Mercredi 4 février 2015
- Présidence de Mme Catherine-Morin Desailly, présidente, puis de Mme Colette Mélot, vice-présidente -Table ronde sur l'avenir de France Télévisions
La réunion est ouverte à 9 heures 30.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous poursuivons ce matin nos travaux sur l'avenir de France Télévisions.
Ces travaux s'inscrivent dans la perspective de la nomination du président de France Télévisions, décision que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) devra prendre au cours de l'année 2015. Elle constitue l'occasion, pour notre commission, de mesurer le respect des dispositions inscrites par le législateur dans le cahier des charges du 23 juin 2009.
Notre commission peut s'appuyer sur le bilan de la société France Télévisions pour la période 2010-2014 établi par le CSA, conformément à la loi. Il nous appartient aujourd'hui de prendre toute notre place dans la réflexion sur le devenir de l'audiovisuel public, d'y réfléchir mais aussi de nous pencher sur les évolutions souhaitables.
Un certain nombre de questions ont déjà émergé de nos réflexions lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015 avec, en premier lieu, celle du financement de l'audiovisuel public. Sur ce dernier point, nous avons décidé la création d'une mission d'information conjointe avec la commission des finances.
Il nous faut également nous pencher sur la question des missions et de la gouvernance de l'entreprise publique et sur la manière dont le groupe poursuit sa mutation numérique. Comment s'inscrira-t-il dans le cadre élargi de la compétition mondiale ?
Enfin, quel est l'impact sur l'organisation et les missions de France 3 du redécoupage de nos régions et de leur élargissement ?
Nous souhaitons que nos invités, tous experts de l'audiovisuel public, nous éclairent sur ces différents points. Je les accueille au nom de la commission. Il s'agit de :
- M. Patrick Van Bloeme, co-président de la société Harris Interactive ;
- Mme Simone Harari, ancienne présidente de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) et productrice ;
- M. Guillaume Klossa, membre du comité directeur de l'Union européenne de radiotélévision (UER) ;
- Mme Michèle Reiser, ancien membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), réalisatrice, productrice et auteur de films de télévision ;
- M. Serge Schick, directeur délégué au marketing stratégique et au développement de Radio France ;
- M. Marc Tessier, ancien président de France Télévisions et ancien président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ;
- M. Dominique Wolton, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en sciences de la communication et administrateur de France Télévisions.
Je vous propose tout d'abord de laisser M. Van Bloeme commenter les résultats d'une étude réalisée par Harris Interactive sur les Français et la télévision publique.
M. Patrick Van Bloeme, co-président de la société Harris Interactive. - Il s'agit d'un sondage réalisé pour Télérama sur l'opinion des Français sur la télévision publique, et non sur la perception qu'ils peuvent avoir de la qualité des programmes, que nous mesurons par ailleurs quotidiennement, notamment pour France Télévisions.
Ce sondage a été réalisé en décembre 2014 auprès de 1 000 Français, selon un échantillon représentatif, sur des critères classiques - sexe, âge, catégorie professionnelle, région de résidence.
Avant d'entrer dans les questions fermées, classiques dans les sondages, nous avons décidé de poser des questions plus ouvertes, afin de connaître les évolutions spontanées associées aux chaînes de télévision publique.
Lorsqu'on leur demande ce qu'évoque pour eux la télévision publique, les Français parlent des programmes, de la publicité et de la redevance, parfois de manière reliée, mais aussi de l'intérêt des émissions. Le terme « trop » revient souvent pour qualifier la publicité, la redevance, etc.
68 % des Français estiment qu'il existe une différence entre les chaînes du service public et les chaînes privées, sans toutefois pouvoir évaluer sur le fond s'ils sont satisfaits ou insatisfaits. Il y a une dizaine d'années, dans le même sondage, réalisé à l'époque par TNS Sofres pour Télérama, 60 % des Français seulement répondaient positivement à cette question. Les choses ont donc positivement évolué.
38 % des personnes estiment que la différence se situe principalement dans les programmes, 26 % dans le volume de publicité et 22 % dans le financement de ces chaînes. Il y a deux ans, la différence était plus marquée de ce point de vue, les programmes apparaissant à 54 % comme le critère le plus segmentant.
La disparition de la publicité après 20 heures sur les chaînes de service public constitue une évolution majeure de ces dix dernières années. De ce fait, les téléspectateurs, dans leurs réponses, accordent plus d'importance à l'augmentation de la redevance qu'aux programmes.
D'une manière générale, en France, l'image des chaînes de télévision est plutôt bonne. Les téléspectateurs, qui regardent par ailleurs beaucoup la télévision, jugent les programmes qu'ils ont choisis généralement très satisfaisants. 69 % des Français ont une bonne image des chaînes publiques, contre 61 % pour les chaînes privées. L'écart n'est donc pas extrêmement significatif mais il existe, dans l'esprit des Français, une prime à la télévision de service public.
Nous nous sommes ensuite intéressés à ce qui peut caractériser les chaînes de France Télévisions. 85 % des Français considèrent que les chaînes de service public sont accessibles à tous. 70 % estiment qu'elles sont culturelles, 60 % pensent qu'elles sont éducatives, de qualité et d'un caractère divertissant.
Les critères moins positifs à l'égard des chaînes de service public sont très reliés : il s'agit de la modernité et du caractère original ou innovant. La perception qu'en ont les téléspectateurs est, de ce point de vue, plutôt faible. L'indépendance de la télévision publique est peu citée par les téléspectateurs.
Nous avons par ailleurs demandé si l'évolution des chaînes publiques allait plutôt dans le bon ou dans le mauvais sens. Il est difficile de commenter les résultats, car on peut considérer que la population est particulièrement divisée sur ce sujet. Les personnes ayant plutôt une bonne image des chaînes publiques considèrent que l'évolution va dans le bon sens, alors que les autres pensent le contraire. Il s'agit donc d'un statu quo.
Nous avons également demandé si la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques avait eu un impact positif sur leur image. 52 % des Français considèrent que l'impact est positif, 15 % négatif, le reste ne souhaitant pas se prononcer. Une partie non négligeable de la population n'a pas bien compris les fondements de cette évolution. L'impact sur l'heure de démarrage des programmes de première partie de soirée est également positif, à hauteur de 51 %.
Les avis sur la qualité des programmes sont partagés, voire neutres, 44 % de la population ne se prononçant pas sur le sujet.
Enfin, l'impact de la suppression de la publicité sur le montant de la redevance est perçu comme négatif.
Nous avons également demandé aux téléspectateurs quelles chaînes publiques ils regretteraient le plus si celles-ci venaient à disparaître. Certaines réponses sont logiques, mais d'autres plus surprenantes.
France 2, chaîne la plus regardée et perçue comme la plus importante du groupe, arrive en tête, mais France 5 apparaît en deuxième position, devant France 3. Le fait que l'on soit téléspectateur assidu ou non de France 5 ne change en rien la perception que peuvent en avoir les téléspectateurs.
Pour finir, nous avons interrogé les téléspectateurs sondés pour savoir s'ils étaient favorables à un basculement sur le numérique des chaînes dites « secondaires », comme France 4, France 5, et France Ô. Les Français y sont défavorables, sans grande surprise. La tendance de ces dernières années étant de proposer de plus en plus de chaînes gratuites sur les téléviseurs, il est anachronique de proposer d'en retirer, même si le numérique se développe. La multiplication des écrans n'a donc, pour le moment, pas nui à l'audience de la télévision sur le téléviseur. Celle-ci reste importante. Les Français y passent énormément de temps et tiennent à retrouver leurs chaînes sur ce support.
Voilà donc la perception que peuvent avoir les Français de la télévision publique. Il n'y a pas de désamour entre les deux. Certaines personnes y sont attachées, d'autres non. Ceci est parfois lié à l'appréciation qu'ils portent sur la qualité des programmes, parfois à une vision politique, mais l'importance et la spécificité du service public sont reconnues. Elles pourraient l'être davantage mais, globalement, les Français sont attachés à la télévision de service public. Ils la connaissent et savent reconnaître un certain nombre de ses qualités.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci d'avoir campé le décor, en commentant cette étude réalisée en décembre 2014.
La parole est à présent à Marc Tessier. Monsieur Tessier, comment considérez-vous aujourd'hui l'audiovisuel public ? Quel est, selon vous, son avenir ?
M. Marc Tessier, ancien président de France Télévisions et du CNC. - Je ne suis guère surpris des résultats de ce sondage. Vous avez rappelé que vous en aviez déjà réalisé un, il y a dix ans. Je pense que les observations étaient les mêmes à l'époque, même pour ce qui concerne la hiérarchie des chaînes. C'est pourquoi le thème que j'ai choisi ce matin portera sur l'aptitude au changement du groupe France Télévisions et sur sa gouvernance.
Malgré les réformes intervenues - et il y en a eu toute une série depuis une trentaine d'années - le contenu du débat reste le même et la perception du téléspectateur a peu évolué. C'est cette stabilité, dans un monde qui évolue extraordinairement rapidement, qui pose question. Elle doit nous interpeller à propos du mode de gouvernance et du pilotage de France Télévisions, indépendamment des questions que nous connaissons bien concernant ses moyens financiers, la nature de ses programmes, etc.
Je rappelle que ce qui a beaucoup changé et qui affecte France Télévisions, c'est l'évolution de l'information et la façon dont les Français accèdent maintenant à celle-ci.
Ce qui a également beaucoup changé pour France Télévisions, c'est la nature même des oeuvres diffusées par la télévision et leur importance relative. Le passage de fictions unitaires à des séries devenues des moteurs de l'audience, ainsi que leur perception par les téléspectateurs sont des éléments fondamentaux ; ils introduisent une concurrence supplémentaire pour France Télévisions.
Je ne parle pas du sport, les données économiques de la télévision sportive étant en effet radicalement différentes. Là aussi, la modification est importante pour France Télévisions. Le mode de réception des programmes et la place de la consommation à la demande constituent des changements radicaux, en particulier pour certaines catégories de téléspectateurs. Par ailleurs, la politique de diversification de l'offre télévisuelle de l'État, tout à fait légitime, ne peut qu'affecter France Télévisions.
France Télévisions a-t-il beaucoup changé dans cet environnement ? France Télévisions a, à ma connaissance, engagé deux grands chantiers, qui vont dans le sens d'une adaptation à cette évolution. Ces chantiers sont loin d'être aboutis.
Le premier concerne le rapprochement de ses rédactions, afin de participer à l'évolution. Il s'agit d'un chantier majeur, déjà prioritaire qui remonte à environ quinze ans, et qui est toujours en devenir - même s'il a beaucoup évolué ces dernières années. On peut en féliciter l'équipe actuelle.
Le second chantier concerne l'adaptation des programmes de France Télévisions et du mode de diffusion au réseau Internet et au réseau numérique. Un effort important a été réalisé, mais il est sans commune mesure avec les moyens financiers que détiennent les autres télévisions publiques. M. Klossa dispose à ce sujet de quelques chiffres assez préoccupants, qu'il nous communiquera tout à l'heure...
En France, comme ailleurs, les grandes chaînes de télévision généralistes ont tendance à considérer l'érosion des audiences comme inéluctable. Or, ce n'est pas indifférent. Il existe de grands programmes fédérateurs et il est important que la télévision publique en propose un nombre important. D'autres programmes, par définition moins fédérateurs, seront affectés par la diversité des sources audiovisuelles et par le morcellement de l'audience.
Il existe à ce sujet trois questions majeures. La première est celle de la capacité de redéploiement des moyens. Je suis de ceux qui considèrent que le problème de France Télévisions est aujourd'hui moins un problème de niveau de moyens que de capacités à les redéployer d'une thématique à une autre, d'une chaîne à une autre ou d'un mode de diffusion à un autre.
Cette difficulté de redéploiement est due à des sources internes, mais aussi à des sources externes. Nous devons, avec votre commission, nous pencher sur le mode de tutelle que l'on exerce sur France Télévisions, la multiplicité des objectifs chiffrés, quantifiés, qui se développent à l'infini. La ministre en a évoqué environ quatre-vingt et il est très difficile, avec un tel nombre, de redéployer et de réaffecter ses moyens. Si je puis me permettre de plaider pour les équipes qui vont venir diriger cet ensemble très important pour notre pays, il faut privilégier l'innovation.
On doit, d'une certaine manière, sanctuariser l'innovation et lui donner les moyens de se développer autour de thèmes majeurs, avant de quantifier les objectifs de France Télévisions. Dans le cas contraire, elle sera immanquablement marginalisée par rapport au respect d'objectifs quantitatifs fixés il y a de nombreuses années.
En second lieu, je suis de ceux qui estiment que les grandes chaînes publiques nécessitent de grands projets fédérateurs, voire de dimension internationale, même en matière d'oeuvres.
J'ai toujours pensé qu'il était très important que le documentaire puisse avoir accès au « prime time ». Certains, qui ont coûté très cher, résultent d'une coproduction internationale et bénéficient d'un fort renom. Il faut créer l'événement sur France Télévisions ! C'est ce qui marque une identité. Aujourd'hui, pour le téléspectateur des chaînes privées, TF1 est incarnée par « The Voice », « Les experts », etc. On ne définira jamais une chaîne en fonction de son pourcentage de documentaires, d'animations...
Il faut que France Télévisions bénéficie de programmes de cette nature. Or, c'est, selon moi, de moins en moins le cas. France Télévisions ne se renouvelle pas assez et n'a pas pris sur certains formats la position de leader qui est celle de nombreuses télévisions publiques autour d'elle.
Par ailleurs, l'érosion de l'audience ne doit pas détourner le groupe public de sa volonté de diffuser de grands programmes fédérateurs. L'équipe de France et le sport en général en fournissent souvent l'occasion ; l'information aussi, on l'a vu malheureusement, lorsqu'elle est tragique. Le divertissement et la fiction doivent se fixer des objectifs non de dispersion, d'étalement, ou de nombre de programmes, mais de programmes qui perdurent dans les mémoires.
Enfin, on le voit à travers cette enquête, France 3 a perdu son identité pour les téléspectateurs. Elle n'est plus la chaîne préférée des Français qu'elle était il y a quinze ans. Pourquoi ? Il est très difficile de combiner deux chaînes nationales ; en outre, l'évolution de l'environnement nous amène aujourd'hui à privilégier la régionalisation de France 3. Plusieurs démarches sont possibles pour y parvenir. Ce n'est pas à moi de vous indiquer la bonne, mais l'aptitude au changement de France Télévisions doit aussi se mesurer dans sa capacité à réformer France 3. La nouvelle organisation territoriale constitue une occasion de mettre en oeuvre une telle orientation.
Le pilotage de l'État ne doit pas être facteur de conservatisme - ce que l'État ne souhaite d'ailleurs pas - du fait de sa multiplicité et des contraintes qu'il crée, mais il doit, au contraire, inciter France Télévisions à innover.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur Wolton, pouvez-vous éclairer notre réflexion en évoquant la situation de France Télévisions au regard de l'évolution des médias ?
M. Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, administrateur de France Télévisions. - Ce n'est pas en tant qu'administrateur que je m'exprime ici, mais en tant que chercheur.
J'ai côtoyé, tout d'abord au cours de mes recherches, puis comme administrateur, beaucoup de présidents de France Télévisions. J'ai donc une très longue expérience dans ce domaine. J'ai calculé que, sur les vingt-cinq livres que j'ai écrits, douze sont consacrés à la presse écrite, à la radio, à la télévision, à l'Internet, ou aux nouveaux médias. C'est dire si j'ai une bonne connaissance de ce secteur, que je considère avec une certaine ironie. Étant chercheur, je n'emploierai toutefois pas le langage académique qui convient pour traiter le sujet.
La télévision n'a jamais été appréciée, et le décalage entre son immense succès mondial et le fait que les élites, dans l'ensemble, ne l'ont jamais considérée comme importante, perdure. La méfiance à l'égard de la radio et, encore plus, de la télévision repose sur un précepte faux et stupide, véhiculé depuis soixante ans : si l'on délivre le même message à tout le monde, tout le monde sera manipulé de la même façon. Pourtant, l'expérience démontre que le même message, adressé à chacun, n'a jamais eu la même répercussion chez tout le monde !
Sortir des médias de masse a été salué comme un progrès. C'est là un contresens intellectuel : on a d'abord considéré les médias de masse comme facteurs d'émancipation, puis comme facteurs de standardisation, voire d'abrutissement. On a par ailleurs toujours estimé que la segmentation constituait un progrès par rapport à la question du grand public.
Y a-t-il ou non de la place dans un monde interactif segmenté pour des médias de masse généralistes, publics ou privés ? C'est une question politique fondamentale. L'avenir de la culture réside-t-il dans la segmentation et l'individualisation, comme on le dit aujourd'hui, en privilégiant la logique de la demande par rapport à celle de l'offre ? Au contraire, doit-on conserver une problématique de l'offre pour maintenir un facteur de lien social, de culture, de démocratie ? Les industries poussent naturellement vers l'individualisation et la segmentation. Les firmes comme Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA) font tout pour que l'individu soit libre, ne subisse rien, et choisisse ce qu'il veut.
Pour l'instant, dans cette bataille théorique et politique mondiale, un avantage considérable se détache en faveur de la segmentation et de l'individualisation, de l'interactivité, des nouveaux médias, alors qu'on désavoue presque les médias de masse, la radio comme la télévision, qui semblent laisser indifférent. La radio s'en tire plutôt bien, car personne ne s'en occupe ! Ce n'est pas le cas de la télévision, dont on considère qu'elle coûte trop cher et ne correspond finalement pas à ses objectifs.
Tout le monde a une opinion sur la télévision, et c'est fort bien. J'ai écrit que « la télévision est l'objet le plus démocratique des sociétés démocratiques ». Tout le monde en dispose, tout le monde la regarde, et tout le monde la déteste. La radio et la télévision constituent des biens communs que l'on partage, mais il s'agit d'un sujet très compliqué à comprendre et à analyser. Le monde de la connaissance, que je représente, n'a jamais réussi à faire passer des connaissances dans un univers surdéterminé soit par la politique, soit par la technique.
Nous sommes donc écrasés par le fait que la politisation l'emporte, a fortiori quand il s'agit de médias publics, mais aussi, lorsqu'il s'agit de médias privés, par la prégnance des marchés. Le manque de culture historique pèse sur ce secteur, notamment sur les médias de masse.
En matière de communication, la problématique de l'offre a dominé durant quasiment un siècle. Elle domine encore aujourd'hui dans la presse écrite, la radio et la télévision, mais on considère qu'elle est battue en brèche par le fait que l'offre est trop standardisée, et que le spectateur, en quête de liberté, symbolisée par les réseaux sociaux, sera plus riche et plus interactif. C'est là que réside le véritable contresens intellectuel entre l'offre de mauvaise qualité, trop faible, trop standardisée et une demande qui apparaîtrait comme plus riche. Toute industrie culturelle, qu'il s'agisse du livre, de la radio, de la télévision, du cinéma ou du théâtre vivant, est naturellement portée par une responsabilité de l'offre. Si la politique se met à fonctionner d'après les sondages, elle meurt. La demande n'est jamais la chose la plus importante pour une industrie culturelle, a fortiori pour la politique.
C'est vers cette tendance que l'on s'achemine aujourd'hui. Or, si l'on dévalorise l'offre et que l'on valorise constamment la demande, on dévalorise les médias généralistes et on valorise tous les médias thématiques ou interactifs et, naturellement, tout ce qui gravite autour de l'Internet. La question n'est pas de se positionner en faveur de l'Internet et des médias de masse ou contre eux, mais de connaître la proportion que l'on doit conserver pour favoriser le lien social et la communication, à l'échelle d'un pays, de l'Europe - qui constitue un enjeu politique fondamental - ou du monde.
Dans la bataille actuelle, le concept de l'offre est dévalorisé au profit du concept de la demande, et tout ce qui est généraliste est dévalorisé au profit de la segmentation, de l'individualisation et de l'interactivité. La télévision est donc prise dans une double crise : une crise de l'offre et un dumping technologique. Elle a du mal, du point de vue des valeurs, à sauver la mise.
Le paradoxe, surtout en Europe, vient du fait que la gauche et la droite ont, sur les médias, à peu près la même position. Ce sont des guerres picrocholines qui ressemblent à de véritables guerres civiles ! Il n'est qu'à considérer le « Pflimlin bashing ». Marc Tessier a été victime du même « bashing ». Il est aujourd'hui impossible d'être dirigeant de l'audiovisuel ! Tout le monde crie haro sur le baudet ! Aucun secteur de l'économie ni de la société ne fait l'objet de tant de haine. Tous les dirigeants de l'audiovisuel public paraissent incompétents : « Rémy Pflimlin est incompétent : c'est un mou ! ». Je peux vous dresser la liste des adjectifs que l'on entend à propos de Rémy Pflimlin... Il en allait de même auparavant. Je ne parle même pas de Patrick de Carolis.
Je ne sais pourquoi on n'arrive pas à dépasser le niveau de la passion politique et des idéologies, dans un secteur qui concerne la culture, la communication et le lien social, où le consensus entre les forces de droite et de gauche est finalement plus important qu'on ne le croit.
Je ferai, pour finir, cinq propositions très simples.
En premier lieu, on ne peut demander au service public de recréer l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF) - bien que ce soit le cas actuellement. C'est naturellement ingouvernable, et il va falloir refaire du « small is beautiful ». Un ancien Président de la République a estimé qu'il convenait de revenir à l'ORTF, ce qu'ont dû faire les malheureux dirigeants. Or, on sait fort bien que c'est impossible ! Il faudra quatre, cinq, six ans ; puis une autre force politique, de droite ou de gauche, estimera que c'est ingérable et qu'il faut segmenter. On demandera alors au service public de retrouver son autonomie. Que de temps et d'énergie perdus ! C'est infernal !
Deuxième proposition : la langue de bois, qui est le mécanisme du totalitarisme, mais aussi la condition de la démocratie, consiste à affirmer que le service public de l'audiovisuel est autonome de l'État. Cela fait trente ou quarante ans que je suis le témoin de la tyrannie effrayante, non de l'État, mais de la politique ! L'État est omniprésent dans les conseils d'administration, et les présidents de France Télévisions ne peuvent que se situer en permanence dans une négociation extrêmement âpre avec Bercy, ou les autres acteurs - Matignon, l'Élysée, les conseillers, les amis bien placés, très nombreux dans l'audiovisuel.
Le goût pour l'audiovisuel est aussi un goût pour le pouvoir. On s'imagine que si on tient les tuyaux, on tient les consciences. Évidemment ! Même les grands patrons de la presse écrite, durant les années 1890 à 1930, lorsqu'ils tenaient les grands groupes de presse, ne tenaient pas les consciences. Le plus intéressant, en matière de communication, ce sont les récepteurs. Nous sommes très têtus : on peut nous raconter n'importe quoi, on ne croit que ce que l'on veut croire, dans une négociation très serrée dans notre conscience. Mais la télévision fascine, car on pense qu'elle représente le pouvoir.
La politisation est donc extrême, mais il faut de toute urgence trouver un moyen pour que la télévision demeure un média de service public. De grâce ! Faisons en sorte qu'il existe une véritable autonomie, mais non celle qui existe depuis trente ans, alors même que les consciences ont beaucoup évolué dans les rédactions et parmi le public. Les récepteurs demandent plus une télévision d'État de service public qu'une télévision publique politique ! Je ne suis pas un fanatique des sondages, mais ce qui ressort de celui qui a été présenté, c'est la stabilité des opinions concernant le rôle et la fonction du service public. Elles démontrent un attachement culturel profond à la télévision publique. C'est d'ailleurs le cas dans toute l'Europe : le service public est un concept européen. En dehors de l'Europe, il n'existe que trois médias publics dans le monde, tout le reste relevant du privé. Nous avons là un capital symbolique exceptionnel, que nous ne valorisons pas. Ainsi, la pauvre petite chaîne européenne Euronews n'est même pas une chaîne mondiale alors que, par définition, l'Europe est le plus grand projet politique démocratique de l'histoire. Cinq cents millions d'habitants, vingt-huit pays, vingt-six langues, aucun média mondial !
Une telle institution devrait être valorisée. Les Européens sont totalement masochistes. Sortir de ce contrôle politique est excessif, et disproportionné. L'autonomie du secteur public ne m'a jamais paru possible. La radio s'en tire un peu mieux, mais elle accepte à présent d'être filmée. Il faut être fou ! Tout cela va dans le sens d'une course au vedettariat. Lorsque le visage des journalistes s'affiche en grand format sur les panneaux publicitaires, on peut penser qu'on a perdu une partie de l'éthique du journalisme. Les journalistes les plus importants sont ceux des agences de presse - trois mondiales, dont une française : on n'a jamais vu leur visage. Or, ce sont pourtant eux qui font le plus gros du travail. Cependant, nos journalistes vedettes s'étalent sur les affiches, et participent à une quinzaine d'émissions quotidiennes !
J'ajoute qu'il n'y a jamais eu autant de « tuyaux » qu'aujourd'hui, et aussi peu de diversité réelle dans l'offre des programmes. Il n'y a donc pas plus de diversité culturelle, politique, religieuse, scientifique, pas plus de chefs d'entreprise, pas plus de militaires qu'il y a vingt ans. Par contre, on retrouve les mêmes journalistes sur les mêmes écrans. Je ne citerai personne.
Ma troisième proposition concerne le financement du secteur public, qui est sous-financé par rapport à ses homologues allemand et britannique, qui sont nos grands compétiteurs, concurrents et amis. Pour sortir du sous-financement et de la coopération positive avec Bercy, le plus simple est de jouer sur la redevance. Si l'on veut accorder un peu d'autonomie à l'audiovisuel public, il faut lui en donner les moyens. Augmenter la redevance permettrait aux citoyens de s'approprier ce secteur.
Quatrièmement proposition : le problème culturel apparaissant le plus important, il convient de sortir de la fascination que l'on éprouve aujourd'hui à l'égard du numérique. Le problème principal ne vient pas du fait que tout soit numérique, ni que l'on recense 7,5 milliards d'internautes, mais de proposer des contenus appropriés. Or, dans l'histoire, jamais une technique n'a fourni un contenu.
Ce qui m'intéresse, ce sont les rapports entre la technique et la société ; le numérique est indispensable, mais pour quel contenu ? Il est toujours plus difficile de faire des médias généralistes que des médias thématiques. On ne gagne pas d'argent avec les médias généralistes, mais c'est là que se situe le défi de la culture, de la politique et de la démocratie.
Il faut donc sortir de la fascination pour le numérique et prendre les techniques pour ce qu'elles sont. On s'imagine que tout va changer grâce aux nouveaux médias : un peu de modestie ! Dans trente ans, il y aura d'autres technologies, bien plus performantes ! And so what ? La finalité n'est pas que tous les Français soient interconnectés. Pour quelle représentation du monde, quelle offre, quelle culture, quelle représentativité de la diversité des sociétés ?
Nous sommes une société « black-blanc-beur » multiculturelle, qui n'est absolument pas représentée dans l'ensemble de nos médias, qu'ils soient publics ou privés. Comment peut-on espérer du lien social ? Si une société ne représente pas ses différentes composantes visibles dans la diversité de ses médias, lorsque les choses tanguent, comme c'est le cas en ce moment, les groupes se retirent et deviennent violents.
Il faut donc sortir de la fascination technique et de l'illusion qui consiste à croire que si tout était numérisé, meilleure serait la communication.
Il convient en outre de quitter le mouvement culturel dans lequel on est pris depuis une quarantaine d'années, qui conduit à penser que tout ce qui est individualisé et segmenté est supérieur.
Dans l'industrie culturelle, le conflit entre l'offre et la demande ne vaut que si l'offre domine. L'actuel mouvement technologique, culturel et économique va vers la tyrannie de la demande que constitue la segmentation. Dans un contresens extraordinaire, on appelle progrès de la liberté individuelle le fait qu'on segmente tout. Or, on segmente en fonction des moyens financiers. Si on a les moyens de payer, tout est pour le mieux, mais si tel n'est pas le cas, la segmentation se transforme en conflit entre communautés et société, et pose à nouveau la question fondamentale : qu'est-ce qui forge une société au-delà de toutes les différences ?
Enfin, il ne faut surtout pas toucher au nombre de chaînes, au prétexte que le secteur public est déjà en situation délicate. Toutes les chaînes ont leur place. La crise actuelle de France 3 n'est pas seulement liée à France 3, mais parce qu'avec la mondialisation les identités bougent en tous sens. Or, par définition, l'identité régionale elle-même est affectée par des mouvements culturels bien plus profonds que ceux auxquels on assiste à la télévision. Il faut donc bien prendre garde au fait que l'identité régionale est fondamentale pour l'identité nationale. France 3 joue un rôle essentiel, qu'il faut revaloriser. On ne parle pas non plus assez de la diversité de France Ô. Nous sommes le seul pays à posséder dix collectivités territoriales outre-mer.
Je n'ai fait que travailler sur des sujets qui n'intéressent personne : la communication, les médias, l'outre-mer, la francophonie, la mondialisation et la diversité culturelle...
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Ils intéressent notre commission !
M. Dominique Wolton. - Ce n'est pas une commission qui fait évoluer les idées, madame ! Un bon chercheur est quelqu'un de minoritaire et de marginal, mais il le paye ! Il faut donc avoir une bonne santé. Raymond Aron m'a dit un jour : « Vous serez reconnu, mais il faut que vous ayez une bonne santé, parce que vous êtes tellement transversal que vous ne rentrez pas dans les catégories. » Or, pour être reconnu, il faut entrer dans les catégories.
Quant à France 5, la petite chaîne de la connaissance, elle est fondamentale. Pour ce qui est de France 4, cette chaîne doit redevenir ou être davantage le laboratoire qui permet de brasser les générations et les milieux culturels.
Enfin, s'agissant de l'Europe et de l'international, nous n'avons jamais donné la possibilité à France Télévisions d'être un grand groupe mondial - Marc Tessier en sait quelque chose. C'est une erreur. Il aurait fallu pouvoir disposer d'une chaîne d'information, c'est une évidence. La création de France 24 et de TV5 représente beaucoup de gâchis.
Il faut redonner un statut international à France Télévisions. Aucun média, sauf TF1, ne peut imaginer s'en sortir en demeurant national. Il faut revaloriser la problématique de l'Europe. France Télévisions, avec l'ensemble des chaînes publiques, doit faire savoir au reste du monde que l'avenir de la télévision et de la communication ne dépend pas uniquement de l'intérêt privé et de l'argent. Le concept de service public est fondamental pour la santé, l'éducation, les transports et pour la communication.
L'Europe dispose, de ce point de vue, d'un patrimoine extraordinaire qu'elle ne valorise pas. Il faut donc développer Euronews, réaliser des coopérations beaucoup plus fortes avec d'autres chaînes, améliorer l'international européen, valoriser l'Union européenne de radiotélévision.
Je ne comprends même pas que, face à la plus grande aventure politique et démocratique de l'histoire du monde, les services publics ne fassent pas entendre leur différence face aux GAFA, exemple du conglomérat des industries impériales du XXIe siècle !
Le patrimoine culturel et politique dont nous disposons réunit les forces politiques de droite et de gauche à 80 %. Je fais de la recherche sur ce sujet depuis quarante ans. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les uns et les autres continuent à se haïr. Encore une fois, ce sont des guerres picrocholines !
L'Europe et l'international constituent pour moi les sujets les plus importants. Ils ont toujours été mis en jachère, étouffés par la façon dont le pouvoir politique et l'État contrôlent, organisent ou animent le service public. Marc Tessier a mille fois raisons lorsqu'il appelle l'innovation de ses voeux, mais si l'on fait preuve d'une idée originale, on est immédiatement massacré.
Il faut donc sortir de ce système de contrôle de l'État, qui recourt à des contrats d'objectifs et de moyens que l'on retrouve partout et qui ne servent à rien. Il faut fixer de réels objectifs politiques et contrôler leur mise en oeuvre.
Si l'on veut que le service public s'en sorte, il faut lui confier davantage d'indépendance et faire confiance aux dirigeants, aux hommes, ne pas modifier l'envergure, renforcer l'international et, surtout, tenir compte de l'Europe.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci d'avoir parlé sans langue de bois.
Vous avez dit qu'il fallait valoriser l'Union européenne de radiotélévision. Je cède donc immédiatement la parole à Guillaume Klossa, membre de son comité directeur.
M. Guillaume Klossa, membre du comité directeur de l'Union européenne de radiotélévision. - Permettez-moi tout d'abord de dire que je suis d'accord avec beaucoup des analyses et des recommandations que vient de formuler Dominique Wolton.
Le média de service public est un enjeu majeur. C'est un enjeu pour la culture du pays, pour son influence, pour notre positionnement en Europe et dans le monde. Il faut donc lui donner des moyens d'existence et avoir une vraie ambition nationale, européenne et mondiale pour France Télévisions. Il faut aussi se doter de moyens cohérents et d'une véritable stratégie à moyen et à long terme. La stratégie d'un groupe public, que l'on aimerait industriel, se prépare dans la durée. Pour ce faire, on a besoin de dirigeants inscrits dans la stabilité et dans le temps. Dans les grands pays européens dont les services publics sont exemplaires, Marc Tessier serait encore aujourd'hui à la tête de France Télévisions.
Vous recevez demain l'administrateur général de la Radio télévision Belge francophone (RTBF) : il en est à son troisième mandat. Dans les pays nordiques, où l'on considère que la télévision entretient un lien fort avec les citoyens, on veille à assurer la pérennité des stratégies, car la cohérence entre l'ambition politique et l'unité des décisions est nécessaire. Cela passe par l'indépendance, qui est la condition de la prise de risque et de l'innovation.
Permettez-moi de dire à présent un mot de l'Union européenne de radiotélévision. Sans elle, il n'y aurait pas d'espace public audiovisuel européen fort, ni de service public européen tel qu'il existe aujourd'hui. L'Union européenne de radiotélévision a été créée en 1950 par les grands groupes de télévision et de radio publics, afin de réaliser des économies d'échelle et de créer les conditions d'une économie de l'audiovisuel public européen fiable. Son but était également de développer des standards technologiques et des moyens d'échange de qualité, de fiabiliser l'information, d'échanger des programmes, de les rediffuser mondialement, et de produire de grands événements d'un impact mondial, comme le soixantième anniversaire du débarquement.
L'Union européenne de radiodiffusion est une entreprise commune de même taille que Radio France ; son objectif est de mutualiser des fonctions industrielles, technologiques, économiques et stratégiques. C'est ce que l'on appelle l'Eurovision news exchange (EVN), qui comporte les sujets courts que l'on peut voir dans beaucoup de reportages sur les journaux de France Télévisions, mais aussi d'i-Télé, ou de BFMTV. Ils nourrissent l'information européenne et contribuent, sans qu'on le sache, à un imaginaire public européen majeur.
Ce sont les achats de droits du sport réalisés conjointement au niveau de l'UER qui font que les chaînes publiques peuvent encore aujourd'hui diffuser du sport. Sans cette capacité commune à acheter des droits, beaucoup de sports seraient inexistants sur les chaînes publiques. Ce sont des standards technologiques qui ont permis à la télévision de se développer en Europe et dans le monde, et qui ont inspiré la télévision connectée.
La production, la diffusion et la mise en partage de moyens communs dans le monde entier permettent à France Télévisions, à la BBC, à la ZDF de s'appuyer sur des ressources mondiales pour produire, parfois à plusieurs, et diffuser des événements. C'est aussi une dynamique de coproduction. Comme l'a dit Dominique Wolton, l'Union européenne de radiodiffusion est en quelque sorte la partie immergée de l'iceberg. On ne peut penser la télévision nationale sans penser à un système public européen, qui existe véritablement.
L'Union européenne de radiodiffusion est également un lieu d'inspiration et de réflexion sur l'avenir des services publics. L'ensemble des grandes chaînes publiques ont lancé il y a trois ans une réflexion appelée « Vision 20-20 » sur les conditions de mutation et d'adaptation des services publics à un nouvel environnement. Cette nécessité d'adaptation se poursuit, ainsi que l'a souligné Marc Tessier.
Le débat que vous avez aujourd'hui est légitime. Il a lieu partout en Europe. Le sujet tel qu'il est posé dans la plupart des grands pays européens est de savoir comment adapter les moyens et les conditions de fonctionnement du service public à une nouvelle réalité sociale, économique, technologique, géopolitique et concurrentielle.
Les grandes évolutions du service public doivent se faire dans la perspective de 2020 et de 2025. La mutation de la réalité sociale de nos pays est extrêmement rapide, y compris en France : vieillissement des populations le plus rapide de toute l'histoire de l'humanité, modification de l'équilibre entre actifs et inactifs, accroissement extrêmement rapide de la diversité des populations partout en Europe, de l'urbanisation et de l'isolement. La fragmentation économique, elle, n'a jamais autant augmenté depuis le début des années 1970.
La question de l'identité, dans un monde globalisé où l'occident ne domine plus le monde, pose des problématiques régionales, européennes et nationales. Cette évolution doit aussi nous faire réfléchir aux programmes que nous souhaitons. On ne peut réfléchir sans se poser la question de l'évolution de la société et de son impact sur les programmes.
La seconde mutation provient de l'accélération technologique et scientifique. On ne peut totalement s'en émanciper, comme le suggère Dominique Wolton. Il faut aussi l'étudier concrètement. On assiste à une numérisation du secteur audiovisuel extrêmement rapide, accompagnée par l'explosion du nombre et de la diversité des écrans mobiles, qui vont plus que quadrupler durant cette décennie. La consommation est désormais très différente, du fait du développement de la mobilité.
De nouveaux modes de consommation sociale ont un effet sur la manière dont nos concitoyens souhaitent consommer les médias. Même si l'offre est partageable et vise le plus grand public, il faut s'adapter aux modes de consommation, car si on ne peut les toucher, on ne remplit pas notre mission de service public. Les gens attendent également une évolution du rapport aux médias, avec plus d'interactions, ainsi qu'une capacité à coproduire et à participer et à mieux partager. Ce n'est pas forcément contraire à ce qu'a dit Dominique Wolton.
On assiste aussi à une explosion du rôle des données. Il existe en effet des dynamiques de personnalisation, mais on peut personnaliser avec intelligence et veiller à ce que les valeurs du service public soient présentes dans les contenus diffusés. Bien sûr, on assiste à une convergence des médias. Il ne s'agit pas de recréer l'ORTF, mais même les groupes « papier » se posent la question de posséder des radios et des télévisions. La convergence se fait aussi avec les opérateurs de télécommunications, qui ont des stratégies d'intégration verticales.
Hier, la concurrence des médias était essentiellement nationale ; aujourd'hui, elle est de plus en plus internationale. Netflix, qui vient de s'installer en France, n'a fait que se positionner ; il n'a pas encore mis en oeuvre de stratégie de développement, ce qui n'est pas le cas dans des pays européens plus développés et plus connectés que le nôtre. On passe de marchés locaux à des marchés de plus en plus mondiaux.
Dès lors se pose la question de la production. On assiste à des consolidations tous azimuts. Par ailleurs, les GAFA ont une véritable ambition de leadership culturel, avec des formats et des valeurs qui ne sont pas forcément les nôtres. Cela renvoie au sujet de la taille critique des alliances et des coproductions au niveau européen, et suppose également une certaine agilité, ainsi qu'une certaine souplesse. En effet, Netflix peut, du jour au lendemain, décider d'investir 300 millions d'euros par an dans de nouvelles séries.
Le dernier élément concerne bien entendu le contexte économique contraint des pays européens, avec des perspectives de croissance très faibles pour les cinq à dix ans à venir. Cela pose un problème concret en matière de développement des ressources des services publics et leur acceptabilité par les citoyens. Sans croissance, acceptera-t-on, comme le suggère Dominique Wolton, d'augmenter la redevance ? Tout un travail politique doit être mené en la manière de façon transpartisane.
Ces évolutions posent des défis majeurs aux médias de service public. L'Union européenne de radiotélévision y travaille dans le cadre de « Vision 20-20 ». J'ai moi-même mis en place un groupe de directeurs de la stratégie des grands groupes publics, qui anticipe ces sujets à l'horizon 2025, pour réfléchir aux médias publics de demain. Il s'agit de se concentrer sur nos fondamentaux, tout en anticipant et en épousant les évolutions que j'ai évoquées. Il y a là plusieurs défis à relever. L'un d'eux consiste à adapter nos contenus en conservant le niveau d'ambition, de qualité et de différence qui constitue le marqueur du service public.
Par ailleurs, si nous n'adaptons pas nos outils de production, nous ne pourrons pas en transformer la gestion, ni mettre en oeuvre les processus de changement nécessaires. Ainsi, ce que France Télévisions est en train de réaliser dans le cadre de son projet de fusion des rédactions a déjà été effectué par la radiotélévision canadienne en 2005. La France a donc dix ans de retard, notamment en matière numérique, du fait des facteurs objectifs évoqués par Marc Tessier.
Il nous faut donc nous adapter, adapter nos modes de financement, notre capacité d'exposition des oeuvres et des productions, dans une logique de contenu et de catalogue numérique. Cela pose également la question du partage de la valeur, qui est tout à fait légitime, les producteurs et les producteurs indépendants ayant un rôle majeur dans la création.
Il faut en second lieu réaffirmer et actualiser les missions de service public. Un travail a été également mené dans le cadre de l'UER. Une de ces missions demeure d'ordre général, mais elle est plus que jamais fondamentale : assurer le lien social, à l'heure où apparaît un nouvel équilibre entre le linéaire, le non linéaire, et la fragmentation de nos sociétés.
Les autres missions sont plus spécifiques, mais majeures. Elles doivent permettre de contribuer au débat démocratique, pluraliste, riche et constructif, dans une période de repli sur soi.
En troisième lieu, le service public doit demeurer un point de référence de qualité impartial en matière d'information, face à l'abondance de celle-ci.
Quatrièmement, les missions doivent refléter la diversité et la richesse de nos sociétés, alors que se développent de plus en plus de contenus globaux, même s'ils ont souvent un ancrage local.
La cinquième mission consiste à essayer de soutenir la culture, la création et la diversité des productions nationales et européennes.
La sixième mission, de plus en plus importante, a pour but d'accompagner les mutations de nos sociétés numériques, mais aussi la révolution industrielle que nous sommes en train de connaître.
La différence du service public, dans son approche et son management, tient au fait qu'il intègre à ses programmes les valeurs que sont l'universalité, l'indépendance et l'innovation. Si le service public n'est pas en avance en matière d'innovation, il n'est plus légitime ! Parmi ces valeurs, figurent également la diversité et la nécessité de rendre des comptes aux citoyens.
Dans un monde globalisé, où des ressources importantes sont nécessaires, il convient de développer des synergies, sans doute adapter et développer une nouvelle perspective de la relation avec les producteurs, créer les conditions d'une prévisibilité de revenus et de ressources, sécuriser l'environnement de la distribution. C'est la question du spectre, de la visibilité et de la présence du service public sur une plateforme numérique et mobile.
Dans le domaine des médias, une entreprise de service public doit d'abord être une entreprise. Nous avons besoin de souplesse et d'agilité. Il est important de dépasser les clivages partisans, et de ne pas sous-estimer l'investissement digital.
Les pays où la relation est la plus forte entre les citoyens et les services publics sont ceux où l'indépendance, les ressources et l'ambition du service public sont les plus largement garanties.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mme Michèle Reiser va maintenant évoquer la culture, élément identitaire fort de notre audiovisuel public.
Mme Michèle Reiser, ancien membre du CSA, réalisatrice, productrice et auteur de films de télévision. - Je vais en effet modestement vous parler de culture.
Dominique Wolton a rappelé que l'élite méprisait la télévision. Or, la télévision publique a pour mission, depuis ses origines, de proposer une offre culturelle, libérée des contraintes publicitaires - ce qu'elle est aujourd'hui - visant à permettre au plus grand nombre d'accéder aux oeuvres de la création, souvent réservées à une élite.
C'est en cela, selon moi, que la télévision publique est indissociable de la démocratie. C'est pourquoi je crois nécessaire de penser le projet de France Télévisions au travers du prisme de la culture, car si le projet culturel de France Télévisons transparaît dans les émissions dédiées à la culture, qui représentent un quart de son antenne, suivant un rapport du CSA, il doit également apparaître dans toutes les émissions du groupe, de la fiction jusqu'à l'information.
Parler de culture à la télévision publique, ce n'est pas se limiter à un no man's land d'émissions nocturnes pour connaisseurs, mais revenir à la source d'une ambition qui ne doit pas se démentir, à l'heure où nous avons une conscience aiguë de la nécessité de partager les valeurs communes de notre société. Les événements récents nous permettent de mesurer la place de la culture à la télévision et l'enjeu qui se cache derrière celle-ci.
Un rapport du CSA consacré à l'exposition des programmes culturels sur les antennes de France Télévisions recense ainsi plus de 9 000 heures de programmes culturels sur un total de 35 000 heures diffusées sur les antennes de France 2, France 3, France 4 et France 5. Cette photographie est intéressante, même s'il est toujours possible de définir différemment les catégories de programmes.
Cette exposition correspond aux objectifs fixés par l'article 4 du cahier des charges du groupe, qui précise que France Télévisions doit diffuser au minimum un programme culturel par jour en première partie de soirée sur l'ensemble des antennes, obligation portée à 450 programmes annuels dans l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2011-2013.
D'où vient cette impression que les émissions culturelles ne sont pas assez présentes sur les antennes du groupe ? La catégorisation des programmes dits culturels est assez large - peut-être trop. On peut distinguer ceux dédiés aux arts et aux lettres, comme « La grande librairie », la « Galerie France 5 », « D'Art d'Art », des émissions comme « Ce soir ou jamais », dans laquelle l'actualité culturelle occupe une large part, des émissions de culture contemporaine, comme « Alcaline » ou « Monte le son », des émissions de connaissance et de découverte, comme « Secrets d'histoire » ou « Thalassa ». En fait, 73 % des émissions dites culturelles appartiennent au genre des émissions de connaissance et de découverte. Ces émissions sont certes de grande qualité et nous apprennent beaucoup, mais ne correspondent pas forcément à la définition stricto sensu d'une émission culturelle.
Viennent ensuite les émissions de culture contemporaine, principalement musicales pour 14 % d'entre elles, alors que 8 % seulement des programmes culturels diffusés sont consacrés aux arts et aux lettres.
Les émissions dites de connaissance et de découverte réalisent souvent des audiences très importantes, se chiffrant en millions de téléspectateurs, alors que les autres types d'émissions peinent souvent à dépasser les 500 000 téléspectateurs. Mais pour un opéra, c'est magique !
Un autre déséquilibre tient aux chaînes sur lesquelles sont programmées ces émissions. France 5, sur le total des 9 000 heures de programmes culturels, en compte la moitié et bien plus si l'on ne considère que l'offre accessible entre minuit et 6 heures, car la programmation tardive est encore souvent la règle décrite par Catherine Clément dans son rapport : « La nuit et l'été ».
Ainsi, 75 % de l'offre dite « arts et lettres » se situe entre minuit et 6 heures. Ce constat n'est pas nouveau ; il n'en demeure pas moins, malgré les efforts importants de l'équipe dirigeante actuelle de France Télévisions, dont le succès en la matière ne doit pas être sous-estimé.
Malgré la programmation de musique classique, d'opéras en première partie de soirée, comme les captations à Orange, et malgré le fait que France Télévisions ait à sa tête un humaniste mélomane en la personne de Rémy Pflimlin, beaucoup de mélomanes et de professionnels de la musique ont l'impression que la musique classique est très peu présente à la télévision. Ce n'est guère étonnant, car la majorité des concerts classiques et des opéras sont diffusés entre minuit et 6 heures.
À ce noctambulisme effréné s'ajoute un manque d'identification dans la grille des programmes de rendez-vous culturels. C'est une façon de fidéliser et d'identifier le téléspectateur. Cela n'existe pas assez et doit, selon moi, faire partie de la révision des obligations de France Télévisions. Le système de points que l'on a mis en place pour le spectacle vivant, cf. l'article 6 du cahier des charges, est insuffisamment efficace. La qualification des émissions à contenu culturel, définie dans l'article 5 est, selon moi, une classification très floue, qui permet de valoriser des émissions qui ne le sont pas forcément.
Aujourd'hui, il existe d'autres mondes que ceux liés à la musique. Des pans entiers de l'art, de la sculpture ou de l'architecture, ne sont pas exposés. La littérature me semble également insuffisamment représentée, particulièrement la littérature pour la jeunesse. J'ai débuté à vingt ans sur France 3, en présentant une émission littéraire pour la jeunesse, qui était diffusée à 18 heures 30, à une heure accessible, toutes les semaines. Je l'ai présentée durant huit ans, soit 300 numéros. C'était une époque où la littérature pour la jeunesse était en plein essor. Aujourd'hui, elle est devenue une littérature à part entière, qui représente un volume très important de la littérature générale, avec des auteurs et des éditeurs de très grande qualité. Il n'est qu'à voir le salon de Montreuil, qui fêtait ses trente ans cette année. Cette littérature intéresse à la fois les enfants, les adolescents et les parents. Elle concerne tout le monde. Or, aucune émission dédiée à la littérature pour la jeunesse n'existe sur les antennes de France Télévisions, ni sur les antennes de télévision en général, depuis que l'émission que j'avais créée, « Des livres pour nous », il y a bien longtemps, a disparu.
Très souvent, les manques que je viens de souligner ne correspondent pas à une crise artistique ou à une désaffectation du public. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) note ainsi une augmentation de 16,6 % des droits liés au spectacle vivant, qui attire de plus en plus. Les musées ont connu une hausse de fréquentation de près de 40 % depuis 2005. Offrir une vitrine à la culture, c'est aller dans le sens du public, plus que ne le croient les responsables de programmes. Il est nécessaire de donner plus de place aux émissions d'art et de lettres, de ne pas les limiter à une exposition sur France 5 - même si cette chaîne est merveilleuse - mais de leur faire retrouver la lumière du jour.
Le deuxième élément sur lequel je voudrais m'arrêter est la création de Culturebox. Cette plateforme d'actualités culturelles et de diffusion de spectacles témoigne de l'importance du travail effectué ces dernières années pour faire prendre à France Télévisions un virage numérique. J'ai beaucoup aimé ce qu'a dit Dominique Wolton, lorsqu'il a affirmé qu'aucune technique ne déterminera jamais un contenu.
Le volume des investissements dans la captation de spectacles a ainsi doublé sous ce mandat. Cependant, il est regrettable que cette exposition soit réservée au non linéaire, alors que beaucoup de nos concitoyens, notamment les plus fragiles, n'y ont pas forcément accès aujourd'hui.
Il faut instaurer une véritable complémentarité entre le linéaire et le non linéaire, entre captation, recréation et présentation d'oeuvre. Il faut, par ailleurs, apporter des évolutions à Culturebox pour qu'elle constitue une plateforme de retransmission et de programmes culturels plus facilement accessible. Elle pourrait d'ailleurs se développer demain grâce à un partenariat associant les grandes institutions culturelles de notre pays, dans le domaine de la musique, de l'art vocal, de la danse, mais aussi du cinéma. Je pense en particulier au court-métrage.
La disparition récente de Jacques Chancel nous a rappelé le temps où la télévision diffusait des émissions culturelles de qualité, populaires, à des heures de grande écoute. France Télévisions a eu raison de lui rendre hommage - même si l'heure de diffusion de l'émission était tardive, puisqu'elle débutait vers 23 heures.
Il faut rappeler l'importance de ces passeurs de culture qu'ont été en leur temps Pierre Dumayet, Bernard Pivot, Jacques Chancel, et bien d'autres, comme le sont aujourd'hui Frédéric Taddeï, Michel Field - bien qu'il ne soit plus sur France Télévisions - François Busnel et d'autres. Nous avons besoin de ces passeurs, nous avons besoin d'animateurs érudits, qui savent transmettre, nous avons besoin de responsables de programme audacieux qui font la part belle aux nouveaux talents et qui n'ont pas peur d'y amener le public, plutôt que de courir après lui. Il ne faut pas craindre d'exposer la culture, même celle dite « classique », mais qui est totalement contemporaine, à des heures décentes.
Cette révolution culturelle reste à entreprendre. Il faut bien sûr tenir compte des aménagements du cahier des charges, de la question des moyens financiers et du contrat d'objectifs et de moyens, mais c'est avant tout une question de volonté. France Télévisions a une proximité avec le monde culturel qui pourrait permettre une croissance et un renouveau de l'exposition de la culture sur ses antennes. Elle en a la responsabilité. Elle doit faire mentir Groucho Marx, qui disait : « Je trouve que la télévision à la maison est très favorable à la culture : chaque fois que quelqu'un l'allume chez moi, je vais dans la pièce d'à côté, et je lis ». Demain, c'est parce que nous allumerons la télévision que nous aurons envie de lire, d'aller voir un spectacle ou de visiter un musée. C'est une ardente nécessité.
Je citerai pour terminer un grand ministre de la culture, André Malraux, car je pense que la culture est au coeur du projet d'identité de la République, au coeur de l'identité de notre Nation : « La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert ». La télévision publique doit aider à cette conquête, qui devient une urgence.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour ce plaidoyer en faveur de la culture, auquel nous sommes sensibles.
Pour compléter ces propos, je cède la parole à Simone Harari, qui va nous entretenir du rôle de France Télévisions dans le financement de la création.
Mme Simone Harari, ancienne présidente de l'Union syndicale de la production audiovisuelle. - J'ai prévu d'aborder le rôle du service public sous l'angle de la création plutôt que sous celui de son financement. Il me semble en effet qu'on a changé de monde, et qu'à travers les débats, c'est la relation entre l'offre et la demande, entre les programmes tels qu'ils sont diffusés et le public qui est remise en question.
Autrefois, il fallait bien sûr informer, cultiver et distraire, et chacun se devait de regarder la télévision pour s'élever. Aujourd'hui, le divertissement a pris le pas sur cette façon de voir. La question de courir après l'audience est également une chose fort ancienne. Chacun sait en effet que la légitimité provient de l'audience, qui est une condition nécessaire, mais en aucun cas suffisante : ce n'est pas parce que l'audience est élevée que l'émission est intéressante.
Ce rapport est tout à fait ambigu et remis davantage encore en question depuis que deux événements ont bouleversé le paysage audiovisuel. Le premier résulte de l'arrivée des chaînes de télévision numérique, qui sont désormais vingt-sept. En outre, la suppression de la publicité a eu pour effet de dégager le financement de France Télévisions, permettant ainsi une plus grande liberté d'offre.
C'est donc la conception du service public qui se trouve malmenée par l'État. Heureusement, le regard que portent les téléspectateurs sur le service public reste extraordinairement positif et favorable. La création, à la télévision, est présente dans l'ensemble des programmes originaux qui sont diffusés. L'avenir de la création audiovisuelle de la France dépend de la télévision publique.
Je voudrais souligner l'importance que représente la création télévisuelle en tant que valeur culturelle. Certes, celle-ci doit beaucoup aux artistes et aux oeuvres, mais il s'agit également de vivre ensemble et d'alchimie avec le public, au sens de ce qui fait une époque, et du rang que tient notre pays dans le monde. C'est en cela que les hommes politiques, qui considèrent que la télévision est juste bonne à se vider la tête, ont tort.
Je suis d'ailleurs ravie qu'un débat sur la télévision publique attire autant de sénatrices et de sénateurs. C'est à la télévision publique que se joue une part importante du climat de la société française, et c'est en cela qu'il faut ne pas la négliger.
La télévision publique joue un rôle social de représentation symbolique du pays, d'imaginaire collectif, mais aussi d'échanges entre générations. Il est certes d'actualité de considérer toutes les modalités d'intégration, mais on débat peu de l'échange entre les générations. À force de voir les chaînes privées se concentrer sur les cibles publicitaires - « la ménagère de moins de 50 ans »... - on finit par se demander, dans un pays où tout est segmenté, quel sera le sujet de conversation entre une personne de vingt ans et une personne de soixante ans, qui n'auront pas lu les mêmes livres, regardé les mêmes films, écouté les mêmes radios, tout en étant segmenté par génération. Si la télévision publique peut parvenir à fournir un centre d'intérêt commun entre générations, elle aura joué un rôle important dans le climat social du pays.
Par ailleurs, toute l'économie de l'immatériel se retrouve dans les programmes de télévision. J'ai tendance à considérer que la télévision de service public, ce sont d'abord les programmes qui sont diffusés par le service public. Toutefois, l'économie de l'immatériel est aussi représentée par tous les droits dérivés, les DVD, la télévision à la demande, les reprises et les ventes à l'étranger. J'ai la chance de produire deux jeux qui réalisent tous les jours la meilleure audience de France 2 et de France 3. Grâce aux présidents de France Télévisions, qui ont soutenu ces formats originaux et les ont considérés comme des créations, France Télévisions n'acquitte pas de royalties à des sociétés étrangères. Ce sont au contraire des pays comme le Japon ou la Slovénie, qui ont recréé nos formats, qui nous en versent. La création à la télévision a donc une dimension politique culturelle, sociale et économique, et devrait constituer un enjeu important.
La télévision publique est par ailleurs devenue responsable d'un rapport clé avec le monde de la création. C'est en cela qu'elle doit aussi se distinguer de la télévision privée. Le secteur privé travaille de manière privilégiée avec quelques sociétés, avec lesquelles il entretient des rapports confiants et professionnels. France Télévisions a toujours considéré que sa mission était de recourir à un grand nombre de producteurs et de sociétés de production, et de pousser à la création de nouvelles entités, comme si le saupoudrage était une garantie de diversité. D'autres modèles visent l'interne et l'intégration verticale entre sociétés audiovisuelles et sociétés de production.
Pour renouveler le vivier de la création, il faut selon moi jouer la carte de la professionnalisation. Seul le service public peut inciter de jeunes scénaristes, de nouveaux réalisateurs ou de jeunes producteurs à entrer dans le jeu, tout en considérant que c'est par leur professionnalisme et non parce qu'ils sont jeunes qu'ils doivent entrer dans la boucle. C'est le service public qui doit réfléchir à garantir ce professionnalisme et cette professionnalisation.
La télévision publique détient une responsabilité clé dans ce domaine par rapport aux autres chaînes. Elle constitue en effet un véritable benchmark dans ce domaine : à chaque fois que le service public prend des initiatives, qu'il s'agisse de diffuser des séries de 52 minutes en prime time, de créer des événements ou des formats, le privé innove. Si France Télévisions baisse la barre, cela ne se produit pas. Il y a donc là un effet d'entraînement doublement vertueux.
France Télévisions joue donc un très grand rôle dans la représentation du réel. La culture, dans le monde contemporain, doit faire une place importante à l'économie ou à la science, qui sont des éléments importants de la culture de notre époque. Il y a quinze ans, une chaîne comme M6, qui ne considère pas forcément que le service public soit sa première mission, a réussi à innover avec « Capital », en économie, ou avec « E = M6 », et a parlé le langage de son public et de son époque dans ces deux domaines, alors qu'on a tendance à voir la culture uniquement dans les domaines les plus classiques. Même si ceux-ci ont leur importance, on ne doit pas se limiter à une seule acception de la connaissance.
De ce point de vue, France Télévisions dispose de peu d'exemples d'innovation et d'intérêt pour ces sujets, qui sont soit traités comme de l'information, soit ignorés parce que ne remplissant pas les bonnes cases.
Il faut dire que le moment est particulièrement compliqué, France Télévisions devant à la fois faire lien et parler aux publics les plus divers. Je redoute le moment où des Français, estimant que la télévision publique ne leur apporte plus rien, décideront de ne plus payer la redevance. Que fera-t-on alors ?
Il est donc très important de parler à tous les publics, afin que chacun trouve une raison personnelle pour regarder des choses qui n'existent que sur France Télévisions. En ce moment, France Télévisions est écartelée entre les deux.
Enfin, Mme Ghali a protesté lorsque M. Wolton a évoqué l'augmentation de la redevance. Je comprends bien que ce n'est pas possible. Il me semble que la première mesure extraordinairement importante que vous pourriez prendre, mesdames et messieurs les sénateurs, serait de mensualiser la redevance, pour la rendre moins douloureuse, comme les abonnements aux opérateurs de téléphonie mobile, à Canal+, etc. Cela permettrait de remédier partiellement à ce sous-financement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci.
Marc Tessier nous a dit que les mutations profondes que traverse notre audiovisuel questionnent son mode de gouvernance et son pilotage. Je propose de passer la parole à ce sujet à notre dernier intervenant, Serge Schick. Faut-il réinventer une gouvernance pour gérer la transition largement évoquée par les uns et par les autres ?
M. Serge Schick, directeur délégué au marketing stratégique et au développement de Radio France. - Merci pour cette invitation, qui va me permettre d'exprimer un point de vue professionnel, mais aussi le point de vue du téléspectateur et du citoyen que je suis.
Tout d'abord, la perception que peut avoir le téléspectateur de la télévision publique a bien changé en dix ans. Le sondage qui nous a été présenté le montre bien, l'attachement des Français au service public télévisuel et à certaines de ses chaînes a progressé.
On va fêter les dix ans de la télévision numérique terrestre (TNT) en mars prochain. L'offre est donc beaucoup plus large mais, paradoxalement, elle a su montrer la différence qualitative du service public. On voit bien que les moyens investis par France Télévisions font finalement la différence. L'offre de service public, notamment en soirée, n'a rien à voir avec celle des autres chaînes. Le choix est bien plus important. On ne propose pas tous les soirs aux téléspectateurs de partir en expédition avec les pompiers, les policiers ou les CRS, pour voir ce qui se passe dans les coulisses. Le choix est varié et ceci est à mettre au crédit de la télévision publique.
L'information est également essentielle. Je partage l'avis de Marc Tessier sur ce point : s'il existe une mission que France Télévisions doit porter bien haut, c'est celle de l'information. Cette offre, ces dernières années, s'est enrichie à travers les magazines, grâce à des formules pérennes : le fait qu'un magazine comme « Envoyé spécial » soit encore là constitue une performance. D'autres types de magazines d'enquête ont été mis à l'antenne. Ils ont montré leur réussite.
Par ailleurs, aujourd'hui, le journal de France 2 est très différent du journal de TF1. On peut le démontrer très facilement. Ce vrai travail de différenciation est à mettre au crédit de l'ensemble des présidents qui se sont succédé depuis dix ans.
Autre élément fondamental : on a beaucoup parlé du retard de France Télévisions dans le domaine du numérique. Ce retard a été en partie comblé, même si beaucoup reste à faire. Certains investissements ont été réalisés. D'aucuns considèrent peut-être qu'ils sont trop importants. Ce n'est pas mon cas. Ils doivent être encouragés. Si l'offre de France Télévisions sur l'ensemble des réseaux numériques n'est pas suffisante, à l'instar de celle que nous devons développer pour Radio France, elle perdra en actualité. L'action de France Télévisions a montré son utilité en matière de contenus et de distribution et le public en a aujourd'hui une meilleure perception.
Les usages vont par ailleurs continuer à évoluer. On a peu parlé de la télévision de rattrapage, qui se développe beaucoup, notamment auprès des jeunes. Certains genres télévisuels sont massivement consommés de cette manière. On a évoqué les réseaux sociaux, mais il faut aussi parler du nombre d'écrans. En France, chaque foyer compte aujourd'hui en moyenne plus de six écrans. La télévision, comme la radio, se regardent sur l'ensemble de ces écrans. C'est pourquoi il est souhaitable de renforcer l'universalité de la redevance.
Le cadre économique n'est pas sur le point de se simplifier. Les ressources publiques ne vont pas croître dans l'avenir. C'est cet environnement qu'il va falloir avoir bien en tête à l'horizon de 2020. France Télévisions va devoir, plus encore que par le passé, faire la preuve de sa différence. Je ne suis pas sûr que l'on puisse maintenir ce qui ne fonctionne pas. Il faudra également encourager ce qui connaît un certain succès et innover. On ne pourra pas tout faire et des choix devront être arrêtés. Radio France est exactement dans la même situation. On s'y emploie. Il ne s'agit pas d'une paupérisation des moyens, mais de définir des axes stratégiques bien clairs et bien identifiés, afin de conduire ceux qui sont intéressés par la télévision publique, ainsi que la tutelle, à faire les bons choix.
Il existe un véritable enjeu par rapport au public ; en Europe, la plupart des médias de service public doivent résoudre le problème du vieillissement de leurs audiences, qui est structurellement plus important que le vieillissement de la population.
Par ailleurs l'homogénéité des publics qui regardent ces chaînes est encore trop importante : il ne compte pas suffisamment de jeunes, ni de classes moyennes. C'est un combat quotidien qu'il faut absolument continuer. On ne peut admettre qu'une catégorie de public disparaisse du spectre de la télévision ou de la radio publiques sous prétexte qu'ils sont plus difficiles à atteindre.
Radio France a fait le choix de relancer le Mouv'. C'est un choix raisonné, qui est également en rapport avec nos missions. On ne peut accepter de ne pas toucher les jeunes de milieux défavorisés.
L'audience n'est pas tout, mais je rejoins Marc Tessier sur un point : il n'existe pas de fatalité du déclin des audiences. Sans vouloir crier victoire trop tôt, depuis que la nouvelle équipe de Radio France est arrivée, les audiences ont progressé. Celle de France Info était en baisse depuis cinq ans, elle est repartie à la hausse.
En redonnant un nouveau souffle à ce que l'on fait, on peut progresser dans ce paysage extrêmement concurrentiel, malgré une offre enrichie.
L'offre de la télévision s'est beaucoup élargie ces dernières années, mais les téléspectateurs vont s'y habituer ; il n'y a donc pas de raison que France Télévisions ne puisse pas retrouver une part de ses audiences et satisfaire son public.
S'agissant de la gouvernance, certains choix doivent être arrêtés. Je ne parlerai pas de la relation avec les pouvoirs publics ou les tutelles, qui est sans doute assez complexe, mais plutôt du management des entreprises. Il faut que les offres de télévision soient complémentaires, ainsi que leurs services numériques. Radio France travaille également beaucoup sur la complémentarité. Comment faire en sorte que le management et la gouvernance de France Télévisions soient mieux organisés pour aborder ces questions ? Plusieurs choix ont été faits, comme celui d'une forte centralisation de la programmation, lorsque Patrick de Carolis et Patrice Duhamel dirigeaient l'entreprise, ou du guichet unique. Une organisation harmonisée, plus décentralisée, correspondant mieux à la richesse des contenus, a également été retenue.
La ligne de gouvernance, pour la future direction de France Télévisions, devra absolument avoir ces éléments en tête. Les entreprises publiques, télévisuelles ou radiophoniques doivent opérer une révolution de la gouvernance et du management. C'est sur ce point qu'il conviendra de s'interroger. Cela nécessite des orientations stratégiques très claires sur la complémentarité des chaînes et de leurs services. Il s'agit d'un dossier certes technique, mais fondamental.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits du programme « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public ». - Les différentes interventions qui viennent d'avoir lieu sont d'un très grand intérêt. Elles nous permettent de prendre du champ par rapport à nos préoccupations immédiates, et nourrissent nos réflexions. J'en suis très heureux.
Ce débat permet de faire preuve d'une certaine ambition pour le service public de la télévision et de poursuivre une forme d'idéal, ce qui ne nous exonère pas de dégager une orientation stratégique et technique.
Toutefois, certains de nos intervenants ont laissé entendre que l'indépendance de notre service public de l'audiovisuel n'existait pas. Dans ces conditions, comment améliorer la situation ?
France Télévisions reconnaît elle-même les tensions que génèrent les injonctions contradictoires et les changements de cap ; les mandats sont trop courts, ou trop répétitifs, ce qui remet en cause la stratégie.
Par ailleurs, ce sont les contenus qui font la différence. Chacun a mentionné l'attrait culturel que représentent les chaînes du service public, tout en reconnaissant que celles du secteur privé n'en sont pas dénuées. Comment rendre cette dimension attractive ? Les moyens que vous proposez me paraissent très intéressants. Tout le monde se souvient d'un instituteur ou d'un professeur qu'il a eu dans sa jeunesse, et qui lui a fait aimer la matière qu'il enseignait, même si celle-ci ne lui paraissait pas très attractive. La forme des émissions me paraît donc très importante, et la notion de contenu doit conforter la différence du service public.
On ne peut s'empêcher, en cette année charnière, d'évoquer le modèle économique. La redevance est un vrai sujet, tout comme la publicité. Elles contribuent aussi à l'indépendance du service public de l'audiovisuel. Depuis quelques années, on tourne en rond au sujet de son financement. J'entends dire que la redevance est impopulaire : c'est vrai ! Elle ne devrait toutefois pas l'être. Il faut expliquer que la qualité des programmes doit beaucoup à la redevance.
Si l'on ne fait rien, la redevance risque de disparaître. De plus en plus de téléspectateurs regardent leurs émissions sur des écrans qui échappent à toute taxe. Il est loin le temps où le foyer ne comptait qu'un seul écran !
Il faut légitimer la redevance par les contenus, et savoir pourquoi on la paye - mais c'est un voeu pieux. Il faut que le grand public prenne conscience que le service public de l'audiovisuel est utile, qu'il sert et accompagne l'élévation de l'esprit d'une nation et d'une société.
La publicité reste également un véritable sujet. Je voudrais à ce propos connaître l'avis des intervenants sur son maintien, son extension ou sa suppression, tout en gardant à l'esprit qu'il faudra bien trouver autre chose pour la remplacer si elle disparaît totalement. L'absence de publicité n'est-elle pas aussi un élément de différenciation pour le service public audiovisuel ainsi qu'un facteur d'indépendance ?
Enfin, comment faire pour mettre en avant le service public audiovisuel français, dans un paysage européen et mondial très diversifié ?
M. David Assouline. - Je veux tout d'abord remercier les intervenants pour les éclaircissements qu'ils nous ont apportés à propos de l'avenir de France Télévisions.
On a peu évoqué la place de l'audiovisuel public dans le paysage audiovisuel global. Pourtant, le service public, en France, grâce aux moyens dont il dispose et à la qualité de ses personnels, peut restructurer le paysage audiovisuel, qui en a bien besoin. Profitons de ces débats et des nominations qui vont avoir lieu pour définir une nouvelle ambition !
Chacun reconnaît que le service public possède une place à part et une mission particulière, surtout au lendemain des événements dramatiques qui se sont produits il y a un mois.
L'information occupe une place de plus en plus grande dans notre société. Lorsque l'actualité s'emballe, on branche BFM ou i-Télé. Les chaînes de service public, qui ont pourtant un rôle central dans ce domaine, ne la traite qu'après les autres, et ne jouent plus le même rôle. Ce concept de chaîne d'information publique n'est pas suffisamment exploité, alors que le service public en a les capacités. Le projet d'une chaîne de service public diffusant l'information 24 heures sur 24 a été défendu en son temps par Marc Tessier. Ce serait là un moyen de toucher des publics totalement différents.
Il faut que le service public ose des programmes innovants, créatifs et de qualité. C'est le cas de la création culturelle, qui est toutefois actuellement diffusée à des heures très tardives.
Je suis d'accord avec Mme Harari : il ne faut pas penser qu'on a seulement le choix entre segmenter ou fédérer le public autour d'émissions qui rassemblent toutes les classes d'âge. On est tenu de proposer les deux, mais c'est la façon de faire qui distinguera les chaînes de service public des autres : on peut traiter le sport, la chanson ou le divertissement autrement.
Les sondages oublient que la moyenne d'âge de ceux qui regardent les chaînes de service public est de plus de soixante ans. À la radio, cet âge est encore plus élevé. Ceci doit nous amener à réfléchir à la façon dont on peut justifier la redevance !
M. Louis Duvernois. - En ma qualité d'ancien administrateur de Radio France international et de la Société holding Audiovisuel extérieur de la France devenue France Médias Monde, je souscris totalement aux propos de M. Dominique Wolton. L'audiovisuel public est bel et bien un enjeu national et international. La globalisation des échanges entraîne une concurrence exacerbée et une plus grande mobilité des personnes ; autant qu'elle avive une volonté publique et collective de rayonnement de la France dans le monde. Par ailleurs, il n'a pas été rappelé, au cours des différentes interventions, que le service audiovisuel extérieur de la France a été rattaché à France Télévisions. Alors qu'il nous faut repenser notre modèle économique, ne pourrions-nous pas en profiter pour intégrer la dimension internationale qui a toujours fait défaut à notre pays dans le secteur audiovisuel ?
À cet égard, sans faire preuve de malveillance à l'égard de la concurrence du secteur privé, je rappellerai qu'une chaîne comme TF1, qui est la plus regardée, a totalement manqué son ouverture internationale. Comme administrateur, j'ai pu constater l'obstruction forte de la première chaîne à la diffusion de France 24, qui fait partie de l'audiovisuel extérieur de la France, sur le territoire national. Sans la pugnacité du Sénat et des parlementaires conscients de ce problème, la diffusion de France 24 eût été impossible en Ile-de-France et dans les Bouches-du-Rhône. Ce combat est cependant loin d'être gagné et je souhaite que les intervenants de cette table ronde abordent cette question.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Merci à nos intervenants pour leur éclairage sur la situation complexe du groupe France Télévisions. Je souhaiterai rebondir sur la question des contenus soulevée par M. Dominique Wolton qui nous oblige, parfois, à prendre en compte celles de la technique, de la visée des programmes et, plus largement, de la finalité de l'audiovisuel public. Permettre à nos concitoyens de mieux appréhender les enjeux européens et internationaux devrait être l'objectif prioritaire de celui-ci. L'envergure du service public est également importante puisqu'elle conduit à examiner si les moyens mobilisables pour assumer cet objectif sont bel et bien pérennisés. En ce sens, la question de la redevance se pose avec beaucoup d'acuité tant elle conditionne l'indépendance du service public audiovisuel, qui constitue l'un des principes de la démocratie. En outre, la qualité des hommes et des femmes qui composent ce service public doit aussi être évaluée, ainsi que l'ensemble de la réglementation qui lui est spécifique. Notre groupe politique demeure très attentif à ce débat. Pour que le service public soit l'affaire de tous et fait pour tous, il faudrait recueillir l'opinion des femmes sur son fonctionnement par le biais d'études spécifiques et ne pas attendre, pour ce faire, que la Délégation aux droits des femmes du Sénat s'empare de ce sujet !
Mme Samia Ghali. - La question de la redevance est essentielle ; elle rejoint celle des programmes. Certains sont diffusés depuis plusieurs dizaines d'années sous un même format ; ils doivent évoluer pour attirer un public plus jeune. Comment reconquérir un public qui n'existe plus, en l'occurrence la jeunesse, qui incarne l'avenir de France Télévisions ? Évitons cependant de comparer la redevance à un abonnement auprès d'un opérateur privé, du fait de son caractère obligatoire ! D'ailleurs, si les programmes de la télévision publique demeurent inchangés, les Français en viendront à s'interroger sur le bien-fondé de la redevance. Je formulerai une suggestion : dans le contexte que nous connaissons depuis le début de cette année, réfléchissons au lien que France Télévisions pourrait nouer avec les écoles pour diffuser l'instruction civique et les connaissances historiques et, du même coup, éduquer une nouvelle génération au secteur audiovisuel public.
Mme Sylvie Robert. - L'audiovisuel public est bel et bien un espace de confrontations. Je ne vais pas revenir sur l'exigence qui est la sienne de participer à la construction d'un espace critique. Néanmoins, il me semble que la perception qu'ont les programmateurs du public ne correspond pas tout à fait à ces attentes. Je rebondirai ainsi sur l'idée évoquée par M. Marc Tessier d'un redéploiement des moyens, en adressant aux intervenants une question sur l'évolution de France 3 et de ses antennes régionales. Quelle évolution doit-on attendre de la nouvelle organisation territoriale ? En Bretagne, nous sommes très attachés à nos antennes régionales, voire interrégionales et je suis convaincue que le maillage territorial représente un atout pour le service public audiovisuel même si force est de constater que les équipes régionales ne disposent pas toujours de moyens suffisants tant économiques qu'éditoriaux.
Mme Maryvonne Blondin. - Notre table ronde aurait pu accueillir M. Jacques Lévy, auteur d'une contribution sur ce que représentait l'espace français pour l'avenir de l'audiovisuel public dans le cadre de la mission sur l'avenir de France 3, qui était présidée par Mme Anne Brucy et à laquelle j'ai eu l'honneur de participer avec notre collègue rapporteur, M. Jean-Pierre Leleux. Comme le soulignait précédemment M. Dominique Wolton, l'identité régionale fait identité nationale, et nous nous étions intéressés, dans cette mission, à l'avenir du service public de proximité ; la proximité étant l'une des quatre notions, avec celles d'identité, d'urbanité et enfin d'échelle, sur lesquelles pouvait être fondée la nouvelle gouvernance de l'audiovisuel public.
M. Gilbert Bouchet. - France 3 me paraît avant tout une chaîne de la culture et de la littérature. Mais quelle sera l'évolution du journal régional, qui dure actuellement 15 minutes, suite au nouveau découpage territorial qui impliquera la couverture, pour chacune de ses éditions, d'un territoire beaucoup plus vaste qu'auparavant ? L'Europe représente certes un enjeu essentiel, mais n'oublions pas l'importance de la proximité !
M. René Danesi. - J'ai bien noté que les participants à notre table ronde préconisaient une évolution de la redevance audiovisuelle, notamment grâce à son extension à tous les écrans. Mais dans le contexte économique difficile que nous traversons, ne serait-il pas salutaire que le groupe France Télévisions consente à revoir son mode de fonctionnement, en commençant par examiner l'utilité publique de posséder cinq chaînes ? Je ne pense d'ailleurs pas que les spectateurs accepteront une augmentation de la redevance ou de la publicité, voire leur combinaison. Alors que tous les maires de France sont invités à faire plus avec moins, le groupe France Télévisions ne pourrait-il pas, à son tour, faire mieux avec autant ?
Mme Marie-Christine Blandin. - Notre collègue André Gattolin, souhaitait s'exprimer pour notre groupe politique. J'aurais ainsi deux questions à vous poser en son nom. D'une part, pourquoi la mission de service public s'applique au champ de la culture scientifique de manière très satisfaisante à Radio France, alors qu'elle l'est très succinctement à France Télévisions ? D'autre part, il ne saurait y avoir d'indépendance durable sans modèle de financement et le service public audiovisuel enrichit les producteurs avec un flux d'argent à sens unique. Le partage des bénéfices sur les droits est-il, à terme, envisageable ?
M. Michel Savin. - Le sport intéresse également un grand nombre de téléspectateurs ; l'un des intervenants a d'ailleurs évoqué l'importance de « créer l'événement ». Or, seule TF1 retransmettait, la semaine dernière, la finale du championnat du monde de handball. À l'exception du Tour de France et de Roland-Garros, France Télévisions est souvent absente des grands événements sportifs dans des disciplines certes peu connues du grand public, mais qui méritent d'être découvertes, à l'instar de certains sports féminins. Bien que les autres chaînes cryptées mobilisent des financements conséquents pour acquérir les droits de diffusion des grands événements sportifs, je reste persuadé que France Télévisions pourrait jouer un rôle important dans ce domaine.
Mme Colette Mélot, présidente. - Les questions demeurent très variées. Je passe maintenant la parole aux intervenants de notre table ronde. L'ensemble des sujets sur lesquels portent ces questions fera l'objet d'un débat en commission et nous aurons très certainement l'occasion d'y revenir.
M. Marc Tessier. - Je ne peux que m'exprimer à titre personnel et je formulerai trois remarques. D'une part, l'information est au coeur à la fois de la mission et de l'image de France Télévisions auprès des téléspectateurs. Toute forme de développement des canaux de diffusion de l'information s'avère essentielle non seulement pour le groupe, mais aussi pour le pays. J'ai toujours pensé qu'une chaîne d'information qui disposerait à la fois des équipes de France 3 présentes sur le territoire et d'une chaîne internationale, auxquelles s'ajoutent les personnels propres de France Télévisions, serait en mesure de présenter une information en continu très différente de celle des chaînes dont nous parlons aujourd'hui et qui disposent de relativement peu de moyens journalistiques. Ce débat devra être un jour ré-ouvert, sachant que les grandes chaînes nationales demeureront des lieux du débat collectif qu'on assimile à l'information.
D'autre part, quelle sera la place des équipes de France 3 au sein du groupe France Télévisions ? Je pense que les moyens actuels de France Télévisions ne lui permettent pas de mener tous ses objectifs raisonnablement. Par conséquent, la question de savoir si France 3 représente un ensemble de chaînes régionales qui parfois se syndiquent entre régions et bénéficie ainsi d'un statut à la fois régional et national ne saurait être évacuée. Faute de réponse, tout redéploiement de moyens nécessaire à la création d'une nouvelle chaîne d'information demeure problématique. D'ailleurs, au-delà de France 2 et de France 5 et compte tenu de la part du budget du groupe France Télévisions que représente France 3, la création d'un troisième programme d'envergure nationale est-elle possible à budget constant ? Mon choix était fait : il s'agissait, selon moi, de créer une nouvelle chaîne d'information télévisuelle et continue au sein du groupe France Télévisions afin d'enrichir le service rendu aux Français et de refonder la chaîne France 3 qui était, il y a une quinzaine d'années encore, la chaîne préférée des Français. Manifestement, elle ne l'est plus !
S'agissant de l'intégration de l'international, prenons garde à ne pas recréer des structures trop complexes à gérer. Il importe que les programmes du groupe France Télévisions disposent d'une projection à l'international, et c'est d'ailleurs la mission de TV5, et d'en retirer des avantages en retour pour les capacités journalistiques de notre chaîne internationale. Cette démarche est tout à fait plausible.
Enfin, nous avons évoqué le service public de la télévision sans mentionner Arte qui est également financée par la redevance, et non directement par le budget de l'État.
Mme Colette Mélot, présidente. - Le thème de notre table ronde était l'avenir de France Télévisions.
M. Marc Tessier. - Je vous l'accorde, mais Arte est la chaîne culturelle et on ne peut demander à France Télévisions d'assumer ce rôle en contradiction avec elle ! D'ailleurs, Arte est perçue comme une grande chaîne culturelle par les Français et malgré sa relativement faible audience, je demeure convaincu qu'en cumulé, un grand nombre de nos compatriotes regarde ses émissions et la considère comme un élément central de notre paysage audiovisuel. Il faut compter avec Arte et les équipes actuelles de France Télévisions en ont conscience. Comme l'évoquait Mme Michèle Reiser, lorsqu'on examine l'offre de la télévision publique en première partie de soirée, Arte, dont la numérotation, aux yeux des téléspectateurs, l'inclut ipso facto parmi les chaînes du groupe France Télévisions, figure en bonne place !
M. Guillaume Klossa. - Voici quelques éléments de comparaison en matière de financement de l'audiovisuel public dans les autres pays européens. D'une part, le niveau de financement des grandes chaînes nationales en 2013 laisse apparaître que l'Allemagne y contribue à hauteur de 9 milliards d'euros, le Royaume-Uni à quelque 7 milliards de financement public, tandis que la France n'y consacre que 3,7 milliards d'euros. D'autre part, s'agissant du financement par tête en parité de pouvoir d'achat, en 2013, le Royaume-Uni est second, l'Allemagne est quatrième et la France est treizième. En ce qui concerne le pourcentage du produit intérieur brut consacré à la télévision publique, la France demeure également assez loin. Il est certes louable d'afficher de grandes ambitions, encore faut-il mobiliser les moyens nécessaires à leur réalisation ! L'ensemble des grands pays européens dispose d'un nombre plus important de chaînes nationales, avec une moyenne de dix, tandis que la France en possède la moitié. En outre, tous les grands pays disposent d'une chaîne d'information propre, souvent internationale, intégrée dans le service public. Les comparaisons internationales font ainsi apparaître une exception française, que caractérisent également une attente plus grande en termes éco-systémiques et une concurrence accrue. D'ailleurs, aucun pays, à l'exception de la France, n'a privatisé sa première chaîne et cette démarche a eu un impact très structurant sur l'audiovisuel public. Toutes ces données doivent être prises en compte au regard de l'ambition, légitime certes, nourrie à l'égard de France Télévisions, mais il importe de prendre aussi en compte l'univers audiovisuel qui est désormais décloisonné et mondial. Il faut disposer d'une vision pour le court et moyen terme, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la charte de la BBC se négocie pour une décennie, avec une visibilité stratégique à l'horizon de cinq ans n'excluant pas l'examen annuel des comptes et des programmes. À cet horizon, s'ajoute une pérennisation des ressources bien plus considérables que celles mobilisées en France, tout en exprimant une attente moindre sur le rôle systémique et sociétal du service public audiovisuel. Cet ensemble de contraintes doit être pondéré et motiver vos recommandations afin que France Télévisions dispose de réelles capacités entrepreneuriales conciliant l'innovation et la créativité avec les moyens disponibles. Si l'ambition politique est nécessaire et légitime, il faut assurer plus de moyens et de souplesse, dans un cadre prévisible dont la radio et la télévision publiques doivent bénéficier.
Mme Michèle Reiser. - L'existence d'Arte ne saurait dispenser France Télévisions de proposer une offre culturelle de qualité s'adressant au très grand nombre et aux heures de grande écoute. France Télévisions ne saurait être de la sorte exonérée de sa mission initiale que j'ai rappelée aujourd'hui.
Mme Simone Harari. - Je formulerai deux remarques. D'une part, dans les systèmes actuels, lorsqu'on parvient à exporter nos programmes, et notamment nos jeux, un chèque est bel et bien adressé, en sens inverse, à France Télévisions qui enregistre ainsi des recettes. Malheureusement, les programmes français s'exportent peu, mais c'est là un autre sujet. D'autre part, nous sommes tous conscients qu'il s'agit d'intéresser d'autres classes d'âge que les plus âgés. Mais les jeunes utilisent de plus en plus d'autres moyens de diffusion. Ainsi, j'ai pu constater que certains programmes, comme l'une de nos émissions scientifiques diffusées, de manière hebdomadaire, par la chaîne Arte, fait l'objet d'un visionnage en vidéo à la demande (VOD) sur des tablettes. C'est pourquoi il conviendra sans doute de mesurer l'audience non seulement de ceux qui regardent la télévision en linéaire mais aussi la télévision de rattrapage et les autres supports en ligne.
M. Serge Schick. - Le public de Radio France, même s'il n'est pas à proprement parler publiphobe, est sensible à ce qu'il y ait moins de publicité que sur les radios commerciales. Nous demandons néanmoins à pouvoir élargir le champ de nos annonceurs. Une telle démarche devrait contribuer à donner une image plus moderne de nos antennes et de nos auditeurs, tout en veillant à maintenir la limitation du volume publicitaire.
Mme Colette Mélot, présidente. - S'il n'y a plus de demande de prise de parole, je vais laisser notre rapporteur, M. Jean-Pierre Leleux, conclure cette table ronde.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits du programme « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public ». - Quelques mots au nom de notre présidente, Mme Morin-Desailly, et des membres de notre commission pour vous remercier de l'éclairage que vous venez d'apporter à la réflexion du Sénat qui se veut impliqué dans les stratégies à venir de l'audiovisuel en général, et de l'audiovisuel public en particulier. Dans le contexte marqué par les forts bouleversements que nous connaissons, les évolutions sont extrêmement rapides, qu'il s'agisse des technologies ou des attentes du public dont la diversité s'accroît. Nous allons devoir formuler des propositions, car promouvoir l'immobilisme dans de telles circonstances serait irresponsable. Notre commission va ainsi poursuivre son travail en auditionnant un grand nombre de partenaires comme le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou les responsables de France Télévisions, afin de formuler des propositions dans le courant de cette année 2015.
La réunion est levée à 12 h 05.
Modernisation du secteur de la presse - Examen des amendements au texte de la commission
La réunion est ouverte à 14 heures.
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission examine les amendements au texte de la commission n° 259 (2014-2015) sur la proposition de loi n° 202 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, dont le rapporteur est M. Philippe Bonnecarrère.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, avant de procéder à l'examen des amendements sur le texte de la commission n° 259 (2014-2015) pour la proposition de loi n° 202 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, je voudrais vous sensibiliser à l'opération que nous organisons sous l'égide du président du Sénat, le 11 février prochain, avec l'Institut national de recherche en sciences du numérique (INRIA), lors de laquelle nous pourrons échanger avec une vingtaine d'équipes de recherche de cet institut.
M. Patrick Abate. - L'amendement n° 16 vise à revenir à la rédaction initiale de la proposition de loi en conservant le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) comme acteur de l'homologation des barèmes plutôt que l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), les membres du CSMP paraissant plus qualifiés pour cette tâche.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - La commission a confié cette responsabilité à l'Autorité de régulation plutôt qu'au Conseil supérieur. Il y a d'ailleurs un consensus autour de cette proposition entre les deux instances.
J'émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. Patrick Abate. - Nous le maintenons et nous aviserons en séance publique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 16.
M. David Assouline. - L'amendement n° 3 vise à rétablir le texte de l'Assemblée nationale afin de réintégrer les surcoûts « historiques » de la distribution au calcul de la péréquation entre les éditeurs de presse.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Le retour au texte de l'Assemblée nationale n'entraînerait pas l'intégration des surcoûts dits « historiques » ou « sociaux » dans le calcul de la péréquation, sauf décision du CSMP en ce sens. Une telle modification des modalités de calcul de la péréquation, qui ont fait l'objet d'un accord des éditeurs comme des messageries, ne me semble ni opportune, ni juste économiquement, dans la mesure où ces surcoûts sont d'ores et déjà pris en charge par l'État.
M. David Assouline. - Je retire l'amendement.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - À l'amendement n° 6 rectifié bis, vous demandez, monsieur Commeinhes, une séparation comptable qui existe déjà.
Vous proposez, en outre, un système complexe de calcul de la péréquation destiné à la rendre « vertueuse ». Cette préoccupation a été intégrée dans la rédaction de notre commission : nous avons introduit la notion d'efficience de la gestion des moyens mis en commun, afin, sans modifier la logique de péréquation, de garantir un modèle aussi « vertueux » que possible.
M. François Commeinhes. - Je retire l'amendement n° 6 rectifié bis.
L'amendement n° 6 rectifié bis est retiré.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement n° 8 rectifié à l'article premier vise à limiter la procédure d'homologation des barèmes à la distribution des seuls quotidiens, à l'exclusion des barèmes applicables à la presse magazine. Notre commission, soucieuse d'assurer les conditions d'une application respectueuse du droit à la concurrence, a transféré la procédure à l'ARDP. A priori, cette solution satisfait les parties.
M. François Commeinhes. - Je le retire.
L'amendement n° 8 rectifié bis est retiré.
M. Patrick Abate. - L'article 7 introduit une exception au principe de la distribution de la presse quotidienne nationale par les sociétés coopératives : dans certaines zones géographiques, les entreprises de presse pourront recourir à des réseaux locaux de distribution au point de vente. Cette remise en cause du principe coopératif nous paraît peu opportune ; tel est l'objet de notre amendement n° 17.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'article 7 nous paraît, au contraire, pertinent et constitue un élément essentiel de la proposition de loi. Il ouvre la possibilité à la presse quotidienne régionale de distribuer la presse quotidienne nationale. Pour la presse quotidienne régionale, cette évolution représente un enjeu économique important : la perspective de pouvoir passer un accord avec des organes de presse quotidienne permettrait un amortissement des coûts. La presse quotidienne nationale, qui éprouve des difficultés à diffuser le plus rapidement possible à travers le territoire français, trouve, pour sa part, dans cette disposition, une modalité très efficace de distribution à moindre coût. L'article 7 dénoue à cet effet les clauses d'exclusivité vis-à-vis de Prestaliss.
Je vous propose de donner un avis défavorable à cet amendement.
M. Patrick Abate. - Merci de l'intérêt que vous portez à cet amendement et aux précisions que vous nous apportez. Nous déciderons en séance de notre position définitive.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 17.
M. Patrick Abate. - L'amendement n° 18 est un amendement de repli qui oblige toute entreprise de presse qui distribue les quotidiens nationaux à adhérer aux coopératives de presse. Comme pour l'amendement précédent, nous maintenons cet amendement et déciderons en séance publique.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - La rédaction que vous proposez est une version modifiée de l'article 1er de la loi Bichet de 1947, qui autorise les organes de presse à assurer eux-mêmes leur distribution. Vous êtes pourtant très attentif à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à la rédaction des textes de 1945, 1946, 1947. Il serait paradoxal, alors, que le groupe CRC participe à une réécriture de l'un de ces grands textes républicains.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 18.
M. Patrick Abate. - L'amendement n° 27 vise à rendre obligatoire la création, par le CSMP, d'une société commune de moyens aux deux messageries.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Si cette solution peut in fine être envisagée, la négociation préalable entre messageries, s'agissant de la mise en commun de certains de leurs moyens logistiques, doit être privilégiée.
Outre le fait que ni Prestaliss, ni MLP, pas plus que les syndicats, ne sont d'accord sur une fusion, personne ne serait en mesure aujourd'hui de la financer. Pire, votre amendement, s'il était satisfait, risquerait d'entraîner un plan social.
Je vous propose de donner un avis défavorable à cet amendement.
M. Patrick Abate. - Nous ne souhaitons évidemment pas aboutir à l'instauration d'un plan social, mais nous maintenons cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 27.
M. François Commeinhes. - L'équilibre actuel entre les pouvoirs du Conseil supérieur des messageries de presse et celui de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse a montré son efficacité. Rajouter une possibilité de recours qui s'apparenterait à un niveau d' « appel » auprès de l'autorité de régulation qui pourrait alors se substituer au Conseil semble peu opportun et de nature à allonger inutilement les délais de prise de décision. Tel est l'objet de l'amendement n° 7 rectifié.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Cette disposition a pour objectif d'éviter que certaines réformes vitales pour les messageries de presse prennent trop de temps à être examinées par le CSMP.
Tous les acteurs considèrent cette disposition indispensable. C'est pourquoi notre commission avait adopté l'article 8 issu de l'Assemblée nationale sans modification.
Nous avons, par ailleurs, retenu, dans le cadre de l'article 9, un délai d'un mois s'ajoutant aux six semaines existantes, au lieu des deux mois supplémentaires prévus par l'Assemblée nationale, afin d'éviter que l'ARDP ne se transforme en juridiction d'appel.
L'État fait en sorte que chacune des messageries tienne ses engagements et que les barèmes soient calculés dans des conditions optimales. Ce pouvoir de substitution attribué à l'ARDP me paraît justifié. Je citerai deux chiffres pour vous permettre de mesurer l'engagement de l'État : les fonds propres de Prestaliss au 31 décembre 2014 étaient négatifs (- 173 millions d'euros) comme ceux des Messageries lyonnaises de presse (- 8,6 millions d'euros). S'il n'y avait pas des dispositifs d'aides publiques, ces entreprises auraient déjà disparu. La proposition de loi Françaix, à travers ce pouvoir de substitution, permet à l'État de sécuriser le dispositif et d'en assurer le sérieux.
Je propose donc à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement qui ne pourra malheureusement pas recevoir de ma part d'avis favorable.
M. François Commeinhes. - Je préfère maintenir mon amendement car je n'ai pas toutes les informations.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 rectifié.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement n° 28 à l'article 9 que je vous propose prévoit une modification de coordination avec les modifications proposées à l'article 1er consistant à transférer à l'ARDP la compétence d'homologation des barèmes des messageries de presse.
La commission adopte l'amendement n° 28.
M. Patrick Abate. - L'amendement n° 19 vise à supprimer l'article 11 A car il existe des structures de gouvernance qui pourraient être revisitées et mises en oeuvre de manière plus efficace. Une nouvelle structure ne s'impose pas.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je donnerai un avis défavorable à cet amendement pour deux raisons. L'État est l'actionnaire unique de l'AFP. Le souhait de nos collègues de le voir jouer un rôle plus actif dans son conseil d'administration, comme c'est le cas dans celui de la SNCF ou d'EDF, n'est pas réalisable, ne serait-ce que pour respecter l'indépendance de l'AFP. Si l'État était davantage présent au conseil d'administration, cela pourrait porter atteinte à la crédibilité de l'AFP. Son conseil d'administration est donc condamné à rester faible.
La création d'une commission de surveillance vise prioritairement à rééquilibrer la gouvernance de l'AFP en créant un « contre-pouvoir » au président-directeur général afin de s'assurer que ses décisions de gestion pourront s'inscrire dans le cadre d'une stratégie de long terme garantissant la pérennité de l'AFP. La Société des journalistes et le SNJ-AFP soutiennent sans réserve la proposition de notre commission.
M. Patrick Abate. - Nous maintenons cet amendement et nous déciderons de son sort en séance publique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 19.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement n° 28 apporte une précision rédactionnelle à l'article 11 A : il vise à préserver le rôle exécutif du conseil d'administration, la commission de surveillance devant exercer une mission de contrôle de la stratégie de l'AFP. Il est donc préférable que la commission de surveillance donne un simple avis au contrat d'objectifs et de moyens sans avoir à l'approuver formellement.
La commission adopte l'amendement n° 29.
M. Patrick Abate. - L'amendement n° 20, de cohérence avec l'amendement n° 19 à l'article 11 A, vise à remplacer la commission de surveillance par le conseil supérieur en rétablissant le texte antérieur de la proposition de loi.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Un retour ex ante serait dommageable et vous ne tenez pas compte des avancées proposées par notre commission :
- le fait que 3 des 5 personnalités qualifiées devront avoir une expérience significative au niveau européen ou internationale. Cette disposition a reçu pourtant un accueil favorable des syndicats ;
- le fait de prévoir que le Conseil d'administration se réunit au moins 4 fois par an alors qu'il se réunit aujourd'hui en moyenne 2 fois par an. Cette disposition doit permettre une meilleure information sur l'état de l'entreprise et elle est soutenue à la fois par la direction et les syndicats. L'objectif était de tenter de dynamiser la gouvernance de l'AFP.
En refusant de créer une « commission de surveillance » avec une véritable légitimité, vous acceptez, monsieur Abate, que les cinq personnalités qualifiées soient, en fait, nommées par la direction de l'entreprise, ce qui, comme me l'ont réaffirmé les syndicats, ne correspond ni à l'intérêt de l'entreprise ni à celui de ses salariés.
En conséquence, je ne peux que donner un avis défavorable à cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 20.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je vous propose un amendement rédactionnel, qui porte le n° 30 de coordination résultant du fait que la commission de surveillance élit elle-même son président.
La commission adopte l'amendement n° 30.
M. Patrick Abate. - Par souci de cohérence, cet amendement n° 21 du groupe CRC vise à supprimer les dispositions concernant la commission de surveillance et, surtout, l'application du droit européen de la concurrence à l'AFP, prévoyant l'établissement d'une comptabilité séparée pour les activités de l'AFP qui ne remplissent pas le caractère d'intérêt général ainsi qu'à la nouvelle mission de contrôle de la compensation versée par l'État, afin de vérifier qu'elle n'excède pas les coûts générés par les missions d'intérêt général de l'AFP.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Monsieur Abate, vous allez au-delà de la notion de cohérence par rapport aux amendements précédents car vous remettez en cause les engagements pris par le Gouvernement dans sa négociation avec la Commission européenne qui permettent de garantir l'avenir et les missions de l'AFP. Il nous appartient, dans le cadre législatif, de respecter les engagements pris au nom de notre pays.
Le poids des missions d'intérêt général n'est pas négligeable et permet de mesurer l'effort de l'État en faveur de l'AFP, notamment sur le plan de la « francophonie », avec une prise en charge à hauteur de 120 millions d'euros par l'État. Le Gouvernement a réussi à préserver le niveau de ses interventions publiques dans ce domaine.
Je vous propose de donner un avis défavorable à cet amendement.
M. Patrick Abate. - Sur la notion de cohérence, un conseil de surveillance comme l'application des injonctions européennes dans ce domaine participent à une privatisation ou libéralisation de l'AFP, considérée comme un « joyau » national jusqu'à ce jour, ni privé ni étatique. Une autre réponse aurait pu être apportée aux injonctions réglementaires de la Commission afin de renforcer le caractère d'entreprise publique oeuvrant dans l'intérêt général afin que l'AFP ne soit pas soumise à des dispositions destinées aux entreprises privées, comme, par exemple, le droit de faillite ou le règlement de la dette.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.
M. Patrick Abate. - L'amendement n° 22 est un amendement de repli par rapport à l'amendement n° 21.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je vous propose de donner un avis défavorable à l'amendement n° 22.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 22.
Article additionnel après l'article 13
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Cet amendement n° 1 de notre collègue Nathalie Goulet vise à créer un Conseil de rédaction doté d'une personnalité juridique autonome, composé de journalistes professionnels qui pourraient adopter des positions différentes de celles préconisées par le directeur de la publication. C'est une modification qui n'est pas neutre.
En termes de droit pénal, depuis la loi de 1880, le directeur de publication assure la responsabilité civile et pénale.
Cet amendement pose un certain nombre de questions.
D'abord, comment concilier la responsabilité pénale du directeur de la publication avec la possibilité donnée au conseil de rédaction de s'opposer aux choix éditoriaux du directeur de la publication ? Qui sera in fine pénalement responsable des contenus diffusés ?
Ensuite, comment concilier les droits individuels donnés aux journalistes par le code du travail - clause de conscience et clause de cession, notamment - et les droits collectifs conférés au conseil de rédaction comme entité solidaire ?
Par ailleurs, comment envisager juridiquement la création d'une personne morale - le conseil de rédaction - au sein d'une autre personne morale - l'entreprise de presse - ? En d'autres termes, comment concilier les obligations des journalistes-salariés vis-à-vis de leurs dirigeants et actionnaires avec la cogestion de l'entreprise par le conseil de rédaction ?
Enfin, la liberté de la presse et la liberté d'organisation interne donnée aux entreprises ne rendent-elles pas impropre un tel dispositif ?
La création d'un conseil de rédaction au sein des entreprises de presse risque au final de décourager tout éditeur ou candidat à la reprise d'un titre dans un contexte de crise de la presse où le besoin d'investisseurs se fait cruellement sentir.
Je vous propose de donner un avis défavorable à cet amendement.
Mme Corinne Bouchoux. - Le groupe écologiste vote pour.
M. Patrick Abate. - Le groupe CRC s'abstient et reviendra sur cet amendement en séance publique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Mme Colette Mélot. - L'amendement n° 5 propose que la liste des journaux susceptibles de recevoir les annonces légales arrêtées par le préfet soit établie après consultation des organisations professionnelles des entreprises de presse disposant d'une publication ou d'une édition dans le département concerné. Il prend acte de la suppression des commissions consultatives départementales qui étaient notamment composées d'opérateurs concurrents, à savoir des directeurs de journaux, en contradiction avec la directive « Services » qui leur interdit de participer à une procédure d'autorisation. Cette consultation, dont les modalités ne sont pas définies et peuvent donc prendre des formes diverses, doit permettre au préfet, autorité décisionnaire, de disposer d'informations sur la situation de la presse locale préalablement à la publication de l'arrêté.
La disparition des annonces judiciaires et légales relatives à la vie des sociétés aurait de lourdes conséquences économiques et sociales sur le secteur de la presse quotidienne et hebdomadaire régionale, mais aussi en termes de pluralisme de la presse dans de nombreux territoires. Elle contribuerait ainsi à affaiblir des entreprises déjà fragiles dans un contexte marqué par la contraction du marché publicitaire et l'érosion du lectorat de la presse papier. Les annonces légales assurent, en effet, une source de revenus non négligeables pour les titres de presse habilités.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Faut-il prévoir une consultation obligatoire du préfet dans la loi ? On peut observer que rien n'empêcherait le préfet de procéder à une telle consultation de sa propre initiative s'il en ressent le besoin. Or la rendre obligatoire peut être particulièrement contraignant puisqu'il faudra recevoir individuellement chaque organisation professionnelle concernée. Au final, le procédé risque d'être plus lourd que celui de la commission consultative qui a été supprimée par le même article.
Je considère que des équilibres ont été trouvés sur le régime de publication des annonces judiciaires et légales et qu'il convient de les préserver. C'est pourquoi je vous propose de ne pas modifier cet article ni au bénéfice de la presse locale - qui en est déjà le principal bénéficiaire -, ni au bénéfice de la presse nationale, ni au bénéfice des services de presse en ligne.
Je propose à nos collègues du groupe UMP de retirer leur amendement, à défaut je serai au regret de donner un avis défavorable.
Article additionnel après l'article 14 bis
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Dans le même contexte, à l'article additionnel après l'article 14 bis, monsieur Commeinhes, vous nous présentez un amendement n° 2 rectifié quinquies qui vise à élargir aux entreprises de presse en ligne le bénéfice des annonces judiciaires et légales.
Une telle évolution ne manquerait pas d'avoir une conséquence immédiate et considérable sur le modèle économique de la presse quotidienne régionale. Plusieurs titres qui sont aujourd'hui dans une situation précaire seraient probablement condamnés. On peut en effet rappeler que les annonces judiciaires et légales pèsent pour environ 400 millions de chiffre d'affaires.
Or si l'on ne peut qu'être favorable au développement des sites de presse en ligne, celui-ci ne peut se faire au détriment de la presse locale qui a son propre modèle économique. C'est pourquoi les sites de presse en ligne sont aussi aidés au travers du fonds stratégique.
Je propose de donner un avis défavorable à cet amendement.
M. David Assouline. - Sur ces deux amendements, nous sommes face à un dilemme. Nous avons porté de façon principielle et forte le fait d'aligner la presse en ligne sur internet sur la fiscalité de la presse papier et nous avons remporté cette bataille. Sur la base du principe de neutralité du support, cela suppose dans un souci d'égalité des droits une réflexion d'ordre législatif.
Le deuxième amendement propose - et le syndicat de la presse en ligne nous a sollicités à ce sujet - d'appliquer cette neutralité dans le domaine des annonces légales, et je comprends que cela inquiète ceux qui, jusqu'à présent, avaient l'exclusivité de leur parution. Depuis le début de la révolution numérique, beaucoup d'entreprises qui avaient l'exclusivité d'un domaine ou d'une fabrication ne l'ont plus. La presse papier n'a plus l'exclusivité. De grands titres américains ne sont plus qu'en ligne aujourd'hui alors qu'on les a connus sous forme papier.
Il va falloir trouver les ajustements et les compensations nécessaires pour assurer l'égalité des droits entre presse papier et presse en ligne.
Mme Colette Mélot. - Je ne suis pas cosignataire du deuxième amendement mais les difficultés de la presse régionale me préoccupent et j'attendrai l'avis du ministre pour prendre une décision. Je suis tout à fait consciente de l'évolution de la presse et de la légitimité de la presse numérique qui va, soyons réalistes, se développer de façon importante dans les années à venir.
M. Patrick Abate. - L'article 14 bis amendé par Mme Mélot ne convient pas au groupe CRC. A l'inverse, l'amendement qui va dans le sens d'une neutralité du support, pour les raisons invoquées par David Assouline, paraît d'un intérêt évident.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous propose un vote séparé pour chacun de ces deux amendements qui traitent de la même question.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié quinquies.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je vous propose de donner un avis défavorable aux amendements n° 9 et n° 23 qui visent à rétablir l'article 15 que notre commission a supprimé de la proposition de loi.
La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 9 et n° 23.
Article additionnel après l'article 15
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement n° 25 présenté par le groupe CRC vise à insérer un article additionnel après l'article 15. Cet amendement propose une nouvelle rédaction de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 qui élargit le champ des professionnels bénéficiaires de la protection du secret des sources. Il concerne des problématiques qui n'ont aucun rapport avec la distribution de la presse et l'Agence France-Presse et soulève des questions de droit importantes.
M. David Assouline. - Sur ce sujet très lourd, en discussion depuis de longs mois entre la chancellerie et la commission des lois, le Gouvernement s'étant engagé à légiférer dans l'année, le groupe socialiste aura son mot à dire lors du débat de fond.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je propose de donner un avis défavorable à cet amendement.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le groupe socialiste souhaite ne pas prendre part au vote.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 25.
Article additionnel après l'article 16
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Les amendements n° 4 du groupe socialiste, n° 24 du groupe CRC et n° 15 présenté par plusieurs collègues du groupe UMP me semblent devoir être examinés conjointement. Ils visent à inscrire dans les textes des mesures de défiscalisation en faveur notamment des actionnaires d'entreprises de presse politique ou générale, ou une défiscalisation des dons destinés à préserver le pluralisme de la presse.
Il s'agit ici d'aider la presse dans une période difficile. C'est ce qu'on appelle l'amendement « Charb ».
Pour des raisons techniques, je ne suis pas favorable aux amendements du groupe CRC et du groupe UMP, mais je suis favorable à l'amendement déposé par le groupe socialiste.
L'objectif de ces amendements consiste à consolider l'action de l'association « Presse et pluralisme » qui a vu le jour en 2007 et qui a recueilli l'an dernier un peu plus de 3 millions d'euros sous forme de souscriptions de lecteurs, fléchées sur tel ou tel journal, que ce soit Charlie Hebdo, l'Humanité, La Croix, etc. C'est un travail très apprécié et l'association fonctionne dans d'excellentes conditions. Les fonds sont déposés à la Caisse des dépôts et consignations. Suite aux événements du 7 janvier, 2 millions d'euros ont d'ailleurs été recueillis pour Charlie Hebdo.
« Presse et pluralisme » s'appuie sur un rescrit fiscal accordé par le ministre du budget, Éric Woerth, en 2007, qui prévoit une déductibilité fiscale pour les dons des particuliers, dans les mêmes conditions que pour le mécénat caritatif, alors même que ces aides bénéficient à des entreprises commerciales.
Les amendements du groupe CRC et du groupe UMP visent à pérenniser cette disposition. Je suis persuadé que Mme la ministre, en séance publique, confirmera l'intention du Gouvernement de ne pas porter atteinte au rescrit fiscal. Mais il y a un risque à faire apparaître dans la loi une aide directe à la presse financée par la déductibilité fiscale.
L'amendement n° 4 du groupe socialiste entend répondre à un problème économique par un texte économique en utilisant les mécanismes de déductibilité au titre de l'impôt sur le revenu des personnes privées ou de l'impôt sur la fortune (ISF) des investissements réalisés dans les petites et moyennes entreprises (PME). Ce dispositif fiscal classique ne pose pas de problème de respect des dispositions relatives au droit européen.
Techniquement, le « véhicule » socialiste paraît plus adapté sous réserve du dépôt d'un sous-amendement en séance publique e en précisant les modalités.
Les groupes CRC et UMP obtiennent satisfaction. Les dispositifs dont ils demandent la mise en oeuvre dans leurs amendements existent déjà. Les inscrire dans la loi risquerait d'attirer l'attention de la Commission européenne sur des sujets dont elle s'est tenue à l'écart.
M. David Assouline. - Le sujet est politique et symbolique. Tous les groupes ont voulu aller dans le même sens. Cet amendement restera dans la loi et dans l'Histoire comme l'amendement « Charb », parce que consensuel au sein de tous les groupes. Sur le plan technique, il paraît approprié.
En ce qui concerne le montant des plafonds, il y a un risque d'effet pervers. Le but n'est pas que les grands groupes industriels profitent de cette situation. Nous comptons sur le Gouvernement, en séance publique, pour sous-amender et fixer plus précisément les modalités techniques et juridiques de la déductibilité fiscale, fixer les plafonds et lever le gage.
Tous les groupes ont défendu la même idée mais il faut qu'un seul amendement la véhicule.
M. Patrick Abate. - Cet amendement est parfaitement en cohérence avec la proposition de loi présentée par le groupe CRC au début du mois de janvier. Un « véhicule » différent aurait pu être trouvé à d'autres occasions. Cet amendement, nous l'avions proposé dans le cadre de la loi de finances. Le souci essentiel est de sécuriser le rescrit fiscal. On ne peut que se féliciter de la convergence de vues entre les groupes. Nous maintenons notre amendement et nous le défendrons en séance.
M. Bruno Retailleau. - Je rejoins M. Abate sur le fait que l'amendement de M. Assouline exprime une convergence dans un contexte de crise de la presse et des événements que nous venons de vivre. Il faut sécuriser le dispositif dont a bénéficié Charlie Hebdo, non seulement depuis le début de l'année mais aussi pour franchir l'année 2014. La notion de rescrit fiscal est une notion consentie par l'administration fiscale et, à ce titre, très fragile. C'est le bon moment et le bon vecteur pour assumer une position forte. Je souhaite que cet amendement soit maintenu et qu'on puisse voter sur le dispositif technique tel que Pierre Laurent et moi-même l'avions coprésenté à la suite de la saisine de cette association.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je voudrais insister sur la notion de convergence. J'ai compris le souhait des groupes CRC et UMP de maintenir leurs amendements. Cela ne leur interdit pas de s'associer à l'amendement présenté par M. Assouline proposant la défiscalisation des souscriptions au capital des entreprises de presse. Dans un souci d'oecuménisme que vous avez souhaité, monsieur Assouline, cet amendement pourrait être porté par notre commission avec le soutien des différents groupes politiques, sous réserve de précision par le Gouvernement que vous venez d'évoquer, ce qui permettrait d'exprimer l'unité sur l'amendement Charb.
M. David Assouline. - L'objectif est de faire adopter ces amendements. Si l'on vote pour l'un, les autres sont acquis. Je ne veux pas créer la confusion demain sur le fait de sécuriser ou pas le rescrit fiscal.
M. Bruno Retailleau. - Le rapporteur nous objecte, s'agissant des amendements déposés par les groupes CRC et UMP, la question des aides d'État. Si nous voulons obtenir cette défiscalisation pérenne et sécurisée, sans la procédure exceptionnelle du rescrit fiscal, quelle rédaction nous permettrait d'échapper à la contrainte bruxelloise ? Je vois mal la Commission refuser un tel dispositif au titre des aides d'État.
M. Patrick Abate. - On peut proposer un vote sur l'ensemble de ces amendements, l'amendement de M. Assouline n'étant pas contradictoire à ceux des groupes CRC et UMP.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Monsieur Retailleau, je comprends que les groupes politiques aient la volonté de répondre aux événements du mois de janvier, mais le problème n'est pas tant l'amendement Charb dont l'enjeu financier est assez raisonnable que le questionnement possible sur la boîte de Pandore des aides à la presse, qui sont des aides atypiques.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons eu par le passé, monsieur le rapporteur, au sein de cette commission des audaces politiques concernant la TVA sur le livre numérique pour la mettre en adéquation avec le livre papier. Nous avons forcé le destin à Bruxelles.
M. Patrick Abate. - S'il y a convergence en termes politiques, l'amendement Assouline est plus restrictif que les amendements des groupes CRC et UMP, puisqu'il ne s'adresse qu'aux actionnaires.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Il n'est pas plus restrictif. Ce sont deux véhicules distincts, l'un prévoyant une défiscalisation de type mécénat par l'intermédiaire d'associations et de fondations et l'autre comprenant une défiscalisation pour des investissements directs effectués par des particuliers. Les deux mécanismes sont complémentaires.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'amendement n° 4 de M. Assouline méritera d'être sous-amendé car l'article 34 de la Constitution dispose qu'il appartient à la loi de fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.
M. David Assouline. - Je propose de laisser venir le Gouvernement qui a procédé à une étude pour fixer les plafonnements. On appréciera alors s'il nous faut sous-amender. Nous fixons le cadre et le Gouvernement qui a la volonté d'aller dans ce sens puisque le Président de la République, dans ses voeux à la presse, en a fait un élément important suite à une promesse faite à Charb sur cette question. Ne venons pas avec une proposition alternative sans savoir ce que compte faire le Gouvernement.
La commission donne un avis favorable à l'amendement n° 4.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Sur les deux amendements en discussion commune, n° 24 et n° 15, je retire mon avis défavorable et m'en remets à la sagesse de la commission.
La commission émet un avis favorable aux amendements n° 24 et n° 15.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les amendements n° 10 rectifié du groupe écologiste et n° 26 rectifié du groupe CRC à l'article additionnel après l'article 16 sont en discussion commune.
Mme Marie-Christine Blandin. - L'amendement n° 10 rectifié vise à stimuler le Gouvernement sur la réforme de l'aide à la presse.
M. Patrick Abate. - Nous sommes favorables à l'amendement du groupe écologiste qui s'apparente à celui que nous avons déposé à l'article additionnel après l'article 16
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Sagesse.
La commission émet un avis favorable aux amendements n° 10 rectifié du groupe écologiste et n° 26 rectifié du groupe CRC.
La commission adopte les avis suivants :
Audition de M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions
La commission auditionne M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous poursuivons à présent nos travaux sur l'avenir de France Télévisions. La préparation de la loi de finances pour 2015 a été l'occasion pour nous et, en particulier, pour notre rapporteur, Jean-Pierre Leleux, de nous poser la question du financement de l'audiovisuel public. Nous avons ainsi engagé, en lien avec la commission des finances, une mission d'information sur le financement de l'audiovisuel public. À l'heure où l'audiovisuel public français doit s'inscrire dans un cadre européen et mondial, nous nous interrogeons sur ses missions, sur la trajectoire de l'entreprise publique et sur son avenir, à la veille de la désignation par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de son futur président.
M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions. - Je suis heureux de débattre avec vous de ces questions, fondamentales pour l'avenir du service public audiovisuel, dans le prolongement des rapports produits par votre assemblée, celui notamment de M. Leleux et celui de M. Plancade sur les rapports entre producteurs et diffuseurs.
La question de fond à laquelle nous devons répondre est : à quoi sert l'audiovisuel public, dans un univers qui change à grande vitesse, en particulier depuis cinq ans ? Si nous ne sommes plus dans la situation d'alors, relativement statique, où l'offre était limitée, l'audiovisuel public est plus nécessaire que jamais, parce qu'il contribue à la cohésion nationale. Les événements que nous venons de vivre ont montré que les Français avaient besoin de liens, de références à leurs valeurs communes et que ces liens passent nécessairement par le lieu d'expression qu'est l'audiovisuel public.
Il en va de l'indépendance de la France par rapport aux industries américaines comme Google, Apple ou Facebook qui, dans les domaines de la production et de la diffusion de contenus, sont capables d'une empreinte très forte sur le pays. Cette indépendance est fondamentale pour notre capacité de création et de construction de notre imaginaire collectif.
L'enjeu est enfin démocratique : une information de référence nécessite des investissements mais elle n'est pas un facteur de rentabilité. Si la volonté publique fait défaut, nous n'aurons pas d'information indépendante.
Comment y parvenir ? En étant fidèles aux valeurs centrales d'universalité - nous devons pouvoir nous adresser à tous les publics, refléter la diversité des opinions et des origines -, de transparence, de qualité et d'innovation. C'est ainsi que nous ferons la différence et que nous consoliderons le pacte, fondé sur la confiance, qui lie l'audiovisuel public et nos concitoyens.
Nous sommes conscients de la permanence de nos grandes missions - informer, éduquer, divertir - même si elles ne peuvent avoir le même sens en 2015 qu'à l'époque où nous bénéficions de canaux exclusifs. Nous devons les assumer en continuant à privilégier la création qui est, dans notre pays, financée à 60 % par le service public. Nous devons continuer à jouer notre rôle, décisif, pour une offre culturelle différenciante - magazines, documentaires, spectacle vivant - sur lequel repose notre lien avec la population.
Nous avons également une mission fondamentale à remplir sur les territoires, de métropole ou d'outre-mer, où les autres médias ont du mal à se développer. Le travail de nos équipes d'information est à cet égard essentiel.
Pour atteindre ces objectifs, l'entreprise doit se transformer. Elle a déjà accompli, au cours des quatre dernières années, des mutations considérables. Nous ne connaissions en 2010 que les premiers balbutiements du numérique. Nous avons alors lancé la télévision de rattrapage. De 60 millions de vidéos vues en 2011, nous avons atteint 170 millions pour le seul mois de janvier 2015 et elles seront probablement plus de 1,5 milliard cette année. Nos plateformes dédiées à l'information, au sport, à l'éducation, à la culture, connaissent un essor considérable. Si vous y ajoutez l'arrivée des réseaux sociaux, vous aurez une vision du bouleversement en cours dans notre univers. Nous devons adapter notre diffusion de contenus : si l'audiovisuel public constitue le lien entre nos compatriotes, nous devons être présents sur les écrans qu'ils consultent.
Le deuxième élément de cette mutation a été la fusion de toutes les entreprises et la constitution d'une nouvelle entité. Elle s'est accompagnée d'un important effort d'économies. Nous avions signé, en 2011, un contrat d'objectifs et de moyens. Renégocié en 2012, il nous a conduits à prévoir 300 millions d'euros d'économies. Elles ont été effectivement engagées sur toutes les lignes prévues, qu'il s'agisse des frais généraux ou centraux, liés à la puissance d'achat, ou du coût des programmes, désormais soumis à des audits systématiques. En interne, nous avons négocié un nouveau contrat d'entreprise régissant la vie des salariés. Parmi les questions très importantes auxquelles il répond se trouve celle du temps de travail, que nous avons traitée en intégrant la notion de forfait-jour. J'ai appris la semaine dernière qu'EDF venait tout juste de l'aborder. Nous avons également traité la question des automatismes salariaux, dont dépend une grande partie des augmentations de salaires. C'est, cette fois, la SNCF, autre grande entreprise publique, que nous avons devancée.
Nous avons lancé notre programme de rapprochement des rédactions, qui s'est traduit de façon concrète depuis avril dernier par la construction d'un PC info, lieu unique de centralisation des éléments constitutifs de nos journaux.
Grâce à ces transformations, nous abordons le futur avec l'espoir de poursuivre nos gains de productivité, qui sont l'efficience de la maison : nous faisons le meilleur usage de l'argent qui nous est confié par les Français. Cette obligation d'efficacité économique doit néanmoins s'inscrire dans une perspective de financement claire et pérenne, sans laquelle nous ne pourrons continuer à assumer les missions cruciales qui nous incombent. La fragilité actuelle de nos financements est très perturbante non seulement pour le développement de l'entreprise, mais aussi pour la mise en oeuvre des process liés à ses fonctions. La création d'une fiction ou d'un documentaire s'étale sur plusieurs années. Les grands documentaires de William Karel sur la destruction des juifs d'Europe, oeuvre majeure que nous venons de diffuser, ont nécessité trois ans et demi de travail. Contrairement à une entreprise privée, en mesure d'adapter temporairement ses dépenses à ses moyens, nous ne pouvons remplir nos missions sans pérennité de nos financements. Notre entreprise, qui s'est profondément réformée, doit pouvoir organiser son travail dans la durée.
M. Jean-Pierre Leleux. - Nous connaissons bien la situation mouvementée qui est aujourd'hui la vôtre. Vous répondez à notre invitation à l'heure où votre mandat de président est remis en jeu par le CSA, mais aussi après une émission de France 3 qui nous a fait très plaisir... (Sourires). Vous vous attendez sans doute à quelques questions sur ce sujet.
Je voudrais revenir sur la notion d'indépendance de l'audiovisuel public : quelles mesures doivent être prises pour qu'elle existe réellement ? Car nous en sommes loin : votre actionnaire principal, l'État, intervient constamment dans votre fonctionnement, au point que l'on peut douter de la capacité du président de France Télévisions à poursuivre une stratégie propre. Nos méthodes actuelles vous donnent-elles les moyens d'agir dans la durée ? Rien ne semble moins sûr.
Vous avez exprimé le souhait d'augmenter vos plages publicitaires afin d'améliorer votre financement. Si cela semble nécessaire, pensez-vous que ce soit conforme à ce que doit être France Télévisions ? N'y a-t-il pas quelque chose de schizophrène à vouloir tout à la fois se différencier dans le paysage global en remplissant des missions de service public et rechercher l'audimat propice à des recette publicitaires accrues ?
M. Rémy Pflimlin. - Je me suis entretenu avec le président Larcher de l'émission de France 3 à laquelle vous faites allusion. J'avais d'ailleurs suivi en direct les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée le jour suivant. Si les questions abordées par ce documentaire s'inscrivent dans un débat public qui n'est pas clos, la présentation des travaux de votre assemblée sur nos antennes est bien loin de s'y limiter.
La question de notre indépendance est au coeur de notre relation de confiance avec nos concitoyens. Elle ne peut être fondée que sur un financement pérenne et indépendant, à l'image de ceux octroyés par nos voisins européens à leurs médias publics. Ce cadre intangible donne à l'entreprise la possibilité de développer son action selon le contrat d'objectifs et de moyens fixé par le Gouvernement, sans pouvoir être remis en cause par des décisions indépendantes de notre volonté : suppression de la publicité après vingt heures, diminution de la ligne budgétaire de 420 millions à 100 millions d'euros... Afin de lever toute incertitude, deux solutions s'imposent : supprimer cette ligne budgétaire - je salue la décision du Gouvernement en ce sens - et nous affecter une redevance, ou une contribution, qui soit pérenne et dynamique ; une contribution, autrement dit, dont l'assiette évolue. Le Président de la République s'est prononcé favorablement à ce sujet.
Notre besoin publicitaire doit être calé sur nos besoins de financement. La différence entre le privé et le public est évidente, indépendamment de la publicité. L'étude de l'institut Harris Interactive réalisée pour Télérama sur les Français et la télévision publique a bien montré que le public ne s'y trompait pas. Nous n'insérons pas, par exemple, la publicité à l'intérieur de nos programmes. L'interdiction qui nous est faite de diffuser de la publicité après vingt heures nous oblige à maximiser les audiences commerciales l'après-midi ; la pression serait moins forte sur cette tranche horaire si nous pouvions en diffuser en soirée. Il nous faut un financement au service d'objectifs très clairs, différents de ceux du secteur privé.
Pour agir dans la durée, il faut un cadre financier précis et des objectifs stratégiques plus concentrés. Notre cahier des charges fait plus de 70 pages, notre contrat d'objectifs et de moyens énonce plus de 70 objectifs. Ce faisceau de contraintes nous empêche d'être souples et de nous adapter. C'est du moins ce qu'a reconnu Marc Schwartz dans le cadre de la préparation de son rapport.
M. Bruno Retailleau. - Le président du Sénat a rarement l'occasion d'écrire au président du service public de l'audiovisuel. Cela mérite qu'on s'y attarde. Le reportage diffusé la semaine dernière sur France 3 était très critique à propos du Sénat. La critique n'a rien de choquant : si le Sénat prête le flanc à la critique, il doit se réformer. Les journalistes sont libres de leurs points de vue. En revanche, notre président vous a interpellé sur les méthodes adoptées. Approuvez-vous qu'un journaliste falsifie son identité pour pouvoir se réclamer de France 3 ? Approuvez-vous qu'un synopsis mensonger soit adressé au Sénat pour présenter le projet d'émission ? Approuvez-vous qu'une émission du service public viole un domicile privé ? Approuvez-vous qu'on utilise une caméra cachée pour piéger des collaborateurs du Sénat ? S'agit-il là de méthodes légitimes, dignes du service public ?
M. Rémy Pflimlin. - Je suis directeur de publication : j'assume tous les contenus que nous diffusons. C'est ma responsabilité. Cette émission d'investigation n'avait pas pour but de prendre le Sénat pour cible. Les journalistes n'ont fait que choisir un angle d'analyse, comme c'est le cas dans tout reportage de ce genre - Complément d'enquête ou Cash investigation, par exemple. Ces émissions d'investigation sont perçues par le public comme une marque d'indépendance. On peut toujours discuter des méthodes mises en oeuvre par les journalistes pour acquérir les informations nécessaires. Le but de l'émission était d'ouvrir un débat sur l'utilisation de l'argent public ; le débat n'est pas clos.
M. David Assouline. - Cette audition a pour objet de s'interroger sur ce que doit être le service public ; ce n'est pas le lieu pour débattre d'une émission, quand bien même elle concernerait le Sénat. J'ai travaillé avec M. Legendre sur le rapport qui faisait le bilan de l'application de la loi sur le service public de l'audiovisuel. Quels que soient les changements qui restent à opérer, nous ne pouvons que nous féliciter du tournant numérique que le service public a pris avec succès. Les résultats sont là. Des émissions de grande qualité ont vu le jour, comme la série documentaire sur la destruction des juifs d'Europe diffusée il y a quelques jours. Mais comment rajeunir l'audience des chaînes de service public ? En payant la redevance, les téléspectateurs deviennent en quelque sorte les actionnaires de notre service public. Si France Télévisions ne parvient pas à attirer la frange centrale de ces téléspectateurs, c'est-à-dire une population jeune et active, le système risque de péricliter.
Vous souhaitez un retour sur investissement dans la production. Après un an de négociation, un décret devrait très prochainement voir le jour sur ce sujet. Est-il suffisant ou devons-nous ouvrir une nouvelle discussion ?
À Biarritz, dans le cadre du festival international des programmes audiovisuels (FIPA), nous avons eu l'occasion de débattre de l'importance de l'information. Il est essentiel de l'accompagner d'une analyse critique, d'un regard historique et d'une hiérarchisation, si l'on veut éviter que se développent des théories du complot. France Télévisions dispose d'une force de frappe très importante en matière d'information. Comment lui donner les moyens d'imposer ses méthodes dans le traitement de l'information, en insistant sur la mission éducative de la télévision, pour contrecarrer les chaînes d'information continue ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je n'ai pas besoin d'être rappelée à l'ordre sur la manière dont je préside cette commission, où chacun doit pouvoir s'exprimer librement.
Mme Samia Ghali. - La suppression de la publicité après 20 heures fut une erreur : elle est très présente sur les chaînes privées. Un peu de publicité sur France Télévisions ne pourrait pas faire de mal et je ne crois pas que les spectateurs s'en plaindraient, puisqu'ils continuent d'aller sur les chaînes privées.
La redevance ? Son montant est déjà excessif ; les Français ne supporteront pas qu'elle augmente. De leur côté, Orange, Canal+ et CanalSat proposent des abonnements, c'est-à-dire un mode de financement que chacun peut choisir d'interrompre à sa guise. Mais on ne peut pas se désabonner de la redevance !
Ce matin, lors de notre réunion, nous avons commenté une étude de l'institut Harris Interactive qui montrait qu'on trouvait plus de téléspectateurs adeptes de France Télévisions dans le troisième âge, voire le quatrième âge, que dans la jeunesse. Le service public ne doit-il pas s'adapter au monde d'aujourd'hui et toucher aussi un public friand de télé-réalité ? Il est important de commencer par séduire ce type de public - ou au moins, de ne pas le rebuter - si l'on veut ensuite l'attirer vers d'autres émissions.
Quant à l'émission consacrée au Sénat, puisque vous êtes là, il est difficile de ne pas en parler ! Elle est contestable dans sa forme. Jamais je n'ai vu un média procéder de la sorte pour mener des investigations. Les journalistes sont libres tant qu'ils laissent aux autres la liberté de s'exprimer et de se défendre.
M. Michel Savin. - Un contrat trop lourd - vous avez parlé de 70 objectifs - favorise la dispersion et le manque de visibilité. Vous souhaitez davantage de souplesse. Selon vous, quels seraient les objectifs prioritaires ? J'ai été surpris et déçu que France Télévisions ne retransmette pas la finale du championnat du monde de handball, dimanche soir, alors même que l'équipe de France jouait. Pourquoi le service public a-t-il manqué ce grand événement ? Est-ce parce qu'il n'était pas en mesure de s'aligner sur les offres des chaînes privées ? D'autres sports, masculins et féminins, mériteraient de figurer au programme des chaînes publiques, et pas seulement pour les finales.
M. Rémy Pflimlin. - Monsieur Assouline, je parlerais d'élargissement du public plutôt que de rajeunissement. La mission du service public est de toucher toutes les populations, jeunes et vieux confondus. En matière de médias, les jeunes ne se limitent pas à la télévision. Nous devons faire évoluer un certain nombre de contenus pour les intéresser. Certes, entre 18 et 25 ans, ils sont friands de télé-réalité sur les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Pour nous, c'est une question de principe : nous n'utiliserons pas ces moyens. Nous devons trouver d'autres thèmes, d'autres écritures, d'autres façons de toucher les jeunes, comme les fictions de France 4 ou les reportages sur la découverte d'un métier.
Nous travaillons également à déployer le contenu des nouveaux médias. Plus de la moitié de ceux qui nous regardent sur le numérique ont moins de cinquante ans, avec une forte proportion parmi les plus jeunes qui ont tendance à délaisser la télévision linéaire. Idem pour les programmes de rattrapage. Nous devons favoriser le contemporain en termes de programmes, d'écriture et de thématiques, tout en veillant à ne pas déroger aux obligations morales qui sont les nôtres. L'expérience nous a montré que les spectateurs pouvaient être très critiques à ce sujet. Mais cette volonté d'élargissement du public peut nous faire accuser de ne pas être dans la ligne du service public... Cela dit, 80 % des Français regardent une chaîne du service public au moins quinze minutes par semaine. C'est un niveau de fréquentation hebdomadaire important.
Monsieur Assouline, je ne connais pas encore le contenu du décret dont la ministre a parlé à Biarritz. L'interdiction faite à nos diffuseurs de distribuer des oeuvres, lorsque le producteur dispose lui-même d'une société de distribution, ne me paraît pas justifiée. Il serait dommage de ne pas utiliser notre société de distribution numérique. La part dépendante de notre production interne augmente ; elle est de 5 % contre 20 % pour les chaînes privées.
Oui, France Télévisions devrait se doter d'une chaîne d'information. Sur le numérique, notre site Francetv Info tient la première place. Un projet de chaîne d'information sur la télévision numérique et sur la télévision connectée est à l'étude.
Effectivement, madame Ghali, la publicité ne perturberait pas nos programmes. Quant à la finale des championnats du monde de handball masculin, elle nous a échappé car nous n'avions pas les moyens de nous aligner sur le prix proposé par TF1. Notre budget est strict. Néanmoins, nous avons réussi à acheter les droits de diffusion de la demi-finale et de la finale du championnat du monde de handball féminin. France Télévisions sera au rendez-vous. Pour le reste, nous diffusons gratuitement 70 % des événements sportifs en France : tournoi des Six Nations, championnats du monde d'athlétisme, Roland Garros... Nous ne délaissons pas le sport. Avant-hier, la fédération française de tennis a annoncé que beIN SPORTS avait racheté les droits de la Coupe Davis pour une diffusion mondiale. Nous leur avons signalé qu'il n'était pas tout à fait normal qu'aucune diffusion en clair de la Coupe Davis ne soit prévue, alors que l'équipe nationale participe. C'est la même chose pour le championnat d'Europe de rugby, pour lequel nous avons obtenu de pouvoir diffuser un match par semaine. Donnez-nous plus de moyens financiers en autorisant par exemple la publicité à la mi-temps des matchs ! D'autant que les panneaux publicitaires sont déjà présents partout dans le stade... Cela fait deux ou trois ans que nous discutons de ce sujet ; il est temps de concrétiser.
Nos objectifs prioritaires favorisent la création : oeuvres originales, dessins animés, documentaires, spectacle vivant. Le contrat avec l'État doit être clair. Nous nous sommes également fixés des objectifs pour développer notre présence sur le territoire. À cela s'ajoutent l'information, l'innovation et la promotion de valeurs comme le respect de la diversité, de l'égalité entre hommes et femmes ou l'équilibre de la société. Il faut laisser à notre entreprise la liberté de s'adapter.
Mme Françoise Laborde. - Informer à 200 % à charge, ce n'est plus de l'information.
Je suis ravie que le handball féminin soit retransmis sur une chaîne publique. Il faut continuer de lutter contre les stéréotypes. En matière de présence territoriale, le traitement n'est pas égal. À quoi est-ce dû ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La réforme territoriale incite-t-elle France Télévisions à modifier son organisation régionale ?
Mme Maryvonne Blondin. - La réforme territoriale aura certainement un impact sur l'offre régionale du service public. Pour encourager la création, il vous faudra faire appel à des professionnels compétents et formés. Quelle place occupent les intermittents dans l'audiovisuel public ? S'ils sont trop nombreux, le service public risque de basculer vers une sous-traitance généralisée. Quelles conséquences aura la fusion des rédactions de France 2 et de France 3 ? Le 7 janvier dernier, l'attentat contre Charlie Hebdo faisait l'ouverture du journal télévisé de France 2, alors que France 3 titrait sur le premier jour des soldes. Cette différence de choix éditorial s'explique-t-elle par la fusion des deux rédactions ?
Notre station locale, France 3 Iroise, pourtant très regardée, a suspendu son journal d'information quotidien en langue bretonne, pendant les vacances scolaires. Est-ce pour des raisons économiques ? La mission Brucy sur l'avenir régional de France 3 est intervenue à un moment du calendrier qui n'était sans doute pas très favorable. Elle a fixé des orientations favorisant le développement en Bretagne d'une offre régionalisée, à titre d'expérimentation. Un pacte a été signé en décembre 2013 ; où en sommes-nous ?
Mme Dominique Gillot. - Les programmes de France Télévisions négligent la culture scientifique et technique, pourtant importante dans notre société.
Quel contrôle gardez-vous sur la ligne éditoriale de vos émissions, lorsque vous faites appel à des productions externes ? Dans le cas du reportage sur le Sénat, le rendu de l'émission n'était pas conforme à vos principes.
Beaucoup de jeunes regardent la télévision de rattrapage. Disposons-nous de statistiques précises sur l'âge des usagers ?
Je ne souhaite pas le recours à la télé-réalité, qui a sa place sur d'autres chaînes que celles de France Télévisions. Cela dit, certains reportages trash ne font pas honneur au service public. En revanche, on trouve aussi d'excellentes fictions centrées sur la vie quotidienne, comme ce feuilleton diffusé tous les soirs sur France 3.
Une chaîne d'information continue serait un bon vecteur d'approche pour susciter le désir d'un nouveau public. Une émission comme Alcaline incite à regarder d'autres émissions parfois plus tardives. Un public jeune peut y être sensible. Quant à la redevance, il faudrait faire en sorte que tous les usagers s'en acquittent, quel que soit le support utilisé, si l'on veut éviter le tarissement de la source financière. Vous pourrez d'autant plus valoriser la retransmission de la finale du handball féminin que vous avez manqué celle des hommes.
M. Michel Canevet. - L'éloignement ne doit pas être un handicap pour la continuité du service public. Je remercie Mme Blondin de l'avoir rappelé, tout comme je remercie M. Retailleau d'avoir fait référence au reportage diffusé sur France 3. Je regrette toutefois que vous n'ayez pas donné de réponses précises aux questions de notre collègue.
Divertir, éduquer et informer, telles sont les valeurs défendues par le service public. Encore faut-il avoir les moyens de les mettre en oeuvre. Je suis membre de la commission des finances. Quelle sera la contribution de France Télévisions dans la maîtrise des dépenses publiques et la réduction des déficits ? Le niveau de la redevance ne baissera pas. Aucune réduction n'est prévue en termes de moyens. La commission doit réfléchir aux conditions optimales pour assurer un service public de qualité sans dépendre de facteurs aléatoires comme la publicité. En tant que rapporteur spécial des crédits relatifs à la direction de l'action du Gouvernement qui comprend les crédits des autorités indépendantes, j'aimerais également savoir si vous pouvez agir en toute indépendance vis-à-vis du CSA. C'est une nécessité absolue, selon moi.
M. Maurice Antiste. - Mme Blondin a évoqué les stations les plus excentrées. L'outre-mer en fait évidemment partie. Dans quelle mesure est-il concerné par les objectifs que vous avez énumérés ? Quel sort lui réservez-vous ? Ne faudrait-il pas revoir le cahier des charges sur ce sujet ? Dans les outre-mer, on réduit de plus en plus les possibilités de création, en les déléguant. Nous sommes les parents pauvres de la télévision publique.
M. Rémy Pflimlin. - Madame Laborde, les stéréotypes sont un sujet qui nous préoccupe. Des équipes y travaillent, notamment dans la création des dessins animés, mais aussi dans la fiction. Certains programmes ont évolué dans le bon sens, comme Candice Renoir, sur France 2, dont le personnage principal est une femme inscrite dans la vie, mais en butte au machisme ; ou bien, la série Chérif qui tourne autour d'un inspecteur d'origine algérienne, divorcé d'une avocate juive ; ou encore, Caïn, série qui met en scène un policier en chaise roulante. Le processus décline dans l'imaginaire collectif les valeurs que nous souhaitons transmettre.
Le nouveau découpage territorial est une chance extraordinaire pour France 3, seul média disposant d'équipes éditoriales déjà en place, qui pourront s'adapter instantanément. Ma conviction profonde, c'est que l'information de proximité ne doit pas être laissée de côté. Entre les économies à faire et la nécessité de développer nos moyens, l'équilibre est fragile. Nous le trouverons en inscrivant l'information de proximité dans le nouveau cadre régional, tout en développant le débat et la création. Ce projet est une opportunité formidable pour France 3.
Le rapport d'Anne Brucy, qui a été remis à la ministre précédente, sera la base de notre prochain contrat d'objectifs et de moyens. Nous cherchons à développer l'information du matin, le nouveau numérique et la coordination entre les programmes nationaux et les programmes régionaux. La semaine prochaine, nous diffuserons un documentaire qui traitera d'une problématique surgissant au niveau national, en la déclinant ensuite dans plusieurs régions. Quant au numérique, c'est un outil efficace au niveau régional. Les pages Facebook sur les régions, ouvertes par France 3, ont déjà plus de 1,2 million de suiveurs. En 2003, France 3 comptait 19 % d'emplois non permanents contre 11 % aujourd'hui. Nous devons réaliser 300 millions d'euros d'économies entre 2011 et 2015. Pour cela, nous avons réduit nos effectifs, de 10 500 employés en 2011 à 9 750 en 2012. Nous avons intégré 1 000 contrats à durée déterminée (CDD) intermittents depuis trois ans, réduisant ainsi la part des emplois non permanents. La fusion des rédactions de France 2 et de France 3 répond à un objectif de restructuration de notre entreprise.
Le 7 janvier fut une journée particulière. La dépêche est tombée à 11 heures 45 ; à 12 heures 20, nous savions qu'il y avait dix morts ; les journalistes ont pris l'antenne à 12 heures 25. Si l'attentat n'a pas fait l'ouverture du journal, c'est parce que le rédacteur en chef a manqué de réflexe. Mais l'édition du soir a consacré de nombreuses pages à ce drame... La fusion des deux rédactions contribue à optimiser nos moyens en les mettant au service d'éditions aux contenus différents et complémentaires. Tous les soirs, 3 millions de téléspectateurs regardent le journal national de Soir 3 à 19 h 30.
France 3 Iroise ? Nous sommes obligés de gérer au plus près. Pendant les vacances scolaires, une équipe de permanents reste à Brest, même si l'édition du journal local est interrompue, faute de moyens suffisants. Ils sont prêts à couvrir un événement important, le cas échéant. Quant à la culture scientifique et technique, nous y consacrons une émission sur France 5, le vendredi, en début de soirée : les Cobayes. Elle touche un public jeune et remporte un franc succès. Nous avons également diffusé des émissions scientifiques sur France 2, sur les pouvoirs du corps humain ou sur le coeur. Il y a aussi l'Empire des sciences sur France 5. Enfin, un projet est en cours associant France 3 au Muséum national d'histoire naturelle.
Le format de la redevance doit être réinventé pour toucher un maximum des foyers disposant d'un écran. Nous pourrions nous inspirer de la Finlande qui a choisi d'augmenter le taux de contribution de manière ponctuelle. L'essentiel est de donner à cette contribution un caractère pérenne et dynamique en l'élargissant aux nouveaux supports. Nos voisins l'ont fait. Et l'on ne peut dire que 130 euros, c'est beaucoup : cela reste faible par rapport à ce que payent les téléspectateurs du reste de l'Europe, en Allemagne, au Royaume-Uni, sans parler des Suisses, des Finlandais ou des Suédois.
Enfin, l'outre-mer est la seule zone où nous avons de la radio, de la télévision et du numérique. J'étais en Martinique et en Guadeloupe. On y expérimente de nouveaux médias très puissants dans une logique de convergence. Contrairement à France 3 en métropole, les télévisions outre-mer sont de plein exercice. Leurs programmes sont construits localement et régionalement avec, bien sûr, des bases de données grâce auxquelles nous acquérons des séries ou des documentaires. Nous entendons continuer à jouer notre rôle en outre-mer, où des gains de productivité importants ont été réalisés et doivent se poursuivre. Notre présence sur neuf territoires pose évidemment la question de nos moyens et de leur répartition.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le président. Vous avez constaté à quel point le Sénat et sa commission de la culture sont attachés à l'audiovisuel public. Nous sommes porteurs pour lui d'exigences fortes, en ce qui concerne l'indépendance, la création... et les pratiques des journalistes. Nous réfléchissons à tous ces problèmes, notamment dans le cadre de la mission d'information sur le financement de l'audiovisuel public que nous avons engagée.
Merci d'avoir fait un point d'étape sur votre situation, au moment où s'élabore un nouveau contrat d'objectifs et de moyens pour France Télévisions.
La réunion est levée à 17 heures.
Jeudi 5 février 2015
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 9 h 30.
Transfert de la bande des 700 MHz et avenir de France Télévisions - Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel
La commission auditionne M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le transfert de la bande des 700 MHz et sur l'avenir de France Télévisions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur Schrameck, la commission des affaires économiques et son président Jean-Claude Lenoir se joignent à nous pour vous entendre sur le dossier de la bande 700 MHz. L'avis que le CSA a rendu en novembre dernier sur la modification du tableau de répartition de la bande de fréquences, décidée par le Gouvernement, vient après celui de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). La bande 700 MHz sert à diffuser la télévision numérique terrestre (TNT). Quelles seront les conséquences techniques et financières de sa réaffectation ? Le calendrier fixé est-il pertinent ? Quelles mesures législatives et budgétaires pourraient faciliter ce transfert ?
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Je remercie Catherine Morin-Desailly de nous avoir invités. Hier, devant la commission des affaires économiques, M. Soriano, président de l'Arcep, a apporté des réponses aux nombreuses interrogations que pose ce sujet sensible, en termes de couverture du territoire, de financement ou de conséquences pour les entreprises. Vous pourrez les compléter.
M. Olivier Schrameck, président du CSA. - J'apprécie de pouvoir m'exprimer pour la première fois devant une commission parlementaire sur le projet de réallocation de la bande 700 MHz, sujet d'une extrême importance. Bien que déterminantes, les modalités de ce basculement restent incertaines sur des objectifs essentiels.
En décidant de transférer à d'autres services que celui de la radiodiffusion les fréquences de la bande 700 MHz, qui représente 30 % de la ressource hertzienne totale actuellement utilisée par la TNT, le Gouvernement espère un gain de 2,1 milliards d'euros. Le communiqué de décembre 2014 a été confirmé par l'arrêté du 6 janvier 2015 qui précise que l'attribution des fréquences aux opérateurs de télécommunications se déroulera en décembre 2015. Leur transfert effectif aura lieu entre le 1er octobre 2017 et le 30 juin 2019, à l'exception de quelques zones où ces derniers pourraient les utiliser dès avril 2016. Il indique également que la norme de compression MPEG-4 pour la diffusion de la TNT sera généralisée en avril 2016, avec pour conséquence l'arrêt de la diffusion en MPEG-2. Un plan d'accompagnement sera mis en place pour qu'aucun foyer ne souffre d'un écran noir durant cette période.
Dans son avis du 26 novembre 2014, le CSA prend acte des orientations retenues par le Gouvernement tout en indiquant qu'elles s'inscrivent dans un dispositif juridique plus vaste encore à définir. Le Conseil note qu'un préalable à ce nouveau retrait de fréquences est de pouvoir tirer parti de la généralisation de la technologie de compression MPEG-4 sur la plate-forme métropolitaine afin d'arrêter la norme MPEG-2. Cela suppose que, sur le modèle du passage au tout numérique, la loi institue, d'une part, un dispositif d'accompagnement pour que les téléspectateurs concernés s'équipent de récepteurs compatibles avec la norme MPEG-4, et, d'autre part, un concours financier alloué aux foyers défavorisés ou touchés par d'éventuelles pertes de couverture. Le Conseil incite le Gouvernement à préciser les dispositions précises sur lesquelles il entend s'engager pour mettre en place cet accompagnement. Ces dispositions de nature législative ou réglementaire porteront notamment sur les aides à l'équipement pour les téléspectateurs les plus démunis ; une campagne d'information nationale sur les conséquences de l'arrêt du MPEG-2 ; l'introduction d'un dispositif de retrait des autorisations délivrées aux opérateurs de multiplex, collectivités locales, constructeurs, syndics et propriétaires d'immeuble ; l'accompagnement de la fin de la double diffusion SD et HD ; les éventuelles obligations d'intégration progressive du DVB-T2/HEVC dans les téléviseurs puis dans les adaptateurs TNT ; l'accompagnement, notamment financier, des collectivités locales ; le financement spécifique de compensation des coûts induits par le transfert des fréquences de la bande 700 MHz du secteur audiovisuel vers les services mobiles de communications électroniques ; enfin, la prise en charge des coûts de résolution des brouillages de la réception de la TNT occasionnés par les nouveaux utilisateurs de la bande 700 MHz.
Le CSA relève que si 1 626 sites de diffusion de la TNT sont financés par les chaînes, un peu plus de 310 sites complémentaires de diffusion sont pris en charge par les collectivités locales au titre de l'article 30-3 de la loi du 30 septembre 1986. Il souligne également que le nouveau retrait de fréquences interfère avec le développement de la plate-forme et notamment le déploiement des six nouvelles chaînes en haute définition (HD) lancées en décembre 2012 sur les 7e et 8e multiplex appelés « R7 » et « R8 ». En effet, la libération de la bande 700 MHz de toute diffusion TNT rendra nécessaire l'extinction de deux multiplex nationaux, c'est-à-dire qu'il sera demandé aux éditeurs et aux diffuseurs d'éteindre une partie des équipements récemment déployés, ou parfois à déployer sur l'ensemble du territoire. Cette perspective induit une dépréciation des investissements consentis. En France métropolitaine, 89 % de la population a accès aux chaînes de la TNT. Deux phases de déploiement sur les treize initialement prévues restent à compléter pour étendre la couverture de la diffusion terrestre et atteindre l'objectif de 99 %. Compte tenu du resserrement considérable des délais, le CSA a décidé un moratoire au moins pour la phase 12 qui devait commencer le 7 avril 2016. C'est dire l'urgence qui caractérise le processus de transfert.
Une fois l'arrêté pris, le CSA a lancé une consultation publique, dont le terme a été fixé au 23 février, toujours sous le signe de l'urgence, afin de recueillir l'avis des acteurs sur le schéma d'arrêt du MPEG-2, mais aussi sur le choix des deux multiplex à arrêter en avril 2016, sur les conséquences du déploiement des six nouvelles chaînes de la TNT en région Rhône-Alpes (R7 et R8).
Le passage au tout MPEG-4 implique que pour continuer à pouvoir regarder la télévision, les foyers qui ne disposent pas d'un adaptateur TNT intégré à leur téléviseur ou externe devront s'équiper, soit 8 % des foyers, fin juin 2014. Le plan d'accompagnement devra comporter un volet relatif à l'aide aux utilisateurs - aide à l'équipement, aide à la réception, assistance technique pour les personnes les plus vulnérables -, ainsi qu'un volet communication. Les usagers devront procéder à des manipulations de recherche et de mémorisation de chaînes, au fur et mesure du passage au tout MPEG-4, plaque par plaque.
L'extraction de la bande 700 MHz fragilisera également la couverture du territoire. Repliée en dessous de cette bande et disposant d'une quantité de spectres nettement réduite par rapport à la situation actuelle, la TNT verra inéluctablement sa réception perturbée. Certains foyers devront passer à un mode de réception alternatif, le satellite par exemple. Des moyens seront nécessaires pour limiter le mécontentement des téléspectateurs et des élus locaux concernés. À cela s'ajoutent les risques de brouillage induits par les systèmes de communication mobile dans la bande 700 MHz, que ce soit par les stations de base - cette situation pourrait être à peu près identique à celle connue en bande 800 MHz - ou par les terminaux mobiles - téléphones, ordiphones ou tablettes - utilisés dans le voisinage d'équipements de réception de la TNT. Le Conseil alerte le Gouvernement sur l'impact de ces brouillages d'un genre nouveau, qui s'introduiront au sein même des foyers, ainsi que sur les modalités de leur prise en charge.
Le Conseil a décidé de consulter les acteurs sur la perspective de réduction des multiplex ; celle-ci concerne les terminaux R7, R8, mais aussi R5, dont le déploiement n'est pas achevé. La suppression d'un ou plusieurs multiplex pourrait bouleverser la situation concurrentielle sur les marchés de gros amont et aval. Par conséquent, le CSA a décidé hier de saisir l'Arcep d'une demande d'avis qu'elle devra rendre dans un délai de quatre semaines.
Les diffuseurs techniques alternatifs à l'opérateur historique TDF (Towercast et Itas-Tim) ont fait part au Conseil de leurs vives inquiétudes dans un contexte où la concurrence joue un rôle déterminant. L'ensemble des acteurs réclame l'indemnisation complète des pénalités liées aux ruptures de contrat et le remboursement intégral des frais techniques liés à l'opération de transfert.
Enfin, le montant de l'investissement résultant des obligations des chaînes de la TNT dans la production audiovisuelle et cinématographique a dépassé 1,2 milliard d'euros en 2012. La contribution que le secteur audiovisuel apporte à l'économie en utilisant les fréquences de la TNT est comparable à celle du secteur des communications hertziennes. Les opérateurs payent 8 euros par hertz utilisé et par an, contre 6 euros pour les chaînes de la TNT. L'efficacité du dispositif actuel tient aux fortes barrières protégeant la TNT - rareté de la ressource, protection contre les capitaux extra-communautaires -, qui sont maintenues en contrepartie de la contribution des services autorisés au financement et à la promotion des oeuvres cinématographiques françaises. Les partisans d'un basculement rapide, notamment l'Association nationale des fréquences (ANFR), ne mesurent pas les conséquences d'un tel bouleversement sur la production française. L'adaptation de ce dispositif sur les autres plateformes à très haut débit - filaire, ADSL, câble, fibre optique, satellitaire ou Internet ouvert - pour diffuser la TNT doit rester au coeur de la réflexion des pouvoirs publics. Aucun modèle alternatif n'a été identifié à ce jour. Le déclin de la plateforme hertzienne entraînerait une forte diminution de la contribution des éditeurs à l'économie culturelle française.
Le CSA est prêt à éclairer la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle sur les conditions et les perspectives de cette vaste opération. Pour arrêter ses choix, le Conseil a besoin de visibilité sur les mesures législatives et réglementaires susceptibles d'être mises en place. Le problème est grave, le temps est compté.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions pour cet exposé précis et sans concession. J'ai été membre, ainsi que mon collègue Assouline, de cette Commission. Elle n'a pas siégé depuis octobre 2013. Avec Jean-Claude Lenoir, nous avons adressé un courrier au Premier ministre pour l'alerter sur la nécessité de la réunir.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - L'arrêté du 6 janvier 2015 a été pris sans que la Commission de modernisation de la diffusion de l'audiovisuel n'ait été réunie. C'est un dysfonctionnement tout à fait regrettable.
Mme Marie-Christine Blandin. - Le 23 mai 2013, j'ai adressé une question écrite sur les risques de diminution de la contribution au soutien de la création française. Dans sa réponse du 7 octobre 2013, la ministre de la culture affirmait qu'elle veillerait à ce que les bénéficiaires du transfert de la bande prennent en charge l'ensemble des coûts induits par l'opération. J'ignore si l'appel à achats y associera obligations et servitudes...
Les écologistes portent un regard plus large. Tous les budgets thématiques ont consenti des efforts, même celui de la défense... qui reçoit un droit de tirage pour recettes nouvelles : le Parlement n'a pas été respecté dans les équilibres budgétaires. Les fréquences sont un bien commun que l'on destine à devenir privé. Cela mérite débat. Pour les écologistes, l'obsolescence programmée est un processus inquiétant. Est-il judicieux de programmer ainsi un gâchis gigantesque au nom d'un changement hasardeux ?
M. David Assouline. - Je regrette que la Commission de modernisation de la diffusion de l'audiovisuel, dont je suis membre, ne se soit pas réunie, même si elle a bien été saisie. Les difficultés dont vous faites état ne doivent en aucun cas remettre en cause le processus de transfert de la bande 700 MHz. En tant que parlementaires, la question de l'évolution des médias nous intéresse ; nous n'en défendons pas moins l'intérêt de nos concitoyens et celui de notre pays. L'État a besoin des fonds qui sortiront de la mise aux enchères. Le ministre nous demande d'aller vite. Nous devons d'ici la fin de l'année poser un cadre légal pour pouvoir avancer. Le président Schrameck a lancé des alertes fortes pour que nous ne minimisions pas les obstacles. Le CSA joue son rôle...
M. Olivier Schrameck. - ... de veilleur...
M. David Assouline. - ... sans remettre en cause le projet.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le calendrier est-il pertinent ? Le retrait de la bande des 700 MHz ne doit pas se faire de manière trop brutale. Cela demande une préparation importante, des mesures législatives à mettre en place, un engagement financier à prendre. Lors d'une séance de questions au Gouvernement en octobre 2014, Emmanuel Macron indiquait que la vente de la bande 700 MHz pourrait être reportée après 2015, pour optimiser le produit.
M. Olivier Schrameck. - J'ai été extrêmement sensible à l'attention que vous avez bien voulu porter à mes remarques. Le CSA mène un travail de veille et d'anticipation. Il n'est pas question de remettre en cause les décisions des pouvoirs publics. Mon collègue Soriano prévenait que le calendrier était tendu. Je dirais qu'il est tendu à l'extrême ! Le CSA a tenté d'aller aussi vite que possible. Nous attendons les mesures législatives et réglementaires d'organisation. Le Conseil constitutionnel a refusé de se substituer à l'appréciation du pouvoir législatif, le CSA a encore moins à s'immiscer dans un tel débat. Il lui revient de souligner les contraintes de temps et les enjeux financiers, de marquer que le processus aura aussi son coût, que celui-ci devra être partagé entre les différents acteurs mais que son montant n'a pas été cité dans le domaine public.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le Sénat a l'intention de s'emparer du sujet pour que le transfert se fasse dans le sens de l'intérêt général.
Nous souhaiterions à présent vous entendre sur l'avis que le CSA a porté sur le bilan quadriennal de France Télévisions, dont le nouveau président doit être nommé au printemps 2015. En juin 2009, le législateur a établi un cahier des charges pour l'audiovisuel public. Nous souhaitons vérifier que les missions fixées ont été respectées, en termes de mode de gouvernance et de financement. Nous y travaillons déjà avec la commission des finances et notre rapporteur Jean-Pierre Leleux.
M. Olivier Schrameck. - Dans ce rapport étayé, équilibré et constructif, nous avons voulu prendre en compte la longue histoire du service public de télévision, dont les quatre dernières années ne constituent qu'une séquence. Les incertitudes financières et économiques - Rémy Pflimlin vous en a déjà fait part - compliquent l'établissement de projets pérennes. Le contexte économique a changé : depuis la fin 2012, les six nouvelles chaînes en haute définition captent 3,9 % de l'audience.
Le recul d'audience des chaînes du groupe public reste d'autant plus relatif que les médias audiovisuels se sont diversifiés. En revanche, le phénomène de vieillissement est préoccupant, car il s'est accentué. Les spectateurs de plus de 50 ans représentent 71 % du public de France 2, 76 % de celui de France 3, 42 % de celui de France 4 et 72 % du public de France 5. Nous ne pouvons que nous féliciter de la qualité globale de l'offre de l'information, même si des incidents arrivent, dont le Sénat vient de faire l'expérience. Globalement, cette offre s'est renouvelée et enrichie, notamment grâce au numérique. Les 402 millions d'euros investis dans la production dépassent le seuil de 400 millions initialement prévu. France Télévisions travaille avec plus de 40 % des entreprises de production. Le Conseil a néanmoins constaté que la moitié de ces entreprises travaille exclusivement avec le service public, ce qui crée une forme de dépendance.
France Télévisions souffre d'une organisation parfois instable et peu lisible, notamment dans sa politique de commande à moyen et à long terme. Une prise de risque plus importante dans les formats et les thèmes traités améliorerait les programmes. Le CSA préconise la mise en place, à partir du « qualimat », d'une grille d'évaluation plus complète prenant en compte le type de traitement, le mode de financement et l'avis du public. En affinant ces paramètres, on pourrait produire des séries qui s'inséreront plus facilement sur le marché international.
France Télévisions finance 60 % de la fiction française, soit plus de 9 000 heures de diffusion. Le CSA a constaté de grands succès d'audience, même si des progrès restent possibles. Le remarquable documentaire sur l'histoire de l'extermination des Juifs d'Europe cité hier par M. Assouline en est un très bon exemple.
Quant au sport, le CSA salue la politique d'achat de droits de l'audiovisuel public qui retransmet des manifestations importantes. Les négociations sur le tournoi de Roland Garros, l'an dernier, ont été âpres. Quand l'on apprend que les droits de la Coupe Davis ont été acquis par une chaîne internationale, beIN SPORTS, il est inquiétant de penser qu'il faudra bientôt payer pour regarder du sport. Je souhaite que le CSA puisse contribuer à la régulation des droits sportifs.
La cohérence du bouquet de chaînes reste perfectible, notamment en ce qui concerne le regroupement de France 2 et France 3. France 3 Régions n'a encore fait l'objet d'aucune réforme d'envergure. Si sa fonction d'information est reconnue, ses programmes documentaires et ses autres émissions ont moins de succès. Un travail d'harmonisation s'impose pour adapter l'organisation de France 3 à la réforme territoriale. Les programmes de France 4 méritent également d'être revus dans le sens d'une plus grande homogénéisation et d'un meilleur profilage de la chaîne. Le Président de la République a qualifié France Ô de « vitrine des outre-mer ». Des progrès restent à faire pour que la chaîne occupe pleinement ce statut. Enfin, certains programmes de France 4 et de France 2 pourraient être mieux profilés pour attirer le public particulier des jeunes en difficulté.
L'activité numérique du groupe s'est développée de manière significative. Les évolutions technologiques ont été intégrées, par exemple avec une expérimentation de l'ultra haute définition (UHD). Le Conseil recommande à France Télévisions de développer les synergies avec les autres groupes du service public, comme Radio France ou l'Institut national de l'audiovisuel.
Enfin, le rapport consacre de larges développements à la place des femmes dans l'univers de la télévision publique. Mis à part dans le sport, où elle a progressé de 1 %, la présence des femmes a reculé partout ailleurs. Le seul engagement tenu a été de donner une plus grande place aux femmes expertes (30 % fin 2014, 35 % fin 2015). La diversité n'est pas non plus tout à fait respectée. Le Président de la République en a fait état dans son intervention lors du colloque du CSA, le 2 octobre dernier. Des initiatives ont été prises, notamment lors de la fête nationale. Le problème majeur reste la représentation insuffisante des jeunes qui se heurtent aux plus graves difficultés.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Le paysage de l'audiovisuel public évolue considérablement. La loi de 2013 sur l'indépendance du service public a commencé à prendre effet. Je me réjouis de la nomination des deux nouveaux membres du CSA, Nathalie Sonnac et Nicolas Curien. Sans faire injure à leurs prédécesseurs, leur élection à une majorité des trois cinquièmes marque une avancée en termes de compétences et d'indépendance.
Il faudrait identifier de manière plus précise les rôles de l'État-actionnaire, celui du CSA, et celui du conseil d'administration de France Télévisions. Le CSA est à la fois régulateur et décisionnaire d'une stratégie au travers de son pouvoir de nomination. Comment gère-t-il cette double mission, parfois contradictoire ?
Le rapport que le Gouvernement a commandé à Marc Schwartz devrait bientôt paraître. Quel rôle aura-t-il sur les décisions du CSA ? Quelle marge d'indépendance le conseil aura-t-il par rapport aux priorités définies par le Gouvernement ?
Hier, vous avez pu acter une procédure pour le mode de nomination du président de France Télévisions. Pouvons-nous en savoir plus, notamment sur les moyens mis en oeuvre pour éviter un télescopage entre le devoir de transparence et la collégialité ? La procédure mise en place pour concilier des exigences contraires fonctionnera-t-elle correctement ? Ne risque-t-elle pas d'écarter certains candidats ?
Les dispositions du contrat d'objectifs et de moyens (COM), du cahier des charges, les exigences des tutelles sont parfois contradictoires, ce qui ne facilite pas la tâche des gestionnaires de France Télévisions. Ne conviendrait-il pas de préciser le rôle de chacun des trois acteurs ?
M. Olivier Schrameck. - Les régulations socio-culturelle et juridique d'une part, économique d'autre part, sont indissociables. Tout aussi indissociables sont les réflexions sur l'évolution du coeur de métier du CSA, c'est-à-dire la conformité des programmes aux valeurs du service public et aux principes de notre société, et celles relatives au cadre de gestion de l'entreprise qui les diffuse. Le simple fait que le Parlement nous ait demandé un bilan quadriennal sur les résultats de France Télévisions, alors que le cahier des charges et son avenant comportent de nombreuses clauses relatives à l'organisation administrative et financière de la société, confirme cette imbrication. Le président Pflimlin a lui-même insisté hier sur les 70 contraintes imposées par le COM et son avenant sur sa politique de programmes - et ses effets parfois inhibiteurs.
M. Schwartz, magistrat de la Cour des comptes, a été chargé d'une coordination à l'intérieur d'un groupe de travail interministériel. Les ministres concernés, notamment la ministre de la culture, prendront la responsabilité des conclusions de cette mission. Des préconisations devraient être annoncées avant la fin du mois de février. C'est pourquoi nous avons décidé d'ouvrir l'appel à candidatures le 9 mars : les candidats auront ainsi plus d'une semaine pour prendre connaissance des préconisations du Gouvernement. Le CSA sera bien sûr attentif au sort que les candidats nous diront vouloir leur réserver.
S'agissant du mode de nomination, le CSA a souhaité concilier des considérations pas nécessairement convergentes. Le principe d'égalité repose sur la collégialité : tous les membres du collège doivent avoir la même information à chaque instant. Les rumeurs selon lesquelles j'aurais établi une présélection ou fait appel à un cabinet de chasseur de têtes n'ont strictement aucune consistance. Y eussè-je seulement songé, que la certitude de l'illégalité d'une telle décision en eût détourné l'homme formé par le droit que je suis.
Mandaté par le collège en septembre dernier, j'avais annoncé que nous évaluerions la procédure de nomination du président de Radio France, et que nous ne nous sentirions pas tenus de faire un copier-coller - pardonnez cet emprunt au langage de la communication informatique. Le nouveau collège, qui en a délibéré dès cette semaine, a estimé que cette nomination avait été satisfaisante, mais a constaté l'absence de candidature d'un responsable de médias issu du secteur privé : hors le cas du président d'une organisation syndicale de radio indépendante, tous étaient responsables du secteur public ou sans emploi. Or la Constitution telle qu'interprétée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2000 fait obligation au CSA de s'assurer que les conditions dans lesquelles ses décisions sont prises respectent le bon fonctionnement du service public audiovisuel. Ce dernier exige, avons-nous estimé, que les responsables issus du secteur privé ne soient pas exclus de la procédure de désignation.
Nous avons par conséquent rejeté deux hypothèses opposées : la transparence absolue d'une part, qui dissuaderait toute personne dont la situation professionnelle serait un obstacle à une déclaration de candidature ; l'opacité totale d'autre part, qui empêcherait tout compte-rendu à l'opinion publique des modalités de notre choix. Ainsi avons-nous décidé hier que l'appel à candidature serait ouvert du 9 au 26 mars, après quoi nous auditionnerions une liste restreinte de candidats. Cette liste sera rendue publique, sauf si l'une des personnes visées s'y opposait pour des raisons professionnelles ou personnelles. Ce système permet de faire appel aux compétences les plus variées, tout en respectant le principe d'égalité. La loi dispose que le CSA évalue les candidats sur la base de leur projet stratégique...
M. David Assouline. - Transmis par courrier ?
M. Olivier Schrameck. - Oui, comme nous l'avons fait pour Radio France. Le législateur nous impose également de prendre en compte leur compétence et leur expérience : ce pli pourra également contenir tout document attestant de celles-ci.
La conciliation de l'objectivité du CSA et de la bonne connaissance des candidats est rendue possible par le séquençage de la procédure : les contacts entre ceux-ci et les membres de celui-là sont encadrés jusqu'à la publicité de la liste restreinte, le 1er avril 2015, et interdits après cette date, exception faite, bien sûr, des auditions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions de toutes ces précisions.
M. David Assouline. - Vos propos étaient en effet très précis. Vous avez souligné le vieillissement de l'audience de France Télévisions. Le lien entre l'entreprise et les citoyens, qui paient la contribution à l'audiovisuel public, se distend. C'est un motif d'inquiétude.
Les événements dramatiques que le pays a connus conduisent à s'interroger sur la place de l'information dans le paysage audiovisuel, ainsi que sur son traitement - capacité créative, profondeur historique... Le CSA devrait travailler sur ce sujet. Force est de constater qu'en la matière, le « la » est donné ailleurs. Le regard, le ton des programmes d'information de France Télévisions sont-ils adaptés à cette nouvelle donne ?
Il est anormal que la diffusion par l'audiovisuel public des événements sportifs dans lesquels les équipes nationales sont engagées à un certain niveau ne soit pas sanctuarisée. Sinon, la possibilité de voir du sport gratuitement disparaît parce que France Télévisions ne peut plus s'aligner lors des enchères.
Que pensez-vous du suivi des objectifs du COM, qui dépassent la centaine ? Comment en finir avec le saupoudrage et rendre l'évaluation plus globale, moins segmentée, bref plus efficiente ?
J'ai été heureux, en entendant M. Leleux, de constater que le nouveau mode de désignation des membres du CSA recueille l'agrément de tout le monde. Pour ma part, je veux que l'esprit de la loi l'emporte sur le formalisme. Or l'esprit de la loi, c'est un choix consensuel, puisque validé aux trois cinquièmes, d'un candidat après débat au Parlement. Cela n'a été possible que grâce à l'opposition sénatoriale mais M. Larcher a reçu des candidatures dont nous avons tout ignoré... Cette méthode m'a déplu. La proposition de M. Schrameck me semble la plus indiquée pour protéger les candidats issus du secteur privé.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'esprit de la loi a été respecté.
M. Louis Duvernois. - Monsieur Schrameck, vous n'avez pas évoqué l'internationalisation du service public audiovisuel, sujet évoqué hier avec Dominique Wolton, chercheur au CNRS et membre du conseil d'administration...
M. Olivier Schrameck. - ... de France Télévisions.
M. Louis Duvernois. - L'audiovisuel extérieur de la France est une composante essentielle de ce service public. La désignation d'un nouveau président et la feuille de route qu'il lui sera demandé de mettre en oeuvre tiendront-elles compte de ce phénomène d'internationalisation, qui contribue au rayonnement de la France dans un monde globalisé ? Nous devons, de plus, soutenir la production audiovisuelle française et la promouvoir à l'étranger.
Mme Maryvonne Blondin. - Vous avez évoqué l'affaiblissement de la présence des femmes à la télévision, en dehors de celles dont on sollicite l'expertise. En dépit de la loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes de 2014, adoptée à la suite du rapport de la délégation aux droits des femmes sur la place des femmes dans la culture, qui préconisait de « rendre visible l'invisible », rien ne bouge, ce qui est préoccupant. De quels outils de mesure disposez-vous ? Quelles pistes d'amélioration pouvons-nous explorer ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je m'associe à cette question. Nous avons été nombreux, au Sénat, en 2009, à marquer notre souhait de diversité et de parité.
M. Olivier Schrameck. - Cette question fait l'objet d'un engagement fort du CSA. Dès mon arrivée, j'ai souhaité la création d'une structure dédiée à la place des femmes à la télévision.
Monsieur Assouline, le service public a fait le choix, il y a plusieurs années, de ne pas s'engager dans la voie de l'information en continu - une nuance de regret perçait d'ailleurs dans les récentes déclarations de M. Pflimlin. La stratégie numérique du groupe y remédie en partie. Mais cela ne concurrence nullement les chaînes dont l'information en continu est le coeur de métier. BFM TV a fait savoir que le vendredi 9 janvier, elle avait atteint 13,3 % de parts de marché, soit plus que France 2, qui avait pourtant « cassé sa grille », comme on dit dans le métier, pour couvrir les attentats. C'est un problème pour l'audiovisuel public. Si le législateur souhaite lui donner les moyens de ses ambitions, il pourra compter sur le soutien du CSA.
S'agissant des événements sportifs, nous avons également manifesté de vives préoccupations. Un décret fixe la liste des « circonstances majeures pour la nation » ; en font partie certaines compétitions sportives lorsque l'équipe nationale atteint un certain niveau. Nous ne pouvons pas tout régler par cette voie. Le CSA a été saisi d'un projet de décret modificatif ajoutant à cette liste de très nombreuses compétitions féminines, auquel il a émis un avis très favorable. Ce décret n'a toujours pas paru au Journal officiel.
Reste à concilier l'intérêt national et la protection des ayants droit ; après une longue phase de conciliation, nous avons modifié une recommandation prise le 15 janvier 2013 - avant mon entrée en fonction. Le nouveau texte, applicable depuis le 1er janvier 2015, fait l'unanimité. Le problème fondamental reste la course au prix en matière de retransmission sportive, qui oppose aussi bien le service public aux acteurs privés que la télévision payante à la télévision gratuite. Priver nos concitoyens d'une occasion de rassemblement national serait d'une extrême gravité. Je m'en suis entretenu avec le secrétaire d'État aux sports Thierry Braillard. Nous avons dit notre disponibilité pour trouver un système de régulation économique adapté, sans tomber dans le travers d'une économie administrée.
Le CSA est désormais tenu, aux termes de l'article 53 de la loi du 15 novembre 2013, de formuler un avis sur le COM de France Télévisions. Les exigences inscrites dans ce document sont sans doute excessives, comme l'a dit M. Pflimlin. L'entreprise évolue dans un environnement complexe, qui exige réactivité et stabilité de la stratégie. Elle a besoin d'un certain degré d'autonomie et doit être jugée sur ses résultats, non pas enserrée dans trop de contraintes a priori. Je songe à la promotion des femmes : le CSA est compétent pour demander aux opérateurs de s'associer à une politique de représentation des femmes, mais je préfère convaincre plutôt que contraindre. Nous comptons sur la discussion et les échanges pour aboutir à des engagements, qui seront régulièrement contrôlés.
Monsieur Duvernois, l'audiovisuel extérieur de la France est une préoccupation constante du CSA. Je l'ai rappelé lors de la cérémonie des voeux que j'ai organisée, il y a quelque jours, et à laquelle le secrétaire d'État chargé des Français de l'étranger - mais aussi vous-même, madame la présidente, et d'autres membres de la Haute Assemblée - nous a honoré de sa présence. Il est essentiel de profiter des technologies nouvelles pour que les Français de l'étranger aient accès aux programmes d'information et aux émissions culturelles dans les mêmes conditions que leurs concitoyens. Les Français sont de plus en plus nombreux à s'installer à l'étranger. Or il n'y a pas de présence au monde sans information ni culture.
Madame Blondin, nous ne nous contentons pas d'un simple baromètre. La loi du 4 août 2014 sur l'égalité entre les femmes et les hommes nous donne de nouveaux moyens d'action. Sur cette base, une nouvelle démarche a été proposée aux opérateurs, qui donnera des résultats concrets.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel. - Nous ne sommes pas restés inertes face au problème de la représentation des femmes à la télévision. Nous avons été associés à la rédaction de la loi, en collaborant étroitement avec le Gouvernement. Puis le Parlement a considérablement enrichi le texte. Son application exigeait une délibération du CSA. J'ai organisé au préalable de septembre à décembre 2014 dix-huit réunions avec les chaînes de radio et de télévision pour définir des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Ces séances de concertation ont été fructueuses : les chaînes ont accepté le principe d'une évaluation annuelle sur la présence des femmes dans leurs programmes et sur les plateaux, sur le degré de stéréotypes de genre, etc. Les chaînes prendront des engagements, et nous discuterons avec elles, année après année, des résultats obtenus.
France Télévisions avait déjà pris l'engagement de porter à 30 % la part des femmes sur les plateaux en 2014 et à 35 % en 2015, objectifs repris à son compte par Radio France. Tout le monde a bien compris la nécessité de progresser. Nous pouvons au surplus nous autosaisir lorsqu'une chaîne diffuse des propos sexistes ou véhicule une image dégradante des femmes. Merci de nous avoir donné les moyens d'agir. Nous espérons revenir devant vous l'année prochaine pour vous exposer l'amélioration des indicateurs.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - M. Assouline a opportunément soulevé la question de la déontologie des médias. Travaillez-vous sur cette question ? Selon quel calendrier ? Notre commission souhaite avoir communication de vos conclusions.
M. Olivier Schrameck. - Le CSA a été très attentif aux tragiques événements du mois de janvier. Selon une procédure inhabituelle, nous avons transmis une note à toutes les rédactions les appelant à faire preuve de discernement dans le traitement de l'information.
Le jeudi 15 janvier, nous avons réuni plus de quarante éditeurs, parfois situés en dehors de la sphère d'action du CSA, comme l'Agence France-Presse (AFP). Leurs échanges ont opportunément cassé le cloisonnement qui se crée en pareille occasion entre les salles de rédaction. Fallait-il, sur la base de ces retours d'expérience, formuler des recommandations supplémentaires ? Si nous restons soucieux de l'autonomie de chacun, nous avons réfléchi à des recommandations destinées à orienter les décisions des chaînes, lorsque sont en cause la vie ou la dignité des otages ou la sécurité des forces de l'ordre.
Des procédures sont en cours par la voie traditionnelle qui nous donne compétence pour apprécier les manquements des acteurs de l'audiovisuel à leurs obligations. Les éditeurs mis en cause - par nous-mêmes ou par la voie judiciaire - nous ont fait parvenir leurs réponses. Nous les avons communiquées au ministère de l'intérieur, qui ne nous a pas encore transmis ses observations. Or nous ne saurions considérer que les assertions des éditeurs ne sont pas fondées, tant qu'elles ne sont pas contredites.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions. Notre commission souhaite entretenir avec le CSA des relations de travail aussi étroites que possible.
Audition de M. Jean-Paul Philippot, administrateur général de la Radio-télévision belge francophone (RTBF)
Enfin, la commission auditionne M. Jean-Paul Philippot, administrateur général de la Radio-télévision belge francophone (RTBF).
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous recevons à présent M. Jean-Paul Philippot, administrateur général de la Radio-Télévision Belge Francophone (RTBF) et président de l'Union européenne de radio-télévision (UER).
La réflexion sur la projection de France Télévisions dans l'avenir s'enrichirait d'un regard extérieur. Comment voyez-vous, monsieur l'administrateur général, l'évolution de l'audiovisuel public français dans son écosystème, son inscription dans le cadre européen et mondial, et son adaptation à la mutation numérique ?
M. Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF. - Je vous remercie de m'accueillir. Je suis administrateur général de la RTBF depuis douze ans et président de l'Union européenne de radio-télévision depuis six. J'occupe donc une position d'observation privilégiée des mutations actuelle du secteur audiovisuel.
La RTBF est, relativement à France Télévisions, une petite organisation puisqu'elle regroupe cinq chaînes de radio et trois de télévision. Son évolution récente est à contresens de celle observée en Europe chez les autres opérateurs publics : ses parts de marché ont progressé de 2,2 % ces cinq ou six dernières années, lorsqu'elles régressaient de 3,5 % en Europe.
Comme d'autres groupes européens, nous avons engagé six chantiers. Le premier concerne la structure et la gouvernance du groupe : depuis sept ou huit ans, nos entités convergent, les ressources sont mutualisées. Nous avons également revu les processus internes : leur rationalisation nous a permis de réduire les effectifs de 30 % en dix ans, donc de faire des économies. Comme nous augmentions simultanément notre production, nos gains de productivité ont bondi de 45 %. Troisième chantier : la rationalisation de l'usage de nos équipements, l'introduction de nouvelles techniques de production et la numérisation de nos produits. L'objectif était double : mettre nos contenus à la disposition du plus grand nombre par leur dématérialisation et augmenter la productivité de nos outils.
Nous avons conduit un important travail sur les contenus : les politiques éditoriales, la nature des formats télévisuels, le niveau de risque pris par les producteurs et leur créativité et la redéfinition du rôle de l'information, dans un monde de l'immédiateté où le public est aussi producteur d'information. Dans un univers médiatique de plus en plus chargé, nous avons également travaillé sur le marketing tout en préservant la cohérence du message envoyé à notre public. Dernier chantier, nous avons développé notre offre numérique, afin de satisfaire le besoin d'information d'un public mobile qui souhaite toujours plus d'interactivité.
La comparaison entre notre agenda et celui de nos collègues européens fait apparaître quatre thématiques communes. Premièrement, les contenus. Les intermédiaires entre les créateurs de contenus et le public se multiplient. Nous avons fait le choix de l'originalité et de la spécificité. Hier, nous pouvions faire de la télévision en achetant des contenus à des tiers. Désormais, nous avons besoin de détenir des droits réels sur ceux-ci. Cela requiert un gros travail de production, avec un ancrage local fort - tenant compte du référentiel culturel, social, historique des personnes auxquelles nous nous adressons. Nous prêtons une grande attention aux nouvelles écritures, en particulier documentaires, ainsi qu'à notre capacité à nous déployer sur le terrain, en prise directe avec l'actualité locale - ce que les groupes étrangers ne peuvent pas faire.
Dans le domaine éditorial, nous nous efforçons de renforcer la pertinence et l'indépendance des contenus et le lien privilégié avec le public. Les événements du mois de janvier en France, puis en Belgique ont suscité débats et réactions, si bien que notre conviction sur le sujet n'a fait que grandir.
La BBC, France Télévisions, le service public italien ont dû réduire leurs effectifs comme nous. Les ressources humaines sont la clé de notre réussite future. Elles devront être mobiles, pas seulement géographiquement, mais surtout dans une organisation de moins en moins hiérarchique et de plus en plus latérale ; polyvalentes, pour s'adapter à l'outil numérique ; créatives : le succès des séries scandinaves n'est pas dû à leur budget, mais bien à leur originalité et leur façon de coller aux réalités sociales. Nous investissons dans une académie et dans la communication interne.
Les contenus, comme les plateformes, doivent converger, donc la production, le stockage et les équipes. Nous parlons beaucoup en interne de transversalité des équipes, de partenariat, de partage. À l'échelon européen, c'est la même chose ; nous avons ainsi acquis auprès de la BBC un player numérique radio que nous avons introduit en Belgique avec des radios privées, faisant ainsi des économies d'échelle sur son développement et atteignant une masse critique suffisante pour être référencé auprès du public.
Parler de marketing dans un service public peut sembler un paradoxe ; il faut le dépasser. C'est chose faite pour moi lorsqu'en visite à la BBC, j'ai découvert au centre de son organigramme « content » et « marketing » : dans un monde concurrentiel, internationalisé, on n'est pas audible si l'on ne valorise pas de bons contenus ; ce ne serait pas cohérent dans l'espace et dans le temps et nous risquerions la déception et la désaffection du public. C'est d'autant plus difficile que l'offre linéaire se fragmente : il y a de plus en plus de chaînes, nationales et étrangères, d'assemblage. Les contenus ont maintenant deux vies, sur les chaînes et sur les moteurs de recherche et les agrégateurs de contenus, soit consécutivement, soit en parallèle.
Un des enjeux à l'avenir me semble être la personnalisation. Dans ce monde où la collecte des données personnelles est devenue systématique, permettant de constituer des profils pour proposer des contenus spécifiques, il faut affirmer nos valeurs et inventer de nouvelles conditions du lien social et du vivre-ensemble. La télévision rassemble des masses de citoyens à un moment donné autour d'un contenu particulier, dans la raison ou dans l'émotion, tandis que le monde de la recommandation fonctionne par groupes d'affinités. Nous devons investir ce domaine ; c'est un défi financier et technologique, mais aussi éditorial et de société. Nous y travaillons, en association avec des membres de France Télévisions et de la BBC - les plus avancés en Europe sont Channel Four, la deuxième offre publique en Grande-Bretagne.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie ; ces sujets sont au coeur de nos débats.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Il nous serait utile de savoir comment certaines problématiques que rencontre le service public français sont vécues par la RTBF. Quelles sont vos relations avec votre tutelle ? Quelle est votre interprétation de l'indépendance du service public audiovisuel ? Vos ressources sont-elles assises sur une redevance - si oui, comment est-elle perçue - ainsi que sur la publicité - et dans ce cas, comment cela s'articule-t-il avec votre indépendance ? La RTBF fournit une triple offre : télévision, radio et Internet ; quels sont les avantages et les inconvénients de cette globalité ? Que mutualisez-vous ? Un débat a lieu en France sur la radio numérique terrestre (TNT), qui suscite moult atermoiements... et quelques expérimentations en Île-de-France. Que pouvez-vous nous en dire ?
Mme Marie-Annick Duchêne. - À l'Assemblée parlementaire de la francophonie, des pays se plaignent de ne pas recevoir une information complète. Comment faire pour que le service public français puisse allier le rapprochement avec le public et le souci de la francophonie ? Le Canada - pays dont est originaire la nouvelle secrétaire générale de la francophonie - est en train de travailler sur cette question.
Mme Maryvonne Blondin. - Avec un territoire sans commune mesure, les réformes que vous avez menées me font penser à celles de Sylvain Lafrance pour Radio-Canada, avec une radio-télévision numérique et un ancrage dans le référentiel patrimonial, historique et territorial. Cela a été possible notamment par une certaine durée du mandat, qu'en est-il pour vous ? Que pensez-vous de l'éventuelle régionalisation des télévisions, parallèle à la réforme territoriale actuellement menée ?
M. Louis Duvernois. - Votre pays est petit, géographiquement parlant, mais il a de grandes ambitions. Il est au coeur de la construction européenne ; cela lui donne un regard singulier en comparaison avec d'autres membres de l'Union européenne, qui n'ont ni la même histoire, ni la même diversité linguistique et culturelle - source de difficultés parfois, mais aussi de richesses. Vous êtes au coeur d'une francophonie qui n'est pas une nostalgie, mais s'ancre dans une action qui dépasse les frontières nationales.
Vous avez évoqué votre double casquette de président de la RTBF et de l'UER. Quel est votre rôle dans cette organisation ? De quel ordre pourrait être une collaboration plus étroite avec nous, qui sommes vos partenaires au sein de TV5 Monde ?
M. Jean-Paul Philippot. - Les questions de l'indépendance de l'opérateur public et de ses relations avec sa tutelle se posent partout en Europe. En ce domaine, on ne peut pas parler de pays nordiques vertueux s'opposant à des pays du sud incestueux. C'est une question qui se pose de la Norvège à l'Italie, de la République Tchèque à l'Irlande.
En Belgique, dans le cadre d'un décret, nous avons un contrat de gestion, l'équivalent de votre contrat d'objectif et de moyens, d'une durée de quatre ou cinq années, qui définit l'exercice de nos missions et comprend des objectifs quantitatifs en termes de variété de genres mais aussi d'audience en valeur absolue - et non de parts de marchés, qui est un concept de publicitaire.
Un Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) évalue le respect de ce contrat annuellement, par l'investigation, l'audition et le cas échéant, la sanction. Le conseil d'administration du groupe est le reflet des partis démocratiques représentés au Parlement, à due proportion, à l'exclusion des partis qui véhiculeraient des valeurs xénophobes ou d'extrême droite. J'ai été formellement désigné par le Gouvernement mais après avoir déposé ma candidature, j'ai été évalué par un groupe de personnalités indépendantes - pour moi, ce furent le secrétaire général du ministère de la culture, un banquier d'affaires, un réviseur d'entreprise et Jérôme Clément, alors président d'Arte ; des personnalités étrangères peuvent en effet s'affranchir des contingences locales. Le CSA m'a ensuite auditionné. Il formule un avis que le Gouvernement doit suivre, à moins de motiver sa décision.
Je rends compte au conseil d'administration. Le mandat est de six ans, avec une évaluation au bout de trois ans par un comité extérieur de quatre personnalités choisies dans la société civile. Les membres du comité de direction sont évalués par moi et par un collège comparable, auquel j'invite des collègues flamands, suisses, français, pour échapper aux influences internes.
Un décret nous garantit l'indépendance éditoriale. Une société des journalistes élue peut être saisie par un journaliste qui estimerait son indépendance menacée. Nous avons aussi un organe de référence et d'avis, sorte de conseil de déontologie présidé par un juge et comprenant des personnes de la société civile, à qui nous pouvons poser des questions d'ordre éditorial.
Notre financement est hybride, comme la très grande majorité des services publics de l'audiovisuel en Europe. Un rapport du Parlement européen de 2009 présente ce modèle comme la référence. La BBC est certes financée exclusivement par une redevance, mais pas pour ce qui concerne ses nombreuses activités commerciales : selon que vous accédez au site de la BBC depuis la Grande-Bretagne ou non, vous aurez ou non de la publicité. La RTBF reçoit un financement direct de l'État, fixé dans le contrat. C'est une formule que ne recommande pas l'UER car elle place le service public audiovisuel dans une dépendance supérieure à celle des services publics financés par redevance. En ce qui nous concerne, en dépit du contrat quinquennal, nous négocions les dotations chaque année avec le gouvernement - or nous ne discutons pas d'égal à égal avec lui, et encore moins quand la conjoncture budgétaire est difficile. Dans certains pays européens, comme les pays de l'Est, les services publics ont eu bien du mal à tenir leur ligne éditoriale ces dernières années.
Le financement public représente 70 % de nos recettes et nos activités commerciales 30 %, dont 21 % de publicité - ce qui est dans la moyenne européenne. Le financement public en Europe a diminué ces dernières années, abstraction faite de l'inflation ; le recul a encore été de 1,3 % en 2013. Dans le même temps, la pression est grandissante sur le marché des revenus publicitaires de la radio et de la télévision. Or il faut de l'argent pour faire des programmes de qualité. Nous avons en permanence ce débat en Belgique : produire 52 minutes d'une fiction locale coûte fois quinze fois plus cher que d'acheter 52 minutes d'une fiction américaine, qui aura coûté quinze ou vingt fois plus cher, avec par conséquent une qualité plus élevée ; son succès aura déjà été éprouvé sur un autre marché - le risque est nul - et elle bénéficiera d'un marketing mondial. Les services publics doivent réussir à monétiser leur audience et leurs contenus sur les médias numériques.
La question des relations entre publicité et indépendance ne peut pas être évacuée d'un revers de main : il nous arrive de subir des pressions d'annonceurs, voire des menaces. Alors, je demande une confirmation écrite et je n'en entends plus parler dans 99 % des cas. Une seule fois, l'annonceur s'est retiré : Ferrero n'appréciait pas nos investigations sur l'huile de palme. Si nous nous plions, nous perdons la confiance du public. Nous vivons sous la pression plus généralement des corps sociaux ; mais c'est quand on ne se plaindra plus de nous qu'il faudra s'inquiéter, car cela signifiera que nous n'intéressons plus personne.
Nous mutualisons la radio et la télévision, comme la plupart des pays en Europe : en Suède, les deux médias sont séparés. Mais, la Belgique étant un petit pays, nous sommes condamnés à être efficients, ce qui passe par la mutualisation. Je connais le débat en France sur une fusion des rédactions de France 2 et France 3 ; en Belgique, les rédactions sont fusionnées depuis longtemps pour la télévision, la radio et Internet. Nos journalistes ne sont pas pour autant des hommes orchestres, munis d'une caméra, d'un micro et d'un PC ; mais les lignes éditoriales convergent et les moyens sont mis en commun : une corbeille numérique rassemble tous les contenus étiquetés non plus par média, mais par thématique, qu'il s'agisse de sons, d'images, de vidéos ou de texte. Tous les journalistes y ont accès et l'alimentent. Nous construisons en ce moment un studio radio muni de caméras qui s'inspire de celui de BFM Business.
Nous, médias, devons occuper le temps selon les spécificités de chaque forme : donner l'alerte sur Twitter dès la survenance de l'événement, renvoyer à une émission spéciale sur la chaîne, avec un fil info sur le site Internet. Un quart des accès à l'information sur nos sites se fait via Facebook - un tiers aux États-Unis. Nous devons occuper le monde des réseaux sociaux, qui a ses codes. Le jour des attentats à Charlie Hebdo, nous nous demandions, mon homologue suisse et moi, quel avait été notre premier accès à l'information. En transposant en Belgique, cela aurait été les sites Internet et Facebook avant les chaînes linéaires. Nous ne devons pas être prisonniers d'un silo technologique.
Nous sommes très en faveur de la radio numérique : si nous n'y basculons pas rapidement, il est très probable que la radio aura disparu dans vingt ans. La radio est le dernier medium analogique, avec un nombre limité de canaux et une qualité variable. Je ne vous cache pas ma frustration lorsque je traverse la France et que j'essaie de suivre la même station... C'est impossible, sauf à écouter 107.7, qui manque un peu de créativité, reconnaissons-le ! La radio restitue aussi la gratuité, la mobilité et l'imaginaire. Le futur numérique de la radio exige d'adopter une norme de diffusion commune à l'échelle européenne - celle qui se développe le plus aujourd'hui est le DAB+. C'est important pour l'équipement des voitures, qui sont le lieu de la mobilité et de la radio. La radio numérique, c'est aussi la radio hybride : réception hertzienne numérique, mais aussi possibilité de se procurer des informations sur le morceau de musique en cours, accéder à la vidéo correspondante, etc... Soit nous basculons dans le numérique, soit nous nous retrouverons dans les mains de Spotify, Deezer ou Youtube. La Norvège arrêtera la FM en 2017. L'écoute se fait déjà à 50 % en DAB+. Les Anglais, les Allemands, les Suisses, les Néerlandais en débattent. Chez nous, ce n'est pas une question d'opportunité mais d'argent.
Ceux qui, chez vous, s'y opposent craignent que leur situation oligopolistique soit mise en cause sur le marché de la publicité. Il faut certes garantir des modèles économiques, car la France compte des groupes privés de grande qualité, mais cela ne saurait geler toute évolution technologique.
À titre personnel, j'accorde beaucoup d'importance à la francophonie ; en tant que président de l'UER, je mesure la vitesse et l'étendue du retrait du français comme langue de communication ou de circulation des oeuvres. J'en souffre ; France Télévisions et Radio France ont un rôle majeur à jouer. Une de nos caractéristiques, en Belgique, outre la capacité à l'autodérision et à l'autocritique, est le multiculturalisme, le melting pot : nous nous considérons comme des zinnekes - mot bruxellois pour désigner des chiens bâtards. Aucune fierté nationale ne nous interdit de travailler avec les autres. Le français véhicule au-delà de sa culture des valeurs spécifiques : j'ai été impressionné par la mobilisation exceptionnelle que la liberté d'expression a suscité le 11 janvier dans les villes de France. Je ne suis pas sûr qu'il en aurait été de même ailleurs. Nous devons collectivement avoir plus d'ambition qu'aujourd'hui, une ambition ni arrogante, ni complexée. La francophonie fait en quelque sorte partie de nos missions ; nous avons des contacts étroits entre radios et télévisions publiques francophones - je connais personnellement Sylvain Lafrance ; des responsables de Radio Canada m'ont parlé de leur projet de plateforme de contenus vidéo, s'inspirant des collaborations entre compagnies aériennes et des programmes mutualisés de fidélisation. Imaginez le potentiel si nous mettons en commun Radio Canada, France Télévisions, l'audiovisuel extérieur français, la télévision suisse romande, la RTBF ! Au-delà de cette francophonie nordique, il ne faut pas oublier la francophonie du Sud, avec qui elle entretient des rapports qui sont hélas encore trop de coopération, pas de coproduction d'égal à égal.
Nous constatons que les articles les plus lus sur nos sites Internet concernent l'actualité locale, que les rédactions ont tendance à placer hiérarchiquement en-dessous. Dans un monde global, nous ne pouvons pas concurrencer des acteurs internationaux et leur puissance en termes de marketing ; mais le local est une carte maîtresse. France Télévisions a en France 3 un atout important, qui devrait être le premier laboratoire de coopération entre la télévision et Internet. En Belgique, l'investissement publicitaire local est passé de la presse locale à Internet.
La Belgique compte 12 télévisions locales - modèle d'inefficacité absolue. Il faut en effet un bassin d'un million ou d'un million et demi d'habitants pour approcher un seuil de rentabilité - il est vrai que les télévisions régionales françaises ont elles aussi des problèmes économiques. Nous allons lancer avec les télévisions locales belges un site Internet commun, intitulé « Vivre ici », dont la clef d'accès est le code postal, regroupant des informations de proximité, connectant la municipalité, les clubs de sport, le centre culturel, les transports en commun, les médecins et pharmacies de garde : un petit agrégateur de contenus dont la clé est « près de chez moi ». Une ouverture vers la presse écrite serait possible, quoique les rapports avec elle soient difficiles...
De l'extérieur, le groupe France Télévisions fait rêver : des moyens considérables, une forte notoriété, un potentiel de développement important. Il y a une opportunité pour investir l'actualité locale. Il faudra toujours une déclinaison sur la télévision - mais la plateforme numérique est le futur. Le défi est de connecter les prochaines générations, qui n'abandonnent pas la télévision, mais la regardent beaucoup moins que les précédentes.
Je finirai par une impertinence. Depuis Bruxelles ou depuis Genève, au siège de l'UER, une spécificité française me semble un formidable obstacle : le rapport entre groupes de médias et producteurs indépendants. Il aboutit à un morcellement qui freine le développement des groupes dans l'économie numérique. Vous fonctionnez encore comme dans le passé, quand un contenu était diffusé une seule fois. Au XXe siècle, le contenu était un coût, donc une charge ; au XXIe siècle c'est un actif à placer au bilan, en tant que richesse pérenne de l'entreprise. Cela est impossible avec le système des producteurs.
Rémy Pflimlin me parlait, il y a un an et demi, d'une opération remarquable appelée « Génération quoi ? », montée avec Le Monde. Très emballés, nous proposons de la dupliquer sur dix ou vingt pays, l'ouvrant aux échanges entre jeunes de différents pays, sur des questions comme : « êtes-vous prêt à mourir pour votre patrie ? ». Nous n'y sommes pas encore parvenus : c'est que le producteur veut négocier avec chacun d'entre nous. Si c'était une production de la BBC, le producteur indépendant aurait eu sa marge, mais la chaîne, propriétaire du contenu, aurait été seule à négocier. Et ce serait déjà en place !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous touchez un point sensible, sur lequel notre commission, en particulier Jean-Pierre Plancade, a beaucoup travaillé.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Ce sujet est évoqué à chaque discussion sur le contrat d'objectifs et de moyens, mais toujours contourné. Le décret pris conséquemment au rapport Plancade est trop modeste à nos yeux ; il faut aller plus loin. La BBC tire des revenus très importants de la commercialisation de ses productions. France Télévisions achète 95 % de ses contenus et n'en produit que très peu. Cela pourrait constituer une ressource qui compenserait des pertes ailleurs. C'est effectivement une anomalie.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour votre présentation très utile. Nous aurions intérêt à développer nos contacts sur ce sujet avec d'autres parlementaires de l'Union européenne.
La réunion est levée à 12 h 30.