Mercredi 4 juin 2014
- Présidence de Mme Annie David, présidente -La réunion est ouverte à 10 heures.
Aide à domicile - Examen du rapport d'information
Mme Annie David, présidente. - Nous examinons le rapport d'information de Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe sur l'aide à domicile.
M. Dominique Watrin, rapporteur. - La commission des affaires sociales a lancé en début d'année une mission relative à la situation des services d'aide à domicile qui interviennent auprès des personnes handicapées ou âgées en situation de perte d'autonomie. Beaucoup de ces structures sont confrontées à une dégradation de leur situation financière qui, dans certains cas, menace leur pérennité. Nous avons souhaité mieux comprendre ces difficultés mais également tracer les pistes d'une amélioration durable du fonctionnement des services. Après une vingtaine d'auditions, une table ronde ayant rassemblé les syndicats de salariés représentatifs dans la branche de l'aide à domicile et deux déplacements, le premier en Haute-Loire et le second dans le Val-de-Marne, notre constat est clair : il est urgent d'agir !
Les difficultés rencontrées par le secteur sont dues en premier lieu à une contraction à la fois des dépenses publiques et de celles des ménages. Cette évolution est particulièrement marquée pour les conseils généraux, qui font face à un effet de ciseaux entre la croissance soutenue des charges liées aux prestations individuelles de solidarité et la diminution de leurs recettes. Dans ces conditions, le niveau des plans d'aide ne peut augmenter significativement tandis que certains bénéficiaires, confrontés à des restes à charge croissants, renoncent à consommer l'ensemble des plans qui leur sont alloués. De plus, l'augmentation constatée des tarifs horaires conduit à des plans d'aide moins riches en heures, compte tenu des plafonds applicables pour chaque groupe iso-ressources (GIR). Les services d'aide à domicile, dont l'activité avait pu être stimulée par la forte montée en charge de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH), voient celle-ci stagner, lorsqu'elle ne diminue pas. Un autre facteur tient au système de tarification horaire qui n'est aujourd'hui plus en mesure de couvrir l'ensemble des coûts, particulièrement rigides dans la mesure où les dépenses de personnel en représentent 80 % à 90 %. En outre, le secteur demeure organisé autour d'un grand nombre de petites structures, dont certaines n'atteignent pas la taille suffisante pour être viables financièrement.
Dès lors, nombreuses sont les associations et les entreprises qui, chaque année, grignotent un peu plus leurs fonds propres pour compenser des déficits récurrents. Pour pallier cette situation, deux fonds d'urgence d'un montant de 50 millions d'euros chacun ont été créés en 2012 et 2013 dans le cadre de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour venir en aide aux structures les plus en difficulté. Mais sans une réforme structurelle du secteur, ces mesures ponctuelles ne font que retarder un processus inexorable de détérioration de la situation financière des services. Une réforme d'ensemble est urgente. Le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement a été présenté hier en Conseil des ministres. L'ensemble du texte s'articule autour d'un élément central, le maintien à domicile, souhaité par une très grande majorité de Français et brandi depuis de longues années comme l'un des axes forts devant guider les politiques publiques à destination des personnes âgées. Il existe là une opportunité pour le Parlement de proposer les évolutions nécessaires à l'amélioration durable du fonctionnement des services d'aide à domicile.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Dans quel environnement légal et réglementaire évoluent aujourd'hui ces structures ? Un seul mot suffirait à le décrire : la complexité.
Historiquement, ce sont les associations qui, dans le contexte de reconstruction de l'après Seconde Guerre mondiale, ont porté les premiers services d'aide à domicile, principalement à destination des familles en difficulté, de façon plus ponctuelle auprès des personnes âgées malades ou isolées. C'est aujourd'hui ce public qui concentre l'essentiel des interventions. Les principales fédérations regroupant ces associations, qu'il s'agisse notamment de l'UNA ou, en milieu rural, de l'ADMR, nous sont bien connues. Les centres communaux et intercommunaux d'action sociale (CCAS/CIAS) ont également créé leurs propres services. Depuis près de vingt ans, les entreprises privées sont elles aussi en mesure de développer des activités de service au domicile des publics fragiles. La loi du 29 janvier 1996 en faveur du développement des emplois de services aux particuliers ouvre en effet aux entreprises qui se consacrent exclusivement à des tâches ménagères ou familiales la possibilité de bénéficier d'un agrément jusque-là réservé aux seules associations. La loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne, dite loi « Borloo », a opéré un changement profond en faisant de l'aide au domicile des publics fragiles une catégorie d'un champ plus vaste regroupant l'ensemble des services à la personne.
Derrière la volonté d'ouvrir ce secteur à l'initiative privée réside la conviction selon laquelle les services à la personne représentent un gisement considérable d'emplois non délocalisables pour des publics a priori éloignés du marché du travail car souvent peu ou non qualifiés. Le plan Borloo, défini en février 2005, s'était ainsi fixé l'objectif d'aboutir à la création de 500 000 emplois en trois ans. En 2012, les organismes prestataires de services à la personne employaient environ 430 000 salariés dont un peu moins de 250 000 au sein d'associations. Particulièrement affectées par la crise de l'aide à domicile, ces dernières ont perdu près de 10 000 emplois en 2011 puis 2012.
La double injonction assignée aux services d'aide à domicile - favoriser la cohésion sociale et soutenir le développement de l'emploi - explique en grande partie la complexité de l'environnement juridique dans lequel évoluent aujourd'hui ces structures.
Depuis 2005, coexistent en effet deux modalités de création. En premier lieu, les services peuvent être autorisés pour une durée de quinze ans par le président du conseil général. Depuis la loi « HPST » du 21 juillet 2009, l'autorisation est subordonnée à la mise en place d'un appel à projets, procédure applicable dans l'ensemble du secteur médico-social. Mais les services peuvent également faire le choix de l'agrément, délivré pour cinq ans après avis du conseil général, par les directions du ministère du travail présentes dans le département. Si la délivrance de l'autorisation vaut agrément, l'équivalence n'est pas totale et l'agrément ne vaut pas autorisation. Ces deux procédures correspondent à des logiques différentes : soutien à l'emploi pour l'agrément ; construction d'une offre de services médico-sociaux en fonction des besoins identifiés sur les territoires départementaux pour l'autorisation. Si la loi pose le principe d'exigences de qualité équivalentes pour les services autorisés et agréés, la fréquence et les modalités selon lesquelles celle-ci est évaluée varient.
Le droit d'option entre autorisation et agrément emporte également des conséquences en termes de tarification. Lorsqu'une structure est agréée, elle fixe librement le tarif horaire de la prestation avec l'usager au moment de la signature du contrat. L'évolution du tarif est ensuite encadrée dans une limite fixée chaque année par arrêté ministériel. Si l'intervention s'effectue dans le cadre de l'APA ou de la PCH, une partie de son coût est prise en charge par le conseil général sur la base d'un tarif de référence qu'il a lui-même défini. La délivrance de l'autorisation conduit, quant à elle, à la mise en place d'une tarification administrée, définie dans le cadre d'une négociation budgétaire annuelle entre le conseil général et chaque structure concernée. A ces deux types de financements s'ajoutent ceux apportés par les caisses d'assurance vieillesse dans le cadre de leur action sociale auprès des retraités les moins dépendants, c'est-à-dire relevant des GIR 5 et 6. L'heure d'aide à domicile est alors financée sur la base d'un tarif défini au niveau national et par conséquent identique sur l'ensemble du territoire. En 2013, le tarif horaire fixé par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) s'élevait à 19,40 euros.
Les tarifs appliqués aux structures autorisées sont extrêmement variables selon les territoires. Ils sont compris en moyenne entre 17 et 25 euros de l'heure. Une étude de la Cnav pour l'année 2010 indique par ailleurs que près de 60 % des conseils généraux appliquaient cette année-là une tarification moyenne inférieure à celle de la Cnav. Or ce tarif est jugé largement insuffisant par la plupart des acteurs. S'agissant des services agréés, le tarif de référence qui leur est appliqué est lui aussi souvent inférieur au tarif national fixé par la Cnav. Bien qu'aucune étude nationale de coûts ne permette, pour le moment, d'avoir une appréciation précise des charges supportées par les structures d'aide à domicile, toutes les auditions que nous avons menées nous conduisent à estimer que le tarif permettant d'assurer l'équilibre financier, la qualité des services et le bien-être des salariés est beaucoup plus élevé que celui appliqué par la Cnav. Au final, si la variabilité des tarifs entre les départements pose question en termes de couverture équitable des besoins, leur faible niveau général nuit aussi bien à la qualité du service rendu qu'aux salariés, notamment en décourageant les efforts de formation et de professionnalisation réalisés par les services.
Dernier élément de complexité, l'intervention au domicile peut s'effectuer selon trois modes distincts. On parle de gré à gré lorsque l'intervenant est directement salarié par la personne chez qui il vient travailler. L'activité est exercée en mode prestataire lorsque le bénéficiaire n'est pas employeur mais simple usager d'un service délivré par une personne salariée d'une association, d'une entreprise ou d'un CCAS. Il existe enfin un dispositif intermédiaire dans lequel le bénéficiaire emploie l'intervenant mais se voit déchargé d'un certain nombre de formalités administratives par la structure d'aide à domicile : c'est le mode mandataire. La coexistence de ces trois modes d'intervention n'est pas sans conséquences. Une heure de gré à gré étant moins onéreuse qu'une heure en mode prestataire, cette modalité d'intervention est parfois privilégiée par les personnes les plus dépendantes qui, dans le cadre d'un plan d'aide par définition fermé, ont besoin d'un grand nombre d'heures d'intervention. Mais le gré à gré emporte pour le bénéficiaire, du fait de son statut d'employeur, des responsabilités que n'impose pas le fait d'être simple usager d'un service d'aide à domicile. Les salariés sont également placés dans des situations différentes. Outre qu'ils sont régis par des conventions collectives distinctes, leur environnement de travail varie considérablement : si le gré à gré permet probablement une plus grande liberté d'organisation, l'encadrement qu'apporte une structure d'aide à domicile peut être appréciable s'agissant de métiers caractérisés par une grande solitude d'exercice et par la confrontation à des situations humaines difficiles.
M. Dominique Watrin, rapporteur. - La profession est féminine dans son immense majorité. En 2010, 98 % des professionnels intervenant au domicile de personnes fragilisées sont des femmes. Leur moyenne d'âge est relativement élevée - 45 ans -, certaines intervenantes ayant eu parfois une autre vie professionnelle avant de s'engager dans le secteur de l'aide à domicile. 62 % d'entre elles ne disposent d'aucun diplôme dans le secteur sanitaire ou social et 70 % travaillent à temps partiel. Il existe d'ailleurs un lien de corrélation entre ces deux indicateurs : plus les intervenantes sont qualifiées, plus leur temps de travail est élevé.
Alors que des efforts importants de revalorisation salariale avaient été réalisés au début des années 2000 pour les salariés des structures privées non lucratives, le gel du point d'indice depuis le mois d'avril 2009 conduit à un tassement des rémunérations au niveau du Smic. Le taux d'évolution de la masse salariale, fixé chaque année par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour l'ensemble du secteur médico-social, laisse des marges de manoeuvres quasiment inexistantes aux partenaires sociaux pour envisager des hausses globales de salaires. Il est de 1,1 % pour l'année 2014, un taux qui permet simplement de prendre en compte le glissement vieillesse technicité (GVT). A la faiblesse des rémunérations s'ajoute une prise en compte limitée des frais professionnels, pourtant nombreux chez les intervenants à domicile. Pour prendre le seul exemple des frais de transports, ceux-ci sont indemnisés depuis plusieurs années à hauteur de 0,35 euro par kilomètre. L'avenant à la convention collective de la branche de l'aide à domicile prévoyant une augmentation du montant de ces indemnités kilométriques n'a d'ailleurs jamais été agréé par la DGCS compte tenu de l'impact financier qu'aurait eu son entrée en application.
La précarisation des salariés est d'autant plus forte qu'un grand nombre d'entre eux travaillent à temps partiel. Sur ce point, nous avons à plusieurs reprises échangé avec nos interlocuteurs quant aux conditions de mise en oeuvre de la durée minimale du temps de travail partiel, fixée à 24 heures hebdomadaires par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi. Des appréciations diverses ont été portées. Si certains acteurs, notamment en milieu rural, jugent qu'elle serait difficile à mettre en place, d'autres soulignent que cette durée minimale est d'ores et déjà appliquée dans leurs structures. C'est notamment le cas de l'UNA Haute-Loire, que nous avons rencontrée au mois de février. Le facteur géographique - zone urbaine ou rurale - joue à ce titre un rôle important, notamment sur la dispersion des interventions et la durée des trajets. Il convient cependant de noter que la durée moyenne du travail se situe déjà actuellement autour de 24 heures par semaine. Les négociations en cours au sein de la branche de l'aide à domicile pour prévoir des dérogations globales à la règle des 24 heures, longues et difficiles, n'ont pour le moment pas abouti. Les fédérations d'employeurs ont présenté à la fin de l'année 2013 un premier projet d'avenant qui a été refusé par les syndicats de salariés. Les négociations portent actuellement sur une durée minimale de 16 heures par semaine ou 70 heures par mois, avec des exceptions pour certaines catégories très limitées. La prochaine commission mixte paritaire devrait se réunir le 3 juillet prochain.
Faiblement rémunérés, les salariés de l'aide à domicile sont également confrontés à des facteurs de pénibilité physique et psychologique non négligeables. Beaucoup de difficultés sont liées aux modalités d'organisation de l'activité : les trajets sont nombreux et parfois longs ; bien que le temps partiel soit fréquent, les personnels sont mobilisés sur des plages horaires étendues allant du lever au coucher des personnes accompagnées ; les interventions sont souvent hachées, caractéristique renforcée par le système de tarification horaire et la tendance actuelle à la limitation des plans d'aide. D'autres facteurs de pénibilité tiennent aux caractéristiques mêmes du métier : solitude des interventions ; stations debout fréquentes ; charges lourdes à porter. Enfin, la détérioration de l'état de santé des personnes accompagnées, qu'elle soit physique ou psychologique, peut également jouer sur la pénibilité ressentie par les intervenants. L'ensemble de ces éléments peuvent rapidement conduire à des situations d'épuisement et d'usure prématurée des salariés. Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée en 2012, un tiers des salariés de l'aide à domicile déclarait un accident du travail au cours des douze mois précédant l'enquête, contre un quart dans le secteur privé.
La bonne application des règles fixées par le code du travail et les conventions collectives apparaît en outre problématique lorsque les structures, trop peu professionnalisées, ne disposent pas des moyens d'encadrement suffisants pour accompagner correctement leurs salariés. Certains salariés se plaignent d'une mauvaise application de la modulation du temps de travail à leur détriment, du non-respect des délais de prévenance, des dispositions sur le travail du dimanche et des jours fériés, de la non-rémunération des temps de déplacement entre deux séances consécutives de travail effectif, du non-respect du repos minimum légal et même de harcèlement moral pour leur faire signer des avenants à la baisse sur des contrats de travail. Il faut se garder bien sûr d'en faire une généralité. Mais les contrôles réalisés par l'inspection du travail demeurent peu nombreux, alors même que le fait d'intervenir au domicile d'un particulier n'a pas pour conséquence d'empêcher toute forme de contrôle. De plus, ni les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), dans le cadre de l'agrément, ni les conseils généraux, dans le cadre de l'autorisation, n'assurent un suivi du respect de la réglementation sociale dans la mesure où cette exigence ne figure pas dans les cahiers des charges.
Ces constats posent la question plus fondamentale de l'évolution nécessaire de l'organisation de l'aide à domicile. Traditionnellement peu structurées, largement organisées autour du bénévolat, les structures d'aide à domicile doivent aujourd'hui monter en compétences à tous les niveaux pour fournir des prestations de qualité auprès d'usagers dont les besoins et les exigences se sont renforcés, mais également pour assurer le bien-être de leurs salariés.
Alors même que ces personnels doivent aujourd'hui intervenir auprès de personnes atteintes de pathologies de plus en plus lourdes et complexes, pour lesquelles il est indispensable de disposer d'un savoir-faire et d'un savoir-être suffisants, les métiers de l'aide à domicile demeurent considérés comme une forme d'aide-ménagère améliorée. Cette situation joue bien évidemment sur l'attractivité du secteur ainsi que sur la capacité des structures à fidéliser leurs salariés : les difficultés propres aux métiers sont souvent trop peu connues tandis que l'apport essentiel des intervenants auprès des publics fragiles reste insuffisamment valorisé.
Dans ces conditions, les services d'aide à domicile sont confrontés à un ensemble de paradoxes qui les conduisent à une situation proche de l'impasse. Si le secteur est présenté comme une source d'emplois importante, ceux-ci ne peuvent se développer auprès des publics fragiles qu'à la condition d'un effort financier suffisant de la part de la puissance publique pour solvabiliser la demande. Or le désengagement progressif de l'Etat dans le financement de l'APA et de la PCH empêche les conseils généraux d'assurer une évolution satisfaisante du niveau des plans d'aide. Rappelons que le versement de l'APA, dont près de 60 % des bénéficiaires résident à leur domicile, représentait en 2012 une charge totale de 5,4 milliards d'euros, couverte à hauteur d'un peu plus de 30 % par la CNSA. En 2011, 26 % des plans d'aide APA individuels étaient au maximum des plafonds autorisés. Cette donnée tend à prouver qu'une partie de la demande d'heures d'aide à domicile n'est pas satisfaite, faute de financements publics. Elles-mêmes confrontées à la nécessité de maîtriser leurs dépenses d'aide sociale, les caisses de retraite tendent à réorienter celle-ci vers des mesures de prévention au détriment des interventions directes au domicile.
Autre difficulté, l'exigence de professionnalisation du secteur et d'amélioration de la qualité des interventions ne peut s'envisager que si les services d'aide à domicile ont les moyens financiers d'assurer à leurs salariés des progressions de carrière satisfaisantes. Très nombreuses sont les structures qui ont engagé au cours des dernières années des politiques de formation ambitieuses. Bénéfique pour les personnels, la professionnalisation et l'accès aux diplômes du secteur médico-social s'avèrent également indispensables à la qualité de la prise en charge de personnes dont les niveaux de dépendance sont de plus en plus élevés. Cependant, mises en oeuvre isolément, ces mesures conduisent mécaniquement à une augmentation du coût horaire de l'intervention, parfois difficile à intégrer pour les conseils généraux. S'engage alors un cercle vicieux : le service est mis en difficulté si le coût de la professionnalisation n'est pas intégré dans le tarif horaire ; lorsque celui-ci est pris en compte mais qu'en résulte un reste à charge plus élevé pour le bénéficiaire, le nombre d'heures consommées peut alors diminuer et contribuer à dégrader la situation financière du service.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Notre première recommandation, sans doute difficile à faire entendre dans une période de contraintes budgétaires, mais pourtant indispensable, vise à augmenter substantiellement le soutien financier de l'Etat vis-à-vis des services d'aide à domicile.
Un premier effort a été réalisé avec les deux fonds de restructuration créés en 2012 puis 2013. Au total, 100 millions d'euros doivent être versés en plusieurs tranches sur la période 2012-2014. Selon un bilan provisoire réalisé à la fin de l'année 2013, 601 services ont été aidés par le premier fond et 528 l'ont été par le second, dont près d'un tiers avait déjà bénéficié d'un soutien en 2012. Ces aides ponctuelles apportent une respiration qui était indispensable aux structures qui en ont bénéficié. Mais elles doivent être confortées par des mesures plus durables.
Le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement entame une avancée encore trop timide par rapport aux attentes. Au sein du produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), 25 millions d'euros devront être fléchés vers la revalorisation des indemnités kilométriques de 0,35 à 0,37 centimes par kilomètre et l'augmentation d'un point d'indice dans la branche de l'aide à domicile. 350 millions d'euros seront par ailleurs destinés aux départements pour permettre une augmentation des plafonds de certains plans d'aide ainsi que la diminution d'une partie des restes à charge. Toutefois, ces efforts ne permettront pas de rééquilibrer le financement de l'APA entre l'Etat et les départements.
Nous proposons donc que l'étude nationale des coûts qui a été confiée en février dernier par la DGCS à un cabinet extérieur permette de fixer un tarif national de référence de l'APA, modulable suivant certaines caractéristiques, notamment géographiques. Celui-ci prendrait en compte les différents coûts supportés par les services mais aussi l'exigence de montée en qualité des prestations rendues aux usagers et d'amélioration des conditions de vie et de travail des personnels. L'augmentation des tarifs qui en résulterait serait prise en charge à 100 % par l'Etat, au moins pour la partie supérieure à la moyenne actuelle des services. Le coût de cette mesure pourrait être, en première estimation, compris entre 300 et 500 millions d'euros.
Notre appel à un engagement plus fort de l'Etat ne nous conduit pas non plus à nier les efforts qui doivent être fournis par les services d'aide à domicile eux-mêmes. Des marges de manoeuvre existent pour améliorer l'organisation des structures et procéder aux mutualisations et regroupements nécessaires. Nous en avons eu la preuve dans le Val-de-Marne où s'est constitué un groupement de coopération sociale et médico-sociale à partir de plusieurs services préexistants, dont certains connaissaient des difficultés financières importantes avant leur intégration dans la structure nouvelle. La mise en commun de fonctions supports, de personnels d'encadrement ou de certains personnels d'intervention, tels que les ergothérapeutes ou les psychologues, peut en outre constituer un vecteur important d'amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. D'autres expériences analogues sont tentées dans certaines fédérations ou organisations du secteur.
D'autres mesures passent également par la modernisation des structures, avec la généralisation des dispositifs de télégestion, qui permettent un meilleur suivi de la consommation des plans d'aide, ou l'amélioration des systèmes d'information utilisés par les structures. Sur ces points, la CNSA apporte déjà un soutien technique et financier non négligeable, notamment à travers les conventions qu'elle a nouées avec des départements ainsi qu'avec les principales fédérations du secteur. Au 1er janvier 2014, 46 départements et 8 fédérations étaient accompagnés par la CNSA pour des montants de subventions respectifs de 40 et 45 millions d'euros, versés sur plusieurs années. La CNSA travaille également au développement d'un système d'information qui permette de standardiser les échanges de données relatives aux plans d'aide, à la facturation et à la télégestion, entre les structures et leurs financeurs. L'ensemble de ces efforts doivent être poursuivis et renforcés.
Autre axe de recommandations : l'amélioration des conditions de travail, des rémunérations et des opportunités de carrière des salariés de l'aide à domicile. Le renforcement de l'effort financier en faveur du secteur de l'aide à domicile devrait contribuer à rendre soutenables les efforts de formation que réalisent depuis de longues années les structures d'aide à domicile au bénéfice de leurs personnels. Le soutien qu'apporte la CNSA dans le cadre des conventions qu'elle signe avec les organismes de formation du secteur devrait également pouvoir être renforcé.
Nous estimons par ailleurs nécessaire de rendre plus simple et plus lisible le paysage des différents diplômes et certifications applicables dans le secteur. Les diplômes d'Etat d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) et d'aide médico-psychologique (DEAMP) sont par exemple très proches sans que les spécificités de chaque métier soient clairement comprises par les personnels concernés. Envisager la création d'un socle de compétences commun au plus grande nombre et pouvant ensuite ouvrir la voie vers des spécialisations différentes serait une piste intéressante.
Ces réflexions devraient permettre d'améliorer les possibilités d'évolution des personnels, que ce soit au sein des services d'aide à domicile, par exemple vers des postes de responsables de secteur, ou vers d'autres structures, notamment des établissements. Elles doivent également contribuer au renforcement des capacités d'encadrement dans les services, qui demeurent aujourd'hui l'une des grandes faiblesses du secteur de l'aide à domicile.
Par ailleurs, la prévention de la pénibilité constitue un enjeu essentiel dans un secteur où le personnel, relativement âgé et fortement sollicité physiquement dans ses interventions, ne doit pas se retrouver prématurément usé par l'exercice de son métier. Au-delà des initiatives individuelles, la structuration et le pilotage d'une véritable politique de prévention pourraient être assurés par la CNSA, en lien avec les fédérations, au titre de ses missions d'accompagnement des services d'aide à domicile.
Enfin, le respect des règles fixées par le droit du travail et les conventions collectives nous semble devoir faire l'objet d'un suivi renforcé. La direction générale du travail devrait pouvoir suivre l'évolution des contentieux dans ce secteur d'activité. L'inspection du travail, qui doit rester indépendante, devrait être sensibilisée à la nécessité d'effectuer des contrôles ciblés systématiques auprès des structures d'aide à domicile. Les cahiers des charges imposés aux acteurs par les financeurs et les organismes de certification pourraient comporter un volet sur les conditions de travail.
M. Dominique Watrin, rapporteur. - Dernier volet de nos préconisations : l'amélioration du cadre juridique et tarifaire applicable aux services d'aide à domicile.
Depuis 2012, l'assemblée des départements de France (ADF), en partenariat avec les fédérations du secteur, pilote dans une dizaine de départements l'expérimentation d'une tarification sous la forme d'une dotation globale dans le cadre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom). En pratique, le bénéficiaire achète un certain nombre d'heures d'aide à domicile et acquitte un ticket modérateur forfaitisé, lissé sur l'ensemble de l'année, qui correspond à une partie du coût global de l'enveloppe.
En première analyse, un tel dispositif présente des avantages certains. Il permet en premier lieu de sécuriser les relations entre les services et le conseil général en garantissant plus de visibilité dans l'évolution des financements. Les services doivent disposer de davantage de souplesse dans leurs interventions et les risques de pertes de recettes en raison de la sous-consommation des plans d'aide sont normalement évités. Le cahier des charges de l'expérimentation prévoit par ailleurs la valorisation d'un certain nombre de missions d'intérêt général, par exemple de prévention ou de lutte contre l'isolement, sur le modèle du dispositif existant pour les établissements sanitaires. Derrière la volonté de sécuriser les modalités de financement des services d'aide à domicile réside donc également le souci d'améliorer la qualité des interventions réalisées auprès des usagers en confiant aux structures des missions de service public définies dans un cadre contractuel. Comme le laissent entendre les premiers retours sur l'expérimentation, c'est une relation d'un type plus partenarial qui doit pouvoir se construire entre conseils généraux et services.
Certains éléments de l'expérimentation nous semblent cependant devoir faire l'objet d'une analyse plus approfondie. Ainsi, la forfaitisation du reste à charge, qui peut rassurer l'usager dans une certaine mesure, risque également de susciter de l'incompréhension dans les situations où l'ensemble du plan n'a pas été consommé pendant un mois donné.
Le cahier des charges de l'expérimentation prévoit le versement, par douzième, de 90 % du montant de la dotation globale, les 10 % restants étant gelés en début d'exercice puis libérés, le cas échéant, à l'issue d'un dialogue de gestion entre le service et le conseil général. Si ce mécanisme permet d'assurer une certaine sécurité en cas d'évolution à la hausse ou à la baisse de l'activité, le niveau des financements est construit sur les bases tarifaires actuelles dans le cadre d'une enveloppe fermée. Que fait le service pour répondre à une nouvelle demande d'usager lorsqu'il a dépassé son forfait ?
Si les missions d'intérêt général sont énumérées dans le cahier des charges de l'expérimentation, les retours des fédérations d'aide à domicile montrent qu'elles n'ont pas été systématiquement déclinées dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom), sans doute parce qu'aucune méthodologie n'a encore été définie pour parvenir à les valoriser. De la même façon, les cofinancements prévus par le cahier des charges entre l'assurance maladie et les conseils généraux n'ont pas été mis en oeuvre pour le moment.
Toutes ces interrogations montrent combien il est nécessaire d'assurer un suivi précis de l'expérimentation et de procéder à son évaluation. Or le comité de pilotage ne s'est réuni qu'une fois, le 3 juillet 2013. Parallèlement, le projet de loi vieillissement propose de prolonger l'expérimentation pour une année supplémentaire. Il nous semble qu'il faut agir tout autrement en confiant dès à présent à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) l'évaluation de l'expérimentation afin d'en tirer le plus tôt possible les conclusions qui s'imposent. Nul n'est besoin de prolonger indéfiniment une expérimentation si aucun suivi n'est assuré en parallèle ! Les conclusions qui seront rendues à l'issue de cette évaluation devront par ailleurs s'appuyer sur l'étude nationale de coûts, qui permettra de disposer d'éléments objectifs pour envisager la mise en oeuvre de la réforme.
Autre réforme structurelle indispensable : mettre fin au système du droit d'option entre autorisation et agrément. Le dispositif actuel n'est pas satisfaisant. Par cohérence avec les évolutions envisagées dans le domaine de la tarification, nous estimons souhaitable de s'orienter vers un système unique d'autorisation, fondé sur une contractualisation entre le financeur et le service permettant la définition d'un certain nombre de missions de service public. Les services seraient soumis à des critères de qualité communs et les dispositifs d'évaluation seraient uniformisés. Une telle évolution constituera très certainement un bouleversement pour le secteur. Mais elle est cohérente avec l'idée que nous nous faisons du service public et du rôle des services d'aide à domicile auprès des plus fragiles.
Enfin, il est indispensable d'assurer une coordination accrue entre les structures qui interviennent au domicile des personnes fragiles, condition nécessaire au renforcement de la qualité des interventions.
Depuis 2004 peuvent être créés des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), qui regroupent des services d'aide à domicile et des services de soins infirmiers à domicile. Le rapprochement entre ces deux types de services emporte de véritables opportunités en termes de mutualisation. Il peut également avoir un impact positif sur les salariés des services d'aide à domicile, davantage associés à des missions de prévention et en quelque sorte tirés vers le haut au contact des personnels soignants. Pourtant, il n'existe aujourd'hui que 91 structures et aucune évaluation globale n'a encore été menée pour comprendre les freins à leur développement. Nous recommandons par conséquent que soit confiée au plus vite à l'Igas une évaluation du fonctionnement des Spasad afin que puissent être clairement établies les pistes d'amélioration du dispositif. Parmi celles-ci nous semble devoir être étudiée celle d'une fongibilité complète entre les enveloppes de financement - assurance maladie et conseils généraux -. Nous estimons également qu'une généralisation du modèle des Spasad ne pourra être obtenue qu'au prix d'un renforcement des liens entre ARS et conseils généraux, afin que ceux-ci deviennent pleinement partenaires dans la structuration d'une offre de services et de soins permettant d'éviter les ruptures de prise en charge.
Le décloisonnement des prises en charge est sans cesse présenté comme indispensable à l'amélioration du parcours de santé. Les tentatives de rapprochement entre secteur médico-social et sanitaire continuent pourtant de revêtir un caractère largement expérimental, notamment dans le cadre du parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d'autonomie (Paerpa). Or il est plus que nécessaire de dépasser les expérimentations pour développer des dispositifs pérennes de coordination entre les structures sanitaires et médico-sociales dans lesquels les services d'aide à domicile puissent trouver toute leur place.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - « L'accent doit être mis, par priorité sur la nécessité d'intégrer les personnes âgées dans la société, tout en leur fournissant les moyens de continuer le plus longtemps possible à mener une vie indépendante par la construction de logements adaptés, par la généralisation de l'aide ménagère à domicile, par la création de services sociaux de toute nature qui leur sont nécessaires. [...] Ainsi [...] pourra-t-on respecter le besoin qu'ils éprouvent de conserver leur place dans une société normale, d'être constamment mêlés à des adultes et à des enfants ». Cette phrase a été écrite en 1962 par Pierre Laroque, père de notre système de sécurité sociale, dans le rapport fondateur qu'il avait publié sur la « Politique de la vieillesse ». Vous le voyez, le souci du maintien à domicile est une constante de nos politiques. A l'heure où les services d'aide à domicile connaissent une crise sans précédent dont les usagers et les professionnels sont les premières victimes, nous estimons urgent d'affirmer une fois pour toutes la place que souhaite donner notre société à ce secteur, pour que le maintien à domicile soit une réalité pour tous les Français, et non seulement pour les plus aisés.
Mme Annie David, présidente. - Cette présentation montre combien le sujet de l'aide à domicile est complexe. Même s'il existe aujourd'hui des incertitudes quant à la pérennité des départements, les compétences qu'ils assument actuellement devront être exercées d'une façon ou d'une autre et se pencher sur le sujet a donc toute sa pertinence.
M. Jean-Noël Cardoux. - Les deux rapporteurs ont réalisé un important travail d'investigation. Il me semble malgré tout qu'ils ont omis un élément important. Il s'agit de la suppression en 2011 de l'abattement de 15 points du taux de cotisations patronales pour les particuliers employeurs, qui explique, avec la loi « Borloo », la déstructuration du secteur de l'aide à domicile. Je plaide pour un rétablissement de cet abattement.
Le droit d'option doit en effet être supprimé. Il faut que les conseils généraux et les agences régionales de santé (ARS) arrivent à travailler ensemble pour être en mesure de construire une démarche conjointe dans le cadre d'un système unique d'autorisation fondé sur des Cpom.
Beaucoup de choses peuvent être envisagées en termes de mutualisation, notamment en ce qui concerne les postes d'encadrement. Le système associatif a des limites et nous risquons d'être bientôt confrontés à un manque de bénévoles. Sans doute pourrait-on envisager d'adosser certaines structures aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Comme l'ont souligné les rapporteurs, les Spasad ne sont pas suffisamment utilisés. Il faut les développer et favoriser le travail en commun avec les centres locaux d'information et de coordination (Clic).
Le Parlement va bientôt examiner le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. Dans ce cadre, nous ne pourrons pas faire l'économie d'un débat sur la question du financement de la dépendance et sur la mobilisation de ressources assurantielles privées.
M. Georges Labazée. - Il existe de fortes disparités entre structures d'aide à domicile selon leur périmètre géographique d'intervention. Certaines sont implantées dans des zones urbaines ou péri-urbaines, d'autres interviennent exclusivement en milieu rural. Elles ne peuvent pas être traitées de la même façon, notamment du point de vue des indemnités kilométriques. Quelle méthode utiliser pour introduire des modulations ? La question reste posée.
Le débat sur le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement sera nécessairement l'occasion de poser la question du caractère universel de l'APA. Dans mon département, 6 000 personnes en bénéficiaient en 2002. Elles sont aujourd'hui 15 000. Dans le même temps, le partage des charges entre Etat et départements s'est considérablement déséquilibré au détriment de ces derniers.
J'insiste sur les bénéfices de la télégestion. Celle-ci permet en effet de suivre très exactement la durée des interventions et de déclencher au plus vite la mise en paiement. Les retours d'expérience sont très favorables.
M. René-Paul Savary. - Nous parlons aujourd'hui d'un domaine très complexe. Les personnels concernés exercent un véritable métier. Ils doivent être aidés et valorisés.
Les personnes ne sont pas aidées de la même façon selon leur degré de dépendance. Mais il faut définir plus clairement les responsabilités de chacun. Lorsque les caisses de retraite n'ont plus d'argent pour accompagner les GIR 5 et 6, elles diminuent les prestations sans aucune hésitation.
Le double système d'autorisation et d'agrément doit en effet être revu. Avoir un seul dispositif d'autorisation permettrait d'y voir plus clair. Il n'en demeure pas moins que la procédure d'appel à projets reste souvent difficile à appliquer et que les Cpom peuvent également être difficiles à mettre en place.
Le chèque emploi services universel (Cesu) doit lui aussi être plus largement utilisé. Si les choses doivent être encadrées, il pourrait être utile de réfléchir à un système permettant d'agréer les personnes plutôt que les structures.
Se pose également la question de la taille critique des services. Les grosses structures coûtent cher, leurs charges de fonctionnement sont élevées et certains frais liés au personnel d'encadrement sont parfois démesurés.
Enfin, nous devons tout miser sur la prévention. Les accidents domestiques conduisent bien souvent à faire basculer les personnes vers la dépendance.
M. Gérard Roche. - Je regrette que ce rapport ne soit pas paru plus tôt. Il nous aurait été en effet très utile au moment des travaux préparatoires à l'élaboration du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. La question du financement de la dépendance y a été en pratique très peu abordée.
La création de l'APA a permis de reculer de dix ans l'âge moyen d'entrée en Ehpad. Les conseils généraux, que l'on voudrait aujourd'hui balayer d'un revers de main, ont su répondre présent pour exercer la mission de service public qui leur était confiée.
J'insisterai sur trois points importants abordés par le rapport. En premier lieu, il est en effet nécessaire d'améliorer la situation des personnels. Ces derniers sont parfois oubliés. Le travail à temps partiel est important et leur droit à la formation n'est pas assuré. Deuxièmement, la qualité du service rendu doit également être renforcée et les interventions ne peuvent rester des formes d'aide ménagère améliorée. Pourquoi les Spasad ne sont-ils pas développés ? Tout simplement parce que les financeurs ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le partage des responsabilités. Pourtant, le lien entre sanitaire et social est essentiel.
La loi Borloo avait pu susciter quelques craintes mais nous voyons aujourd'hui que les entreprises et les associations sont parfaitement complémentaires. Il faut veiller à assurer la convergence entre les services agréés et les services autorisés, notamment pour que les usagers soient traités de façon équitable quel que soit le service auquel ils ont recours. En outre, les entreprises privées sont parfois plus en difficulté que les associations.
J'avais présenté une proposition de loi pour assurer le financement pérenne de l'APA. Elle a été adoptée par le Sénat et une partie de son contenu a ensuite été reprise pour créer la Casa. Quelles que soient les évolutions institutionnelles futures, il faudra bien trouver une solution pour assurer sur le long terme le financement de l'APA.
Il faut évidemment engager des réformes et il serait inutile d'avoir une position purement défensive. Mais il est regrettable de constater le mépris dont souffrent les départements dans les médias et l'opinion publique quand on voit tout le travail accompli par ces collectivités.
M. Yves Daudigny. - Je souhaite faire trois observations.
La première est que le rapport m'a semblé un peu dur à l'égard des expérimentations en cours et je pense utile de rappeler le cadre dans lequel elles ont été mises en place. En 2010, l'ADF a engagé des négociations avec des représentants du secteur de l'aide à domicile regroupés sous le nom de collectif des seize. Ces négociations, qui ont duré de février 2010 à septembre 2011, ont abouti à une convention de partenariat fondée sur le constat de l'inadéquation des modalités de tarification horaire et mettant en place une globalisation des tarifs et des conventions d'objectifs et de moyens. Le gouvernement de l'époque n'a pas donné suite à cette convention et a même lancé un travail parallèle à l'Assemblée nationale.
Le gouvernement actuel, après s'être donné le temps de la réflexion, a donné un cadre juridique aux expérimentations qui sont actuellement engagées dans dix départements. C'est une véritable démarche de dialogue qui a été mise en place.
La deuxième observation concerne les contradictions du système actuel. Tous, nous souhaitons une montée en qualité des services d'aide à domicile, ce qui suppose une action déterminée en faveur de la formation. Or nous assistons à une raréfaction des financements publics et à une mobilisation des financements privés de plus en plus difficile. Un exemple, certains parcours de formation conduisant à l'obtention d'un diplôme sont bloqués, faute de moyens pour les mettre en oeuvre. La télégestion, qui a facilité le paiement des heures effectuées, s'est parfois accompagnée d'un raccourcissement des durées d'intervention. On en vient à des situations où les interventions sont parfois moins longues que les temps de parcours. Enfin il est difficile d'articuler les différents types d'intervention qui font appel à des acteurs différents, des aides ménagères aux infirmières. Il faut parvenir à globaliser les interventions.
Ma dernière observation est plus générale. Chaque fois que nous nous penchons sur un exemple pratique d'action départementale nous constatons que le département est le périmètre pertinent pour l'action publique. C'est la raison pour laquelle le transfert de compétences à une autre collectivité sera difficile.
Mme Catherine Génisson. - Le rapport qui nous a été présenté est de grande qualité et me semble un plaidoyer pour conserver l'échelon départemental. Il m'apparaît également important de mettre en place des formations et d'octroyer aux personnels de l'aide à domicile un véritable statut qui puisse valoriser leur carrière.
M. Gérard Longuet. - La qualité de nos échanges montre tout l'intérêt que peut représenter le cumul des mandats. Je souhaite souligner l'utilité des élus locaux, qui mènent avec les associations un dialogue fructueux depuis des décennies afin de mettre en place les services aux personnes âgées.
Je souhaite aborder deux sujets plus larges. Le premier est l'impact macroéconomique de la dépendance et sa part dans le PIB au cours des vingt prochaines années. Avoir une mesure précise permettrait de connaître l'effort à fournir et de ventiler les dépenses entres les différents acteurs : solidarité nationale, assurances privées, familles.
Il me paraît également important de nous pencher sur les enjeux de géographie sociale. Les densités de population diffèrent sur le territoire et les conseils généraux jouent un rôle de péréquation nécessaire. Les carrières géographiques des individus ne s'inscrivent plus dans le même département. L'Ile-de-France exporte des personnes âgées et les départements du sud de la Loire les reçoivent. Nous avons une disparité entre les zones où se concentrent les activités économiques et celles où s'effectuent les dépenses sociales. Ceci impose une péréquation nationale.
Il faut prendre en compte l'éclatement géographique des familles. Certains territoires, souvent d'ailleurs ceux qui accueillent des personnes âgées, ne peuvent garder leur jeunesse et l'éclatement familial y est donc inéluctable. L'organisation des aides à domicile est donc nécessairement différente dans ces territoires et dans ceux où les enfants peuvent rester près de leurs parents.
Enfin il faut nous pencher sur l'économie des personnes âgées, la « silver economy ». Certaines personnes passent leurs premières années de retraite à l'étranger tant qu'elles sont en bonne santé et reviennent en France quand elles sont devenues dépendantes et ne peuvent être prises en charge par leur pays d'accueil. Parallèlement, la France peut accueillir des personnes âgées sous réserve de leur solvabilité. Nous ne disposons pour le moment d'aucune étude permettant de mesurer ces différents phénomènes.
Il me semble qu'étant donnée l'importance des enjeux le rapport qui nous a été présenté devrait donner lieu à un débat en séance publique.
Mme Isabelle Debré. - S'agissant de la valorisation du statut des personnes qui ont en charge l'aide à domicile, il me semble que la validation des acquis de l'expérience doit être développée. Par ailleurs le chèque emploi service universel est un moyen d'encourager l'aide à domicile.
M. Jacky Le Menn. - Le constat de la complexité du financement est déjà ancien. Il y a eu plusieurs travaux en région, un rapport du conseil économique social et environnemental, plusieurs rapports demandés à des personnalités par les gouvernements successifs et des rapports parlementaires.
Structurellement, le problème de l'aide à domicile vient de ce que l'on a besoin de beaucoup de personnels au même moment, l'heure des repas par exemple. Que faire des personnes en dehors des heures de pointes ?
Le rapport de l'Assemblée nationale proposait de supprimer le GIR 4 du champ de l'APA, dont il représente 40 % des coûts. Cela ne faisait en fait que reporter le problème sur les caisses de retraite.
Aucune solution ne s'est encore dégagée sur le financement. S'agissant de l'APA nous avons renoncé au recouvrement sur succession. Nous avons devant nous des décisions difficiles dont il faudra débattre au moment de la discussion du futur projet de loi. 85 % de la population âgée souhaite rester à son domicile, cela représente un coût qu'il faut trouver un moyen d'assumer.
Mme Laurence Cohen. - Sous-jacent à l'analyse des rapporteurs est le fait que, comme le secteur de l'aide à domicile est très majoritairement féminisé, certains considèrent que la formation n'est pas nécessaire car les femmes posséderaient des qualités « naturelles » pour exercer ces tâches. Cette attitude contribue à la faible reconnaissance de l'utilité publique de ces métiers et je pense qu'il est important d'y mettre fin.
Mme Annie David, présidente. - Je souhaite simplement préciser que quand je soulignais la nécessité du maintien de la compétence en matière d'aide à domicile à une collectivité si les conseils départementaux étaient supprimés, je ne voulais pas dire que ce transfert serait facile, ni qu'il est souhaitable.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Beaucoup d'entre vous connaissent bien la situation du secteur de l'aide à domicile compte tenu de leurs fonctions dans les conseils généraux. Je retiens de vos interventions une grande convergence de vue sur nos propositions. C'est le point essentiel.
Notre rapport ne portait pas directement sur ce sujet mais il ouvre en effet le débat sur la question du financement de la dépendance. L'aide à domicile a contribué à faire reculer l'âge d'entrée en Ehpad, elle doit être confortée.
Nous sommes également tous d'accord sur l'idée de revenir sur le droit d'option.
Sur la géographie, nous avons souligné qu'il s'agissait d'un point à prendre en compte. Il est évident que les temps de trajet et les coûts qui en résultent sont très différents selon les départements.
Nous sommes bien conscients que les moyens financiers sont limités. Rien dans le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement ne permet de rééquilibrer le financement de l'APA entre l'Etat et les départements. Or c'est ce qui pose problème. Le point d'indice dans la branche de l'aide à domicile n'a pas été augmenté depuis cinq ans. Les structures sont appauvries et l'attractivité des métiers diminue. Sur ce point, je précise que la VAE existe et qu'elle est appliquée dans le secteur. En effet, les métiers de l'aide à domicile sont trop peu considérés et il faudrait davantage former les personnels. Mais tout cela a un coût qu'il faut être prêt à assumer.
Nous ne formulons pas de réserves sur l'expérimentation menée par l'ADF. Mais nous ne jugeons pas nécessaire d'attendre encore une année pour commencer à en tirer des conclusions. Son évaluation doit être faite au plus vite et des pistes intéressantes peuvent rapidement être dégagées. Cette remarque s'applique d'ailleurs tout aussi bien aux Spasad. Les pistes pour moderniser le secteur existent. Pourtant, le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement ne fait que retarder les échéances. Le Parlement a un rôle à jouer pour aller plus loin.
M. Dominique Watrin, rapporteur. - Je rappelle le titre du rapport : un système à bout de souffle à réformer d'urgence. Nous ne pouvions pas évoquer l'ensemble des questions de financement dans ce rapport. Mais notre recommandation centrale est quand même d'aboutir à une augmentation des tarifs. Sans cet effort, la qualité du service rendu ne pourra pas être renforcée, la situation des personnels ne sera pas améliorée et l'hécatombe que connaissent aujourd'hui les services d'aide à domicile ne sera pas stoppée. Chaque semaine, une nouvelle structure tire la sonnette d'alarme ! Madame Delaunay, lorsqu'elle était encore ministre, avait accepté de nous recevoir pour parler du projet de loi. Je lui avais alors signalé que l'enveloppe de financement prévue par le texte était insuffisante.
L'abattement de 15 % constitue peut-être un élément à prendre en compte pour le développement des services à la personne mais une grande partie de la solvabilisation de la demande s'effectue via l'APA.
Les Clic sont fragilisés par le désengagement des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et nous constatons sur le terrain que beaucoup de départements finissent par les reprendre sous leur responsabilité.
La télégestion constitue en effet un outil d'amélioration du fonctionnement des services mais elle peut également entraîner des dérives, par exemple lorsque les emplois du temps des salariés sont modifiés au dernier moment, sans respect des délais de prévenance.
En effet, la prévention doit être une priorité. 40 % des entrées en dépendance sont consécutives à des chutes. Il serait en effet intéressant de calculer l'impact économique de la prise en charge de la perte d'autonomie : la « silver economy » peut être source d'emplois et il faut encourager les jeunes à s'engager vers ces métiers.
Il existe en effet un paradoxe s'agissant de la formation. Les services qui ont le plus qualifié leurs personnels sont parfois ceux qui rencontrent aujourd'hui les difficultés les plus profondes.
J'adhère totalement à l'importance de la péréquation entre territoires ruraux et territoires urbains. La péréquation doit également être entendue au niveau national.
Certes, les personnels de l'aide à domicile sont souvent mobilisés sur les mêmes plages horaires. Mais cela ne doit pas conduire à leur précarisation ni à des interventions trop hachées. Certains services arrivent à garantir une durée minimale du travail à temps partiel de 24 heures.
En effet, l'APA a constitué un progrès. Mais il aurait été préférable, dès le départ, de créer une cinquième branche de la sécurité sociale plutôt que de mettre en place un dispositif de financement dont nous voyons bien aujourd'hui qu'il n'est pas pérenne.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Les modèles familiaux évoluent et les personnes se retrouvent souvent isolées. Le parcours de soins n'en est que plus important car c'est bien souvent la famille qui est en mesure de créer le lien entre les différentes structures d'aide ou de soins. De ce point de vue, la capacité d'accompagnement de l'aide à domicile n'est peut-être pas suffisamment prise en compte alors qu'elle est essentielle.
Mme Annie David, présidente. - Je vous propose que nous demandions un débat en séance publique sur ce rapport lors d'une prochaine semaine de contrôle, très certainement à la rentrée parlementaire.
La commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est levée à 11 h 55.