Mercredi 11 juin 2014
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -La réunion est ouverte à 10 heures.
Organisme extra parlementaire - Désignation d'un candidat
La commission désigne Mme Claudine Lepage en qualité de candidate proposée à la nomination du Sénat pour siéger comme membre du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Archéologie préventive - Table ronde
La commission organise une table ronde sur l'archéologie préventive. Sont entendus :
- M. Thomas Vigreux, président de l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale (ANACT) ;
- M. Bertrand Bakaj, membre du Syndicat national des professionnels de l'archéologie (SNPA) ;
- M. Pierre Dubreuil, directeur général de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) ;
- M. Dominique Garcia, vice-président du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) ;
- M. Marc Drouet, sous-directeur de l'archéologie au ministère de la culture et de la communication.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous poursuivons ce matin le cycle de nos auditions consacrées aux politiques patrimoniales.
L'archéologie préventive mobilise généralement beaucoup les élus locaux. Nous en avions étudié la mise en oeuvre avec attention, il y a trois ans, lors de l'adoption du rapport de MM. Pierre Bordier et Yves Dauge intitulé « Archéologie préventive : pour une gouvernance au service de la recherche ».
Nous étions heureux de constater que plusieurs préconisations formulées par nos collègues avaient été reprises par les professionnels du secteur, notamment au sein du « Livre blanc de l'Archéologie préventive » remis en mars 2013 à la ministre de la culture, par M. Dominique Garcia, ici présent.
Alors qu'on nous annonce un projet de loi sur les patrimoines dont nous attendons toujours le texte - avec une certaine lassitude d'ailleurs, il nous semblait important de dresser un état des lieux de la mise en oeuvre de la politique publique de l'archéologie préventive en entendant plusieurs acteurs intervenant sous des formes et à des stades très divers.
Nous entendrons ainsi :
- M. Thomas Vigreux, président de l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale (ANACT), qui nous dira quels sont aujourd'hui les atouts et les éventuelles inquiétudes des services d'archéologie des collectivités territoriales ;
- M. Bertrand Bakaj, membre du Syndicat national des professionnels de l'archéologie (SNPA), qui pourra nous donner le point de vue des opérateurs privés et nous livrer son analyse des conséquences de la mise en concurrence depuis 2003 ;
- M. Pierre Dubreuil, directeur général de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), nous dira ce qu'il attend du projet de loi, comment il voit l'évolution du rôle de l'INRAP, et il pourra également nous dire un mot des conséquences des dysfonctionnements informatiques inacceptables rencontrés au niveau interministériel, qui empêchent la liquidation de la redevance d'archéologie préventive (RAP) ;
- M. Dominique Garcia, vice-président du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA), pourra nous éclairer sur le Livre blanc remis par la commission d'évaluation scientifique, économique et sociale de l'archéologie préventive, qu'il a présidée. Il nous dira également si le rôle de pilotage du CNRA a pu être affirmé depuis trois ans, répondant ainsi aux recommandations de notre commission ;
- enfin, M. Marc Drouet, sous-directeur de l'archéologie au ministère de la culture et de la communication, répondra certainement aux questions soulevées par les premiers orateurs et pourra nous éclairer sur les arbitrages - rendus ou à venir - en vue du projet de loi sur les patrimoines culturels.
Je vous propose de débuter par une présentation rapide puis le débat s'engagera avec l'ensemble des parlementaires de notre commission.
M. Thomas Vigreux, président de l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale. - L'ANACT est présent dans l'ensemble des services archéologiques agréés pour l'archéologie préventive au niveau national. Il constitue une plateforme de discussion, d'échanges et de propositions sur les questions d'archéologie en général, et d'archéologie préventive, en particulier. Aujourd'hui, l'archéologie de collectivité territoriale représente 110 services dont 70 sont agréés pour l'archéologie préventive. Elle regroupe des professionnels de l'archéologie et des musées qui oeuvrent dans des structures communales, intercommunales et départementales, soit environ 1 000 équivalents temps plein.
50 % de la population française dispose ainsi d'un service territorial d'archéologie. L'organisation des services est déterminée en fonction des problématiques locales et leur approche est adaptée aux spécificités des territoires. Ils constituent un outil d'aménagement du territoire au service des élus en matière de conseil et d'ingénierie et, sur un plan opérationnel, d'accompagnement pour le diagnostic et les fouilles.
Par ailleurs, les services territoriaux d'archéologie contribuent à donner du sens à nos territoires et à faire naître un sentiment de « vivre ensemble ». Les résultats de travaux sont partagés avec le grand public, les chantiers ouverts aux citoyens, ces actions s'appuyant sur la fonction de médiation des services d'archéologie.
Ils travaillent en collaboration avec des associations locales, les services régionaux d'archéologie (SRA), l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et les universités.
L'ANACT est très attachée aux territoires, à la proximité, et revendique une archéologie de terrain. Nous intervenons dans toutes les étapes de la chaîne archéologique depuis le conseil à l'aménagement jusqu'à la diffusion auprès du public et nous nous considérons comme un facilitateur de l'action publique locale.
Nous sommes concernés par deux grands enjeux au regard du projet de loi à venir sur les patrimoines : le financement de l'archéologie préventive et la reconnaissance de nos missions.
Sur le financement, nous effectuons 17 % des diagnostics et touchons 7 % de la redevance d'archéologie préventive (RAP), la différence étant compensée par les impôts locaux. Nous souhaitons une meilleure équité. Un groupe de travail sur les barèmes avait été mis en place par le ministère de la culture et de la communication, mais ses travaux se sont malheureusement interrompus après des échanges fructueux.
Sur la question de la recherche et de la valorisation, je rappelle que la mission d'archéologie préventive des collectivités territoriales date des années 70, bien avant la création de l'INRAP en 2001. Mais la loi ne reconnaît toujours pas cette dimension de notre activité, ce que nous avons souligné à l'occasion du Livre blanc. Dans la première version du projet de loi sur les patrimoines qui nous a été communiquée en septembre dernier, nos missions de recherche et de valorisation étaient reconnues. Toutefois, la seconde version conditionnait l'action des collectivités territoriales en matière d'exploitation scientifique des opérations d'archéologie préventive et de diffusion de leurs résultats à l'approbation de l'INRAP. Nous sommes depuis particulièrement inquiets, notamment au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales. Nous avons alerté la ministre de la culture et de la communication sur ce point, mais nous ne savons pas si nous avons été entendus.
Nous avons par ailleurs formulé des propositions pour la mise en place de « pôles publics » de l'archéologie préventive, qui tiennent compte de la diversité et de la spécificité des territoires. Nous ne sommes pas opposés à des partenariats publics qui mettraient autour d'une table l'ensemble des acteurs parmi lesquels les associations, les universités et pas seulement l'INRAP et les collectivités. Nous n'avons pas été sollicités, à ce jour, pour travailler sur ce thème.
Actuellement, nous ressentons une grande incertitude et beaucoup d'inquiétude.
M. Bertrand Bakaj, membre du Syndicat national des professionnels de l'archéologie. - Je représente Frédéric Rossi, président du SNPA, qui ne pouvait participer à cette table ronde. Le syndicat a été créé en 2009 et regroupe des opérateurs privés, c'est-à-dire des petites et moyennes entreprises (PME) qui interviennent sur les opérations de fouilles depuis l'ouverture à la concurrence prévue par la loi de 2003. Ces opérateurs ne bénéficient d'aucune subvention et doivent autofinancer l'ensemble de leurs activités qui s'agissent des opérations de terrain, d'étude, de médiation et de diffusion auprès du public. En tant qu'archéologues, nous sommes très attachés à la qualité mais nous devons aussi tenir compte des objectifs de rentabilité de nos activités.
La loi de 2003 a établi un cadre règlementaire plus clair pour nos activités mais elle a mis un terme à la possibilité de faire des diagnostics. Il existe dix-huit structures privées en France dont la plus importante comprend 200 personnes. Ces opérateurs interviennent grâce à des agréments qui leur permettent d'exercer sur la quasi-totalité du territoire.
Nous attendons avec impatience la loi sur les patrimoines. Dans les projets de texte dont nous avons pu prendre connaissance, les dispositions relatives à la propriété du matériel archéologique ont fait l'objet d'un consensus. Le projet de loi comporterait des dispositions prévoyant un contrôle accru des projets d'opérations de fouilles ainsi que des dispositions relatives au pôle public dont les contours restent à définir. Or l'agrément est déjà renouvelé tous les cinq ans sans possibilité d'une tacite reconduction, ce qui montre que le contrôle est déjà effectif et constitue une forte incitation à un travail de qualité.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je rappellerai que les opérateurs des collectivités territoriales sont également soumis à une obligation d'agrément.
M. Pierre Dubreuil, directeur général de l'Institut national des recherches archéologiques. - L'INRAP est soumis à une double tutelle du ministère de la culture et du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ses quatre missions concernent : la détection, la conservation et la sauvegarde du patrimoines archéologique ; l'exploitation des résultats des opérations d'archéologie préventive ; la valorisation et la diffusion des résultats de la recherche auprès de la communauté scientifique et du grand public ; enfin, la contribution à l'enseignement de l'archéologie. Depuis sa création, l'INRAP a su acquérir un rôle national. Il a ainsi réalisé 1 800 diagnostics et 260 fouilles en 2013. Son budget s'élève à 170 millions d'euros. Il dispose d'un conseil scientifique et l'on peut rappeler que 600 publications scientifiques ont été réalisées en 2012 sous sa responsabilité. Dans le cadre de sa mission de valorisation et de démocratisation culturelle, l'institut est chargé d'organiser les Journées nationales de l'archéologie qui ont donné lieu à plus de mille opérations sur l'ensemble du territoire.
Si l'INRAP a une exigence de bonne gestion, il ne lui incombe pas d'objectif de rentabilité.
Nous avons quatre attentes principales concernant la loi sur les patrimoines :
- nous souhaitons tout d'abord que l'INRAP soit confirmé dans sa mission et dans son rôle de garant de l'archéologie préventive ;
- nous attendons que soit consacré un pôle public rassemblant l'ensemble des acteurs publics dans une logique de complémentarité et non de concurrence. Nous multiplions les partenariats équilibrés avec les opérateurs publics de l'archéologie, dont les collectivités territoriales, les services régionaux de l'archéologie, les universités et tous les acteurs publics qui participent à l'archéologie préventive et à son rayonnement. Le dynamisme de cette politique de partenariats a permis la signature de trente-six conventions en 2013 avec des collectivités territoriales partout en France et des projets de valorisation, de même que vingt conventions sur des sujets plus généraux de partenariat également conclues avec des collectivités territoriales. Le pôle public doit permettre de développer des synergies entre ces acteurs publics dans un esprit de simplification et d'économie de moyens financiers et budgétaires ;
- nous souhaitons que soit réaffirmé le rôle de l'INRAP comme rassembleur des acteurs de l'archéologie préventive et de tête de réseau dans les domaines de la recherche et de la valorisation. Nous respectons le rôle de chacun des acteurs qui interviennent dans ce secteur et qui sont nombreux : on compte près de 90 opérateurs agréés. L'INRAP est le seul organisme à disposer d'un conseil scientifique et ne fait aucun compromis avec les exigences scientifiques qui lui incombent. Il nous semble indispensable de simplifier et d'optimiser l'exploitation et la diffusion de la recherche en archéologie sous l'égide du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA), dans le respect de l'apport et du rôle de chacun. La rédaction du projet de loi en l'état nous donne la responsabilité de « fédérer », ce qui doit s'entendre comme rassembler autour d'un pôle l'ensemble des forces et acteurs du secteur. Il n'est en aucun cas question de mettre sous tutelle qui que ce soit et d'assurer l'hégémonie de l'INRAP, qui n'en a ni la capacité ni la volonté ;
- enfin, nous souhaitons que soit soutenu à travers la loi, l'objectif de performance qui est assigné à l'INRAP. Dans le contexte actuel des finances publiques, il nous revient de mener notre activité dans le cadre d'une gestion performante et économe et dans le respect des normes sociales et scientifiques. Nous aspirons à ce que les exigences sociales et de qualité scientifique qui incombent à l'INRAP soient les mêmes pour les autres opérateurs et que, par conséquent, le contrôle par l'État de tous les opérateurs soit renforcé, y compris dans le cadre des agréments délivrés par le CNRA. C'est la raison pour laquelle nous refusons que l'archéologie préventive soit considérée comme une marchandise. C'est une discipline scientifique qui, en ce qui nous concerne, est une activité de service public. Nous n'avons pas vocation à dégager des bénéfices, même si nous devons présenter en fin d'année un compte financier en équilibre par rapport au budget primitif qui a été voté par le conseil d'administration.
L'INRAP est un établissement public qui ne coûte pas cher à l'État. Il est autofinancé aux deux tiers par les contrats de fouilles que nous passons lors des appels d'offres. Le reste de son financement provient de la redevance de l'archéologie préventive (RAP) qui est destinée à couvrir les charges de recherche et de valorisation. Le rendement de cette redevance n'a pas été optimal, voire plutôt erratique dans la période récente. Nous avons connu des problèmes d'encaissement, qui ont conduit le ministère de la culture à octroyer à l'institut des subventions compensatrices. Normalement, la RAP et les activités de fouilles devraient suffire à équilibrer le budget de l'institut. L'assiette de cette redevance a été réévaluée récemment afin d'obtenir un rendement optimal. Les problèmes d'encaissement intervenus au cours des deux dernières années et ayant pesé sur l'activité et la trésorerie de l'INRAP, devraient normalement être prochainement résolus pour que l'accroissement du rendement soit enfin effectif.
M. Dominique Garcia, vice-président du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA). - Le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) est une instance placée auprès de la ministre de la culture et de la communication, ce qui constitue en soi un point d'ambiguïté puisque l'archéologie touche un domaine plus large, interministériel, qui comprend notamment l'enseignement supérieur et la recherche. Nos missions, sur lesquelles je reviendrai, méritent d'être renforcées par rapport au droit en vigueur.
Je suis, pour ma part, professeur à l'Institut universitaire de France et à l'université d'Aix-Marseille, ainsi que vice-président du CNRA. Je crois donc être à cette table le seul archéologue de métier. La ministre de la culture et de la communication m'avait confié, de l'automne 2012 jusqu'au printemps 2013, la présidence de la commission chargée de l'évaluation scientifique, économique et sociale du dispositif d'archéologie préventive, dont le bilan, dix ans après l'adoption de la loi du 1er août 2003, a été présenté sous la forme d'un Livre blanc. Cette commission, composée de 27 membres, réunissait l'ensemble des acteurs de l'archéologie : des universitaires, du personnel du ministère de la culture et de la communication, les représentants des structures privées et les représentants des collectivités territoriales, ainsi que des inspecteurs généraux des affaires culturelles, des finances et de l'archéologie. Nous avons auditionné, pendant plusieurs mois, l'ensemble des acteurs concernés. Nous avons élaboré une série de propositions afin de nourrir le projet de loi annoncé sur les patrimoines. Le diagnostic que nous avons établi et les propositions qui s'en dégagent ont été approuvés par l'ensemble des membres de cette commission, dans leur diversité. Lors du vote électronique réalisé pour l'adoption du document, on a comptabilisé huit abstentions, motivées par le fait que nous n'allions pas assez loin dans la défense de l'opérateur historique qu'est l'INRAP.
La nouvelle loi devrait avoir pour objectif d'affirmer l'unicité de la discipline archéologique, en rappelant que l'opération de fouille ne constitue qu'un chainon de l'activité archéologique qui part généralement d'une programmation scientifique, de la définition de problématiques et d'une action de collecte de la documentation, d'une exploitation de cette documentation, ce qu'avait peut-être oublié la loi de 2003. Il est indispensable d'affirmer clairement le caractère scientifique et la particularité de cette discipline. Les archéologues sont les seuls à produire leurs propres archives. Les travaux programmés ou préventifs fournissent une documentation qui renouvelle de façon importante la connaissance du passé. Les informations recueillies sur le terrain permettent de revisiter des problématiques nouvelles. Les fruits des lois de 2001 et 2003 sont visibles et évalués par l'ensemble de la communauté archéologique internationale. Les synthèses européennes et internationales démontrent que l'archéologie, grâce à sa force de frappe affirmée par ces deux lois, permet de contribuer de manière extrêmement novatrice à la documentation archéologique.
L'archéologie n'est pas une documentation renouvelable, les archéologues s'en emparent de façon opportuniste au gré des aménagements du territoire. Il nous appartient de préserver certaines zones archéologiques mais aussi de recueillir cette documentation avec un maximum d'attention et de précision.
L'archéologie n'a jamais disposé d'autant de moyens et n'a jamais créé autant de professionnels de l'archéologie. Quand j'ai débuté mes études d'archéologie à la fin des années 1970, j'ai suivi en parallèle une licence de psychologie compte tenu du peu de débouchés professionnels observés dans le secteur de l'archéologie. Aujourd'hui, 75 % de nos étudiants en licence peuvent trouver un emploi.
Le pilotage de ces dernières années et les éléments de contrôle scientifique n'ont pas été assez affirmés. Il convient, dans la future loi, de renforcer le rôle de l'État en région en matière de contrôle scientifique et technique des opérations de fouille, qu'elles soient exécutées par un opérateur privé, un opérateur des collectivités territoriales ou par l'INRAP. Le dossier scientifique joint à l'opération de terrain doit être crédible. Nous ne sommes pas là simplement pour dégager un terrain de ses éléments anciens pour que les opérations d'aménagement puissent se dérouler sans difficulté ou à moindre coût... L'intervention d'un archéologue doit être justifiée par un dossier de qualité pour l'ensemble des opérateurs. Le contrôle des services de l'État sur le terrain est incontournable.
Il faut également garantir un contrôle de l'opérateur, quel qu'il soit, dans l'exercice de ses missions, notamment de la qualité de la formation des archéologues ou de leur capacité à définir des problématiques et à y répondre. C'est précisément le rôle du CNRA qui examine les dossiers des opérateurs des collectivités territoriales et des opérateurs privés. C'est sur la base de son avis que le ministre établit ses arrêtés d'agrément. Il convient, en particulier, d'être attentif à la qualité du projet scientifique, afin de rétablir un équilibre entre les différents types d'opérateurs. On a pu constater, en effet, que l'INRAP pouvait être, pour certaines opérations, sensiblement plus cher que les opérateurs privés. Lorsque ces derniers se verront appliquer le même niveau d'exigence scientifique, de recrutement et de formation du personnel, ils devront nécessairement augmenter le prix de leurs prestations.
En matière de missions patrimoniales et scientifiques, les collectivités territoriales devront accompagner leurs agents pour relever leur niveau de recrutement, de formation et de rendu des résultats de cette activité archéologique vers la communauté entendue au sens large, y compris le grand public et les chercheurs.
M. Dominique Garcia, vice-président du Conseil national de la recherche archéologique. - Depuis un an, à la demande de la ministre de la culture et de ses services, une attention toute particulière a été portée à des projets scientifiques proposés par les opérateurs. Dix ans après l'adoption de la loi, il ressort clairement que, à l'occasion du renouvellement de leur agrément, certains services de collectivités territoriales ont la capacité de réfléchir à un véritable projet scientifique, de réaliser un bilan de leur personnel, de prévoir, éventuellement, un plan de formation et de s'associer avec des équipes universitaires ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ces démarches et réflexions se font dans l'intérêt de tous.
Nous avons également constaté, au CNRA, qu'il était aisé de distinguer les collectivités territoriales ayant une véritable envie de s'investir, de celles pour lesquelles l'activité archéologique n'était qu'anecdotique. Ce constat a encore été fait récemment : le service départemental du Pas-de-Calais, par exemple, a été capable de fournir un dossier scientifique de qualité. L'ancien président du Comité national du CNRS, rapporteur de ce dossier, en a confirmé le haut niveau d'exigence. Ceci nous fournit un exemple de collectivité capable de s'investir, de constituer un dossier solide, et dès lors, de justifier son intervention.
Il en est de même pour les opérateurs privés : certains ont fait la preuve de leur capacité à fournir un dossier scientifique, atteignant le niveau d'exigence qui a été évoqué tout à l'heure ; d'autres, malheureusement, n'ont pas été en mesure de réaliser cette ambition scientifique. C'est là un point faible de la loi de 2003. Un exemple récent a trait à un opérateur privé dont nous avons pu constater, à l'occasion du renouvellement de son agrément, qu'il n'était pas en situation d'équilibre financier. Par ailleurs, cet opérateur, dans le but de faire des bénéfices, proposait ses services pour intervenir sur le terrain, alors qu'il n'avait pas rendu de rapport de fouilles, que le mobilier d'autres opérations était laissé en deshérence, et que le personnel qualifié avait fui la structure agréée et migré vers une entreprise où l'exigence archéologique était davantage respectée. Dans cette opération, par le biais d'un système complexe, on constate que le moins-disant l'emportait. Parmi les opérateurs privés, il est donc également possible de distinguer ceux qui ont une véritable ambition de recherche conformément à ce que prévoit la loi de 2003 et ceux qui ne l'ont pas. Aujourd'hui, un élément clé pour faire respecter ce niveau d'exigence est le contrôle scientifique et technique des opérations de terrain, mais également les missions d'évaluation de la recherche, qui concernent les opérateurs privés et les collectivités territoriales, mais également l'INRAP. Son conseil scientifique, ainsi que sa programmation interne, ont d'ores et déjà été évoqués. Le fait que l'INRAP soit doté d'un conseil scientifique et d'une programmation interne est un élément positif. Il convient cependant que cette programmation réponde à des attentes nationales, notamment celles du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et que ses travaux et ses missions s'inscrivent dans le cadre plus large de la recherche archéologique dans notre pays.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Sachez que tous les membres de cette commission sont soucieux à la fois de la recherche et de la culture. Les compétences de la commission font que ces deux ministères sont l'un comme l'autre nos interlocuteurs. Sachez également que, sur tous les bancs, de gauche comme de droite, vous avez ici des amis exigeants. Depuis plus de dix ans, et au cours de la dernière décennie, les membres de la commission ont eu à coeur de militer pour défendre l'exercice et la qualité de vos missions, et ce, parfois, en allant contre l'avis d'autres commissions, plus promptes à faire prévaloir l'action économique sur la sauvegarde du savoir et des objets matériels qui l'incarne.
M. Marc Drouet, sous-directeur de l'archéologie au ministère de la culture et de la communication. - En complément de ce qui vient d'être dit, je souhaite insister sur les questions auxquelles l'archéologie est aujourd'hui confrontée.
Tout d'abord, l'archéologie englobe deux missions de service public. La première est une mission de conservation. Le rôle fondamental des services régionaux de l'archéologie (SRA) est d'identifier les gisements en vue de leur conservation in situ. La seconde mission de service public est l'étude, mais cette dernière, comme l'a précisé M. Dominique Garcia, reste l'exception : elle doit être motivée, s'inscrire dans la programmation définie par le Conseil national de la recherche archéologique, parce qu'elle doit contribuer au développement des connaissances de l'histoire de l'humanité et de ses rapports avec l'environnement.
Évoquer ces deux missions de service public nous renvoie également à la question des modes de gestion. La gestion peut incomber, bien sûr à l'État, aux collectivités territoriales, mais nous ne sommes pas dans une configuration permettant la délégation de service public. Pour exercer cette mission, il arrive que des prestations soient confiées à des tiers, sans que la mission de service public soit déléguée. La mission de service public reste confiée à l'État et aux collectivités territoriales. On peut même dire que cette mission reste principalement confiée à l'État puisque celui-ci prescrit l'étude qui va permettre à la communauté scientifique de disposer de davantage d'informations et d'améliorer, dans l'intérêt du public, l'état des connaissances sur nos origines. Il est vrai, cependant que, depuis 2003, on confie à des tiers, qui peuvent être des opérateurs privés ou des associations, certaines prestations qui sont contrôlées.
D'un point de vue économique, cependant, l'archéologie préventive ne constitue pas un marché, dans la mesure où l'État est l'opérateur unique qui intervient en la matière. L'État définit l'offre, c'est-à-dire le nombre de prescriptions annuelles. Cette offre est strictement encadrée par la communauté scientifique qui souhaite également participer à cette mission de conservation du patrimoine in situ. Elle régule le nombre de fouilles pour juguler l'inflation d'informations qui seraient inutiles pour améliorer l'état des connaissances. Autrement dit, il n'y a pas de marché, car il n'y a pas de progression. Le nombre de prescriptions annuelles ne varie d'ailleurs pas et se situe autour de cinq cents. Dans la mesure où il n'y a pas de marché et où il est tout de même fait appel à des opérateurs privés, il est naturel que ces derniers aient exercé leur activité selon des logiques économiques d'entrée sur un marché. Pour ces opérateurs, la découverte de l'absence de marché, que je viens d'exposer, a été douloureuse. Nous avons pu le constater lors du dernier conseil national, à l'occasion duquel un opérateur ne s'est pas vu accorder le renouvellement de son agrément, parce que lancé à la recherche de profits, il s'est heurté à une réalité : le nombre de fouilles prescrites n'évoluait pas, d'autres opérateurs étaient présents et fournissaient un service de qualité que cette entreprise n'était pas en mesure de concurrencer. Elle s'est donc effondrée, suite à une accumulation des déficits. Cette situation la conduira, dans les jours à venir, et malheureusement pour les salariés, à une liquidation judiciaire. Il était donc grand temps, dix ans après l'adoption de la loi, et dans le cadre du Livre blanc, d'appeler l'attention des opérateurs sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un marché, même si l'on fera encore appel à la fois aux organismes publics et aux organismes privés.
Par ailleurs, au quotidien, et notamment pour les préfets de région qui disposent de la signature, cette mission de service public doit reposer sur un équilibre, sur un compromis entre la conservation et la recherche patrimoniale, d'une part, et l'aménagement du territoire, d'autre part. Il ne faut pas, bien entendu, que ce compromis se fasse dans l'intérêt ou au détriment systématique de l'une ou de l'autre de ces considérations. À chaque fois, il convient d'établir un dialogue entre les archéologues, la communauté scientifique et les aménageurs. Ce sont les termes de ce dialogue que nous recherchons. Il ne s'agit pas de transformer le pays en musée mais de trouver un équilibre, entre ce qui présente un intérêt pour la recherche et ce qui participe au développement et à l'aménagement du territoire. 36 000 dossiers parviennent chaque année dans les services régionaux de l'archéologie afin de savoir si une prescription est nécessaire. 2 500 prescriptions de diagnostic débouchent généralement sur 500 prescriptions de fouille, ce qui représente un total compris entre 1 et 2 % de fouilles sur l'ensemble des opérations d'aménagements chaque année. Le compromis que nous essayons d'établir est donc réel. Il faut souligner que lorsqu'un aménageur est confronté à une fouille, cette dernière constitue pour lui un événement et nous avons précisément pour mission de l'accompagner. La méthode que le ministère de la culture entend faire prévaloir est celle du dialogue, d'autant que, vous l'avez compris, la communauté archéologique est vaste et diverse. Ce dialogue avait été engagé par messieurs les sénateurs Bordier et Dauge à l'occasion du rapport qu'ils avaient rendu en 2011. Ces derniers avaient d'ailleurs pris part aux rencontres de l'archéologie préventive que nous avions organisées, et au cours desquelles étaient réunis des élus, des aménageurs et des opérateurs de l'archéologie. Il s'agissait de préfigurer cette réflexion, poursuivie par le Livre blanc. La concertation est toujours d'actualité. À ce jour, il existe plusieurs projets de texte, le projet de loi sur les patrimoines ne concernant d'ailleurs pas que l'archéologie, mais tous les types de patrimoine. Le texte est enrichi et évolue au gré du dialogue, qui se poursuit.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. -Avant de donner la parole à mes collègues, je pense que vous êtes le mieux à même de nous éclairer sur la question de la perception de la redevance d'archéologie préventive (RAP). J'espère que vous serez en mesure de nous rassurer quant à la résolution des problèmes qui ont été rencontrés.
M. Marc Drouet. - C'est en effet un sujet douloureux. Malheureusement, les termes du débat sont assez simples : vous avez, et nous vous en remercions, souhaité élargir l'assiette de la RAP à l'occasion du projet de loi de finances pour 2012. L'entrée en vigueur et la mise en application de cet élargissement de l'assiette se sont traduites par le maintien de deux filières de liquidation. La première est réalisée par les services régionaux de l'archéologie, qui liquident toutes les opérations d'aménagement soumises à étude d'impact. La seconde filière est liquidée par les services du ministère du logement en ce qui concerne les opérations d'aménagement soumises à une autorisation d'urbanisme. L'élargissement de l'assiette a, d'une certaine manière, déséquilibré le rapport entre les deux filières : le rendement atteint 30 % pour le ministère de la culture et 70 % pour le ministère du logement. Les services de ce ministère ont par ailleurs rencontré une difficulté informatique au cours de la liquidation. Faute de dialogue établi entre le logiciel du ministère du logement et le celui du ministère des finances, le logiciel Chorus, les titres émis ont été bloqués. Le problème n'a pas pu être résolu rapidement : les premières difficultés sont apparues en mars 2013 et comme les titres liquidés ne pouvaient pas être transmis à la Direction générale des finances publiques (DGFIP), chargée du recouvrement puis du versement de la RAP, le flux de crédits a été interrompu. Le rendement de la RAP a été limité à la part prise en charge par le ministère de la culture. Les recettes ont ainsi diminué de 70 % par rapport à ce qui était initialement attendu. Au mois de mars 2014, le problème a finalement été réglé, une solution technique ayant été trouvée pour permettre le dialogue entre les logiciels respectifs des deux ministères. Les premiers recouvrements sont en cours et nous parviennent. L'année 2013 a été difficile. Le ministère de la culture a fait des avances systématiques sur le programme 175 Patrimoines, pour soutenir cette activité, ce qui n'était bien entendu, pas prévu. La résorption de ce stock de titres liquidés et non encore recouverts va prendre du temps. Nous souhaitons évidement que le processus se fasse le plus rapidement possible. Je préciserai simplement que le problème se pose en termes de trésorerie car d'un point de vue budgétaire, la solution est trouvée. En effet, l'élargissement de l'assiette auquel vous avez consenti permet maintenant de disposer d'un équilibre pour le financement de l'INRAP, de la réalisation des diagnostics et du Fonds national d'archéologie préventive (FNAP). Ce dernier perçoit à peu près 30 % de la recette de la RAP pour financer des projets d'aménagements.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mes chers collègues, messieurs, je vous prie de bien vouloir excuser M. Vincent Eblé, notre rapporteur pour avis, actuellement coincé dans les embouteillages en cette journée de grèves.
M. Jacques Legendre. - Je me félicite de la tenue de cette table ronde, qui nous permettra de faire le point sur un dossier que notre commission suit depuis de nombreuses années.
Il nous a été indiqué qu'en matière d'archéologie, la première mission du ministère de la culture était une mission de conservation et je souhaiterais connaître les dispositions prévues dans le projet de loi à venir pour lutter contre les fouilles sauvages qui constituent des pratiques inadmissibles.
L'application de la loi du 1er août 2003, modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive, peut sembler insuffisamment souple, mais nous ne pouvons traiter différemment les entreprises publiques et les entreprises privées. Les collectivités territoriales, et certains particuliers, devant consentir à des efforts importants pour répondre aux obligations liées à l'archéologie préventive, nous devons exiger que les prestations effectuées répondent à certaines exigences en termes de qualité scientifique.
Les filières d'études archéologiques sont de plus en plus nombreuses et la communauté des spécialistes en archéologie est en développement, ce qui est une bonne chose. Nous devons cependant nous poser la question des débouchés offerts dans un domaine où, par définition, les marchés et donc les emplois sont limités.
Enfin, j'aimerais connaître la nature des rapports que vous entretenez avec le ministère de la recherche, qui a vocation à s'intéresser à votre activité, et dont des représentants auraient pu participer à cette table ronde.
M. Jean Boyer. - Il arrive que des particuliers, mus par leur individualisme plus que par l'intérêt collectif, bloquent certains projets au motif que des restes archéologiques se trouvent sur leur propriété. Un site préhistorique se trouve sur le territoire de ma commune et je voudrais savoir quelles règles s'appliquent en de telles circonstances pour déterminer la propriété du sol et celle du sous-sol ?
Par ailleurs, selon vous, la valeur d'un site archéologique dépend-elle plutôt de sa rareté ou de son ancienneté ?
M. Pierre Bordier. - La tenue de cette table ronde est bienvenue, trois ans après la publication du rapport d'information qu'Yves Dauge et moi-même avions produit sur l'archéologie préventive.
Si certaines préconisations de ce rapport, telle que l'organisation des rencontres de l'archéologie préventive, ont été mises en oeuvre, j'observe que les choses ont peu évolué et que certains blocages persistent entre les différents acteurs.
M. Dubreuil nous a indiqué que l'INRAP s'attachait à ne consentir à aucun compromis en matière scientifique : comment doit-on interpréter ce propos par rapport aux autres acteurs ?
J'aimerais savoir si le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) associe davantage les acteurs privés intervenant dans ce domaine.
De même, le ministère de la recherche manifeste-t-il suffisamment d'intérêt pour une discipline qui relève aussi de sa compétence ? J'ai le sentiment que la réponse est toujours négative.
Je m'interroge enfin sur les conditions d'obtention des agréments donnés à certaines entreprises privées dont la qualité des prestations est notoirement insatisfaisante.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Pour illustrer les propos de M. Legendre s'agissant des fouilles sauvages, je vous avouerais avoir été parfois surprise par la nature et la qualité de certains objets proposés à l'achat sur les sites de vente en ligne avec enchères entre particuliers. La convention CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction) a été signée pour définir des moyens de protection de la faune et de la flore. En outre, les industries du luxe ont très bien su prendre des dispositions pour lutter contre la vente en ligne de vêtements ou sacs de marque contrefaits. Une telle veille existe-t-elle pour la vente d'objets archéologiques ?
M. Pierre Dubreuil. - Permettez-moi de répondre en premier lieu à la question de MM. Jacques Legendre et Pierre Bordier, relative à la qualité scientifique : en disant qu'à l'INRAP il n'existe aucun compromis avec la qualité des prestations, je voulais dire que nous avons le plus haut degré d'exigence quant au résultat de nos travaux scientifiques. Le président de l'établissement - qui sera très prochainement nommé -, archéologue, le conseil scientifique et tous les agents sont les garants de cette qualité scientifique. Nous souhaitons que le même niveau d'exigence soit demandé à tous les opérateurs, notamment lors de l'examen du renouvellement de l'agrément.
Pour ce qui concerne la question des normes, je rappelle que lors d'un appel d'offres, le facteur prix est déterminant. Nous souhaitons simplement qu'il ne soit pas le seul et que soient également prises en compte les dimensions environnementale, sociale, d'hygiène et de sécurité. La Cour des comptes a d'ailleurs récemment transmis aux tutelles un référé relatif aux comptes de l'INRAP dans lequel elle appelle de ses voeux une normalisation permettant d'encadrer l'élaboration des devis d'opérations.
Pour répondre à votre interrogation sur d'éventuels blocages, mon point de vue est que des tensions entre opérateurs, notamment liées au facteur prix, sont nées de l'évolution du marché de l'archéologie préventive. En effet, ce dernier a connu une forte expansion pendant plusieurs années mais il est aujourd'hui en contraction en raison de la crise économique, du logement et de la construction. Dans ce contexte, nous souhaitons que le projet de loi sur les patrimoines organise davantage la coopération que la concurrence entre les différents acteurs. C'est dans cet esprit que s'inscrit l'ambition de mise en oeuvre d'un pôle public qui serait capable de mettre fin aux dysfonctionnements que vous avez soulignés, dans l'intérêt de l'archéologie préventive et du patrimoine que vous avez voulu protéger à travers plusieurs lois successives.
Je regrette également l'absence du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche dont on commence à percevoir une meilleure implication, mais actuellement je reconnais que la tutelle n'est pas suffisante. Si l'INRAP doit devenir un véritable institut de recherche, alors il devra s'appuyer sur le ministère en charge de la recherche dont le rôle est essentiel.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je tiens à préciser que cette table ronde, comme les précédentes, vise à préparer les futurs travaux relatifs au projet de loi sur les patrimoines culturels, piloté exclusivement par le ministère de la culture. C'est la raison pour laquelle le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche n'était pas convié aujourd'hui.
M. Dominique Garcia. - La question de la formation mérite que l'on souligne le rôle de l'université qui a su accompagner la loi de 2003 et le développement de l'archéologie préventive en adaptant ses formations. Ainsi l'accent a été mis sur les techniques de terrain tandis que les maquettes pédagogiques ont été modifiées pour proposer des licences et masters professionnels et former les archéologues. On a observé une diversification des recrutements des archéologues, notamment dans le secteur de l'édition. La multiplication des titres de presse consacrés à l'archéologie illustre la mobilisation des connaissances archéologiques et l'intérêt croissant des citoyens.
Lors de la rédaction du Livre blanc, personne n'a remis en question le principe même de l'archéologie préventive, les contestations n'ayant visé que les modalités de mise en oeuvre de la politique publique. On doit être fier de ce résultat aujourd'hui. Il me semble que dans les années à venir nous serons face à un défi de formation continue : il serait utile que les archéologues puissent revenir à l'université pour accompagner cette démarche universitaire.
Il y a 15 ans, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche négligeait l'archéologie préventive. Cependant aujourd'hui, elle constitue un enjeu fort notamment pour le CNRS qui a mobilisé des moyens importants en faveur des unités mixtes de recherche pour accompagner l'exploitation scientifique et la publication des résultats des fouilles. La politique d'archéologie préventive a permis l'émergence d'une archéologie nationale et un intérêt fort des universitaires pour les objets d'étude sur notre territoire.
Pour répondre à la question de M. Boyer sur les priorités, il est intéressant de noter que grâce à la loi, la notion de site archéologique a évolué, épousant une acception toujours plus large puisqu'aujourd'hui on considère un territoire et non plus un simple monument. Les opérations d'archéologie préventive peuvent être très utiles dans la redéfinition programmée des territoires. Je prendrai l'exemple de Caen pour illustrer mon propos, puisque le résultat de chantiers successifs a permis de redéfinir une communauté de communes. Les archéologues peuvent fournir des informations chronologiques utiles pour mettre en perspective l'aménagement du territoire - et par exemple prévenir les crues dans les zones à risque - et pour les acteurs économiques et sociaux.
M. Thomas Vigreux. - À l'issue de leur formation, les archéologues sont recrutés, par ordre de préférence, par l'INRAP, les collectivités territoriales puis les opérateurs privés. Ces derniers disposent toutefois de l'avantage d'embaucher en contrat à durée indéterminée, alors qu'à défaut de l'obtention d'un concours de la fonction publique territoriale, les collectivités ne proposent que des contrats à durée déterminée. Le système du concours ne me semble, à cet égard, guère adapté à assurer la pérennité de l'emploi aux archéologues recrutés par les collectivités territoriales, en conflit d'intérêt quotidien entre leur souhait de s'investir professionnellement dans un territoire et la nécessité de bénéficier d'une sécurité de l'emploi que seul le concours peut offrir. Cette réglementation peut conduire à rendre difficile l'obtention d'un agrément pour un service archéologique, tant le fonctionnement des ressources humaines en collectivités territoriales est inadapté. Ainsi, un service agréé doit disposer de spécialistes par période comme par thématique. Or, comment envisager qu'une collectivité territoriale prenne le risque de tels recrutements sans avoir la certitude préalable que son service d'archéologie sera in fine agréé ?
S'agissant des blocages que nombre d'entre vous avez évoqués, il me semble essentiel de faire vivre les conventions existant, dans le respect des spécificités locales et sur la base du volontariat, entre l'INRAP et les collectivités territoriales. J'userai, à cet égard, du terme « pôles publics » ; l'utilisation du pluriel différant de la situation monopolistique en vigueur jusqu'à la réforme de 2003. Les élus locaux commencent à peine à s'investir sur les questions complexes d'archéologie préventive : ne modifions pas, dès lors, le système en créant d'inutiles « usines à gaz ».
M. Bertrand Bakaj, membre du Syndicat national des professionnels de l'archéologie. - Notre syndicat avait déjà rencontré M. Jacques Legendre, il y a quelques années pour évoquer les questions relatives au rôle des opérateurs privés de l'archéologie préventive.
Pour revenir au projet de loi sur les patrimoines, sujet dont nous nous sommes quelque peu écartés, je partage l'exigence de qualité pour l'ensemble des opérateurs. Je m'étonne, en revanche, des demandes récurrentes de nouvelles normes en matière sécuritaire et environnementale, dans un contexte où le code du travail comme la convention collective applicable aux bureaux d'études apparaissent particulièrement contraignants en la matière. Les normes existent déjà même si, je vous l'accorde, leur application gagnerait à être mieux suivie et contrôlée.
Depuis la loi de 2003, se sont développées plusieurs structures privées dont certaines ont, depuis lors, disparu à défaut d'avoir mis en oeuvre les moyens de mener efficacement leurs missions. J'avais évoqué ce risque à l'époque de la rédaction du Livre blanc : il est facile de fouiller un site, il l'est moins de rédiger des rapports. De fait, a contrario du risque de prolifération d'opérateurs privés évoqué par l'Assemblée nationale lors des débats de 2003, on observe une régulation du marché et une stabilisation du nombre de ces opérateurs à une petite vingtaine. Je partage donc le sentiment exprimé par M. Thomas Vigreux s'agissant de la maturité progressivement atteinte par le système mis en place en 2003. Ne modifions donc pas inutilement la législation, hormis sur quelques adaptations mineures et consensuelles, notamment pour ce qui concerne le mobilier archéologique.
Enfin, s'agissant des problématiques scientifiques, je ne peux que constater que les exigences demandées en la matière aux opérateurs privés ne sont pas logiquement suivies de la participation de ces derniers aux instances scientifiques de l'archéologie préventive. À titre d'exemple, et comme le proposait pourtant dès juillet 2011, le rapport « Archéologie préventive : pour une gouvernance au service de la recherche » de MM. Pierre Bordier et Yves Dauge, il conviendrait qu'un représentant des opérateurs privés soit membre de droit du CNRA. Il me semblerait également utile que nos salariés, dont le niveau de qualification est identique à celui des archéologues en poste à l'INRAP ou dans les collectivités territoriales, soient autorisés à intégrer des unités mixtes de recherche (UMR) mais également à bénéficier de jours homme/recherche dans le cadre de projets d'activités scientifiques (PAS). Sur ce point, je regrette que, dans sa lettre adressée à M. Garcia en date du 23 octobre dernier, Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, se montre si réservée sur l'intégration d'archéologues salariés des opérateurs privés comme membres de droit des UMR, cette position me semblant contraire aux qualités scientifiques exigées de ces mêmes archéologues.
S'agissant des blocages évoqués, ils m'apparaissent en réalité procéder plus de problèmes de personnes que du système lui-même, même si ce dernier peut, à certains égards, sembler conservateur. Peut-être un renouvellement générationnel permettra-t-il de lever les quelques obstacles constatés ? Il est exact, en revanche, qu'après l'embellie économique des années 2006 à 2008, le marché de l'archéologie préventive connait une contraction préoccupante. Les opérations sont moins nombreuses et chaque structure répond à l'ensemble des appels d'offres, concurrence effrénée qui génère craintes et crispations. Toutefois, si le marché de l'archéologie préventive connaissait un nouveau regain, il conviendrait de le réguler : les opérateurs privés pourraient alors constituer d'utiles variables d'ajustement dans un contexte où l'INRAP, comme les collectivités territoriales, voient leurs effectifs contraints.
M. Dominique Garcia. - En tant que vice-président du CNRA, j'ai à coeur de rappeler que les décisions prises par notre institution sur les demandes d'agrément des services territoriaux ou des opérateurs de l'archéologie préventive s'appuient sur des expertises confiées à deux membres du Conseil national avec l'aide des services régionaux d'archéologie. Sur cette base, et à l'issue d'un débat constructif entre collègues, un vote, dont le résultat est le plus souvent tranché, permet au CNRA de prendre des décisions éclairées. À titre d'exemple, vingt-huit voix sur un total de trente se sont prononcées en faveur de l'agrément de l'entreprise suisse Archeodunum, malgré les craintes que ce type de société peut susciter chez certains scientifiques. Dans ce cadre, il ne me semble pas problématique qu'un représentant des opérateurs privés soit membre de droit du conseil, dès lors qu'il y siège en qualité d'expert scientifique.
J'ajouterai que, pour ma part, je ne constate pas de réelles crispations autour de l'agrément de tel ou tel acteur. Le Livre blanc a, en effet, largement contribué à apaiser les craintes des uns et des autres. Il convient désormais d'apprendre à toujours mieux travailler ensemble, qu'il s'agisse de fédérer les énergies comme l'appelait de ces voeux M. Pierre Dubreuil ou de développer des pôles publics à l'instar de la proposition de M. Thomas Vigreux. En tout état de cause, nombreux sont déjà les exemples de coopération. Ainsi, c'est en s'associant avec l'INRAP, qui disposait de préhistoriens compétents, que le service d'archéologie préventive de Nice, à court de préhistoriens, a pu être agréé.
M. Pierre Dubreuil. - Ces partenariats existent en effet déjà. Lorsqu'il manque un spécialiste de tel ou tel champ ou de telle ou telle période, l'INRAP joue pleinement son rôle. Doit-on aller plus loin ? Je le pense. Nous devons renforcer les conventions entre les collectivités territoriales et l'INRAP. Il est inutile de les remettre en cause, nous devons simplement les appliquer et organiser les partenariats avec plus de volonté.
En revanche, il faut tenir compte des contraintes spécifiques de service public qui pèsent sur l'INRAP. Il doit prendre en charge le diagnostic lorsque les collectivités territoriales ne le font pas. Rappelons que deux tiers des collectivités territoriales n'ont pas de service agréé. Dans ces conditions, je dénonce les risques de concurrence lorsque les services des collectivités se concentrent sur les chantiers rentables et laissent les autres à l'INRAP. Il nous faut plutôt une convention globale qui comprenne le diagnostic et les fouilles. Le système actuel encourage une concurrence parfois peu saine qu'il faut encadrer davantage dans le respect des missions de service public.
M. Marc Drouet. - Le pillage est malheureusement une réalité mais le ministère en fait une de ses priorités d'action dans la lignée du rapport du CNRA de 2011. Nous entreprenons parallèlement des actions pédagogiques et répressives.
Les actions pédagogiques tiennent compte du fait que le pillage est fréquemment dû à des utilisateurs de détecteurs de métaux. La loi oblige le vendeur de ces instruments à rappeler leur condition d'utilisation. En particulier, il est interdit de s'en servir pour des fouilles archéologiques sans autorisation préalable. L'encadrement de l'utilisation est donc sévère mais force est de constater le décalage entre les possibilités laissées aux détenteurs de détecteurs de métaux et le nombre de ventes de ces instruments réalisées chaque année. Une association d'utilisateurs a d'ailleurs saisi la Commission européenne d'un recours contre la loi française qu'elle considère contraire aux règles du marché intérieur. La défense du ministère repose sur le principe bien stabilisé que la liberté d'achat est garantie mais que la loi peut encadrer l'utilisation. Il y a bien un besoin d'explication et de pédagogie ; c'est pourquoi le ministère de la culture a publié des plaquettes synthétiques qu'il diffuse régulièrement.
En fait d'action pénale, le ministère de la culture a entrepris une sensibilisation des services de police et de gendarmerie ainsi que des douanes. Un agent du ministère est affecté spécialement aux relations avec ces services et travaille avec l'office spécialisé en la matière. La sensibilisation concerne également les magistrats grâce à des formations dispensées à l'école nationale de la magistrature. Il est essentiel que l'appareil judiciaire comprenne la nécessité de poursuivre les infractions à la législation sur le patrimoine.
J'ai personnellement été entendu comme expert dans une affaire jugée par le tribunal de Melun. En collaboration avec les douanes et la gendarmerie, nous étions parvenus à débusquer un réseau très organisé. En remontant la filière, nous avions réussi à saisir un butin colossal de pièces de l'époque du bronze dont le total excédait la collection exposée au musée national d'archéologie de Saint-Germain-en-Laye. Beaucoup avaient pourtant déjà été écoulées sur Internet. C'est la raison pour laquelle nous exerçons une veille sur les sites et que nous envoyons systématiquement un courrier aux responsables dès que nous observons une vente en ligne suspecte. Il est clair que les opérateurs ne connaissent pas la législation sur le patrimoine, mais ils sont en général très réceptifs à nos demandes.
Outre la question du pillage c'est le régime de propriété des vestiges qui occupe particulièrement les services du ministère ces temps-ci. Ce régime est en effet très éclaté puisqu'il faut distinguer entre les vestiges mobiliers et immobiliers, entre les produits d'une fouille préventive d'une fouille délibérée et d'une découverte fortuite, ainsi qu'entre les recherches maritimes et terrestres. Nous avons l'ambition de rassembler ces différents régimes au sein d'un nouveau cadre unifié et refondu. En tout état de cause, il nous faudra respecter la Constitution, les normes communautaires et le code civil. C'est une tâche très ardue ; l'objectif est bien de pouvoir établir la propriété de l'État, en conservant la faculté, pour les collectivités territoriales, de disposer des objets pour les présenter au public et en faisant obligation aux éventuels propriétaires privés de contribuer financièrement à la conservation des sites. Comme exemple de gestion privée, j'aimerais donner l'exemple remarquable de la grotte des trois frères qui présente des conditions de visite et de conservation excellentes.
La réunion est levée à 12 heures.