Mardi 17 juin 2014
- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, Président -La séance est ouverte à 16 h 30.
Audition de Mmes Christine Lazerges, présidente, Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente, rapporteure de l'avis sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et Cécile Riou-Batista, chargée de mission, de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Nous accueillons Christine Lazerges, Catherine Teitgen-Colly et Cécile Riou-Batista de la commission nationale consultative des droits de l'homme. Celle-ci a adopté, le 22 mai dernier, un avis, comprenant quinze recommandations, sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Je vous laisse, Mesdames, la parole.
Mme Christine Lazerges, présidente de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). - Nous sommes heureuses de vous présenter les résultats des travaux de notre commission, instance généraliste qui a pour vocation de promouvoir les droits de l'homme et les droits fondamentaux. Forte de l'expertise qu'elle avait développée, en 2009, en réalisant une étude sur la traite des êtres humains qui comportait pas moins de 94 recommandations, la CNCDH s'est autosaisie pour examiner cette proposition de loi. Plusieurs mois ont été nécessaires pour rendre notre avis. Son examen a suscité, d'emblée, un clivage parmi les membres de notre commission. Cependant, à l'issue de nos travaux, un consensus fort s'est dégagé à l'encontre de la pénalisation du client, tandis que le renforcement de la lutte contre la traite a, quant à lui, été soutenu de manière unanime.
Je centrerai donc mon propos sur la lutte contre la traite.
A titre liminaire, je regrette que le périmètre retenu par la proposition de loi soit restreint à la seule traite à des fins d'exploitation sexuelle et en occulte d'autres formes, comme l'esclavage à des fins économiques qui sévit lourdement en France. En 2001, à l'Assemblée nationale, nous avions fait le choix, avec Alain Vidalies, de ne pas distinguer les différentes formes de traite afin d'en dénoncer à la fois l'ampleur et le caractère protéiforme. D'ailleurs, il nous semble que le Sénat devrait veiller à ce que les dispositions répressives et celles visant l'accompagnement social des victimes s'appliquent à l'ensemble des formes d'exploitation ainsi qu'à préciser la terminologie adoptée par la proposition de loi qui assimile les termes de traite, d'exploitation et de prostitution.
La CNCDH souhaite que le Sénat renforce les moyens de lutte contre la traite et l'exploitation sur internet, tout en veillant à ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication. Comme notre sixième recommandation le souligne, le législateur devrait réfléchir à un nouveau dispositif qui pourrait permettre de bloquer l'accès aux sites favorisant la traite et de mieux rechercher les auteurs de contenus illicites.
Au gré de nos auditions, il nous est apparu que la gradation des qualifications des infractions pénales, telle qu'elle est prévue par les textes et notamment par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013, n'est pas mise en oeuvre. En pratique, c'est souvent la qualification la plus faible qui est retenue. Cela conduit à une forme de « dépénalisation de la traite », contraire aux principes généraux du droit pénal. Certes, les difficultés procédurales peuvent expliquer que certains tribunaux préfèrent prononcer des condamnations pour proxénétisme plutôt que pour traite. Mais cette méthode n'est pas bonne : des faits identiques conduisent à des sanctions pénales différentes en raison de la variabilité des qualifications retenues par les tribunaux. Une telle situation ne constitue nullement un encouragement pour la police à veiller au démantèlement des réseaux d'exploitation des personnes prostituées.
La proposition de loi est, par ailleurs, silencieuse quant à la répression des clients des mineurs prostitués alors que son dispositif aurait pu renvoyer aux textes qui condamnent cette pratique et suscitent l'assentiment des organisations non gouvernementales et des juristes. L'une de nos recommandations résulte du constat du faible nombre de poursuites des clients de mineurs prostitués. Avant de pénaliser les clients de personnes majeures, commençons par appliquer les dispositions existantes et par les évaluer. J'ajoute que, dans le champs du proxénétisme, les mineurs ne sont pas toujours considérés comme des victimes, mais parfois plutôt comme des complices.
Concernant le volet administratif de la proposition de loi, notre dixième recommandation préconise de ne pas subordonner l'octroi de titres de séjour à l'arrêt de la prostitution, activité qu'il est manifestement impossible de quitter du jour au lendemain. Une telle conditionnalité aurait ainsi l'effet inverse de celui attendu ce que, du reste, la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure avait clairement anticipé. C'est pourquoi la CNCDH demande au législateur de revenir sur cette disposition de la proposition de loi. En outre, même si de telles mesures doivent faire l'objet d'intenses négociations avec le ministère de l'intérieur, la durée de six mois, retenue pour la délivrance d'une première autorisation provisoire de séjour et de travail, nous paraît insuffisante pour sortir durablement de la prostitution.
S'agissant enfin du volet social de la proposition de loi, la CNCDH réitère son souhait que l'accompagnement des personnes prostituées ne soit pas subordonné à leur abandon radical de la prostitution. Nous sommes également inquiets quant aux dispositions relatives à la délivrance d'agrément aux associations, dont la mobilisation est requise, mais dont le positionnement idéologique peut s'avérer opposé à l'esprit des auteurs de cette proposition de loi. Faute de critères clairement définis, le risque est grand que l'obtention de l'agrément devienne une sorte d'examen de passage idéologique qui écarte certaines associations qui jouent d'ores et déjà un rôle important en faveur de l'insertion des personnes prostituées.
Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). - Notre réflexion s'est appuyée sur l'introduction du rapport d'information que vous avez présenté, Monsieur le président, à l'automne dernier, avec votre collègue, Chantal Jouanno, sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. Car si la prostitution prête à controverse, c'est qu'elle, je vous cite, « renvoie à deux sujets tabous entre tous que sont la sexualité et l'argent, suscitant à la fois des réactions de rejet et de fascination qui semblent empêcher toute construction d'un discours apaisé susceptible d'être partagé par le plus grand nombre. » C'est pourquoi notre commission, pour se forger un avis circonstancié sur cette question à la fois complexe et clivante, a conduit un grand nombre d'auditions depuis novembre dernier.
Si un très large consensus s'est dégagé pour renforcer la lutte contre l'exploitation et la traite, la notion phare de la proposition de loi, à savoir le « système prostitutionnel », est apparue comme réductrice puisque ne prenant pas en considération la prostitution librement assumée et ne relevant d'aucun réseau.
Nos travaux se sont également appuyés sur le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) consacré aux enjeux sanitaires de la prostitution qui insiste sur la diversité des situations des personnes prostituées. Nous insistons sur l'utilisation du terme « personnes » : la prostitution n'est pas un état permanent ; une personne peut se retrouver, à un moment de sa vie, en situation de prostitution, elle ne doit pas être discriminée pour cela et continue d'avoir des droits.
Je centrerai mon propos sur deux volets de la proposition de loi.
Tout d'abord, concernant le volet répressif, notre commission se félicite de l'abandon du délit de racolage instauré par la loi sur la sécurité intérieure de 2003 lequel, en instillant de l'invisibilité, a conduit à reléguer les personnes se prostituant dans la clandestinité et à accroître leur vulnérabilité. Cependant, la pénalisation des clients, telle qu'en disposent les articles 16 et 17 de la proposition de loi, aboutit de facto à interdire la prostitution sans que la France ne devienne ouvertement un pays prohibitionniste. D'ailleurs, le motif d'atteinte à la dignité de la personne humaine, mis en avant pour légitimer cette pénalisation, nous semble, à la suite des avis rendus par les plus hautes juridictions que sont le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, ainsi que par le comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par Simone Veil, trop ambivalent pour légitimer une telle démarche. En outre, la pénalisation du client ne nous paraît pas non plus un moyen d'assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, comme en dispose la proposition de loi, du fait de l'existence d'une prostitution masculine et transsexuelle.
Il ne s'agit bien évidemment pas de légitimer la violence perpétrée par les hommes à l'encontre des femmes. Mais il existe d'ores et déjà un arsenal pénal pour lutter contre les violences qui sont très souvent présentes dans la prostitution.
Une autre question soulevée par la proposition de loi est celle des personnes handicapées qui ont également droit à une vie affective et sexuelle.
Au-delà de ces principes, la remise en cause de la pénalisation du client se fonde sur l'anticipation des éventuelles conséquences de sa mise en oeuvre qui, à l'instar de l'interdiction du racolage passif et actif en vigueur depuis 2003, risque d'accroître la dissimulation de la prostitution et de renforcer les réseaux clandestins. Le précédent constitué par le faible impact de la pénalisation des clients de mineurs prostitués doit également être pris en compte. En outre, une telle démarche risque de renvoyer le problème vers les Etats limitrophes qui ne pénalisent pas le client.
En se limitant à une contravention de cinquième classe, la pénalisation elle-même n'est que symbolique et ne saurait contribuer à responsabiliser le client. En outre, pour être effective, elle devrait s'accompagner d'une généralisation de la surveillance des individus, ce qui nous paraît contraire aux principes de liberté qui doivent être ceux de notre société.
Au-delà du volet répressif, il est nécessaire que l'accès aux droits économiques et sociaux soit assuré aux personnes prostituées, dont les situations sont hétérogènes et ne peuvent être abordées de manière uniforme. Nous saluons la création d'un fonds dédié tout en nous interrogeant sur les moyens qui pourront effectivement lui être alloués. Plutôt que le parcours de sortie de la prostitution que définit la proposition de loi, nous préconisons un projet d'insertion sociale qui prenne davantage en compte les situations individuelles auxquelles il s'adresse et l'action des associations. L'accompagnement de ces personnes, doit respecter leur libre-arbitre. Il doit avoir été librement choisi.
Notre commission déplore par ailleurs l'absence de dispositions en matière de droit d'asile et d'accès aux droits des personnes transgenres, qui se trouvent en situation de grande détresse et d'extrême précarité. Notre avis du 27 juin 2013 préconisait un assouplissement des conditions de changement d'état civil via une procédure démédicalisée et une moindre judiciarisation.
En conclusion, l'éducation, plus que la répression, nous semble le moyen idoine pour lutter contre les stéréotypes et la discrimination dont souffrent les personnes prostituées.
Mme Christine Lazerges. - Les dispositions de la proposition de loi ne permettent pas de combler la méconnaissance chez les adolescents, qui manifestent également une grande ignorance de la traite, de la prostitution et de ses conséquences.
Mme Catherine Teitgen-Colly. - Il faudrait également émettre des recommandations destinées à ceux et celles qui travaillent à la réinsertion des personnes prostituées.
M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Votre rapport exprime l'essentiel de nos préoccupations, notamment en ce qui concerne la faiblesse du volet consacré à la lutte contre la traite. Nous veillerons d'ailleurs, avec ma collègue Michèle Meunier, rapporteure, à amender le dispositif proposé. Nous partageons également vos réticences quant à la conditionnalité de l'octroi d'autorisations de séjour à l'arrêt de la prostitution qui nous paraît dommageable pour les personnes concernées.
Vous nous avez également exposé vos réticences quant à la délivrance d'un agrément aux associations qui aident, sur le terrain, à la réinsertion des personnes prostituées. Quels devraient, selon vous, être les critères d'homologation de ces organismes ?
Je suis également choqué par une autre disposition de la proposition de loi qui autorise les associations reconnues d'utilité publique à se constituer partie civile, sans le consentement des personnes concernées. Une telle mesure ne risque-t-elle pas d'accroître la vulnérabilité de ces personnes sur lesquelles pèsent de terribles contraintes?
Je me demande enfin si l'interdiction de facto de la prostitution que provoque la pénalisation du client, alors que le délit de racolage est dans le même temps aboli, n'est pas, en définitive, inconstitutionnelle ?
Mme Christine Lazerges. - Je partage, Monsieur le président, vos inquiétudes quant à la capacité des associations d'ester en justice sans le consentement des victimes dont l'existence même et celle de leur famille peuvent être menacées. Sans des dispositions particulières, comme l'hébergement dans des foyers placés sous protection policière, ces personnes se trouveraient ipso facto dans une situation de grande vulnérabilité.
S'agissant des critères d'agrément, on pourrait imaginer que les associations reconnues d'utilité publique relèvent d'une simple procédure de déclaration. Pour les autres associations, les critères d'agrément restent à définir. Celles-ci pourraient profiter de ce contexte pour demander, à leur tour, la reconnaissance d'utilité publique.
Je ne me suis pas penchée sur la question de la constitutionnalité de la pénalisation du client. En revanche, il nous a semblé que la reconnaissance de la pénalisation du client pourrait conduire à faire de la personne prostituée son complice ! Une telle incertitude a sans doute motivé le choix de recourir à la contravention du client plutôt qu'à reconnaître un délit ; décision d'autant plus contestable lorsqu'on mesure les conséquences de la prostitution sur celles et ceux qui en sont victimes !
Mme Catherine Teitgen-Colly. - Les associations nous ont en effet mis en garde contre la définition de critères d'agrément trop restrictifs. La proposition de loi présente une contradiction qui a des incidences constitutionnelles : en pénalisant le client, les auteurs de ce texte visent à éradiquer la prostitution. Mais cette activité demeure licite et ne peut, à ce titre, être empêchée lorsqu'elle est conduite de manière autonome. A la suite de l'arrêt « Pretty contre Royaume-Uni » de 2002 qui posait le principe « d'autonomie personnelle », la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé dans son arrêt « KA et AD contre Belgique » du 17 février 2005 que le droit d'entretenir des relations sexuelles découlait de celui de disposer de son corps. A cette jurisprudence protectrice de la vie privée s'ajoutent également les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne qui reconnaissent la prostitution comme une activité économique à part entière et fiscalisable. Afin d'éviter l'écueil d'une remise en cause du principe d'autonomie personnelle et des incidences juridiques de l'interdiction pure et simple de la prostitution qui demeure licite, la pénalisation du client et la contravention à laquelle elle devrait donner lieu apparaissent bel et bien comme des moyens détournés pour entraîner, à terme, la fin de cette activité.
A l'issue de l'ensemble des auditions que notre commission a conduites, la formation au respect de l'autre est apparue, davantage nécessaire que la pénalisation, au regard de l'ancienneté du phénomène de la prostitution qu'elle entend combattre et du relatif isolement de la France par rapport à ses voisins immédiats, à l'exception notable de la Suède.
Mme Christine Lazerges. - Il faut être raisonnable lorsqu'on légifère et certaines dispositions de la proposition de loi nous semblent remettre en cause, de manière indue, l'autonomie des personnes prostituées. En effet, toute infraction pénale se doit de correspondre à une valeur fondamentale de la société qui a été bafouée en instaurant une proportionnalité des peines avec l'infraction commise. Je pense que l'éducation est plus efficace que la répression, pour lutter contre la prostitution.
Mme Michèle Meunier.- L'avis de votre commission sur la proposition de loi, prise dans son intégralité, est-il négatif ?
Mme Christine Lazerges. - Il est négatif sur la pénalisation du client, mais positif sur l'ensemble du texte. En effet, la commission est unanime pour renforcer la lutte contre la traite et l'exploitation tandis que l'avis de nos membres sur la pénalisation du client, qui y étaient pourtant favorables au début de nos travaux, a évolué au gré des auditions. Cette évolution a d'ailleurs été la mienne et j'adhère également à la préconisation exprimée d'une plus grande pédagogie sur la question.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - La pédagogie est une forme de sanction.
Mme Catherine Teitgen-Colly. - La question du consentement, qui est au coeur du droit, n'est malheureusement pas abordée par la proposition de loi. Il est certes louable de mettre l'accent sur les réseaux qui organisent la traite des êtres humains, mais certaines personnes - nous en avons auditionnées - peuvent choisir la prostitution et leur choix, même si elles se trouvent à la marge de ce phénomène, doit être pris en compte par le législateur. D'ailleurs, il nous paraît dangereux d'opposer prostitution et dignité de la personne humaine, que ce soit sous le rapport objectif d'une opposition à la liberté personnelle, ou comme composante historique du droit de la personne humaine, comme l'a définie le Conseil d'Etat en 2009.
Mme Christine Lazerges. - D'ailleurs, la sous-commission « éthique » de la CNCDH vient de débuter un travail sur le consentement. S'agissant de la prostitution étudiante, nous avons tous en mémoire l'excellent téléfilm « mes chères études » qui rappelle que le consentement initial peut amorcer un engrenage conduisant à des pratiques addictives que renforce la précarité économique.
Mme Catherine Teitgen-Colly. - La proposition de loi véhicule une certaine vision de la personne prostituée. Or, comme le rappelle une récente étude sur les prostituées chinoises du Nord-Est parisien, la prostitution peut s'insérer dans un parcours migratoire et se substituer à l'esclavage domestique ou économique par lequel ces femmes sont arrivées sur le territoire national. Cet exemple illustre la diversité des parcours que la notion de « système prostitutionnel » occulte.
Mme Christine Lazerges. - Les réseaux mafieux passent de la traite des femmes à l'esclavage économique au gré de la conjoncture. C'est pourquoi cantonner la lutte contre l'exploitation au phénomène de la prostitution, comme le fait la proposition de loi, est une erreur.
M. Jean-Pierre Godefroy, Président. - Nous avons en effet été informés de la situation des prostituées d'origine chinoise lors de notre audition des officiers de la brigade de répression du proxénétisme. Confrontées au travail forcé, ces personnes voient la prostitution comme une activité plus rentable.
Mme Muguette Dini. - Notre commission spéciale connaît une évolution semblable à la vôtre ; nous avons entamé nos travaux avec certains a priori et les positions évoluent parfois au fil des auditions.
M. Jean-Pierre Godefroy, Président. - L'intégration dans un texte sur la prostitution de mesures destinées aux personnes transgenres me paraît délicate en ce qu'elle risquerait d'accroître leur stigmatisation. La loi française n'est pas adaptée et notre pays est très en-deçà de ce que l'Allemagne ou l'Argentine proposent comme solutions aux problèmes que ces personnes rencontrent.
Mme Cécile Riou-Batista, chargée de mission. - En effet, déposer sur cette proposition de loi un amendement destiné à améliorer la situation des personnes transgenres conduirait à amalgamer prostitution et transsexualité.
Mme Catherine Teitgen-Colly. - Cette question a en effet été débattue au sein de notre commission et nous avions auditionné des personnes transgenres pour lesquelles la prostitution, loin d'être un mode d'affirmation de leur identité sexuelle, permettait de financer les coûts des opérations chirurgicales nécessaires à leur changement de sexe.
Mme Christine Lazerges. - Je partage votre avis Monsieur le président. L'amendement que vous évoquez induirait l'assimilation des personnes transsexuelles à la prostitution. En revanche, déposer ultérieurement un texte, spécifiquement consacré à la notion de genre et visant à simplifier les démarches de changement d'état civil, me paraît aller dans le bon sens.
Mme Marie-Françoise Gaouyer. - L'officier de police suédois que nous avons auditionné nous a fait part des difficultés rencontrées dans la lutte contre les proxénètes et le démantèlement des réseaux d'exploitation, faute d'une politique européenne uniforme en matière de prostitution. En effet, au terme d'une interdiction de séjour de plusieurs années, les proxénètes, une fois leur peine purgée, se rétablissent en Suède pour renouer avec leurs pratiques délictueuses. Qu'en pensez-vous ?
Mme Catherine Teitgen-Colly. - Toute sanction étant temporaire, il paraît difficile d'en proroger l'effet au-delà de la durée fixée par le juge. Mais l'exemple que vous évoquez illustre la nécessité de traiter la question à l'échelle de l'Union européenne.
Mme Christine Lazerges. - En outre, l'interdiction du territoire érigée en sanction pénale pose de grosses difficultés en termes de respect des droits de l'homme.
M. Jean-Pierre Godefroy, Président. - Lorsque la police démantèle un réseau, les responsables sont toujours inculpés pour proxénétisme et jamais pour traite et exploitation d'êtres humains. La faiblesse de l'infraction conduit à minimiser l'impact de la peine de prison qui devient, pour les proxénètes, une sorte de passage obligé de leurs activités illégales.
Mme Catherine Teitgen-Colly. - Et ce que vous décrivez comme une minoration indue de la peine, faute d'une inculpation pour traite ou exploitation, se vérifie davantage dans d'autres domaines que la prostitution, comme l'exploitation domestique.
Mme Christine Lazerges. - Au lieu d'être poursuivies pour traite, les personnes le sont pour « hébergement dans des conditions indignes ». La qualification conduit ainsi à délivrer les sanctions les moins sévères. C'est pourquoi notre commission souligne l'importance de la gradation des infractions, afin de lutter effectivement contre la traite et l'exploitation des êtres humains, dont la prostitution peut fournir des circonstances aggravantes.
Mme Catherine Teitgen-Colly. - La qualification des infractions, comme nous l'évoquons dans notre avis, n'est pas toujours chose aisée, mais est pourtant essentielle pour maximiser les peines encourues par la traite et l'exploitation.
M. Jean-Pierre Godefroy, Président. - Je vous remercie, Mesdames, de votre intervention.
La séance est levée à 17 h 55.