- Mardi 18 novembre 2014
- Mercredi 19 novembre 2014
- Enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence Paris Climat 2015 (COP21) - Audition de M. Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la Chaire Économie du Climat
- Loi de finances pour 2015 - Crédits « Recherche en matière de développement durable » - Examen du rapport pour avis
Mardi 18 novembre 2014
- Présidence de M. Gérard Cornu, vice-président -Loi de finances pour 2015 - Crédits « Transports aériens » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur les crédits relatifs aux transports aériens du projet de loi de finances pour 2015.
La séance est ouverte à 16 heures
M. Gérard Cornu, président. - Je voudrais tout d'abord excuser le président Hervé Maurey qui assiste à des réunions internationales de l'UIP. À l'ordre du jour cet après-midi, figure l'examen de deux rapports pour avis du projet de loi de finances pour 2015 sur les crédits « Transports aériens » et les crédits « Transports routiers ».
Pour les crédits du transport aérien, nous avons désigné François Aubey rapporteur pour avis, dont c'est le premier rapport de nouveau sénateur. Aussi, je voudrais saluer, mon cher collègue, le travail que vous avez dû effectuer pour, dans un temps record, vous plonger dans un sujet à la fois vaste et complexe.
M. François Aubey, rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits relatifs au transport aérien pour l'année 2015. Je vais essayer d'être à la hauteur de Vincent Capo-Canellas, qui s'était brillamment acquitté de cette tâche au cours des années passées. Je remercie le Président Maurey et l'ensemble des membres de la commission de m'avoir donné cette occasion d'examiner un domaine stratégique pour notre pays. Je remercie particulièrement mes collègues du groupe socialiste de m'avoir témoigné cette marque de confiance.
Il m'est apparu, au cours des auditions, que le secteur aérien revêt une dimension géopolitique essentielle. Certes, il s'agit d'un domaine où les perspectives de croissance sont extrêmement encourageantes. Il est de coutume de dire que le trafic aérien croît deux fois plus vite que le PIB. En 2013, le trafic mondial a atteint 5,8 milliards de passagers kilomètres transportés (PKT), contre 3 milliards en 2000, soit une progression de l'ordre de 90 % et un taux de croissance annuel moyen d'environ 5 %. Les dernières prévisions de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) prolongent cette tendance : +6,0 % en 2014, +6,3 % en 2015 et +6,5 % en 2016. D'une manière générale, personne n'imagine pour le moment que la croissance du trafic aérien puisse ralentir nettement à long terme, tant la demande est forte. La France a des atouts incomparables pour capter cette croissance, grâce à notre « triple A » : un grand constructeur d'avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire du monde.
Mais le revers de la médaille est que ce secteur porteur suscite énormément de convoitises, au risque de faire fi des règles de base de la concurrence. C'est ainsi que les compagnies européennes réalisent seulement 5 % des bénéfices de l'ensemble des compagnies aériennes dans le monde, soit 0,4 milliard de dollars sur 7,4 milliards de dollars, alors même que l'Europe représente 30 % de l'ensemble du transport aérien commercial. Et ce, malgré les efforts de restructuration importants de ces compagnies au cours des dernières années, qui se sont accompagnés de la destruction de 80 000 emplois depuis 2000, soit une réduction de personnel d'environ 18,5 %, dont 20 000 ont été supprimés entre 2011 et 2013.
En parallèle, les hubs européens voient leur position menacée par d'autres acteurs mondiaux, issus notamment du Moyen-Orient, qui semblent désireux de profiter de la situation économique difficile du vieux continent. En 2013, Dubaï est devenu le septième plus grand aéroport mondial (66,4 millions de passagers, +15,2 %), devant Paris-CDG (62,0 millions de passagers, +0,7 %). Cet affaiblissement progressif de la position des hubs européens menace directement les intérêts économiques et géostratégiques de l'Europe, en réduisant sa connectivité avec les pays en pleine expansion d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud. L'Europe risque d'être condamnée à jouer les seconds rôles dans un marché du transport aérien pourtant en plein essor.
Au coeur du problème se situent les différences entres les cadres règlementaires européens et ceux des pays tiers, qui faussent la concurrence et risquent de miner la compétitivité du secteur du transport aérien en Europe. Il n'est un secret pour personne que des États du Moyen-Orient et d'Asie subventionnent massivement leurs compagnies et leurs aéroports, afin d'attirer chez eux les flux de trafic. On mesure donc toute l'importance des ambitions étatiques, dans un secteur fortement soumis à la pression concurrentielle de la mondialisation, et qui n'entre pas dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Derrière les enjeux économiques du secteur, on est donc directement dans la confrontation des rapports de force géopolitiques, et c'est à l'aune de ces considérations que je vous propose d'analyser les crédits consacrés aux transports aériens dans notre budget pour 2015.
Ces crédits figurent, d'une part, au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) qui regroupe les crédits de la navigation aérienne et des opérations de contrôle et de sécurité, d'autre part, au programme 203, dans les actions 11 et 14 relatives aux infrastructures de transport et au soutien des lignes pour l'aménagement du territoire.
En 2015, le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » sera globalement stable, à 2,3 milliards d'euros. Pour autant, la structure de ce budget fait l'objet d'évolutions remarquables, en tirant profit de la définition de nouveaux objectifs européens en matière de contrôle aérien.
En effet, la mise en oeuvre du Ciel unique européen entre dans une phase opérationnelle, avec le déploiement du programme SESAR depuis cette année. L'investissement dans ce nouveau système complet de gestion du trafic aérien vise à répondre à la croissance du trafic d'ici 2020 et à assurer la convergence technologique nécessaire pour la construction de l'Europe du contrôle aérien.
Le PLF 2015 a été élaboré dans le cadre d'un nouveau plan de performance pour la direction des services de la navigation aérienne de la DGAC, qui couvre la période 2015-2020. Ce plan fixe l'évolution des taux unitaires de redevance sur cinq ans. Le choix a été fait d'augmenter les redevances de route de 6 % en les relevant de 66 euros à 70 euros : le niveau de ces redevances est plutôt bas en France, puisqu'elles s'élèvent à 100 euros en Allemagne. Parallèlement, on observe une baisse de la plupart des autres redevances, notamment la redevance pour services terminaux, payée par ceux qui apportent de l'activité, et qui est plutôt chère en France. Au final, les recettes de la DGAC augmentent de 5 %.
Parallèlement, le PLF 2015 prévoit une réduction de 2 % des dépenses de fonctionnement de la DGAC, soit une économie de près de 10 millions d'euros. Il s'agit de l'application de la norme d'économie décidée par le Gouvernement pour le budget général. Les subventions accordées aux organismes extérieurs comme Eurocontrol, Météo France ou l'École Nationale d'Aviation Civile (ENAC) subissent le même rabais. Les efforts de maîtrise de la masse salariale se poursuivent avec la suppression de 100 équivalents temps plein (ETP) au budget annexe et de 17 ETP pour l'ENAC, tout en veillant à conserver et à renouveler les compétences métier stratégiques.
Le dernier point remarquable est le maintien intégral de l'enveloppe des investissements dans le PLF 2015, qui s'établit à 274,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 257,5 millions d'euros en crédits de paiement. Ainsi, grâce à la progression des recettes et aux économies de fonctionnement, le résultat d'exploitation prévisionnel passe de +50,2 millions d'euros en 2014 à +148,9 millions d'euros en 2015. Cette dynamique préfigure un assainissement financier du budget annexe.
En effet, des inquiétudes quant à la trajectoire financière de la DGAC sont relayées depuis plusieurs années : la DGAC subit depuis 2005 un effet de ciseau, entre des besoins de financement structurels et un contexte économique défavorable, qui alimente une spirale de l'endettement. En dix ans, le stock de dette a augmenté de 75 % pour atteindre 1,28 milliard d'euros en 2014.
Il semble enfin que les réformes structurelles commencent à porter leurs fruits, et permettent d'envisager l'amorce d'un désendettement, de plus de 6 points dans le PLF 2015 : le ratio d'endettement prévu est de 61,7 % contre 67,9 % en 2014.
Je salue cette bonne nouvelle, tout en déplorant l'absence de projections à moyen terme qui viendraient confirmer cette trajectoire. D'après les informations communiquées par la DGAC s'agissant du triennal 2015-2017, l'arbitrage rendu par le cabinet du Premier ministre ne porte que sur l'année 2015 : les dépenses de 2016 et 2017 sont subordonnées à une clause de revoyure avec la direction du budget. Elles dépendent du résultat des discussions en cours avec les instances européennes sur les assiettes et la tarification des redevances, qui conditionnent le niveau des recettes. Il semblerait que les objectifs de performance requis par la Commission européenne pour la période 2015-2019 soient trop exigeants, notamment en matière de réduction des coûts unitaires des services de navigation aérienne (-8,7 % sur cinq ans). La DGAC estime que ces contraintes sont incompatibles avec le coût du programme SESAR et négocie activement avec Bruxelles. Il s'agit donc d'une affaire à suivre.
En ce qui concerne le programme 203 relatif aux infrastructures et services de transports, on observe une franche réduction (-36 %) des crédits de paiement dédiés aux infrastructures aéroportuaires, en raison de la temporisation des travaux pour la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. La ministre Ségolène Royal, a annoncé dès sa nomination, souhaiter attendre l'issue de la soixantaine de recours contre les arrêtés préfectoraux autorisant les travaux. Le préfet a donc suspendu le 19 octobre 2014 l'instruction du permis de construire, qui avait été déposé en avril 2013. À ce jour 52 recours ont été jugés, tous perdus par les requérants.
Les crédits consacrés aux lignes d'aménagement du territoire (LAT) continuent à diminuer, de 14 % en 2015. Aucun financement de liaison nouvelle n'est prévu dans les prochaines années et à l'horizon 2017, le soutien de l'État aux liaisons aériennes en métropole sera concentré sur les trois destinations les plus enclavées : Aurillac-Paris, Le Puy-Paris et Brive-Paris. Je ne remets pas en cause la nécessité d'assainir les finances publiques, mais je constate malheureusement que l'on manque véritablement, et depuis toujours, d'une vision stratégique à l'échelle nationale en matière d'aménagement aéroportuaire, puisque ces évolutions sont principalement dictées par des considérations financières.
Ce dernier point me permet de rebondir pour tracer quelques perspectives d'ordre général sur le secteur. En effet, en matière d'aménagement du territoire, le sujet est bien plus vaste. Les nouvelles lignes directrices sur les aides d'État aux aéroports et aux compagnies aériennes ont été publiées le 4 avril 2014, après plus de deux ans de débats intenses. Pour rappel, le Sénat s'était saisi de cette question sensible et avait adopté, le 3 novembre 2013, une résolution européenne. Cette dernière visait notamment à soutenir la position du Gouvernement, en faveur de l'introduction d'une nouvelle catégorie au profit des petits aéroports, qui pourraient ainsi bénéficier d'un régime d'aides plus souple. La position défendue par la France a globalement été entendue. Mais le régime transitoire décidé pour les dix prochaines années n'accorde qu'un sursis aux petits aéroports, qui sont généralement subventionnés et octroient souvent des aides pour attirer les compagnies aériennes. À terme, certains d'entre eux sont directement menacés de fermeture, à la fois en raison de leur faiblesse économique structurelle, de leur dépendance très forte à une compagnie et/ou de la proximité du TGV, qui rendent délicates les justifications éventuelles de certaines aides. Il faudra également suivre ce sujet dans les années à venir.
En parallèle, le Gouvernement a annoncé cet été, la reprise du processus d'ouverture du capital des principaux aéroports régionaux, processus interrompu en 2011 faute de consensus sur les modalités de participation des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des collectivités territoriales au processus. En juillet 2014, l'Agence des participations de l'État (APE) a lancé un appel d'offres pour la vente de 60 % des parts détenues par l'État dans le capital de la société Aéroport Toulouse-Blagnac, sur la base d'une participation initiale de 49,99 % et d'une option de vente pour les 10,01 % restants. Le président Maurey s'est inquiété de cette situation la semaine dernière. Il apparaît en effet qu'un consortium d'investisseurs chinois - Friedmann Pacific Investment et Shandong High Speed Group, conseillés par le canadien SNC-Lavalin - aurait déposé l'offre la plus généreuse, autour de 300 millions d'euros, ce montant étant significativement supérieur aux offres remises par les deux candidats français, Aéroports de Paris (ADP) d'une part, et Vinci d'autre part. Les collectivités locales concernées doivent se prononcer sur l'offre demain, mercredi 19 novembre, et le ministre de l'économie a annoncé que l'État rendrait sa décision d'ici un mois.
Personnellement, je ne m'oppose pas - par principe - à l'arrivée d'investisseurs chinois, qui portent de grandes ambitions pour le développement économique de cet aéroport. Mais je m'interroge en revanche sur l'opportunité de privatiser les aéroports régionaux, qui sont des monopoles naturels. Il ne faudrait pas commettre les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières, nous en avons tous conscience ici.
M. Charles Revet. - En effet !
M. François Aubey, rapporteur pour avis. - D'un point de vue géopolitique, cette opération signifierait également que l'on commence à céder progressivement nos infrastructures critiques à la Chine, qui a déjà largement déployé cette stratégie en Grèce, notamment avec la prise de contrôle emblématique du Port du Pirée en 2010. Il ne faudrait pas que la privatisation de l'Aéroport de Toulouse se transforme en capitulation économique des intérêts de la France !
Quelques mots également sur Aéroports de Paris qui réalise en 2013 une très belle année, avec un chiffre d'affaires en hausse de 4,3 % pour atteindre 2,75 milliards d'euros, principalement grâce au dynamisme du trafic passagers et à la maîtrise des charges. Les tendances pour 2014 sont d'ores et déjà encourageantes, malgré la grève récente d'Air France qui a fait perdre un million de passagers à ADP. De manière générale, les plateformes parisiennes sont dotées d'un potentiel de développement important grâce à des infrastructures non saturées et à la profondeur de leur hinterland économique et touristique. Mais elle perdent régulièrement des parts de marché, non seulement au profit des nouveaux hubs internationaux - comme ceux du Golfe et, dans un futur proche, la Turquie, qui bénéficient d'un positionnement géographique performant et proposent de bons rapports qualité/prix - mais également des hubs concurrents européens. Ainsi, entre 2007 et 2013, ADP a perdu environ 3 000 possibilités de correspondance en faveur d'Amsterdam-Schiphol.
En réponse, ADP s'efforce de construire une image de marque et de monter en gamme. Une attention particulière est portée à l'accueil afin d'« offrir à tous les passagers des services dignes des meilleurs hôtels », ainsi que le souhaite le Président Augustin de Romanet. Cela va du wifi gratuit et illimité installé en juillet dernier à la réduction du temps de traitement des bagages, en passant par le recrutement de 120 agents d'accueil et l'amélioration de la signalétique, notamment pour les clients asiatiques. ADP cherche également à renforcer les accès aux aéroports parisiens, afin de pouvoir absorber la croissance du trafic à venir : le groupe est très impliqué dans les projets CDG Express et Grand Paris Express. Je vous rappelle à ce sujet que le Premier Ministre a annoncé, le 9 juillet dernier, que trois lignes seraient mises en service dès 2024, avec 3 ans d'avance sur le calendrier arrêté en 2013. Il s'agit de la desserte d'Orly par la ligne 14, de la ligne 18 entre le pôle de Saclay et Orly et de la future ligne 17 qui reliera le nord de la capitale à Paris-CDG (avec également une nouvelle gare à l'aéroport du Bourget). Ces réalisations sont essentielles pour la candidature de la France à l'exposition universelle 2025.
Je ne reviens pas sur la situation d'Air France, qu'Alexandre de Juniac a longuement évoquée la semaine dernière devant notre commission. Il s'est d'ailleurs montré plutôt rassurant quant à la pérennité du groupe, en insistant sur la force de son réseau intercontinental et l'amélioration de sa situation financière, malgré les 340 millions d'euros perdus en raison de la grève. Je tiens simplement à souligner deux choses. D'une part, l'importance que l'on accorde au sort d'Air France est liée à la particularité de la structure du transport aérien en France, articulée autour d'un poids lourd et de quelques dizaines de petites ou moyennes entreprises qui exploitent des niches de marchés. D'autre part, il faut bien garder à l'esprit que le transport aérien est structurellement une activité dont la profitabilité est faible, inférieure à 5 % en général, et qui dépend fortement des aléas de la conjoncture. Les transporteurs sont particulièrement affaiblis par les différentes crises économiques et géopolitiques qui se succèdent depuis 2008 : crise financière et crise de la zone euro, instabilité au Sahel, printemps arabes, volcan islandais, crise nucléaire japonaise, etc.
À cela s'ajoute un problème de compétitivité-coût analysé par le récent rapport du groupe de travail « Compétitivité du transport aérien français » présidé par le député Bruno Le Roux, remis au Premier Ministre le 3 novembre dernier. Ce rapport propose plusieurs pistes allant de la simplification administrative à la limitation des droits de trafic pour les compagnies du Golfe en passant par une révision de la fiscalité du secteur. Ces pistes ne sont d'ailleurs pas nouvelles, comme le reconnaît Bruno Le Roux, mais font l'objet d'un fort consensus au sein de la profession.
Parmi celles-ci, on peut notamment relever l'idée d'affecter la totalité de la taxe d'aviation civile (TAC) au budget annexe afin que ce prélèvement spécifique au transport aérien, reste affecté à ce secteur. A l'heure actuelle, 19,09 % de TAC sont affectés au budget de l'État sans raison apparente autre que financière, ce qui correspond à un montant de 88 millions d'euros prélevés sur le secteur aérien. En parallèle, Bruno Le Roux propose d'utiliser cet argent pour exonérer les passagers en correspondance du paiement de la taxe. Il s'agit en effet d'une singularité française, qui détourne des flux du hub parisien au profit de l'aéroport d'Amsterdam notamment. Je suis favorable à cette évolution, qui implique certes un effort financier de l'État non négligeable, mais qui n'est pas démesuré par rapport à de nombreux autres soutiens sectoriels.
Une autre proposition consiste à faire évoluer l'assiette de la taxe de solidarité - dite « taxe Chirac » -, prélevée sur les billets d'avion pour financer l'aide aux pays pauvres. La France est le seul pays d'Europe à l'avoir adoptée et le pavillon français ne peut plus supporter cette taxe dans un environnement devenu fortement concurrentiel. Pour cette raison, le rapport Le Roux propose d'asseoir la taxe de solidarité sur une toute autre assiette, celle de la grande distribution, une activité non délocalisable, peu soumise à la concurrence étrangère, qui bénéficie très largement du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) et qui n'est pas sans lien avec la mondialisation des échanges. Il est également suggéré d'envisager une augmentation de la taxation du secteur bancaire, via une hausse du plafond de la part de la taxe sur les transactions financières.
Le rapport Le Roux plaide également en faveur d'une modération des redevances aéroportuaires que les compagnies paient à Aéroports de Paris (ADP), dont Air France représente plus de 50 % du trafic. J'adopterai personnellement une attitude plus neutre. Des négociations sont actuellement en cours pour définir l'équilibre des relations entre ADP et Air France, dans le cadre de ce que l'on appelle le contrat de régulation économique (CRE), dont la troisième mouture aura vocation à couvrir la période 2016-2020. Il n'est pas dans l'intérêt d'ADP de peser excessivement sur la compétitivité de son principal client, qui alimente le développement du hub parisien. En même temps, il est vrai que derrière ADP, l'Agence des participations de l'État (APE) est aux commandes, puisqu'elle détient encore 50,6 % du capital du groupe. Dans le contexte budgétaire actuel, celle-ci peut être tentée de pousser à la rentabilité de ses fonds propres. On se retrouve dans la situation délicate de la régulation d'un monopole naturel. Notre rôle n'est pas de prendre parti pour l'une ou l'autre entreprise, mais simplement de veiller à ce que la chaîne de valeur dans son ensemble reste équilibrée.
Je souhaiterais enfin aborder la question de l'industrie aéronautique, dont les performances atteignent de nouveaux records en 2013-2014, soit un chiffre d'affaires de 48 milliards d'euros en augmentation de 9 % par rapport à 2012, et le premier solde excédentaire de la balance commerciale française avec +22 milliards d'euros en 2013. Le secteur se porte si bien que les constructeurs se trouvent dans la situation enviée de ne pas produire assez pour des clients qui veulent être livrés rapidement. L'enjeu est alors de gérer leur croissance en assurant l'accompagnement de leurs sous-traitants.
Néanmoins, la concurrence s'intensifie dans ce domaine, à l'est comme à l'ouest. Le marché des avions de plus de 100 places est actuellement constitué du duopole formé par Airbus et Boeing. Mais des acteurs émergents, déjà présents sur de plus petits segments, font mine d'attaquer le marché des avions des plus de 100 places par le bas, c'est-à-dire en concurrençant les Airbus A320 et les Boeing B737. Je pense notamment au canadien Bombardier, au brésilien Embraer, au chinois COMAC, au russe UAC ou au japonais Mitsubishi.
Il ne fait aucun doute que d'ici 2020, de nouveaux avions moyen-courrier seront mis en service par ces concurrents émergents, au premier rang desquels figure la Chine. Or, l'A320 est aujourd'hui le produit-phare d'Airbus, dont il représente 75 % des commandes : l'intensification de la concurrence sur ce segment rend dès lors d'autant plus nécessaires les efforts d'innovation afin de conserver une longueur technologique d'avance.
En ce qui concerne les avions long-courriers, la concurrence mettra encore plusieurs décennies à émerger en raison de barrières à l'entrée plus importantes. Si cette pression moindre est une bonne nouvelle, elle ne doit cependant pas occulter le fait que la gamme d'Airbus risque de traverser une période difficile à court terme : il n'est pas certain que le groupe parvienne à vendre encore beaucoup d'A330, alors que la production des nouveaux A330 NEO ne devrait démarrer que d'ici deux ou trois ans ; quant à l'A380, c'est déjà un modèle vieux de dix ans, désormais largement concurrencé par le B777X ; enfin, l'A350 est une belle réussite au niveau du carnet de commandes, mais il n'est pas encore en phase de production.
La menace la plus préoccupante le plus aujourd'hui vient de l'autre côté de l'Atlantique : car le gouvernement américain mène une politique très agressive de soutien à son constructeur Boeing. Après avoir longtemps cherché à faire condamner Airbus à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en raison des aides versées par les pays européens, les États-Unis s'affranchissent eux-mêmes du respect des règles de la concurrence et apportent un soutien budgétaire massif à Boeing. Sans compter que le niveau et la volatilité de l'euro pèsent sur la compétitivité-prix d'Airbus vis-à-vis de l'ensemble de la zone dollar, incluant les pays émergents qui sont désormais les principaux clients.
En outre, depuis de nombreux mois, à l'encontre de ce qu'ils exigent de leurs alliés européens, les États-Unis se rapprochent de l'Iran, dans la perspective d'une reprise imminente du commerce avec ce pays, dont la flotte d'avions est vétuste et presque intégralement à renouveler. Je m'inquiète de ce double discours américain, qui pourrait faire perdre délibérément l'avantage à Airbus, sur un marché extrêmement prometteur dans les années à venir. Souvenons-nous qu'Airbus doit son succès à son développement dans les interstices de la gamme Boeing : il ne faudrait pas que la situation se renverse à l'avenir !
Je finis sur une note plus positive. Nous avons pu assister, le 25 avril dernier, au premier vol de l'E-Fan, un prototype d'avion électrique biplace élaboré par Airbus. Ce prototype ouvre les portes d'une aviation silencieuse et propre. Il ne consomme que deux euros d'électricité pour une mission d'une heure, contre 36 à 40 euros de carburant pour un avion à moteur. Airbus vise la fabrication de 40 à 80 avions électriques par an à partir de 2017, destinés dans un premier temps à la formation des pilotes. Le point important est qu'il s'agit d'une première étape dans la production de générations successives d'avions électriques de taille croissante, jusqu'à la construction d'avions gros porteurs tout électriques à horizon 2030. Airbus a pris une longueur d'avance dans le domaine de l'« aviation verte », il est essentiel de la conserver. Je vous rappelle que l'industrie aéronautique est une économie de cycles longs : les succès actuels sont le fruit de politiques engagées il y a vingt ou trente ans, et les succès de demain résulteront des efforts d'aujourd'hui.
Il y aurait encore bien des sujets à aborder, mais pour le moment, au vu des éléments que je viens de vous présenter, et notamment de l'amélioration du budget de la DGAC, je vous propose un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Gérard Cornu, président. - Je vous remercie cher collègue. Vous nous avez fourni un éclairage très intéressant, y compris sur les enjeux internationaux. Je vous propose d'écouter Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial de la commission des finances sur ce budget.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial de la commission des finances. - C'est avec plaisir que je retrouve la commission du développement durable, même si ce n'est plus en tant que rapporteur pour avis du budget des transports aériens, mais en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, en charge du budget annexe. Je me garderai bien de commenter le rapport qui vient de nous être présenté, si ce n'est pour en dire du bien. Je vais plutôt insister sur quelques points qui ont interpellé la commission des finances.
Le budget annexe présente la particularité de permettre à la DGAC de recourir à l'endettement. Le niveau de cet endettement est une préoccupation de la commission des finances depuis de nombreuses années. Ce budget est globalement lié à la conjoncture : la croissance du trafic entraîne mécaniquement une hausse des recettes. En 2015, la hausse de 2,7 % du trafic s'accompagnera également d'une hausse de 6 % de la principale redevance de la DGAC, afin de soutenir la politique d'investissements.
La commission des finances s'est particulièrement interrogée sur la situation des contrôleurs aériens, mon prédécesseur François Fortassin ayant déjà largement ouvert la voie sur ce sujet. En dépit de l'effort important de maîtrise des dépenses de fonctionnement cette année, la commission des finances continue à s'interroger sur l'équilibre entre les 100 équivalents temps plein (ETP) supprimés et la hausse de 0,5 % de la masse salariale. Il n'est pas certain que les mesures catégorielles décidées en accompagnement de la baisse des effectifs soient optimales. Un amendement a été introduit à l'Assemblée nationale sur ce point, et nous aurons à l'examiner. Je vous rappelle simplement que les mesures adoptées dans le cadre du 9ème protocole social 2013-2015 représentent 27 millions d'euros sur quatre ans.
Pour autant, on peut tout de même relever que le budget annexe prévoit cette année un excédent de 148 millions d'euros et une réduction de la dette de 57 millions d'euros. Mais comme l'a rappelé le rapporteur, un nouveau plan de performance devrait conduire la DGAC à limiter l'augmentation de ses redevances. À l'avenir, la question de la maîtrise des dépenses de personnel se posera avec encore plus d'acuité, car il n'y a pas vraiment d'autre gisement d'économies. Sur ma proposition, la commission des finances a bien voulu donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits, en émettant toutefois deux réserves.
Les premières interrogations portent sur les mesures mises en oeuvre par la DGAC pour maîtriser l'évolution des mesures d'accompagnement social. Certes, l'administration met en avant de nombreuses autres mesures structurelles, comme des fermetures de bureaux régionaux, des transferts de tours de contrôles, des mutualisations de service, qui viennent en compensation des mesures catégorielles. Mais je ne peux m'empêcher de vous citer les propos de la DGAC sur le sujet : « L'application des mesures catégorielles prévues ne fera pas obstacle à la poursuite de l'effort de maîtrise des dépenses de personnel engagé. La DGAC veille à contenir la progression de sa masse salariale. » Cette formulation révélatrice témoigne du numéro d'équilibriste de la DGAC.
J'ajoute qu'une question m'a été posée en commission sur les contrôleurs aériens, qui travaillent 32 heures par semaine et sont régulièrement vilipendés pour cette raison. J'ai été amené à rappeler la pénibilité de cette fonction qui suppose une véritable acuité intellectuelle. Le comparatif établi par Eurocontrol nous situe d'ailleurs plutôt dans la fourchette basse du coût du contrôle aérien.
Un dernier point concernant les propositions du rapport remis par Bruno Le Roux au Premier Ministre sur la compétitivité du transport aérien. Nous aurons à examiner en séance publique l'idée d'une réforme de la taxe d'aviation civile (TAC). J'avais moi-même plaidé pour une révision de l'écrêtement de la taxe au profit du budget général. Bruno Le Roux a approfondi cette idée en proposant d'affecter la recette supplémentaire, sous réserve qu'elle soit gagée par le Gouvernement, à la baisse de la redevance perçue sur les passagers en correspondance. La commission des finances se prononcera jeudi matin sur ce sujet. Il faudra identifier en face une recette claire, car cela représente tout de même une perte de 90 millions d'euros pour le budget de l'État. Cette mesure n'en reste pas moins intelligente et très positive pour la compétitivité du hub parisien et pour Air France.
Sur la question de la relation ADP-Air France et de la baisse éventuelle des redevances aéroportuaires suggérée par le rapport Le Roux, il faut garder à l'esprit que l'État perçoit aujourd'hui les dividendes versés par ADP. En baissant ces redevances, on ne favorise pas seulement la compagnie nationale mais également toutes les compagnies étrangères, alors que cela entraîne une perte immédiate pour le budget de l'État. La formulation retenue à l'instant par François Aubey me paraît plus pertinente et plus modérée.
M. Gérard Cornu, président. - C'est une bonne chose que les deux rapporteurs soient complètement en phase !
M. Alain Fouché. - J'entends beaucoup de gens dans les aéroclubs se plaindre de la DGAC, qui est l'institution la plus stricte au monde au niveau de l'aviation légère : elle impose des normes de sécurité extravagantes et tue progressivement les petits clubs de loisir.
Concernant les contrôleurs aériens, trois rapports de la Cour des comptes ont dénoncé les dysfonctionnements et les surcoûts liés à leur situation. Quelles suites leurs ont été données ? Le budget annexe évolue-t-il en conséquence ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Je félicite François Aubey pour son premier rapport. Le budget présenté pour les transports aériens est satisfaisant et le groupe socialiste y est favorable. Le contexte concurrentiel, en Europe et à l'international, n'est pas facile et l'on enregistre malgré tout une baisse de l'endettement et des économies de fonctionnement au budget annexe.
M. Ronan Dantec. - En dépit d'un rapport très complet, certains chiffres manquent. Il ne faut pas confondre le nombre de mouvements d'avions et le nombre de passagers. En ce qui concerne l'aéroport de Nantes-Atlantique, que je suis très attentivement, le nombre de mouvements a diminué l'année dernière alors que le nombre de passagers a augmenté. Les transporteurs utilisent aujourd'hui des avions plus gros, dont ils améliorent le taux de remplissage. Il faut avoir cette différence à l'esprit. Je ne suis pas certain que l'on ait aujourd'hui un fort développement du transport intérieur français en nombre de mouvements. A l'inverse, l'arrivée du TGV à Bordeaux ou Rennes va encore diminuer le transport aérien pour ces destinations. Il ne faut pas croire que la forte croissance du trafic aérien mondial, tirée par les besoins de connectivité des pays émergents, est synonyme d'une forte croissance du transport aérien européen ou français. Ce n'est pas du tout le cas : aujourd'hui, un certain nombre de petites plateformes ne subsistent que grâce au subventionnement.
Il me semble que l'on devrait aussi adopter une approche plus globale de la réalité de l'équilibre économique du transport aérien, en faisant la liste de toutes les exonérations directes ou indirectes. Ce secteur, sous couvert d'être considéré comme stratégique, bénéficie d'ores et déjà de nombreuses aides publiques, des aides aux aéroports régionaux à la non taxation du kérosène, en passant par la dette de la DGAC. Il serait intéressant de calculer le soutien global de la puissance publique à ce domaine.
D'autant plus que l'on refuse toujours d'intégrer les coûts environnementaux du transport aérien. La taxe carbone, envisagée un temps au niveau européen, gagnerait à s'appliquer. Il faut arrêter d'utiliser Airbus comme épouvantail : le constructeur ne s'arrêtera pas pour autant de vendre des avions dans le monde !
Pour conclure, je me félicite évidemment de l'action résolue des opposants à Notre-Dame-des-Landes, qui contribuent à l'équilibre budgétaire de la France et permettent de réaliser chaque année des économies, ce qui arrange tout le monde au final. Je m'abstiendrai de voter ce budget.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial de la commission des finances. - C'est déjà un bel effort !
M. Charles Revet. - Je félicite le rapporteur pour son propos très complet. Le fait que l'on puisse envisager de céder l'aéroport de Toulouse à des investissements chinois me choque profondément. D'autant plus que cette ville est emblématique pour le secteur aérien, en raison de l'écosystème qui s'est développé autour d'Airbus. D'autres aéroports sont-ils concernés à terme ? On vend nos bijoux de famille à des étrangers pour essayer de diminuer un peu notre déficit. Il est inacceptable que l'État abandonne à ce point nos infrastructures critiques !
M. Jean-Jacques Filleul. - J'éprouve également une réaction épidermique, tout le monde est gêné par cette situation. Mais beaucoup ne l'étaient pas en 2005, au moment de la privatisation des autoroutes ! On est tous dans l'attente de la décision du Gouvernement, mais l'appel d'offres est lancé : il est difficile de l'interrompre au motif que c'est un consortium sino-canadien qui fait figure de favori.
M. Gérard Cornu, président. - Le problème n'est pas tout à fait comparable aux autoroutes : en 2005, ce sont des entreprises françaises qui ont fait cette acquisition ! Gardons cependant la tête froide, pour le moment rien n'est joué.
Mme Annick Billon. - Il n'empêche, ce n'est pas parce que l'on a fait l'erreur une première fois avec les autoroutes, qu'il faut la commettre à nouveau avec les aéroports !
M. Charles Revet. - La privatisation des autoroutes avait déjà soulevé des débats, au sein même de la majorité. Mais le problème est d'une toute autre dimension : il s'agit de céder un site symbolique et stratégique à une entité étrangère ! J'espère que le Gouvernement entendra notre voix : il est toujours possible de ne pas donner suite à un appel d'offres. Cela serait commettre une erreur politique extrêmement grave que d'aller jusqu'au bout !
M. François Aubey, rapporteur pour avis. - Je laisse à Vincent Capo-Canellas le soin de répondre aux questions sur les mesures catégorielles à la DGAC.
En ce qui concerne l'aéroport de Toulouse, je rappelle que la décision sera prise demain par les collectivités, l'État s'étant laissé un mois de réflexion pour se prononcer sur les offres. J'ajoute que les canadiens ne sont pas au capital du consortium chinois, ils apportent uniquement leur expertise technique. D'autres aéroports sont potentiellement concernés par une éventuelle privatisation. J'espère que nous n'aurons pas un jour le même débat à propos d'Aéroports de Paris.
En ce qui concerne les remarques de Ronan Dantec sur le soutien public à la filière, je rappelle qu'Alexandre de Juniac nous a longuement expliqué, à quel point le marché européen est fragilisé. Air France n'est pas dans une santé excellente, et l'avenir du hub parisien d'ADP est intimement lié à cette situation.
En ce qui concerne la situation des contrôleurs aériens, il y a effectivement un double discours de la part de la DGAC, mais je laisse à Vincent Capo-Canellas le soin de répondre à cette question.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial de la commission des finances. - Alain Fouché s'interroge sur le coût des contrôleurs du ciel. La comparaison menée par Eurocontrol en 2012 nous situe plutôt dans la fourchette basse. Le coût salarial par heure de travail d'un contrôleur aérien est de 97 euros en France, 197 euros aux Pays-Bas, 162 euros en Allemagne et 108 euros en Italie. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de marges de progrès. Mais il s'agit d'une profession très sensible et la DGAC est contrainte à un numéro d'équilibriste, pour conduire les réformes tout en évitant le blocage du trafic.
Dans ce contexte, l'article introduit par l'Assemblée nationale vise à permettre aux contrôleurs aériens de partir à la retraite à 57 ans à taux plein même sans avoir le nombre d'années de cotisation nécessaires. Le Sénat aura à se prononcer sur ce point dans le cadre de l'examen budgétaire.
Ronan Dantec a évoqué la taille croissante des avions et l'évolution conséquente des mouvements d'avions. Il est vrai que cela pèse un peu dans les crédits, mais je le laisse en tirer ses propres conclusions pour Notre-Dame-des-Landes. En revanche, il faut garder à l'esprit que la dette de la DGAC a augmenté quand le trafic a stagné : si l'on se place dans la perspective d'une croissance du trafic, on devrait aboutir à une réduction de cette dette.
En ce qui concerne la candidature chinoise pour l'aéroport de Toulouse, le directeur de l'APE, récemment auditionné par la commission des finances, avait annoncé certaines fuites de presse, mais il n'y a pas encore eu de communication officielle. Il nous a également confirmé qu'il n'y avait actuellement pas de projet pour la privatisation d'ADP. Je partage cependant le scepticisme de François Aubey sur ce point. L'État cherche à dégager entre cinq et dix milliards d'euros grâce à des privatisations : sachant que la capitalisation boursière d'ADP est de neuf milliards d'euros, il peut y avoir des tentations. En tout cas, j'ai entendu le directeur de l'APE dire : « si ça se passe bien pour Toulouse, on réfléchira à d'autres aéroports régionaux », sans préciser lesquels. Tout le monde s'interroge sur Lyon et Nice, mais rien n'a été officiellement annoncé.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « transports aériens » du projet de loi de finances pour 2015.
Loi de finances pour 2015 - Crédits « Transports routiers » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur les crédits relatifs aux transports routiers du projet de loi de finances pour 2015.
M. Gérard Cornu, président. - Sur le budget des transports routiers, nous entendons également le rapport d'un de nos nouveaux collègues.
M. Jean-Yves Roux. - Je commencerai par une présentation détaillée des crédits du projet de loi de finances pour 2015 consacrés aux transports routiers, puis je reviendrai sur l'actualité récente relative à la taxe poids lourds et j'évoquerai les perspectives de financement des infrastructures de transport pour l'avenir.
Dans le cadre de cet avis budgétaire, nous examinons en fait quatre séries de dispositions :
- une partie des crédits inscrits au programme budgétaire 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ;
- les montants des fonds de concours attendus en 2015 pour les transports routiers, parmi lesquels figurent, au premier rang, les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ;
- le compte d'affectation spéciale « aides à l'acquisition des véhicules propres », qui finance le dispositif du bonus-malus automobile ;
- le compte d'affectation spéciale « contrôle de la circulation et du stationnement routier », qui retrace les dépenses financées à partir du produit des amendes sanctionnant les infractions au code de la route.
Les crédits du programme 203 consacrés au transport routier et les fonds de concours associés servent à financer le développement des infrastructures routières, leur entretien et leur exploitation, des actions de soutien et de régulation de l'ensemble des transports terrestres, ainsi que des dépenses d'études, de prospective et de logistique de la DGITM pour l'ensemble de la politique des transports.
Le développement des infrastructures routières a la particularité d'être exclusivement financé par des fonds de concours versés par l'AFITF et par les collectivités territoriales. Ces fonds de concours sont aujourd'hui évalués à 1,3 milliard d'euros en crédits de paiement, dont 875 millions provenant de l'AFITF et 377 des collectivités territoriales. Il ne s'agit néanmoins que de prévisions, le budget de l'AFITF n'étant pas encore définitivement arrêté. J'y reviendrai.
Pour l'entretien et l'exploitation du réseau routier national, une enveloppe de 338 millions d'euros de crédits provenant de l'État est prévue, soit un montant identique à celui adopté en loi de finances initiale pour 2014, à périmètre constant. Cette enveloppe devrait être complétée par 240 millions d'euros de fonds de concours provenant de l'AFITF.
Enfin, 54 millions d'euros sont prévus pour les actions de soutien et de régulation du secteur des transports terrestres, un montant quasiment stable par rapport à 2014, et 18 millions seront destinés aux dépenses de prospective et de logistique de la DGITM, en diminution de 3,7 % par rapport à 2014.
Le compte d'affectation spéciale consacré au bonus-malus automobile, doté de 242 millions d'euros, évolue. Le Gouvernement a en effet annoncé un recentrage du bonus automobile sur les véhicules les plus propres, avec la suppression du montant - symbolique - accordé aux véhicules thermiques (150 euros) et la diminution du bonus versé aux véhicules full hybrides de 3300 euros à 1 500 euros. Les bonus, d'un montant plus élevé, en faveur des véhicules électriques (6 300 euros) et hybrides rechargeables (4 000 euros) sont préservés. Ce recentrage sera effectué par la voie réglementaire.
Le Gouvernement envisage aussi l'instauration d'une prime à la conversion des véhicules les plus polluants en véhicules propres - aussi appelée superbonus ou prime à la casse - sous certaines conditions. Cette mesure ne figure pas dans le projet de loi de finances. Nous aurons l'occasion de l'étudier dans le cadre du projet de loi de transition énergétique, à l'article 13.
Pour ma part, je salue ces deux évolutions. Le recentrage du bonus automobile sur les véhicules les plus vertueux répond en effet à la nécessité d'assurer l'équilibre budgétaire du dispositif, et permet le financement de la seconde mesure, le superbonus. Celui-ci présente l'avantage de toucher le parc automobile diesel en circulation depuis de nombreuses années. Or nous savons tous que ce parc est le plus nocif pour l'environnement.
Le compte d'affectation spéciale « contrôle de la circulation et du stationnement routiers », représente 1,4 milliard d'euros. Son architecture devra évoluer en 2016 pour tenir compte de l'entrée en vigueur de la dépénalisation des infractions au stationnement payant, adoptée dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (loi MAPAM) à l'initiative de Jean-Jacques Filleul. En effet, le compte ne sera plus abondé par le produit des amendes pénales qui sanctionnent aujourd'hui ces infractions. Je crois savoir qu'un groupe de travail dédié à la mise en oeuvre de cette réforme ambitieuse, présidé par le préfet Jean-Michel Bérard, étudie déjà cette évolution, ce qui est positif.
J'en viens maintenant au sujet de la taxe poids lourds, qui a un impact direct sur ce budget.
Le 30 octobre dernier, le secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies, a annoncé la résiliation du contrat signé avec Écomouv' pour la collecte de la taxe poids lourds, confirmant ainsi l'abandon de ce dispositif, qui avait été suspendu quelques jours plus tôt.
Cette décision soulève plusieurs interrogations - dont certaines ont déjà trouvé des réponses. Quelles sont les conséquences immédiates de la résiliation, je veux parler de l'indemnisation d'Écomouv', de l'avenir des personnels, du devenir des matériels... ? Comment va être compensé le manque à gagner pour l'AFITF, à court terme comme à moyen-long terme ? Le principe de l'« utilisateur-payeur » est-il définitivement abandonné ?
Pour mémoire, l'écotaxe avait été suspendue une première fois par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le 29 octobre 2013, à la suite des mouvements de contestation que vous connaissez. Le Sénat et l'Assemblée nationale s'étaient alors emparés du sujet. La commission d'enquête du Sénat a confirmé la légalité de la procédure de passation du contrat, tout en soulignant les retards pris par la société Écomouv' dans la livraison du dispositif. La mission d'information de l'Assemblée nationale a, elle, formulé des propositions pour permettre une mise en oeuvre effective de la taxe.
Le 20 juin 2014, l'État a signé un protocole d'accord avec la société Écomouv', pour solder les différends existants au sujet des retards et des surcoûts, mais aussi exiger une révision à la baisse du montant des indemnités de résiliation en cas d'abandon de la taxe avant le 1er novembre 2014. Cette clause traduit la part de responsabilité d'Écomouv' dans les difficultés auxquelles a été confronté le Gouvernement au moment de l'entrée en vigueur de la taxe.
En parallèle, dans la loi de finances rectificative d'août 2014, le Parlement a entériné la transformation de l'« écotaxe » en un « péage de transit poids lourds » aux contours plus limités - en particulier, le réseau taxable a été réduit de 15 000 kilomètres à 4 000 kilomètres.
En prononçant la résiliation du contrat avant le 1er novembre, l'État a réduit à 839 millions le montant maximal de l'indemnité de résiliation, au lieu de 950 millions.
Une négociation est en cours avec Écomouv' pour déterminer les modalités précises de la résiliation et régler la question de l'avenir des différentes composantes du dispositif technologique, qui pourront être réutilisées à d'autres fins. La perspective d'un contentieux n'est toutefois pas totalement exclue pour l'instant.
Le secrétaire d'État aux transports nous a garanti, lors de son audition devant la commission, que cette indemnisation ne serait pas prélevée sur le budget de l'AFITF.
En ce qui concerne les salariés d'Écomouv', la ministre Ségolène Royal a affirmé qu'ils continueraient à être payés pendant un an. La situation des salariés des douanes affectés à Metz est aussi en cours d'examen.
Qu'en est-il pour les conséquences à plus long terme ? Comme vous le savez, l'écotaxe devait servir à abonder le budget de l'AFITF. Ce budget, qui avoisinait les 2,2 milliards d'euros par an, a été réduit en 2014 à 1,8 milliard d'euros, un budget alors qualifié de « crise » par son président, Philippe Duron. Durant cette année, l'AFITF a dû se contenter de payer les crédits déjà engagés, en limitant au maximum les nouveaux engagements. Elle a aujourd'hui accumulé une dette de 774 millions d'euros vis-à-vis de RFF.
La transformation de l'« écotaxe » en « péage de transit poids lourds » devait déjà entraîner un manque à gagner pour l'AFITF. Le Gouvernement l'a compensé en proposant, à l'article 20 du projet de loi de finances pour 2015, un relèvement de 2 centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au gazole.
Pour compenser l'abandon du péage de transit poids lourds, le Gouvernement a fait adopter un amendement à l'Assemblée nationale, au même article 20, pour augmenter de 4 centimes la même taxe pour les transporteurs routiers de marchandises, qui bénéficient d'un niveau de taxation inférieur aux autres véhicules.
Au total, 1,139 milliard d'euros du produit de la TICPE sera affecté à l'AFITF pour l'année 2015. L'agence bénéficiera ainsi d'environ 2 milliards d'euros de recettes, soit 300 millions de plus qu'en 2014.
Je me félicite de la solution qui a été retenue, pour trois raisons. Comme je viens de le dire, elle garantit à l'AFITF des moyens raisonnables pour l'année 2015, ce qui est très positif compte tenu du contexte.
Ensuite, elle réduit l'écart de taxation entre les carburants en faveur du gazole, de 18 centimes d'euros par litre à 16 centimes d'euros par litre, ce qui correspond à l'écart de taxation moyen observé au sein de l'UE à 15. La mise en oeuvre de cette mesure, qui avait été préconisée par le comité pour la fiscalité écologique, est aujourd'hui facilitée par la baisse du prix des carburants.
Enfin, elle renchérit le coût du transport de marchandises par la route, ce qui était l'un des objectifs de l'écotaxe. Cette taxation a toutefois l'inconvénient de moins toucher les camions étrangers, puisque ces derniers conservent la possibilité de faire leur plein dans les pays voisins.
Pour autant, la question de l'après-2015 n'est pas encore réglée, tant en ce qui concerne les recettes de l'AFITF que la mise en oeuvre effective du principe de l'« utilisateur-payeur ».
Comme nous l'a indiqué Alain Vidalies, il n'est pas certain que cette hausse de la fiscalité du gazole soit pérennisée au-delà de 2015. Un groupe de travail a été créé pour réfléchir à la façon la plus adéquate de faire participer les transporteurs routiers, y compris étrangers, à l'entretien des infrastructures routières. Le secrétaire d'État a en effet confirmé sa volonté de mettre en oeuvre le principe du pollueur-payeur pour le financement des infrastructures. Il importe désormais que ce groupe de travail aboutisse à des solutions concrètes, susceptibles d'être rapidement mises en oeuvre.
Il est par ailleurs indispensable que l'État reprenne la main sur les sociétés d'autoroutes, dont la rentabilité exceptionnelle a été mise en lumière dans le récent avis de l'Autorité de la concurrence. Le groupe de travail constitué au sein de notre commission sur ce sujet fera sans doute des propositions.
Des pistes de financement alternatives sont donc en cours d'élaboration, ce dont il faut se réjouir, car le Gouvernement maintient le cap qu'il a fixé en matière de développement et d'amélioration des infrastructures de transport. Il a maintenu son engagement en faveur du scénario 2 de la commission Mobilité 21, qui est le scénario le plus ambitieux pour l'amélioration de nos infrastructures de transport. Le financement des contrats de plan État-régions devrait aussi être assuré. L'état de nos infrastructures exige que des crédits significatifs leur soient consacrés.
L'examen de ce budget montre que les crédits consacrés à la route sont globalement préservés, même si l'on peut toujours souhaiter un effort supplémentaire pour l'entretien des routes... Le nouveau directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, que j'ai rencontré, m'a assuré de sa vigilance à cet égard. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce budget est perturbé par la saga de l'écotaxe. Tout le monde a compris que la suspension sine die correspond en fait à un abandon, même si le Gouvernement ne l'assume pas, puisque la disposition figure toujours dans le code des douanes...
Cet abandon a deux conséquences. Premièrement, il implique le paiement d'une indemnité de résiliation, de 830 millions d'euros - dans le meilleur des cas. Le partenariat public-privé, que nous avons pu consulter dans le cadre de la commission d'enquête, comportait des formules très compliquées de calcul de l'indemnité de résiliation. Dans le protocole signé en juin, l'État reconnaît que le système fonctionne : il ne saurait y avoir de tergiversation sur ce point. C'est d'ailleurs ce qu'avait indiqué le conseil de l'État Capgemini devant la commission d'enquête. Il y a eu des retards, mais la mise à disposition a bien été prononcée le 20 mars 2014. Par ailleurs, le protocole définit un nouveau calcul de l'indemnité de résiliation, de nature forfaitaire. C'est lui qui détermine le chiffre de 830 millions d'euros en cas de résiliation prononcée avant le 1er novembre.
Le 29 octobre, Alain Vidalies n'a pas pu nous répondre sur les intentions de l'État dans ce domaine, mais il a pu le faire le 30 octobre, en annonçant la résiliation du contrat. À partir du moment où la taxe est abandonnée, on pouvait espérer une telle décision, qui est la moins onéreuse. Il s'agit bien d'une résiliation à l'amiable. Mais en cas de contestation, l'État devra payer plus de 830 millions d'euros. Pourtant, le Gouvernement fait des circonvolutions à ce sujet, alors qu'un contentieux changerait totalement le montant de l'indemnité.
Il n'y a pas de problème de constitutionnalité. Tout d'abord, et comme pour les radars, Écomouv' ne devait pas collecter la taxe. La société devrait fournir une technologie pour la facturer, mais cela s'arrêterait là. Ensuite, même s'il y avait un problème de constitutionnalité, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Ce ne serait pas à Écomouv' d'en payer les frais.
Le Gouvernement refuse d'inscrire les 830 millions d'euros d'indemnités dans la loi de finances pour 2015, comme dans la loi de finances rectificative pour 2014, ce qui a conduit la commission des finances à qualifier ce budget d'insincère. C'est la première fois depuis que je suis rapporteur spécial que j'ai appelé la commission à rejeter les crédits consacrés aux transports. La commission m'a suivie. Je n'ai jamais eu à faire cela jusqu'à présent, même dans l'opposition, car je ne fais pas de politique lorsque j'étudie ces crédits. D'après le protocole d'accord signé avec Écomouv', c'est l'AFITF qui doit payer cette indemnité. Dès lors, soit l'AFITF finance tout, et se retrouve privée de crédits pour les infrastructures de transports, soit cette indemnisation est prévue ailleurs, dans une loi de finances, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Deuxième conséquence de l'abandon de l'écotaxe, il faut trouver des ressources de substitution pour l'AFITF. L'affectation des 4 centimes des transporteurs et des 2 centimes pour les véhicules légers, soit un montant d'1,2 milliard d'euros au total, n'est pas pérenne. Elle laisse entière la question du financement de l'AFITF à partir de 2016.
À la commission des finances, comme à la Cour des comptes, la question de l'utilité de l'AFITF a été posée. Certains collègues y tiennent, car ils considèrent qu'elle permet de sanctuariser les crédits consacrés aux transports. Mais elle est aussi un facteur de complexité : l'État lui affecte des taxes, pour qu'elle reverse ensuite 60 % de son budget au budget de l'État. Son budget n'est pas disponible au moment de l'examen de la loi de finances, elle constitue donc une forme de débudgétisation des crédits, avec, en conséquence, une moindre portée de l'autorisation parlementaire... L'AFITF est une fiction, une boîte aux lettres. Même son conseil d'administration ne sait pas ce que l'agence va financer en 2015, car ce n'est pas lui qui décide. Depuis sa création, l'AFITF a engagé 34 milliards d'euros. Mais il lui reste 15,83 milliards à payer. La commission des finances recommande donc la plus grande prudence en matière d'engagements nouveaux, en particulier pour les plus lourds d'entre eux. Deux grands projets sont notamment prévus, le canal Seine-Nord, le tunnel ferroviaire Lyon-Turin, pour lesquels l'État a demandé des subventions à l'Europe. Je vous rappelle toutefois que la part française, pour chacun de ces projets, s'élève à 10 milliards d'euros environ. Je ne sais pas où nous allons les trouver. Nous devons être vigilants à ce sujet.
Tant que le Gouvernement n'aura pas proposé la suppression effective de l'écotaxe, ni inscrit l'indemnisation d'Écomouv' au budget, la commission des finances ne pourra considérer que ce budget est sincère et émettra un avis défavorable à son adoption.
M. Jean-Jacques Filleul. - Je partage l'avis de Marie-Hélène Des Esgaulx sur l'échec regrettable que constitue l'écotaxe. Nous connaissons la réalité ; nous la déplorons aussi. Le Gouvernement a trouvé des solutions, non pour l'écotaxe, pour laquelle des travaux sont en cours, mais pour les ressources de l'AFITF. Il faut rappeler que cette agence a été créée en 2005, au moment où a été décidée la privatisation des autoroutes. Je ne partage pas l'avis de Marie-Hélène Des Esgaulx sur la suppression de l'AFITF.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je ne prône pas la suppression de l'AFITF !
M. Jean-Jacques Filleul. - Presque... Lors de son audition devant la commission en septembre, Philippe Duron a exposé très clairement les projets à financer par l'AFITF et les moyens attendus. Avec un budget d'un peu plus de 2 milliards, l'agence aura les moyens d'engager ces projets.
Cet avis budgétaire montre aussi la stabilité des budgets consacrés à l'entretien et à l'exploitation du réseau routier, même si on pourrait toujours souhaiter plus dans ce domaine...
Les mesures proposées pour les véhicules électriques, telles que la prime à la conversion, vont dans le bon sens. Je rappelle que 13 000 véhicules électriques ont été vendus en 2014. C'est un chiffre faible, mais porteur d'espoir. Le décret d'application de la loi sur les bornes électriques est par ailleurs paru. Les réseaux de recharge devraient devenir suffisants pour développer la vente de véhicules électriques.
Je confirme que le groupe de travail sur la dépénalisation du stationnement s'est mis à la tâche - une tâche qui est d'une complexité phénoménale. C'est un sujet sur lequel il faudra peut-être revenir en commission, pour suivre l'application de la réforme. Une phase d'expérimentation du dispositif, de quelques mois, est aujourd'hui envisagée, mais rien n'a été arrêté.
Malgré les difficultés évoquées, nous émettrons un avis favorable à ces crédits.
M. Ronan Dantec. - En dépit du remarquable effort de justification du rapporteur, il m'est impossible de voter ce budget, car, il faut bien le dire, la gestion de l'écotaxe a été désastreuse.
Je ne reviens pas sur le caractère insincère du budget, nous voyons bien que l'État chercher à gagner du temps. L'AFITF n'est pas inintéressante en termes de visibilité et de pédagogie. Je ne partage donc pas l'avis de Marie-Hélène Des Esgaulx sur ce point. En revanche, même si ses crédits ont été préservés, le problème est que ce ne sont plus les mêmes qui paient ! La situation est catastrophique : alors que les transporteurs routiers, notamment étrangers, devaient financer les infrastructures françaises, c'est finalement l'ensemble des Français qui ont un véhicule diesel, en particulier les classes populaires, qui paient. Cela pose un certain nombre de problèmes. En outre, le budget ne va pas au-delà de 2015.
Qu'en est-il de la contribution des autoroutes demain ? Nous n'avons pas de vision très claire de la stratégie de l'État, alors qu'il s'agit d'une vraie question, surtout depuis l'avis de l'Autorité de la concurrence. Si nous prolongeons les concessions d'autoroutes sous prétexte que les sociétés vont investir 3 milliards d'euros sur le réseau, elles bénéficieront à terme d'une somme équivalent à 10 milliards d'euros. Ce serait un véritable scandale d'État.
S'il est vrai que la part de l'État dans le financement des infrastructures est assurée, il en est tout autrement de celle des régions. La disparition du versement transport interstitiel, qui représentait tout de même quelques centaines de millions d'euros, va les priver d'une recette qui était nécessaire. Nous sommes donc dans le brouillard. Or, conduire dans le brouillard est extrêmement dangereux...
Sur le bonus-malus, nous faisons une faute lourde. L'État concentre la totalité de ses moyens sur la filière électrique, à un moment où l'on ne sait pas quel mode de transport va s'imposer demain. C'est contradictoire avec le discours de l'État, notamment celui de Jean-Marc Ayrault, lors de la conférence environnementale. C'était alors la voiture à deux litres, sur laquelle les constructeurs français sont très présents, qui représentait la stratégie française. Nous devrions indiquer, par un signal fort, qu'il est tout aussi responsable aujourd'hui d'investir dans des petits véhicules thermiques plutôt que dans des véhicules électriques chers, dont nous ne sommes pas certains qu'ils représentent l'avenir. Il aurait fallu un bonus-malus équilibré, qui encourage l'ensemble des filières d'avenir, à la fois électrique et thermique à faible consommation, pour améliorer le parc et en finir avec les véhicules diesel existants.
Tout cela me conduit évidemment à voter contre ces crédits. Si on récapitule, les classes populaires vont payer pour l'AFITF et le bonus automobile est centré sur des véhicules onéreux, plutôt achetés par des classes moyennes-supérieures : la politique menée n'est pas très à gauche.
M. Charles Revet. - Nous émettrons un avis défavorable à l'adoption de ces crédits. L'écotaxe a trouvé son origine en Alsace. Depuis l'instauration de la taxe kilométrique allemande, son réseau routier subit en effet un report de trafic des camions qui circulaient auparavant en Allemagne. Cette situation a été gérée de façon très légère par le Gouvernement.
M. Jean-Jacques Filleul. - Et ce depuis 2009 !
M. Charles Revet. - L'AFITF est indispensable pour le financement des infrastructures de transport. Il nous faut des crédits pour des investissements importants dans le domaine ferroviaire, fluvial, etc.
Mme Chantal Jouanno. - Je partage l'avis de Ronan Dantec sur le bonus-malus écologique, à une réserve près. Le diesel représente encore 70 % des ventes, ce qui est énorme. Il y a donc un vrai sujet de rééquilibrage de la fiscalité.
Il y a effectivement plusieurs griefs, qu'il s'agisse du budget de l'AFITF qui n'est pas finalisé, du compte d'affectation spéciale « acquisition des véhicules propres », ou du compte d'affectation spéciale retraçant le produit des amendes de stationnement, dont l'avenir est incertain en raison de la dépénalisation du stationnement, sans parler de l'abandon de l'écotaxe sur lequel je me suis déjà exprimée à de nombreuses reprises. Nous ne pourrons donc pas voter ces crédits.
M. Jean-Yves Roux. - En ce qui concerne le coût de la résiliation du contrat Écomouv', 839 millions d'euros est effectivement une somme élevée, mais c'est déjà mieux que 950 millions d'euros. Une négociation est par ailleurs en cours entre le Gouvernement et la société Écomouv' à ce sujet.
Les problèmes que vous avez soulevés sont réels, mais je retiens que le financement de l'AFITF a été assuré pour l'année 2015. La question se pose pour les années suivantes. Nous devrons regarder attentivement les conclusions du groupe de travail mis en place par le Gouvernement pour trouver des sources alternatives de financement et rééquilibrer à nouveau ce budget, et veiller à ce que celui-ci bénéficie à nouveau de recettes importantes.
Je suis favorable au maintien de l'AFITF, qui apporte une visibilité certaine aux crédits consacrés aux infrastructures, en particulier en ce qui concerne les contrats de projets État-régions. C'est un sujet important pour nos collectivités, qu'elles soient communales, départementales ou régionales.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « transports routiers » du projet de loi de finances pour 2015.
Désignation d'un rapporteur
La commission désigne un rapporteur sur la proposition de résolution européenne n° 80 (2014-2015) sur la proposition de directive Paquet « déchets ».
M. Gérard Cornu, président. - Au titre des questions diverses, je voudrais vous indiquer que la commission des affaires européennes nous a transmis une proposition de résolution européenne de nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern sur une proposition de directive relative aux déchets.
Comme il s'agit de se prononcer sur un texte européen qui touche à une thématique à laquelle notre commission attache beaucoup d'importance et qui a un impact sur nos collectivités, il parait important que nous puissions nous en saisir.
Mme Annick Billon est désignée rapporteure sur la proposition de résolution européenne n° 80 (2014-2015), présentée par MM. Michel Delebarre relative et Claude Klein au nom de la commission des affaires européennes, Paquet « déchets ».
Mercredi 19 novembre 2014
- Présidence de M. Charles Revet, vice-président -Enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence Paris Climat 2015 (COP21) - Audition de M. Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la Chaire Économie du Climat
La commission entend M. Christian de Perthuis sur les enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence Paris Climat 2015.
La séance est ouverte à 10 heures.
M. Charles Revet, président. - Je voudrais tout d'abord excuser le président Hervé Maurey qui assiste à des réunions internationales de l'Union interparlementaire (UIP).
Nous accueillons ce matin M. Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la Chaire Économie du Climat de l'Université Paris Dauphine, sur les enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence de Paris Climat 2015. Monsieur de Perthuis, c'est votre deuxième audition devant notre commission. Nous vous avons entendu il y a à peu près un an, le 24 octobre 2013. Avec cette séance d'aujourd'hui nous allons instaurer une sorte de rendez-vous annuel, à la veille des débats budgétaires, et je ne doute pas, qu'après vous avoir entendu, mes collègues trouveront que c'est une bonne tradition. Votre audition intervient en effet devant une commission largement renouvelée à la suite des dernières élections sénatoriales.
Il y a un an, l'actualité en matière de fiscalité écologique, dont vous présidiez le comité de réflexion auprès de la ministre de l'écologie, et duquel vous avez démissionné il y a quelques semaines, était brûlante. Elle l'est tout autant aujourd'hui avec le retrait de l'écotaxe, un début de l'augmentation de la fiscalité sur le gazole, diverses mesures fiscales de soutien aux véhicules propres, etc...
Toutefois, au-delà de ce très court terme, deux autres rendez-vous vont nous occuper cette année : le débat sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte et la préparation de la Conférence de Paris sur le Climat qui aura lieu dans un an. Notre commission est très mobilisée sur chacun de ces deux événements. Dans cette perspective, vous avez piloté un travail sur les instruments économiques qui pourraient rendre réellement effectifs les engagements qui seront pris à Paris dans un an. C'est ce que vous allez nous présenter dans un instant. Mais je ne doute pas que nos collègues auront beaucoup de questions à vous poser sur l'ensemble des sujets qui touchent à la transition écologique.
M. Christian de Perthuis. - Je vous remercie pour votre invitation. Si j'ai bien compris, j'ai mis le doigt dans un engrenage, puisque nous nous retrouverons chaque année. Ce sera avec grand plaisir. Vous m'avez demandé d'introduire notre discussion sur deux thèmes, liés mais pas tout à fait identiques.
Sur le premier thème, celui de la fiscalité écologique, je voudrais faire passer trois messages principaux. Je veux tout d'abord m'expliquer en toute clarté devant vous sur ma démission du comité pour la fiscalité écologique. Je rappelle que ce comité avait pour but d'organiser un débat sur le verdissement de notre fiscalité en mélangeant de l'expertise économique venant d'experts indépendants, des services de l'État et l'ensemble des parties prenantes, dont d'ailleurs le Sénat, qui a envoyé trois sénatrices siéger dans ce comité. Je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli. Je salue aussi l'engagement de toutes les parties prenantes, qu'il s'agisse des élus, des représentants du monde économique, des représentants du monde du travail ou des organisations écologiques. J'ai été impressionné : lorsqu'on arrive à trouver un langage commun sur des enjeux écologiques qui concernent notre société dans une vision de long terme, on peut arriver à un dialogue qui permet de faire avancer les choses. Je souhaite aussi rendre hommage aux services de l'État, qui étaient en support technique et qui ont joué un rôle très important dans la documentation de nos travaux.
Ce comité a bien fonctionné pendant la première année, au cours de laquelle nous avons travaillé sur la fiscalité de l'énergie. Les travaux du comité ont ainsi été à l'origine d'une décision concernant le changement de la tarification des accises énergétiques en introduisant une composante carbone, une contribution climat énergie dans la fiscalité française, décision prise sur trois ans. Je pense que c'est une avancée très importante pour notre pays. Lorsqu'on regarde notre environnement, on voit qu'aujourd'hui un nombre croissant de pays tentent d'introduire dans leur fiscalité une tarification nouvelle des nuisances environnementales, parmi lesquelles la question climatique qui est fondamentale.
Si j'ai démissionné de ce comité, ce n'est pas par mauvaise volonté ni par mauvaise humeur, mais parce que les conditions de fonctionnement n'étaient plus réunies. Concrètement j'ai fait deux propositions de réorganisation et de relance des travaux auprès des deux ministres qui m'avaient missionné, en charge de l'environnement et de l'économie, et, n'ayant aucune réponse des pouvoirs publics, je me suis retrouvé en porte-à-faux. J'ai donc pensé que la bonne façon de faire avancer les choses était de démissionner. Je souhaite tout de même longue vie à ce comité.
Mon deuxième message concerne les enjeux liés à la fiscalité.
Je n'ignore rien du « ras-le-bol fiscal » des Français. Appartenant moi-même à la classe moyenne avec des revenus, transparents, de professeur d'université et père de famille nombreuse, je trouve que mes impôts ont augmenté depuis quinze ans. La fiscalité écologique ne doit pas consister en un ajout d'impôts. L'enjeu est au contraire de faire de la substitution, c'est-à-dire de remplacer des impôts qui aujourd'hui, de par leur assiette, pèsent sur les facteurs de production, par de nouveaux impôts, dont l'assiette est une mesure d'une nuisance environnementale. La fiscalité écologique n'est pas punitive ; la fiscalité écologique est une fiscalité de substitution. Il s'agit de substituer à des impôts qui pèsent sur notre économie, des impôts qui pèsent sur les pollutions.
Mon troisième message concerne la mise en oeuvre de cette fiscalité qui est très contraignante. En tant que président du comité pour la fiscalité écologique, j'ai passé mon temps à expliquer qu'il n'est pas possible de dépenser trois fois le même euro. Pour un euro de fiscalité écologique, il ne peut y avoir qu'un seul usage. Or il y a toujours trois usages en concurrence. Le premier usage, du point de vue de Bercy, concerne le déficit public. Le deuxième usage, du point de vue du ministère de l'écologie, veut que le produit d'une fiscalité écologique finance l'écologie, et cette logique est d'ailleurs très répandue parmi les citoyens. Or, si on privilégie cet usage, la fiscalité de substitution ne peut plus exister. Le troisième usage et la majorité des économistes pensent qu'il s'agit là du meilleur usage, c'est de réduire d'autres impôts. Ceci pose un problème de distribution, avec un volet efficacité économique et un volet équité sociale. Plus j'avance dans ma carrière en tant que chercheur, et plus je pense que la question de la fiscalité environnementale renvoie en réalité à une question de distribution. Dans le comité de fiscalité écologique d'ailleurs, Mme Didier, qui en fait partie, pourra le confirmer, il a beaucoup plus été question de redistribution que du niveau de la fiscalité écologique.
La question du verdissement de notre fiscalité reste aujourd'hui entière. L'enjeu plus global, qui d'ailleurs est essentiel dans la transition énergétique, est celui des incitations économiques : quels sont les bons instruments économiques pour faire rentrer les préoccupations écologiques dans notre système économique ? Il manque à mon avis de ce point de vue dans le projet de loi relatif à la transition énergétique un volet plus clair sur les instruments économiques, sans lequel la loi restera purement déclarative.
Par exemple, sur la question des rénovations lourdes sur le stock de bâtiments, les objectifs demeurent déclaratifs : 400 000, 450 000 logements... En réalité, on n'a pas augmenté d'une unité le nombre de logements sur lesquels on fait de la rénovation lourde.
Le deuxième point que je voulais introduire est celui de la future COP 21 qui se tiendra à Paris dans un an.
Je commence par un élément de contexte. J'étais la semaine dernière à Chengdu, capitale de la province du Sichuan, qui est la plus importante de Chine. J'y suis allé dans le cadre d'un colloque organisé en partie par des industriels français, dont Michelin, avec des instituts académiques, sur la question de la mobilité et de l'urbanisation. J'ai été impressionné de découvrir que la question du climat en Chine est aujourd'hui posée en fonction de ses contraintes domestiques. La question du climat a été introduite dans le 12ème plan quinquennal, avec une vision claire : celle de la nécessité d'un changement de mode de développement. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on ne peut plus respirer en Chine. La question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre est donc liée à une urgence sociale. C'est pour cela qu'aujourd'hui, la Chine est au centre du jeu des négociations internationales, au coeur de la COP 21. Ce n'est pas un hasard si l'annonce d'un accord entre les États-Unis et la Chine s'est fait à Pékin. C'est d'ailleurs un bouleversement par rapport à la façon dont la diplomatie multilatérale s'est mise en place depuis la fin de la seconde guerre mondiale : les Européens négociaient avec les Américains et lorsqu'ils étaient d'accord, on pensait que les autres allaient suivre. Aujourd'hui, ça ne fonctionne plus comme ça car les acteurs majeurs sont désormais les grands pays émergents, à commencer par la Chine.
Sur ce sujet de la COP 21, je voudrais aborder trois points.
Tout d'abord, je rappelle que cette négociation internationale est un processus continu, amorcé en 1992, par la signature et la ratification par aujourd'hui 193 pays d'une convention cadre sur le changement climatique, adoptée par la quasi-totalité des pays du monde, États-Unis inclus. Cette convention est l'acte fondateur qui pose à la fois les principes et le cadre de la négociation. Le principe essentiel est celui de la responsabilité commune mais différenciée : tous les pays qui ont ratifié la Convention partagent une partie de la responsabilité, mais on ne peut pas mettre sur le même plan les vieux pays industrialisés, les pays émergents et les pays en voie de développement. Au nom de ce principe, une vision binaire s'est développée dans le cadre de la négociation, avec d'un côté les pays riches portant la responsabilité, et de l'autre, les pays en voie de développement qui sont hors responsabilité, ce qui perturbe complètement la négociation climatique depuis au moins dix ans. Je pense que l'enjeu majeur de la COP 21 est de trouver une nouvelle interprétation du principe de responsabilité commune mais différenciée. Il n'y a aucun sens à mettre aujourd'hui sur le même plan la Chine, qui par habitant va très prochainement rejoindre le niveau d'émissions de l'Europe, avec le Mali, par exemple, ou les pays d'Asie centrale.
Deuxième point, il y a dans le rapport du Giec un chiffre terrifiant, celui de l'évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1970. Cette courbe nous montre que depuis 2000, vingt ans après la mise en place des accords climatiques, non seulement ces émissions n'ont pas commencé à ralentir mais elles ont accéléré. Si on décompose les émissions, on s'aperçoit que les émissions liées à l'agriculture et à la forêt ont été stabilisées entre 2000 et 2011, notamment grâce aux résultats remarquables obtenus au Brésil. On a là le cas d'une politique incroyablement infléchie et qui a très fortement contribué à ralentir la déforestation. En revanche, les émissions liées au système énergétique explosent. Elles explosent pour deux raisons principales. La première raison est le retour sur le charbon, massif en Asie, très important dans certains pays d'Amérique latine mais qui existe également en Europe depuis 2011. La deuxième raison est l'explosion des émissions dans les pays émergents, pour l'instant corrélée à l'accélération du développement économique dans ces zones. Cette sortie de centaines de millions d'habitants de la pauvreté extrême en Chine ou en Inde qui est une excellente nouvelle, se traduit dans les modes actuels de développement et de système énergétique par une explosion des émissions de gaz à effet de serre.
Deuxième point : que peut-on faire à la COP 21 ? Jusqu'à l'accord de Copenhague en 2009, on était dans une vision dite top down des accords internationaux, comme c'était le cas du Protocole de Kyoto. Depuis, on a adopté une approche dite bottom up dans laquelle les différents pays sont stimulés et incités à dire à quel niveau d'engagement ils peuvent rejoindre un accord climatique. Dans cet accord, il faudra obtenir des engagements importants des gros émetteurs. Les trois premiers émetteurs - Chine, États-Unis, Europe - concentrent 56 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie, et les dix premiers émetteurs concentrent 83 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie. Donc si on veut vraiment infléchir les trajectoires d'émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés, il faut avoir des engagements crédibles des gros émetteurs.
Le dernier point que je veux aborder est celui des instruments économiques. J'ai toujours pensé que la crédibilité d'un accord international en matière de changement climatique ne reposait pas sur la nature juridique de l'accord. Vous vous rappelez certainement des débats infinis qui ont eu lieu à Copenhague sur la nécessité ou non d'avoir un accord « legally binding », c'est-à-dire juridiquement contraignant. En réalité, peu importe ! Le protocole de Kyoto, par exemple, est « legally binding » et pourtant le Canada n'a pas respecté ses objectifs. L'article 23 du protocole explique comment on en sort et il s'avère qu'il est beaucoup plus facile de sortir de ce protocole que d'un bail rural à long terme. Il suffit d'envoyer une lettre recommandée au secrétariat de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et au bout d'un an vous êtes libérés de vos engagements. Et de toute façon les sanctions sont inexistantes.
Donc ce qui est important, c'est d'avoir un accord avec des engagements supportés par des instruments économiques puissants qui incitent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est comme pour la loi sur la transition énergétique : si on veut rentrer l'environnement dans la vie économique, il faut avoir des instruments économiques puissants. Et selon moi, la bonne manière est de tarifer les émissions de CO2. Et si on a aujourd'hui un retour massif sur le charbon, c'est parce qu'il est rentable. Je pense que tant qu'on ne change pas le système des prix, on va continuer à avoir cette transition énergétique au niveau mondial avec plus de fossiles dans l'atmosphère. Aujourd'hui, les Américains substituent du gaz au charbon et ont donc davantage réduit leurs émissions de gaz à effet de serre que l'Europe depuis cinq ans. Mais que fait-on du charbon des mines du Wyoming ou des Appalaches ? Il est exporté un peu en Allemagne, quelques tonnages dans le port du Havre, vous me pardonnerez Monsieur le président, mais surtout massivement exporté au Japon et en Asie. Il y a encore quelques goulots d'étranglement à l'exportation. Mais on est en train de construire une ligne de chemin de fer uniquement destinée à transporter ce charbon du Wyoming avec trois nouveaux terminaux d'exportation.
Ma conviction, c'est qu'il faut des instruments économiques puissants qui changent les systèmes de prix relatifs : tant que le charbon ne sera pas cher, on l'utilisera. Je ne dévoilerai pas maintenant les propositions que nous avons faites à la Chaire économique du climat mais nous avons proposé deux systèmes de tarification du carbone dans le monde. L'un est réservé aux États via un système de bonus-malus pour les pays : un pays qui émet plus que la moyenne mondiale des émissions de gaz à effet de serre doit payer un malus sur la part de ses émissions qui est supérieure à la moyenne ; et ce malus est rétrocédé sous forme de bonus pour ceux qui sont en dessous de la moyenne. Il s'agit là d'un instrument qui vise à faire de la redistribution entre les gouvernements et à inciter les pays pauvres à entrer dans ce qu'on appelle le MRV, le « monitoring reporting verification », c'est-à-dire un système indépendant et fiable de mesure et de contrôle des engagements. J'illustre ça par un exemple : une de mes doctorantes, chinoise, travaille à l'Académie des sciences agricoles de Pékin, qui a donné au Gouvernement toutes les données techniques qui ont servi à réaliser l'inventaire de 2005. Aujourd'hui, dans le cadre de sa thèse, lorsqu'elle a une question relative à un chiffre de l'inventaire, on lui répond que c'est un secret d'État. On ne pourra pas faire un accord climatique crédible tant qu'il n'y aura pas de transparence sur le MRV. C'est un enjeu politique. Et puis à côté du système du bonus-malus, il y a la question essentielle de la tarification du carbone dans l'économie. Il faut qu'on ait un prix du CO2 élevé. Qu'est-ce qui pourrait vraiment faire changer cet environnement international entre 2015 avec la COP de Paris, et 2020, date d'entrée en vigueur du futur accord climatique ? Il faudrait poser les jalons d'un marché transcontinental du carbone pour tarifer le coût du changement climatique associé aux émissions de CO2, au lieu de faire en Europe un marché du carbone entre nous sans être capable de le gérer. On pourrait aussi mettre en place une taxe internationale : je suis prêt à défendre la cause si vous me donnez les moyens de le faire !
M. Charles Revet, président. - Deux ou trois points ont attiré mon attention. Je retiens d'abord l'idée de substitution : au lieu d'ajouter un impôt, on remplace un impôt sur la production par un impôt sur la pollution. Vous avez également rappelé qu'on ne pouvait utiliser trois fois un même euro. Enfin, je retiens qu'on ne peut pas mettre sur le même plan les pays industriels et les pays en développement - c'est une certitude.
Mme Odette Herviaux. - Je vous remercie pour cet exposé passionnant. Certains thèmes ont attiré mon attention, d'autant que l'actualité fait que nous examinerons ce soir au Sénat une éventuelle taxe sur les particules fines émises par les moteurs diesel. Même si on peut comprendre qu'on ne peut pas opposer, d'un côté, le problème climatique et les émissions de CO2, de l'autre, la santé publique, comment peut-on prioriser l'action, dans la mesure où les particules fines sont nocives pour la santé mais les véhicules diesel émettent moins de CO2 et consomment moins de carburant ?
Dans le débat que nous aurons ce soir, est envisagé un bonus-malus réaménagé. Vous nous avez expliqué qu'une taxe nouvelle sur l'écologie ne doit pas être punitive et ne doit pas être à sens unique. Vous avez parlé de rééquilibrage, ce qui me paraît important. Concrètement, comment peut-on y arriver ?
Mme Chantal Jouanno. - Merci pour cette présentation, nous partageons beaucoup de points de vue. Avez-vous des exemples de pays étrangers qui ont réussi ce basculement de leur fiscalité ? Quel impact cela a-t-il eu en termes de redistribution et de croissance économique ?
La question de la spécialisation des outils fiscaux se pose. Le bonus-malus a été construit autour de la question du CO2, sans intégrer la question des particules ou des oxydes d'azote. Est-il pertinent, dans un même outil fiscal, de mettre deux objectifs différents, l'un visant les gaz à effet de serre, l'autre la santé ?
Vous avez évoqué le basculement de la fiscalité d'une assiette sur les outils de production vers une assiette sur la pollution. Vous n'avez pas parlé de la consommation. Or, un des problèmes de la France aujourd'hui est que nous réduisons facilement nos émissions de gaz à effet de serre mais qu'en réalité nous augmentons notre empreinte carbone. La réduction des émissions est en partie liée à une désindustrialisation qui fait que nous importons plus de produits et qu'à l'échelle mondiale notre bilan carbone n'est pas extraordinaire. La question de la consommation est évidemment plus difficile à aborder politiquement que la pollution. Faites-vous entrer cette assiette dans les outils de la fiscalité écologique ?
Concernant la négociation de la COP 21, il n'y a certes qu'une dizaine de pays à faire bouger, mais il sera nécessaire pour cela d'avoir avec nous le G77. Un des paris que nous faisions avec Jean-Louis Borloo est d'entraîner avec nous l'Afrique. Partagez-vous ce point de vue ?
Il existe un débat persistant entre une taxe carbone qu'on n'arrive pas à faire et un marché mondial du carbone. Qui affecterait les quotas d'émissions dans un tel marché ? Si le marché européen fonctionne mal, c'est en grande partie du fait de l'allocation des quotas. Qui aura l'autorité nécessaire et la reconnaissance internationale pour déterminer le niveau des quotas ?
Mme Évelyne Didier. - Je vous remercie pour la qualité de votre exposé, c'est toujours un régal de vous entendre.
Qu'il soit européen ou mondial, j'ai du mal à croire au marché carbone. En Europe, nous n'avons pas réussi à imposer un prix du carbone qui soit véritablement dissuasif. Les lobbies sont à l'oeuvre pour maintenir des prix de l'énergie les plus bas possibles. Dans ce domaine comme dans d'autres, le poids des lobbies est considérable. Est-il crédible, en particulier au niveau mondial, d'envisager un marché carbone efficace ?
Dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, on prône des économies d'énergie. Or, la première économie est d'éviter une consommation d'énergie. Les pays en développement souhaitent consommer davantage d'énergie. En outre, la population augmente. La piste des économies est-elle sérieuse ?
Enfin, certains parlent de sobriété dans la consommation, voire de décroissance. Est-il raisonnable d'imaginer aller vers une certaine sobriété dans une économie actuelle qui pousse à la consommation effrénée ?
M. Jean Bizet. - Quel chiffre pertinent pouvez-vous nous donner sur le prix du carbone ? On entend parfois parler de 45 euros.
Vous avez indiqué qu'il manquait un volet économique dans le projet de loi relatif à la transition énergétique. Cette loi risque d'être déclarative. Ne serait-il pas pertinent d'envisager ces politiques de transition énergétique avec les autres États membres de l'Union européenne ? L'Allemagne s'est unilatéralement, à la suite de Fukushima, lancée dans une transition, sans même avertir la France. C'est un échec considérable, d'abord financier, ensuite écologique. L'Allemagne n'a jamais autant émis de gaz à effet de serre. Ils achètent du charbon en provenance des États-Unis. Ne faudrait-il pas inciter au niveau européen à des transitions énergétiques concertées entre les États ? Nous pourrions d'ailleurs y réfléchir entre la commission du développement durable et la commission des affaires européennes.
Qu'attendez-vous du nouveau commissaire européen à l'Union de l'énergie ? Le choix des bouquets énergétiques restera une compétence des États, mais l'Union de l'énergie devra dépasser les simples sujets de branchements et d'échanges. Les Allemands, en particulier quand il y a beaucoup de vent ou beaucoup de soleil, connaissent une surproduction brutale d'énergie ce qui fait chuter leurs prix de vente. Parallèlement, les pays voisins sont obligés de mettre des sortes de disjoncteurs pour éviter que cette surabondance brutale d'électricité ne perturbe leurs réseaux de transport de l'énergie. On ne pourra pas résoudre ces problèmes à l'échelle d'un État membre.
M. Christian de Perthuis. - Comment faire lorsqu'on fait face à plusieurs externalités environnementales qui ne vont pas toujours dans le même sens ? La question du diesel et des particules est à ce titre emblématique. Nous avons tendance à l'aborder, en France, sous un mode polémique ou idéologique. Si l'on réalise une tarification environnementale au litre, c'est simple : dans un litre de diesel, il y a 15 % de CO2 en plus que dans un litre d'essence. C'est mathématique. Pour les particules, c'est beaucoup plus compliqué. Le diesel n'est pas le seul à émettre des particules. Le fioul domestique et le fioul lourd émettent des particules ; c'est le cas également de la biomasse. Quel est le bon instrument pour tarifer les nuisances liées aux émissions de particules venant des véhicules ? Le bon système est le péage. Les véhicules n'émettent pas les mêmes quantités de particules selon leurs équipements : on ne peut donc pas tarifer correctement la nuisance par le prix du carburant. En revanche, avec les progrès de la technologie, il est possible de tarifer de manière plus fine. C'est pour cette raison que l'écotaxe était une tentative intéressante, qui avait au départ fait l'objet d'un grand consensus. Cet outil permettait de tracer les déplacements en prenant en compte la qualité technique des véhicules et l'usage. C'est ce qu'il faut, en particulier dans les villes. À ce titre, l'exemple du péage urbain de Stockholm est très intéressant. Il est calibré en fonction de l'usage, de l'heure de pointe et il fonctionne bien. Le système est socialement équitable dans la mesure où le produit du péage est utilisé pour favoriser l'accès des personnes aux transports en commun.
Concernant le bonus-malus, il est effectivement aujourd'hui favorable au diesel.
En matière de taxation du carbone, la Suède est un cas d'école. Chaque ménage paie une taxe carbone d'environ 110 euros par tonne de CO2 lorsqu'il utilise de l'énergie fossile pour se chauffer ou pour se déplacer. Dans ce pays, la montée en régime de la taxation environnementale s'est faite dans un contexte de réforme fiscale globale qui a conduit à baisser le niveau des prélèvements obligatoires. Du point de vue des performances macroéconomiques de la Suède, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB place le pays au troisième rang de performance des pays de l'OCDE. La taxation carbone n'a donc pas détruit l'industrie ; l'industrie s'est reconvertie, en s'appuyant sur le développement de la richesse locale qu'est la biomasse.
Faut-il prendre une assiette fondée sur la consommation ou la production ? Il est en théorie préférable d'avoir une taxe au carbone ajouté, au niveau final. Le problème est qu'il n'existe pas de comptabilité microéconomique des flux de carbone. Malgré le caractère imparfait de l'assiette utilisée aujourd'hui, j'ai toujours considéré qu'il valait mieux mettre en place un système plutôt que de reporter l'action dans le futur.
Ce principe vaut aussi pour les négociations internationales. J'ai discuté encore récemment avec des collègues chinois. Ils proposent de signer un accord climatique sur la base des émissions liées aux habitudes de consommation : une grande partie des émissions reviendrait dans cette approche aux pays de l'OCDE. Ce raisonnement risque d'enliser les négociations pour plusieurs années avant de pouvoir mettre en place des mesures. Par ailleurs, la Chine porte également une part de la responsabilité dans le développement de ses industries d'exportation. Il faut quitter la vision dualiste, du monde en développement opposé au monde riche. Je n'ai jamais pour ma part considéré qu'on développerait les pays d'Afrique par de l'aide. Le développement passera par un co-développement. L'aide au développement implique le respect mais pas la déresponsabilisation des partenaires, notamment sur les choix de production ou les choix sociaux.
Le G77 est évidemment important dans les négociations internationales. La gouvernance de ces négociations est aujourd'hui dans un système qui ressemble aux coopératives agricoles... Chaque pays dispose d'une voix, et les prises de décision se font au consensus. Il est important qu'il y ait une instance des Nations unies dans laquelle chaque pays ait une voix. Pour autant, face à la réalité du risque climatique, on ne peut pas mettre sur le même plan les États-Unis ou la Chine et les petits États insulaires. Il nous faut trouver une géométrie variable dans la négociation. Il faut coupler des accords entre les gros émetteurs de CO2 avec la redistribution envers les petits émetteurs. C'est le sens du bonus-malus mondial que nous proposons. La difficulté de notre proposition est cependant qu'il faudrait faire payer non seulement les pays riches, mais aussi les pays émergents d'Asie et les pays pétroliers.
Qui affectera les quotas sur le marché mondial du carbone ? Sur le plan économique, il est important qu'il y ait un signal-prix du carbone, c'est-à-dire qu'un nombre croissant d'émetteurs de CO2 paient le coût du changement climatique associé à chacune de leurs émissions. Qu'on atteigne cet objectif par un mécanisme de marché ou une taxe est pour moi une question secondaire.
Lorsqu'on veut mettre en place un dispositif de tarification pour les émissions diffuses dans un pays comme la France, il est plus facile de mettre en place une taxe qu'un marché. Il est plus simple de partir d'un impôt existant en élargissant son assiette au carbone, plutôt que d'en créer un nouveau. Depuis 1990, on essaye de faire la même chose au plan européen. Entre 1990 et 1997, la proposition de la Commission européenne était de mettre en place, pour l'énergie et la grande industrie, une taxe sur le CO2 harmonisée, mais elle n'a jamais abouti, à cause du droit de veto du Royaume-Uni notamment. Pratiquement, aujourd'hui, il est impossible de mettre en place un dispositif de tarification du carbone via une taxe à l'intérieur de l'Europe. Pour mettre en place une taxe, il faut l'unanimité. Or, pour mettre en place un marché de permis, il faut une majorité qualifiée. Sur le plan international, c'est encore pire. Donc, d'un point de vue pragmatique, la tarification du carbone au niveau international passe par des marchés de permis plutôt que par des taxes. En outre, en Chine et aux États-Unis, la question d'une taxe carbone n'est même pas envisageable.
Le système mis en place en Europe ne fonctionne pas car il y a un problème de gouvernance et une absence de leadership politique. Une bonne illustration de cette difficulté est la réforme proposée par la Commission européenne visant à changer le calendrier des enchères, est en cours de négociation depuis deux ans et demi. Dans n'importe quelle agence du Trésor au monde, lorsqu'on met sur le marché des obligations d'État, le pouvoir de fixer le calendrier est délégué à l'agence spécialisée. D'un côté, on empile une complexité administrative et technocratique à laquelle personne ne comprend plus rien, et de l'autre, il n'y a pas de leadership politique. Or, pour faire la réforme du marché du carbone européen, on a besoin d'un fort leadership politique. Et il faut un principe de délégation à une autorité de régulation indépendante, comme pour la politique monétaire, qui doit avoir une légitimité de compétence. Le dernier problème est celui de l'allocation. On observe en effet que dans un premier temps, par peur que le prix du carbone s'envole, on alloue trop. Sur le mode de l'allocation aussi, il y a des interrogations : est-ce qu'on met des quotas gratuits, auquel cas on rétrocède la valeur du carbone au pollueur, ou est-ce qu'on les met aux enchères ? Les économistes pensent qu'il est préférable d'avoir un système d'enchères. Cette question est très peu traitée.
Au plan international, je ne préconise pas un marché mondial du carbone dès demain. Je suis plutôt favorable à un accord à trois entre États-Unis, Europe et Chine entre 2015 et 2020 pour construire ensemble une plateforme commune de tarification du carbone pour le secteur électrique et pour la grande industrie. À mon avis, cette gouvernance tripartite constituerait le bon niveau politique.
Pour répondre à Evelyne Didier. Actuellement, oui, l'économie d'énergie est le principal levier à court terme, et le plus rapide, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés. Mais le meilleur levier pour faire des économies durables sur un bien, c'est de le tarifer correctement. Je pense donc que la question de la durabilité des économies d'énergie est liée à celle de la tarification de l'énergie. Pour des politiques, c'est un choix très difficile à faire et à assumer. Il y a là un vrai passage de l'économique au politique.
Est-ce la décroissance que de faire de l'économie d'énergie ? Je suis pour ma part très mal à l'aise avec les économistes de la décroissance. J'ai vécu cinq ans dans des pays en voie de développement et cela n'a aucun sens pour un pays pauvre de dire qu'on veut faire de la décroissance. Certes, il existe une version intelligente de la décroissance, développée par un économiste anglais, la « prosperity without growth », qui veut qu'à partir d'un certain niveau de richesse, la surabondance des biens ne génère plus d'amélioration de bien-être. Selon cette théorie, à partir d'un certain seuil, l'intelligence collective permettrait d'arrêter l'accumulation des biens et le gaspillage pour les transférer vers le sud. J'aime cette idée mais je pense qu'elle n'est pas réaliste pour notre société.
Jean Bizet m'a demandé s'il y avait un bon niveau du prix du carbone. Selon moi, ce n'est pas le niveau auquel on introduit le carbone qui est important mais l'anticipation et le signal donné aux acteurs économiques. À l'époque où j'étais rapporteur d'un des deux groupes Rocard sur la contribution climat - énergie, j'étais effaré par le débat sur le niveau d'introduction du prix du carbone. La vraie question est de savoir ce que les grands opérateurs économiques anticipent, au moment de leurs choix d'investissement, au regard de la valeur du carbone dans plusieurs années.
Il ne faut donc pas introduire un prix mais une trajectoire. Au sein du Comité sur la fiscalité écologique, j'en avais d'ailleurs sciemment fixé une jusqu'en 2020.
Quels sont les points de repère ? Lorsqu'on a un prix du carbone inférieur à 10 euros par tonne, il n'y a pas d'effet particulier ; entre 10 et 35 euros par tonne, des ajustements commencent à être notables dans le secteur électrique. Au-delà, tout dépend des prix relatifs du charbon et du gaz. À partir de 40 euros, les changements sont significatifs dans l'usage des centrales existantes et les choix d'investissements. À partir de 60 euros la tonne, le Carbone capture and storage - c'est-à-dire l'équipement de la centrale électrique dans lequel le carbone est capturé puis réinjecté - commence à être rentabilisé. Des effets massifs de substitution dans l'industrie sont alors ressentis, notamment en faveur de la biomasse ou des productions décentralisées d'énergies renouvelables.
Les technologies actuelles seront dans les prochaines années bousculées du fait, d'une part, du stockage décentralisé de l'électricité, d'autre part, de la révolution de la gestion des données. Avec ces changements technologiques, des prix de carbone même beaucoup plus faibles pourront avoir des effets plus importants sur l'incitation au changement des modes de production et de consommation.
Concernant la dimension européenne de la transition énergétique, il est évident, en absolu, qu'une concertation plus importante sur nos choix énergétiques avec les pays membres de l'Union européenne serait souhaitable. Toutefois, cette concertation est difficile à mener dans la pratique. Les pays européens sont souvent contraints d'envisager les problématiques à des échelles différentes. L'environnement et le changement climatique peuvent néanmoins représenter un ciment, en dépit de nos différences de choix dans le secteur énergétique.
Je n'ai pas encore rencontré le Commissaire européen à l'énergie. Je pense en tout cas que la gestion commune des marchés énergétiques en Europe est fondamentale. On a évoqué cette question - pas toujours de manière heureuse - en ce qui concerne l'électricité, mais il faut aussi l'aborder s'agissant du marché du gaz. Aujourd'hui, l'organisation des infrastructures de transport et de distribution du gaz est aberrante ! L'Europe de l'ouest est suréquipée en la matière, mais ne serait pas en mesure d'approvisionner l'Europe de l'est si la Russie se désistait !
M. Gérard Miquel. - Je souhaiterais aborder le thème de la fiscalité liée à la gestion des déchets. Ne croyez-vous pas qu'il serait souhaitable de repenser la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et la taxe générale sur les activités polluantes - ou TGAP ? La première, qui concerne tous les citoyens, est en effet en augmentation constante et n'est plus du tout adaptée. Il faudrait parvenir à faire payer un prix juste par un système de prélèvement fondé sur le service réellement rendu. La seconde pénalise les zones géographiques qui n'ont pas d'autre choix technique que d'enfouir leurs déchets dans des centres spécialisés. Une taxe incitative liée à la performance des collectivités territoriales en matière de recyclage ne serait-elle pas préférable pour obtenir des résultats beaucoup plus rapides ?
M. Didier Mandelli. - À quelques mois de la conférence sur le climat de Paris (COP 21), ne pensez-vous pas que la France manque une occasion de montrer l'exemple à ses partenaires, avec un projet de loi sur la transition écologique qui ne met pas réellement en oeuvre des instruments économiques ?
Mme Annick Billon. - Je souhaitais vous demander si vous pensiez que la conférence de Paris sur le climat serait un succès, si l'on peut mettre en place une politique mondiale du prix du carbone. Vous avez déjà répondu par la négative.
M. Charles Revet, président. - Il est nécessaire d'agir sur la pollution pour favoriser l'économie. Or les pays en voie de développement ont des besoins considérables. Avez-vous des pistes afin que ces pays puissent développer des énergies nouvelles moins polluantes ?
M. Christian de Perthuis. - En réponse à la question posée par Gérard Miquel, j'indiquerai que la TGAP est un instrument rendu imparfait par des modifications successives importantes. L'un des critères qu'il serait opportun de retenir est celui de la modulation de la taxation en fonction des performances des collectivités, à condition d'avoir une métrique correcte. La taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères est, quant à elle, avant tout un instrument de rendement et non de fiscalité de substitution. Il faut aller vers des dispositifs incitatifs, offrant une corrélation entre le coût du service, son efficacité et le comportement des ménages. Cela sera sans doute plus délicat en habitat collectif qu'en habitat individuel. En dépit des difficultés pour faire évoluer ces instruments, je crois que l'évolution se fera dans le bon sens car l'efficacité économique exige de mettre fin à la dérive des coûts.
Didier Mandelli m'a demandé si la France ne manquait pas l'occasion d'afficher son exemplarité. Je crois d'abord qu'il faut être réaliste : un certain nombre de pays très pollueurs n'ont qu'un intérêt très limité pour les démarches entreprises par la France ! Ensuite, je considère que nous avons tort, en France, d'insister sur ce qui ne fonctionne pas. Notre pays peut se prévaloir d'expériences positives. Nous avons, par exemple, le 2ème taux le plus bas d'émissions de gaz à effet de serre en Europe, après la Suède. Notre système de tarification de l'eau est souvent cité en modèle par les pays étrangers en matière de tarification environnementale. Nous avons également introduit une tarification du carbone. Vous le voyez, les exemples sont nombreux, tant au niveau national qu'au niveau local. Pensons aussi, en matière d'urbanisation, à la RATP, premier transporteur public au monde, ou encore au succès d'Autolib, qui réussit à coupler l'électrification des véhicules avec un changement d'usage... Ne soyons pas persuadés que notre image est mauvaise, car ce n'est pas le cas, et améliorons notre communication en insistant sur nos atouts !
Charles Revet m'a interrogé sur la possibilité, pour les pays en voie de développement, de s'engager dans une démarche écologique et de la respecter. 400 millions de Chinois sont sortis d'une situation de grande pauvreté en un temps record. Est-ce possible sans surcoût écologique, et dans l'affirmative, comment ? Les changements techniques devraient réserver quelques heureuses surprises en matière de modes de production d'énergie. Je pense notamment à l'accélération des gains par le biais du photovoltaïque, mais aussi aux améliorations des moyens de stockage de l'électricité et aux progrès de la biomasse. La palette des sources énergétiques possibles va donc s'élargir à des coûts raisonnables. Toutefois, le véritable enjeu pour les pays en voie de développement est de gérer leur urbanisation et leurs usages des sources d'énergie, pour les rendre rationnels. Cela n'est pas toujours le cas à l'heure actuelle. Je m'en suis aperçu lors de mes déplacements en Chine et au Maghreb. Il est essentiel que les pays concernés tirent les leçons de notre expérience et qu'ils ne reproduisent pas nos erreurs passées, notamment en matière d'étalement urbain.
M. Charles Revet, président. - Nous vous remercions pour vos réponses et vos explications sur ces sujets de la plus haute importance.
La séance est levée à 11 h 55.
Loi de finances pour 2015 - Crédits « Recherche en matière de développement durable » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis sur les crédits relatifs à la Recherche en matière de développement durable du projet de loi de finances pour 2015.
M. Rémy Pointereau, président. - Nous avons désigné notre collègue Geneviève Jean rapporteure pour avis sur les crédits du projet de loi de finances pour 2015 relatifs à la recherche en matière de développement durable. Ma chère collègue, il s'agit de votre premier rapport en tant que nouvelle sénatrice. Aussi, je voudrais saluer le travail que vous avez dû effectuer pour, dans un temps record, vous plonger dans un sujet aussi foisonnant.
Mme Geneviève Jean. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient effectivement de vous présenter, pour la première fois, les crédits du programme 190 relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables, inscrits dans la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.
Ce programme 190 comprend six actions : la recherche dans le domaine de l'énergie ; la recherche dans le domaine des risques ; la recherche dans le domaine des transports, de la construction et de l'aménagement ; la recherche partenariale dans les domaines du développement et de l'aménagement durables ; la recherche et développement dans le domaine de l'aéronautique civile ; enfin, les charges nucléaires de long terme des installations du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Les crédits que le projet de loi de finances pour 2015 envisage d'allouer à ce programme, soit 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, sont en légère hausse par rapport à ceux ouverts par la loi de finances pour 2014.
Ces crédits ont vocation à financer six opérateurs de l'État : l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) ; l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) ; l'Institut de radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN) ; l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ; le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS).
Le périmètre du programme est marqué cette année par la suppression de la subvention versée à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
L'Ademe recevait jusqu'ici une subvention pour charges de service public au titre du programme 181 « Prévention des risques » et du programme 190. La subvention accordée au titre du programme 181 a été supprimée en 2014. Celle du programme 190 l'est cette année. L'agence, qui est depuis 2010 opérateur des investissements d'avenir, ne bénéficiera donc plus d'aucune subvention budgétaire et sera, pour l'essentiel, financée par une fraction des produits de la taxe générale sur les activités polluantes - TGAP.
Les six opérateurs qui perçoivent toujours des crédits au titre du programme 190 sont, dans l'ensemble, relativement épargnés dans le projet de loi de finances pour 2015 par les contraintes liées au contexte budgétaire. Si deux d'entre eux voient leur dotation budgétaire diminuer, trois ont une dotation quasiment stable par rapport à l'année 2014, et l'un d'eux - le CEA - profite même d'une augmentation de la subvention pour charges de service public qui lui est versée au titre du programme 190.
Je m'intéresserai tout d'abord aux deux opérateurs dont les crédits alloués au titre du programme 190 sont en baisse : l'IRSN et l'INERIS.
L'IRSN, expert public pour les risques nucléaires et radiologiques, contribue à la mise en oeuvre des politiques publiques relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaires, ainsi qu'à la protection de l'homme et de l'environnement contre les effets des rayonnements ionisants. Les crédits que le projet de loi de finances pour 2015 lui attribue, soit 178 millions d'euros, sont en baisse de 4 % par rapport à 2014. Cette baisse significative, alors que les demandes d'expertises de l'institut devraient croître ces prochaines années, avec par exemple la mise en service du réacteur de recherche Jules Horowitz, la préparation du démantèlement de la centrale de Fessenheim et l'analyse des demandes de prolongation d'exploitation d'autres réacteurs, devrait conduire l'IRSN à retarder ou étaler certains programmes de recherche.
Il est toutefois permis d'espérer que cette baisse de dotation sera compensée par un accroissement du produit de la contribution acquittée par les exploitants d'installations nucléaires de base, ce qui assurera à l'institut un maintien global de ses moyens.
L'INERIS, quant à lui, a pour mission de réaliser ou de faire réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, et sur l'environnement. Les crédits ouverts dans le cadre du programme 190, d'un montant de 6,7 millions d'euros, sont plus particulièrement destinés à permettre à cet institut de réaliser des recherches sur l'évaluation et la prévention des risques technologiques et des pollutions causés par les substances et produits chimiques, l'après-mine, les stockages souterrains et les risques naturels. L'INERIS devra faire face en 2015 à une réduction de 1,8 % du montant de sa dotation budgétaire globale par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Cette diminution est plus marquée s'agissant des crédits alloués au titre du programme 190, en baisse de 3 %. Il faut toutefois souligner que ce niveau de baisse n'atteint pas celui opéré entre 2013 et 2014 (- 17 %).
Trois opérateurs ont, ensuite, un niveau de dotation budgétaire quasiment stable par rapport au projet de loi de finances pour 2014 : l'IFPEN, l'IFSTTAR et l'Anses.
Après avoir subi une diminution constante de sa dotation depuis 2002, l'IFPEN, établissement public industriel et commercial de recherche, d'innovation et de formation intervenant dans les domaines de l'énergie, du transport et de l'environnement, disposera en 2015 d'une subvention pour charges de service public de 141 millions d'euros.
L'IFSTTAR, établissement public à caractère scientifique et technologique, a pour mission de réaliser des recherches dans les domaines du génie et des matériaux de construction, des risques naturels, de la mobilité, des systèmes et des moyens de transports et des infrastructures. La dotation budgétaire qui lui est attribuée, soit 88 millions d'euros, est quasiment stable par rapport à celle fixée par la loi de finances initiale pour 2014.
L'Anses, établissement public à caractère administratif, est chargée de missions de veille, de recherche, d'expertise et de référence sur la sécurité sanitaire des aliments, de l'environnement et du travail, ainsi que sur la protection de la santé, sur le bien-être des animaux et sur la santé des végétaux. Cette agence voit, elle aussi, sa dotation se maintenir par rapport à 2014. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit de lui allouer 94 millions d'euros de subventions pour charges de service public, dont 1,6 million au titre du programme 190.
Enfin, le CEA, établissement public industriel et commercial à la fois impliqué dans le domaine du nucléaire et dans celui des nouvelles technologies de l'énergie, profite d'une hausse substantielle du montant de ses crédits au titre du programme 190 (+ 7,3 % pour atteindre environ 880 millions d'euros).
Je crois donc que nous pouvons nous féliciter de la stabilité générale du budget alloué à la recherche en matière de développement durable.
Ce maintien d'un niveau suffisant de crédits est d'autant plus important que le programme 190 contribue au financement de plusieurs projets accompagnant le défi de la transition écologique et énergétique.
Les auditions que j'ai réalisées m'ont permis de percevoir tout leur intérêt.
Je souhaiterais notamment évoquer le projet, actuellement mené par l'IFPEN, de développement d'un « véhicule pour tous » ne consommant que 2 litres de carburant aux 100 kilomètres. La technologie mise au point par cet institut devrait pouvoir être commercialisée dès 2022. Une véritable prouesse dont on comprend tout l'enjeu, alors que les transports sont à l'origine de 27 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
L'IFSTTAR oeuvre lui aussi à l'essor de transports durables. L'un de ses projets porte sur la conception d'une « route de 5ème génération ». Plusieurs démonstrateurs ont été mis au point par l'institut, permettant d'ores et déjà de tester, sur certains territoires, des « échantillons » de routes devenues capables de gérer des informations grâce aux systèmes de transport intelligent, de diagnostiquer leurs points de faiblesse, de résister aux aléas climatiques, d'informer sur leur état de service, sur le trafic ou les risques pour l'usager... Cette route de 5ème génération sera à terme capable de récupérer de l'énergie pour alimenter ses propres équipements, voire les véhicules ; elle pourrait même être en mesure d'absorber du CO2 ! On comprend aisément tous les bénéfices que de telles infrastructures permettraient d'obtenir.
Je voudrais également évoquer un autre projet auquel participe l'IFSTTAR, en faveur cette fois du concept de ville intelligente.
En 2050, les villes devraient accueillir 75 % de la population mondiale. Cette urbanisation grandissante menace à la fois la population et l'environnement.
Or le cadre de vie des populations urbaines se dégrade sous l'effet de nuisances variées (pollution, bruit, saturation des réseaux...) tandis que les attentes en matière de qualité de vie et de services augmentent.
Il est en outre établi que les territoires urbains contribuent de manière déterminante à l'effet de serre et à la consommation d'énergie fossile.
Une reconception de la ville est donc nécessaire et souhaitable. L'IFSTTAR participe à cette réflexion au travers du projet « Sense City » qui se concrétise par la création d'une « mini-ville » climatique dans un vaste hall de 400 m² unique en Europe. Ce hall sera capable d'accueillir des maquettes à échelle réelle ou réduite des principales composantes de la ville, telles que les bâtiments, les infrastructures, les réseaux de distribution et le sous-sol. Il sera le moyen de tester des micro et nano-capteurs inventés pour instrumenter et piloter une ville moderne, plus durable et plus humaine. En outre, les aménagements de l'espace urbain et les scenarii météorologiques envisagés (canicule, vague de froid, pluie et air pollués) permettront d'étudier la qualité environnementale des villes, la qualité sanitaire et l'efficacité énergétique des bâtiments et des quartiers, ainsi que la qualité et la durabilité des infrastructures et des réseaux urbains.
La mise en service de cette mini-ville, située à Marne la Vallée, est prévue pour fin 2015.
Enfin, j'insisterai sur le fait que les crédits du programme 190 sont nécessaires au développement des systèmes industriels nucléaires du futur et à l'expérimentation de biocarburants - ou agrocarburants - de 2ème génération.
Le CEA, dont une partie des ressources provient du programme 190, est ainsi chargé de mener pour la France des recherches sur les réacteurs nucléaires de 4ème génération, capables d'utiliser directement l'uranium naturel ou appauvri et de produire 50 à 100 fois plus d'électricité avec la même quantité de minerai que les réacteurs nucléaires actuels, en ne produisant quasiment pas de gaz à effet de serre. Son effort se concentre principalement sur les technologies de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, au travers, notamment, du projet de développement du réacteur de démonstration ASTRID. Les options innovantes étudiées pour ce projet portent sur la mise au point d'un coeur performant à sûreté améliorée, sur une résistance renforcée aux accidents graves et sur une conversion d'énergie optimisée minimisant le risque apporté par le sodium. La première phase de l'avant-projet sommaire concernant ASTRID s'est terminée à la fin de l'année 2012. La deuxième phase devrait se terminer fin 2015. Une phase d'avant-projet détaillé est prévue ensuite jusqu'à fin 2019 pour permettre, en fonction des décisions qui seront prises à ce moment-là, le début de la construction du démonstrateur industriel.
Parallèlement, parce que les recherches pour les systèmes nucléaires actuels et futurs nécessitent des outils de simulation spécifiques, le CEA développe un parc d'installations expérimentales.
La construction, dans ma région, à Cadarache, du réacteur Jules Horowitz (RJH) en est une illustration. Alors que les réacteurs de recherche en Europe datent des années 1960, le RJH constituera, à terme, une installation unique dédiée aux études, sous irradiation, des combustibles et des matériaux pour les différentes générations de réacteurs nucléaires.
Le CEA ne mène pas uniquement des recherches en matière nucléaire. Il participe par exemple au projet Syndièse qui vise à transformer des végétaux en un gaz, qui est ensuite converti en carburant : biodiesel pour moteurs de véhicules routiers ou maritimes, biokérosène pour l'aviation. Je souhaiterais une fois encore insister sur l'intérêt que présente ce projet, les biocarburants de 2ème génération étant susceptibles de constituer une réponse aux défis énergétiques de la France à l'horizon 2020.
En conclusion, mes chers collègues, et vous l'aurez compris à travers ces quelques exemples, les crédits du programme 190 sont indispensables pour permettre aux opérateurs de l'État, dont l'excellence n'est plus à démontrer, de mener à bien des projets de recherche déterminants pour franchir le cap de la transition écologique et énergétique.
Ces crédits étant globalement préservés dans un contexte financier contraint, je vous proposerai de donner un avis favorable à leur adoption.
M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie pour la présentation de ce rapport à la fois complet et intéressant. Je sais d'ailleurs que vous avez procédé à de multiples auditions et je vous en félicite.
Vous avez évoqué la suppression du montant de la subvention versée à l'Ademe. Quel était le montant de cette subvention ?
M. Jean-Jacques Filleul. - Je souhaite à mon tour féliciter notre collègue pour la qualité de son rapport, qui méritera d'être relu de manière attentive car il apporte de nombreuses informations en matière de recherche et d'innovation sur les questions écologiques et énergétiques. De nombreuses start-ups travaillent, sur tous nos territoires, dans ces domaines. Vous nous avez démontré que le Gouvernement accompagne l'ensemble de ces recherches, nous soutiendrons donc l'avis favorable que vous avez exprimé sur l'adoption des crédits du programme 190.
Mme Chantal Jouanno. - Je souhaiterais à mon tour revenir sur le financement de l'Ademe. Tantôt cette agence a bénéficié de subventions, tantôt de taxes affectées. Bien souvent, le recours à l'attribution d'une fraction de la TGAP a été un moyen de masquer une réduction du budget de l'Ademe. Quelles sont les garanties de maintien du niveau du budget de l'agence ? Par ailleurs, comment évolue le plafond d'emplois rémunérés par l'Ademe ?
M. Charles Revet. - Je félicite également notre collègue pour son rapport très complet. Vous avez évoqué le démantèlement de la centrale de Fessenheim, mais quel est l'état d'avancement de ce projet ? Avez-vous des informations ? Par ailleurs, comment évoluent globalement les crédits en matière de recherche ? Je comprends que certains sont en hausse et que d'autres en baisse... Vous avez même évoqué des suppressions. Y a-t-il des compensations ?
M. Jean-Claude Leroy. - Le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB - joue un rôle très important, mais ses moyens vont être diminués pratiquement d'un quart. J'aurais souhaité que l'effort accompli jusqu'à présent en faveur du financement de cet opérateur soit maintenu.
Mme Geneviève Jean. - En 2014, l'Ademe a perçu 26 millions d'euros au titre du programme 190, ainsi qu'une fraction de la TGAP égale à 448,7 millions d'euros et des transferts de crédits au titre du programme des investissements d'avenir. En 2015, l'agence ne sera plus financée qu'au travers d'une fraction de la TGAP, maintenue à 448,7 millions d'euros, et par les fonds issus du programme des investissements d'avenir. Les emplois sous plafond rémunérés par l'opérateur seront diminués de 19 ETP.
Mme Chantal Jouanno. - L'Ademe subit donc une perte !
Mme Geneviève Jean. - S'agissant de la centrale de Fessenheim, je n'ai pas d'éléments complémentaires à apporter ; les crédits sont ouverts pour financer des travaux de recherche en perspective d'opérations de démantèlement, sans qu'ils soient spécifiques à cette centrale.
Le CSTB n'est pas considéré comme un opérateur de l'État car plus de la moitié de ses ressources est d'origine privée. Il est prévu de lui verser, d'une part, des crédits d'intervention pour un montant de 15,4 millions d'euros, d'autre part, une dotation en capital d'un montant d'un million d'euros.
Je souhaiterais ajouter que tous les organismes que j'ai rencontrés sont disposés à recevoir les membres de notre commission pour présenter leurs travaux de recherche et leurs activités.
M. Rémy Pointereau, président. - Ce rapport est important car la recherche permettra le développement économique. Nous ne pouvons pas baisser la garde !
M. Charles Revet. - Ces précisions apportées, je partage votre point de vue, Monsieur le président : il reste beaucoup à faire pour permettre la transition écologique. Ce n'est pas le moment de diminuer les crédits de la recherche en matière de développement durable ! Je ne peux donc pas être favorable à l'adoption des crédits de ce programme.
Mme Geneviève Jean. - Je tiens à rappeler que les crédits du programme 190 sont, globalement, en légère hausse par rapport à ceux inscrits dans la loi de finances pour 2014, puisqu'ils augmentent de 1,13 % en autorisations d'engagement et de 0,97 % en crédits de paiement. Les crédits alloués à l'IRSN et à l'INERIS sont en baisse, certes, mais ceux alloués à l'IFPEN, à l'IFSTTAR et à l'Anses sont stables ; ceux attribués au CEA augmentent même de 7 % ! Ce dernier opérateur ne mène d'ailleurs pas uniquement des recherches sur le nucléaire. Il en effectue aussi sur les nouvelles technologies de l'énergie.
M. Gérard Miquel. - Je voudrais féliciter notre rapporteure pour avis. Je me réjouis que les crédits « Recherche en matière de développement durable » évoluent positivement. Nous avons la chance d'avoir en France des outils de recherche remarquables. Quelques efforts sont encore demandés : le nombre d'emplois de l'Ademe va diminuer quelque peu et son budget sera réduit, avec compensation par un prélèvement sur la TGAP. Nous sommes dans une période de difficultés et j'espère que les précisions apportées par notre rapporteure pour avis auront rassuré nos collègues.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Recherche en matière de développement durable » du projet de loi de finances pour 2015.
La réunion est levée à 15 h 40.