Mercredi 15 avril 2015
- Présidence de M. Alain Milon, président -Nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie - Audition de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti
La réunion est ouverte à 9 heures.
Au cours d'une première réunion, la commission procède à l'audition de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, députés, sur la proposition de loi n° 348 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
M. Alain Milon, président. - Je remercie nos collègues députés Alain Claeys et Jean Leonetti d'avoir bien voulu venir nous présenter ce matin leur proposition de loi « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ».
Ces nouveaux droits, vous le savez, s'appuient sur la notion de « sédation profonde et continue » accompagnant l'arrêt des traitements jusqu'au décès, mais aussi sur un renforcement des directives anticipées. Celles-ci s'imposeraient au médecin, sauf dans des cas limités, et obéiraient à des modèles-types destinés à les rendre plus opérationnelles.
La proposition de loi a été déposée le 21 janvier dernier, dans la foulée des conclusions qu'Alain Claeys et Jean Leonetti avaient remises au Premier ministre sur la mission que celui-ci leur avait confiée.
Elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 17 mars. Le calendrier de discussion au Sénat prévoit un examen en commission à la fin du mois de mai et en séance publique vers la mi-juin.
Il m'a paru important, au moment où débutent nos travaux sur ce texte, que nos deux collègues qui l'ont élaboré puissent nous rappeler le cadre de leur démarche, les objectifs poursuivis par la proposition de loi et les modifications qu'elle va entrainer par rapport à législation actuelle, mais aussi par rapport aux pratiques et aux situations concrètes constatées pour les malades en fin de vie.
A l'Assemblée nationale, une trentaine d'amendements ont été adoptés au stade de la commission, et une vingtaine lors de la séance publique.
Je souhaiterais également qu'Alain Claeys et Jean Leonetti puissent évoquer les points qui ont fait débat et les modifications qui ont été apportées par rapport au texte initial qu'ils avaient déposés.
Je leur laisse la parole, avant que chacun puisse leur poser ses questions.
M. Alain Claeys, député. - Je vous remercie de votre invitation, le dialogue entre nos deux assemblées étant essentiel sur ce sujet.
Permettez-moi de rappeler tout d'abord le contexte dans lequel nous avons travaillé. Avant son élection à la présidence de la République, le candidat François Hollande avait pris l'engagement que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. ». Une fois élu, le Président de la République a donné pour mission à Didier Sicard de faire un état des lieux de la question de la fin de vie en France. Le constat de la commission Sicard est accablant : on meurt mal en France, c'est-à-dire dans de mauvaises conditions. Les inégalités territoriales sont fortes, les structures de soins palliatifs étant peu nombreuses en Ehpad et inégalement implantées dans les CHU. Plus de la moitié des décès ont lieu aux urgences. Les Ehpad manquent souvent d'infirmières le soir à partir d'une certaine heure puis la nuit.
Les soins palliatifs souffrent de deux principales carences : d'une part, un manque de formation des professionnels de santé, la culture palliative restant peu enseignée ; d'autre part, le caractère inadapté aux soins palliatifs de la tarification à l'activité.
Plusieurs analyses ont été réalisées à la suite du rapport Sicard dans le cadre de l'avis 121 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et de la consultation citoyenne qui a elle-même fait l'objet d'un rapport du CCNE. Dans la foulée, nous avons reçu en juin dernier une lettre de mission du Premier ministre qui nous demandait de formuler des propositions dans trois directions : « assurer le développement de la médecine palliative, y compris dès la formation initiale des professionnels de santé ; mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées dont le caractère engageant doit être pleinement reconnu ; définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l'apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l'autonomie de la personne ». Cette mission nous a conduits à procéder à une quarantaine d'auditions.
Quel était notre état d'esprit ? Nous ne partions pas de rien. Après la loi sur les soins palliatifs de 1999 et la loi « Kouchner » de 2002, la loi « Leonetti » de 2005 a constitué une avancée importante, traitant en particulier de l'acharnement thérapeutique. Dans ce contexte, la proposition de loi que nous avons déposée le 21 janvier dernier s'inscrit dans le prolongement de la législation actuelle et n'introduit en aucun cas une rupture.
Les débats sur ce texte à l'Assemblée nationale ont montré que certains considéraient qu'il n'allait pas assez loin tandis que d'autres estimaient qu'il n'y avait rien à changer. Mais nous avons tenu bon sur nos propositions pour deux raisons essentielles. En premier lieu, nous devions répondre précisément à la demande du Premier ministre et à l'engagement du Président de la République. En second lieu, s'agissant d'un débat de société de cette importance, nous devions trouver non pas un consensus mais une convergence qui permette de régler un grand nombre de cas concrets dans notre pays.
La proposition de loi n'est pas en contradiction avec le développement des soins palliatifs. Nous proposons de nouveaux droits qu'il ne faut pas opposer au corps médical. Il s'agit de consacrer de nouveaux droits sans supprimer ce qui existe déjà, c'est-à-dire le dialogue singulier entre patients et médecins.
M. Jean Leonetti, député. - La proposition de loi comporte deux mesures phares. S'agissant tout d'abord de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, il faut rappeler que la sédation existe déjà. Elle est pratiquée dans certaines indications précises dans les services de soins palliatifs. Des risques d'abus existent toutefois, certains patients se voyant administrer conjointement sédatifs et antalgiques alors qu'ils n'ont pas de douleurs. La société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFSP) précise les indications dans lesquelles un patient a le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir. L'objectif de la sédation profonde et continue est d'empêcher toute souffrance ou toute situation d'inconfort. Comme le dit Régis Aubry, le malade n'est pas obligé d'assister à sa mort.
La SFSP prévoit deux conditions essentielles pour pouvoir recourir à cette pratique. Ces deux conditions sont reprises par la proposition de loi : la mort doit être imminente, c'est-à-dire le « pronostic vital engagé à court terme » et la souffrance ressentie par le malade doit être « réfractaire » au traitement. Cette dernière condition permet d'éliminer toute demande engendrée par des souffrances d'ordre existentiel.
Le malade continue de souffrir malgré les traitements et la mort va survenir dans les heures ou les jours qui viennent. La réponse mise en place doit être continue jusqu'au décès. La mort étant proche, il serait anormal de réveiller le malade après la sédation pour déterminer si un autre traitement peut être mis en place. Cela ne ferait qu'aggraver ses souffrances. Nous nous sommes donc fondés sur deux éléments pour définir les conditions susceptibles d'ouvrir la voie à la mise en place d'une sédation profonde et continue : la souffrance réfractaire - elle ne doit pas pouvoir être traitée par d'autres moyens - et la mort imminente.
Quelles sont les différences entre cette proposition de loi et les textes qui l'ont précédée ? La sédation profonde existe de façon diffuse, dans certains services de soins palliatifs. En revanche, elle n'existe ni en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ni à domicile. De plus, les personnels médicaux y sont trop peu sensibilisés. Dès lors, nombreux sont les malades qui, en France, continuent de mourir mal et dans la souffrance.
Les directives anticipées existent depuis 2005 et doivent être prises en compte. Pourtant, seuls 2,5 % des Français en ont rédigé. Leur écriture est en effet complexe. Il est difficile de se projeter dans une situation de fin de vie lorsque l'on n'est porteur d'aucune maladie. A l'inverse, un malade peut avoir peur des conséquences que peut avoir la pathologie dont il souffre. Une réponse doit alors être apportée dans le colloque singulier entre le patient et son médecin, fondée sur la relation de confiance qui a pu se nouer. Nous nous sommes inspirés des législations allemande, suisse et anglaise pour définir un modèle dont nous estimons qu'il doit garantir un certain degré de pédagogie et permettre d'écrire les recommandations de façon réfléchie. A titre personnel, je pense que les directives anticipées devraient être rédigées dans le cadre d'un dialogue avec un médecin. Mais je reconnais que l'intervention de celui-ci peut s'avérer intrusive. Pour plus de sécurité, nous avons prévu que le modèle unique de directive anticipée serait défini par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé (HAS).
Les directives anticipées doivent être contraignantes. Jusqu'à présent, elles sont suivies par les médecins dans 70 % des cas. Pour les 30 % restants, il est très difficile de savoir s'il s'agit d'un refus du corps médical d'appliquer la volonté du patient ou si les directives sont inapplicables car inadaptées, par exemple lorsqu'elles se résument à l'expression d'un refus d'hospitalisation. Le texte que nous avons adopté doit permettre au patient d'exprimer sa volonté concernant la limitation ou l'arrêt des traitements et actes médicaux. Ces directives s'imposeront au médecin, ce qui signifie qu'elles seront opposables.
Il existe cependant deux situations dans lesquelles les directives anticipées ne pourront pas être opposables. La première est celle de l'urgence vitale. Les gestes de réanimation doivent être rapidement mis en oeuvre. Même si les directives anticipées sont facilement accessibles, elles ne pourront être examinées de façon sereine dans de tels contextes d'urgence. Cela signifie en particulier que les réanimations doivent pouvoir continuer à être pratiquées lorsqu'elles interviennent à la suite d'une tentative de suicide. N'oublions pas que 60 % à 70 % des personnes qui font une tentative de suicide ne récidivent jamais. Nous avons précisé que les directives anticipées ne s'imposeraient pas « pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation », c'est-à-dire à l'analyse de leur caractère approprié ou non. En effet, si toutes les urgences vitales peuvent être opposées aux directives anticipées, alors ces dernières n'ont plus de sens. La deuxième situation de non opposabilité est celle dans laquelle la directive anticipée s'avère manifestement inappropriée, par exemple lorsque l'état de santé du malade est en réalité réversible ou lorsque la directive anticipée n'est pas adaptée à la situation en cause. Plutôt que d'essayer de dresser une liste exhaustive des situations inappropriées, nous avons adopté une formulation volontairement large qui conduira à la mise en place d'une procédure spécifique : le médecin devra solliciter un avis collégial et la décision à la suite de celui-ci sera inscrite dans le dossier médical.
S'agissant de la personne de confiance, nous avons adopté un éventail large. En particulier, il ne nous a pas semblé opportun d'exclure le médecin ou les membres de la famille. L'essentiel est que la personne puisse être choisie librement dans un climat de confiance. La personne de confiance ne donnera plus un avis mais un témoignage qui prévaudra sur tout autre témoignage. Il sera le reflet fidèle de la volonté du patient.
On ne peut pas obliger quelqu'un à envisager sa mort. J'estime par conséquent qu'il n'est pas souhaitable de rendre obligatoire la rédaction de directives anticipées. Dans certains cas, il sera donc nécessaire de se tourner vers la famille et les proches pour connaître la volonté du patient. Faut-il établir une hiérarchie, par exemple au bénéfice de la famille ou au sein de celle-ci ? Nous n'avons pas souhaité le faire. En revanche nous avons voulu donner toute leur valeur aux opinions qui auront pu être exprimées par le patient. Ce passage de l'avis au témoignage est significatif.
Nous avons par ailleurs tenu à rappeler dans la loi que la position du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur primera sur celle de la personne de confiance.
J'en viens à la question de l'hydratation et de la nutrition artificielles : constituent-elles un traitement ? Il me semble que c'est devenu une évidence, rappelée par le Conseil d'Etat dans l'affaire Vincent Lambert ; le texte de 2005 faisait d'ailleurs bien référence à l'arrêt de « tout traitement », et non pas à celui « du traitement ». Constitue un traitement toute intrusion sur le corps d'autrui, qui doit dès lors y donner son consentement. On ne peut considérer que le fait de placer, par voie chirurgicale, un tuyau dans l'estomac dans le but d'apporter des nutriments à l'organisme constitue un simple soin : c'est bien sûr un traitement. Cet élément, auquel est attachée une symbolique forte, apparaît comme une nouveauté dans le débat ; il constitue pourtant une évidence depuis bien longtemps pour les médecins.
Je rappelle par ailleurs que le principe du « double effet » avait été mal écrit dans la loi de 2005. Le texte indiquait que tout traitement ayant un double effet devait être inscrit sur le dossier médical, sans que la notion soit précisée. Sans que l'on puisse envisager de développer un argumentaire à l'appui d'une double intentionnalité, on ne peut refuser la mise en oeuvre de traitements permettant de soulager la souffrance au motif qu'ils pourraient avoir pour effet d'abréger la vie. C'est pourquoi nous avons choisi d'employer l'expression « même si » dans le texte qui vous est proposé : on peut recourir à des traitements antalgiques et sédatifs pour soulager la souffrance, même s'ils pourraient avoir pour conséquence un abrègement de la vie. Suivant en cela la position d'Alain Claeys, nous avons choisi de ne pas utiliser le terme « secondaire », qui renvoie à l'idée que l'effet induit serait soit consécutif, soit négligeable ; or, il paraît difficile de suggérer que le raccourcissement de la vie puisse constituer un simple effet secondaire.
Je n'ai évoqué que le cas de la sédation à la demande du malade ; il existe cependant d'autres cas de figure. Le paragraphe III de l'article 37 du code de déontologie envisage la situation dans laquelle un patient présente des lésions cérébrales majeures qui l'empêchent d'exprimer sa volonté, et dans laquelle sa souffrance est impossible à évaluer : le médecin doit alors mettre en oeuvre un traitement antalgique et sédatif pour éviter toute souffrance potentielle - la phrase étant formulée au présent de l'indicatif, elle vaut impératif. Je ne reviens pas sur l'affaire Pierrat, dans laquelle les traitements avaient été arrêtés sans poursuite des soins, ce dont avaient résulté une souffrance et une agonie importantes.
L'arrêt de tout traitement de survie doit nécessairement être accompagné de la mise en place d'un traitement destiné à soulager la souffrance ; les familles également ont droit à la vision d'une vie finissant de manière sereine et apaisée. C'est la raison pour laquelle cette disposition du code de déontologie a été intégrée dans le code de la santé publique en 2010, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de 2005. Désormais, l'arrêt d'un traitement de survie, qu'il résulte de la demande du malade ou d'une réflexion collégiale constatant une obstination déraisonnable, est obligatoirement assorti d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès - dont on est alors certain qu'il surviendra à court terme.
J'en termine par deux points d'insatisfaction qui subsistent, pour moi-même comme pour les députés. En premier lieu, le texte prévoit la nécessité de ne pas prolonger inutilement l'agonie. Je porte la responsabilité et la culpabilité de l'utilisation du terme « inutilement », qui a été sujet à polémique. Il ne s'agissait bien évidemment pas de sous-entendre que des vies pourraient être inutiles ; c'est, dans certains cas, leur prolongation qui pourrait l'être. Si la formulation ainsi comprise ne me paraît pas choquante, sans doute cet adverbe pourrait-il être utilement - pour le coup - modifié. En second lieu, le texte fait référence à l'arrêt d'un traitement de maintien en vie. Notre intention était de faire référence aux traitements dont la vie du malade dépend ; sans doute la formulation pourrait-elle, ici également, être améliorée.
Je rappelle enfin que la mise en oeuvre de la procédure collégiale, dans le cadre du droit nouveau reconnu au malade de demander une sédation, n'a pas pour objet de décider de l'opportunité de répondre à cette demande, mais simplement de vérifier que les deux conditions prévues sont bien réunies.
M. Gérard Dériot, rapporteur. - Je vous remercie pour cette intervention utile, et même indispensable à nos travaux.
S'agissant de la décision collégiale, il faut tout de même souligner qu'il s'agit bien, justement, d'une décision : après la phase de discussion, il est nécessaire de trancher dans un sens ou dans l'autre.
Il me semble que le texte de 2005 était un texte équilibré, qui a permis de prendre en compte la quasi-totalité des situations dans lesquelles peuvent se trouver le corps médical comme les patients. Il comporte certes des lacunes et des défauts, que vous vous employez aujourd'hui à corriger et à préciser. Je pense que la question de l'hydratation et de la nutrition artificielles méritaient d'être précisée.
Pourquoi le texte de 2005 était-il aussi peu connu et appliqué ? Il est nécessaire qu'il puisse être diffusé de manière beaucoup plus importante et connu dans tous les services. Je m'interroge également sur le faible nombre de services palliatifs mise en place, alors même que l'on sait depuis longtemps maintenant qu'ils constituent une solution indispensable.
M. Michel Amiel, rapporteur. - L'article 3, qui porte sur la sédation profonde, nous a posé plusieurs problèmes. Nous avons en effet buté sur l'expression de « prolonger inutilement » la vie ; afin de ne pas choquer les esprits, nous pourrions revenir à une formulation reposant sur la notion d'obstination déraisonnable.
Par ailleurs, ne faudrait-il pas préciser quel est le type de traitement qui peut être arrêté, en indiquant par exemple qu'il s'agit d'un traitement de survie ? Un patient diabétique qui décide d'arrêter son traitement d'insuline engage son pronostic vital à court terme ; pour autant, il ne pourrait bénéficier d'une sédation profonde dans la mesure et l'arrêt d'un tel traitement relève plutôt d'une forme de suicide. La question se poserait différemment pour le même patient diabétique qui aurait perdu la vue, serait en insuffisance rénale et aurait été amputé d'un membre.
Enfin, je pense qu'un cas de figure a été oublié à l'alinéa 7, pour prendre en compte les situations de fin de vie souvent dramatique en Ehpad - où, on le sait bien, le personnel manque souvent à partir du vendredi soir. Il pourrait être précisé que l'application de cet article se fait aussi en établissement médico-social.
Dernière question : cette proposition de loi opère-t-elle un rééquilibrage entre les pouvoirs du médecin et les droits du patient ?
Un regret, enfin, le fait que la question de la fin de vie des jeunes enfants, et notamment celle des nouveau-nés, ne soit pas abordée, comme si la fin de vie ne concernait que les personnes âgées et les victimes de cancers.
M. Alain Claeys. - En effet, la loi de 2005 est insuffisamment connue. L'explication en est simple : les fondations nécessaires à une bonne application de cette loi n'existaient pas au moment où elle a été votée. En particulier, le nombre de structures permettant l'emploi des soins palliatifs était insuffisant. C'est pourquoi toute loi sur la fin de vie doit s'accompagner de mesures et de moyens destinés à mieux former les médecins et les personnels soignants et à développer les soins palliatifs.
Le terme « inutile » est en effet ambigu. Nous avons pour notre part souhaité le conserver même si nous sommes conscients qu'il peut être mal interprété.
En ce qui concerne les pouvoirs du médecin, notre proposition de loi n'entend pas du tout prendre le contrepied de la loi de 2005 mais seulement garantir de nouveaux droits au patient, sans rien enlever au médecin. Sur ce sujet, c'est la question des directives anticipées qui suscite le plus le débat.
M. Jean Leonetti. - Il est vrai que la loi de 2005 n'est pas aussi connue qu'elle devrait l'être. Peut-être les lois qui sont issues de propositions de loi ne sont-elles pas diffusées d'une manière aussi efficace que celles qui procèdent de projets de loi. Peut-être aussi a-t-elle été desservie par le fait qu'elle ait été votée à l'unanimité, laissant ainsi penser qu'elle était le fruit d'un compromis tiède et dénué d'ambitions. Surtout, je crois que le débat sur la fin de vie est trop souvent ramené en France, notamment par les médias, à la seule question « Y a-t-il un droit à la mort dans certaines circonstances ? », occultant le problème des 30 % de Français qui meurent dans de mauvaises conditions chaque année.
Nous avons dit au Président de la République qu'il était nécessaire de développer la culture palliative des médecins et des personnels soignants pour que la loi soit connue et appliquée. Il s'est engagé à ce que le Gouvernement consacre à cette question les moyens nécessaires.
En effet, le cas des nouveau-né est le plus difficile à gérer, il est impossible en pratique de demander son avis à la mère. Le personnel soignant se trouve dans une impasse éthique et le recours à la collégialité médicale est indispensable. S'agissant des mineurs en général, les titulaires de l'autorité parentale sont automatiquement personnes de confiance.
Les termes « traitement de survie » sont en effet plus adaptés que ceux de « traitement de maintien en vie » pour désigner les traitements dont l'arrêt engage à court terme le pronostic vital du patient.
Les décisions relatives à la fin de vie du patient sont prises en responsabilité par un médecin unique même si la procédure qui conduit à cette prise de décision est collégiale.
Si vous me le permettez, je souhaiterais vous signaler les principaux amendements qui sont venus modifier notre proposition de loi à l'Assemblée nationale. Les députés ont autorisé la personne de confiance à accéder au dossier médical du patient contre l'avis de la commission et du Gouvernement. Ils ont rendu la sédation possible à domicile. Ils ont prévu que la loi s'applique en Nouvelle-Calédonie et que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport annuel sur le développement des soins palliatifs, en se fondant sur les informations réunies par les agences régionales de santé (ARS).
M. Philippe Mouiller. - Je souhaiterais vous faire part de trois interrogations. Dès lors que l'on adopte un droit à une fin de vie digne et apaisée pour chacun, que se passe-t-il si la personne a le sentiment que ce droit n'est pas respecté ? Le Président de la République a pris des engagements sur les soins palliatifs, mais le Gouvernement peut-il vraiment dégager les moyens financiers nécessaires ? Enfin, je regrette qu'on ne dise pas plus clairement que cette proposition de loi ne porte pas sur l'euthanasie mais bien sur la fin de vie.
M. Gilbert Barbier. - Certes la loi de 2005 est peu appliquée, mais la solution est-elle pour autant de légiférer de nouveau ? Les vrais problèmes, cela a été dit, concernent le manque de moyens et la formation insuffisante des médecins et des personnels soignants aux soins palliatifs. En outre, si cette proposition de loi entend combler des lacunes du texte de 2005, elle correspond surtout à un engagement de campagne du Président de la République.
Cette proposition de loi va encore retirer du pouvoir aux personnels soignants. Surtout, elle laisse une place considérable à la subjectivité de chacun. Ainsi par exemple de la formulation suivante : « apparaissent inutiles ou disproportionnés ». Quant à la qualification de la sédation comme « profonde et continue », une sédation n'est-elle pas nécessairement « profonde » ? Quand on y ajoute une analgésie et qu'on n'hydrate plus le patient, ne faut-il pas franchement parler d' « euthanasie » ? Y a-t-il une volonté d'éviter ce mot ?
Comment définir le « court terme » dans le contexte de la fin de vie ? Pour le professeur Sicard, c'est au moment de l'agonie. Faut-il le définir ou laisser ce terme être sujet à de multiples interprétations possibles ? Monsieur Amiel a raison d'évoquer les problèmes de la néonatologie mais je crois en effet qu'il faudrait aborder plus largement tous ceux qui concernent l'enfant mineur.
En conclusion, le texte de 2005 bien appliqué me paraissait suffisant.
Mme Catherine Génisson. - Notre société soufre d'un problème culturel profond dans sa relation à la mort. D'un côté nous sommes confrontés en permanence à la mort violente via les écrans de télévision, de l'autre la mort est éliminée de la vie quotidienne et presque niée. Aujourd'hui les gens meurent en majorité à l'hôpital et, bien souvent, leur dépouille n'est même pas ramenée à leur domicile mais transportée dans un salon funéraire.
Par rapport au texte de 2005, les dispositions de la proposition de loi vont rendre la prise de décision plus complexe, en raison notamment des directives anticipées. Il est fondamental que la procédure soit collégiale jusqu'à la décision finale du médecin.
Pour répondre à mon collègue Gilbert Barbier, une sédation profonde est différente d'une simple sédation. Une sédation profonde accompagnée d'une analgésie et d'un arrêt de l'hydratation conduit à une fin de vie digne et sereine.
M. Olivier Cigolotti. - Je souhaiterais soulever la question des inégalités territoriales vis-à-vis de la question de la fin de vie. Comment les réduire ?
M. Olivier Cadic. - J'apprécie le caractère mesuré de vos propos et la sérénité dont vous faites preuve dans l'appréhension de cette situation. Je suis convaincu que cette proposition de loi est utile ; pour autant je ne la trouve pas satisfaisante en ce qu'elle ne répond pas à la question fondamentale du droit à mourir. A l'époque où l'interruption volontaire de grossesse n'était pas autorisée en France, les femmes devaient se rendre en Angleterre. Aujourd'hui, les gens partent à l'étranger pour mourir, pour pouvoir faire leurs choix en libre conscience. La liberté trouve toujours son chemin mais il est regrettable de devoir s'expatrier. C'est une forme de violence. Dès lors que l'on sait que la maladie est incurable, on entre dans l'accompagnement. La dégradation physique est une violence pour la personne mais aussi pour ses proches. Il peut y avoir un refus de cette dégradation et un refus des soins palliatifs. Ce serait un progrès que de le prendre en compte car c'est important pour beaucoup de gens. Je vous apporte mon soutien dans votre démarche tout en considérant que ce texte ne répond pas à l'attente de nos concitoyens. Comment entrer de façon apaisée dans le débat sur le droit à mourir ?
M. Daniel Chasseing. - L'accompagnement de la mort est chaque fois singulier. En tant que médecin rural, je fais intervenir l'unité de soins palliatifs du centre hospitalier dans les établissements pour personnes âgées. Depuis trois ans, les médecins ne souhaitent plus prendre de garde de nuit. Pour préserver la permanence des soins, il faudrait élargir le numérus clausus mais ceci est un autre débat. La loi de 2005 a constitué un progrès et il est vrai qu'il faudrait enseigner davantage les soins palliatifs. Le présent texte apporte un peu de complexité car chaque cas est un cas particulier. Je suis en accord avec les conditions posées : la mort doit être imminente et la douleur réfractaire à tout traitement.
M. Alain Claeys. - Nous retrouvons dans vos interventions les débats intervenus à l'Assemblée nationale.
Le vrai sujet est celui des inégalités territoriales. Si nous ne les réduisons pas, nous ne réglerons aucun des problèmes. Pour le développement des soins palliatifs, des moyens financiers doivent être mobilisés. Il faut aussi faire évoluer la tarification à l'activité.
En matière de formation des soignants, le Président de la République a pris des engagements. Le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche et la conférence des doyens ont engagé des discussions et feront des propositions pour une mise en oeuvre à la rentrée 2015.
Pourquoi une sédation « profonde » ? Il ne s'agit pas d'une expression nouvelle mais bien, Catherine Génisson l'a indiqué, d'une notion médicalement reconnue.
S'agissant du débat sur l'euthanasie, le fait que certains nous reprochent d'aller trop loin et d'autres, pas assez, illustre bien le chemin sur lequel nous nous sommes engagés. Nous ne règlerons pas l'ensemble des cas avec ce texte dont la feuille de route était clairement définie. Il faut relire la lettre de mission qui évoque précisément la fin de vie et les cas où le pronostic vital est engagé. Je respecte beaucoup ceux qui défendent l'euthanasie mais je crois que nos concitoyens veulent surtout être entendus dans leur souhait d'avoir une mort digne. Notre société doit-elle répondre à ce souhait en décidant que la solution est un acte létal ? Je ne le crois pas. Nous devons répondre sur les sujets sur lesquels nous sommes interpellés. Si vous regardez les sondages, les Français nous disent qu'ils souhaiteront l'euthanasie si nous ne sommes pas capables de leur assurer une fin de vie digne et apaisée. Le débat a été très calme et respectueux à l'Assemblée nationale.
Je n'ai pas le sentiment que nous retirions des pouvoirs au corps médical. Au fur et à mesure du progrès des techniques médicales, il ne faudrait pas que la relation entre le patient et le médecin s'affaiblisse. Il me semble que le terme de médecine personnalisée appliquée à la génomique est impropre. La médecine personnalisée, c'est le souci du bien du patient.
M. Jean Leonetti. - Alain Claeys dit ce que je pense. Cette forme de fusion devient inquiétante ! Ce qui est important, c'est que nous ayons des interrogations et des doutes sur ce sujet. Plus encore que des moyens en soins palliatifs, il faut qu'une culture se développe qui soit au moins aussi attentive à soulager et à accompagner qu'à guérir ou à sauver.
Le déni de la mort est profond dans notre société. Nous devons être attentifs à ce qu'un jour on n'en vienne pas à la régler par des protocoles médicaux. Effectivement, on rentrait avant chez soi pour mourir ; aujourd'hui, on meurt à l'hôpital.
Ce n'est pas une loi sur l'euthanasie. Certains le déplorent, d'autres s'en inquiètent. La sédation profonde n'est pas une euthanasie déguisée : les médicaments qui tuent et les médicaments qui soulagent ne sont pas les mêmes. Il s'agit de savoir si le « lâcher prise » doit être accepté quand on a le sentiment d'être arrivé au bout du chemin. Si l'on interroge les Français sur ce qu'est « la bonne mort », dont on peut noter qu'elle est la traduction du mot grec « euthanasie », ils répondent que c'est dormir et ne pas se réveiller. Face à la mort douloureuse et brutale, il y a la mort apaisée. Beaucoup de gens voient la mort « en dormant » comme l'euthanasie alors que l'euthanasie, c'est la mort donnée volontairement. La situation est différente.
La définition de l'euthanasie a évolué : avant, c'était l'absence d'acharnement ; aujourd'hui, c'est la mort donnée volontairement.
La loi de 2005 était floue. Certaines notions, comme le double effet, n'étaient pas définies. Il y a un devoir du corps médical de ne pas s'acharner mais il y a aussi un devoir de la société envers les plus vulnérables. Le droit du patient est d'exiger de ne pas souffrir. Le corps médical doit faire face à un regain de l'autonomie et de la liberté du patient qui se voit conférer un droit à demander au médecin de faire son devoir. Les deux ne sont pas antagonistes.
La notion de court terme est évidemment problématique. Qu'est-ce que la fin de vie ? Potentiellement, nous sommes tous en fin de vie. Confucius disait que tout homme à deux vies et que la seconde commence au moment où il prend conscience qu'il n'en a qu'une. La mort sans souffrance n'existe pas. Elle suppose au moins la douleur de l'arrachement. Ce problème existentiel de l'humain ne sera pas résolu par un texte de loi. Il s'agit d'essayer de garantir qu'il n'y aura pas de souffrance subie face à l'indifférence d'un monde médical mal formé.
Je regrette que le problème du droit à la mort ait occulté tous les autres sujets. Depuis 1792, les hommes sont libres de se suicider. La vie appartient aux hommes. Certains, comme Robert Badinter, s'interrogent ainsi sur le fait d'incriminer l'aide à un acte qui n'est pas lui-même incriminable. En Suisse, l'aide au suicide est admise dès lors qu'elle n'est pas « égoïste ». Le débat porte sur l'équilibre entre l'autonomie et la vulnérabilité. Dans cet équilibre, le droit à la mort deviendrait un droit créance alors qu'actuellement, le droit à la vie est un droit créance. Le débat ne sera jamais achevé.
Il n'est pas sûr que l'on puisse établir une comparaison avec l'IVG. Avant la légalisation, les femmes mettaient leur vie en danger. La mort de ces jeunes femmes était un scandale. La loi Veil a réparé cette injustice.
Notre société demande « de ne pas se dégrader ». C'est une mission impossible. Cela signifierait de mourir très tôt, au début de la maladie. Il y aurait un vrai problème dans une société qui considèrerait qu'il est légitime de mourir dès lors que l'on n'est plus performant ou rentable.
De même, l'idée de « ne pas attendre » pose d'énormes difficultés. La sédation ne peut pas être trop longue. Nous assistons à un changement majeur dans l'exercice de la médecine qui devient beaucoup plus juridique et devra affronter l'émergence de l'autonomie de l'individu.
Nomination de rapporteurs
La commission nomme M. Alain Milon, Mme Catherine Deroche et Mme Elisabeth Doineau, rapporteurs sur le projet de loi relatif à la santé.
La réunion est levée à 11 h 20.
Présidence commune de M. Alain Milon, président, et de M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable -
Santé environnementale - Communication
La réunion est ouverte à 11 h 20.
Au cours d'une seconde réunion, la commission entend, conjointement avec la commission du développement durable, Mmes Aline Archimbaud et Chantal Jouanno sur la santé environnementale.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre matinée de travail pour une réunion conjointe avec la commission du développement durable.
Avec son président, Hervé Maurey, nous avions été saisis d'une demande conjointe d'Aline Archimbaud et de Chantal Jouanno, en vue de mener une mission sur les liens entre santé et environnement, visant notamment à identifier les maladies et les problèmes de santé ayant un lien avec les pollutions environnementales, les facteurs d'exposition et les populations concernées.
Nous avons estimé, avec Hervé Maurey, qu'il s'agissait là, effectivement, d'une problématique importante, ouvrant cependant un champ d'investigation très vaste sur lequel plusieurs agences sanitaires ont reçu mission d'expertiser les travaux scientifiques et de conseiller les pouvoirs publics.
Nous avons donc demandé à nos collègues de présenter à nos deux commissions un point sur l'état des travaux des organismes publics concernés et des administrations compétentes en matière de santé environnementale.
Celles-ci ont mené une douzaine d'auditions et ce sont les conclusions de ce travail qu'elles ont souhaité nous présenter aujourd'hui.
Nous pourrions ainsi apprécier si certains sujets soulèvent des questions d'ordre législatif et méritent une étude plus précise dans la perspective de l'examen par le Sénat du projet de loi relatif à la santé.
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. -C'est la première fois que nous réunissons ensemble nos deux commissions et j'en suis très heureux.
Nos collègues Aline Archimbaud et Chantal Jouanno connaissent bien ce sujet particulièrement important de la santé environnementale. Plusieurs de ces sujets ont déjà été étudiés par ailleurs par le Sénat : je pense par exemple aux travaux entrepris par l'Office des choix scientifiques et technologiques sur les pesticides, les nanotechnologies, les lignes à haute tension, les ondes électromagnétiques ou les perturbateurs endocriniens. Je pense aussi aux missions d'information sur l'amiante ou les pesticides. Je pense enfin aux travaux en cours de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.
Mais il nous manque, il est vrai, une vision d'ensemble. C'est l'intérêt de ce que nos deux collègues ont souhaité faire et je les en remercie plus spécialement dans la perspective du projet de loi relatif à la santé. Nous nous réjouissons que l'Assemblée nationale ait intégré un volet de santé environnementale au projet de loi.
Nos concitoyens aussi sont de plus en plus attentifs à ces sujets : ils se posent des questions et se soucient plus qu'avant de l'impact sur leur santé et celle de leurs enfants d'un certain nombre de risques auxquels ils sont exposés.
Aussi, il y a un vrai paradoxe à constater le faible engagement du Gouvernement sur la santé environnementale. Les sommes consacrées à la recherche sont inférieures à ce qu'elles sont dans d'autres pays. Les politiques de prévention sont nettement insuffisantes voire inexistantes et, comme souvent dans notre pays, on réagit trop tard.
Le travail de nos collègues va éclairer ce constat et je leur cède bien volontiers la parole.
Mme Aline Archimbaud. - Nous avons été mandatées par les présidents des deux commissions des affaires sociales et du développement durable afin de mener une série d'auditions sur le thème de la santé et de l'environnement. L'objectif était de faire un bilan des connaissances scientifiques à ce jour et un état des politiques publiques existant en France sur le sujet, dans la perspective de l'examen du projet de loi santé. Nous avons rencontré une dizaine de structures officielles en un mois et demi, dont l'Anses, l'Inserm, l'Inca, l'Académie de médecine, le Haut conseil en santé publique, ou encore, du côté des services, le directeur général de la santé et la direction générale de la prévention des risques.
Nous avons également pu nous appuyer sur les nombreux rapports parlementaires ayant approfondi ces questions ces dernières années. Sans tous les citer, il s'agit notamment du rapport de Gilbert Barbier sur les perturbateurs endocriniens de 2011, du rapport de Sophie Primas et Nicole Bonnefoy sur l'impact des pesticides sur la santé de 2012, du rapport de Daniel Raoul sur les nanotechnologies de 2006, ou encore du rapport de Daniel Raoul également sur les effets des champs électromagnétiques produits par les lignes à haute tension.
Au terme de nos auditions, il ressort avant tout un constat assez marquant : il y a eu une véritable prise de conscience et une profonde évolution des connaissances en un laps de temps très court. Le premier plan national santé environnement (PNSE) ne date que de 2004. Il y a quelques années, les chercheurs parlaient un peu de l'impact sur la santé de l'exposition tout au long de la vie à de faibles doses de polluants. Ils parlaient aussi un peu des produits qui, comme les perturbateurs endocriniens, ont un impact particulièrement important sur les personnes qui y sont exposées à un âge précis de la vie (c'est l'effet dit « fenêtre » sur les foetus notamment). Aujourd'hui, ces notions se sont précisées, documentées. Elles sont admises par l'ensemble de la communauté scientifique. Nous ne sommes plus dans la vision linéaire pasteurienne qui identifiait une cause pour une maladie. Les pathologies chroniques qui représentent la majorité de nos dépenses ont des origines multifactorielles. Elles résultent aussi de l'impact à long terme de faibles doses, de l'exposition à des pollutions à des périodes précises de la vie, de l'exposition à des cocktails de pollution.
De fait, la notion d'exposome s'est imposée en matière d'évaluation des risques. Elle a été intégrée par les députés à l'article 1er du projet de loi relatif à la santé. L'exposome tend à donner une vision globale et complète de l'ensemble des expositions aux agents chimiques, physiques et infectieux auxquels un individu est soumis, tout au long de sa vie. La perspective, à terme, est de pouvoir superposer les différentes cartes de lecture du vivant (génome, exposome) afin d'améliorer la prévention et de délivrer une médecine prédictive personnalisée.
La meilleure connaissance de l'impact de l'environnement sur la santé se heurte pourtant à la logique encore profondément curative de notre système. Je prendrai un seul exemple : le projet de loi santé ne prévoit pas, à ce stade, de réduire les expositions auxquels sont soumis les foetus ou les adolescents, alors que ce sont là des étapes identifiées par toutes les agences comme critiques pour le développement. Ce serait pourtant une mesure de prévention ayant un impact direct sur la santé humaine.
La question de la prévention est donc cruciale aujourd'hui pour la sécurité sociale. Les expositions environnementales, tout au long de la vie, ont un impact direct établi par de grandes études internationales et françaises sur les pathologies, souvent chroniques, les plus répandues : allergies et asthme, maladies cardiovasculaires, diabète, Parkinson et Alzheimer, cancers. L'incidence des affections de longue durée a doublé en France en 20 ans, dans une progression qui ne peut pas s'expliquer uniquement par le vieillissement ou l'amélioration de la prévention et du dépistage. En 2009, les maladies chroniques touchaient plus de 23 millions de personnes et représentaient 83 % des dépenses d'assurance maladie. À titre d'exemple, la seule pollution de l'air, qui est à l'origine de nombreuses maladies de l'appareil respiratoire, représenterait un coût pour le système de soins évalué entre 0,9 et 1,8 milliard d'euros par an.
Pour effectuer une présentation aussi complète que possible de ces risques, nous allons procéder en deux temps, en distinguant, d'une part, les risques connus, d'autre part, les risques émergents.
Pour faire une typologie des risques santé-environnement, il convient tout d'abord en effet de se pencher sur les risques connus depuis de nombreuses années. Pour ces risques, il ne s'agit plus de déterminer s'il y a un impact sur la santé mais de le prévenir afin de protéger les populations. L'objectif n'est pas ici de dresser un panorama exhaustif des problématiques avérées en matière de santé environnementale, mais simplement de donner un aperçu des éléments que nous avons pu recueillir en un temps très limité. Il faut également garder à l'esprit que les scientifiques reconnaissent eux-mêmes que la liste exhaustive des polluants environnementaux et de leur hiérarchie n'est pas connue aujourd'hui.
Concernant les polluants liés à l'exploitation de matières premières ou liés à l'activité humaine, le sujet est globalement celui du respect des normes existantes ou de leur renforcement. L'un des risques les mieux documentés, mais toujours présent, est celui de l'exposition à l'amiante. Il a été envisagé, lors de l'élaboration du projet de loi santé, de prévoir des sanctions administratives en matière de gestion du risque amiante. Selon les informations que nous avons pu recueillir, cette option, qui aurait permis de mettre en oeuvre des sanctions plus légères et plus effectives que des sanctions pénales, s'est heurtée à des oppositions au niveau des arbitrages interministériels. Il faudra y réfléchir quand la loi santé nous arrivera.
En matière d'amiante, le principal défi reste aujourd'hui le désamiantage, ainsi que l'avait relevé l'année dernière le comité de suivi créé au sein de la commission des affaires sociales, composé de membres issus de l'ensemble des groupes politiques du Sénat. Le groupe de suivi a formulé dans son rapport 28 propositions tendant notamment à améliorer le pilotage de la politique de désamiantage, renforcer la qualité du diagnostic amiante, mieux protéger les travailleurs et les populations.
Par ailleurs, en matière d'amiante, une problématique a récemment émergé : celle de l'actinolite.
En juillet 2013, à l'occasion d'opérations de repérage d'amiante industriel avant travaux dans le département des Deux-Sèvres, des analyses ont identifié, dans les granulats des enrobés routiers, des traces d'amiante actinolite. L'actinolite est une roche naturelle dont l'une des variétés présente des caractéristiques amiantifères. Cette découverte a conduit à suspendre de nombreux chantiers en France. Dans l'attente de la définition d'un protocole de test fiable et partagé, les méthodes d'expertise sont aujourd'hui en débat. Un groupe de travail réunissant l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et les organisations professionnelles a été mis en place par le ministère de l'écologie pour travailler à cette définition, dont les conséquences seront lourdes. Le sujet mériterait en tout état de cause d'être approfondi dans le cadre de nos travaux.
Concernant le radon, gaz radioactif d'origine naturelle auquel l'exposition régulière accroît le risque de développer un cancer du poumon, la problématique est très localisée. Il existe une carte des départements dans lesquels la gestion du risque radon est prioritaire (essentiellement le centre de la France, la Bretagne et la Corse). Des mesures de prévention existent afin de diminuer la présence de radon dans les bâtiments, avec des aides financières de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour réaliser les travaux nécessaires.
Troisième risque avéré, et considéré comme prioritaire pour le ministère de l'écologie : la pollution de l'air. On dispose aujourd'hui d'évaluations précises des morts prématurées causées par la pollution de l'air extérieur et intérieur : l'OMS les a chiffrées à 7 millions pour l'année 2012. La commission d'enquête créée à l'initiative du groupe écologiste doit permettre de faire le point sur le coût économique et financier de cette pollution.
Nous n'avons pas pu creuser le champ de la pollution de l'air intérieur au cours de nos auditions. Il semble pourtant qu'il y ait là une marge importante en matière d'évaluation des risques et de prévention.
La pollution de l'air est par ailleurs assez emblématique du décalage qui existe en matière de réglementation entre milieu professionnel et milieu général. Un exemple, abordé au cours des débats sur le projet de loi relatif à la transition énergétique : l'exposition aux particules fines. Alors que le taux d'exposition autorisé pour les travailleurs dans les locaux à pollution spécifique, comme le métro, est encadré par le code du travail, il n'existe pas de normes pour la population générale en matière d'air intérieur. Or, on sait que le métro, notamment, est l'endroit où l'exposition aux particules fines est la plus forte.
Concernant les UV, là aussi, le risque est avéré et bien connu et documenté par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). L'Académie de médecine recommande depuis de nombreuses années l'interdiction pure et simple des cabines de bronzage. Chantal Jouanno l'avait proposé avec Bernard Cazeau au cours de la mission sur les dispositifs médicaux. Il faudra aborder cette question au cours de l'examen de la loi santé.
Pour finir, concernant l'impact des pesticides sur la santé, une expertise collective de l'INSERM a fait le point en 2013 sur l'ensemble des risques sanitaires connus et avérés. D'après les données de la littérature scientifique internationale des 30 dernières années, il apparaît qu'il existe une association positive entre l'exposition professionnelle aux pesticides et certaines pathologies chez l'adulte : maladie de Parkinson, cancer de la prostate et certains cancers (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples). Par ailleurs, les expositions aux pesticides intervenant au cours des périodes prénatale, périnatale et durant la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l'enfant. Les études se multiplient et réduisent à chaque fois l'étendue des doutes scientifiques. Une décision du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), le 20 mars dernier, a classé le glyphosate, molécule à la base du Roundup, l'herbicide le plus utilisé au monde, dans la catégorie 2A de son classement, c'est-à-dire comme cancérogène probable.
Mme Chantal Jouanno. - Notre deuxième axe de réflexion au cours de ces travaux a été d'identifier et de faire le bilan des connaissances en matière de risques émergents. Plutôt que de parler de risques émergents, il nous a d'ailleurs été suggéré de parler de « risques à forte incertitude scientifique ».
L'enjeu central qui ressort des auditions menées sur ce sujet est le soutien de la recherche. En matière de santé environnementale, la preuve épidémiologique arrive bien souvent trop tard. Comme nous l'ont rappelé nos interlocuteurs, le lien entre corrélation épidémiologique et causalité médicale n'est pas toujours évident à établir. À titre d'exemple, en matière d'ondes électromagnétiques, la corrélation entre exposition aux basses fréquences et leucémies chez les enfants est présente et étudiée depuis 1979 mais le lien de causalité n'est toujours pas établi. Dans son avis de 2013 sur l'effet des radiofréquences sur la santé, l'Anses relève une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs de téléphones portables. Cette conclusion est cohérente avec la position du CIRC qui classe les radiofréquences comme cancérogène possible pour les utilisateurs intensifs des téléphones mobiles.
Il apparaît donc nécessaire de favoriser les recherches multidisciplinaires sous l'égide des grands regroupements comme Avicent : cela permet d'allier recherche épidémiologique, recherche biologique et recherche médicale.
Les études épidémiologiques requièrent des financements pérennes afin de mesurer l'impact des expositions multiples sur la santé des populations. La cohorte Estéban, actuellement en cours de suivi, nécessite 8 millions d'euros pour fonctionner mais n'a pas de garanties de pérennité.
Sur ce sujet du financement, plusieurs points nous semblent devoir être approfondis. Le financement des appels d'offres mais aussi leur forme devraient être adaptés à la prise en compte des problèmes spécifiques de santé environnementale. Les acteurs du secteur ont souligné la perte de structuration voire de mobilisation des chercheurs français compétents dans ces secteurs, à la suite de la modification des appels d'offres de l'Agence nationale de la recherche. L'enjeu est véritablement celui du maintien d'une compétence de la recherche française en santé environnementale.
Au-delà de cet enjeu global en matière de recherche, deux sujets d'attention sont ressortis de cette première série d'auditions en matière de risques émergents : les perturbateurs endocriniens et les nanoparticules.
Les perturbateurs endocriniens sont une bonne illustration de la dimension fortement européenne de la problématique santé-environnement. Ainsi que l'indiquait notre collègue Gilbert Barbier dans son rapport, les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle, étrangères à l'organisme, qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système hormonal et induire des effets délétères sur l'individu ou sur ses descendants.
L'Europe a adopté en 1999 une stratégie communautaire sur les perturbateurs endocriniens. L'enjeu à court terme était d'établir une liste, au niveau européen, des substances reconnues prioritaires. Quinze ans plus tard, il n'existe toujours pas de définition des perturbateurs. Le poids du lobbying des industriels européens sur cette question a été décisif. En effet, en fonction de la définition retenue, une liste plus ou moins longue de produits tombe sous le coup de la définition.
En France, le bisphénol A, perturbateur endocrinien reconnu, a été interdit. Selon les informations qui nous ont été fournies, cette interdiction risque de placer la France sous le coup d'un contentieux communautaire. La législation européenne est en effet très stricte sur ce type de moratoires : il faut avoir démontré la proportionnalité de l'interdiction, ainsi que son caractère non discriminatoire. Or, les négociations au niveau européen se heurtent souvent à la difficulté pour les pouvoirs publics de chiffrer les bénéfices économiques attendus d'une mesure de santé publique, tandis qu'il est facile pour les industriels d'évaluer le manque à gagner provoqué par une telle interdiction.
Pour autant, là aussi, la recherche progresse. Plusieurs études récentes ont chiffré le coût des perturbateurs endocriniens pour la société, avec d'importantes variations dans les chiffres, qui tiennent à l'instabilité de la définition :
- selon le rapport de l'Alliance pour la santé et l'environnement (Health and Environment Alliance, HEAL) du 18 juin 2014, ce coût serait de 5 milliards d'euros pour le système de santé allemand, de 4 milliards d'euros par an pour le système français et de 31 milliards d'euros au niveau européen ;
- un rapport encore plus récent, de 2015, paru dans le Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism évalue à plus de 150 milliards d'euros le coût sanitaire pour l'Union européenne de l'exposition des populations à ces substances, dont 45 milliards pour la France.
Là encore, vous le voyez, des approfondissements de nos travaux seraient utiles sur les perturbateurs endocriniens.
Autre risque émergent qu'il conviendrait d'étudier en détail : les nanoparticules. Nous n'avions pas prévu, à l'origine, de soulever cette question. Mais nos interlocuteurs, tous membres d'instances officielles, ont manifesté le souhait de le voir inscrit dans nos débats. La France est relativement pionnière sur cette question, dans la mesure où elle impose une déclaration aux pouvoirs publics pour les entreprises important et fabriquant des produits à base de nanomatériaux. Ces déclarations ont permis de constater l'importation ou la fabrication de 400 000 tonnes de nanomatériaux, dans des secteurs qui vont des peintures aux cosmétiques, en passant par l'alimentation et le textile.
Il faut développer la recherche sur ces matériaux, ce qui implique de les définir et de mettre en place un protocole d'étude adapté. À ce jour, il nous a été indiqué que la définition des nanoparticules se fonde sur leurs dimensions, et non sur des notions de risque.
Aux États-Unis, un programme de recherche fédéral, le National Nanotechnology Initiative (NNI), regroupe les travaux relatifs aux nanomatériaux de 20 départements et agences gouvernementales. Son budget 2015 s'élève à 1,5 milliard de dollars, dont 105 millions sont consacrés aux questions sanitaires et environnementales... On mesure facilement le retard considérable pris en Europe dans la recherche sur ce sujet, et les conséquences que cela implique ensuite en termes de prévention des risques. L'Ineris nous a indiqué l'écart particulièrement important qui existe entre les budgets alloués par les entreprises pour développer des nanoparticules et les budgets de recherche en France ou en Europe qui ne dépassent pas le million d'euros.
Les personnes auditionnées ont particulièrement insisté sur l'importance d'une prise en compte des risques liés aux nanoparticules qui se trouvent désormais dans un nombre considérable de produits de consommation mais dont le suivi est incomplet et l'évaluation encore insuffisante. Vous serez probablement comme nous surpris d'apprendre qu'on retrouve des nanomatériaux jusque dans les enrobages en dragée de nos chewing-gums...
De manière générale, après ce bref état des lieux des connaissances en matière de santé environnementale, il ressort des auditions qu'il est urgent de trouver les moyens de sortir du modèle « crise sanitaire - réaction des pouvoirs publics ». Ce n'est pas un mode d'action efficace, surtout quand la santé de la population est en jeu.
Il nous semble nécessaire de poursuivre les travaux débutés : de nombreuses pistes de travail intéressantes restent à explorer. Après ce point d'étape, il nous semble important de réaliser un rapport d'information. De nombreux amendements santé-environnement ont d'ores et déjà été adoptés à l'Assemblée nationale, de manière transpartisane, dans le cadre de la loi santé. Le Sénat pourrait utilement compléter et enrichir cette démarche par la réalisation d'un travail de fond sur le sujet.
Nous pensons notamment à la réalisation d'une étude de droit comparé qu'il nous a été impossible de mener faute de temps. Un pays comme la Suède, qui a pris des mesures de réduction de l'exposition de certaines catégories de la population aux facteurs de risques environnementaux, semble constituer un bon exemple.
M. René-Paul Savary. - Je remercie vivement nos deux collègues pour leur communication. Je souhaite revenir sur le problème de l'amiante, notamment dans les enrobés des routes. En France, les normes sont tellement drastiques comparées à celles des autres pays d'Europe que nous sommes extrêmement pénalisés dans nos investissements routiers. La toxicité des hydrocarbures aromatisés, utilisés depuis plusieurs années, engendre également des coûts majeurs de retraitement, sans compter les mesures de protection nécessaires pour les personnels travaillant sur les routes : les répercussions économiques sont donc très importantes.
Il faut absolument réaffirmer le principe d'innovation, pour encourager les investissements sans compromettre la santé de nos concitoyens : faisons donc avancer la recherche, avant d'interdire ! Si on ne trouve pas de solutions de substitution de moindre impact sur la santé, tout en restant financièrement supportables, on est dans une impasse.
M. Louis Nègre. - Je tiens à souligner que nous sommes très nombreux aujourd'hui : cela prouve que la santé environnementale est un sujet important qui touche tous les Français.
M. Hervé Poher. - Je remercie à mon tour Chantal Jouanno et Aline Archimbaud pour leur état des lieux des connaissances, des certitudes, mais aussi des incertitudes en matière de santé environnementale.
Vice-président en charge de la santé et de l'environnement pendant 18 ans au conseil général du Pas-de-Calais, j'ai pu constater trois réalités : tout d'abord, mon département est le premier touché en termes de cancers et de maladies cardio-vasculaires. Triste record qu'on impute de manière un peu simpliste à un tropisme pour la bière et les frites...
Ensuite, il existe des poches de pathologies qui, d'après les experts, correspondent à la carte du chômage. Je note qu'elles coïncident aussi, étrangement, avec celle des bassins industriels...
Enfin, les analyses de l'eau en Pas-de-Calais sont très mauvaises : on y trouve tellement de substances qu'on pourrait rédiger un catalogue de La Redoute ! Cela m'avait d'ailleurs malheureusement poussé à demander à Jean-Louis Borloo de reculer à 2021, puis 2027, l'application de la directive-cadre sur l'eau. Le bassin Artois-Picardie doit assumer un passé industriel et de champs de batailles, et un présent agricole : inutile de vous en détailler les conséquences !
Je suis donc persuadé que la mauvaise santé des citoyens du Pas-de-Calais est liée à un environnement néfaste. D'où ma question : a-t-on vraiment encore besoin de certitudes scientifiques, ou le silence sur les questions de santé environnementale est-il dû à une omerta pour raisons économiques ?
J'en profite pour rappeler que le problème posé par l'amiante avait déjà été soulevé en France en...1904 !
Mme Laurence Cohen. - Je remercie à mon tour nos collègues pour les informations qu'elles nous ont fournies, et je précise d'emblée que je souscris tout à fait à leur proposition de poursuivre ce travail : beaucoup de pistes sont à approfondir.
Alors que la prise de conscience des effets de l'environnement sur la santé s'affirme, on constate que les mesures prises ne sont pas à la hauteur des enjeux. J'ai d'ailleurs récemment interrogé Ségolène Royal sur la baisse de 15 % de la subvention d'Airparif. Son action est pourtant essentielle : le 18 mars dernier, Paris a été la capitale européenne la plus polluée, et l'alerte a justement été lancée par Airparif !
Le rapport de Chantal Jouanno et Aline Archimbaud et les interventions de mes collègues vont dans le même sens : il faut plus de moyens pour la recherche et la prévention. Comment peut-on débloquer des fonds alors même que le gouvernement annonce des budgets de plus en plus contraints ?
Je me demande également où en est la recherche. Que font les industriels ? On a montré que les sels d'aluminium migraient vers le cerveau, mais on continue de les ajouter dans de nombreux produits utilisés au quotidien. Le même débat avait déjà eu lieu avec l'amiante et le bisphénol A. Il faut développer des produits alternatifs, moins dangereux, et pour cela il faut soutenir la recherche, qui pour l'instant n'aboutit pas.
Mme Évelyne Didier. - Je joins ma voix aux remerciements déjà exprimés.
L'un des facteurs de difficulté est l'exposition multiple. Cela va d'ailleurs devenir un problème dans tous les domaines lorsqu'il s'agira d'établir la responsabilité des uns et des autres.
Il semble évident qu'on ne pourra pas résoudre le problème sans une politique de prévention solide sur l'ensemble de la population, et pas seulement sur les personnes fragiles - les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées...
Avez-vous pu aborder les conséquences de la radiation ionisante des aliments ? C'est une pratique de plus en plus courante qui doit nous alerter.
Mme Chantal Jouanno. - Je tiens à préciser que notre rapport n'évoque que les points soulevés par les agences auditionnées : c'est la raison pour laquelle on a abordé les nanoparticules, mais pas les radiations ionisantes. Nous ne voulions pas orienter les débats ; nous avons choisi de laisser les agences nous parler librement des problèmes qu'elles avaient identifiés.
Je crois que la vraie difficulté tient au fonctionnement de notre système de santé, pensé pour les maladies « transmissibles ». Pour chaque symptôme, on a une cause identifiée. Les effets de l'environnement sur la santé se déclinent eux sous trois formes : l'impact à long terme de l'exposition répétée à de faibles doses ; un effet cocktail, lorsque les conséquences de plusieurs pollutions ou perturbateurs se cumulent ; et un effet-fenêtre, qui fait beaucoup débat aujourd'hui, et qui consiste en l'exposition à des produits néfastes à certains moments-clés de la vie, au stade foetal ou à l'adolescence par exemple. Le cumul de ces trois effets rend difficile l'isolement d'une cause unique aux problèmes de santé de chaque bassin de vie. Je suis peut-être trop bienveillante, mais je pense qu'il s'agit d'une difficulté réelle, et pas d'une omerta.
Nous devons objectiver le rapport coût/bénéfices des politiques de prévention, notamment des réductions d'exposition : pour le moment, nous ne disposons pas de données chiffrées des bénéfices, et les efforts qui seraient pourtant nécessaires peuvent paraître coûteux et démesurés. On est tous très surpris de la baisse de dotation à Airparif, à un moment où les crises médiatiques sur les pics de pollution se multiplient. Là aussi, c'est une décision liée à l'absence d'estimation économique des bénéfices. D'ailleurs, pourquoi les études d'impact sont-elles toujours menées par le Gouvernement ? Je suis très critique vis-à-vis de cette autojustification... Mener ces études pourrait être une mission confiée à notre Haute assemblée.
Enfin, concernant l'amiante, je crois que l'excès de normes incite à créer des stratégies de contournement qui débouchent sur les problèmes que René-Paul Savary a évoqués.
Mme Aline Archimbaud. - Sur l'amiante, je souhaite préciser à nos collègues de la commission du développement durable que la commission des affaires sociales a créé en 2013 un comité de suivi de l'amiante. Les nombreuses auditions ont été suivies d'un rapport au Gouvernement contenant 28 propositions. L'une des principales recommandations concernait la création d'un comité de pilotage gouvernemental, sous l'autorité du Premier ministre, pour coordonner et prioriser les actions de désamiantage. Aujourd'hui, tous les acteurs privés et publics sont démunis face à l'ampleur de la tâche. L'union sociale pour l'habitat nous précisait par exemple qu'il faudrait 2,3 milliards d'euros par an pour mener à bien le désamiantage... c'est faramineux !
Nous recommandions également la mise en place d'une filière économique du désamiantage, avec un pôle de recherche et développement important et le soutien à la formation, notamment dans le domaine du bâtiment, pour éviter les erreurs de diagnostic. Le désamiantage est aujourd'hui un véritable défi.
Nous avons également rencontré des chercheurs désemparés : la recherche dans le domaine santé et environnement subit une baisse dramatique des effectifs, et les appels à projets récompensent systématiquement des projets plus « créatifs ». Or, il faut qu'on soutienne cette recherche dans la durée : c'est notre responsabilité de législateur, et il faudra y revenir lors de l'examen du projet de loi de santé. Les chercheurs ont d'ailleurs vivement insisté sur leur souhait de travailler sur des solutions de substitution : aujourd'hui, rien n'est fait dans ce domaine. Ils ont également souligné le manque d'économistes pour établir les bénéfices des actions de prévention.
S'il est évident que des pressions ont empêché jusqu'aujourd'hui d'établir une liste des perturbateurs endocriniens, il apparaît que les industriels ont peu de moyens pour établir les risques sanitaires de certains produits. Là encore, il faut encourager la recherche.
M. Dominique Watrin. - Un colloque s'est tenu lundi sur le sujet de l'amiante. Certaines normes ont des implications économiques, notamment pour les enrobés routiers. Le principe de précaution peut être remis en cause, mais ce n'est pas toujours ce principe qui prévaut dans la réalité. Je prendrai un exemple : l'Anses préconise d'abaisser le seuil d'exposition à l'amiante de la population à 0,47, alors que la norme est aujourd'hui de 5 fibres par litre d'air. Or, l'avis de la Haute Autorité de Santé est que dans la mesure où l'on n'arrive pas à faire respecter la norme actuelle, il est inutile d'aller plus loin. Le problème de l'amiante est toujours devant nous. Nous sommes face à un véritable drame sans avoir toujours conscience de cette réalité. Il faut punir lorsque les règles ne sont pas respectées : la punition, lorsqu'elle est sévère, est aussi de la prévention. Il faut également de la transparence. Quand les règles ne sont pas respectées, par exemple pour les diagnostics techniques dans le bâti, la publication de l'état réel sur un site internet permettrait une prise de conscience de la population des manquements dans ce domaine et créerait peut-être des mobilisations citoyennes.
M. Ronan Dantec. - Le lien de confiance avec le citoyen usager consommateur est rompu. C'est un problème économique. Les habitants de ce pays sont informés et conscients du scandale de l'amiante : pendant un siècle, la puissance publique a été incapable d'assumer un scandale sanitaire connu. Ils découvrent actuellement que le Roundup leur a été vendu comme un produit miracle et que ce produit est cancérogène. Les publicités de l'époque disaient pourtant qu'on pouvait le boire sans danger... La puissance publique a dans cette affaire brillé par son absence totale. Le citoyen ne lui fait donc plus confiance en matière sanitaire, ce qui n'est qu'un symptôme d'un manque de confiance global dont on voit les conséquences politiques.
Dans ce contexte, les citoyens se rabattent sur des luttes qu'ils pensent pouvoir gagner ; je pense aux pylônes de téléphonie, alors même que le risque sanitaire relève probablement plus du téléphone portable. En termes économiques, cela induit des coûts réels. La question qui se pose à nous est donc celle de la restauration de la confiance entre la puissance publique et le citoyen.
Or, la puissance publique, avec le soutien de parlementaires très perméables aux lobbies industriels, aime casser les thermomètres. Au moment de la crise de la viande de cheval, les moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont été réduits. La question n'est donc pas tant de flécher un risque plutôt qu'un autre mais de construire la crédibilité de l'action publique.
Pourquoi l'État n'applique-t-il pas la loi, votée ici au Sénat, sur la mise en place d'une commission indépendante de suivi de l'expertise et des lanceurs d'alerte ? C'est un exemple parmi d'autres du refus de l'État d'aller au bout de la transparence. Si on n'agit pas, les coûts économiques induits par les mobilisations citoyennes au nom d'un principe de précaution parfois mal compris seront considérables.
M. Yves Daudigny. - Les premiers résultats de ces travaux sont passionnants, inquiétants et au coeur des problématiques de santé de notre époque.
Faut-il considérer que le « tout génétique » a vécu ? J'ai longtemps pensé que tout était inscrit dans les gènes, et qu'un stade ultérieur de la médecine consisterait à les modifier. Les facteurs environnementaux sont-ils devenus les plus déterminants en matière de santé publique ?
Faut inclure l'alimentation dans l'environnement ? Je pense aux produits alimentaires industriels et aux nouveaux modes de consommation.
Je suis favorable à l'idée d'effectuer des comparaisons internationales. J'ai en tête le développement moindre des maladies chroniques au Japon, de l'ordre de 25 % en moins par rapport aux pays européens. Il serait intéressant d'essayer d'en connaître les causes. Il semblerait que les populations japonaises, lorsqu'elles vivent de longues périodes aux États-Unis ou en Europe, rejoignent les statistiques des pays européens, ce qui serait un élément de réponse.
M. Rémy Pointereau. - Je voudrais féliciter les deux rapporteurs. L'impact des pesticides dans le milieu agricole, et de l'exposition des professionnels, est un vrai sujet. Avez-vous des cartes indiquant les maladies professionnelles recensées par département ?
Nous posons ici les bonnes questions, mais je ne suis pas sûr que nous apportions les bonnes réponses. Un travail important de prévention a été fait dans le monde agricole. Nous constatons moins de problèmes qu'il y a trente ou quarante ans avec les organophosphorés. L'agriculture et l'industrie ne sont pas responsables de tous les maux.
Que faut-il faire ? Supprimer l'agriculture intensive et même raisonnée et se diriger vers l'agriculture biologique ? On connaît le problème des mycotoxines. L'industrie est de moins en moins présente dans notre pays. L'espérance de vie augmente en France, du fait des progrès de la médecine, mais probablement aussi de l'alimentation. La recherche et l'innovation sont des priorités.
Mme Hermeline Malherbe. - Vous nous avez indiqué avoir traité les sujets proposés par les agences. Qu'en est-il de la pollution de l'eau ? On parle des pesticides, sur lesquels beaucoup a été fait. Je suis surprise que les médicaments ne soient pas évoqués, en particulier les antibiotiques, et leur impact sur l'eau.
M. Pierre Médevielle. - Lors des auditions sur mon avis budgétaire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, j'avais entendu l'Anses qui m'avait fait part de problèmes de fonctionnement : ils ont du mal à traiter dans les temps les dossiers en matière de pesticides. La France est aujourd'hui le premier consommateur européen de pesticides, avec près de 65 000 tonnes, sur lesquelles la viticulture représente 20 % pour seulement 3 % de la surface agricole utile.
Un rapport récent a été remis sur la viticulture, par un médecin toxicologue dans le cadre de l'association santé travail interprofessionnelle avec des médecins de la médecine du travail de la région Midi-Pyrénées. Le rapport fait état de risques de tumeurs cérébrales et de maladies de Parkinson multipliées par 11. Ce rapport a été remis à l'Anses, sans nouvelles à ce jour.
Mme Evelyne Yonnet. - Je salue également le rapport qui a été présenté. Dans mon département, les questions de santé-environnement ne sont pas des priorités. Nous avons un passé très industriel, beaucoup de sols pollués. Il nous faut quand même construire. Nous avons également des problèmes de peinture au plomb, qui a fait beaucoup de dégâts sur les enfants atteints de saturnisme. Il y a un cumul de problématiques. Nous avons demandé une étude de santé, qui a permis de constater la présence de pathologies très ciblées, comme dans la région Nord-Pas-de-Calais, avec notamment des cancers de la plèvre, des arrêts cardiaques. Nous avons une moins bonne espérance de vie qu'ailleurs. Il faut imaginer un nouveau mode de vie et de respect de notre planète. C'est une prise de conscience majeure. Le discours sur l'environnement est assez récent.
Où en est-on sur le dossier de l'hôpital Bichat, qui contient beaucoup d'amiante ? On a entendu parler d'un déménagement de l'hôpital à Saint-Ouen parce que le désamiantage coûterait trop cher. Pourrait-on suivre ce dossier test en matière de désamiantage ?
Mme Annick Billon. - Concernant les pesticides, il faut trouver des produits de substitution, donc investir dans la recherche. En matière de politique des déchets, des filières de responsabilité élargie des producteurs ont été mises en place. Est-ce la solution pour les pesticides ?
Nous imposons toujours davantage de normes et de contraintes en France. Les nanoparticules sont présentes dans de nombreux produits de consommation. Si l'on décide de mesures de restrictions sur ces produits, valables uniquement en France, nous allons pénaliser nos entreprises par rapport au marché mondial.
Mme Chantal Jouanno. - Beaucoup de vos questions portaient sur les réponses à apporter à ces problèmes de santé. Cela montre l'intérêt qu'il y aurait à poursuivre nos travaux, sur le lien de confiance, sur la responsabilité, sur l'application des dispositions existantes. L'objet de notre mission, défini par les présidents des deux commissions, était de faire un état des lieux des connaissances. Il serait intéressant d'aller voir ce qui se fait dans les autres pays européens, dans la mesure où ces sujets sont généralement traités au niveau européen.
L'espérance de vie augmente certes, mais pas celle sans handicap et sans incapacité. Certaines problématiques sanitaires se développent fortement. L'asthme et les allergies touchent 30 % de la population, et en toucheront 50 % en 2030. La fertilité, notamment masculine, est régulièrement évoquée en lien avec les pesticides. Un lien serait également établi entre les particules et les accidents vasculaires cérébraux. La question se pose de limiter le coût pour le système sanitaire de ces nouvelles pathologies.
Le sujet des résidus médicamenteux dans l'eau a été identifié en 2009 dans le précédent plan national santé-environnement, avec un programme de recherche dédié. La question du plomb est bien documentée : il s'agit désormais d'appliquer correctement les normes.
Sur le lien entre l'alimentation, la génétique et l'environnement, un colloque récent a rappelé que l'interaction entre l'homme et son environnement est permanente : c'est la question de l'anthropocène. Cela ne supprime pas les questions liées à la génétique et à l'alimentation. Il est difficile de séparer les différents sujets, d'où l'intérêt d'une loi de santé publique, qui devrait les traiter de manière cohérente et systémique.
Mme Aline Archimbaud. - Les interactions entre génétique et environnement sont effectivement multiples et dans la durée.
Les pesticides dans la viticulture n'ont pas été évoqués lors des auditions ; il s'agira d'un sujet à approfondir.
L'Ineris dispose d'une carte des départements et des maladies professionnelles. Il serait intéressant d'identifier les pathologies présentes dans les régions agricoles ainsi que dans les zones urbaines. Il y a un lien à faire avec les inégalités sociales et territoriales. Des études danoises et suisses montrent par exemple une corrélation claire entre les pathologies pulmonaires et le fait de résider à côté d'une zone à grande circulation.
L'objectif de notre rapport n'était pas de proposer des solutions, mais bien de faire un état des connaissances au moment où la loi de santé publique arrive en débat. C'est l'occasion, pour nous législateurs, d'approfondir d'ici là. Les pistes de réponse consistent à investir plus dans la recherche, dans les produits de substitution, à mettre en place plus de transparence et, enfin, à appliquer mieux la loi. Les stratégies de contournement des règles parfois constatées s'expliquent par le manque d'accompagnement des acteurs, qui se trouvent démunis face aux problèmes.
Il s'agit maintenant de savoir si l'on peut approfondir ce travail.
M. Louis Nègre. - Les sujets soulevés sont passionnants. Avec du pragmatisme et de la transparence, il serait utile de poursuivre les travaux.
La réunion est levée à 12 h 50.