Mardi 24 juin 2014
- Présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente -La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche
La commission auditionne M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Françoise Cartron, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à l'audition de M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce sont les questions relatives à l'enseignement scolaire qui nous occuperont en préparation de la rentrée de septembre. Une audition de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche est prévue le 9 juillet et nous pourrons évoquer ces deux questions à cette occasion.
Le 8 juillet 2013, le Parlement adoptait la loi d'orientation pour la refondation de l'école de la République. Près d'un an plus tard, nous pouvons commencer à mesurer le chemin parcouru : les choix budgétaires ont confirmé la priorité donnée au primaire, depuis trop longtemps parent pauvre du système éducatif ; la politique d'éducation prioritaire est relancée avec une révision de sa distribution géographique ; la préscolarisation des enfants de moins de trois ans, notamment dans les zones les plus fragiles, est reprise ; la formation des enseignants est reconstruite au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) dont notre commission a suivi pas à pas la mise en place.
Vous nous en parlerez, monsieur le ministre, de même que de l'avancement du chantier des auxiliaires de vie scolaire (AVS) en vue de consolider leurs contrats de travail et de pérenniser l'accompagnement qu'ils dispensent, ce qui est attendu par beaucoup de familles d'élèves handicapés.
Je ne doute pas que mes collègues trouveront également matière à vous interroger sur la généralisation des nouveaux rythmes scolaires et sur la poursuite des travaux du Conseil supérieur des programmes.
Je vous cède la parole pour une courte intervention générale, avant de répondre aux questions des membres de la commission.
M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Permettez-moi de vous présenter tout d'abord ma perception de la situation de l'école aujourd'hui. Si beaucoup de défiance s'exprime à l'égard de l'institution scolaire, c'est que celle-ci ne parvient plus à assurer l'égalité des jeunes citoyens face à la réussite. Nous sommes en effet loin du mythe d'une école qui assurerait l'égalité républicaine ! L'institution scolaire ajoute désormais au déterminisme social une forme de déterminisme scolaire. Il nous faut redonner de la paix et de la sécurité à l'école pour qu'elle accomplisse sa mission fondamentale : assurer la réussite de chacun. Il nous faut une école apaisée pour une France apaisée.
Depuis deux ans, le Gouvernement a consacré les moyens nécessaires à la réussite de cette démarche. 60 000 postes ont été créés afin de pallier partiellement la suppression de 80 000 postes durant la présidence de M. Nicolas Sarkozy et d'assurer la réalisation des objectifs, notamment qualitatifs, de la refondation de l'école initiée dès le début du quinquennat. Près du tiers des nouveaux moyens a été consacré à la formation initiale des enseignants. Le ministère de l'éducation nationale est ainsi devenu, avec près de 22 000 professeurs stagiaires qui partagent leur temps entre la classe dont ils sont responsables et l'apprentissage des techniques pédagogiques et éducatives, le premier employeur par alternance en France. Le contenu de la formation des personnels enseignants et d'éducation a singulièrement évolué depuis ces dernières années et inclut également les relations avec les parents. Mais l'effet d'une telle évolution ne pourra être évalué que dans plusieurs années.
La formation continue des enseignants constitue également une priorité. Un effort est tout particulièrement consacré à l'utilisation des ressources numériques qui permettent, lorsqu'elles sont adossées à des pédagogies efficaces, de lutter contre les inégalités et d'améliorer l'apprentissage des élèves dyslexiques ou dyspraxiques. L'utilisation de ces technologies permet de réaliser l'ambition du Gouvernement que l'école réponde aux intérêts des élèves, à l'instar de la réforme des rythmes éducatifs et scolaires. À ce titre, les dernières décisions du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui annulent les délibérations des conseils municipaux d'Asnières-sur-Seine et de Levallois-Perret de ne pas appliquer la réforme, rappellent que l'organisation du temps scolaire relève de l'État, tandis que celle du temps périscolaire incombe aux collectivités locales. D'ailleurs, pour la rentrée prochaine, un site Internet devrait permettre aux parents de connaître l'organisation des nouveaux temps scolaires dans près de 80 % des établissements publics. Une part croissante des établissements privés sous contrat s'engage dans la réforme et je salue le soutien qu'apportent les responsables de l'enseignement catholique.
Il est vrai que la réforme des rythmes scolaires a quelque peu cannibalisé, dans les médias, la perception de l'ambition éducative globale du Gouvernement, qui vise notamment à recentrer l'école primaire sur les apprentissages fondamentaux que sont la maîtrise du français et des mathématiques. Les récentes études, qui ont démontré que la lecture des enfants ne s'accompagnait pas de la compréhension de ce qu'ils lisaient, se révèlent inquiétantes et des moyens doivent être mobilisés pour corriger une telle situation.
En outre, les enquêtes du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) ont souligné que les enfants français demeuraient les champions d'Europe du poids de l'origine sociale dans leur évolution scolaire. Cette situation est d'autant plus paradoxale qu'elle est antinomique avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pourtant affichée dans toutes les écoles de la République. Notre mission doit être d'assurer aux élèves les moyens de s'extraire de leur origine sociale modeste et de réussir. Les principes de la République sont remis en cause par l'inertie sociale du système éducatif. C'est pourquoi une grande réforme pédagogique est nécessaire. En ce sens, le Conseil supérieur des programmes élabore la définition du socle commun de connaissances, de connaissances et de culture, qui sera soumis aux enseignants. Ce travail sera aussi déterminant pour rénover la procédure d'orientation scolaire qui est aujourd'hui trop subie.
J'en viens à présent à l'évaluation qui fait l'objet d'une grande conférence nationale. L'étude PISA a indiqué que les enfants français répondent le moins aux questions posées par leurs enseignants par peur de la sanction infligée en cas d'erreur. Il ne s'agit pas de mettre fin à la notation, mais de l'utiliser à bon escient. L'exemple européen des niveaux d'évaluation en matière d'apprentissage des langues étrangères peut nous inspirer, en ce qu'il permet de mieux appréhender la progression dans l'acquisition des savoirs et la complexité des apprentissages que les critères de notation actuellement en vigueur. La mise en oeuvre de nouvelles méthodes d'évaluation, au service d'une école qui soit à la fois plus exigeante et bienveillante, pourrait du même coup profiter à nos élites que le mode de sélection actuel ne dote pas des outils nécessaires au travail collaboratif qu'il leur faut conduire de plus en plus !
S'agissant de la formation des enseignants, ceux-ci, lorsqu'ils se trouvent face à une classe, se retrouvent la plupart du temps démunis. C'est pourquoi le tronc commun de leur formation devrait être modifié par l'inclusion de nouvelles thématiques comme la laïcité ou encore l'égalité entre filles et garçons et ce, quel que soit le niveau des élèves auxquels ces enseignants s'adressent. Je respecte bien évidemment la liberté pédagogique des enseignants, mais il faut introduire de nouvelles normes et régulations afin que l'école parvienne à se libérer des déterminismes scolaires qui viennent conforter les déterminismes sociaux.
Les zones d'éducation prioritaires devraient, elles aussi, évoluer du fait de l'introduction d'un nouvel indicateur social à l'aune duquel 104 nouveaux réseaux d'éducation prioritaire devraient être identifiés. Cet indicateur repose sur quatre variables, à savoir le nombre d'élèves cumulant un retard en matière d'apprentissage, le nombre de boursiers, la proportion d'entre eux issus de milieux défavorisés et leur localisation dans des zones urbaines sensibles ou des zones rurales isolées. La mise en oeuvre de cette nouvelle carte de France de l'éducation prioritaire ne devrait pas, pour autant, s'avérer trop brutale puisqu'un dispositif d'accompagnement des territoires qui ne seront plus reconnus comme prioritaires dans cette nouvelle cartographie, alors qu'ils l'étaient précédemment, devrait être assuré pendant trois ans.
Cette reconfiguration des réseaux doit aller de pair avec une stabilisation des équipes pédagogiques qui doivent être renforcées par une meilleure rémunération et une formation adaptée. Les enseignants de l'éducation prioritaire devraient également bénéficier d'allègements, à hauteur de 54 heures par an, pour travailler en équipe sur différents progrès pédagogiques. Enfin, une meilleure articulation entre l'école primaire et le collège, dans ces réseaux, devrait être assurée. La loi de refondation de l'école a ouvert la possibilité de constituer des conseils école-collège.
L'ensemble de ces mesures constitue le fondement de la politique éducative du Gouvernement, c'est-à-dire le refus de l'inertie et de l'immobilisme. Notre objectif est de s'attaquer durablement aux blocages qui conduisent trop d'enfants de la République à considérer qu'ils sont voués à l'échec.
Mme Françoise Cartron, présidente. - Merci, monsieur le ministre, pour votre exposé complet, qu'anime un réel volontarisme. Je passe la parole à mes collègues qui ne manqueront pas de vous interroger sur les nombreux points que vous avez soulevés au cours de votre intervention.
Mme Françoise Férat. - Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos précisions sur la réforme des rythmes scolaires et sur la formation des enseignants qui me paraissent aller dans le bon sens. Je souhaite évoquer le métier d'enseignant qui est aujourd'hui malmené. Il est loin le temps où les professeurs étaient des notables ! Une telle évolution est sans doute la raison de la crise des vocations que nous constatons actuellement dans l'éducation nationale.
Par ailleurs, je reviendrai sur la question de la notation. Nous avions, avec notre collègue Jacques Legendre, auditionné un professeur de l'Université Paul-Sabatier de Toulouse qui déplorait la « constante macabre », signe de défiance envers les élèves. La conférence nationale de l'évaluation, que vous venez d'ouvrir, prendra-t-elle en considération de tels travaux ? Enfin, en tant que rapporteur pour l'enseignement agricole, j'attire votre attention, monsieur le ministre, en cette période d'arbitrage interministériel, sur la nécessité de soutenir le programme 143 de la loi de finances qui regroupe les crédits qui y sont consacrés.
Mme Corinne Bouchoux. - Je vous remercie pour votre démonstration d'énergie, monsieur le ministre, et nous espérons que celle-ci transparaisse dans vos actes pour transformer un système inégalitaire et inepte. Mais selon quelles modalités ? La nouvelle conférence de l'évaluation que vous venez de constituer n'a-t-elle pas vocation à concurrencer le Conseil supérieur des programmes ? Une telle situation ne reflète-t-il pas un problème plus général affectant le fonctionnement de l'éducation nationale où s'enchevêtrent diverses structures qui travaillent de manière isolée sur des thématiques parfois redondantes. Comment comptez-vous diffuser une méthode de travail plus coopérative entre ces diverses instances ?
Mme Claudine Lepage. - Pourriez-vous, monsieur le ministre, évoquer les perspectives de coopération entre votre ministère et le ministère des affaires étrangères, qui met en oeuvre un plan d'action défini en août 2013 et dont le renouvellement du pilotage de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) est l'un des aspects ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Monsieur le ministre, je salue votre enthousiasme et votre énergie. Nous avons, avec certains de mes collègues, pu suivre plus avant la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires dans le cadre d'une mission commune d'information qui vient d'achever ses travaux. Je reconnais ainsi que votre politique de changement du système éducatif a bel et bien été occultée par cette réforme, qui requiert du temps pour que son contenu soit approprié par les acteurs concernés. Mais, l'absence de concertation préalable me paraît une erreur de méthode qui obère le reste de la démarche du Gouvernement. Il eût mieux valu intégrer la réforme des rythmes scolaires dans la loi sur la refondation de l'école afin de remédier à l'incompréhension des élus locaux, notamment en milieu rural, qui connaissent de réelles difficultés, tant financières que logistiques.
Ne pourrait-on pas mettre en oeuvre une expérimentation approfondie dans certaines zones avant de généraliser ultérieurement cette réforme ? Pourrait-on profiter de cette expérimentation pour tirer un premier bilan des conséquences induites par le changement des rythmes scolaires sur les enfants ? En outre, je ne peux que me faire l'écho des élus qui souhaitent que soit pérennisé le fond d'accompagnement de la réforme.
Pourriez-vous enfin, monsieur le ministre, nous indiquer comment vous concevez la coopération entre votre ministère et celui de la culture, à l'occasion de l'insertion de la réalisation du plan d'éducation artistique et culturel dans la réforme des rythmes scolaires ?
M. Jacques-Bernard Magner. - Nous en sommes à la première étape de la réforme de la formation, qui a déjà enregistré d'importants résultats. Ainsi, l'augmentation de plus de 30 % du nombre d'étudiants dans les filières des masters « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF), l'amélioration de la formation professionnalisante destinées aux professeurs, la recherche de meilleures conditions de travail et l'ouverture d'un plus grand nombre de postes que par le passé, ne peuvent que renforcer le soutien aux élèves.
Par ailleurs, la réforme des rythmes scolaires constitue une formidable opportunité pour les associations d'éducation populaire qui, comme dans ma communauté de communes forte de 9 000 habitants et de 900 élèves, réinvestissent l'école.
Cependant, comme notre collègue Mme Corinne Bouchoux, je reconnais que de nombreuses instances, qui sont acteurs des différentes réformes, ne communiquent pas assez entre elles. Par exemple, le foisonnement d'idées qui émane d'eux n'est pas toujours relayé vers le Conseil supérieur des programmes. Pourtant, la réforme des programmes ne doit pas se limiter à un échange entre experts ; il importe que les praticiens soient entendus. Enfin, monsieur le ministre, je salue votre enthousiasme.
M. Benoît Hamon, ministre. - Il est vrai qu'un grand nombre d'enseignants constate la précarisation de leur métier dans une école dont il faut changer la structure. Un tel sentiment, je vous l'accorde, n'est pas sans nourrir une certaine forme d'anxiété. Les instruments de formation continue et les référentiels des métiers, ont cependant évolué, comme jamais, depuis ces deux dernières années. La crise des vocations - même s'il faut demeurer prudent en la matière - semble s'être enrayée, comme en témoigne l'augmentation du nombre de candidats aux concours, de plus de vingt mille entre 2013 et 2014, y compris dans les disciplines considérées comme sensibles. L'attractivité de la carrière nous préoccupe toujours, mais la restauration de la formation dans les ÉSPÉ nous semble de nature à l'améliorer.
S'agissant de la notation, vous faisiez référence aux travaux du Professeur Antibi qui visent à faciliter la réussite des élèves en préconisant une nouvelle forme de notation. Il est certain que ses recherches seront prises en considération par le jury de la conférence nationale qui sera présidé par le Professeur Étienne Klein, dont la double culture philosophique et scientifique en fait la personne idoine pour assumer de telles fonctions. La composition de ce jury fera également l'objet d'un appel à candidatures et rassemblera trente personnes issues du monde de l'éducation et d'autres secteurs d'activités. Ce comité devrait remettre ses conclusions d'ici au 30 décembre prochain.
Cette réforme ne peut aboutir que si elle repose sur un consensus. Nous sommes responsables du changement d'une situation qui nous arrange par ailleurs, car nous faisons partie de ceux qui connaissent les codes de la réussite et les clefs de l'école, que nous pouvons transmettre à nos enfants. Ce n'est pas un mince défi que de convaincre les élites de modifier, elles-mêmes, le système dont elles sont issues. C'est pourquoi il nous faut nous concentrer sur les freins qui préviennent, ou retardent, cette évolution.
S'agissant du Conseil supérieur des programmes, dont je salue deux représentants dans cette salle, la démission de son président n'est nullement la conséquence de l'installation de la conférence nationale sur l'évaluation des élèves, qui a pour vocation de trouver de nouvelles perspectives sur cette question. La définition du socle commun devra, avant tout, être conduite par son successeur. Il est vrai que ma démarche profite de ma méconnaissance de certaines chasses gardées au sein du ministère ; j'ignore d'autant plus facilement les totems susceptibles de freiner le déroulement de la réforme. Mais si ma démarche ne suscite pas le consensus nécessaire, je prendrai mes responsabilités.
La coopération et la coordination des actions avec le ministère des affaires étrangères, dont l'AEFE assure la gestion du réseau, fort de 488 établissements qui rassemblent quelque 319 000 élèves, sont le gage de la promotion du français et du rayonnement culturel de notre pays en dehors de ses frontières. Nous devons cependant être particulièrement vigilants lorsque ces établissements, qui assurent la formation des enfants d'expatriés et des élites étrangères qui sont appelés à devenir les décideurs de demain, sont situés dans certains territoires en proie à l'instabilité politique.
S'agissant de la carte scolaire, une première expérimentation s'est déroulée dans le département du Cantal, en relation avec le rectorat, l'inspection académique, et les élus pour permettre de jeter les bases d'une méthode qui ne heurte pas les territoires. Car la fermeture d'une classe, voire d'une école, peut apparaître aux élus comme l'acte de décès de territoires déjà en proie à la désertification. Ceci implique un travail collectif de coopération sur trois ans au moins.
La réforme des rythmes constitue un plus et donne des opportunités nouvelles pour l'éducation artistique qui, à mes yeux, doit cependant conserver toute sa place dans le socle des programmes.
La conduite de la réforme des rythmes scolaires a fait l'objet d'une évaluation sur quatre mille communes dans huit séminaires inter-académiques. Une telle démarche a entraîné, notamment pour les femmes enseignantes, en raison de la suppression des congés du mercredi, des bouleversements sur la vie tant professionnelle que personnelle. Cependant, cette réforme a conduit à trois avancées significatives. D'abord, une matinée de plus c'est une chance de plus de réussir. Ensuite, les écoles, qui ont mis en oeuvre la réforme, ont pris de l'avance sur leur programme et ont permis d'aborder des matières parfois délaissées, ou d'insister sur les apprentissages fondamentaux avec certains élèves en difficulté. Enfin, les projets éducatifs conduits au niveau local ont bénéficié de la réforme, qui a permis d'améliorer les contenus des activités périscolaires au bénéfice des écoliers. Mais une telle démarche s'inscrit sur la durée et il est difficile, à l'échéance d'une seule année, d'en évaluer la portée !
La pérennisation du fond d'amorçage, destiné à aider les communes à l'application de cette réforme, devrait être assurée pour une année supplémentaire et je ne m'interdis pas de revoir son attribution par l'introduction de critère de ressources. Je suis ouvert à des propositions de modulation des sommes allouées par le fonds. Il fallait veiller que la mise en oeuvre de cette réforme des rythmes scolaires ne conduise pas à créer de nouvelles inégalités entre les communes. Elle ne doit pas non plus nourrir une certaine conception consumériste de l'établissement scolaire. C'est pourquoi, la réaffirmation du rôle de l'État, comme l'illustrent les deux décisions des juridictions administratives que j'ai évoquées, me paraît une bonne chose.
Mme Françoise Cartron, présidente. - À la suite de votre propos, monsieur le ministre, je ne peux que me faire l'écho des conclusions de notre mission commune d'information qui avait déjà identifié certains bénéfices de l'application du nouveau temps scolaire. Une diminution très significative des accidents sur la pause méridienne a ainsi été constatée dans les villes difficiles qui accueillent des populations marginalisées, ainsi qu'une baisse globale de la violence. La réforme participe à l'amélioration du climat de vie scolaire. Nous avions aussi proposé que le fonds de soutien aux communes fonctionne de manière plus équitable qu'actuellement en tenant compte du potentiel fiscal ou de l'importance de l'effort éducatif des communes. Nous sommes animés par des préoccupations identiques !
Mme Françoise Laborde. - Beaucoup de choses ont déjà été dites. Sans vouloir divulguer le contenu du projet de rapport de la mission commune qui n'a pas été adopté, certaines préconisations peuvent être émises, s'agissant notamment du choix de la journée pour les activités périscolaires, qui ne sauraient être cantonnées au vendredi après-midi. Une organisation en deux séances d'une heure trente est préférable à un fractionnement en quatre périodes de quarante-cinq minutes, bien plus difficiles à assurer pour des communes ne disposant pas des moyens suffisants. À cet égard, nous n'avions pas anticipé les effets dommageables de l'exemple de Lyon : contrairement à ce qui s'y pratique, le choix du vendredi après-midi doit induire la scolarisation le samedi matin ! En outre, il importe d'insister sur la gratuité de ces activités qui permettent à des écoliers, issus d'un milieu modeste, de découvrir d'autres horizons.
Enfin, je me ferai l'écho d'un article du journal La Croix qui présente le nouvel aménagement du temps scolaire comme favorisant l'essor d'activités patronnées par des associations religieuses. Prenons garde à ce que les bénéfices de cette réforme ne soient pas confisqués au détriment des enfants et au bénéfice des cultes ! Il faudrait que les rectorats préviennent un tel détournement avec force et vigueur ! Il va sans dire, à l'inverse, que la promotion de la laïcité dans la formation des élèves-professeurs stagiaires, comme vous l'avez évoquée, monsieur le ministre, suscite ma pleine et entière adhésion.
Mme Dominique Gillot. - Je partage les craintes qui viennent d'être exprimées par ma collègue sur la récupération du temps non scolaire par d'autres institutions que l'école publique.
S'agissant des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), de la constitution de leurs équipes de formation ainsi que des conseils d'école, il est important d'ouvrir ces instances aux organisateurs des activités périscolaires pour éviter que leur approche des problèmes se limite à une dimension strictement universitaire. Les recteurs ne pourraient-ils pas siéger, à titre personnel, au sein de ces établissements ?
J'entends votre optimisme prudent sur l'enrayement de la crise des vocations. Mais le niveau académique des nouveaux recrutés est-il satisfaisant ? Comment s'assurer de la qualité des stages destinés aux nouveaux personnels alternants ? Ne faut-il pas également constituer des équipes d'enseignants autour de projets pédagogiques partagés ?
Par ailleurs, quelle peut être l'évolution du statut de directeur d'école, actuellement précaire puisqu'il s'agit d'un enseignant auquel est confiée une fonction supplémentaire sans pouvoir hiérarchique, afin d'asseoir son autorité sur ses collègues ?
Il nous paraît important de redéfinir l'évaluation au niveau du lycée en articulation avec la stratégie nationale de l'enseignement supérieur afin que les élèves du secondaire soient en mesure de mieux préparer leur orientation vers l'enseignement supérieur. La Conférence nationale sur l'évaluation, que vous venez d'installer, monsieur le ministre, ne pourrait-elle pas se saisir de cette question ?
Enfin, je me ferai l'écho de mon expérience en Guyane où j'ai pu mesurer le déficit de maîtres et de moyens éducatifs. Les technologies numériques ne pourraient-elles pas remédier à de telles situations, non seulement pour y prodiguer des cours à distance, mais aussi pour y élever le niveau de la formation au métier d'enseignant ?
Mme Colette Mélot. - Le numérique me paraît en effet un enjeu de civilisation, mais les enseignants sont très rarement formés à son utilisation, alors même que de nombreuses communes ont déjà fortement investi dans ce domaine. Pourquoi ne pas utiliser les MOOC (massive open online course) ou plutôt les cours en ligne ouverts à tous (CLOT) pour former les enseignants au numérique ? Par ailleurs, la relation entre les enseignants et les élus locaux est essentielle et la formation des professeurs devrait insister sur ce point.
M. Maurice Antiste. - Monsieur le ministre, votre souci de modifier les critères de la notation me touche particulièrement et corrobore mon expérience de professeur de lettres. Afin de faire en sorte qu'un élève ne se considère pas en échec dès le début de l'année scolaire, j'ai eu à coeur d'individualiser l'évaluation des travaux qui m'étaient rendus afin d'encourager et de suivre au mieux les progrès de mes élèves. Il me paraît en effet essentiel, pour enrayer la spirale de l'échec, de fixer des objectifs précis et individualisés qui concourent au progrès de chacun. Je vous apporte ainsi mon soutien plein et entier sur la réforme de la notation et je suis prêt à exposer ma propre expérience d'enseignant à l'occasion de ce débat.
M. Jacques Legendre. - Nous sommes plusieurs dans cette salle à partager l'expérience de la pédagogie et par conséquent de l'évaluation. Les interrogations sur cette dernière ne sont pas nouvelles et concernent jusqu'aux examens, comme le brevet des collèges ou le baccalauréat, dont la finalité doit aussi être interrogée. Notre réflexion sur le système éducatif ne peut occulter ce que d'autres instances, comme le Conseil de l'Europe, préconisent, notamment en matière de socle commun de connaissances. Cependant, il serait dommageable que l'élève soit incité à relâcher ses efforts si la réforme que vous appelez de vos voeux se réalisait. À cet égard, j'ai été choqué par la pétition signée par les candidats au baccalauréat dénonçant la difficulté de l'épreuve de mathématiques et mettant en cause, de facto, les jurys en charge de l'harmonisation des évaluations. Je crains que cette démarche ne constitue un fâcheux précédent. D'ailleurs, quelle conception avez-vous du baccalauréat, auquel j'avais consacré un rapport en 2008 ? En quoi constitue-t-il une étape d'évaluation des connaissances acquises à l'orée du supérieur au sein d'un continuum allant de la 2nde à la licence ? Comment envisagez-vous l'évolution des notations qu'il met en oeuvre ?
M. Benoît Hamon, ministre. - J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur cette pétition visant une épreuve qui portait strictement sur le programme de terminale. Je ne changerai en rien les épreuves ou les programmes en fonction des réactions qui s'expriment sur les réseaux sociaux, alors même qu'existent des commissions d'harmonisation des corrections placées sous le pilotage de l'inspection générale. En dépit des grèves de la SNCF et de l'impact des réseaux, les épreuves du baccalauréat se sont déroulées dans de bonnes conditions.
En outre, contrairement à ce qui a pu être dit, il n'y a pas eu de fuites de sujets des épreuves de philosophie du baccalauréat général ou de français du baccalauréat professionnel. Mais nous avons dû consacrer près d'une journée à démentir la rumeur. Saluons, à cette occasion, la réactivité de l'État et de ses différents services. Dans une école apaisée, on ne peut travailler en fonction de l'immédiateté qui est la règle des réseaux sociaux et j'aimerais que la presse tienne plus compte de cette réalité.
S'agissant de la notation, il est vrai que le système actuel peut décourager certains élèves qui ont le sentiment de ne jamais faire aucun progrès. Les nouveaux modes d'évaluation constituent un complément à expérimenter Il importe donc que la progression dans l'acquisition des connaissances soit davantage encouragée. D'ailleurs, à la question de savoir si le brevet des collèges ou le baccalauréat doivent évoluer, la réponse réside dans l'évaluation du socle de connaissances tout au long de la scolarité. La bienveillance doit primer et le témoignage de M. Maurice Antiste corrobore l'expérience de nombreux enseignants qui militent en faveur d'un usage de la note à bon escient.
S'agissant de l'utilisation du numérique, la formation des enseignants devrait bénéficier également de la mise en oeuvre du plan e-éducation en cours d'élaboration avec le ministère de l'économie, car il importe d'assurer l'usage massif de cette technologie dans les classes. Si 97 % des enseignants souhaitent utiliser cette technologie dans leur enseignement, ils ne sont plus que 5 % à s'estimer en mesure de le faire ! Équiper les établissements et former les enseignements sont les deux faces d'une même priorité ; un appel à projets est en cours. Remarquons aussi que le numérique entraîne un changement du statut de l'erreur qui améliore la confiance des élèves.
Le choix effectué par la ville de Lyon en matière de rythmes scolaires a été validé par les conseils d'école conformément au décret du 5 mai 2014 autorisant des expérimentations. La possibilité de concentrer sur un après-midi les activités périscolaires s'adressait en priorité aux intercommunalités rurales qui éprouvent de grandes difficultés à mobiliser des intervenants de qualité. Il ne m'appartient pas de juger de l'utilisation des après-midi, mais je dois reconnaître que ce créneau horaire peut être une formidable opportunité pour les associations d'éducation populaire. Nous évaluerons les bienfaits de cette réforme à l'issue de sa première année de mise en oeuvre.
L'année en cours est par ailleurs décisive pour le fonctionnement des ÉSPÉ dont le lancement a pu connaître quelques difficultés désormais surmontées. Le comité de suivi présidé par le recteur de Grenoble Daniel Filâtre s'attache à examiner la gouvernance de ces établissements, ainsi que le contenu des maquettes de formation et les modalités de l'alternance des étudiants.
Le statut professionnel des directeurs d'école, qui se sont vus accorder une décharge d'un tiers de temps si leur établissement contient plus de neuf classes, doit également être examiné.
L'usage des CLOT doit en effet être proposé, non seulement aux enseignants mais aussi aux publics des universités, y compris étrangères, où sont formés des étudiants francophones.
Je terminerai mon propos en évoquant la situation des auxiliaires de vie scolaire, désormais dénommés « accompagnants des élèves en situation de handicap » (AESH). Nous avons porté un terme à leur précarisation grâce à une validation des acquis de l'expérience (VAE) et au passage à des contrats à durée indéterminée (CDI). Le travail accompli par ces personnels, auprès des quelque 239 000 élèves en situation de handicap, est essentiel et l'évolution de leur statut est, pour moi, une priorité.
La réunion est levée à 18 h 35.
Mercredi 25 juin 2014
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -La réunion est ouverte à 10 heures.
Groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région - Communication
La commission entend une communication de Mme Françoise Laborde sur le bilan du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Lors du dernier renouvellement sénatorial, j'avais souhaité que les groupes d'études réunissant sénatrices et sénateurs de toutes les commissions par affinités mais rattachés à notre commission, puissent rendre compte au bout des trois ans de leurs travaux afin de nous éclairer et dans la mesure où ils mobilisent les ressources administratives de la commission. Je donne donc la parole à Françoise Laborde qui a animé le groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région.
Mme Françoise Laborde, présidente du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région. - Madame la présidente, mes chers collègues, je commencerai par nous « rafraîchir » collectivement la mémoire, en vous présentant un court historique de la vie de notre groupe d'études sur les arts de la scène, les arts de la rue et les festivals en région. Puis je brosserai un bref panorama de ses activités depuis bientôt deux ans.
Je vous rappelle qu'un groupe d'études sur les arts de rue et du cirque a été créé en 2006 par notre commission de la culture, à la demande de notre collègue Catherine Morin-Desailly. Il s'agissait alors de répondre à une attente des professionnels concernés, compte tenu de l'importance de ces expressions artistiques nouvelles, qui attiraient de nouveaux publics.
Puis son champ d'action a été élargi, aux arts de la scène, fin 2008 et aux festivals en région, fin 2011 (afin aussi de reprendre le périmètre du groupe d'études de la musique, qui a alors été supprimé).
L'avantage de cette configuration est d'embrasser l'ensemble du périmètre du spectacle vivant, dans une approche permettant d'appréhender l'interdisciplinarité croissante.
Notre groupe comprend 24 membres, dont 42 % sont membres d'autres commissions que la nôtre. Ceci montre l'un des intérêts des groupes d'études, qui permettent aux sénateurs intéressés par un secteur ne relevant pas de la compétence de leur commission de se tenir néanmoins informés de l'évolution de ses problématiques.
En tant que présidente du groupe d'études, je veille néanmoins, bien sûr, à organiser ses activités de telle façon qu'elles soient complémentaires aux travaux de notre commission.
Afin de tenir compte de l'agenda chargé de chacun d'entre nous, nous concentrons nos activités sur quelques auditions par an, un ou deux spectacles, ainsi qu'un ou deux courts déplacements, dans Paris ou en région.
Ainsi, au cours de l'année passée :
- en mars 2013, nous avons auditionné Jacques Renard, directeur du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz. Nous avons évoqué avec lui la situation de cet organisme et, plus largement, les perspectives d'évolution du financement et de la gouvernance du secteur du spectacle vivant, dans le contexte de la Mission Lescure sur « l'Acte II de l'exception culturelle » ;
- en novembre 2013, nous avons auditionné Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication. Nos échanges ont notamment porté sur l'évolution de la politique de l'État dans le domaine de la création artistique. Nous lui avons aussi posé des questions sur l'avant-projet de loi sur la création artistique, dans la perspective d'une inscription à l'ordre du jour toujours en attente il est vrai...
- les 8 et 9 juillet 2013, à l'occasion du Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, Maryvonne Blondin et moi-même avons participé aux deuxièmes Rencontres nationales d'Accord Majeur, plateforme de coordination des musiques de patrimoine et de création, sur le thème : « Transmettre/éduquer : transmission dans la crise ou crise de la transmission ? » Vaste et passionnant sujet !
J'étais d'ailleurs intervenue à l'occasion des premières Rencontres nationales consacrées à « La musique dans la cité : paroles d'artistes, paroles d'élus ». Nous avions alors également auditionné Bernard Foccroulle, le directeur du Festival.
Qu'en est-il en 2014 ? Cette année électorale nous contraint à réduire le rythme de nos travaux et je regrette, par exemple, de ne pas pouvoir participer aux Rencontres annuelles à Aix ou au Festival d'Avignon.
Nous avons néanmoins organisé quelques auditions très intéressantes :
- en février, nous avons entendu Guy Benisty, directeur artistique du Groupe d'intervention théâtrale et cinématographique (Gitech) de Pantin. Comédien, auteur et metteur en scène engagé dans le théâtre populaire de création, il nous a présenté sa vision des actions conduites dans le secteur du théâtre et de la relation aux publics, notamment défavorisés ou éloignés de la culture. Nous avons aussi échangé sur la question tout à la fois majeure et délicate de la place du bénévolat et des pratiques amateurs ;
- toujours en février dernier, nous sommes allés rencontrer le directeur du Centquatre, à Paris. Nous avons été sensibles à ses réalisations, tant en matière de recherche et développement des pratiques artistiques que d'insertion de l'art dans la cité ;
- le 18 juin dernier, nous avons auditionné Mme Madeleine Louarn, présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), ainsi que le directeur et un chargé de mission de ce syndicat. Vous imaginez aisément que la question du régime d'assurance chômage des artistes et techniciens était au centre de nos échanges. Vous pouvez en témoigner, madame la présidente, puisque vous y avez participé...
Le groupe d'études ne s'est pas déplacé en tant que tel au Festival d'Avignon depuis deux ans, mais j'ai pu - avec certains collègues de notre commission - prendre part aux déplacements de cette dernière.
Par ailleurs, certains ou certaines de mes collègues et moi-même, membres de la Délégation sénatoriale aux droits des femmes, avons participé à ses travaux sur la place des femmes dans l'art et la culture. Nous ferons d'ailleurs un point demain, un an après la parution du rapport, avec la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti.
Enfin, nous rencontrons bien sûr tous, dans nos régions respectives, les acteurs du spectacle vivant, qui nous interpellent en tant que membre du groupe d'études.
Vous imaginez bien qu'actuellement, la question de l'intermittence nous mobilise tout particulièrement sur le terrain...
Je conclurai en remerciant tous les collègues, membres de notre commission ou des autres commissions, qui participent à nos travaux. Je sais que nos agendas sont toujours très chargés mais j'invite tous nos collègues intéressés par ces sujets à se joindre à nous. Nous sortons toujours plus riches des échanges avec les professionnels et mieux informés de l'évolution de leurs problématiques.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie pour cette intéressante présentation des travaux du groupe d'études que vous présidez. L'argent se fait rare et certaines déprogrammations de subvention de dernière minute créent beaucoup d'émotion...
M. Jean-Jacques Pignard. - Vous ne pouviez sans doute pas intégrer dans vos réflexions, à ce stade, la réforme à venir des collectivités territoriales, mais cette dernière va soulever des questions de financement.
Mme Françoise Cartron. - Lors des changements d'équipes municipales, après les dernières élections, la culture a parfois fait l'objet d'arbitrages défavorables et des manifestations ont été supprimées. Je ne connais pas l'ampleur exacte de ce phénomène ; il pourrait être intéressant de se pencher sur cette question.
M. Daniel Percheron. - Il est important de souligner que l'offre culturelle a été multipliée par quinze depuis une trentaine d'années. Outre le doublement du budget lorsque Jack Lang était ministre de la culture, nous avons connu une impulsion irrésistible au bénéfice de la culture et constaté les bienfaits de la décentralisation.
Alors que nous souhaitons renforcer le nombre de visiteurs étrangers en France, l'attractivité culturelle sera un élément déterminant. Par ailleurs, lors de la reconversion de certains territoires, l'offre culturelle joue parfois un rôle vital, la culture étant alors une manière de survivre.
Tant pour le budget de la culture que pour les intermittents, nous sommes aujourd'hui à la recherche de quelques centaines de millions d'euros ; je pense que nous pouvons aisément les trouver.
J'aimerais également interpeller notre collègue David Assouline sur ce point. Le Grand Paris devra prendre sa part dans le financement des institutions culturelles de la capitale, dont le statut devra, à cet égard, être rediscuté. En effet, j'ai découvert avec stupeur que l'Opéra de Paris ne reçoit aucune aide de la Ville de Paris mais perçoit 100 millions d'euros de subvention de l'État pour un million de visiteurs payants.
Enfin, l'élan culturel est tributaire de la présence des étudiants au coeur de la ville et les 450 villes universitaires que compte notre pays jouent un rôle clé dans l'offre culturelle et le rayonnement des festivals.
M. Jean-Jacques Pignard. - Pour aller dans le même sens, je souligne que quatre théâtres nationaux sur cinq sont situés en Ile-de-France !
M. Daniel Percheron. - C'est un vrai problème. Il faudrait pouvoir disposer d'une vision claire de cette question qui a déjà été abordée par la Cour des comptes. Dans une région comme le Nord-Pas-de-Calais, nous accordons jusqu'à 150 euros par place à des scènes nationales situées en zone défavorisée. Cette politique rencontre un vrai succès populaire mais représente un coût important pour la région.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La situation est parfois cruelle : il est arrivé que l'État réduisait son financement au motif que la région augmentait le sien ! Le problème ne tient pas au fait que tous les contribuables français participent au financement des équipements culturels situés à Paris en tant que capitale mais que les contribuables parisiens soient moins sollicités pour la culture que ceux des autres régions.
M. Jean-Pierre Chauveau. - Dans les zones rurales également, la culture apporte une énorme valeur ajoutée lorsqu'elle est soutenue par les élus et peut attirer les entreprises.
Mme Françoise Laborde, présidente du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région. - J'apporterai les éléments de réponse suivants à vos interventions dont je vous remercie :
- les questions posées par les projets de réforme territoriale ont été évoquées lors de certaines de nos auditions, en particulier celles de Michel Orier et de Madeleine Louarn. Le SYNDEAC a exprimé son inquiétude sur ce point, en particulier s'agissant de l'articulation entre les règles du jeu en France et les critères d'attribution des fonds européens. Il convient d'être sûr que le « détricotage » de l'organisation actuelle n'entraîne pas de problèmes qui n'auraient pas été anticipés. Je propose que nous organisions des auditions communes de la commission et du groupe d'études sur ces sujets, en particulier avec la fédération nationale des collectivités pour la culture - FNCC ;
- la culture joue malheureusement parfois le rôle de fusible d'ajustement dans un contexte de changement de municipalité et de craintes relatives aux baisses de financement. En tant que parlementaire, notre rôle est d'exprimer notre opinion. Je suis ainsi intervenue auprès du nouveau maire de Toulouse pour que le festival « La Novela » sur la culture scientifique soit maintenu en octobre 2014, et j'ai été entendue ;
- de façon générale, il nous faut inventer. Les festivals sont très importants pour la conversion des territoires ; tel est aussi le cas en Haute-Garonne ;
- s'agissant de l'implication des étudiants, je citerai le remarquable exemple d'Aix-en-Provence, où les organisateurs du festival associent les écoles et universités. Leur expérience pourrait bénéficier à d'autres territoires ;
- la décentralisation a incontestablement permis une dynamique, dont il convient parfois de rétablir l'équilibre sur l'ensemble du territoire. Nous avions d'ailleurs évoqué au sein de la commission la problématique de l'équité territoriale.
M. Daniel Percheron. - Je veux préciser que la capitale est évidemment le moteur de l'attractivité de la France. Le tout est d'ajuster de façon équitable les efforts des uns et des autres pour proposer cette offre culturelle qui a été, je le rappelle, multipliée par quinze.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. -Nous avons été interpelés sur ce sujet à l'occasion de notre table ronde sur la diversité culturelle. Si la culture participe au rayonnement de la France, son sens réside avant tout dans le lien qu'elle crée entre les gens, les rencontres qu'elle suscite. Chacun le mérite où qu'il soit sur le territoire.
M. David Assouline. - Pour rebondir sur les propos de mon collègue Daniel Percheron, je dirais que Paris est certes une destination touristique, mais aussi une étape pour nombre de touristes qui prolongent leur voyage vers les villes et les sites de province, y compris vers les zones rurales. Paris est aussi une collectivité territoriale particulière disposant de moyens importants, mais qui doit répondre à des obligations spécifiques, dont certaines imposées par l'État telles que la contribution au financement de la future philharmonie.
Outre ses moyens et ses obligations, la politique culturelle conduite par la Ville de Paris se caractérise par un réel dynamisme, lui permettant d'éviter l'écueil de la muséification, et s'illustrant notamment par la création de nouveaux lieux de culture.
Je pourrais aussi citer la forte implication de la région Ile-de-France en faveur du cinéma, qui a de réelles conséquences en termes de rayonnement culturel, mais aussi d'emploi.
Enfin, considérant qu'à l'instar des provinciaux, nombre de Parisiens - notamment les plus modestes - ne profitent qu'exceptionnellement des richesses culturelles de la ville, je pense que « la guerre entre Paris et les territoires n'aura pas lieu » car elle n'a pas lieu d'être.
Mme Françoise Laborde, présidente du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région. - Sur ce dernier point, je vous invite à vous reporter au compte rendu de l'audition, effectuée dans le cadre de notre groupe d'études, de M. Christophe Girard, ancien adjoint au maire de Paris chargé de la culture, qui a traité d'une manière très intéressante de cette opposition quelque peu construite entre la capitale et la province.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci pour cette présentation et pour le rôle d'ambassadrice de notre commission que vous avez joué sur le terrain. Nous sommes par ailleurs tous sollicités sur la question de l'intermittence et je souhaite que la commission se manifeste à cet égard. J'en parlerai avec les présidents des groupes.
Mission d'information en Suède - Communication
Puis la commission entend une communication de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, sur la mission d'information en Suède.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le choix d'Umeå comme destination pour la mission annuelle de notre commission a pu susciter quelques interrogations et même quelques doutes. Pourquoi se rendre au Nord de la Suède, à 600 km de Stockholm dans une commune inconnue de 120 000 habitants, à vocation industrielle et sans patrimoine ? Je crois pouvoir dire au nom de toutes les sénatrices et de tous les sénateurs qui ont participé au déplacement que ce choix était non seulement légitime, mais aussi tout à fait pertinent. Nous avons beaucoup appris sur un modèle et une société très différente de la nôtre, mais confrontée à des enjeux très similaires. La culture comme instrument de développement et l'avenir des universités, des sujets de préoccupation centraux pour notre commission, ont été au coeur de nos entretiens.
Je vous rappelle qu'Umeå est, avec Riga, la capitale européenne de la culture 2014. C'est ce label qui avait en partie motivé notre déplacement. La décision pour la ville de poser sa candidature comme Capitale européenne de la culture a été prise en 2000. C'est donc un engagement de long terme, porté par une volonté forte et constante de la municipalité de placer la culture au coeur de sa stratégie de développement.
Umeå consacre à la culture un budget de 80 % supérieur à celui des communes suédoises de taille équivalente, dont 30 % rien qu'en matière de bibliothèques. La région autour d'Umeå compte 26 bibliothèques publiques pour 180 000 habitants. Elles ont été construites de telle sorte que la population habite au plus à 2 km d'une entre elles. Des bibliobus complètent le dispositif. La politique communale d'accessibilité numérique aux fonds a été couronnée en 2009 par le prix des Nations Unies pour l'innovation culturelle.
Cet attrait pour la lecture est très ancré dans le Nord de la Suède qui a vu naître des auteurs marquants qui vont d'Astrid Lindgren, auteur de FiFi Brindacier, à Stieg Larsson, auteur du best-seller Millenium en passant par Torgny Lindgren ou P.O. Enqvist. La mission a pu également visiter la bibliothèque municipale de Stockholm, qui gère pendant le printemps et l'été un service de bateau-livre - Bokbaten - pour les habitants des 30 000 îles qui entourent la capitale. Là aussi coexistent, pour tous âges, des rayons de livres en suédois, finnois, sami, et autres langues en usage, comme le farsi, le chinois ou le romani.
Depuis le XIXe siècle, le Nord de la Suède a été marqué par la confluence de courants intellectuels aux marges de la culture dominante dans la société : Umeå est ainsi un foyer essentiel des mouvements d'éveil religieux protestants, de la mobilisation ouvrière, de la culture punk, des mouvements féministe et gay. C'est ce qui donne à la ville une image protestataire : elle est considérée comme une ville où les débats sont vifs, en contraste avec la tradition suédoise du consensus.
Les mouvements contestataires sont encore très vivants et surveillent l'action culturelle de la mairie, car ils craignent que la création de nouvelles structures et de nouveaux bâtiments pendant le mandat de « capitale européenne de la culture » conduise à une institutionnalisation et un enrégimentement de la culture, au détriment d'expressions plus libres et plus spontanées.
Notre délégation a noté une certaine ambivalence dans le projet global de la ville. D'une part, les convictions des élus locaux qui font de la culture un instrument de paix et de développement paraissent impeccables et un tiers du budget culturel de la commune va à des associations libres de les utiliser. D'autre part, le projet culturel répond à une logique d'attractivité et de croissance économique, au prix de certains risques financiers et d'une certaine dépendance vis-à-vis d'un partenaire privé omniprésent.
Au-delà du label de capitale européenne de la culture et des événements qui ont été organisés à cette occasion, Umeå s'est lancée dans une mutation architecturale de grande ampleur. Le budget de la commune, les aides européennes et des investisseurs privés financent 7,5 milliards d'euros de travaux publics et de constructions. Ces actions s'inscrivent dans une stratégie d'expansion affirmée : la commune vise à accueillir 200 000 habitants en 2050. La culture est ainsi vue par la municipalité comme un outil d'attractivité essentiel dans une région assez désertique de la Suède, où règne chez certains habitants le sentiment d'être délaissés par Stockholm.
L'installation sur les berges du fleuve d'un campus artistique, d'un musée de l'image et bientôt d'un parc dessiné après consultation des jeunes de la ville, participe d'une volonté de réorientation globale de l'agglomération. La visite du musée de l'image, avec une exposition sur la peintre franco-argentine Leonor Fini a été particulièrement appréciée par la délégation. Cela vaut aussi pour la visite du centre de design industriel, classé dans l'élite mondiale, où sont utilisées des imprimantes 3D.
Un autre projet phare de revitalisation du centre-ville consiste en la construction de « Väven », autrement dit « le tissage ». Ce complexe architectural doit associer un centre de conférences, une maison de la culture, un complexe hôtelier et des commerces. Ce projet me permet d'évoquer la question du financement privé.
Tout au long du séjour, dans quasiment tous les lieux, le nom d'une société de travaux publics implantée dans la région - Balticgruppen - est revenu dans les discussions. Cette société est le partenaire essentiel de la stratégie de développement par la culture d'Umeå. Elle intervient à quasiment tous les échelons. Par exemple, elle a réhabilité un ancien asile psychiatrique pour créer des logements et des écoles, puis elle a installé alentour un parc de sculptures contemporaines en accès libre. Elle accorde des rabais importants - plus de 10 millions d'euros - sur les loyers de certains espaces utilisés par l'université.
Surtout, aucun projet immobilier d'envergure ne se fait sans elle dans la ville, y compris pour des équipements culturels. Elle a financé à la même hauteur que les partenaires publics la construction du campus artistique et du musée de l'image. Le nouveau complexe Väven est aussi réalisé dans le cadre d'un partenariat public-privé. Une société rassemble les deux parties - la commune et Balticgruppen - qui partagent le financement et l'utilisation des locaux. Le complexe comprendra 15 000 m2 d'installations culturelles demandées par la commune et 10 000 m2 de locaux à vocation commerciale souhaités par le promoteur privé. Ce projet est financièrement très lourd pour la commune qui ne l'a réalisé qu'après avoir connu 12 années d'expansion économique ininterrompue. Elle ne dispose plus aujourd'hui d'un potentiel financier équivalent pour lancer une opération aussi vaste et aussi risquée.
Par ailleurs, Umeå se trouve dans le pays des Sames, aussi appelés Lapons : 20 000 d'entre eux habitent en Suède ; 10 % d'entre eux vivent encore de l'élevage itinérant du renne dans le Nord de la Suède. Les femmes sames sont plus nombreuses à s'installer dans les villes plus au sud et à accéder à des emplois qualifiés, alors que les hommes sont plus souvent cantonnés aux activités traditionnelles et ne migrent pas. Des décalages démographiques importants se créent, qui sont source de tensions. Un parlement de la nation same, sans pouvoirs législatifs ou réglementaires, est autorisé à débattre de tous les sujets d'intérêt pour les Sames. Les différents dialectes de la langue same sont protégés depuis le 1er avril 2000, date à laquelle le gouvernement suédois lui a reconnu le statut officiel de langue minoritaire. Les langues autochtones cohabitent pacifiquement avec l'emploi généralisé de la langue suédoise. Des formations supérieures en same sont dispensées dans les universités d'Uppsala, la grande université historique qui concentre la recherche linguistique, et d'Umeå, à laquelle le gouvernement suédois a confié une responsabilité particulière de préservation de la culture same. Le mandat de capitale européenne de la culture a été organisé en référence au calendrier same et la cérémonie d'inauguration faisait la part belle à des chanteurs et des artistes sames.
Cependant, des conflits socio-économiques demeurent, par exemple en matière de droits d'usage des terres pour le pâturage mais surtout à cause du développement de grands complexes miniers, source d'emplois mais aussi de pollution, dans les zones sames. En matière environnementale, le « pragmatisme » suédois conduit à l'instauration d'une zone d'exception aux normes européennes : dans le nord du pays, la concentration maximale de certains toxiques autorisée dans les poissons disponibles à la consommation est deux à trois fois plus élevée que les seuils nationaux, au prétexte que la population same mange du poisson tous les jours ! C'est ce que nous ont révélé des chercheurs sames de l'université d'Umeå.
Si Umeå est une ville en expansion et une ville culturellement dynamique, elle le doit beaucoup à son université avec laquelle elle vit en symbiose. Fondée en 1965, l'université d'Umeå est, à l'aune suédoise, un établissement très important : 34 000 étudiants et 4 300 personnels. En outre, la population d'Umeå a doublé depuis l'installation de l'université et s'est rajeunie. L'université est donc un élément essentiel de la politique d'attractivité de la ville, avec laquelle elle entretient d'excellentes relations, comme en témoigne la gestion commune du campus artistique.
Les rencontres que la délégation a eues à l'université, notamment avec sa présidente, nous ont permis de mieux comprendre le système de financement de la recherche et de recrutement des enseignants chercheurs. Environ 40 % des ressources des universités suédoises pour la recherche proviennent directement du budget de l'État et 60 % de financements extérieurs, publics et privés, obtenus directement par les chercheurs dans des appels à projets compétitifs. L'importance de ce financement fait reposer sur l'individu une forte responsabilité tandis que la durée moyenne des financements (deux ou trois ans) rend difficile pour l'université la planification de son activité et la gestion prévisionnelle de ses personnels.
Depuis 2008, l'université d'Umeå met progressivement en oeuvre un nouveau plan d'action pour perfectionner l'allocation de ses ressources. L'objectif est de dégager des moyens supplémentaires pour assurer aux chercheurs retenus de meilleures perspectives de carrière et une aide financière. À ce jour, 107 chercheurs ont bénéficié d'environ 25 millions d'euros pour poursuivre leurs recherches.
Bien que couvrant l'ensemble des champs disciplinaires, l'université d'Umeå aimerait, à l'image de l'université de Tromsø en Norvège, être officiellement déclarée « l'université arctique de la Suède ». À cette fin, elle renforce son profil dans ce secteur et a créé en décembre 2012 un centre arctique - Arcum -, auquel sont désormais affiliés plus de 200 chercheurs de toutes disciplines, de la sociologie à l'étude du réchauffement climatique, qui échangent et coordonnent leurs recherches. La délégation a pu rencontrer plusieurs responsables du centre ainsi que l'ambassadeur suédois pour l'Arctique.
La force d'attraction de l'université d'Umeå repose aussi sur une recherche de très bon niveau, notamment dans les maladies infectieuses, le design industriel et les arts, la biologie végétale... Cette dernière spécialité s'exerce notamment dans un centre de recherche consacré aux biotechnologies forestières et baptisé Umeå Plant Science Center. Il regroupe 200 personnes réparties en 40 équipes, rassemblées dans un même bâtiment depuis 2001. Ce laboratoire, partenaire de l'institut national de la recherche agronomique (Inra), accueille plusieurs chercheurs français que la délégation a pu rencontrer. Cette équipe a dirigé le projet international qui a abouti en 2013 au séquençage du génome du pin. Pour l'anecdote, la Norvège et la Suède sont les deux premiers producteurs mondiaux d'arôme de vanille pour l'industrie car la vanilline peut être obtenue par extraction à partir des aiguilles du pin. Ce centre de recherche est si bien équipé pour l'analyse des protéines et autres molécules qu'il est devenu pôle de référence en matière de dépistage du dopage.
L'accueil de chercheurs et d'étudiants étrangers, notamment au niveau du master, est bien développé. On parle aujourd'hui 130 langues à l'université mais l'accueil est surtout facilité par la prégnance de la langue anglaise ! Des modules de présentation et d'adaptation à la vie suédoise sont aussi proposés systématiquement. Parmi les particularités de la société suédoise, auxquels sont obligatoirement confrontés tous les résidents nationaux ou étrangers, j'aimerais insister sur l'octroi du numéro personnel d'identification, le Personnummer. Ce système va beaucoup plus loin que la numérotation Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou de la sécurité sociale. Attribué par l'administration fiscale, il est essentiel à la vie quotidienne en Suède. Il permet l'accès aux soins, ainsi que le calcul et l'acquittement de l'impôt sur le revenu. Il est aussi utilisé pour les achats sur Internet, pour obtenir un abonnement téléphonique, ...
Le numéro personnel est utilisé comme identifiant par tous les services administratifs : non seulement par l'administration fiscale, mais aussi par les assurances sociales, le service du permis de conduire, le bureau de conscription... Il est également couramment utilisé dans le secteur privé, par exemple par les banques, avec l'accord des intéressés. En pratique, cependant, refuser de fournir son numéro personnel revient à multiplier les embûches et les obstacles. Les banques utilisent, par exemple, le Personnummer pour vérifier la solvabilité d'un client avant d'accorder un prêt.
Le traitement des données du fichier de la population est régi par des textes spécifiques, qui prévoient explicitement la transmission des informations à tous les services administratifs. En pratique, une procédure automatique a été mise en place à cet effet. Ce qui signifie que les croisements de fichiers entre services de l'administration, loin d'être interdits, sont systématiques. On retrouve, me semble-t-il, encore un certain paradoxe suédois : c'est le pays qui, dès 1809, se dote d'un médiateur entre les individus et l'administration, le fameux Ombudsman, et qui, dès 1973, adopte une loi sur l'informatique et les libertés ; mais c'est aussi le pays qui au nom d'une culture de la transparence démocratique et de l'efficacité administrative, recueille, traite et partage une quantité impressionnante de données personnelles sur ses citoyens !
Il serait néanmoins exagéré de prétendre qu'il n'existe aucun contrôle : il existe un service dédié au respect de la loi sur les données personnelles ; toute entreprise ou toute administration gérant des données personnelles doit avoir l'équivalent d'un correspondant informatique et libertés. Surtout les différents Ombudsmen peuvent intervenir au nom de leur mission globale de protection du public. Des affaires récentes de fichages illégaux de Roms suédois en utilisant leur numéro personnel ont été dénoncées par le médiateur anti discrimination (Diskrimineringombudsmannen - DO).
Notre visite à Umeå a été complétée par des entretiens à Stockholm sur le thème de l'évaluation de la recherche en Suède. Nous avons ainsi rencontré des responsables de l'École royale polytechnique (KTH), de la principale agence de financement de la recherche (VR) et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ces échanges ont confirmé à la fois l'importance et les risques de l'utilisation des critères bibliométriques. Certaines simulations ont en effet montré que seules 5 universités suédoises sur 34 survivraient, si l'ensemble des fonds publics était distribué uniquement sur de simples critères bibliométriques.
La principale agence de financement de la recherche - VR - alloue 10,5 % du budget global de la recherche, estimé à 3,6 milliards d'euros. En outre, elle a été chargée par le gouvernement suédois, dans le cadre de la loi quadriennale sur la recherche et l'innovation, de mettre en place un modèle d'évaluation qui permette de redistribuer une partie des dotations inscrites au budget de l'État aux établissements les plus performants. Depuis 2009, un mécanisme de redistribution partielle des fonds gouvernementaux sur la base de la performance a été mis en oeuvre. Il ne repose que sur deux indicateurs : un critère bibliométrique et la capacité à attirer des financements extérieurs. Le modèle en cours d'élaboration ressemble grandement au modèle interne développé par l'École royale polytechnique, lui-même calqué sur le modèle britannique. Trois critères pondérés seraient utilisés : la qualité scientifique pour 70 %, l'environnement de recherche pour 15 %, l'impact en dehors de la sphère académique pour 15 %. L'avenir de ces réformes est cependant suspendu aux résultats des prochaines élections législatives en septembre.
M. Pierre Bordier. - J'ai particulièrement apprécié l'enthousiasme de la maire d'Umeå. Pour l'anecdote, elle nous a expliqué comment elle avait convaincu les juges de lui attribuer le label de « capitale européenne de la culture » : elle a comparé la Suède à un corps humain et Umeå à son coeur battant, car la localisation géographique de la ville correspond à peu près à celle du coeur dans un corps humain. Le logo retenu pour l'année européenne est précisément un coeur.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - J'adresse à notre présidente toutes mes félicitations pour ce compte rendu très fidèle qui retrace bien les forces mais aussi les risques du projet d'Umeå. Je dois avouer que nous nous sommes interrogés sur l'opportunité de construire un campus artistique tout au bord du fleuve alors même que le réchauffement climatique est censé provoquer des crues plus fréquentes ! L'hypothèque que représente le partenariat public-privé, avec une entreprise très investie, certes, mais qui tient les clés de la maison, m'interpelle davantage encore... En matière de financement de la recherche, la Suède est encore plus engagée que notre pays dans le recours à des appels à projets compétitifs rapidement renouvelés. En revanche, les conditions d'études accordées aux étudiants sont exceptionnelles et nous pourrions nous en inspirer. Les Suédois ont beaucoup travaillé à l'articulation entre l'enseignement supérieur et le monde de l'entreprise, comme en témoigne la création de start up par les chercheurs de l'université.
Mme Dominique Gillot. - J'ai également apprécié cette synthèse. Chacun des participants a retenu des éléments différents. J'ai, pour ma part, eu l'impression que Balticgruppen agissait comme un authentique mécène et partageait les valeurs et le projet de la mairie.
En tant que rapporteure du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, je tiens à saluer l'échosystème institué dans et autour des universités suédoises, qui favorise le transfert social et économique des résultats de la recherche. Les outils mis en place par les agences de financement et le ministère suédois de la recherche pour rendre l'allocation des dotations plus performante correspondent à la même perspective que celle que nous tentons d'adopter depuis la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Je regrette que les échéances électorales freinent cette démarche.
J'ai été très contente de ce déplacement très riche qui nous a montré comment la culture pouvait devenir un instrument de développement global et de cohésion sociale de la maternelle à l'université.
Mme Colette Mélot. - Je ne peux que m'associer à ce concert de louanges. J'ai, moi aussi, été impressionnée par le travail de la maire d'Umeå qui a su mettre la culture au coeur de son projet communal. Les universités suédoises représentent par ailleurs un modèle exceptionnel de transferts entre la recherche et le monde économique. La transposition pure et simple dans notre pays serait sans doute très délicate tant les cultures et les structures diffèrent. L'inspiration demeure.
La réunion est levée à 11 h 20.