Mercredi 15 octobre 2014
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -La réunion est ouverte à 16 heures.
Loi de finances pour 2015 - Désignation de rapporteurs pour avis
La commission procède à la désignation de ses rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015. Ils peuvent participer, avec voix consultative, aux travaux de la commission des finances, en application de l'article 18, alinéa 4, du Règlement du Sénat.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, le bureau de notre commission s'est réuni ce matin et a décidé de deux évolutions parmi les avis budgétaires sur les missions dont notre commission est saisie. Il s'agit :
- au sein de la mission culture, de regrouper l'ensemble des crédits du programme création en un seul avis, qui comprendrait donc les avis précédemment dévolus aux arts visuels et au spectacle vivant ainsi que le cinéma ;
- et de faire coïncider les avis de la mission enseignement scolaire avec la répartition des crédits entre ses différents programmes : cinq concernent l'enseignement scolaire proprement dit, y compris l'enseignement professionnel qui ne correspondait pas à un programme en particulier ; le dernier regroupe les crédits affectés à l'enseignement technique agricole.
Ont été désignés :
Mission Action extérieure de l'État
M. Louis Duvernois
Mission Culture
Patrimoines : M. Philippe Nachbar
Création : M. David Assouline
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture : M. Jean-Claude Luche
Mission Enseignement scolaire
Enseignement scolaire : M. Jean-Claude Carle
Enseignement technique agricole : Mme Françoise Férat
Mission Médias, livre et industries culturelles
Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public : M. Jean-Pierre Leleux
Audiovisuel extérieur : Mme Claudine Lepage
Presse : M. Pierre Laurent
Livre et industries culturelles : Mme Colette Mélot
Mission Recherche et enseignement supérieur
Recherche : Mme Dominique Gillot
Enseignement supérieur : M. Jacques Grosperrin
Mission sport, jeunesse et vie associative
Sport : M. Jean-Jacques Lozach
Jeunesse et vie associative : M. Jacques-Bernard Magner
Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 18, alinéa 4, du Règlement du Sénat, ils « participent de droit, avec voix consultative, aux travaux de la commission des finances, pendant l'examen des articles de lois ou des crédits qui ressortissent à sa compétence ».
M. David Assouline. - Je souhaiterais formuler deux remarques. Je constate d'abord que globalement, un choix politique a été fait de regrouper un certain nombre de crédits. Cette répartition varie après chaque renouvellement ; parfois des binômes de rapporteurs sont constitués. La proportionnelle est respectée et je respecte ce choix.
En second lieu, il me semble important de disposer d'une vision plus globale, qui comprendrait les groupes d'études, les groupes de travail, les missions d'information, les nominations au sein des organismes extra-parlementaires, comme cela avait été fait sous les précédentes mandatures.
Par ailleurs, j'appelle votre attention sur la question de la participation de certains rapporteurs budgétaires également membres du conseil d'administration de sociétés ou d'organismes qu'ils sont chargés de contrôler. Sans aller jusqu'à parler de conflits d'intérêts, il me semble qu'il convient de remettre à plat les participations au sein des conseils d'administration - je pense par exemple à la participation de notre collègue Jean-Pierre Leleux, désormais rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel, au conseil de France Télévisions - et fixer une règle claire en la matière.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Comme en bureau de notre commission ce matin, je déplore le regroupement des avis enseignement scolaire et enseignement professionnel. Ce regroupement n'existait pas avant le renouvellement de 2011.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je prends acte de vos remarques. Je constate néanmoins que nous avons beaucoup de nouveaux collègues et que les choses évoluent. La répartition des avis relatifs à l'enseignement scolaire correspond à une vision plus politique des choses.
S'agissant des groupes d'études rattachés à notre commission, six existaient avant le renouvellement. Aux termes de la réglementation arrêtée par le Bureau, les groupes d'études « sont dissous de plein droit à chaque renouvellement partiel du Sénat ». Cette dissolution intervient « à défaut d'une décision expresse du Bureau prise au vu de leurs rapports d'activité et après avis des Présidents de commissions permanentes auxquelles [ces groupes d'études] sont rattachés ». D'ici au 14 novembre, nous disposons donc de temps pour nous prononcer à ce sujet. D'une manière générale, des sujets peuvent apparaître, d'autres sont moins pertinents qu'auparavant. Je vous invite à y réfléchir mais en tout état de cause les groupes d'études ne doivent pas constituer un clone des avis budgétaires - je pense par exemple au groupe Médias et nouvelles technologies.
Enfin, j'ai demandé au secrétariat de la commission de dresser un bilan détaillé des organismes extra-parlementaires après le renouvellement.
M. Jean-Claude Carle. - La répartition des avis budgétaires respecte les équilibres politiques. Il n'y a pas de bouleversement. S'agissant des groupes d'études, il me semble nécessaire de faire un bilan, d'autant que leur prolifération fait peser un risque de dévitalisation de la commission.
Audition de M. Florian Salazar-Martin, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), et Mmes Danielle Buys, Pascale Cauchy, vice-présidentes
La commission auditionne M. Florian Salazar-Martin, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), et Mmes Danielle Buys et Pascale Cauchy, vice-présidentes.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, je me réjouis de débuter ce nouveau cycle d'auditions avec M. Salazar-Martin, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, et plusieurs membres de son bureau. Nous sommes nombreux à bien les connaître ici au Sénat. J'ai moi-même eu le plaisir d'y siéger un certain nombre d'années. Je vous remercie tous d'avoir répondu à notre invitation car il nous semblait important de vous entendre dès à présent, dans la mesure où nous aurons prochainement à nous pencher sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).
Plusieurs dispositions de ce texte, dont notre commission se saisira pour avis, nous intéressent directement : elles concernent, vous le savez, les transports scolaires, la gestion des collèges, mais aussi les modalités d'organisation de la compétence des collectivités territoriales dans les domaines du sport et de la culture.
L'article 28, en particulier, précise que « les compétences en matière de culture, de sport et de tourisme sont partagées entre les communes, les départements et les régions ».
Cet article constitue, pour les domaines ainsi visés, une mesure dérogatoire puisque le texte supprime par ailleurs la clause de compétence générale des régions et des départements.
L'article 29 prévoit la possibilité, pour les collectivités, d'opter pour le guichet unique afin de simplifier l'organisation de l'instruction et de l'octroi d'aides et de subventions, par le biais de la délégation de compétence.
Ces mécanismes de gouvernance s'inscrivent dans la logique des travaux issus de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPAM).
Les débats culturels de ces derniers mois ont pourtant été beaucoup plus loin que ce que prévoit le projet de loi « NOTRe ». Des propositions très variées ont été faites. Je pense évidemment à la déclaration que vous avez signée le 16 juillet 2014 avec dix autres associations d'élus locaux, dans laquelle vous donnez des éléments de définition du « territoire culturel » et vous vous interrogez sur la façon dont on peut articuler l'identité d'un territoire et l'universalité de l'invention artistique. Cette interrogation, vous le rappelez, est nécessaire dans un contexte de contrainte budgétaire marquée par une baisse de 11 milliards d'euros, sur trois ans, des dotations de l'État aux collectivités territoriales.
Je pense également à des propositions que l'on pourrait qualifier de « décapantes » - telles celle d'Emmanuel Négrier, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui a récemment évoqué le scénario d'un transfert des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) aux régions.
Il est donc essentiel de donner la parole aux élus des collectivités territoriales - que nous représentons au Sénat, afin d'appréhender sereinement le débat relatif au projet de loi « NOTRe », dont l'examen en séance plénière pourrait commencer, semble-t-il, au cours du mois de décembre.
Monsieur le président, je vous laisse la parole sans plus attendre, afin que vous nous fassiez part de votre analyse de la réforme territoriale proposée par le Gouvernement.
M. Florian Salazar-Martin, président de la FNCC. - Permettez-moi de rappeler en propos liminaire que le lien entre le Sénat et la FNCC est presque existentiel. Nous souhaitons souligner le travail exemplaire de sa commission de la culture, sur laquelle notre fédération sait qu'elle peut compter. Il nous suffit de regarder le rôle essentiel que vous avez joué dans le domaine de la culture pour défendre sans état d'âme la légitimé de votre assemblée, lorsqu'elle est remise en cause. En cette période perturbée, nous avons plus que jamais, besoin du Sénat, quelle que soit sa majorité politique. La FNCC souhaite alimenter la réflexion sur les enjeux culturels, laquelle manque cruellement aujourd'hui.
La question culturelle est essentielle à nos yeux, car c'est ce qui nous réunit. Comme vous l'avez mentionné, nous avons signé une déclaration avec les autres associations d'élus car nous jugeons nécessaire une certaine harmonisation et l'affirmation d'une responsabilité publique de la culture. Pour ce qui concerne la réforme territoriale, permettez-moi de formuler trois remarques :
- la culture n'est pas, pour nous, une compétence mais une responsabilité publique qui incombe à chaque catégorie de collectivité territoriale et en premier lieu à l'Etat ;
- la question de la place de l'État n'est pas subsidiaire. La proposition formulée récemment par Emmanuel Négrier n'est pas nouvelle, mais il est indispensable de rappeler que l'État doit rester le premier partenaire des collectivités territoriales ;
- la responsabilité culturelle doit être co-construite : c'est une bataille que nous menons depuis la réactivation du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC). Nous ne pouvons pas définir les politiques culturelles sans l'ensemble des partenaires dans les territoires. Chaque collectivité apporte sa contribution, avec sa singularité.
L'étude de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur les financements met en évidence le pragmatisme des élus locaux. Le co-financement constitue l'une des meilleures garanties pour une politique efficiente. J'ajoute que la notion de « financements croisés » peut traduire une forme d'abandon, aussi préférons-nous parler de co-financements, cette expression reflétant davantage le volontarisme politique. L'exemple des scènes nationales est intéressant car il démontre que chacun des partenaires peut apporter non seulement une contribution financière mais aussi une intelligence des territoires. Il convient simplement de veiller à éviter un phénomène d'empilement des contributions, pour favoriser au contraire une véritable conjugaison autour d'un projet unique ou d'un territoire.
La FNCC est très attachée à cette forme de travail. Nous voulons préserver la libre administration de notre volonté politique pour définir les politiques culturelles, leur mise en oeuvre et leur financement. Nous sommes très inquiets quant au contexte actuel et demandons à l'État des garanties de cette liberté.
Nous refusons de nous situer dans un débat d'affrontement car nous sommes attachés au caractère pluraliste de notre histoire. Ce qui nous guide, c'est l'objectif de reconnaissance de la responsabilité publique dans le domaine culturel, la définition d'une gouvernance pouvant ensuite en être déduite. Nous rejetons toute idée de travail dans l'injonction car cela ne donnerait aucun résultat. C'est l'idée de partenariat que nous défendons, et qui est d'ailleurs au coeur des travaux de la CCTDC. Au sein de cette instance unique de concertation, la précédente ministre chargée de la culture a d'ailleurs proposé un pacte culturel entre l'État et les collectivités territoriales.
Mme Pascale Cauchy, vice-présidente de la FNCC. - Pour les régions, la responsabilité de la mise en oeuvre des politiques culturelles doit rester partagée, ce qui nécessite une vision commune. La réforme pose la question de la place et de la responsabilité de l'État dans l'enseignement artistique et culturel. Elle appelle aussi une réaffirmation de la responsabilité des intercommunalités dans le domaine des politiques culturelles, dans lequel elles sont incontournables.
Mme Danielle Buys, vice-présidente de la FNCC. - Nous sommes inquiets car avec une baisse de 11 milliards d'euros des crédits consacrés aux collectivités territoriales, la culture sera le premier poste touché. Au sein des collectivités, les directeurs des affaires culturelles ne sont parfois plus remplacés. Par ailleurs, les subventions des régions et des départements aux scènes nationales ont déjà baissé de 10 %.
Il ne faut pas oublier de réaffirmer l'exception culturelle. La culture est un service public au même titre que la santé et que l'éducation. Chacun doit participer à cette réforme territoriale.
Les sénateurs ont une vraie vision de terrain et ils peuvent être utiles pour défendre une réforme juste. Si je prends l'exemple de Toulouse métropole, on entend que les intercommunalités sont souvent considérées comme un danger, ce qui met en évidence la nécessité de clarifier les rôles. Il faut réaffirmer le caractère indispensable de la culture. La réforme pose également la question de l'avenir des DRAC et de la persistance d'un État fort dans le domaine culturel.
Mme Françoise Laborde. - Certains aspects des évolutions évoquées aujourd'hui étaient déjà en germe dans les précédentes réformes envisagées, comme la loi sur la création. La compétence culture qui n'était pas obligatoire doit rester partagée. J'ajoute que je suis préoccupée par l'avenir des intermittents du spectacle et la baisse des dotations. Sur tous ces sujets j'attends de la FNCC des propositions concrètes.
Mme Françoise Férat. - Je rappelle que lorsque nous avons des budgets contraints, nous avons tendance à réduire les moyens consacrés à la culture. En outre, la question des interventions financières des régions et leur évolution dans le cadre de régions élargies peut susciter des inquiétudes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Monsieur le président, je reprends à mon compte votre observation quant à l'extraordinaire complexité des politiques en matière culturelle, qui me semble profondément juste. C'est précisément dans la capacité du couple que forment la culture et les collectivités territoriales, en articulation avec l'État, qu'on a pu être producteur de cette « intelligence partagée » et de cette capacité de multiplicité des interlocuteurs. Cela a été rendu possible par la capacité d'employer des financements croisés et donc d'être les supports partagés de la mise en oeuvre de cette politique, en lien avec nos territoires.
Vous avez fait l'état d'inquiétudes quant à la réforme territoriale. Si nous n'y prenons pas garde, le remodelage des collectivités territoriales et de leurs compétences, dans un contexte de restrictions budgétaires, peut aboutir à la disparition de pans entiers de nos politiques culturelles. Or, la culture n'est pas un supplément d'âme, elle est au contraire au fondement du vivre-ensemble. En effet, les collectivités constituent les principaux financeurs de la politique culturelle et de nombreux emplois, de contractuels comme de fonctionnaires, sont en jeu.
Nous le voyons, il y a là une multiplicité de questions soulevées par cette réforme. Il nous appartient d'y apporter des réponses.
M. Jean-Pierre Leleux. - J'ai écouté attentivement votre exposé. Cependant je reste encore sur ma faim. Les réactions de mes collègues témoignent des nombreuses questions et inquiétudes suscitées par la réforme proposée. À l'aube d'un débat important sur l'avenir de nos collectivités territoriales, j'aurais souhaité davantage de suggestions de la part de la FNCC.
J'ai cru comprendre que vous étiez partisans d'un statu quo, dans lequel l'État doit rester un acteur majeur dans le domaine de la culture et le premier partenaire des collectivités territoriales. Je comprends également que vous souhaiteriez que la culture demeure une compétence partagée, sans chef de filât ni accompagnement des communes qui doivent garder une liberté entière dans ce domaine.
Mais l'objectif de la réforme territoriale, au-delà de nourrir les colonnes de presse et les débats stériles, est quand même de moderniser l'action publique et surtout d'optimiser financièrement le service public, qui coûterait moins cher en étant mieux organisé. Dans ce contexte-là, nous attendons de vous des propositions concrètes, non de rester sur un discours dont on ne tire en réalité pas grand-chose. Ainsi, quid de l'aménagement du territoire en matière culturelle - afin que deux communes rurales situées à moins de quinze kilomètres l'une de l'autre ne bâtissent pas deux théâtres ? Comment rendre la culture accessible dans les territoires ruraux ? J'ai hélas entendu beaucoup de discours, mais je n'en tire rien de concret.
Mme Sylvie Robert. - Je salue les représentants de la FNCC, dont on connaît la position quant au maintien de la compétence partagée, qui tient compte de la complexité de l'action culturelle.
Il y a cependant des propositions à formuler et une réflexion à mener en matière de politiques culturelles dans nos territoires et de leur financement. Aujourd'hui encore, le bloc communal demeure le premier financeur de la culture. Quant au département et à la région, je pense que leur responsabilité culturelle mériterait d'être mieux qualifiée. Cette réflexion pourra être menée au sein des conférences territoriales de l'action publique, afin d'imaginer la mise en oeuvre du chef de filât ainsi que la clarification des compétences et des responsabilités. Il s'agit de faire en sorte que l'action culturelle sur un territoire donné soit mieux organisée, ses leviers financiers mieux pris en compte par l'ensemble des collectivités.
Il nous faut demeurer vigilant sur cette question dans le contexte actuel de réduction des dotations, mais aussi au regard des choix politiques car la culture, ce sont des choix politiques.
Nous attendons que vous approfondissiez votre réflexion et que vous nous soumettiez des propositions concrètes. Enfin, pour revenir sur les propositions de l'association des régions de France (ARF), il me paraît impossible de créer une compétence à la fois obligatoire et partagée.
Mme Marie-Christine Blandin. - Nous, sénateurs, avons besoin de la FNCC pour éclairer nos choix. Comme notre collègue Jean-Pierre Leleux, il me semble nécessaire de disposer de propositions assez concrètes. Au pied du mur des amendements, entre la dissolution des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et le statu quo, il existe un gradient de choix auxquels les parlementaires vont être soumis.
On vous a peu entendu sur la question du sens, qui est celle du citoyen. Sommes-nous d'accord sur le but poursuivi, lorsque nous investissons de l'argent public dans le domaine culturel ? Vous avez également tenu des propos nuancés sur les financements croisés. Avez-vous travaillé sur les modes de dialogue entre les différentes collectivités territoriales ? Quelle est la part de chacun dans l'exercice des compétences en matière de culture ? Seriez-vous favorable à un partage de l'exercice du soutien à la culture, mais qui serait tout de même accompagné d'une sorte de décantation volontaire, afin d'établir quel est l'échelon le plus approprié ?
M. Florian Salazar-Martin, président de la FNCC. - La FNCC est une fédération responsable, qui travaille sur un consensus dynamique. Nous ne sommes pas dans la posture qui consiste à établir un catalogue de propositions. Pourquoi ? Car notre démarche n'est pas inscrite, elle est contrariée. On nous presse, on nous oblige. Nous ne sommes pas dans une démarche visant à réfléchir et à innover ensemble. Chacun se replie sur son territoire et ses prérogatives, du fait de l'absence de confiance. C'est à cette lumière qu'il faut voir les propositions de l'ARF, qui considère que la meilleure manière de préserver la culture est d'en confier une part croissante de responsabilité aux régions. C'est une manière de voir les choses sur laquelle il ne faut pas jeter l'anathème. Il faut également le considérer comme la réaction à un État qui ne se pose pas la question du bien-fondé et de la pérennité de l'investissement dans la culture.
C'est à vous, législateur, de rappeler qu'il existe une autre manière de faire les choses. Pour répondre à l'exemple de M. Leleux, je ne connais aucun théâtre vide en France. S'il fallait faire en sorte que chacun aille au théâtre, il s'agirait d'en construire dans chaque ville, dans chaque quartier. Or, on voit très bien qu'il ne s'agit pas de la politique actuelle.
Faisons le véritable diagnostic. Il nous faut partir de la réalité, telle qu'établie par le récent rapport de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) ou l'étude d'E&Y commandée par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Le constat est celui d'une insuffisance de culture, par d'une surabondance.
Nous ne connaissons pas encore une équité territoriale, il est donc inutile de donner des leçons aux collectivités territoriales sur l'utilisation de l'argent public. Le débat est-il sérieux ? Part-il d'un diagnostic réel ? Pensons-nous que les collectivités territoriales françaises, dans leur diversité d'approches culturelles, ont joué leur rôle ? Il est utile d'observer ce qui est fait dans les autres pays d'Europe.
Mme Blandin parlait du citoyen, témoin des politiques mises en oeuvre. Nous avons certes dû faire face à la pression du marché, des industries culturelles, mais l'on ne peut nier que nous avons investi dans des politiques définies pour être à son service. Prenons l'exemple des maires ruraux de France, dont le congrès a lieu en fin de semaine. Avec de petits moyens, ces derniers ont réussi à faire des choses formidables. On parle de désert culturel, mais il résulte davantage d'un problème d'équité territoriale que de responsabilité des collectivités. J'aimerais également évoquer les conseils généraux : même dans un département très urbanisé comme le mien, le conseil général joue un rôle essentiel et a mené, et pas seulement d'un point de vue financier, des politiques culturelles importantes. Qui va mener cette action si nous n'avons plus la possibilité de développer ensemble une politique s'appuyant sur la présence des artistes dans les territoires ? Ce diagnostic est nécessaire pour faire une loi si l'on souhaite une plus grande efficacité de l'argent public. Prenons enfin l'exemple de Marseille Provence 2013, dont je préside le comité d'évaluation. La coopération née de cette ambition a offert une opportunité de faire, de construire, malgré la question des métropoles, qui a pourtant freiné un certain nombre de projets.
À la lumière de ces exemples, j'affirme que la FNCC n'est pas pour le statu quo. Non seulement parce que la démocratisation est à bout de souffle, mais aussi parce que la culture n'est pas que dans la culture car elle constitue une dimension transversale de la politique publique. Il convient désormais de changer de paradigme : la question n'est plus celle du « 1 % culturel », mais plutôt de la dimension culturelle des politiques publiques. Nous sommes les seuls à avoir fait une déclaration politique très forte sur les droits culturels. Mais lorsqu'on évoque les droits culturels avec les artistes, ils n'apprécient évidemment pas cette approche car la culture est une profession sinistrée.
Notre pays peut s'enorgueillir des belles réalisations qui le démarquent de ses partenaires européens. Nous pouvons être fiers de ce que nous avons construit, même dans un petit village tel que Gargilesse, une commune de 300 habitants. Notre désir est de continuer à travailler avec les associations, sur le terrain, plutôt que d'agir en réaction à l'État. Cependant la difficulté est que nous sommes aujourd'hui soumis à la contrainte et il est difficile d'être inventif dans un cadre aussi contraint. Sachons prendre nos responsabilités.
En outre, nous ne sommes pas favorables à un transfert des DRAC car nous ne pouvons tolérer un démantèlement de l'État. Si nous faisons l'inventaire de ces directions régionales, nous pouvons dire qu'elles sont essentielles même si aujourd'hui nous n'avons plus la même relation avec elles en raison du poids des questions normatives qu'elles doivent gérer. Il faut redonner du sens aux DRAC, en gardant à l'esprit qu'il existe déjà 400 000 normes dans notre pays et qu'il est temps de cesser de contraindre l'action publique. Permettez-moi d'évoquer la compagnie Ilotopie que dirige Bruno Schnebelin. Lorsque ce dernier formule une proposition, il intègre dans son travail artistique toutes les contraintes normatives de l'État.
Pour ce qui concerne la question de chef de file, il convient de se demander s'il est bien utile d'écrire noir sur blanc la répartition des compétences, plutôt que de la définir de façon pragmatique dans le cadre de projets partagés. D'ailleurs, cette approche existe puisque dans certains territoires, la région exerce la compétence du cinéma. Faut-il inciter à définir un cadre pour chaque projet plutôt que de l'imposer de façon définitive ? Faut-il le faire par la loi ? En tout cas, il ne me semble pas positif de créer une norme qui impose les choses de manière définitive. Mais il est vrai que la question du patrimoine nécessite une vraie politique et les régions pourraient en être responsables pour partie. Laissons aux régions l'opportunité de se coordonner sans procéder par injonction. Gardons la liberté, pour les élus des petites communes ou d'intercommunalités, de mener des politiques publiques décidées avec la population, pour ne pas retomber dans la même vindicte que celle de l'État. Nous n'avons pas besoin de nouvelles normes pour contraindre mais plutôt pour agir. La FNCC transmettra rapidement un document de travail avec des propositions concrètes pour construire un projet avec les autres associations d'élus.
M. Jean-Léonce Dupont. - Je n'ai pas une réaction très différente de ce que nous avons déjà entendu. Nous sommes dans un cas d'une immense difficulté. Aujourd'hui il ne s'agit plus de rabotage mais bien d'amputation. La question qui se pose est : quels domaines doivent être supprimés alors que chacun a bien souvent les arguments pour être conservé voire développé ?
Je vais citer les chiffres de mon département pour illustrer cette difficulté : par rapport à l'année dernière les dotations de l'État vont diminuer de 10 millions cette année, puis de 25 millions l'année prochaine et enfin de 40 millions au total l'année suivante. Ces baisses concernent un budget de 750 millions pour lequel 80 % des dépenses sont engagées quoiqu'il arrive, notamment dans le cadre des politiques de solidarité dont le département a la charge. Compte tenu de la conjoncture économique, vous vous doutez que les droits de mutation ne représentent qu'une ressource peu importante. Et les dernières décisions de l'État relatives aux collectivités représentent 15 millions de dépenses supplémentaires. Ainsi, il est évident que nous allons devoir faire des choix douloureux, fussions-nous extrêmement motivés pour défendre le domaine culturel et patrimonial. Nous allons devoir impérativement réaliser des arbitrages et naturellement, notre demande face à cette situation difficile serait plutôt une diminution des compétences. Nous ne sommes donc plus dans la situation où nous demandions des compétences nouvelles. Les choix vont être terribles dans les années à venir. Je suis désolé de dire cela brutalement, mais je pense que cette hypothèse sera malheureusement valable pour les dix années à venir.
M. Jacques Grosperrin. - Je voudrais ajouter que vous êtes confrontés à plusieurs défis. Le premier est d'inscrire la politique culturelle comme un axe majeur et transversal de la politique territoriale. Il s'agit d'assurer un projet cohérent et ambitieux avec des marges budgétaires et financières de plus en plus étroites. Mais c'est également avoir une vision plus précise des champs culturels sans les cloisonner afin de permettre l'interdisciplinarité. J'ai bien conscience du rôle des collectivités territoriales dans le développement culturel.
J'ai quatre questions à vous poser. N'y a-t-il pas incohérence entre la compétence des collectivités territoriales et la politique culturelle de l'État ? Les collectivités locales ne sont-elles pas que le supplétif de l'État en matière culturelle ? La décentralisation culturelle existe-t-elle vraiment ? N'est-ce pas un leurre ? Et enfin, ne faut-il pas repenser le modèle culturel français ?
Mme Dominique Gillot. - Le débat est compliqué. J'entends tout et son contraire dans les revendications. À la fois une demande de clarification des compétences, mais aussi une demande de portage politique et financier afin de pouvoir assumer la liberté d'exercer une politique publique utile à l'ensemble de la population.
Clarification des responsabilités, compétences partagées, obligatoires... Ces mots se conjuguent à l'infini mais ne donnent pas de cadre.
Nous avons eu ce même débat pour les universités. J'ai entendu les présidents d'université, à qui on proposait de signer un contrat de site, répondre qu'ils n'étaient pas sortis de l'autorité de l'État pour retomber sous l'autorité des régions. Vous tenez le même langage. Mais à un moment donné, il faut bien un cadre pour fixer l'ensemble des responsabilités qui sont celles de la démocratie au regard de la population à laquelle nous nous adressons.
Tout le monde est d'accord pour dire que la culture est une politique publique transversale, interdisciplinaire, vecteur de partage, d'élévation du niveau de connaissances, vecteur de désir, d'émancipation, d'invention...
Il existe un cadre pour mettre tout cela en oeuvre. C'est la loi qui fixe les objectifs, les enjeux, qui définit une stratégie nationale. Il y a ensuite le contrat entre les différentes parties pour parvenir à satisfaire aux obligations, qui ne sont pas forcément les mêmes suivant la richesse des territoires et leurs aspirations. C'est là que la politique territoriale prend toute sa dimension parce qu'il y a un dialogue à établir entre les partenaires, les financeurs et le public.
Pouvez-vous envisager de réfléchir à la définition d'une politique culturelle contractuelle bornée mais consentie ? Il s'agirait d'une adhésion volontaire dans la perspective de satisfaire une stratégie nationale.
Mme Françoise Cartron. - Je suis perplexe parce qu'il existe une réalité qui s'applique à nous tous, c'est le déficit de l'État qui pèse globalement. De même, le texte sur la réforme territoriale qui propose une réorganisation, n'implique pas automatiquement que ce soit la culture qui soit la première touchée. C'est une question de choix politique et de priorités à établir. Il ne faudrait pas qu'on assimile trop rapidement causes et conséquences et que les restrictions budgétaires qui doivent être portées par tous, ne se traduisent pas immédiatement par des coupes sombres dans les dépenses culturelles.
D'autres questions se posent. Ces dernières années, il y a eu un foisonnement d'initiatives culturelles et de création de lieux de culture. Mais ce sont toujours les mêmes qui fréquentent ces lieux. Il n'y a pas suffisamment d'ouvertures et d'élargissement des publics, ce qui pose la question de l'éducation artistique et culturelle. Les pratiques culturelles doivent devenir naturelles ; cela me semble un enjeu essentiel.
Par ailleurs, on entend dire depuis longtemps qu'il n'y a rien de pire que notre millefeuille territorial, que tout le monde se mêle de tout. Pour être plus lisible, il fallait définir des niveaux et désigner des chefs de file. Je ne pense pas qu'il faille assimiler chef de file et normes. Le niveau de l'intercommunalité me semble pertinent, car si les communes portent chacune une ambition culturelle, le niveau de l'intercommunalité permet de donner de la cohérence à un territoire et d'accompagner les communes pour monter en qualité. Une mise en réseau pourrait profiter à tout le monde. Ainsi, la communauté urbaine de Bordeaux a créé un portail numérique commun des bibliothèques et médiathèques. Cette mutualisation a pour objectif d'enrichir l'offre pour les citoyens et permettre à chacun de ne pas se lancer dans des projets démesurés par rapport à la taille de la commune. L'offre culturelle est plus efficiente dans le partage et dans cette mise en commun.
M. Florian Salazar-Martin, président de la FNCC. - J'ai, pour ma part, du mal à imaginer la façon dont l'État pourra déléguer aux collectivités territoriales des compétences en matière culturelle qu'il n'assume pas lui-même actuellement. La restriction du champ d'action du ministère de la culture l'empêche d'avoir un réel dialogue avec les collectivités et dans les territoires, des transversalités se mettent en oeuvre sans l'État.
En matière culturelle, comme d'ailleurs dans le domaine de l'enseignement, l'État est cependant en mesure de proposer des schémas utiles, comme il a pu le faire, par exemple, pour les arts de la rue ou pour l'enseignement artistique.
Nous devons adopter des méthodes de travail en adéquation avec ce qui peut être fait sur le terrain. Ainsi la FNCC a créé, il y a maintenant près de dix ans, des conférences territoriales, sur des thèmes tels que le spectacle vivant, où représentants de l'État et élus des collectivités ont pu dialoguer de manière fructueuse.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette première audition est l'occasion de marquer le début de notre réflexion sur la réforme territoriale, sur laquelle notre commission émettra un avis, dans la mesure où les domaines relevant de sa compétence seront impactés. Nous devrons travailler sur le texte, non pas simplement en validant des mesures d'économies, certes nécessaires, qui se feraient au détriment de nos missions culturelles, mais en cherchant une meilleure efficacité de nos politiques dans ce domaine.
Comme l'a rappelé Jean-Léonce Dupont, nous nous trouvons actuellement dans une situation financière très délicate, et l'État semble vouloir se délester d'un certain nombre de charges sur les collectivités, sans que rien ne soit organisé pour cela dans les territoires, ainsi qu'en témoigne le caractère plutôt lapidaire de l'article 28 du projet de loi.
C'est pourquoi nous attendons avec intérêt les propositions que la FNCC pourrait formuler sur ces questions, de même que nous entendrons très prochainement les associations d'élus.
M. David Assouline. - Il importe que notre réflexion sur l'action culturelle intègre les nouveaux modes de diffusion permis, notamment, par les outils numériques.
Mme Colette Mélot. - À l'occasion, je souhaiterais connaître le point de vue de la FNCC sur le 1 % culturel, dont le taux d'utilisation ne cesse de diminuer depuis des années.
M. Florian Salazar-Martin, président de la FNCC. - Toutes les questions des parlementaires, par exemple sur les chefs de file, susceptibles de susciter des propositions de la FNCC sont les bienvenues.
La réunion est levée à 17 h 40.