- Jeudi 13 mars 2014
- Audition conjointe de Mme Geneviève Chène, M. Grégoire Rey pour l'Institut national pour la santé et la recherche médicale (Inserm) ; M. Dominique Maraninchi, Mme Carole Le Saulnier, M. Mahmoud Zureik, pour l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; MM. Jean-Patrick Sales et Thomas Le Ludec pour la Haute autorité de santé (HAS)
- Audition de Mme Sandrine Mathon, chef du service administration à la direction des systèmes d'information de la mairie de Toulouse, de M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique et de M. Jean Christophe Elineau, cofondateurd'Opendata France
- Audition de MM. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, Assemblée des départements de France (ADF), Stéphane Norgeot, directeur des services de l'information et des relations avec l'usager, Mme Sophie Guiard, directrice générale adjointe du pôle ressources, du conseil général des Côtes-d'Armor et de M. Jean-Michel Martin, directeur des services de l'information du conseil général de Saône-et-Loire
- Audition de M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales
Jeudi 13 mars 2014
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest -La réunion est ouverte à 9 h 15.
Audition conjointe de Mme Geneviève Chène, M. Grégoire Rey pour l'Institut national pour la santé et la recherche médicale (Inserm) ; M. Dominique Maraninchi, Mme Carole Le Saulnier, M. Mahmoud Zureik, pour l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; MM. Jean-Patrick Sales et Thomas Le Ludec pour la Haute autorité de santé (HAS)
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Notre mission commune d'information, constituée à la demande du groupe écologiste, après avoir auditionné des utilisateurs de données publiques, analyse à présent les politiques de mise à disposition de ces données par leurs producteurs, pouvoirs publics, collectivités territoriales, services publics. Dans la suite des auditions de la semaine dernière sur les données de santé, nous recevons tout d'abord ce matin des représentants de l'Institut national pour la santé et la recherche médicale (Inserm), de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de la Haute autorité de santé (HAS).
Après avoir rappelé le statut et les missions des organismes que vous représentez ainsi que la nature des données qu'ils utilisent, pourriez-vous décrire les modalités actuelles de leur collecte et de leur exploitation, en indiquant le régime d'accès à ces données ; préciser, le cas échéant, de quelles données supplémentaires vous auriez besoin ; présenter votre politique d'offre de données ; enfin, de manière plus prospective, décrire les usages des données de santé qu'il vous paraîtrait pertinent de développer dans le sens d'une amélioration de l'efficacité du système de soins.
Mme Geneviève Chène, directrice de l'Institut thématique multi-organismes (Itmo) Santé publique de l'alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). - L'Inserm est un établissement public à caractère scientifique et technologique dédié entièrement à la recherche sur la santé humaine, à l'expertise et à la veille scientifique, placé sous la double tutelle des ministères de la santé et de la recherche. Ses quelque 300 unités de recherche qui emploient environ 10 000 personnes sont implantées dans des hôpitaux, des universités, des centres de lutte contre le cancer. Dix instituts thématiques, créés début 2008, sont associés à l'Inserm afin d'animer la recherche dans leurs domaines respectifs et de définir une prospective.
En avril 2009, l'alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), réunissant l'Inserm, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et la conférence des présidents d'université (CPU) est venue renforcer la coordination nationale de la recherche. L'Inserm joue enfin un rôle déterminant dans la construction de l'espace européen de la recherche.
Nous utilisons des données très variées : sociodémographiques, cliniques, biologiques, génétiques, d'imagerie médicale, d'exposition à des facteurs de risques, des parcours de soin et de santé, des modes de vie. Les modes de recueil sont multiples. Parfois, les données les plus intéressantes sont collectées à des fins autres que la simple connaissance. Des modes de recueil spécifiques sont également mis en oeuvre par des enquêtes ad hoc, des registres, ou dans le cadre d'essais cliniques. Les données produites en routine - causes de décès, données de registre - peuvent être mises à notre disposition par conventions et réutilisées pour des usages épidémiologiques. Ainsi, les données du système national d'informations inter-régimes d'assurance maladie (Sniiram) et du programme médicalisé des systèmes d'information (PMSI) sont très intéressantes pour la recherche en santé, même s'ils ont été conçus aux fins de gestion et de financement des soins.
De manière générale, toutes ces données sont intéressantes dès lors qu'elles sont de qualité suffisante pour produire des résultats fiables et être utiles à la décision. L'Inserm a une très grande expérience de la production et de l'utilisation de ces données et une conscience de leur très grand degré de complexité et du niveau d'expertise nécessaire pour les traiter de manière à leur donner la valeur attendue.
La plupart des données collectées dans des enquêtes ne sont utilisées qu'à des fins de recherche, d'autres, produites en routine, sont utilisées à des fins de recherche dans le cadre de conventions de mise à disposition.
L'arrêté du 20 juin 2005 fixe la liste des organismes habilités à accéder aux données du Sniiram. L'Inserm en fait partie et bénéficie d'un accès « facilité », notamment à l'échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB), à des extractions précises, mais l'accès à la base complète du Sniiram nous est impossible, ce qui interdit de procéder à de la fouille de données (data mining ou traitement de big data) ou à des recherches sans hypothèse a priori, et freine l'acquisition d'une expertise sur cette base et l'emploi pour des objectifs de recherche. Il est en outre difficile d'enrichir les données d'une enquête avec les données du Sniiram car l'utilisation du NIR (numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, dit « numéro de sécurité sociale ») exige une autorisation par décret en Conseil d'Etat.
D'autres données intéressent les chercheurs : celles de l'INSEE notamment, couvertes par le secret statistique, ce qui nécessite des autorisations administratives et impose des délais non compatibles avec les exigences de compétitivité de la recherche. Les données recueillies par les médecins généralistes, les bases de données sociales, celles de la CNAM (caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés), avec lesquelles des appariements ont déjà été mis en place, celles concernant l'exposition environnementale ou l'alimentation nous seraient aussi très utiles. Un accès large et rapide aux données de santé est un enjeu majeur pour la compétitivité de notre recherche.
L'usage de données individuelles ré-identifiables est indispensable, en particulier dans le cadre du suivi de cohortes de patients, pour faire le lien entre les facteurs de risques et les cause de décès par exemple. Cloisonnement, cryptage et traçabilité sont donc indispensables. Cela exige, bien sûr, de s'assurer que ces données ne puissent pas être accessibles à d'autres fins que scientifiques. La loi « informatique et liberté » encadre leur usage. Les audits ou inspections ont montré que les chercheurs de l'Inserm font preuve d'un très grand professionnalisme dans les usages qu'ils font de ces données et sont extrêmement scrupuleux à cet égard. L'an dernier, la nécessité de faire évoluer le cadre juridique a été soulignée dans un avis de l'Aviesan : il faut faciliter l'accès aux données et leur usage, en particulier l'utilisation du NIR pour les activités de recherche. Il convient, comme le souhaitent également les sociétés savantes d'épidémiologie, que l'évolution de la réglementation européenne ne crée pas d'obstacles supplémentaires à l'utilisation de ces données.
L'Inserm n'a pas à proprement parler de politique d'offre de données ; cela étant, l'accès aux nombreuses bases de données créées à partir des initiatives des équipes de recherche fait l'objet d'arbitrages dans la plus grande transparence par les équipes et le conseil scientifique des études. En outre, l'ouverture des données, l'impact sociétal de la recherche et la collaboration avec d'autres équipes sont pris en compte dans le financement des appels à projets et l'évaluation des unités de recherche. Ces données font également l'objet de publications scientifiques à destination du grand public et les chercheurs doivent pouvoir y accéder.
La recherche publique doit bénéficier de règles spécifiques d'accès aux données de santé, afin de faciliter et d'accélérer leur exploitation. L'Inserm, qui joue déjà un rôle pivot pour l'accès à l'EGB, pourrait se positionner sur cet usage de données de santé pour la recherche : ses équipes présentent en effet des garanties d'indépendance, de déontologie et de compétence en la matière.
L'usage des bases de données exige une maîtrise sémantique, c'est-à-dire une bonne connaissance du sens des données qu'elles rassemblent et il doit être sécurisé au maximum en cas d'appariement et d'anonymisation : la centralisation est ici nécessaire. L'Inserm peut ainsi jouer un rôle de filtre pour l'usage des données car le service rendu au chercheur doit être indépendant du secteur privé, mais aussi de l'exécutif.
L'Aviesan a proposé d'établir une procédure institutionnelle claire, confiée à un opérateur unique, pour l'accès des chercheurs au Sniiram et à d'autres bases de données administratives et médico-administratives, avec des circuits et des modalités de procédure différents selon que la demande émane du secteur public ou du secteur privé, et qui permette de vérifier la pertinence des demandes d'accès au regard du contenu des bases. Est également recommandée la création d'une ou plusieurs plateformes techniques mutualisées, permettant l'extraction, le formatage, l'aide à la mise en forme et l'appariement des données extraites de ces bases, bénéficiant d'un financement spécifique garanti, distinct de celui qui est alloué aux organismes gestionnaires des bases. Ces plateformes seraient fondées sur un échange de savoir-faire entre ces organismes chargés de la gestion des bases et les équipes de recherche. L'Itmo de santé publique que je dirige est bien placé pour représenter la partie recherche dans le processus de constitution de cette interface.
Le Président de la République a récemment annoncé un grand programme de recherche sur la biologie des systèmes. Cette réflexion doit s'inscrire dans ce nouveau programme d'investissements d'avenir : c'est en effet la compétitivité de la recherche française qui est en jeu.
La base nationale de pharmacovigilance devrait être mieux exploitée, de même que la base de données sur les causes de décès en matière de surveillance sanitaire. Si elle avait été aussi bien renseignée et aussi rapidement en 2003 qu'aujourd'hui grâce à la certification électronique des décès, on aurait pu détecter beaucoup plus tôt la hausse de la mortalité due à la canicule. Faciliter l'accès à des données par les chercheurs, c'est encourager une approche plus interdisciplinaire en santé humaine, en recherche interventionnelle en santé des populations et dans le cadre du programme de biologie des systèmes. Les chercheurs forment le voeu qu'une part de leurs recherches puisse aider à des décisions plus éclairées, car fondées sur des faits documentés, en matière de politiques d'intervention en santé publique. Au-delà, il y a des interactions possibles entre les décideurs, les chercheurs, les gestionnaires des bases de données, les acteurs de soins et les acteurs de santé, grâce à la mise en commun des données de santé.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Monsieur le professeur Maraninchi, pas une semaine ne passe sans que l'on parle de l'ANSM. Son approche des données est nécessairement différente de celle de l'Inserm.
M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). - Vous m'ôtez les mots de la bouche. L'ANSM est l'autorité nationale de régulation des produits de santé. L'Etat lui délègue la capacité d'autoriser, de surveiller ou d'interdire l'usage des produits de santé. La loi de décembre 2011 a rappelé à cet égard que les arbitrages devaient d'abord prendre en compte la sécurité des personnes et non la sécurité ou l'équité du commerce. Bien sûr, nos décisions font grief, à l'encontre de parties qui sont rarement d'accord... D'où la nécessité d'expertises fortes et transparentes, pour lesquelles nous devons disposer de moyens à la hauteur de ceux des producteurs de santé. L'obligation de transparence, que la loi du 29 décembre 2011 a imposée à toutes les parties, nous y compris, ainsi que le recours au principe de précaution pour protéger les patients, ont fait évoluer notre travail : nos décisions, plus transparentes et plus réactives, sont établies sur des faisceaux d'arguments fondés sur des données de sources diverses. Nous vivons dans une interpellation régulière de la part des citoyens.
Où collectons-nous les données ? Auprès des parties et d'abord des opérateurs de santé : résultats d'expériences in vitro et in vivo, données cliniques, précliniques et para-cliniques, protégées par le secret industriel et commercial, qui fondent nos arbitrages bénéfice-risque, au regard des indications revendiquées pour les populations concernées. Cela vaut avant et après l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Une fois qu'elle est accordée, des données sur la sécurité du produit continuent à nous être transmises. Tous les producteurs de principes actifs ou de nouveaux traitements sont soumis à l'obligation de mettre en oeuvre des plans de gestion des risques, y compris post marketing. Depuis 2011, après l'AMM, nous prenons fréquemment des décisions relatives à la sécurité des produits, tels qu'ils sont réellement utilisés dans la vraie vie, à partir de données de marketing réelles ou de l'assurance maladie et non plus sur la base d'études cliniques, plus ou moins idéalisées... On se rappelle du Médiator ; d'autres décisions comparables sont intervenues depuis lors à partir de signaux de vigilance qui ont pu être vérifiés très rapidement par l'accès aux bases nationales et grâce à la collaboration des chercheurs. Nous disposons maintenant d'une antenne de pharmaco-épidémiologie avec un chercheur de l'Inserm et nous avons une bonne capacité à collecter des données venant d'autres sources que les producteurs.
Nous disposons d'une capacité de collecte des données d'autres sources que les entreprises pharmaceutiques. Les réseaux de vigilance (pharmacovigilance, matériovigilance, hémovigilance) nous adressent près de 100 000 déclarations par an : l'articulation de ces données avec les autres bases (mortalité, Sniiram) nous confère une puissance d'analyse et de détection considérable. Le travail de repérage des données de signalement précède celui de recherche d'explications. Il est en grande partie automatisé et en lien avec des bases de données européennes. Bien sûr, nous pourrions publier une partie de ces données mais elles sont souvent abstraites et incompréhensibles pour le grand public. Nous n'avons guère les moyens de forcer les industriels, ni les chercheurs, à faire une étude dans le temps voulu par nos processus de décision. Il importe donc que nous puissions disposer de nos propres capacités de collecte, d'instruction, d'investigation et de traitement des données.
Il faut en outre lutter contre les risques de conflits d'intérêts. Les règles déontologiques sont de plus en plus poussées. Dans l'analyse, notre agence doit être totalement indépendante des équipes de recherche liées de près ou de loin à l'industrie.
Depuis trois ans, nos fonds d'intervention nous donnent les moyens de conduire des études indépendantes, publiques, de qualité. Il est très difficile pour le citoyen de comprendre qu'une même équipe puisse travailler de temps en temps pour l'industrie et pour le régulateur. Cette recherche indépendante que nous mettons en place est une petite révolution. Elle a besoin de financements publics. Dans le domaine du médicament, les financements les plus importants proviennent toujours des industriels. Ce n'est pas une fatalité. Nous sommes à un tournant.
Les données que nous utilisons relèvent du secret médical et du secret industriel et commercial et sont donc très confidentielles. Nous en produisons, aussi, en réponse à une demande ou pour informer le public. Toutes les réunions de nos commissions font l'objet d'ordres du jour et de comptes rendus et sont filmées. Ces données sont accessibles, sous réserve du secret industriel et commercial et des données personnelles ou qui pourraient être tracées.
Où allons-nous ? Le futur règlement sur les essais cliniques obligera les industriels à publier les résultats des essais, même non publiés, même négatifs. L'accès aux données sources n'a pas encore fait l'objet d'un arbitrage et est au coeur d'un contentieux judicaire européen. Certaines entreprises se sont dotées de codes de bonne conduite et mettent déjà spontanément ces données à disposition, peut-être pour améliorer leur image... Le sujet doit être suivi dans notre pays avec la plus grande attention afin de mieux fonder les décisions.
Ce qui compte, c'est de relier plusieurs types de données entre elles. En France, elles sont très riches mais l'établissement des liens reste difficile alors que nos décisions de sécurité doivent être fondées sur des faisceaux d'arguments. Nos décisions faisant grief et étant souvent contestées, nous devons avoir les moyens de les défendre et que les industriels ne soient pas privilégiés dans l'accès aux données publiques. Le financement public de la recherche doit donc être un critère d'accès aux données. Les données que nous produisons pour fonder nos décisions sont rendues publiques et notre site Internet compte désormais 2,7 millions de connexions par an, soit deux fois plus qu'il y a deux ans. La base de données du médicament, mise à jour mensuellement, a été ouverte en novembre et sera téléchargeable fin mars. Le partage de données est donc possible et répond manifestement à une véritable demande.
Nous produisons également de l'information à destination des professionnels pour les mettre en garde sur les risques que présente l'usage de certains produits soumis à prescription obligatoire, dès que nous recevons des signaux indiquant qu'ils sont trop ou mal utilisés. Le partage de données, de vente, par exemple, avec les professionnels est très utile, comme on l'a vu avec la consommation des pilules de troisième et quatrième générations, dont la part est passée de 40 % à moins de 20 % à la suite de nos mises en garde, sans qu'il ait fallu faire évoluer la réglementation.
M. Thomas Le Ludec, directeur délégué de la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (DAQSS), Haute autorité de santé (HAS). - La HAS est une autorité publique indépendante à caractère scientifique qui emploie près de 300 collaborateurs et travaille avec 3 000 experts. Elle a trois missions principales : aider les pouvoirs publics dans leurs décisions de remboursement des actes, produits et techniques sanitaires, sur la base d'une évaluation médico-économique ; émettre des recommandations, des guides et référentiels à destination des professionnels et des patients pour un bon usage des produits et de l'offre de santé ; certifier, enfin, les établissements de santé.
La HAS produit des données accessibles sur son site : les comptes rendus des réunions des commissions et du collège sont ainsi mis en ligne depuis des années, de même que les déclarations publiques d'intérêts des personnels, des experts et des membres.
Nous réutilisons de nombreuses données, issues de la recherche (la littérature scientifique) et du système de santé (consommation et production de soins). Nous produisons des indicateurs de qualité et de sécurité des soins dans les établissements, de certifications d'établissements de santé : un cycle de certification produit environ 18 000 décisions. Enfin, sur les dix-huit spécialités à risques, qui concernent 11 000 professionnels, nous détenons une base de données sur les évènements porteurs de risques.
M. Jean-Patrick Sales, directeur délégué de la direction de l'évaluation économique et de santé publique (DEMESP), HAS. - Nous utilisons des données produites et mises en base par d'autres : le PSMSI, le Sniiram pour l'EGB et les DCIR (données de consommation inter-régimes), le Codex, qui se trouve à l'ANSM, avec laquelle nous avons des liaisons informatiques, l'ATIH (agence technique de l'information sur l'hospitalisation) pour le PMSI et certains indicateurs, dans le cadre d'une convention. Nous disposons également d'un accès mesuré à des bases de dispensation, construites à partir de projections et de modèles basés sur des échantillons des officines de pharmacie, afin de connaître l'utilisation et le volume dont nous avons besoin, pour évaluer la population cible et fixer le prix des produits admis à remboursement. D'autres bases de données sont enfin ouvertes par les industriels.
Notre accès aux bases de données médico-administratives est maintenant satisfaisant : un arrêté de juillet 2013 nous a donné accès à l'échantillon exhaustif du Sniiram. Cette base est difficile à manipuler ; nous réservons nos compétences en interne, limitées en la matière, à l'établissement de rapports pour le ministère, à sa demande, sur l'insuffisance rénale ou la prise en charge de l'hypertension artérielle, par exemple.
Les évaluations de protocoles de collaboration professionnelle dits de l'article 51 de la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), ou d'autres expérimentations de télémédecine ou encore de parcours de l'article 70 supposent l'accès à des données locales produites au sein des territoires de santé, qui soulèvent des interrogations sur leurs modalités de collecte, de traitement et de mise en forme. Nous avons là un champ d'incertitudes sur les remontées et les responsables de ces données, la HAS n'ayant pas, en dehors du domaine spécifique de la certification, de capacité à conduire des évaluations sur site.
Nous demandons aux industriels des études post-inscription, en aval des études post AMM. L'enjeu est de connaître l'utilisation réelle des produits : est-elle conforme à ce qui a été prévu ou anticipé ? Ces études sont encadrées (par un accord-cadre pour le médicament et un autre pour les dispositifs médicaux) et dorénavant explicitement prévues dans les conventions liant les industriels au CEPS (comité économique des produits de santé) pour l'obtention des prix mais les industriels n'ont pas accès aux données médico-administratives nécessaires à leur réalisation, sauf à passer par le faux-nez d'un organisme de recherche. Il leur faut donc mettre en place des cohortes, ce qui est coûteux et impacte le prix. Il serait utile, sans préjudice des missions de recherche et de sécurité sanitaire, de leur ménager un champ d'accès spécifique par l'intermédiaire d'un tiers de confiance. La complexité d'accès à ces bases devrait faire l'objet d'une industrie et d'une validation spécifiques.
M. Thomas Le Ludec, directeur délégué de la DAQSS, HAS. - En 2012, nous avons publié un guide de bonne utilisation des données sur la qualité et la sécurité des soins. Nous portons une attention particulière à ce que les indicateurs de qualité des soins, difficiles à obtenir, retraçant des processus, ne soient pas utilisés à mauvais escient. Les ratios standardisés de mortalité hospitalière, par exemple, doivent être maniés avec précaution. Dans d'autres pays, une diffusion hâtive de ces données a conduit à des pratiques d'optimisation du codage initial, ce qui a faussé l'appréciation des établissements de santé.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Comme les statistiques de la police !
M. Thomas Le Ludec, directeur délégué de la DAQSS, HAS. - Des guides de bon usage sont donc indispensables. En application de la loi de financement de la sécurité sociale de 2012, pour offrir une vision à l'ensemble des Français sur l'appréciation de la qualité des établissements de santé, nous avons ouvert au public, le 28 novembre 2013, la première version d'un site Internet interactif, Scope santé. L'usager peut choisir le set de données qui l'intéresse. Plus de 100 000 connexions différentes ont été enregistrées en trois mois. L'objectif est d'offrir une deuxième version plus complète, dans une logique d'ouverture des données-sources : prioritairement celles dont nous sommes producteurs, sur la certification des établissements de santé et l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ; également celles qui sont produites par l'ATIH et la direction générale de l'offre de soins (DGOS), avec laquelle nous travaillons en partenariat dans le cadre d'une convention et d'un copilotage.
M. Jean-Patrick Sales, directeur délégué de la direction de l'évaluation économique et de santé publique (DEMESP). - Nous allons aussi ouvrir d'autres fichiers, notamment sur le service médical rendu. Reste notamment la littérature dite « grise » c'est-à-dire non publiée, qui est un élément d'information important d'évaluation des produits de santé. Il y a un antagonisme entre le secret industriel et commercial et la transparence à l'égard des professionnels de santé et du grand public. Les données détaillées et les dossiers retirés en cours d'examen ne sont pas communicables. Depuis que nous avons la charge d'une mission d'évaluation médico-économique, le prix réel d'un traitement est très difficile à connaître, - je vous renvoie au rapport qui est sorti ces jours derniers sur le prix du médicament -, et l'évaluation dans ce domaine, fondée sur la définition d'un traitement de référence, doit être avant tout comparative.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous avons reçu les responsables de l'ATIH et de l'assurance-maladie, laquelle possède, avec l'INSEE, l'une des plus vastes bases de données. Des rationalisations sont certainement possibles. Mais tel n'est pas notre sujet.
Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Quelles évolutions souhaitez-vous voir apporter aux lois fondatrices de 1978, votées avant l'apparition d'Internet, quand le patient n'était pas encore acteur de sa maladie ? Par ailleurs, on parle de 5 000 à 10 000 décès par an liés au mésusage de médicaments. En quoi un meilleur accès aux documents administratifs et aux données publiques permettrait-il de faire levier pour réduire ce nombre ? Enfin, les lenteurs n'occasionnent-elles pas des contentieux, au motif du préjudice de chance ? Vos réponses pourront être complétées par écrit.
Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires, ANSM. - En vertu de la loi instituant la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs), nous transmettons beaucoup de documents, sauf procédure judiciaire en cours. Deux difficultés s'élèvent à propos du compte rendu de nos réunions : le secret industriel et commercial d'abord - sur les stratégies commerciales (par exemple les demandes d'essais cliniques), la jurisprudence, peu fournie, n'est pas claire ; le secret financier ensuite : les chiffres de vente et les données d'exposition peuvent-ils être mis en ligne quand il n'y a qu'une spécialité sur le marché ? La transparence pose des questions complexes.
M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'ANSM. - On ne cesse de nous demander : « Combien de décès iatrogènes ? Combien sont liés aux pilules ? Aux anticancéreux ? » Nous avons besoin de rendre publiques des informations standardisées, régulières, sans permettre l'identification d'un patient ni créer de panique. Nous travaillons avec le centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc). Peut-être faudrait-il que les médicaments soient mentionnés dans les certificats de causes du décès mais il ne faut pas les rendre trop difficiles à remplir par les professionnels de santé. Que le législateur soit vigilant sur la loyauté de l'information : on peut décéder d'un accident vasculaire cérébral (AVC) à 90 ans, comme mon père, tout en prenant des anticoagulants, sans que la cause puisse en être attribuée à ces derniers.
Les informations de pharmacovigilance disponibles en France sont plus nombreuses que partout ailleurs au monde, rapportées à la population ; la question est de savoir ce que l'on en fait.
Nous manquons de davantage de déclarations des citoyens. Nous sommes au XXIe siècle et les personnes handicapées, par exemple, connaissent mieux les dangers d'un fauteuil que les professionnels. C'est ce que nous voulons développer et stimuler, avec une capacité de traitement et d'instruction de ces données.
M. Jean-Patrick Sales, directeur délégué de la direction de l'évaluation économique et de santé publique (DEMESP). - Quand nous sommes astreints à communiquer des documents, nous sommes au bord du contentieux avec un tiers et pratiquons alors un caviardage maximaliste des documents ou comptes rendus qui suscite le soupçon. Une évolution serait souhaitable.
Les informations sur les décès captent l'attention mais l'on peut mourir de sa belle mort bien que l'on mésuse d'un ou plusieurs produits de santé. Quelle est la part du mésusage dans l'exercice thérapeutique au sein de la population ? La question est de savoir si les bons patients sont traités par les bons produits, ce que nous cherchons à savoir lors des renouvellements d'inscription en commission de transparence et comment aider les professionnels à prendre les bonnes décisions - dans le logiciel de prescription, la presse professionnelle ou de recommandations, quitte à rendre certaines recommandations opposables. Tout cela peut diminuer à terme le nombre de décès, même si celui-ci n'est pas à placer au premier plan.
M. Grégoire Rey, directeur du centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) à l'Inserm. - De par ma fonction, le décès m'intéresse particulièrement, même si l'on essaye de l'éviter... La remontée d'informations provient de la base nationale de pharmacovigilance (BNPV) et des causes médicales du décès, le médecin pouvant déclarer un lien avec un médicament, bases qui peuvent être croisées et enrichies. Par ailleurs, les données globales du Sniiram retracent la prise de médicaments par tous les assurés, jusqu'au décès, permettant d'évaluer les risques de mortalité ou d'associer la prise d'un médicament à la survenue d'une cause de décès. Il s'agit en l'occurrence d'améliorer la connaissance, l'action étant du ressort de l'ANSM.
M. Mahmoud Zureik, directeur de la stratégie et des affaires internationales à l'ANSM. - Pour garantir la sécurité des patients, il faut disposer de données qui éclairent la décision. Un large accès aux données, sécurisé, dans le respect des personnes, leur ouverture aux chercheurs et aux autorités publiques, ne peut qu'améliorer l'usage des produits de santé. Nous avons accès aux données du Sniiram depuis juillet 2013 mais uniquement pour trois ans et l'année en cours. Ce n'est pas suffisant pour examiner ce qui s'est passé, en particulier la durée d'exposition, lorsque le pronostic vital est engagé. Accéder aux données archivées est indispensable pour l'agence. Nous souhaitons que le projet en cours, qui permettrait de relier les données du Sniiram, du PMSI et du CépiDc, aboutisse rapidement pour la sécurité des patients. Nous souhaiterions aussi, pour des problèmes de sécurité sanitaire avérés ou soupçonnés, avoir accès à des données de cohortes.
Mme Geneviève Chène, directrice de l'Institut thématique multi-organismes (Itmo) à l'Inserm - La loi « informatique et libertés » a été écrite dans un contexte très différent et nous avons changé d'ère, y compris sur le nombre des données de santé disponibles pour une seule personne, qui peut se compte en millions. Traitées comme il convient, elles sont à la source de nouvelles connaissances. Or la loi française est l'une des plus strictes au monde. Une évolution de la réglementation européenne sur la protection des données personnelles est à l'ordre du jour mais les données de recherche ne sont pas traitées de manière particulière. Ceci a peu de conséquences en France, car nos bases sont déjà strictement encadrées depuis 1978. Mais ayons à l'esprit la compétitivité de la recherche française et la nécessité de nouer des collaborations avec nos collègues étrangers. Certaines pourraient ne plus être possibles à l'avenir, parce qu'elles passent par la mise en commun de bases de données intégrées à l'échelon européen, car la transposition de la directive l'interdirait à un certain nombre de nos collègues.
M. Jacky Le Menn. - Je suis vice-président de la commission des affaires sociales. Dans le cadre du rapport sur la tarification hospitalière que nous avons rédigé avec mon collègue Alain Milon pour la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) l'an dernier, nous avons souligné le manque de fiabilité des données hospitalières, dont le codage peut assez aisément être forcé, lors de la saisie, ce qui permet d'obtenir des ressources substantiellement améliorées. Par ailleurs, la garantie du secret médical est également en cause, des sociétés privées intervenant en sous-traitance des établissements de santé, dans le but de faire rentrer le plus possible de ressources dans l'établissement, ce qui a fait réagir des syndicats de médecins et même la CNIL. Comment peut-on mieux rédiger les cahiers des charges à ces égards ?
Autre problème, le financement et l'évaluation des coûts des traitements : les échanges des données entre l'assurance-maladie et les agences régionales de santé (ARS) sont manifestement difficiles.
M. Thomas Le Ludec, directeur délégué de la DAQSS, HAS. - Le PMSI concerne au premier chef l'ATIH. Vous soulevez la question plus générale du contrôle des données. Les résultats de l'enquête que nous avons menée l'an dernier sur les indicateurs de sécurité et d'efficacité des soins sous l'égide de l'inspection générale des affaires sociales seront bientôt rendus publics ; le contrôle doit se faire par échantillonnage régulier. Une suspicion s'est développée en Grande-Bretagne sur le forçage de codages, destiné à éviter la dégradation du ratio de mortalité hospitalière.
M . Jean-Jacques Hyest, président. - Je vous remercie pour tous ces éléments très intéressants.
Audition de Mme Sandrine Mathon, chef du service administration à la direction des systèmes d'information de la mairie de Toulouse, de M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique et de M. Jean Christophe Elineau, cofondateurd'Opendata France
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Opendata France associe des collectivités territoriales désireuses de rendre publiques leurs données. Je vous invite à présenter votre analyse des enjeux politiques, sociétaux et économiques de cette démarche dans les territoires et son articulation avec la stratégie nationale et déconcentrée de l'Etat ; à montrer comment les projets se construisent entre plusieurs niveaux d'administration locale et les collaborations développées avec les instituts statistiques, l'IGN (Institut géographique national) ou les services déconcentrés de l'Etat ; à exposer les difficultés éventuellement rencontrées pour réutiliser les données mises à disposition par d'autres producteurs ; à décrire les modalités d'enrichissements des jeux de données par les acteurs économiques locaux, les citoyens, ou les acteurs publics locaux ; à présenter les services payants éventuellement créés à partir des données ; à indiquer les cadres juridiques de réutilisations retenus ; à décrire les modalités d'accompagnement des utilisateurs, enfin à dresser un premier bilan des retombées économiques de la démarche et de la méthodologie d'évaluation.
Mme Sandrine Mathon, chef du service administration à la direction des systèmes d'information de la mairie de Toulouse, d'Opendata France. - Nous vous transmettrons un document écrit. La démarche Open data a commencé à Rennes en 2010, et progressivement plusieurs collectivité ont ouvert leur portail de données. Nous nous sommes donc réunis, dans un premier temps entre techniciens (spécialistes de la normalisation des données, juristes, communicants ...), tout d'abord pour mutualiser notre temps de travail et pour que chacun ne réinvente pas la poudre. La nécessité nous est vite apparue de fédérer les collectivités territoriales elles-mêmes, en travaillant avec les élus, c'est pourquoi l'association a vu le jour en octobre 2013 à Toulouse, sous la présidence du maire, Pierre Cohen. L'association permet de se regrouper, de soutenir les collectivités engagées dans cette démarche. Chaque collectivité est représentée par un élu, épaulé par un technicien. Aux dix-huit collectivités et EPCI fondateurs (villes et métropoles de Toulouse, Nantes, Rennes, les villes de Paris, Bordeaux, Montpellier, Digne, communautés urbaines de Bordeaux et du grand Lyon, région PACA, conseils généraux de Saône-et-Loire, Gironde, Loire Atlantique, communes de Brocas et Balma) sont associés Etalab, l'association LiberTIC, une association nantaise et la fondation internet nouvelle génération ; d'autres collectivités territoriales devraient bientôt adhérer, parmi lesquelles Nice, l'Ile-de-France, les régions Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Pau, Strasbourg, Angers...
Nous nous heurtons à des difficultés juridiques, techniques et à problèmes opérationnels basiques. Conduire un projet d'open data c'est être en mode guérilla, jusqu'à la date butoir de l'ouverture du portail ; ensuite, quelle que soit la taille de la collectivité, il faut aller chercher les données avec les dents car les services producteurs se considèrent trop souvent comme les propriétaires de leurs données, plutôt que comme des producteurs qui doivent mettre leurs données au service d'autrui.
Nos moyens sont modestes, puisque nous ne sommes pas mis à disposition de l'association, mais l'animons sur notre temps, en sus de nos missions principales. La cotisation annuelle est fixée à 2 000 euros pour les plus grandes collectivités.
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Au sein de l'association se côtoient des régions de plusieurs millions d'habitants et de petites bourgades comme Brocas avec ses 800 habitants. L'open data répond d'abord à une demande politique, ou du directeur général des services, que nous sommes chargés de mettre en oeuvre. C'est pourquoi, au-delà du développement de l'expertise, la présence des élus est nécessaire pour asseoir la légitimité de l'association face à la Cada, la CNIL, le SGMAP (secrétariat général à la modernisation de l'action publique).
L'open data a trois objectifs : l'accès à la connaissance du territoire ; la transparence de l'action publique ; le développement de nouveaux services en direction des habitants, qui n'ont pas nécessairement d'incidence économique immédiate.
Transparence, disais-je : il ne s'agit pas de stigmatiser des élus ou des agents mais de renouer le lien entre citoyens et élus. L'expérience montre que jamais les données publiées, même potentiellement sensibles, n'ont été utilisées de manière malveillante. Ce sont plutôt les données non communiquées qui suscitent la suspicion.
L'open data permet de créer de décloisonner les propriétés des données des services producteurs et de développer de nouveaux services, par exemple dans le domaine de la multi-modalité des transports, en libérant les données détenues séparément par chaque opérateur et, à ce titre, peut susciter l'intérêt d'autres acteurs.
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - Le fichier sur l'assiduité des conseillers municipaux a permis d'engager un débat avec les citoyens au sein de mon village. Ces données permettent d'engager le débat avec les citoyens.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Mais quelles données un village comme le vôtre peut-il publier ?
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - Nous avons publié vingt-deux jeux de données comportant quatre-vingt-dix fichiers sur l'école, l'eau, l'économie, le budget, l'histoire du village : je vous invite à consulter le site data.gouv.fr, où nous figurons dès la deuxième page sur une dizaine de pages au total, bien avant des collectivités beaucoup plus importantes...
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Mais est-ce vraiment utile ? Et les données sont-elles anonymisées ? Pour des petites séries, c'est crucial.
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - L'anonymat est en effet très important. Le sénateur Gorce a attiré l'attention là-dessus. Il est trop tôt pour mesurer l'utilité des données mises en ligne depuis août 2013. Après les élections, nous comptons aller plus loin dans le sens de la démocratie ouverte et, personnellement, j'en attends beaucoup.
Mme Sandrine Mathon, Open data France. - Nous avons été entendu par la mission d'information de la commission des Lois sur les données personnelles. En fait, les collectivités disposent de banques de données qui n'ont aucun caractère personnel : voirie, ronds-points, voies ferrées, budgets, marchés publics... C'est là notre priorité. Nous verrons ensuite comment rendre publiques des données personnelles anonymisées, s'il y a lieu.
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Les données concernées sont déjà souvent publiques, dans le cadre du conseil municipal ou par l'intermédiaire de la Cada. Nous ne faisons que formater cette publication et faciliter l'accès.
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - L'open data est un moyen de valoriser le patrimoine des collectivités, au sens large, par exemple forestier, dont la gestion est un enjeu considérable dans notre commune des Landes.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Il faut aussi avoir en tête le patrimoine immatériel. Comment mieux diffuser l'accès aux oeuvres d'un musée communal, par exemple ?
Mme Sandrine Mathon, Open data France. - Nous allons prochainement publier les données afférentes à la liste des oeuvres, à leur prix d'achat... mais pas à leur localisation dans les réserves !
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Les données les plus habituellement mise en ligne correspondent à la voirie, aux espaces publics, à l'exécution budgétaire, aux services publics... Le champ culturel est l'un de ceux qui ont du mal à s'ouvrir, pour des raisons... culturelles, ou juridiques, propres à ce secteur. Je sais qu'une cellule open data au ministère de la culture et de la communication est très active sur cette question mais qu'elle se heurte à des réticences. Il en va de même du champ scientifique et universitaire, pourtant grand producteur et utilisateur de données : les données produites par les chercheurs restent protégées, même lorsqu'elles sont financées sur fonds publics : le mouvement open science a du mal à se développer face aux opérateurs commerciaux qui publient les résultats des recherches.
Le service public en revanche est assez ouvert. Une quarantaine de collectivités se sont lancées. Huit des dix plus grandes métropoles pratiquent déjà l'open data.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pas toutes au même niveau.
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Personne ne fait semblant : environ un tiers des données restent à publier pour des raisons diverses (les données ne sont pas prêtes), deux bons tiers sont déjà ouvertes. Beaucoup de petites ou moyennes collectivités n'y vont pas, faute de moyens. Les collectivités de rang supérieur peuvent les y aider, notamment en hébergeant leurs données sur des plateformes. Tout le monde s'y met, car on voit bien les incidences sociales et économiques de l'open data, qui améliorent aussi l'image, l'attractivité, la visibilité de la collectivité. Les collectivités travaillent bien ensemble mais l'open data est un enjeu politique. Les collaborations sont parfois difficiles quand le maire n'est pas le président de l'agglomération : on risque de perdre alors de l'argent et du temps, comme à Bordeaux ou Montpellier, par exemple, à cause de l'empilement de structures qui ne sont gérées pas par les mêmes majorités, et donc des portails.
Etalab moissonne désormais les données des collectivités pour les mettre à disposition plus facilement sur le portail de l'Etat. Il s'agit d'éviter les doublons et de mutualiser. Les services déconcentrés de l'Etat, les établissements publics autonomes, en revanche, ne jouent pas toujours le jeu, non plus que les opérateurs privés délégataires de service public dont les contrats ne comportent pas l'obligation d'ouvrir les données.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - C'est que le contrat est mal rédigé.
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - C'est vrai lorsque le contrat est ancien. Progressivement, avec les avenants de reconduction, les choses s'améliorent... Sandrine Mathon nous aide à rédiger les arguments juridiques.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Quid de l'IGN et de l'INSEE ?
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Le rapport Trojette sur le sujet, très précis, est sorti en juillet 2013. Facturer l'utilisation des licences risque de freiner l'innovation, ce qui profitera in fine aux géants comme Google. Les retombées financières (les redevances), pour l'essentiel, sont très faibles et finalement contreproductives. Les choses devraient prochainement évoluer.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Beaucoup de collectivités territoriales ont un système d'information géographique (SIG). Pourquoi ne pas se coordonner ?
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Elles en ont parfois plusieurs, avec des instruments propriétaires ; mais le SIG entre de plus en plus dans le champ de l'open data. Les usagers utilisent ces données, tout en en les coproduisant.
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - L'hébergement des données pose problème aux plus petites collectivités territoriales. Ma commune a d'abord eu recours aux ressources du conseil général de la Gironde, puis au portail data.gouv.fr. Pour ne pas se couper de ses habitants, il importe toutefois de créer aussi un portail local sur lequel les habitants vont chercher l'information. La secrétaire de mairie de Brocas reçoit un appel par semaine sur la démarche open data de la commune.
Mme Sandrine Mathon, Open data France. - A Toulouse, les 37 communes membres de l'agglomération (de 200 à plus de 30 000 habitants) ont d'emblée pu héberger leurs données sur un portail communautaire.
Le conseil général de Saône-et-Loire travaille avec la préfecture pour élaborer des règles de coopération. Les autres membres de l'association s'inspireront de son expérience pilote. En interne, l'avantage du portail open data est qu'il rassemble toutes les informations, en décloisonnant les services administratifs ; il répond à la perplexité des agents de la collectivité, de ceux des autres administrations (comme la préfecture de Haute-Garonne), comme des usagers, qui ne savent pas toujours à quel service s'adresser, et permet de gagner en efficacité administrative. Le rassemblement de ces jeux de données intéressent les services déconcentrés, les citoyens, des opérateurs privés ; il peut susciter la création de nouveaux services.
L'accès aux données est notre premier objectif : publier, toujours publier, sous un format normalisé et utilisable. La normalisation n'est pas toujours aisée : chaque collectivité territoriale publie ses données sous des formats différents et nous avons pour principe général de publier les données telles qu'elles résultent de nos outils métiers, en s'assurant simplement qu'elles ne soient pas en format propriétaire. Ce sont les utilisateurs qui, le cas échéant, retravaillent les données pour les exploiter. Si nous pouvions faciliter ce travail en harmonisant les données en amont sur des sujets connexes, ce serait autant d'énergie gagnée. Certains de nos techniciens s'y sont spécialisés mais la normalisation doit avoir un champ géographique plus large, national, voire international. Des groupes de travail notamment européens s'y attachent aussi, ainsi que le W3C (World Wide Web Consortium) au niveau mondial.
L'enrichissement des données par les acteurs économiques locaux, le crowd sourcing, est un peu décevant. Toutefois, le projet Open Street Map, qui repose sur des contributions volontaires et a permis de cartographier très complètement Haïti après le séisme afin d'y faciliter l'acheminement des secours, est désormais enrichi par les données publiées par les collectivités territoriales. Pour les territoires engagés dans l'open data, ces cartes sont à présent les plus complètes. Google Maps au-delà de 50 000 connexions, impose un tarif, pas Open Street Map. Pour un opérateur de transports, par exemple, la différence est sensible. C'est pourquoi Tisséo (réseau de transports toulousain) et le SDIS (Service départemental d'incendie et de secours) utilisent la solution Open street map.
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - La carte Open Street Map comporte les numéros des habitations, ce qui facilite les interventions des pompiers.
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Comme Wikipedia, Open Street Map repose sur la coopération de ses utilisateurs, une plateforme technique solide et des processus précis de contrôle et de validation des contributions. D'autres projets équivalents pourraient être envisagés sur la santé ou la nourriture par exemple.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pas par les collectivités territoriales ?
M. Jean-Marie Bourgogne, chef de projet, Montpellier territoire numérique. - Non, ils émaneront des habitants, qui les créeront avec le soutien des services publics.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Et le développement de services payants ?
M. Jean-Marie Bourgogne. - On nous avait promis l'Eldorado, mais il existe encore peu de services payants utilisant l'open data. En revanche, beaucoup sont d'intérêt public. D'autres relèvent de l'économie sociale et solidaire et sont en partie financés par le public. Il existe peu d'applications rentables économiquement, mais un écosystème se met en place. Pour un coût faible, de l'ordre de 20 000 à 30 000 euros, la plus-value sociale d'un projet open data est très importante.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pour une grande collectivité, c'est peu ; pour une petite, beaucoup...
M. Jean-Christophe Elineau, cofondateur d'Opendata France. - Dans la mienne, cela m'a coûté la patience de mon épouse, ce qui vaut très cher...
Mme Sandrine Mathon, Open data France. - Le bilan des retombées économiques est modeste en l'état. Deux ou trois start up emploient 4 ou 5 salariés sur chaque territoire. L'open data n'est pas très coûteux mais demande du temps, du prosélytisme et de l'animation. Cela apporte un surcroît d'efficacité à tous, du décloisonnement, ne serait-ce qu'en offrant un point de contact unique très précieux. Le bilan économique est donc mitigé et difficilement quantifiable. A Nantes, les différentes collectivités territoriales (région, conseil général, ville, métropole) ont mutualisé les moyens techniques en mettant en place une plateforme commune pour l'hébergement de leurs données, sous des habillages différents.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pourtant, il y a toujours une concurrence entre collectivités territoriales !
Mme Sandrine Mathon, Open data France. - Oui, mais elles prouvent ainsi qu'elles peuvent travailler ensemble.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Merci.
Audition de MM. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, Assemblée des départements de France (ADF), Stéphane Norgeot, directeur des services de l'information et des relations avec l'usager, Mme Sophie Guiard, directrice générale adjointe du pôle ressources, du conseil général des Côtes-d'Armor et de M. Jean-Michel Martin, directeur des services de l'information du conseil général de Saône-et-Loire
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous entendons à présent des représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF). Mme Céline Guyon (responsable de la politique de gestion des documents du conseil général de l'Aube) est absente ?
M. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, ADF. - L'Aube travaille beaucoup sur l'archivage électronique. Le conseil général ne se sent pas encore concerné par les problématiques évoquées dans votre questionnaire car ils ne sont pas encore prêts pour l'ouverture des données.
M. Jean-Michel Martin, directeur des services de l'information, conseil général de Saône-et-Loire. - A ce propos, allez-vous recevoir l'association des archivistes français ?
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Une mission de la commission des lois du Sénat qui travaille sur la protection des données personnelles a reçu cette association. Nous allons lui proposer de nous envoyer une contribution écrite.
M. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, ADF. - Les départements sont au coeur de la problématique de la collecte, du traitement et de la diffusion des données administratives à utilité publique. L'ouverture de ces données nous concerne donc au premier chef, au titre de l'administration comme de la démocratie. Nous avons réalisé des travaux avec l'association « Décider ensemble » sur les enjeux démocratiques de l'open data où nous nous sommes interrogés sur l'ouverture des données publiques. Nous sommes également interpellés par la problématique des données personnelles à travers notamment toutes les problématiques de l'aide sociale qui sont au coeur des compétences des départements.
Les archives départementales, la protection du patrimoine, n'échappent pas à cette problématique de l'ouverture des données. Les départements sont de plus en plus appelés à produire des données sur eux-mêmes pour nourrir l'attractivité notamment économique et touristique de leur territoire et pour la prise de décision politique.
L'ouverture des données publiques est liée au développement de l'e-administration. Nous devons à la fois réfléchir à notre production de données dans le cadre de notre organisation actuelle et à la collecte et au traitement de l'information générée par les nouvelles technologies, susceptible d'améliorer notre efficacité. Le rapport de M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, sur Les Territoires numériques de la France de demain, souligne bien que nous sommes face à un changement de paradigme culturel. La révolution numérique gagne tous nos processus de travail et de création de politiques publiques. Il nous faut donc développer une culture interne de la donnée et du numérique, doublée d'une culture partenariale du bien commun public numérique territorial avec les citoyens et les entreprises, susceptible de valoriser notre territoire et de favoriser le déploiement d'un vivre-ensemble harmonieux.
La Saône et Loire est le premier département à s'être lancé dans l'open data et les Côtes d'Armor sont le dernier de la douzaine de départements qui se sont d'ores et déjà lancé dans cette démarche.
M. Jean-Michel Martin, directeur des services de l'information du conseil général de Saône-et-Loire. - Qu'avons-nous fait en Saône-et-Loire ? Les responsables politiques y ont exprimé une volonté politique forte de libérer les données, avec deux objectifs : la transparence et le développement économique. Les données brutes, financières, économiques, budgétaires, touristiques, sont inutilisables pour le citoyen. Nous avons donc mis en place un outil (dataviz) facilitant la consultation, l'illustration, la visualisation et la comparaison des données que nous publions. Pour les entreprises, nous avons voulu faciliter l'exploitation des données en créant une plateforme où il est possible de stocker plusieurs téraoctets de données et de développer des outils. Nous avons publié tous les budgets de 2 000 à 2013, les frais de cabinet, ceux des élus, des données sur l'agriculture... Nous avons développé des partenariats, par exemple avec le SDIS sur l'accidentologie... Nous préparons une convention avec la préfecture afin de mettre en commun des jeux de données cohérents. Nous mettons en valeur les ensembles de données que nous publions, par exemple à travers des graphiques, afin que les citoyens s'y intéressent. Les enseignants peuvent aussi sensibiliser les élèves à ce sujet, dans le cadre de l'instruction civique. Cette approche doit progressivement entrer dans les moeurs. Le rôle des élus est déterminant en la matière. Les containers de données peuvent être mutualisés entre collectivités. Ensuite, chaque collectivité peut choisir de mettre l'accent sur telles ou telles données.
M. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, ADF. - L'idée se fait jour aujourd'hui qu'il s'agit aussi de fournir des données pour en recevoir en retour, pour susciter des processus démocratiques et être en interaction avec le territoire.
M. Jean-Michel Martin, directeur des services de l'information du conseil général de Saône-et-Loire. - Il faut que les mêmes données se retrouvent dans plusieurs collectivités, ce qui permettrait à une entreprise de structurer les données publiées, de veiller à ce qu'elles soient utiles aux usagers. Mais pour gagner de l'argent, une entreprise a besoin d'une grande masse de données collectées au niveau national, voire au-delà. Pour l'instant, l'essentiel est de mutualiser les capacités afin de réduire les coûts mais pas de tout centraliser pour laisser de la place pour des initiatives qui ne sont pas encore identifiées.
M. Stéphane Norgeot, directeur des services de l'information et des relations avec l'usager, conseil général des Côtes d'Armor. - Le département des Côtes d'Armor est un peu en retard : notre portail d'open data est encore en construction et ne sera ouvert qu'en juin 2014. Notre premier objectif est la transparence de l'action publique. L'open data aura peut-être aussi un impact économique. La publication des données nous obligera également à revoir notre processus interne de production de données. Nous publions d'abord des données qui reflètent le coeur de notre action : action sociale et infrastructures routières. Pour cela, nos jeux de données doivent être structurés. Cela valorisera le travail des agents ou des travailleurs sociaux qui saisissent des données, sans y voir aujourd'hui d'autre fin que statistique ou administrative.
Enfin, nous privilégions une approche partenariale. Le conseil général est le plus gros employeur des Côtes d'Armor. Notre appel d'offres prévoit 50 000 à 60 000 euros d'investissements, plus 100 000 à 150 000 euros pour quatre à cinq ans de fonctionnement.
M. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, ADF. - Soit un total de 200 000 euros...
M. Stéphane Norgeot, directeur des services de l'information et des relations avec l'usager, conseil général des Côtes d'Armor. - Au moins ! Notre plateforme technique sera ouverte à d'autres collectivités du département, ce qui permettra de mutualiser les moyens techniques, tout en conservant à chacune d'entre elles la possibilité d'afficher son propre portail. Nous avons retenu des technologies open source, ce qui est cohérent pour un projet open data. Nous ne pouvons pas payer l'accès aux données qui pourront même être réutilisées sans contrepartie, ni mention de leur origine. Nous souhaitons en effet faciliter au maximum leur exploitation et les retombées économiques grâce à cette licence ouverte. Nous associons à notre projet les associations qui sont dans le domaine du numérique et qui souhaitent participer à la création de valeur dans le département. Les acteurs locaux nous pousseront sans doute à imaginer de nouveaux jeux de données qui entraîneront des usages novateurs et nous donneront une mesure de l'utilité de la donnée libérée.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Quel intérêt, en effet, de libérer des données si cela ne devait servir à rien ?
M. Jean-Pierre Quignaux, conseiller innovation, anticipation et nouvelles technologies, ADF. - La démarche du conseil général des Côtes d'Armor reflète bien l'esprit du rapport Lebreton sur les territoires numériques de demain. Le déploiement de la culture du numérique doit servir le bien commun numérique. Il s'agit de renouer le vivre-ensemble et l'action publique collective afin d'accroître la qualité territoriale. La création commune de connaissances, autour d'enjeux communs de développement. C'est un levier d'innovation et de réinvention de l'action publique collective. Il s'agit d'un véritable changement culturel, j'y insiste, dans lequel les départements s'engagent de concert à produire de la confiance territoriale partagée. Territorialisation, mutualisation, collaboration : tels sont bien les enjeux sociétaux, démocratiques et économiques du numérique. Les départements ne s'engagent pas seuls et travaillent avec les autres collectivités sur des plateformes collaboratives interterritoriales.
Le choix est le suivant : trier collectivement nos données ou être triés, voire étrillés ! Si nous ne nous donnons pas les moyens collectifs d'exploiter nos données, d'autres le feront, car le très haut débit peut être un véritable aspirateur de valeur ajoutée hors des territoires.
Audition de M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pour terminer, nous entendons le directeur général des collectivités locales. La direction générale des collectivités locales (DGCL) est un grand producteur de données, et un gros utilisateur de données, notamment démographiques. Pouvez-vous nous présenter votre pratique en matière d'accès aux documents administratifs ? Les demandes sont-elles nombreuses ? Sur quels types de documents portent-elles ? Des interrogations en la matière vous sont-elles remontées par les services déconcentrés de l'Etat et les collectivités locales ? Quelle est la politique de la DGCL en matière de mise en ligne de documents administratifs et de données publiques ? Pensez-vous répondre aux besoins ? Quels partenariats sont-ils mis en oeuvre en la matière avec les collectivités locales ? Quelle est votre analyse des enjeux politiques, sociétaux et économiques de la démarche d'ouverture des données publiques dans les territoires et son articulation avec la stratégie nationale et déconcentrée de l'Etat : la DGCL dispose-t-elle notamment d'une mesure statistique des retombées économiques dans les territoires ? Quelles sont les perspectives en la matière dans le cadre de la stratégie gouvernementale relancée en 2012 ? Quelles données réutilisables mettez-vous en ligne ?
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - La DGCL utilise beaucoup de données et répond à de nombreuses questions sur l'accès à des documents administratifs et plus largement de droit des collectivités locales et des établissements publics, notamment les intercommunalités, sur le statut de la fonction publique territoriale, sur les conditions d'exercice des mandats locaux... Nous sommes aussi chargés de la répartition des dotations de l'Etat et des fonds de péréquation de l'Etat aux collectivités locales et entre les collectivités. Ces répartitions interviennent lors du premier quadrimestre de l'année, aussi y travaillons-nous en ce moment même. Cette année, le calcul de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques a un peu compliqué les choses, ce que je regrette, même si nous respecterons naturellement les délais juridiques.
Pour répartir les dotations, nous avons besoin de données démographiques, fiscales, budgétaires, sociales : d'où nos partenariats avec l'INSEE et la DGFiP. Il nous faut aussi calculer le potentiel fiscal et financier, disposer du produit individualisé des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)... Pour cela, nous collaborons avec la DGFiP et les services de l'Etat concernés. Nous travaillons sur des données propres à éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les décisions concernant les collectivités locales et les relations de l'Etat avec celles-ci.
Nous utilisons donc et produisons aussi beaucoup de données pour assurer notre mission. Les textes juridiques qui émanent de la DGCL sont évidemment publiés, mais, en raison des exigences de la légistique, pas toujours conformes aux principes de clarté et de lisibilité de la loi... Heureusement Légifrance consolide les textes ! Nous recevons des demandes d'accès aux documents administratifs sur les délibérations du Comité des finances locales (CFL), du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), du Conseil national de la formation des élus locaux (CNFEL) ou des autres comités et conseils dont nous assurons le secrétariat. Chercheurs et statisticiens s'adressent également à nous pour nourrir leurs études, notamment pour accéder à des données. Des demandes nous sont aussi adressées dans le cadre de contentieux. Nous suivons, là encore, les règles de la loi de 1978 et examinons en particulier s'il s'agit de documents intermédiaires ou de documents susceptibles d'être communiqués et ce qu'il convient d'anonymiser. Depuis mai 2013, un portail commun entre DGCL et DGFiP a été créé, regroupant les portails Bercy-Colloc et DGCL auparavant distincts. Y sont publiés procès-verbaux, statistiques, circulaires, notes d'information à destination des préfets, rapports et études, qui existent encore au format papier, comptes rendus... Un département dédié (département des publications, de l'information et de la documentation, dépendant de mon directeur de cabinet) répond aux questions des internautes ou les transmet au bureau concerné : plus de 570 questions spécifiques ont ainsi été traitées ou transmises depuis avril 2013, émanant de collectivités, de préfectures, d'organismes publics, d'établissements bancaires, de fonctionnaires, de particuliers, de chercheurs. Elles portent essentiellement sur les dotations !
Une enquête de satisfaction devra sans doute être menée. Nous avons cependant l'impression que le portail répond aux attentes, puisque nous comptions 155 119 visites en mai 2013 et que nous avons atteint, en janvier 2014, 371 709 connexions mensuelles. Le service statistique ministériel, département des études et statistiques locales, placé directement sous mon autorité, est chargé des relations avec l'INSEE et publie un Bulletin d'informations statistiques, sur des sujets d'actualité ou de fond. Le dernier numéro, consacré à l'achèvement de la carte intercommunale au 1er janvier 2014, comporte de nombreuses données statistiques.
S'agissant de l'accès aux données publiques, et plus particulièrement de la DGF (dotation générale de fonctionnement) et ses composantes, un CD-Rom est adressé gratuitement aux associations d'élus. Pour les entreprises - le service statistique de la Banque postale collectivités territoriales par exemple, qui a succédé à Dexia - la redevance de 1 524 euros, appliquée jusqu'en 2013, a été supprimée cette année, conformément à la décision du Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP). On comptait jusqu'ici une quinzaine de demandes par an.
La DGCL s'efforce à la fois de représenter les collectivités territoriales au sein de l'Etat et l'Etat face aux collectivités territoriales.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Comme les préfets au niveau local !
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - C'est en effet la même chose, au niveau central. Nous constatons ainsi combien les moyens informatiques des collectivités sont disparates. Or la transparence est indispensable à la démocratie locale. Un article du projet de loi de mobilisation des régions, déposé le 10 avril dernier sur le bureau du Sénat, qui n'a pas été examiné à ce jour, mais qui sera sans doute repris dans le projet de loi en cours de préparation, concerne justement l'open data, au sein d'un bloc d'une dizaine d'articles sur l'enjeu majeur pour la démocratie locale de la transparence financière. Il avait reçu la bénédiction du Conseil d'Etat, après de longues discussions avec Mme de Saint-Pulgent, dans le cadre du projet de loi initial.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Dans ce cas !
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - Reste à arbitrer le nouvel avant-projet de loi.
Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Les lois de 1978 datent d'une autre époque technologique, d'une autre époque d'attentes des citoyens. Jugez-vous des évolutions nécessaires ? Les « cas baroques » de l'intercommunalité ont-ils été recensés ? Chacun pense à Saint-Jean-de-la-Croix, dans le Maine-et-Loire... Je n'ai pas trouvé le nombre de recours sur le site. Quid de l'historique des grands électeurs dans les départements ? Certains candidats aux élections sénatoriales sont membres de diverses instances... En 2010, en alléguant d'excellentes raisons, l'on m'a poliment refusé, à la préfecture comme au ministère, l'accès aux listes des candidats aux précédentes élections, comportant des données qui auraient pu pourtant m'être fort utiles, comme citoyenne et historienne. Sans donner leurs coordonnées personnelles, ne pourrait-on au moins communiquer les noms et prénoms des grands électeurs afin de reconstituer les données historiques sachant qu'en droit rien ne s'y oppose et qu'il s'agit d'informations intéressantes?
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Profession, âge... Bien d'autres éléments sont dignes d'intérêt !
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - La DGCL se pose parfois des questions sur l'évolution de la législation, au regard des nouvelles technologies, mais n'a pas lancé de réflexion formelle à ce sujet, qui n'est pas de son ressort direct au sein de l'Etat. En revanche, lors de la discussion d'un projet de décret présenté au CSFPT pour autoriser le vote électronique dans les collectivités locales pour les élections professionnelles de décembre 2014 dans la fonction publique territoriale, sur lequel la CNIL a donné un avis en janvier 2014, les experts, comme les représentants des organisations syndicales et des collectivités locales, ont souligné les limites technologiques du texte.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Pour les services de l'Etat, la jurisprudence de la Cada est claire, les litiges rares. Aucun litige concernant la DGCL n'a été transmis à la Cada. Qu'en est-il des collectivités territoriales ? Certains particuliers abusent et certains collectivités peinent à garantir la transparence...
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - Il arrive que des particuliers se tournent vers nous après avoir essuyé un refus d'une collectivité...
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Vers les sénateurs aussi...
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - En matière de contrôle de légalité, si une partie demande communication de l'analyse de la DGCL transmise au préfet, seul responsable de ce contrôle, s'agit-il d'un document intermédiaire ou d'un document faisant grief, susceptible d'être transmis ? La question s'est posée quelquefois et la DGCL a toujours considéré que seule la décision du préfet pouvait être transmise. En effet, notre document comprend une analyse en droit, que le préfet n'est pas tenu de suivre car le contrôle de légalité va au-delà.
La carte de l'intercommunalité a donné lieu à quatre recours contentieux seulement, qui ont pour la plupart abouti à des QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) sur le fondement de la non-constitutionnalité des pouvoirs exorbitants du droit commun conférés au préfet par l'article 60 de la loi du 16 décembre 2010. Le dernier mémoire en défense que nous ayons rédigé concerne le rattachement de la commune de Thonon à la communauté d'agglomération limitrophe.
La DGCL ne dispose pas des listes de grands électeurs : je ne peux donc vous répondre mais je transmettrai votre question à la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT), compétente pour les élections nationales et au secrétariat général du ministère de l'intérieur. Nous travaillons sur les questions électorales mais nous ne participons pas à l'organisation des élections législatives ou sénatoriales.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Détenez-vous les fichiers d'élus ? Désormais, des données sur l'âge, les activités professionnelles de tous les candidats seront disponibles. C'est encore plus intéressant si l'on dispose aussi des données antérieures.
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - Nous ne détenons pas ces fichiers, mais obtenons les informations dont nous avons besoin lorsque nous les demandons.
Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Dans certains départements, faute de chercheurs actifs dans le domaine, les candidats sont pénalisés. Il en va de l'équité entre les candidats. Je vous remercie d'en faire part à la direction concernée.
Mme Catherine Procaccia. - Comment est assurée la cohérence entre les informations disponibles sur votre portail et sur les sites des préfectures ?
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - Nous mettons régulièrement les données à jour. Nous disposons de liaisons informatiques spécifiques à cette fin.
Notre portail est organisé de manière à satisfaire tous les types d'utilisateurs, depuis le curieux jusqu'au savant. Il donne au fur et à mesure des informations de plus en plus précises. En général, l'information circule bien entre les préfectures et nous.
Mme Catherine Procaccia. - Les sites des préfectures sont de qualité très diverse...
M. René Garrec. - Vous adressiez autrefois des circulaires, désormais des notes d'instruction. Quelle est leur valeur juridique ? Peut-on regarder ces instructions comme des actes préparatoires ?
M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - Les circulaires ne peuvent pas être réglementaires. Les notes d'information ne font pas grief. Elles sont transcrites dans les actes réglementaires préfectoraux qui, eux, peuvent être déférés aux juridictions administratives.
M. Jean-Jacques Hyest, président. - Monsieur le directeur général, merci.
La réunion est levée à 13 heures.