l'économie française.
Par ailleurs, il existe au Luxembourg un superprivilège, le souscripteur passant avant l'État en cas de difficultés. Ceci a été mis en avant par les sociétés luxembourgeoises, qui ont profité de la période d'inquiétude.
On ne peut non plus négliger le savoir-faire des sociétés luxembourgeoises, l'asset management séduisant particulièrement les expatriés. Ces formules en devises intéressent une petite population, qui peut ainsi passer facilement d'un pays à l'autre.
Enfin, le Luxembourg a recours à des fonds internes, mais ceux-ci existent également en France. Cela ne constitue donc pas un vrai sujet, même si on l'évoque ici ou là.
En conclusion, l'offre dont dispose la France me paraît la plus riche au monde, les Français ayant accès à une gamme d'assurance vie extrêmement riche et sophistiquée.
Mme Michèle André, présidente. - Je vais à présent interroger Thomas Groh sur la question de la contribution de l'assurance vie au financement de l'économie.
Première question : comment jugez-vous le démarrage du contrat euro-croissance ? Vous paraît-il suffisamment attractif pour les assureurs le commercialisent activement et que les épargnants se tournent vers lui ?
Cela me conduit à une deuxième interrogation : sans vouloir déstabiliser l'assurance vie, qui contribue pour une large proportion au financement du déficit public français, ne croyez-vous pas qu'il n'y a pas suffisamment d'écart entre les avantages fiscaux attachés aux fonds en euros, qui constituent une forme d'épargne sûre et liquide, et ceux attachés aux contrats investis dans des actifs plus productifs et plus risqués ?
Troisième question : que pensez-vous de l'idée de faire profiter les nouveaux contrats euro-croissance des réserves accumulées dans le cadre des anciens contrats en euros ? La notion de mutualité des assurés peut-elle justifier un tel transfert ?
Pour finir, le Gouvernement a annoncé le 8 avril 2015 une série de mesures visant à conforter la reprise économique. En particulier, il souhaite orienter davantage l'épargne des Français vers les entreprises qui investissent pour leur développement. Il s'agirait notamment de renforcer le contrat euro-croissance. Qu'en est-il ?
M. Thomas Groh, sous-directeur des assurances de la direction générale du Trésor. - Je focaliserai mon intervention sur la question du financement de l'économie ; je suis à votre disposition pour répondre à d'autres questions sur les taux bas et le Luxembourg si nécessaire.
S'agissant de la question fondamentale du rôle des assureurs dans le financement de l'économie, je commencerai par dire que la première préoccupation du Trésor reste malgré tout de nature prudentielle. Il s'agit de disposer d'une réglementation qui pose des règles de prudence suffisantes pour protéger les assurés. Il est important de le rappeler.
Cela étant, la question du financement de l'économie et de l'État par les assureurs est bien évidemment centrale, compte tenu de son importance particulière, en France, dans le domaine de l'épargne financière des ménages. Sandrine Lemery en a rappelé les ordres de grandeur : l'assurance vie représente aujourd'hui une part très importante des supports d'épargne des Français. Sur les quelque 1 500 milliards d'euros évoqués, environ un tiers est investi dans des obligations souveraines, un peu moins de 40 % dans des obligations d'entreprise, près de 20 % dans les fonds propres des entreprises, qu'il s'agisse d'actions cotées ou non, et le reste dans l'immobilier, les placements monétaires, etc.
La question du financement de l'économie est d'autant plus importante que, pour toute une série de raisons, les placements des assureurs ont connu certaines inflexions ces dernières années, notamment depuis le milieu jusqu'à la fin des années 2000, époque durant laquelle on a observé une stagnation de la part investie en actions, voire une légère baisse, selon les données dont nous disposons. C'est évidemment un sujet qui attire l'attention, compte tenu des montants concernés.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'évolution des décisions des assureurs en matière de détermination de l'allocation de leurs investissements, dont découlent de fait les politiques publiques.
Le premier facteur est celui des engagements de passif des assureurs : plus l'assureur est contraint de servir à tout instant des taux garantis élevés à court terme, plus il doit investir dans des supports très liquides dont le rendement est assuré, et donc dans des obligations essentiellement souveraines, d'où une interrogation sur la mutation du marché de l'assurance vie pour répondre à des besoins de supports plus diversifiés.
Le second facteur résulte du contexte financier et macroéconomique. En période de crise, certains investisseurs peuvent se détourner des actions et revenir à des produits plus sûrs. Le niveau des taux d'intérêt a bien évidemment un impact très fort : si les taux baissent, les actions augmentent et l'intérêt financier des nouvelles obligations se réduit. Cela peut pousser les assureurs à rechercher plus de rendement en allant vers l'immobilier, l'action cotée ou non cotée, etc.
Le troisième facteur réside dans le cadre prudentiel, sur lequel je vais revenir dans quelques instants.
Compte tenu de ces déterminants, la politique mise en oeuvre par le Gouvernement et approuvée par le Parlement s'est articulée autour de plusieurs axes.
Le premier a consisté à libéraliser les possibilités d'investissement des assureurs en anticipant le nouveau régime Solvabilité 2, qui pose un principe nouveau, celui de la liberté totale en matière d'investissements. La première étape est celle des fonds de prêts à l'économie, qui permettent à des assureurs de prêter ou de racheter sur le marché secondaire des créances sur des entreprises sans aucune garantie. C'est un levier puissant pour financer les PME dans le pays. 14 milliards d'euros ont été levés pour ce faire, et 8 milliards d'euros ont été aujourd'hui engagés.
Des opérations particulières ont été montées dans ce cadre, notamment avec la Caisse des dépôts et consignations, et les assureurs se sont mobilisés de façon importante, comme pour les fonds Novo, qui constituent des produits particuliers dans ce cadre général.
D'autres opérations ont été conduites avec la BPI et les assureurs ; elles ont représenté plusieurs centaines de millions d'euros et ont permis le développement des placements privés, l'accès élargi des assureurs aux fichiers sur la santé financière des entreprises, afin de leur permettre de prêter en toute confiance, etc.
J'en arrive aux deux derniers items, qui me permettront de répondre plus directement à vos questions. Il s'agit d'une part de la réforme de l'assurance vie, d'autre part de l'évolution des règles prudentielles aux plans européen et français.
La réforme de l'assurance vie engagée fin 2013 repose sur deux piliers qui peuvent contribuer au financement de l'économie de manière importante.
Le premier pilier est constitué par le nouveau contrat vie-génération, qui impose d'investir au moins un tiers de l'actif, au choix, soit dans du logement socialement intermédiaire, soit dans l'économie sociale et solidaire, soit dans les actions de PME et d'ETI, ce qui représentera sans doute un montant d'investissements important. Dès lors, lors de la transmission, le niveau d'imposition est réduit grâce à un barème spécifique.
Le second pilier est représenté par le contrat euro-croissance. Il s'agit de desserrer les passifs en intéressant l'assuré, qui peut espérer un rendement supérieur en échange d'une garantie moindre, l'un n'allant pas, en toute logique, sans l'autre.
Le contrat euro-croissance a été lancé en 2013. L'ordonnance a été approuvée au début de l'été 2014. Son démarrage reste modeste, la collecte représentant environ 100 millions d'euros par mois, pour un stock s'élevant aujourd'hui à 1,5 milliard d'euros compte tenu des contrats existants qui ont été transformés. Ce démarrage prudent tient à la baisse très forte des taux d'intérêt. Les contrats d'assurance vie en fonds euros présentent une certaine inertie qui permet de bénéficier encore de certaines obligations à haut rendement qui demeurent dans le portefeuille des assureurs, alors qu'un contrat euro-croissance implique d'investir dans de nouveaux actifs, ce qui ne permet pas de bénéficier de la performance passée. Ceci suppose de respecter un horizon de temps suffisamment long ou d'investir suffisamment en actions pour compenser le différentiel.
Ce constat est partagé et connu. Le Premier ministre a annoncé que des mesures seraient prochainement prises pour renforcer l'attractivité relative des contrats euro-croissance. Les solutions techniques ne sont pas encore complètement arrêtées. Elles présentent plusieurs options. Le gouverneur de la Banque de France a appelé à la prudence concernant la rémunération des fonds en euros. Les assureurs doivent maîtriser l'évolution de cette rémunération, afin d'inciter les souscripteurs à choisir d'autres supports.
Le second item concerne l'évolution éventuelle des règles prudentielles, afin d'inciter les assureurs à davantage de prudence dans la distribution des bénéfices au sein du fonds euros, de sorte que l'attractivité relative des autres produits présentant un niveau de risques un peu plus élevé soit, là encore, améliorée.
Enfin, une troisième option consiste à transférer une certaine quote-part de richesse, afin qu'une personne qui aurait investi dans un fonds euros et qui opterait aujourd'hui pour un fonds euro-croissance puisse « emporter » avec elle une quote-part de performance latente du fonds euros, qu'elle perdrait dans le droit actuel si elle quittait cet actif général. Il s'agit d'une option que nous sommes en train d'examiner avec beaucoup d'attention, en mesurant tous les incidences en termes de protection des droits des assurés et de sécurité juridique. Tout est sur la table ; les solutions techniques ne sont pas encore complètement arrêtées aujourd'hui.
Enfin, s'agissant de Solvabilité 2, un certain nombre de modifications importantes ont été négociées avec l'appui de la France pour améliorer le financement de l'économie. Il s'agit de mesures transitoires et de mesures destinées à limiter la sensibilité du régime aux fluctuations de cours terme des marchés financiers.
Nous sommes en contact avec la Commission européenne pour aller encore plus loin et renforcer le traitement des investissements des assureurs dans les entreprises, que ce soit en matière d'endettement ou de fonds propres, en reconnaissant pleinement le fait qu'il s'agit d'investisseurs de long terme, et que la maîtrise du risque à un an seulement comporte certaines limites.
M. Pierre de Villeneuve. - Le contrat euro-croissance est un produit difficile à mettre en oeuvre. Il nécessite une informatique adaptée. Beaucoup de compagnies d'assurances ne l'ont donc pas encore lancé. Ceci doit être fait courant 2015. Pour l'instant, la somme de 100 millions d'euros de collecte par mois évoquée par Thomas Groh ne constitue donc pas un élément significatif. Nous-mêmes collectons 80 millions d'euros par mois. Les chiffres futurs seront bien supérieurs.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette audition est l'occasion d'évoquer les contrats luxembourgeois. Ces contrats représentent environ 38 milliards d'euros d'encours pour les résidents Français. Le Luxembourg s'est félicité de voir le montant des primes s'accroître de 20,87 % en 2014, l'augmentation ne venant cependant pas seulement de la France. Cette attractivité va être encore améliorée, les contrats de fonds dédiés n'étant plus soumis, depuis le 1er mai, à l'obligation de prime minimale de 250 000 euros.
J'ai par ailleurs ici une plaquette commerciale destinée aux clients français de Cardif Lux Vie, qui décrit les avantages de l'assurance vie luxembourgeoise. On y assure que le Grand-Duché de Luxembourg représente une garantie et constitue un élément d'attractivité. Sans doute, mais pour Excel Life, mise en faillite, ce superprivilège n'a de toute évidence pas joué !
Certains de ces avantages sont toutefois indéniables. Ils proviennent de différences réglementaires entre la France et le Luxembourg. Trois d'entre elles sont mises en avant dans la plaquette commerciale de Cardif Lux Vie : la possibilité d'investir en devises étrangères, la souplesse des actifs acceptés dans le cadre de fonds internes dédiés, avec des options de gestion - discrétionnaire, familiale, multi-gérance -, et le paiement des primes par apport de titres. Payer une assurance vie luxembourgeoise non pas en numéraire mais par apport de titres constitue évidemment une différence essentielle. Nous avons eu un débat sur ce point dans le cadre de l'examen de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Monsieur de Villeneuve, pouvez-vous préciser quels avantages les résidents Français trouvent dans les contrats luxembourgeois qu'ils ne trouvent pas dans les contrats français ? La question peut également s'adresser à Sandrine Lemery.
M. Pierre de Villeneuve. - Il serait intéressant de comparer les brochures commerciales de sociétés luxembourgeoises et celles de sociétés françaises. Parmi les arguments que vous venez d'évoquer figure la souplesse : celle-ci existe également en France, où l'on trouve beaucoup de possibilités dans le multi-support ou les unités de compte. On peut même confier à une personne le soin d'arbitrer en son nom des unités de compte en fonction d'un objectif financier. Le Luxembourg n'offre donc pas de grandes différences avec la France.
On cite souvent l'intervention du Commissariat luxembourgeois aux assurances, mais nous disposons de la même chose dans notre pays : l'ACPR joue son rôle à fond, et les souscripteurs français sont tout aussi protégés.
Des privilèges existent cependant au Luxembourg, comme le fait d'être prioritaire sur l'État. Pour certaines personnes, c'est un argument plutôt rassurant. Les produits en devises peuvent constituer une explication. Ce sont en effet des produits relativement compliqués. Il faut avoir en face des actifs conséquents, et il vaut mieux que ceux qui ont véritablement besoin d'un produit en devises se concentrent sur un seul pays, plutôt que de souscrire des contrats en dollars en France ou en Italie. C'est une des explications incontournables.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Qu'en est-il des apports de titres ?
M. Pierre de Villeneuve. - En ce qui nous concerne, je crois que nous n'avons réalisé au Luxembourg que deux opérations sous forme de titres. Cela n'a aucun intérêt en ce qui concerne les primes : c'est l'équivalent, pour le souscripteur, d'une vente et d'un achat. Il s'agit d'une simple modalité de service, puisque nous prenons plus ou moins en charge ces opérations. Fiscalement, et même juridiquement, c'est totalement neutre. Je n'en vois donc pas l'intérêt, en dehors du fait que cela peut constituer une facilité pour le souscripteur.
Les versements de capitaux sous forme de titres constituent une opération assez complexe. Ce n'est pas le tout de décider de placer des titres non liquides sur un contrat : encore faut-il s'interroger sur leur valorisation lors du décès ou du rachat. Ce n'est pas chose évidente. S'il y a des appels de fonds, comment les gérera-t-on au fur et à mesure ? Fiscalement, le résident français est soumis à la fiscalité française. En cas de décès, au-delà de certains seuils, sur quoi le prélèvement de 20 % s'opérera-t-il ? S'il doit être réglé sous forme de titres, va-t-on devoir les liquider pour payer ces 20 % - ou 31,25 % au-delà d'un certain montant ? Si l'on détient des actions, il faut intervenir sur le vote des sociétés concernées, la compagnie d'assurance étant propriétaire. Oui, c'est un plus, mais ce n'est pas globalement significatif selon moi, et cela ne peut répondre qu'à quelques besoins bien spécifiques et très particuliers.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La question des contrats en déshérence a beaucoup intéressé le Sénat. Cardif Lux possède une filiale luxembourgeoise qui n'a évidemment pas accès au Répertoire national des personnes physiques. Comment s'assurer qu'il n'existe pas de résidents français bénéficiaires de contrats d'assurance vie luxembourgeois non réglés ?
M. Pierre de Villeneuve. - C'est un vrai sujet. Il existe peu de situations délicates : ceux qui pensent intéressant d'aller au Luxembourg pour des raisons de diversification géographique ou pour d'autres raisons sont généralement des souscripteurs disposant de capitaux importants. Dès lors, ils sont bien connus et, en cas de décès, il n'existe pas d'ambiguïté au sujet des bénéficiaires. Je ne suis pas sûr que nous ayons au Luxembourg des capitaux en déshérence, comme en France, où l'on ne sait pas grand-chose des particuliers qui détiennent de petits contrats. À ma connaissance, ce problème n'existe pratiquement pas au Luxembourg.
Cela étant, le secret luxembourgeois rend les recherches d'identité très complexes. Nous ne pouvons prendre contact avec quelqu'un pour lui donner une information que nous n'avons pas le droit de donner afin de savoir s'il est ou non bénéficiaire. Le contrat doit donc être réalisé de façon qu'il ne subsiste pas d'ambiguïté et que l'on sache comment agir en amont.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Madame Lemery, si on exclut les règles prudentielles, un contrat souscrit en France par un résident français doit théoriquement respecter les règles de notre pays. Or, cela ne semble pas toujours être le cas, les règles luxembourgeoises étant différentes des règles françaises sur un certain nombre de points : apports de titres, actifs éligibles, mutualisation...
Pouvez-vous donc confirmer que ce sont bien les règles françaises qui s'appliquent ? Comment l'ACPR peut-elle vérifier que ces règles sont bien respectées ? Y a-t-il déjà eu des sanctions ? Quel type de contrôle peut-on exercer ?
Mme Sandrine Lemery. - Le droit du contrat français s'applique aux contrats vendus en France à des résidents français. L'ACPR a pour principale mission de vérifier la commercialisation de ce type de contrat. Nos moyens reposent principalement sur l'article L.131-1 du code des assurances, qui s'y applique, et qui impose deux conditions. L'une concerne la liste limitative des supports. Soit on l'applique à la lettre, et un certain nombre de supports seraient alors limités, soit on considère que cela relève de la réglementation prudentielle, et une restriction serait contradictoire avec les directives. Il y a donc ambiguïté.
L'autre condition réside dans le fait qu'il existe un article qui porte sur la protection suffisante de la clientèle, et qu'il doit être respecté. L'ACPR est vigilante à ce sujet.
Dans le cas des contrats non réglés, nous intervenons auprès d'assureurs commercialisant leurs produits en France en leur demandant de nous détailler la manière dont ils appliquent la réglementation sur la recherche des bénéficiaires. Les articles qui s'imposent à eux les obligent à s'affilier à des organismes français afin d'avoir accès au Répertoire national des personnes physiques.
Nous agissons vis-à-vis des établissements luxembourgeois pour protéger la clientèle - mais ce n'est pas notre action principale du moment.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Et en matière de lutte contre le blanchiment ?
Mme Sandrine Lemery. - La lutte contre le blanchiment fait partie de notre programme de contrôle. Il nous incombe de procéder à des enquêtes sur la façon dont est menée cette lutte. Nous le faisons en coopération avec nos collègues luxembourgeois. La directive Solvabilité 2 renforce la coopération prudentielle entre les superviseurs européens.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Que fait l'ACPR face à un contrat qui ne respecte pas les règles françaises ?
Mme Sandrine Lemery. - L'ACPR n'est pas le juge du contrat. Nous ne faisons qu'en tirer les conséquences prudentielles concernant les entreprises françaises. Notre mission ne consiste pas à dire de quelle manière il convient d'appliquer le contrat.
Cependant, nous veillons que les règles qui s'appliquent en matière de protection de la clientèle soient respectées, et nous en tirons les conséquences. Nous pouvons mettre en garde des assureurs qui vendraient des contrats ne répondant pas à ces préoccupations.
Je ne sais si j'ai répondu à votre question...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pas forcément. Monsieur Llorca, considérez-vous que l'encours de 38 milliards d'euros que représentent ces contrats s'explique par le superprivilège qu'offre le Grand-Duché, ou existe-t-il d'autres raisons à cette attractivité ? Est-ce un moyen d'échapper à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou à l'impôt sur les successions ? Existe-t-il un risque concernant les contrats qui permettent de loger des titres dans des fonds dédiés ? Des redressements ont-ils déjà eu lieu à propos de ce type de contrats ?
M. Bastien Llorca, sous-directeur du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques. - Quels avantages fiscaux peut-il y avoir à souscrire un contrat d'assurance vie au Luxembourg ? Ces avantages peuvent-ils justifier, par-delà les éléments invoqués par Pierre de Villeneuve, l'augmentation de l'encours français au Luxembourg ?
Du point de vue d'un contribuable respectueux du droit, il n'y a aucun avantage à souscrire un contrat d'assurance vie au Luxembourg, le droit fiscal qui s'appliquera étant nécessairement le droit français, qu'il s'agisse du revenu, de l'ISF ou des droits de succession - sauf quelque cas particuliers de personnes ayant une forte mobilité et pouvant bénéficier de régimes fiscaux spécifiques.
En revanche, il peut y avoir un avantage dans l'hypothèse où l'on souhaiterait éluder l'impôt et détenir des avoirs non déclarés à l'étranger, comme cela a existé en Suisse.
Y a-t-il un avantage plus important à souscrire au Luxembourg qu'ailleurs ? Probablement non, en ce sens qu'à l'heure actuelle, et jusqu'en 2017, l'administration fiscale n'a pas d'information sur les contrats d'assurance vie détenus au sein de l'Union européenne, puisqu'ils sont hors champ de la directive épargne sur l'information. Souscrire un contrat au Luxembourg plutôt qu'à Londres ou en Estonie - si tant est qu'il y ait des avantages à le faire - n'a pas d'intérêt en termes d'échange d'informations.
À compter de 2017, avec la réforme de la directive 2011-2016, l'échange automatique d'informations portera sur les contrats d'assurance et le Luxembourg sera dans le champ.
Grâce aux évolutions législatives adoptées par le Parlement, l'administration fiscale dispose désormais d'un délai de reprise de dix ans pour les avoirs non déclarés à l'étranger. À compter de 2017, nous disposerons d'informations importantes sur les contrats souscrits au Luxembourg ; nous pourrons dès lors plus aisément recouper les déclarations des contribuables, et éventuellement reprendre jusqu'en 2007 les avoirs qui ne nous auraient pas été déclarés.
Il n'y a donc pas d'avantages spécifiques, de ce point de vue, à souscrire des contrats au Luxembourg, sauf peut-être la proximité - ou si l'on ne souhaite pas déclarer. Malheureusement, à l'heure actuelle, le cadre international ne nous permet pas de disposer d'informations.
L'échange sur demande, qui aurait pu être un critère de localisation au Luxembourg du fait du secret, se pratique entre la France et le Grand-Duché depuis 2010, avec l'entrée en vigueur de l'avenant à la convention bilatérale franco-luxembourgeoise, même s'il est vrai que la réglementation interne de ce pays, jusqu'à la fin de l'année dernière, opposait un certain nombre de restrictions, que le Luxembourg vient de lever.
Un point vient d'être évoqué à propos de la possibilité de souscrire des contrats ou d'apporter des titres dans le cadre de contrats. Sur ce point, ma réponse sera proche de celle de Sandrine Lemery : l'administration fiscale n'a pas vocation à être l'interprète du droit assurantiel, peut-être encore moins que l'ACPR. S'il y a ambiguïté sur la possibilité ou non d'apporter des titres, il convient que les autorités compétentes - en l'espèce le juge de cassation - puissent trancher ce sujet. S'il était reconnu qu'il est impossible, au regard du droit français, d'apporter des titres dans un contrat d'assurance vie, je pense que l'administration fiscale aurait la même attitude que celle qu'elle a eue lorsque nous avons été confrontés, dans les années 2000, aux fidéicommis du droit anglo-saxon, les trusts. Nous écarterions donc le contrat, peut-être même sans avoir recours à l'abus de droit, pour constater la réalité des faits.
Dans le cas d'une transmission par décès, nous considérerions que les titres n'ont pu être transmis par voie de contrat, mais par legs ; dans ce cas, la transmission ne bénéficierait pas d'un régime favorable. L'administration fiscale n'est encore une fois ici que l'interprète au fiscal d'une position en matière de droit assurantiel, qu'il ne lui appartient pas de déterminer compte tenu de l'ambiguïté soulignée par Sandrine Lemery.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a tout de même des plaquettes qui, aujourd'hui, expliquent que l'on peut loger des titres dans des contrats d'assurance vie pour éviter les droits de succession et bénéficier du régime fiscal de l'assurance vie française. On attend donc l'arrêt de la Cour de cassation pour savoir si c'est possible ou non...
M. Bastien Llorca. - Ou une précision des autorités compétentes en la matière.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Qui sont-elles ?
M. Bastien Llorca. - Je pensais à des décisions de justice ou à des orientations claires provenant d'autres services de l'administration. Autant dans le cas des trusts les choses étaient claires et l'administration fiscale a pu agir, autant dans le cas que vous évoquez, nous sommes un peu démunis mais, le cas échéant, nous en tirerons les conséquences sur le plan fiscal.
M. Pierre de Villeneuve. - En ce qui nous concerne, nous n'acceptons pas la moindre souscription sans que le souscripteur ne nous donne mandat de régler directement au fisc français l'ensemble des prélèvements dus à l'administration française.
Mme Sandrine Lemery. - Pour lever l'ambiguïté et ne pas donner l'impression que chacun dit que cette affaire relève de quelqu'un d'autre : la protection de la clientèle est bel et bien la mission de l'ACPR, qui veille à la façon dont les documents sont réalisés. Nous avons par exemple émis une recommandation sur la publicité.
En matière d'apport de titres, notre interprétation, qui doit être confirmée par la Cour de cassation, et qu'en droit français, ce n'est pas possible. Nous en tirons donc, dans les contrôles qui relèvent de notre juridiction, les conséquences prudentielles en matière fiscale ou en termes de sommes dues par les entreprises.
Quant au contrôle des entreprises luxembourgeoises, celui-ci relève du Grand-Duché, mais une grande partie des entreprises considérées étant des filiales de groupes français, nous discutons également avec nos interlocuteurs luxembourgeois. C'est un sujet auquel nous sommes très attentifs.
M. Francis Delattre. - Le ministre de l'économie nous a solennellement annoncé il y a quelques jours que, pour redresser l'économie de ce pays et son industrie, il fallait revoir totalement le capitalisme français. Nous partageons assez l'idée de dire que l'assurance vie, placement préféré des Français, n'est pas suffisamment orientée vers l'économie réelle. Le virage nous agrée. Il est intéressant, mais je suis personnellement quelque peu surpris des chiffres du produit phare, euro-croissance. Quel en est l'objectif ?
Monsieur de Villeneuve affirme par ailleurs que les choses vont assez bien, mais nous constatons cependant, depuis quelques années, que les réserves, qui étaient importantes, contribuent à l'équilibre des comptes. Ne craignez-vous pas quelques problèmes du fait de la progression des taux et de l'interaction que cela peut avoir sur les obligations ? Vos réserves, si vous en avez, seront-elles suffisantes ?
Enfin, la BCE a mis en place un système de quantitative easing, visant à extraire 50 milliards d'euros à 60 milliards d'euros des dettes souveraines de l'Europe. Vous sentez-vous concerné par ce dispositif, 80 % des encours étant aujourd'hui investis dans la dette souveraine ? J'estime que, tant que nous aurons un déficit aussi important, il sera difficile à vos organismes de se soustraire à une participation dans le financement des dettes souveraines et de leur déficit. Pensez-vous qu'on puisse avoir un jour un système où 50 % de vos investissements, au sens large, seront basés sur des actifs plus risqués, et 50 % sur le financement du fonctionnement du pays ?
M. Michel Canevet. - Mes préoccupations prolongent ce que vient de dire Francis Delattre. Des placements ont été faits à taux négatif ces derniers mois pour financer certains États. Cette situation est-elle tenable ? Est-il logique que l'assurance vie française y participe également ? Cela peut paraître inquiétant au regard des objectifs évoqués tout à l'heure.
On ne peut que se réjouir du fait qu'une bonne partie des placements soit réalisée dans le domaine économique. Cela rejoint nos préoccupations, mais peut aussi nous inquiéter, car certaines entreprises cherchent parfois à en retirer le maximum, au risque de mettre la société en difficulté. C'est surtout l'intervention de fonds de pension européens qui amène à cette situation. Est-ce que, en ce qui concerne les placements issus de l'assurance vie, la déontologie est plus favorable au soutien et à l'accompagnement du développement économique de notre pays, même si l'on recherche le profit pour rémunérer les épargnants à un niveau satisfaisant ?
Enfin, des mesures particulières, notamment fiscales, doivent-elles être prises pour orienter l'épargne vers le développement économique et la consolidation des fonds propres d'un certain nombre de PME, permettant ainsi de consolider le tissu économique national ?
Mme Marie-France Beaufils. - Je me méfie toujours beaucoup des conseils qui encouragent l'innovation dans le domaine financier afin d'obtenir de meilleures rémunérations. Est-il nécessaire d'aller vers des innovations ou n'est-il pas plus intéressant de réfléchir au niveau jusqu'où il faut aller pour que ces produits permettent de financer l'économie ? On remarque également que pour le faire correctement, il vaut mieux miser sur les produits à long terme et ne pas en changer trop souvent...
Qu'entendez-vous donc par innovation ? Quel type d'attractivité recherchez-vous pour les contrats d'assurance ? Ne pensez-vous pas qu'il serait plus intéressant de mieux travailler la notion de rémunération des contrats d'assurance, en lien avec ce qu'il est possible de faire pour que l'économie reparte, afin que l'on ne connaisse plus des taux sans rapport avec l'économie réelle ?
M. Jacques Chiron. - J'ai bien compris que le futur fichier Ficovie ne concernerait pas les filiales étrangères des assureurs français. Néanmoins, j'ai retenu qu'à partir du 1er janvier 2017, un certain nombre de contrôles pourraient avoir lieu et que l'on pourrait remonter dix ans en arrière.
J'aimerais que Pierre de Villeneuve nous dise par ailleurs si les assureurs français informent bien leurs clients sur les conséquences d'une non-déclaration du patrimoine. Je me souviens que, lors d'une audition sur la fraude fiscale remontant à 2012, le président de la BNP Paribas de l'époque nous avait dit que, depuis le 1er janvier 2012, la clientèle étrangère était systématiquement informée de cette obligation. La même chose est-elle faite pour les assurances vie ? Un contrôle pouvant remonter dix ans en arrière pourrait faciliter les choses...
Peut-être faudrait-il s'assurer, monsieur le rapporteur général, que les assureurs français remplissent bien cette obligation auprès de leur clientèle, au Luxembourg comme ailleurs.
Mme Michèle André, présidente. - J'aurais quelques questions complémentaires.
Faudra-t-il un jour envisager des stress tests en matière d'assurance vie, comme cela a été fait pour les banques ?
Par ailleurs, certains régimes de retraite complémentaire se sont plaints du fait que Solvabilité 2 n'était pas adapté à leur activité, pensant que c'était préférable pour un régime relevant de directives sur les fonds de pensions. Qu'en pensez-vous ? Que peut-on dire des distorsions de règles entre les fonds de pension anglo-saxons et nos contrats d'assurance vie ?
Par ailleurs, en cas de circonstances exceptionnelles, le code des assurances permet-il à l'ACPR ou à l'assureur de bloquer provisoirement les achats de contrats, y compris en euros, comme cela a pu être le cas en 2007 pour les fonds monétaires dynamiques ?
Enfin, Pierre de Villeneuve nous a dit que l'inquiétude que suscite la zone euro serait moins grande au Luxembourg qu'en France. Il me semblait qu'il n'existait qu'une zone euro. Je suis donc perplexe ! Avouez que c'est troublant...
M. Pierre de Villeneuve. - Pour certains, être plus proches de l'Allemagne est plus rassurant compte tenu des déficits. Je n'en sais pas plus.
De nombreuses questions ont été posées, portant sur des thèmes assez différents.
58 % des actifs des compagnies d'assurance sont investis dans les entreprises. Il ne faut donc pas le négliger. Certes, c'est un peu moins de 20 % sous forme d'actions, mais c'est un mode de financement qui correspond à un besoin, le reste étant réalisé sous forme obligataire, par les entreprises. Un tiers de ces actifs est constitué de dettes souveraines.
Cela répond indirectement à l'inquiétude que l'on pourrait avoir, les uns ou les autres, à propos de l'avenir des dettes ; ce sont les grandes masses telles qu'elles existent à ce stade.
M. Francis Delattre. - Combien la dette souveraine représente-t-elle par rapport aux 1 500 milliards d'euros d'actifs ?
M. Pierre de Villeneuve. - Un tiers, soit 500 milliards d'euros.
Vous avez par ailleurs raison de vous interroger : sommes-nous en situation de gérer une remontée des taux ? C'est un sujet permanent. Notre métier, c'est l'occasion de le souligner, consiste à ajuster nos actifs en fonction de nos passifs - Asset and liability management (ALM) - car c'est le passif qui correspond à nos engagements. Il faut que l'on adapte donc nos actifs en conséquence.
Dans ces exercices d'ALM, nous faisons toute une série de simulations, à la hausse, à la baisse, avec des tas d'hypothèses, qui nous permettent de nous mettre en situation de pouvoir gérer ces cas difficiles.
Un point sur la fiscalité : pourquoi ne pourrait-on avoir une différence en matière de contrats d'assurance vie, selon la nature de l'engagement, entre ceux qui souscrivent des compartiments sécuritaires et ceux qui souscrivent à une unité de compte dans une optique de long terme ? L'impact, quand on y réfléchit, peut être catastrophique en termes prudentiels.
Le contrat d'assurance forme un tout. On va maintenant pouvoir disposer d'un véhicule sécuritaire utilisant l'unité de compte, et d'un véhicule intermédiaire avec une certaine garantie et une certaine date.
Cela permet des adaptations en fonction de la situation familiale du souscripteur, mais il est encore plus important de gérer la mutualité dans des situations difficiles. Une remontée des taux serait une véritable catastrophe si l'on a au préalable alourdi la fiscalité du fonds euros afin d'orienter les gens vers des unités de compte. Si l'on peut avoir aujourd'hui une gestion relativement longue sur nos engagements euros, c'est parce qu'on sait qu'on a des flux rentrants. Dans le cas contraire, on devrait presque être monétaire, ou disposer d'options en cas de hausse de taux. Tout ceci est très coûteux, et nous n'aurions plus la performance attendue par le client sur le long terme. Les flux sont donc fondamentaux.
Ce serait une erreur profonde d'un point de vue financier, qui se reporterait sur la performance des produits, que de vouloir, au sein du contrat d'assurance vie, proposer des fiscalités différentes.
Par ailleurs, moins on touchera à la fiscalité, plus la confiance restera...
M. Francis Delattre. - Je ne parlais pas de fiscalité, mais des arbitrages !
M. Pierre de Villeneuve. - Vous avez raison, mais je pense que la stabilité fiscale est un élément très fort dans la confiance que peut ressentir le souscripteur à l'égard de ces produits. Si l'on veut qu'il ait confiance et que nous puissions nous-mêmes investir à long terme - ce à quoi nous aspirons tous si j'en juge par vos questions - il faut que les règles du jeu soient fiables et stables.
S'agissant des rémunérations à long terme, notre objectif est de faire en sorte qu'elle soit la plus performante possible à long terme. C'est pourquoi il n'y a pas lieu, selon le gouverneur de la Banque de France, alors que le niveau de l'inflation est aujourd'hui très faible, d'inciter les compagnies d'assurance à verser des rémunérations trop élevées. Il leur faut donc faire preuve d'une gestion prudente, afin de pouvoir transformer leurs engagements et faire face aux futures possibilités de hausse. C'est ce que nous faisons, sans nuire à la confiance qui doit être maintenue chez nos souscripteurs.
Par ailleurs, l'innovation est-elle nécessaire ? Innover pour innover, je vous rejoins totalement, serait contre-productif : moins on change les choses, moins on perturbe la confiance des souscripteurs, des marchés, et des intermédiaires, mais il s'agit ici d'une adaptation à un nouveau contexte financier, afin de pouvoir répondre à l'objectif essentiel d'obtenir une performance correcte à long terme. Merci à vous qui intervenez d'ailleurs au niveau politique, ainsi qu'au Trésor et à l'ACPR, qui ont largement soutenu ces adaptations, essentielles pour répondre aux besoins des clients et de l'économie.
L'information, quant à elle, me paraît indispensable si l'on veut conserver la confiance des souscripteurs. La fiscalité étant un sujet relativement complexe, notre devoir est d'informer la clientèle au sujet des obligations fiscales auxquelles le contrat et le contribuable sont soumis. Nous le faisons en France et dans les autres pays. Cela fait partie de la règle du jeu, et je considère cela normal.
Vous avez évoqué les stress tests. J'ai déjà répondu indirectement à cette question, en disant que nous sommes conduits à le faire en interne. L'ACPR nous le demande et nous répondons bien entendu à chacune de ses demandes.
S'agissant des régimes supplémentaires, en France, les régimes de retraite privés des compagnies d'assurance sons soumis au régime prudentiel, ce qui est une bonne chose pour les entreprises, pour les salariés et pour les souscripteurs, qui bénéficient à plein d'un régime prudentiel en leur faveur. C'est certes contraignant, mais il s'agit d'un véritable service et d'un vrai avantage.
Les fonds de pension ne sont toutefois pas soumis à ces contraintes. Nous aimerions bien que les autres pays puissent adopter des règles prudentielles cohérentes par rapport à ce qui est exigé au niveau européen pour les engagements pris au sein des compagnies d'assurance, surtout lorsqu'il s'agit d'engagements identiques. Notre demande n'est pas d'alléger les contraintes, mais de faire en sorte que l'on se préoccupe de la solvabilité de l'ensemble de ces engagements à long terme.
Pour des raisons de concurrence, nous souhaitons que les règles qui existent soient maintenues tant qu'il n'existe pas de directive spécifique pour les fonds de pension. Le régime transitoire en faveur de ce type d'engagement doit prendre fin en 2022. Nous souhaitons que cette date soit repoussée, l'Allemagne ayant obtenu des mesures transitoires jusqu'en 2032. Pourquoi n'en bénéficierions nous pas ?
M. Thomas Groh. - Le démarrage de l'euro-croissance est progressif. Les textes réglementaires ont seulement été pris à l'automne dernier. Ce produit étant complexe, il n'est pas encore commercialisé partout. Cela prend du temps, compte tenu également du contexte des taux d'intérêt. L'objectif affiché au moment de la loi de finances rectificative de 2013 consistait en une réallocation de 50 milliards d'euros, soit environ 5 % de l'encours en cinq ans des fonds en euros vers l'euro-croissance. Cette feuille de route est toujours la nôtre.
S'agissant de la baisse des taux et des risques de remontée brutale, il est important de rappeler que cette baisse affecte les assureurs et impose des évolutions stratégiques, comme l'a rappelé Pierre de Villeneuve. Cela étant, le marché français n'est pas le plus exposé - loin s'en faut. Certains pays européens, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, connaissent des situations bien plus dégradées, du fait de l'existence en portefeuille de contrats comportant des taux de garantie élevés, alors que dans le cas français, grâce aux règles prudentielles spécifiques, le taux garanti moyen est inférieur à 1 %. Cela laisse beaucoup plus de marges de manoeuvre aux compagnies d'assurance.
Le risque demeure en cas de remontée brutale des taux. Je ne suis pas sûr que ce soit aujourd'hui le scénario central, étant donné la politique monétaire qui est conduite, mais il existe des règles prudentielles spécifiques au marché français qui pourront perdurer. Elles interdisent par exemple aux assureurs de vendre une obligation avant échéance, de réaliser une plus-value et de la distribuer immédiatement aux assurés, ce qui n'est pas le cas de tous les pays européens. Cela appelle une gestion financière particulièrement prudente, qui limite la fragilité financière des assureurs. Nous suivons cela de très près, en lien avec l'ACPR, et réfléchissons à des évolutions réglementaires pour consolider le système.
En matière d'innovation, nous conservons une très grande prudence et demeurons très attentifs. Il faut garder à l'esprit que la libéralisation des investissements des assureurs, qui a été décidée et qui se poursuivra avec Solvabilité 2, a grandement renforcé les règles de gouvernance et de publicité. Le rôle du conseil d'administration est accru. L'ACPR détiendra de nouveaux pouvoirs. Les assurances devront respecter un principe de prudence. L'idée est de ne pas faire n'importe quoi ; les assureurs en sont tout à fait conscients.
La politique proposée par le Gouvernement a consisté jusqu'ici à ne pas alourdir la fiscalité de certains types de contrats d'assurance vie, et de jouer plutôt sur d'autres leviers - réglementaires, prudentiels -, de capitaliser sur l'intérêt bien compris de chacun de faire émerger de nouveaux produits, en diversifiant et en renforçant l'économie.
Enfin, nous portons aux retraites complémentaires une grande attention, comme le Premier ministre l'a bien expliqué il y a quelques semaines en présentant les mesures destinées à relancer l'investissement.
Les activités de retraite supplémentaire spécifiques peuvent être exemptées des règles de Solvabilité 2 jusqu'à 2019 - et sans doute 2022 dans l'état actuel de la négociation - ce qui recouvre, en France, tous les contrats collectifs à prestations définies : articles 39, article 83, contrats Madelin, etc. Il s'agit donc d'une règle temporaire globale.
Il existe en outre dans Solvabilité 2 des règles prudentielles spécifiques, au-delà de cette échéance, qui s'appliquent à des régimes cantonnés, avec de moindres charges prudentielles.
Au-delà, la France pousse pour que les conditions de concurrence et les règles prudentielles entre les fonds de pension et les assureurs puissent converger au maximum, même si certains de nos partenaires européens sont prudents en la matière.
On dispose aussi de leviers nationaux, sur lesquels nous travaillons aujourd'hui, pour améliorer l'encadrement réglementaire de certains régimes - retraite par points, etc. - dont le cadre spécifique français doit être modernisé et mis en cohérence avec Solvabilité 2. Rien n'est décidé, mais nous y réfléchissons.
Mme Sandrine Lemery. - L'Autorité européenne de supervision de l'assurance et des pensions professionnelles (AEAPP) a réalisé en 2014 des stress tests sur l'assurance vie européenne qui ont eu moins de publicité que les stress tests bancaires. Il y en avait déjà eu en 2011. C'était donc le second exercice du genre. Il a couvert plus de la moitié des primes de l'assurance européenne. Le premier exercice a porté sur les chocs concernant les actions, les chocs spécifiques sur les assurances, les chocs sur les courbes ; un second exercice spécifique a porté sur les chocs dus à la baisse des taux d'intérêt.
Il est apparu que l'assurance européenne était globalement résiliente. Toutefois, le niveau des taux d'intérêt est aujourd'hui inférieur à celui retenu pour le stress test réalisé en 2014. Ces exercices nous permettent d'évaluer la résistance des entreprises. Globalement, cette résistance est plutôt bonne. Ces stress tests vont continuer. Ils n'auront pas lieu en 2015, mais il y en aura l'année prochaine. Cette année aura lieu le premier stress test sur les fonds de pension.
Par ailleurs, Solvabilité 2 met plusieurs outils à la disposition du superviseur prudentiel pour veiller que les promesses soient tenues. Le pilier 1 est un pilier quantitatif ; on calcule des provisions en recourant au principe de stress test, en rajoutant une couche de fonds propres.
Le pilier 2 consacré à la gouvernance comporte des exigences nouvelles. Parmi celles-ci, on trouve la maîtrise des risques, et le Own risk and solvency assessment (ORSA), qui correspond à l'évaluation propre des besoins de solvabilité. Il s'agit d'un stress test réalisé par l'entreprise elle-même pour savoir si les règles de Solvabilité 2 sont suffisantes pour permettre de répondre à tous les cas. Ce sont des stress tests que l'on a commencé à mener. Solvabilité 2 sera en place en janvier 2016. Ce n'est donc pas encore effectif.
L'ACPR mène, depuis trois ans, des exercices avec des entreprises afin de les préparer à cette nouvelle réglementation. En 2015, nous avons élaboré, en lien avec les entreprises, des scénarios très orientés en matière de résistance durable à la baisse des taux et des scénarios où la baisse des taux dure le temps du quantitative easing.
En Europe, on a bien conscience que c'était la dernière fois que l'on ne rendait pas les exercices publics individuellement, les résultats ayant été publiés jusqu'à maintenant de manière globale. La prochaine fois, il est évident que les résultats seront publics.
Le pilier 3 concerne la discipline de marché : demain, les entreprises rendront publiques plus de choses qu'elles ne le faisaient, notamment leur solvabilité. Elles vont donc devoir rendre des comptes publiquement.
S'agissant de la distorsion entre les fonds de pension et les assurances, il existe dans Solvabilité 2 des règles transitoires qui permettent de lisser l'effet du changement de règles, notamment sur les passifs de retraite, qui sont très longs, qu'on ne peut cacher, mais qui peuvent ainsi être mieux pilotés afin de disposer de temps.
Sur le plan réglementaire, la France souscrit au discours : « À produit égal, normes égales ». Toutefois, la directive sur les retraites repose sur les piliers 2 - gouvernance - ou pilier 3 - reporting. Dans ce domaine, beaucoup peut encore être fait. Sur le plan quantitatif, il n'existe pas grand-chose, mais des dispositifs transitoires existent dans Solvabilité 2 qui, au niveau français, permettent de gérer cet aspect des choses, sans créer trop de biais réglementaires pour les entreprises.
Enfin, l'Autorité dispose-t-elle d'outils pour faire face au risque de rachat ? Dans nos mesures de police administrative, nous avons la possibilité de suspendre individuellement les rachats, à l'issue d'une procédure contradictoire ou en cas d'urgence. Ce n'est pas la première réponse à laquelle nous comptons recourir. C'est une démarche individuelle, de type contrôle micro-prudentiel. Il n'y a pas aujourd'hui de mesures macro-prudentielles de ce type prévues pour les assurances.
En revanche, les normes Solvabilité 1 et Solvabilité 2, qui constituent d'énormes contraintes pour les entreprises, qui doivent répondre elles-mêmes, disposent de beaucoup d'instruments de mesure qui permettent de prendre conscience des risques. Il s'agit en effet d'un contexte difficile. Moyennant une mutualisation des risques et l'utilisation précautionneuse des réserves, dont les taux servis sur les contrats en euros reflètent les rendements des actifs, l'avenir est maîtrisé. Nous sommes, avec les assureurs, le Trésor et nos collègues européens, extrêmement vigilants et étudions tous les moyens de piloter l'assurance vie dans cet environnement compliqué.
M. Pierre de Villeneuve. - Je n'ai pas répondu au sujet du quantitative easing et du rôle des assureurs face au rachat de dettes par la BCE.
Pour l'instant, compte tenu de la situation, les assureurs n'ont pas vraiment intérêt à se priver des actifs longs. Je ne pense donc pas qu'il existe beaucoup d'assureurs français qui tirent parti de ces rachats.
La réunion est levée à 12 heures 15.