- Mardi 15 avril 2014
- Extension du plateau continental - Audition de M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental sur le rapport et l'avis rendu par le CESE
- Politique de développement et de solidarité internationale - Audition de Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie
- Mercredi 16 avril 2014
Mardi 15 avril 2014
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -La réunion est ouverte à 15 heures
Extension du plateau continental - Audition de M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental sur le rapport et l'avis rendu par le CESE
M. Jean-Louis Carrère, président. - Compte tenu de l'aggravation de la situation en Ukraine, j'ai demandé à ce que Laurent Fabius puisse venir faire le point rapidement devant notre commission. Pour des raisons d'agenda, cela n'est pas possible cette semaine. Mais notez d'ores et déjà que nous devrions tenir cette audition dès la reprise parlementaire, le mardi 29 avril à 17 heures. Nous pourrons ainsi disposer de son analyse sur les négociations de Genève, qui s'ouvrent jeudi, et envisager les conditions de la tenue des élections le 25 mai.
La commission auditionne M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental, sur le rapport et l'avis rendu par le CESE relatifs à l'extension du plateau continental.
M. Jean-Louis Carrère, président- Monsieur Gérard Grignon est l'auteur du rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) L'extension du plateau continental, une chance pour la France. Le sujet est au coeur des préoccupations de notre commission. Grâce au rapport remarqué de nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur la nouvelle géopolitique des océans, le Sénat a contribué à faire prendre conscience du phénomène de la maritimisation du monde. Avec la deuxième zone économique exclusive (ZEE) du monde, la France est une grande puissance maritime, concernée par les opportunités économiques que présentent ces vastes espaces sur lesquels il convient de réaffirmer notre souveraineté, mais aussi par les aspects stratégiques et de sécurité. Quels enjeux présente l'extension de notre plateau continental, en termes de ressources minérales, de terres rares, d'hydrocarbures ? Aurons-nous les moyens d'y établir notre souveraineté ? Une partie de notre commission s'est rendue en visite officielle en Australie et en Nouvelle-Zélande, il y a quelques mois. Une plus grande présence de la France est manifestement souhaitée. Les rapporteurs, dont l'un était Jean-Pierre Chevènement, ont indiqué que l'absence de la France laissait une place vide que les autres pays étaient très tentés de prendre. Certains principes de la convention de Montego Bay reposant sur la liberté de circulation sont remis en question par les tentatives d'appropriation de ces espaces par certains pays riverains. Nous étudions la géostratégie de la mer de Chine du sud ; les deux tiers du trafic mondial y transitent. Avez-vous conduit une réflexion en la matière ?
M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du CESE. - Votre rapport d'information sur la maritimisation indique que « l'importance économique, diplomatique, écologique croissante des espaces maritimes dans la mondialisation fait plus que jamais de la mer un enjeu politique grâce auquel un État peut rayonner et affirmer sa puissance sur la scène internationale ». Les questions maritimes sont d'autant plus primordiales pour les Outre-mer. Le plateau continental étendu est un sujet méconnu, parfois même au plus haut niveau de la sphère politique nationale. Seuls quelques spécialistes s'en préoccupent. Il est pourtant essentiel pour notre pays et nos territoires ultramarins.
Le rapport et l'avis dont je rends compte traitent de la possibilité pour la France d'étendre sa juridiction sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol marins au-delà des 200 milles marins. Il s'agit exclusivement de l'espace maritime relatif au sol et au sous-sol marins situés au-delà des 200 milles marins et mitoyen de la Zone, espace maritime géré par l'Autorité internationale des fonds marins (Aifm) au bénéfice de la communauté internationale. Grâce aux territoires ultramarins, présents sur quatre océans, la France a la possibilité d'acquérir des droits souverains sur les ressources naturelles de près de 2 millions de km2 supplémentaires sur le sol et le sous-sol marins, soit trois fois la superficie du territoire français, Outre-mer compris, et quatre fois celle de l'Hexagone. La convention de Montego Bay, véritable Constitution des océans signée en 1982, dont 165 États sont parties à ce jour, y compris l'Union européenne, dispose dans son article 76 que les pays côtiers peuvent étendre leur juridiction au-delà des 200 milles sur le plateau continental étendu, lorsque le rebord externe de leur marge continentale s'étend au-delà. La Commission des limites du plateau continental (CPLC), commission scientifique, opérationnelle depuis 2000, dont les 21 membres sont élus par les États parties à la convention, est seule apte à émettre des recommandations sur les demandes des pays côtiers. Le délai pour déposer une demande d'extension était de dix ans après la date de ratification de la convention de Montego Bay.
L'extension du plateau continental au-delà des 200 milles marins signifie pour la France l'affirmation de sa juridiction et de ses droits souverains sur des ressources naturelles et un territoire nouveaux. Elle implique d'améliorer la connaissance et la préservation des ressources et de l'environnement marin dans le cadre d'un développement durable, de mettre en valeur l'espace du plateau continental étendu au bénéfice des collectivités ultramarine. Enfin, elle renforcera le rôle géostratégique de notre pays et de l'Union européenne dans le monde.
La France a ratifié la convention de Montego Bay en 1996 et avait jusqu'à 2006 pour déposer ses demandes, délai porté à mai 2009 par décision de la CPLC. Elle a mis en place le programme d'extension raisonnée du plateau continental (Extraplac) dont le budget et les objectifs ont été établis par le Comité interministériel de la mer (Cimer) du 29 avril 2003. Dix ans après le lancement du programme, cinq demandes (Golfe de Gascogne, Guyane, Nouvelle-Calédonie, Antilles et Kerguelen) ont été déposées et ont fait l'objet de recommandations de la CPLC ; quatre demandes (Archipel du Crozet, La Réunion, îles Saint-Paul-et-Amsterdam, Wallis-et-Futuna) sont en attente d'examen, celle de Wallis-et-Futuna datant de décembre 2012 ; deux demandes (Saint-Pierre et Miquelon et Polynésie française) demeurent à déposer à la suite d'informations préliminaires déposées en mai 2009 ; une information préliminaire a été déposée puis retirée deux jours après son dépôt, celle de Clipperton ; un dossier (la Terre Adélie) a fait l'objet de réserve de droits de dépôt dans l'avenir ; six dossiers n'ont pas été déposés (Saint-Barthélemy et Saint-Martin, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India, Europa et Mayotte). La souveraineté sur les ressources naturelles de 600 000 km2 supplémentaires a été obtenue.
Le bilan du programme Extraplac reste néanmoins insatisfaisant, car le budget alloué n'a pas permis d'atteindre les objectifs fixés par les Cimer successifs -dépôt des dossiers avant le 13 mai 2009, connaissance des ressources du sol et du sous-sol marins du plateau continental étendu, coordination de l'action des ministères concernés, publication des limites extérieures dans le cadre des recommandations de la CPLC. En outre, à quoi bon avoir obtenu des droits souverains sur les ressources naturelles de 600 000 km2 supplémentaires -peut-être 2 millions de km2 demain- si la France ne les exploite pas ? Ces ressources, mentionnées à l'article 77 de la Convention de Montego Bay restent largement méconnues.
Pour s'assurer une politique maritime efficace, la France doit finaliser le programme Extraplac, en revoyant son financement. L'enveloppe globale d'une vingtaine de millions d'euros est apparue faible à la délégation à l'Outre-mer comparée aux 100 millions engagés par le Canada ou aux 40 millions du Danemark. Il est important de finaliser le traitement des dossiers restés en suspens auprès de la CPLC. Le Canada refuse de reconnaître les droits souverains de la France sur l'extension du plateau continental de Saint-Pierre et Miquelon. Le dépôt du dossier français est la seule façon de conduire ce pays à négocier, car la CPLC n'a pas mandat pour examiner des dossiers faisant l'objet de différends portant sur des prétentions relatives au même plateau continental. S'agissant du dossier polynésien, il est essentiel de mener à bien les campagnes scientifiques pour l'ensemble de l'archipel, afin que le dossier soit complet. Le dossier de Clipperton doit être déposé pour affirmer définitivement la souveraineté de la France contestée par le Mexique. Enfin, les problèmes diplomatiques avec le Vanuatu doivent être réglés rapidement pour faire aboutir le dossier calédonien. Il est essentiel de fixer et de publier dans les meilleurs délais les limites maritimes sur la base des recommandations de la CPLC pour opposabilité au pays tiers. Cet objectif, non budgété, requiert la conclusion ou la finalisation d'accords de délimitation avec les pays voisins. Enfin, il faut conforter les moyens humains et budgétaires de la CPLC, pour raccourcir les délais d'examen des dossiers - quinze à vingt ans pour les derniers dossiers déposés par la France !
Pour garantir l'attitude exemplaire de la France face à ce nouvel espace maritime, nous recommandons de protéger et de surveiller les espaces concernés. Un programme national, pluridisciplinaire et ambitieux portant sur la connaissance, l'identification et la quantification des ressources du sol et du sous-sol devra être engagé, les recommandations des Cimer successifs en ce sens étant restées stériles. Enfin, il faudra mettre en place un programme de recherche scientifique marine visant à élargir la connaissance de l'environnement des écosystèmes et des habitats du plateau continental étendu. L'Union européenne doit être informée et associée aux programmes de la politique maritime française.
Le devoir de notre pays est aussi l'exemplarité dans l'encadrement juridique d'éventuelles activités d'exploration et d'exploitation de ses ressources. Nous recommandons d'établir cet encadrement juridique dans les meilleurs délais et plus particulièrement de réformer notre code minier désuet pour l'adapter à la situation particulière du plateau continental étendu au sein des espaces maritimes. Les responsables des collectivités locales et les parlementaires ultramarins -à l'exception de la Nouvelle-Calédonie- ont trop souvent été tenus à l'écart de l'élaboration des dossiers de demande d'extension du plateau continental et plus généralement de la politique maritime de la France. Ils doivent être informés et impliqués. Il est souhaitable que les territoires ultramarins accèdent aux ressources naturelles et aux activités économiques qui y sont liées, afin de compenser sensiblement leurs handicaps structurels. Des dispositions législatives et réglementaires relatives aux compétences des collectivités ultramarines seront adaptées et effectivement appliquées. Enfin, l'approche écosystémique, concertée et collaborative des questions maritimes, leur forte dimension interministérielle et internationale, l'éclatement des crédits budgétaires alloués conduisent à envisager le pilotage de la politique de la mer par un Haut-commissaire ayant rang de ministre, s'appuyant sur une administration renforcée, sous l'autorité directe du Premier ministre. Nous recommandons également l'élaboration d'une grande loi sur les océans afin de rassembler l'ensemble des législations et réglementations définissant le développement de la politique maritime de notre pays. Un document de politique transversale donnant une vision globale de la situation devrait faciliter l'organisation annuelle au Parlement d'un large débat sur la politique maritime française.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous avons eu l'occasion de débattre à plusieurs reprises avec l'Amiral Rogel. Nous avons toujours buté sur la question budgétaire.
M. Gérard Grignon. - C'est là que le bât blesse. Il n'y a eu aucun débat sur l'acquisition de 600 000 km2 par la France !
M. Jean-Louis Carrère, président. - En effet.
M. Gérard Grignon. - L'extension du plateau continental est un atout considérable pour notre pays, en termes de droits souverains, de ressources naturelles, mais aussi en termes d'obligations et de devoirs.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Le sujet nous intéresse beaucoup ; nous y avons déjà beaucoup travaillé et nous avons eu le courage politique d'insister à plusieurs reprises auprès de nos décideurs et des militaires.
M. André Dulait. - Nous savons que le plateau continental étendu offre des possibilités considérables. Quand le budget de la marine oblige à diminuer le nombre des bâtiments en mer, je reste inquiet sur la présence française nécessaire pour gérer ces millions de km2. Le Président de la République s'est rendu au Mexique récemment. Comment lever le différend sur Clipperton ? Quel type de décision prendre pour éviter un conflit ? La question se pose aussi pour le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie ainsi que pour le Canada et les eaux de Saint-Pierre-et-Miquelon : nous avons connu des périodes de tension, notamment en matière de pêche.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Pourquoi avoir déposé puis retiré le dossier sur Clipperton ? Pourquoi faut-il rénover le code minier ? Quelle conséquence intéressante peut avoir l'extension sur la pêche française ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Dans son rapport sur la maritimisation, notre commission avait appelé de ses voeux la construction d'une Europe de la mer, suggérant une véritable politique maritime intégrée, guidée par le Traité de Lisbonne. Les intérêts entre Européens ne sont pas contradictoires. En l'état actuel, la stratégie maritime intégrée de l'Union européenne vous paraît-elle répondre au début de cette ambition ?
M. Gérard Grignon. - La délégation à l'Outre-mer du CESE n'a pas obtenu de véritable explication sur le dossier de Clipperton. Un dossier scientifique a été établi et transmis à New York. Il a été retiré deux jours plus tard, sans explication claire. Toutes les preuves scientifiques et techniques présentées en juillet 1999 devant la CPLC sont incontestables. Le Mexique a une position contradictoire : il conteste la souveraineté de la France sur Clipperton, alors qu'il a pourtant signé un accord de pêche avec la France, pour dix ans dans la ZEE française. C'est reconnaître implicitement la souveraineté de la France ! La seule possibilité pour mettre un terme au différend, c'est que la France dépose son dossier. La CPLC ne pouvant trancher sur un dossier où il y a différend entre deux pays, si le dossier était déposé, le Mexique serait dans l'obligation de négocier. La France ne doit pas abandonner ses intérêts dans une zone où le sous-sol est riche : on y a repéré des sulfures hydrothermaux en quantité importante. Elle doit également mettre fin à la pêche anarchique et au pillage des ressources halieutiques, conséquences du manque de présence de l'État en mer.
Le Vanuatu conteste l'extension du plateau continental au Nord-Est de la Nouvelle Calédonie, car il ne reconnaît pas la souveraineté de la France sur les îles Matthew et Hunter. Des négociations avec les autorités politiques du Vanuatu sont nécessaires. Souvent, ce type de négociations souffre d'un manque de coordination entre les ministères concernés : par exemple, une recommandation au large de la Guyane a été émise par la CPLC, mais les limites extérieures fixées par la commission n'ont pas encore été publiées par la France qui n'a pu conclure les compléments d'accord avec le Brésil et le Surinam par manque d'interlocuteur.
Le Canada s'en tient à l'arbitrage conduit à New York en 1991 et rendu en juin 1992, qui a été un échec pour la France : elle n'a pas obtenu le cinquième de la superficie revendiquée. Saint-Pierre-et-Miquelon est en droit de prétendre à l'extension de son plateau continental, une mission de l'Ifremer en juillet 2013 ayant apporté les preuves scientifiques nécessaires. La zone économique exclusive française est située au coeur de réserves en gaz et en pétrole que le Canada exploite depuis plus de dix ans et qui enrichissent Terre Neuve et La Nouvelle Ecosse. Le Canada ne veut pas négocier ; dans un documentaire, diffusé la semaine dernière à l'Assemblée nationale, on entendait des responsables canadiens se référer au traité signé en 1994 entre M. Chrétien et M. Balladur qui, par rapport au différend franco-canadien, relevait de l'accessoire -la culture, la communication, l'éducation- et en excluait l'essentiel --les hydrocarbures, la pêche, le plateau continental. La France doit déposer son dossier pour obliger le Canada à négocier, car l'extension canadienne au large de Terre Neuve et de la Nouvelle Ecosse ne sera alors pas possible sans cette négociation.
Si un pays côtier attribue à une société un permis pour qu'elle exploite du pétrole en deçà des 200 milles marins -c'est le cas de la Guyane- on est dans l'espace maritime de la zone économique exclusive, sous souveraineté de l'État français. Au-delà des 200 milles marins, on est dans l'espace de la haute mer : dès lors, les opérations d'exploitation ne doivent pas perturber la circulation des navires ou la pêche. Après 350 milles marins, le plateau continental étendu devient « la zone », dont le sol et le sous-sol sont gérés par l'Autorité internationale des fonds marins (Aifm) qui a commencé à rédiger un code minier international pour l'exploitation des nodules polymétalliques, des sulfures hydrothermaux et des amas cobaltifères. Les pays côtiers ne sont pas obligés d'adopter ce code, mais un arrêt de la Chambre pour le règlement des différends, datant de 2011, leur recommande de s'en inspirer. Les ressources minérales des fonds marins sont souvent par grands fonds. Aucun programme national n'a livré une connaissance des écosystèmes marins suffisamment approfondie pour que l'exploitation se fasse sans dégâts. Le devoir de l'État est d'élaborer la réglementation des activités d'exploration et d'exploitation minérales des fonds marins pour préserver les écosystèmes. En outre, il n'est pas possible de laisser des sociétés exploiter les ressources sans aucun bénéfice pour l'État ou les collectivités ultramarines. Lors de l'examen de la loi de finances 1993, l'Assemblée nationale et le Sénat ont supprimé, à la suite d'un amendement déposé par M. Philippe Auberger, les redevances sur l'exploitation du pétrole et du gaz offshore. Si Exxon Mobil demande un permis d'exploitation et trouve du pétrole au large de Brest, la société n'aura rien à payer. Jusqu'alors, la France était le seul pays sans fiscalité sur l'exploitation offshore. Depuis, une réforme du code minier a été engagée, mais nous l'attendons toujours. Le Sénat a voté, à l'initiative de M. Patient...
M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est donc récent.
M. Gérard Grignon. - ...un amendement pour assujettir les sociétés à une redevance allant de 1 à 12%. Il a été retiré puis repris par le Gouvernement sous une autre forme, la répartition se faisant à 50% pour l'État et 50% pour les collectivités...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Une ressource substantielle pour l'État français.
M. Gérard Grignon. - Il a été fait à la va-vite. S'applique-t-il seulement à la Guyane ? Est-il intégré dans la future réforme du code minier ? En 1997, lors de l'examen de la loi de finances, j'avais déposé un amendement établissant une redevance, levée par le Conseil territorial, sur les exploitations de pétrole et de gaz offshore au bénéfice de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Les commissions du développement durable et des affaires économiques travaillent sur la refonte du code minier.
M. Gérard Grignon. - Les conclusions de ces deux commissions m'intéressent ; pour l'instant, nous ne disposons que du rapport de M. Thierry Tuot. En attendant, aucune disposition précise n'existe pour le cas où une compagnie pétrolière demanderait un permis d'exploration et d'exploitation sur le plateau continental étendu. On ne pourrait qu'avoir recours à une extension de ce qui existe en deçà des 200 milles. Concernant la pêche, la convention de Montego Bay prend en considération les espèces se déplaçant au sol, comme les crabes et les oursins, et les espèces sédentaires mais pas les poissons.
Cette politique doit être intégrée ; le CESE prendra bientôt une résolution en faveur des liens entre les territoires ultramarins et l'Union européenne dont les objectifs vingt-vingt doivent être associés à la politique maritime française. Pour l'étude des ressources et des écosystèmes marins, qui coûte cher en cette période de difficultés budgétaires, il faudra associer d'autres États ou des opérateurs privés.
M. Robert del Picchia. - Sans jeu de mots, vous nous avez noyés dans une masse impressionnante d'informations. Si je résume, la France a une grande propriété, sans les moyens de l'enclore, ni même d'accéder aux trésors qu'elle contient. À la fin, je me demande, comme sans doute le Français moyen : n'est-ce pas un rêve ?
M. Jeanny Lorgeoux. - La conjoncture ne doit pas obérer la conjecture !
M. Gérard Grignon. - J'ai parlé récemment des mêmes sujets devant des étudiants de Sciences-po. Beaucoup avaient lu ce rapport : c'est encourageant ! La situation de la France est paradoxale : avec le deuxième domaine maritime du monde, elle n'a pas de grande politique maritime. Mais ce n'est pas un rêve pour tout le monde : le rapport que le Président de la République a commandé à Anne Lauvergeon, bâti autour d'un principe et de sept ambitions, compte comme troisième ambition la valorisation des richesses marines. Il rappelle que les fonds marins représenteraient 90% des réserves d'hydrocarbures -dont la production est aujourd'hui à 30% offshore- et 84% des métaux rares, et que l'économie marine représente un chiffre d'affaires annuel mondial de 1 500 milliards de dollars, ce qui en fait le deuxième secteur économique après l'agroalimentaire.
D'après un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, la Chine a produit 80% des terres rares en 2012 et a réduit ses importations dans ce domaine de 40% cette même année. Aucun développement industriel à long terme n'est envisageable sans la sécurisation des approvisionnements en métaux mineurs et terres rares, utiles dans les industries chimiques, pharmaceutiques, aéronautiques et automobiles. Pour construire une politique maritime, il faut commencer à exploiter, dans le respect de l'environnement, les richesses des fonds marins. Outre-mer, le programme Extraplac (Extension raisonnée du plateau continental) a pour but de savoir où se situe la marche continentale. Avec un budget public insuffisant, il a pu se dérouler grâce au support d'acteurs privés comme l'Institut du pétrole et des énergies nouvelles. Ces campagnes ont permis d'identifier une zone de 350 000 milles autour de Clipperton, des sulfures hydrothermaux à Saint-Paul et Amsterdam et des encroûtements cobaltifères près des Marquises.
M. Gilbert Roger. - La délégation à l'Outre-mer, dont je fais partie, a examiné la semaine dernière un excellent rapport sur les zones économiques exclusives, et à cet égard, son président Serge Larcher a indiqué son intention d'obtenir un débat sur ce sujet au Sénat. Notre commission pourrait s'associer à cette volonté. Les quatre autres demandes d'extension déposées à l'ONU concernant Crozet, la Réunion, Saint-Paul-et-Amsterdam et Wallis-et-Futuna ont-elles des chances d'aboutir ? Y mettons-nous les moyens ? Nos efforts pour résoudre diplomatiquement les conflits afférents sont-ils suffisants ?
M. Gérard Grignon. - Compte tenu des travaux nombreux du Sénat sur le sujet, ce dernier est prêt pour débattre des orientations essentielles de la politique maritime digne de ce nom que nous appelons de nos voeux. Pour les quatre demandes en attente, c'est une question de temps. Pour Crozet et Saint-Paul-et-Amsterdam, des études complémentaires, notamment pour identifier l'isobathe de 2 500 mètres, pourraient augmenter l'extension, si des moyens suffisants leur étaient alloués. Quant aux efforts diplomatiques, il faut les pousser : c'est trop long.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Si nous obtenons le principe d'un débat, nous le préparerons en amont pour qu'il soit conclusif. L'an dernier, je suis allé en Australie et en Nouvelle-Zélande avec d'autres collègues ; les conclusions de notre mission ont été claires : la France doit manifester davantage sa présence, la ZEE est mal gardée, la Chine est en permanence dans les parages et cela risque de mal se terminer.
M. Jeanny Lorgeoux. - La souveraineté s'exerce-t-elle dans les mêmes conditions au-delà des 200 milles et dans la ZEE ?
M. Gérard Grignon. - Au-delà des 200 milles, elle ne s'exerce que sur le sol et le sous-sol, la colonne d'eau étant considérée comme située en haute mer. Le code minier doit tenir compte de cette spécificité, ce que ne fait pas la réforme en cours.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Nous soutenons tous l'idée d'une grande politique maritime, mais l'État peut-il être le seul acteur en jeu ?
M. Robert del Picchia. - Les pétroliers par exemple sont concernés.
M. Gérard Grignon. - Cette politique doit définir les orientations ; pour le financement, il faudra faire appel à d'autres États et à d'autres acteurs.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Quel pays pratique-t-il déjà une politique de cet ordre ?
M. Gérard Grignon. - Le Gouvernement canadien a signé il y a peu un marché avec des chantiers navals de Halifax pour la construction de 25 navires de guerre, représentant 15 000 emplois et 25 milliards de dollars, avec la participation de fonds privés. Les Canadiens veulent contrôler l'Arctique au plus loin, comme ils l'affirmaient dès 1987, d'autant plus que le passage du Nord-Ouest s'ouvre grâce à la fonte des glaces. Sur la pêche en Arctique, le Canada brille par une politique intégrée, à la différence de l'UE, pourtant concernée elle aussi.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie.
La réunion est levée à 16 heures 26.
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, puis de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -
La réunion est ouverte à 16 heures 30.
Politique de développement et de solidarité internationale - Audition de Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie
La réunion est ouverte à 16 heures 30
La commission auditionne Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, sur le projet de loi n° 357 (2013-2014) d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Annick Girardin, notre nouvelle secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, en la remerciant de la diligence avec laquelle elle vient devant notre commission, si peu de temps après sa nomination. L'Assemblée nationale a adopté en février dernier le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dont le Sénat est aujourd'hui saisi. Notre commission a nommé rapporteurs Jean-Claude Peyronnet ici présent et Christian Cambon, actuellement en déplacement en République centrafricaine à ma demande avec une délégation de notre commission. Sur certains sujets très importants, notre commission a pour coutume de travailler en binômes de rapporteurs, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition - si la distinction a un sens dans les matières qui nous occupent. Nos avis sont dès lors souvent suivis par le Gouvernement, comme nous l'avons vu sur le Livre blanc ou la loi de programmation militaire.
La conférence des présidents devrait mettre ce projet de loi à l'ordre du jour du Sénat en séance le lundi 26 mai, peut-être dès le matin afin de garantir que nous achèverons son examen dans la journée. Notre commission adopterait son texte le 30 avril et examinerait le 21 mai les amendements extérieurs.
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie. - Je vous remercie de votre invitation : c'est un plaisir et un honneur de parler devant votre prestigieuse commission. Ma nomination est toute récente, j'ai néanmoins voulu maintenir ce rendez-vous par respect du Parlement ; j'ai été députée suffisamment longtemps pour estimer que les parlementaires n'ont pas à être les otages des remaniements ministériels. Je l'ai fait également parce que cette loi traduit un engagement fort du Président de la République, énoncé à plusieurs reprises, pour lequel, devant l'impatience qu'ont nos concitoyens à observer des résultats, nous ne devions pas allonger les délais. Ce projet de loi constitue un vrai progrès dans notre politique de développement et de solidarité internationale en termes de transparence, de cohérence et, je l'espère, d'efficacité.
Je salue le travail remarquable de mon prédécesseur au développement, Pascal Canfin, qui est, en lien étroit avec Laurent Fabius, l'instigateur de ce projet de loi. Bien entendu, le texte mérite d'être affiné, peut-être même allégé et j'ai toute confiance en la sagesse du Sénat pour l'améliorer. Mais il contient déjà les grands principes et les grandes orientations nécessaires. En cette première audition devant une commission parlementaire, je veux aussi vous présenter les grandes lignes de mon action. Je me donne pour axe de travail l'approfondissement dans la continuité. Une refondation de notre politique de développement a été entreprise par mon prédécesseur ; je ne suis pas de ceux qui aiment à renverser la table pour imprimer leur marque et j'ai toujours dénoncé les méthodes qui privilégient la communication au détriment de l'action. Le travail réalisé jusqu'ici, mené en coordination avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et l'AFD, a été de qualité. Tout a été fait pour chercher un consensus avec les ONG, avec les parlementaires, avec les collectivités territoriales et les différentes administrations.
L'élaboration d'un cadre d'action qui ne soit pas seulement l'apanage de l'exécutif, mais soit soumis à l'approbation et au contrôle du Parlement, est une première étape. La discussion du projet de loi parachève ce temps de la concertation, de la mise en cohérence et de la transparence. Un deuxième temps suivra : celui de la mise en oeuvre de tous ces principes et orientations. Il faudra s'assurer que les bonnes intentions sont mises en pratique pour que l'efficacité que nous appelons de nos voeux devienne une réalité plus tangible.
Cette efficacité, nous la devons à nos concitoyens, car l'argent public est un bien précieux qui doit être utilisé au mieux, comme je l'ai défendu pendant sept ans à la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nous la devons aussi aux pays partenaires et aux populations que nous aidons. L'Agence française de développement est aujourd'hui un outil essentiel et son action doit être exemplaire ; son nouveau contrat d'objectifs et de moyens, pour 2014-2016, vous sera transmis bientôt. Cette efficacité, nous la devons également à la stabilité internationale. Je le dis en tant qu'auditrice de la session annuelle « politique de défense » de l'IHEDN ! On le voit très bien au Mali et en République Centrafricaine par exemple. Nous la devons enfin à la France, pour renforcer notre influence internationale : la politique de développement est un signe de générosité qui fait la grandeur de notre pays et affermit notre voix dans le monde.
Ce deuxième temps sera également marqué par les négociations sur le climat. La France accueillera en 2015 la 21ème Conférence des Nations unies sur le changement climatique. Préserver le climat, éviter un réchauffement de la planète supérieur à deux degrés, cela exige d'agir en faveur du développement. Le dérèglement climatique est en effet l'une des plus grandes menaces pour le développement des pays les plus pauvres, que nous devons aider à choisir un mode de développement écologiquement soutenable et à s'adapter aux impacts du changement climatique. La Conférence de Rio+20 en 2012 a lancé le travail de préparation des objectifs de développement durable qui devront être adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015. Enfin, je poursuivrai le dialogue avec les ONG, qui jouent un rôle fondamental dans ce domaine. Je remercie tous ceux qui oeuvrent chaque jour pour améliorer la vie quotidienne et préparer l'avenir de centaines de millions de personnes. Les instances de consultation sont désormais en place ; il faut les faire vivre. Je réunirai prochainement le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, qui au-delà des acteurs que j'ai déjà cités, rassemble les syndicats, les entreprises, les organismes de recherche. La démarche a été collective et doit le rester, c'est la condition de la performance.
La francophonie est dans mon périmètre d'action ; c'est un honneur pour une élue de Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire à l'avant-poste d'un grand bassin francophone. Les territoires ultra-marins doivent devenir les têtes de pont de la France, pour faire rayonner la francophonie dans le monde. Car la francophonie, ce n'est pas la France, c'est le monde. C'est la langue de toutes ces personnes qui l'étudient, la parlent ou souhaiteraient la parler, et l'aiment, tout simplement. Parce qu'elle est attachée à des valeurs et à une culture partagée.
Mon ambition est de rendre la francophonie encore plus dynamique et la langue française plus attractive. Je veux consolider le travail engagé depuis près de deux ans par Yamina Benguigui, dont je tiens ici à saluer le travail et l'engagement, en particulier pour les droits des femmes francophones. L'une de mes priorités sera la jeunesse francophone. Pour l'ancienne conseillère d'éducation populaire et de jeunesse que je suis, c'est une question essentielle. Actuellement, 60% de la population francophone a moins de 30 ans. Les projections annoncent 800 millions de locuteurs francophones en 2050, dont plus de 80% en Afrique. C'est un formidable essor potentiel, plus rapide que la croissance de la population mondiale, qui doit être accompagné par une politique linguistique ambitieuse. Je veillerai ainsi à la mise en oeuvre du fonds de solidarité prioritaire « 100 000 professeurs pour l'Afrique » et approfondirai le renforcement de l'espace francophone dans le domaine scientifique. La francophonie, c'est un privilège culturel mais c'est aussi un atout politique et économique : l'espace francophone représente 15% de la richesse mondiale et 12% du commerce international. Le prochain sommet de l'Organisation internationale de la francophonie à Dakar en novembre prochain sera un grand rendez-vous, au cours duquel sera désigné un nouveau secrétaire général.
Le regroupement de la francophonie et du développement au sein d'un même secrétariat d'État n'est pas un renoncement comme je l'ai entendu dire ; au contraire, il s'inscrit dans une logique de complémentarité et d'efficacité. Sur l'éducation, par exemple, améliorer l'accès à l'éducation et la qualification des enseignants, c'est développer l'enseignement du français. La quasi-totalité des seize pays pauvres identifiés comme prioritaires est francophone.
J'en viens au projet de loi. Il est composé de deux parties : 10 articles et un rapport annexé. L'une de ses lignes directrices est la transparence. Il est issu des Assises du développement et de la solidarité internationale qui, de fin 2012 à début 2013, ont renoué les fils du dialogue entre l'État et la société civile. Elles se sont conclues sur la nécessité d'un texte, soumis au Parlement, consacrant les orientations de la politique de développement. Le contrôle du Parlement ne s'arrêtera pas à cette seule loi : vous serez régulièrement informés par des rapports plus nombreux. Les évaluations seront systématisées selon une grille d'indicateurs communs clairement définis dans le rapport annexé au projet de loi. Ces orientations ne doivent cependant pas être figées dans le marbre ; à la demande des députés, une révision aura lieu dans cinq ans.
L'autre objectif du projet de loi est d'apporter une plus grande cohérence à notre politique de développement, pour plus d'efficacité. Cela passe notamment par la prise en compte des spécificités des pays : il y a plusieurs « Sud ». L'action de la France doit sans cesse s'adapter à un monde en mouvement. J'ai trop souvent critiqué l'uniformité de la politique à l'égard de l'outre-mer pour ne pas m'attacher à une logique de partenariats différenciés.
Le projet de loi cherche également à donner plus de cohérence à l'action multilatérale et à l'articuler au mieux avec l'aide bilatérale. Je ne rêve pas, par purisme méthodologique, d'une unique action mise en oeuvre par un unique organisme. Toutes les initiatives enrichissent notre aide au développement ; mais elles doivent être mieux valorisées, notamment en améliorant leur visibilité. C'est ce qui est proposé aux collectivités, à travers la notion d'action extérieure des collectivités territoriales, volontairement plus large que le terme de coopération décentralisée. Cela donne plus de liberté aux collectivités et sécurise leur action - c'est là l'un des principaux apports normatifs du projet de loi. La politique de développement économique doit aussi être mieux coordonnée avec les autres politiques publiques, comme dans le domaine fiscal et environnemental, la promotion des libertés individuelles et des droits de l'homme, ou encore la politique outre-mer.
Les députés ont inscrit l'objectif de 0,7% du revenu national brut (RNB) dédié au développement dans le projet de loi. Il est également indiqué que la France reprendra une trajectoire ascendante vers les objectifs qu'elle s'est fixés dès lors qu'elle renouera avec la croissance.
M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est la méthode que nous avons privilégiée dans la loi de programmation militaire.
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - Au-delà de l'efficacité, ce projet de loi cherche à rendre l'aide au développement plus attractive. Paradoxalement, nos concitoyens émettent le souhait de mettre fin à la pauvreté, de favoriser l'accès à l'éducation et à la santé pour tous, de lutter contre le Sida là où il fait le plus de ravages, mais les modalités de l'action publique lassent, notamment par manque de visibilité : 90% des Français ont le sentiment d'être mal informés sur la politique d'aide au développement et 81% souhaiteraient l'être davantage. Avec vous, je veux redorer notre politique de solidarité internationale. Le projet de loi que je viens de vous présenter est l'une des pierres de cet édifice.
M. Jean-Claude Peyronnet, co-rapporteur. - Je retiens vos mots de cohérence, de transparence, d'efficacité et d'évaluation, auxquels nous souscrivons tous. C'est l'intérêt de ce projet de loi d'orientation et de programmation qui est néanmoins assez peu normatif. L'objectif de 0,7% est dans le rapport annexé, par exemple. Mais le plus important est ce qu'on fait de cet argent. Ce texte a une vertu pédagogique évidente, nécessaire à l'heure où tant de choses ont changé : l'apparition des émergents, la montée en puissance des bailleurs de fonds privés, comme la fondation Bill Gates, qui donne plus que l'OMS. Avec Christian Cambon, co-rapporteur, nous nous interrogeons sur la dispersion et le manque de clarté du pilotage. Il y a ainsi des crédits à l'AFD, au Trésor, au ministère des affaires étrangères... Nous rêvons d'un pilotage unique ou du moins d'une étroite concertation. Le projet de loi n'y répond pas tout à fait.
Vous avez dit votre souci de concentrer la moitié des subventions de l'Etat et les deux tiers de celles de l'AFD sur seize pays pauvres prioritaires. En outre, 85% de l'effort financier de l'Etat ira à l'Afrique et à la Méditerranée. Comment s'imbriquent ces objectifs ? Pourquoi ne pas avoir donné la priorité au Sahel ?
Ma troisième question a trait au choix entre prêts et dons. Pourquoi ne pas accroître nos dons, notamment pour les pays les plus pauvres ? M. Cambon fait remarquer à juste titre que si l'on divise notre enveloppe de dons entre les seize pays prioritaires, on arrive à 10 millions par pays, soit moins que le budget d'investissement de sa commune de Saint-Maurice ! Ne faudrait-il pas revoir la répartition entre dons et prêts ?
Dans les domaines multilatéraux, notamment dans le secteur de la santé, nous sommes des donateurs très importants. Notre pays verse 360 millions par an au fonds Sida et 110 millions à Unitaid : l'importance de ces fonds n'est plus à démontrer, mais une part de ces crédits ne pourrait-elle pas être réorientée vers des subventions pour les pays les plus pauvres ?
Je me félicite que la coopération décentralisée soit enfin reconnue alors même que les collectivités connaissent souvent des difficultés budgétaires. Ne pourrait-on étendre la possibilité de consacrer au maximum 1% de leur budget lié à l'eau à des actions de coopération ? Je pense naturellement au secteur des déchets. Nous suivrez-vous dans cette voie, madame la ministre, lèverez-vous le gage, afin que l'article 40 ne s'applique pas ? Dans mon rapport, comme M. André Laignel, j'ai défendu cette idée. Par exemple, Grenoble a trouvé des sources de financement grâce aux places de parking, mais un juge pourrait remettre en cause cette initiative, qu'il faut donc sécuriser juridiquement.
M. Robert del Picchia. - M. Cambon et moi-même partageons ce que vient de dire M. Peyronnet, tant sur la dispersion du pilotage que sur la réorientation de notre politique de dons : les 360 millions que nous versons au fonds Sida sont disproportionnés par rapport à notre enveloppe globale.
Vous avez dit, madame la ministre, vouloir agir avant de communiquer. Mais nos concitoyens, qui traversent tant de difficultés économiques, se demandent pourquoi on donne tout cet argent à l'extérieur : il faut le leur expliquer. Comme vous, je souhaite que l'on trouve d'autres sources de financement pour les collectivités territoriales. Enfin, vous avez parlé des ultramarins, de la francophonie, mais vous avez oublié de mentionner les 2,5 millions de Français de l'étranger. Certes, une autre secrétaire d'Etat en est chargée, mais qui a aussi dans ses attributions le commerce extérieur : sa priorité est de vendre à l'étranger des produits français. Pourtant, beaucoup de Français de l'étranger participent à l'aide au développement et à l'essor de la francophonie, souvent de façon bénévole. Ne les oubliez pas !
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - L'idée du 1% déchet figurait en effet dans le rapport d'André Laignel mais cette proposition avait été mise en suspens en attendant une étude d'impact. L'idée me paraît bonne et, sera soumise au débat interministériel qui aura lieu avant l'examen du projet de loi au Sénat. Je verrai aussi quelles modalités de mise en oeuvre vous proposez dans vos amendements.
J'ai entendu vos critiques sur le pilotage. Le bicéphalisme, en cette matière, est cependant un héritage historique... Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) va poursuivre son travail, pour promouvoir la mise en commun des subventions et un pilotage harmonieux, afin d'améliorer la cohérence d'ensemble. L'AFD pilote sur le terrain nos actions : cet outil est performant et le sera encore plus demain grâce à ce texte.
Le fonds mondial de lutte contre le Sida obtient des résultats formidables : on fait beaucoup plus et beaucoup mieux lorsqu'on travaille ensemble. Nous devons communiquer pour que les Français se rendent compte que la France, aux côtés de ses partenaires européens et internationaux, fait du bon travail. Ce qui ne l'empêche pas d'agir seule quand cela est efficace.
Entre l'annonce d'un projet de loi, le vote et les premiers résultats concrets, il se passe parfois beaucoup de temps, si bien que nos concitoyens nous accusent parfois de promettre sans tenir parole. Soyons prudents et commençons par agir, pour pouvoir montrer des résultats tangibles.
Le CICID a décidé en juillet 2013 de donner la priorité à seize pays pauvres prioritaires (PPP) : ils concentreront au moins la moitié des subventions de l'État et les deux-tiers de celles de l'AFD. Les pays d'Afrique sub-saharienne, ceux du sud-est de la Méditerranée et ceux en crise ou en sortie de crise seront les bénéficiaires de 85% de l'effort financier de la France. Nous répondrons bien sûr aux spécificités de chacun de ces pays. Le Sahel ne fait pas l'objet d'un partenariat spécifique, mais c'est une zone prioritaire d'intervention, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Burkina-Faso, au Sénégal et au Tchad. Ces États font d'ailleurs partie des seize pays prioritaires. La France est le deuxième bailleur bilatéral dans la région après les États-Unis : en 2012, 515 millions d'euros ont été mobilisés en faveur de ces six pays, et l'AFD distribuera 900 millions de financements en 2014-2015.
Les dons sont prioritairement destinés aux pays les plus pauvres afin de financer les secteurs sociaux de base comme la santé et l'éducation. Les prêts sont consentis aux pays à revenu intermédiaire ou émergents, principalement dans le secteur de la croissance du développement durable. Les deux instruments sont complémentaires, ils répondent à des besoins très différents. Malgré la croissance des prêts dans l'APD, les dons restent majoritaires. Au total, la proportion des dons au sens de l'OCDE a atteint près de 80% de notre aide en 2012.
Les diasporas des pays que nous aidons, les Français de l'étranger et les outre-mer sont des relais de la francophonie. Mais je vous rappelle que je ne suis pas la secrétaire d'État des Français de l'étranger, même si M. Laurent Fabius a appelé les secrétaires d'Etat à travailler ensemble.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Croyez-vous vraiment que nous consacrerons un jour 0,7% du revenu national brut à l'aide au développement ?
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - Ce n'est pas un rêve, mais un objectif que ce gouvernement de combat pourra atteindre si nous retrouvons la croissance comme il s'y emploie.
M. Jeanny Lorgeoux. - Je vous félicite pour votre nomination et vous souhaite pleine réussite. N'y a-t-il pas une contradiction fondamentale entre l'idée que nous nous faisons de la démocratie - qui est parfois un critère d'attribution de l'aide - et la réalité politique dans les pays en développement, notamment en Afrique ? L'installation de la démocratie est un processus historique très lent, qui prend des décennies, voire des siècles...
M. Jean-Louis Carrère, président. - Comme vous le voyez, madame la ministre, les débats au sein de cette commission sont extrêmement courtois et nous avons voté à plusieurs reprises des budgets de la coopération sous d'autres majorités.
- Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - La démocratie est le moins mauvais des systèmes politiques et il a mis deux siècles à s'imposer dans notre pays.
M. Robert del Picchia. - Il n'est pas encore parfait !
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - Rien ne l'est jamais ! La France doit accompagner ce processus politique dans les pays où elle participe à l'aide au développement. Le respect de la démocratie et des droits de l'homme est extrêmement important, bien sûr. Mais à refuser une aide au motif de leur non-respect, on prend le risque de pénaliser davantage les femmes et les hommes de ces pays, la société civile...
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Pour eux, ce serait la double peine !
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - En effet. La francophonie va au-delà de la langue : il s'agit d'un vivre ensemble à la française, d'un modèle qui a fait ses preuves même s'il n'est pas parfait. Soutenons ces pays pour qu'ils arrivent le plus rapidement possible à la démocratie, mais n'en faisons pas un préalable à notre aide, car les populations déjà affectées en souffriraient d'autant plus.
M. Jeanny Lorgeoux. - Bonne réponse.
M. Robert del Picchia. - Une telle politique aurait des effets contraires.
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat. - Un dernier mot pour vous dire ma fierté et mon émotion d'être nommée à ce secrétariat d'Etat, car mon grand oncle, Henry Claireaux, qui fut sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon pendant de nombreuses années, travaillait sur toutes ces questions, notamment sur la pêche. J'ai grandi dans cette culture-là. Merci pour votre soutien... Je me prépare néanmoins à la salve de vos amendements !
M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Nous vous retrouverons avec plaisir pour ce débat en séance publique et vous remercions pour votre intervention.
La réunion est levée à 17 heures 30.
Mercredi 16 avril 2014
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, puis de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -La réunion est ouverte à 17 heures 29.
Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
La commission auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.
Cette audition ne donnera pas lieu à un compte rendu.
La réunion est levée à 18 heures 32.