- Mercredi 8 janvier 2014
- Questions diverses - Composition de la commission
- Non-cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen, de député ou de sénateur - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
- Procédures européennes de règlement des petits litiges - Communication
Mercredi 8 janvier 2014
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Questions diverses - Composition de la commission
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous présente tous mes voeux la nouvelle année, en souhaitant notamment que nous continuions à travailler dans la convivialité et le respect mutuel. Je vous informe que M. Louis-Constant Fleming, membre de notre commission, a démissionné du Sénat. Nous sommes heureux d'accueillir M. François Grosdidier qui a choisi de rejoindre notre commission.
M. Jean-Pierre Michel. - J'ai été très choqué par une partie des propos prononcés par le président du Conseil constitutionnel dans ses voeux au président de la République : M. Jean-Louis Debré, qui fut un peu magistrat, parlementaire et ministre vise l'initiative parlementaire, lorsqu'il critique des « dispositions incohérentes et mal coordonnées ...gonflées d'amendements non soumis à l'analyse du Conseil d'État ». De tels propos excèdent le cadre de sa mission.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Acte vous est donné de ces déclarations.
M. Patrice Gélard. - Ce que vous dites n'est pas totalement faux...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le doyen Gélard est un maître de la litote.
Non-cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen, de député ou de sénateur - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
La commission examine tout d'abord, en nouvelle lecture, le rapport de M. Simon Sutour et le texte proposé par la commission pour le projet de loi organique n° 168 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et pour le projet de loi n° 169 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Après l'échec de la commission mixte paritaire du 9 octobre dernier, le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Notre commission avait rejeté, le 11 septembre dernier, ces deux textes avant que le Sénat, en séance publique, ne modifie profondément le projet de loi organique.
Sans surprise, l'Assemblée nationale a rétabli, en nouvelle lecture, les textes qu'elle avait adoptés en première lecture, sous réserve de modifications essentiellement formelles. Elle est donc revenue sur l'ensemble des modifications opérées par notre assemblée, y compris - ce que l'on peut regretter - celles adoptées par le Sénat à la quasi-unanimité.
Les différences d'approche entre les deux assemblées sont désormais bien connues. L'Assemblée nationale est favorable à l'incompatibilité entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale - initialement proposée par le Gouvernement - ainsi qu'avec les fonctions « dérivées » locales, ce que l'Assemblée a souhaité introduire d'initiative.
A l'inverse, le Sénat, tout en admettant la nécessité de renforcer le régime d'incompatibilité, n'a pas souhaité appliquer ces nouvelles règles aux sénateurs et leur a ainsi créé un régime propre, eu égard à la fonction de représentation des collectivités territoriales que lui confie l'article 24 de la Constitution. Comme je l'ai indiqué en première lecture pour le déplorer, le Sénat mettait ainsi fin à l'identité de régime qui existe, depuis 1958, entre députés et sénateurs en matière d'incompatibilités. Il a aussi supprimé l'incompatibilité créée par l'Assemblée nationale avec les fonctions « dérivées » locales.
En première lecture, le Sénat a adopté sans modification le projet de loi ordinaire transmis par l'Assemblée nationale, mais les règles applicables aux représentants au Parlement européen dépendent de la rédaction finale du projet de loi organique. L'accord qui s'est exprimé est donc avant tout formel.
S'agissant du cumul des indemnités, l'Assemblée nationale n'a pas suivi le Sénat qui avait décidé en première lecture, à l'unanimité, d'exclure pour un parlementaire la perception des autres indemnités liées à la détention d'un mandat ou de fonctions locaux. Elle a supprimé une disposition, introduite par le Sénat, plafonnant au montant de l'indemnité parlementaire de base les indemnités perçues au titre de plusieurs mandats locaux. Je vous proposerai deux amendements pour rétablir la rédaction adoptée par la Haute assemblée en première lecture.
De même, l'Assemblée nationale a supprimé la modification introduite par le Sénat, à l'unanimité, qui visait à obliger à l'organisation d'une élection partielle lorsqu'un parlementaire voyait son mandat cesser à la suite de la prolongation au-delà de six mois d'une mission auprès du Gouvernement. Le consensus exprimé sur ce sujet m'a conduit à également vous proposer un amendement pour rétablir la position du Sénat.
Enfin, le Sénat avait adopté, en première lecture, cinq articles additionnels au projet de loi que l'Assemblée nationale a supprimés en nouvelle lecture, les considérant sans lien avec le texte. Ils instituaient de nouvelles incompatibilités applicables aux collaborateurs du président de la République et aux membres des cabinets ministériels et renforçaient les inéligibilités applicables à l'ensemble des membres des cabinets des autorités exécutives locales.
En conclusion, cette réforme, à laquelle j'étais et je reste favorable, appelle une réflexion sur ses conséquences. Tel est le sens du rapport rendu par Jean-Claude Peyronnet, au nom de la délégation des collectivités territoriales et de la décentralisation, le 17 décembre dernier, Tirer les conséquences des règles de non-cumul : pour l'association des parlementaires aux commissions locales.
L'examen imminent, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, dont nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur sont à l'origine, sera également l'occasion de traiter du statut de l'élu.
Comme je l'ai marqué en première lecture au nom de notre commission, le cumul dit « horizontal » entre mandats et fonctions locaux devra nécessairement être abordé, dans un souci de justice et d'équilibre, lors d'un prochain véhicule législatif, tout comme le renforcement des moyens d'action des parlementaires. Les partisans comme les opposants à la réforme dont nous débattons, l'ont également souhaité, ce qui laisse espérer une approche consensuelle au sein de notre assemblée.
Conformément à la méthode arrêtée par le bureau de notre commission pour la discussion des textes en seconde ou nouvelle lecture, je me bornerai à indiquer, pour certains amendements, qu'ils ont été rejetés par le Sénat en première lecture. La commission ainsi éclairée pourra donc choisir de maintenir sa position ou pas.
En outre, en application de l'article 45 de la Constitution et des alinéas 5 et 6 de l'article 48 de notre Règlement qui fixent la règle dite de l'entonnoir, deux amendements déposés par Mme Lipietz sont irrecevables car ils conduisent à remettre en cause des dispositions adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées dès la première lecture. Je les signalerai lorsque la commission viendra à leur examen.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie d'avoir rappelé ces points de méthode. Je signale que le rapport sur la proposition de loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leurs mandats, sera présenté par M. Bernard Saugey lors de notre réunion de mercredi prochain.
M. Jean-Jacques Hyest. - La position du Sénat est très claire : elle consiste à rendre possible l'exercice d'une seule responsabilité exécutive locale et d'un mandat parlementaire. Je pense, à titre personnel, qu'elle devrait s'appliquer à tous les parlementaires...
M. Michel Mercier. - Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. - Le fait que sénateurs et députés relèvent du même régime ne résulte que d'un hasard historique, non pas d'une exigence constitutionnelle.
Je note que les députés qui soutiennent la réforme souhaitent in petto une censure du Conseil constitutionnel... et se représentent tous aux élections municipales, donc pour rester au-delà de 2017 ! Nous avons déposé le même amendement que d'autres groupes limitant le cumul à une seule fonction exécutive, dans la lignée historique de la restriction progressive du cumul des mandats. J'avais même déposé une proposition de loi afin de rendre la responsabilité de très grands exécutifs incompatible avec l'exercice d'un mandat parlementaire. Faut-il interdire à un parlementaire d'être maire adjoint d'un village ? Je ne le comprends pas. D'où notre proposition, limitant le cumul à une seule fonction exécutive, en plus du mandat parlementaire.
Cette loi sera-t-elle interprétée comme une loi organique relative au Sénat ? Ce point de droit ne manquera pas d'intérêt. On ne peut traiter les députés comme les sénateurs. Nous verrons bien, à l'issue de nos travaux, si le Gouvernement insiste pour traiter le Sénat comme l'Assemblée nationale.
M. Christian Cointat. - Très bien !
M. Patrice Gélard. - Je vous félicite, Monsieur le rapporteur, pour la fin de votre exposé. Les conséquences de l'interdiction du cumul n'ont pas été étudiées. Par rapport à nos voisins, nous assistons à une dégradation constante du statut des parlementaires français, devenus des citoyens de seconde zone, auxquels on assène une multitude d'interdictions. Seuls deux pays européens ont interdit tout cumul : la Grèce et la Pologne. Pourquoi traiter différemment les élus nationaux et les élus locaux ? Les parlementaires ne pourront plus siéger dans les conseils d'administration des établissements publics, tels les hôpitaux, contrairement aux maires, ce qui posera des problèmes. C'est absurde ! Le Sénat ne peut être traité comme l'Assemblée nationale, puisqu'il représente les collectivités territoriales.
M. Jacques Mézard. - Je n'ai pas changé d'avis... Tout ce que j'ai entendu, ainsi que l'unanimité de mon groupe, me confortent dans mon opposition à un texte contraire aux intérêts du pays. Malheureusement, ce débat est délibérément tronqué, présenté de telle sorte qu'oser s'opposer à cette réforme, c'est passer pour être attaché à des privilèges, alors qu'un problème de fond se pose, relatif à nos institutions. Ce qui a été fait a été mal fait. Mais je crois en une justice immanente : la sanction viendra !
Le fonctionnement de nos institutions est atteint, avec un Parlement disposant de moins en moins de pouvoirs. En voulant à tout prix arriver à vos fins, vous mettez en place un autre système. Que dire du rapport de M. Dussopt sur le récent projet de loi relatif aux métropoles préconisant la création d'un « Haut Conseil des territoires », pour que le Gouvernement dialogue avec les collectivités territoriales, à la suite du non-cumul ! La Constitution dit que c'est la mission du Sénat. Une fois de plus, il n'a pas été défendu ! Je m'honore de l'avoir fait.
Le Sénat a voté un texte qui n'est pas conservateur, mais novateur, qui va même au-delà des propositions du Gouvernement, mais tout a été balayé. Je passe sur ce que nous avons subi sur Public Sénat. Je respecte la délégation aux collectivités territoriales, j'en suis membre, mais la charger de faire en sorte que les parlementaires continuent à exister sur le terrain est assez ubuesque. Il est urgent de continuer à lutter contre ce texte, dont on n'a pas voulu examiner les conséquences. Un jour ou l'autre, il faudra revenir sur ses dispositions, si elles ne sont pas censurées par le Conseil constitutionnel, car elles sont contraires aux valeurs de la démocratie et de la République.
Mme Catherine Troendlé. - Très bien !
M. Hugues Portelli. - Cette réforme, que je m'appliquerai à moi-même pour des raisons purement personnelles, pose de nombreux problèmes.
Pour l'essentiel, elle met en cause le fonctionnement même du Parlement. Le quinquennat, et l'alignement du mandat des députés sur celui du président de la République ont lié le destin de l'Assemblée nationale à celui du chef de l'État, la privant de toute autonomie face au pouvoir exécutif...
Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman . - Allons bon ! Vous n'aviez qu'à ne pas voter cette réforme.
M. Hugues Portelli. - Seul le Sénat garde son autonomie, en raison de son mode de scrutin et de son ancrage territorial. Supprimer cet ancrage, alors que les députés sont élus dans les mêmes conditions que le président de la République, c'est annihiler le pouvoir parlementaire. Nous assistons à une étape supplémentaire de la dégénérescence du système, après la réforme de l'an 2000. La prochaine consistera à abolir le scrutin uninominal pour l'élection des députés et des sénateurs, pour instaurer le scrutin de liste, grâce auquel les partis décideront des cursus politiques. Cette gestion partisane des carrières politiques, dans un pays où la décentralisation est beaucoup moins poussée que chez la plupart de nos voisins européens, où les compétences sont limitées, où chaque fois que l'on crée un pouvoir local, on l'ajoute aux autres sans rien supprimer...
M. Jean-Jacques Hyest. - Cela ne date pas d'hier !
M. Hugues Portelli. - ... aura pour effet d'affaiblir encore plus le pouvoir parlementaire. Tel est, pour des raisons institutionnelles qui n'ont rien à voir avec la morale en politique, le véritable objectif de ce texte. Il ne s'agit que de renforcer le pouvoir des partis, dans un pays où leur légitimité est l'une des plus faibles d'Europe.
Mme Éliane Assassi. - Eh bien !
M. François Zocchetto. - Nous avons longuement débattu en première lecture. La position de notre groupe n'a pas changé. Avec ce projet de loi organique, de valeur quasi constitutionnelle, nous modifions profondément, non sans légèreté, le sens de nos institutions et le rôle du Parlement, et du Sénat en particulier. Ayons conscience que cette loi organise la fin du Sénat ! Le quinquennat a asservi au président de la République une Assemblée nationale déjà affaiblie par la Constitution de la Ve République. Cette réforme induira une évolution sensible du personnel politique. Nous ne trouverons plus les mêmes gens pour exercer les mandats parlementaires. Déjà, 50 % des nouveaux députés n'ont plus d'ancrage politique territorial. Ils proviennent des cabinets, des partis, des ministères, des exécutifs. Cette tendance, que nous constatons également au Sénat, s'accentuera. Plus on renforce la proportionnelle, qui peut se justifier pour d'autres raisons, moins on diversifie le recrutement des parlementaires. Au-delà de nos différences partisanes, nous sommes nombreux à nous accorder là-dessus. Mais faute de position claire, nos tergiversations feront que nous serons, une fois de plus, caricaturés. S'ensuivra la dégénérescence et, à terme, la disparition du Sénat. Pourquoi conserver une chambre sans spécificité ni autonomie ? La possibilité de cumuler le mandat parlementaire avec une seule fonction exécutive n'est en aucune façon l'obligation de cumuler, seulement une faculté. Pourquoi le Gouvernement ne s'attaque-t-il pas au cumul « horizontal » ? Personne ne niera les apports législatifs de collègues parfois absents, certes, mais qui sont toujours là quand nous avons besoin d'eux. Nous ne les aurons plus, et M. Debré se plaindra encore plus de la médiocrité des textes...
M. Michel Mercier. - Il n'a qu'à les censurer !
M. René Vandierendonck. - Je rappelle à mon tour ma position. Eu égard à la mission constitutionnelle du Sénat de représentation des collectivités territoriales, il eût été préférable de prévoir que pour exercer un mandat sénatorial, il fallait justifier d'une expérience préalable au sein d'un exécutif territorial. Ce n'est pas le cas, je le regrette. Je l'interprète comme une volonté de limitation drastique du cumul, que je partage. Elle n'exclut pas que le Sénat représente les collectivités territoriales. Enfin, jeune sénateur, précaire et révocable, mais libre, je constate que l'absentéisme au Sénat est une réalité...
M. Jean-Jacques Hyest. - Ce n'est pas lié au cumul des mandats.
Mme Hélène Lipietz. - La position de mon groupe est connue et demeure inchangée. Il importe que nos discussions en séance publique ne dégénèrent pas comme ce fut le cas en première lecture, avec des attaques ad hominem qui m'ont choquée. Nous faisons tous des choix personnels et politiques qui nous appartiennent. Nous décidons de cumuler ou non, en fonction de notre déontologie politique. Comment soutenir que des sénateurs sont moins bons que d'autres parce qu'ils ne cumulent pas ? C'est choquant... Veillons à la dignité de nos débats.
M. Michel Mercier. - Il est vrai que la question du cumul nourrit l'antiparlementarisme existant dans notre pays. Le cumul est-il utile, ou ne représente-t-il qu'une situation confortable pour les parlementaires ? Notre République décentralisée est encore fragile. Pour qu'elle ne tire pas à hue et à dia, pour que vive la décentralisation, le cumul est facteur d'unité du pays et de liberté du parlementaire. Je regrette que l'amendement que nous proposons pour les sénateurs ne s'applique pas à tous les parlementaires. À quoi servirait un Parlement bicaméral où seule une chambre serait libre et où l'autre, qui a le dernier mot, ne le serait pas ? Nous avons besoin de députés libres, qui ne soient pas aux ordres des partis, qui puissent leur dire non, en raison de leur ancrage local. Le cumul peut donc être utile à la République.
M. Nicolas Alfonsi. - Je m'interroge sur l'extraordinaire capacité de résistance manifestée par le Sénat en 1969, face au général de Gaulle. Cela ne relève que de l'histoire, mais je me demande quelle serait sa capacité de résistance demain, alors qu'il aura été affaibli et qu'auront disparu des barons à forte personnalité, pour faire face à de nouveaux coups...
M. Gaëtan Gorce. - Il n'a pas face à lui le général de Gaulle !
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est vous qui le dites !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Monsieur Mézard, nous fonctionnons ici selon l'immanence républicaine, qu'il s'agisse de la Constitution ou de la loi. Je rappelle que le Haut Conseil des territoires a été aboli grâce au Sénat. La loi relative aux métropoles, votée au bout de quatre lectures, dont deux au Sénat, à l'issue de discussions approfondies, a abouti, au terme d'une longue CMP, grâce aux efforts de tous. Cela montre que le Sénat a la capacité de faire entendre une voix singulière.
C'est une réforme qui va marquer une étape importante dans notre vie politique. Monsieur Zocchetto, la réalité sociologique des nouveaux députés, que vous avez décrite, existe déjà, c'est-à-dire avec le scrutin majoritaire et la possibilité de cumuler les mandats. Prenons garde à ne pas singer l'Allemagne où une assemblée n'est saisie que des textes relatifs aux collectivités locales. Il importe que deux chambres examinent tous les textes. Le bicamérisme est une valeur absolue.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Nous avons des positions différentes. Je demande à ceux qui s'opposent à ce projet d'admettre que nous sommes sincèrement attachés au bicamérisme, quand bien même nous n'exerçons pas de mandat local. Comme l'a dit Mme Lipietz, nous ne sommes pas des sénateurs de seconde zone. Nous sommes élus comme vous. Certaines de vos déclarations hostiles aux partis m'étonnent : nous sommes tous membres de partis politiques ! Et la Constitution dispose qu'ils concourent à l'expression du suffrage.
J'ajoute que les conditions d'exercice des mandats ont changé. La fonction de maire aujourd'hui est bien différente de ce qu'elle était il y a quarante ans. Lorsque je fus élu au Sénat, il y a quinze ans, nous arrivions au Sénat le mardi matin, les groupes se réunissaient le mardi après-midi, nous siégions le mercredi et pouvions regagner notre circonscription parfois dès le mercredi soir. Il n'est plus rare, désormais, de siéger en séance publique du lundi au vendredi, voire, quelquefois, le samedi ou exceptionnellement le dimanche. L'on disait autrefois justement dans nos campagnes que les journées n'ont que 24 heures et cela vaut pour tout le monde.
Cela fut évoqué au cours de nos débats de première lecture, je fus directeur adjoint des services de la ville de Nîmes entre 1995 et 1998, avant mon élection au Sénat. J'ai constaté que lorsque le maire et un adjoint furent élus députés en 1997, ils devinrent moins présents dans la commune. Je n'ai pas d'autre mandat que celui de sénateur, pourtant, chacun reconnaît dans mon département mes liens avec le terrain.
Nos visions diffèrent. Je respecte celle des opposants à ce projet, qui se sont exprimés parfois avec virulence. Je vous demande de respecter la mienne, qui est partagée ici, même si elle est minoritaire. Nous ne sommes pas inexistants et nous sommes fiers de nos convictions.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU PROJET DE LOI ORGANIQUE
M. Jacques Mézard. - L'amendement n° 10 reprend une disposition votée très majoritairement par le Sénat en première lecture. Il eût été bon, comme l'a souhaité M. Hyest, que les députés puissent cumuler avec une fonction exécutive, mais ils font ce qu'ils veulent. Les sénateurs ont estimé qu'ils peuvent, conformément à la Constitution, exercer une fonction exécutive locale. L'équilibre et l'avenir de nos institutions sont en jeu.
Le Sénat n'est pas la copie servile de l'Assemblée nationale. Il ne peut censurer le Gouvernement. L'article 24 de la Constitution lui confère la mission de représenter les collectivités locales, que n'a pas l'Assemblée nationale, même si nous votons l'ensemble des lois.
L'histoire constitutionnelle montre pourquoi les dispositions régissant l'élection des députés et celle des sénateurs diffèrent. Nous avons voté récemment des mesures spécifiques concernant les suppléants de sénateurs, différentes de celles qui visent les suppléants de députés. Selon l'image que l'on veut donner à l'opinion, l'on emploie des arguments contradictoires : telle est la vie politique. Nous ne nous opposons pas à l'évolution vers le non-cumul, nous proposons un article novateur.
Monsieur le rapporteur, votre appel au calme doit valoir pour tous : il faut aussi faire passer le message à Public Sénat...
Le projet de loi limite fortement le cumul. Je déplore que l'Assemblée nationale ait écarté, par la volonté expresse du Gouvernement, les articles additionnels très novateurs que nous avions insérés en première lecture. Vous prétendez que vous vous attaquerez « bientôt » au cumul horizontal. Appelons un chat un chat : vous voulez supprimer les baronnies verticales, mais conserver les baronnies horizontales. Je ne reviens pas ici sur un cas du Nord de la France, révélateur de l'incongruité de ce texte...
La délégation aux collectivités territoriales en est conduite à réfléchir aux voies et moyens de créer une commission qui réunirait dans les régions les parlementaires exclus des conseils des établissements publics locaux, des sociétés d'économie mixte, ou des syndicats mixtes. C'est une aberration. Notre proposition est raisonnable et équilibrée.
M. Zocchetto a raison : la suite est la condamnation du Sénat, de sa vocation historique dans notre République...
M. Simon Sutour, rapporteur. - Non !
M. Jacques Mézard. - Le vrai problème de ce texte, c'est l'équilibre de nos institutions. Nombre d'universitaires l'ont dit et écrit...
M. Jean-Jacques Hyest. - Oui.
M. Jacques Mézard. - Notre groupe a combattu la Ve République, nous l'assumons. Avec le quinquennat, nous avons l'hyper-présidence et un Parlement croupion. Votez cet amendement, il appartiendra ensuite au Conseil constitutionnel de se prononcer, car ce texte aura des conséquences constitutionnelles considérables, dont on ne veut pas parler.
M. Jean-Jacques Hyest. - L'amendement n° 12, que je présente avec M. Bas, est identique.
M. François Zocchetto. - Notre amendement n° 14 est également identique.
M. Christian Cointat. - Je suis tout à fait d'accord avec les trois orateurs précédents. A quelque chose, toutefois, malheur est bon... Je me félicite du 14° du texte proposé par ces amendements pour l'article L.O 297 du code électoral visant l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE). Enfin, cette instance est reconnue et son exécutif mis sur le même plan que les exécutifs locaux, ce qui marque un pas de plus vers la constitution d'une collectivité extraterritoriale d'outre-frontières, que j'appelle de mes voeux. Je remercie les auteurs de ces amendements.
La loi nous retire le droit de siéger à l'AFE. C'est extrêmement grave, car c'était le seul moyen d'avoir un contact avec le monde entier pour représenter nos concitoyens au Parlement de la République. Avec ce dispositif, nous serons obligés d'aller encore plus souvent sur le terrain. Or, le monde, même s'il se réduit, reste vaste. Les élus des Français de l'étranger auront donc beaucoup de mal à remplir leur mandat avec ce « département » mondial.
Comme cela se passe dans les autres pays, nos parlementaires deviennent inexorablement des apparatchiks des partis politiques, mais il n'y a qu'en France que le scrutin proportionnel ne s'accompagne pas de vote préférentiel. C'est pour cela que lorsque des femmes sont élues à l'étranger, elles sont vraiment élues car elles ont gagné l'élection, alors qu'en France, elles sont élues parce que leur parti politique les a placées en position éligible.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Même si la circonscription est mondiale, il y aura toujours des candidats.
M. André Reichardt. - Comme en première lecture, je voterai ces trois amendements et je le ferai avec d'autant plus d'enthousiasme qu'entre ces deux lectures, la délégation aux collectivités territoriales s'est réunie. Nous n'étions que trois ou quatre sénateurs présents et nous avons eu les plus grandes difficultés à avoir des réponses précises sur la façon d'éviter une césure définitive entre les élus locaux et les sénateurs. Avec la future loi, un sénateur n'aura plus d'ancrage sur le terrain. C'est très grave et l'on ne pourra pas revenir en arrière.
M. François Grosdidier. - J'ai fait trois mandats à l'Assemblée nationale et j'ai été heureux d'arriver au Sénat pour porter la voix des collectivités territoriales mais aussi pour participer à des débats beaucoup plus libres qu'à l'Assemblée. Si la Constitution consacre le rôle des partis, elle interdit les mandats impératifs. Or, l'Assemblée s'oriente vers cette pratique. Il est donc essentiel de préserver la spécificité du Sénat comme porte-parole des collectivités territoriales. Or, on ne peut porter la parole que d'un groupe auquel on appartient. C'est la participation aux exécutifs qui confère la connaissance en profondeur des réalités locales. En outre, la liberté d'un parlementaire repose sur son assise. Un sénateur élu par les élus est infiniment plus libre face aux consignes nationales qu'un député dont l'élection dépend essentiellement de l'investiture de son parti. Je voterai donc ces trois amendements, afin de défendre l'identité et la liberté du Sénat. Dans le cas contraire, cela donnerait raison à ceux qui prônent sa suppression. Or, nous connaissons les dérives et les excès des chambres uniques.
Les amendements identiques nos 10, 12 et 14 sont adoptés.
Mme Hélène Lipietz. - Mon amendement n° 1 instaure le mandat unique pour les parlementaires.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Cet amendement avait été rejeté en première lecture. Il est contraire à la position de la commission.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vois que cet amendement n° 3 a aussi été rejeté en première lecture. Donc l'avis est défavorable.
L'amendement n° 3 n'est pas adopté.
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 2 interdit le cumul de mandat de député avec les fonctions de président, de vice-président et de membre de différents conseils et d'un organisme HLM.
M. Simon Sutour, rapporteur. - En première lecture, l'Assemblée nationale avait indiqué que le mandat de parlementaire était incompatible avec les fonctions que vous indiquez, mais en nouvelle lecture, elle a supprimé le terme « membre », ce qui va dans notre sens. L'avis est donc défavorable.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement n° 17 reprend une disposition adoptée par le Sénat en première lecture à l'initiative de M. Mézard. Il exclut du recours au suppléant le remplacement du parlementaire élu au scrutin majoritaire dont la mission confiée par le Gouvernement, en application de l'article LO 144 du code électoral, se prolongerait au-delà de six mois. Les missions confiées aux parlementaires par le Gouvernement l'étant de façon discrétionnaire, il convient de prévoir le retour aux urnes dans ce cas précis. Cette rédaction avec été adoptée par le Sénat à la quasi-unanimité en première lecture.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il y eut parfois des parlementaires en mission pour des raisons de commodité, de manière à passer le relais au suppléant. Il faut mettre un terme à cette pratique.
L'amendement n° 17 est adopté.
Mme Hélène Lipietz. - Les fonctions de mères et de parlementaires sont difficilement conciliables. Mon amendement n° 8 permet aux parlementaires femmes d'être supplées en cas de congés maternité.
Mme Catherine Troendlé. - Pourquoi les suppléants ne toucheraient-ils pas d'indemnités ?
Mme Hélène Lipietz. - Nous ne voulions pas tomber sous le coup de l'article 40.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Sur le fond, on peut être en accord avec cet amendement, comme avec le suivant. Comme en première lecture, j'y suis pourtant défavorable car ce sont des cavaliers.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous voterons donc contre, mais Mme Lipietz évoquera cette intéressante question en séance publique.
L'amendement n° 8 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n° 9.
M. Jacques Mézard. - L'amendement n° 11 est de conséquence : il supprime les dispositions relatives aux modalités de remplacement des sénateurs élus au scrutin majoritaire atteints par le cumul des mandats. Le Sénat l'avait voté en première lecture.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Par cohérence avec ma position, avis défavorable du rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Peut-on considérer que les amendements identiques nos 13 et 15 sont défendus ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Tout à fait !
M. François Zocchetto. - Oui.
M. Christian Cointat. - J'ai une question. Nous pourrions rencontrer le cas d'un double cumul qui, lui, est interdit. Pourquoi donc supprimer la disposition relative au remplacement d'un sénateur en situation d'incompatibilité ?
M. Jean-Jacques Hyest. - La loi ordinaire interdit d'être président de conseil général et maire. En revanche, le problème n'a pas été traité pour les présidents de communautés. Une future loi sur les mandats locaux devrait sans doute se pencher sur la présidence de certaines grandes intercommunalités...
M. François Pillet. - Ou de deux ou trois syndicats !
M. Jean-Jacques Hyest. - ... qui pourraient ne pas être compatibles avec un autre mandat exécutif local.
M. Jean-Pierre Sueur. - Merci pour cette réponse.
Les amendements identiques nos 11, 13 et 15 sont adoptés.
L'amendement n° 18 devient sans objet.
Article additionnel après l'article 3
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 4 interdit le cumul de fonctions exécutives entre plusieurs collectivités locales. Il s'agit peut-être d'un cavalier, mais le problème mérite d'être posé.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Au-delà du fait qu'il s'agit d'un cavalier, cet amendement relève de la loi ordinaire et non pas organique. Avis défavorable.
L'amendement n° 4 est retiré.
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement n° 16, comme l'amendement identique n° 5, interdit le cumul d'indemnités pour un parlementaire qui exercerait parallèlement un mandat ou une fonction locale. Ce projet de loi qui n'instaure pas le mandat unique permettra toujours à un parlementaire de siéger au sein d'une assemblée délibérante locale. Cet amendement avait été voté à une large majorité en première lecture.
M. François Zocchetto. - Ces amendements visent-ils le cas spécifique des conseillers municipaux délégués ?
M. Simon Sutour, rapporteur. - Les conseillers régionaux et généraux perçoivent également une indemnité.
Mme Hélène Lipietz. - Mon amendement n° 5 est identique.
Les amendements identiques nos 16 et 5 sont adoptés.
Article additionnel après l'article 3 ter A
Les amendements nos 6 et 7 sont irrecevables.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous allons maintenant nous prononcer sur l'ensemble du projet de loi organique ainsi amendé.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Compte tenu des amendements adoptés, mon avis est défavorable.
Le projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous passons aux amendements au projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement n° 2, comme l'amendement identique n° 1 de Mme Lipietz, plafonne, par cohérence, le montant des indemnités perçues au titre de plusieurs mandats ou fonctions locaux au montant de l'indemnité parlementaire de base. Cette mesure est logique au regard du plafonnement identique des indemnités perçues par un parlementaire. Cet amendement rétablit ainsi l'article 1er E dans la rédaction du Sénat en première lecture.
Mme Hélène Lipietz. - Mon amendement n° 1 est défendu.
M. François Zocchetto. - Le régime fiscal des différentes indemnités n'est pas identique : pour les indemnités des élus locaux, il y a une retenue à la source alors que pour celles des parlementaires, une partie n'est pas imposable et l'autre partie s'ajoute aux éventuels revenus du parlementaire. Cet amendement, que je voterai, me semble donc imparfait.
M. Patrice Gélard. - L'indemnité du parlementaire français va devenir inférieure à la moyenne européenne, sans revalorisation, puisque depuis dix ans, nous percevons le même montant.
Or, les indemnités des parlementaires, que la gauche a historiquement obtenues pour assurer l'indépendance des élus, sont insuffisantes. Lorsque l'indemnité ne permettra plus que de payer les frais d'hôtel, il n'y aura plus personne pour exercer des mandats.
M. René Vandierendonck. - Et l'IRFM ?
M. Patrice Gélard. - L'IRFM sert à payer les frais de permanence. Nous allons gagner moins que les parlementaires grecs.
M. René Vandierendonck. - J'en reste pantois !
M. Michel Mercier. - Il est regrettable de s'acharner sur les élus locaux parce que l'on est incapable de revaloriser les indemnités des parlementaires.
M. Jean-Jacques Hyest. - Ce n'est pas ce que l'on dit !
M. Michel Mercier. - Si, puisque cet amendement interdit à un élu local de percevoir davantage qu'un parlementaire. Or, depuis l'ordonnance de 1959, le mode de calcul des indemnités parlementaires n'a pas été modifié. Cet acharnement sur les élus locaux me semble excessif.
M. René Garrec. - Le revenu des parlementaires a diminué car il est indexé sur les échelles lettres des hauts fonctionnaires. Les revenus de ces derniers ont augmenté en raison du glissement vieillesse technicité (GVT), tandis que les parlementaires, avec l'indice de référence, ont gagné entre 0,80 et 0,90 % par an tandis que l'inflation était de 1,5 à 2 %. Si nous rétablissions la situation, nous serions à 7 800 euros par mois.
M. Patrice Gélard. - Très bonne remarque !
M. Hugues Portelli. - Faisons preuve de décence : nous sommes confrontés à un conflit d'intérêt puisque nous légiférons sur nos propres indemnités.
M. Jean-Pierre Michel. - Politiquement, il est assez difficile de modifier les indemnités parlementaires. En revanche, les moyens mis à notre disposition sont notoirement insuffisants. Les collègues membres du Bureau adoptent des dispositions qui nous pénalisent tous : le forfait téléphonique, le forfait transport, la dotation informatique sont trop faibles. Le Sénat nous fait payer en partie les missions que nous effectuons à l'étranger dans le cadre des groupes d'amitié. Je refuse de payer : lorsque j'ai été au Kosovo et en Serbie, ce n'était pas un voyage d'agrément !
Peureux comme le sont nos chefs devant l'antiparlementarisme qui se développe et incapables d'expliquer la vérité, ils réduisent le budget du Sénat, ce qui ne nous permet pas de travailler dans de bonnes conditions. C'est inconcevable.
M. Christian Cointat. - Tout à fait d'accord.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Si je suis d'accord sur une partie de ce qui a été dit, nous ne devons pas confondre les problèmes : le non cumul des indemnités a été voté en première lecture et je souhaite que nous confirmions notre position.
Les amendements identiques nos 2 et 1 sont adoptés.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans les tableaux suivants :
PROJET DE LOI ORGANIQUE
PROJET DE LOI
Procédures européennes de règlement des petits litiges - Communication
La commission entend enfin la communication de M. Simon Sutour sur la proposition de règlement (E 8895) du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges et le règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer, dont la commission s'est saisie en application de l'article 73 quinquies, al. 2, du Règlement du Sénat.
M. Simon Sutour, rapporteur. - A partir du moment où il est adopté, un règlement européen est un texte qui s'applique immédiatement dans tous les pays de l'Union. La situation est donc bien différente de celle d'une directive qui doit faire l'objet d'une transposition.
Le mois dernier, notre commission s'est saisie de la proposition de règlement relative à la procédure européenne simplifiée de règlement des petits litiges, qui a été transmise au Sénat le 29 novembre 2013. Ce texte renforce cette procédure européenne, prévue par le règlement du 11 juillet 2007, en vigueur dans l'Union depuis le 1er janvier 2009. Il modifie également le règlement du 12 décembre 2006 en précisant que la procédure européenne simplifiée de règlement des petits litiges peut s'appliquer aux procédures européennes d'injonction de payer.
Cette procédure simplifiée a été mise en place au niveau européen pour améliorer l'accès à la justice, rendu parfois complexe en présence d'un élément transfrontalier, en simplifiant et en accélérant le règlement de ces litiges et en réduisant les coûts de procédure pour les parties. Elle est applicable aux personnes physiques et morales en matière civile et commerciale, pour les contentieux transfrontaliers d'un montant limité à 2 000 euros. Cette procédure est allégée à plusieurs titres : elle est principalement écrite, elle est fondée sur l'utilisation de formulaires types et la représentation par un avocat n'est pas obligatoire. L'exécution de la décision est également facilitée car elle ne nécessite pas ensuite de procédure intermédiaire (exequatur) pour être mise en oeuvre.
Cependant, la procédure européenne simplifiée de règlement des petits litiges demeure méconnue et peu utilisée. Selon une enquête Eurobaromètre, seules 12 % des personnes interrogées la connaissent et 1 % seulement l'ont déjà utilisée. Quant aux entreprises, 45 % ayant un litige transfrontalier ne saisissent pas la justice car les frais de procédure seraient disproportionnés au regard du montant des demandes et 27 % parce que la procédure serait trop longue.
Cette proposition de règlement entend modifier cette procédure pour la rendre plus accessible et plus efficace. Selon l'exposé des motifs, l'amélioration de l'efficacité de la justice contribuerait à la réalisation des priorités politiques actuelles de l'Union, consistant à favoriser la reprise économique et la croissance durable. À cet effet, la proposition de règlement modifie la règlementation en vigueur sur plusieurs points : elle élève le seuil d'application de la procédure de 2 000 à 10 000 euros ; elle impose aux juridictions l'obligation d'utiliser la vidéoconférence ; elle favorise les notifications par voie électronique ; elle plafonne les frais de justice acquittés par les justiciables, en proportion du montant du litige.
Si nous soutenons l'objectif général énoncé par la proposition de règlement, plusieurs dispositions posent des problèmes au regard de notre législation. Notre proposition de résolution européenne souhaite donc faire évoluer la proposition de règlement sur plusieurs points.
Premièrement, le texte propose d'étendre le champ d'application de la procédure européenne simplifiée aux litiges transfrontaliers dont le montant atteint jusqu'à 10 000 euros contre 2 000 euros actuellement. Cette élévation, applicable aux seuls litiges transfrontaliers ne serait pas cohérente avec les seuils retenus, en droit français, pour les procédures simplifiées. En effet, le seuil en deçà duquel il est possible d'assigner son adversaire par simple déclaration au greffe du tribunal d'instance est de 4 000 euros, ce qui correspondait au seuil maximum de compétence de la juridiction de proximité. Il s'agit aussi du seuil en deçà duquel il n'y a pas d'appel possible, mais seulement la cassation. Par conséquent, si le plafond de 10 000 euros était retenu, un Français pourrait être attrait à une procédure simplifiée, qui ne présente pas les mêmes garanties pour la défense, alors que sa cause relèverait, si le litige était uniquement situé en France, d'une procédure et de garanties normales.
Deuxièmement, le texte prévoit un recours quasi-systématique aux moyens de communication électronique pour l'ensemble des échanges au cours de la procédure. Certes, ces moyens font gagner du temps, mais il est préférable de maintenir explicitement la possibilité de recourir à la voie postale en raison du risque de rupture d'égalité entre les personnes qui possèdent un équipement informatique et les autres. Si cette possibilité semble implicitement admise par la proposition de règlement, qui impose l'acceptation de ces moyens de communication par les parties, ce point mérite d'être clarifié.
Troisièmement, la modification de la règlementation en vigueur renforcerait le caractère écrit de la procédure et restreindrait la liberté du juge d'apprécier l'opportunité de tenir une audience ou de recourir à des preuves orales.
Favoriser la célérité de la procédure ne peut être considéré comme une fin en soi. Priorité doit être donnée à la protection des droits des parties, notamment du droit à être entendu par un juge. C'est pourquoi le juge doit conserver sa liberté d'appréciation, ce qui est le cas dans le règlement appliqué actuellement. Conservons donc la rédaction en vigueur.
Quatrièmement, en cas d'audience, le texte impose aux juridictions d'utiliser la vidéoconférence ou d'autres moyens de communication à distance équivalents. Les parties n'auraient ainsi plus besoin de se déplacer dans un autre État mais cette procédure obligerait les membres de l'Union à équiper leurs juridictions de technologies de communication appropriées, ce qui pourrait s'avérer très coûteux. De plus, cela supposerait de mobiliser des personnels d'une autre juridiction que celle saisie pour que la partie convoquée, qui ne se déplacera pas à l'audience, puisse se connecter à partir de la juridiction la plus proche.
Le maintien d'une simple faculté pour la juridiction d'utiliser les moyens de communication à distance, actuellement prévue par le règlement de 2007, serait plus approprié. Cette solution a d'ailleurs été retenue en droit français par la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit.
Dernier point : la proposition de règlement limite les frais de justice supportés par les parties à 10 % du montant de la demande. Au-delà de ce plafond, ils seraient considérés comme disproportionnés et constituant un obstacle à l'accès à la justice. Or, il est possible, dans un contexte transfrontalier, que les frais engagés soient supérieurs à ce seuil, notamment s'il faut traduire les pièces échangées. Qui supportera alors le coût des frais de justice supérieurs ? Il semble que l'État devra supporter cette charge, or nous connaissons tous les difficultés à financer les frais de justice. Ce point mérite donc également des éclaircissements.
Cette proposition de résolution européenne améliore la cohérence de la règlementation européenne avec notre droit national Je vous propose de l'adopter, étant entendu que vous pourrez déposer des amendements qui seront examinés lorsque nous débattrons de cette résolution en commission le 22 janvier pour la voter définitivement.
M. René Garrec. - Je m'interroge sur l'intérêt de fixer le seuil d'application de cette procédure en euros, sous forme de somme fixe. Pourra-t-elle ensuite être réévaluée ? Comment ce seuil s'applique-t-il dans les États membres qui n'ont pas l'euro comme monnaie ?
M. Simon Sutour, rapporteur. - La formulation est celle de la proposition de règlement. Vous pourrez déposer des amendements.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie M. Sutour pour sa communication.
À chaque fois que la commission des lois peut se saisir de ce type de texte européen, elle doit le faire, sans préjudice du travail que peut réaliser la commission des affaires européennes. Notre commission doit être informée et pouvoir présenter des amendements qui seront présentés au Gouvernement.
M. Hugues Portelli. - En Europe, les gouvernements nationaux sont législateurs, par le biais du Conseil des ministres. Le Gouvernement français a l'initiative des lois quand il est en France mais il devient législateur en Conseil des ministres. La seule arme qui nous reste est d'utiliser notre pouvoir de résolution pour donner notre avis au Gouvernement.
M. Simon Sutour, rapporteur. - La commission des affaires européenne du Sénat peut voter soit des avis motivés en matière de subsidiarité (article 88-4 de la Constitution) soit des avis politiques (article 88-6) qui donnent notre point de vue à la Commission européenne. Très souvent, nous faisons les deux en votant une proposition de résolution et un avis politique et la Commission, qui ne répondait pas à nos avis politiques, en tient désormais souvent compte. Depuis le traité de Lisbonne, une minorité qualifiée de Parlements nationaux peut demander à la Commission de revoir sa copie.
Mme Sophie Joissains a récemment fait une communication sur le parquet européen. Il y a deux ans, nous avions transmis une communication sur le droit de grève des travailleurs détachés que la Commission se proposait de supprimer. Elle en a tenu compte en retirant le texte, que l'on appelait le Monti II. C'est heureux, vu les évolutions récentes.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Si ce texte était un projet de loi, nous en discuterions longuement, car il traite de la vidéoconférence pour les audiences, des frais de justice, du recours aux moyens électroniques et du caractère écrit de la procédure. Or, l'effet du règlement sera prescriptif pour nous.
M. Patrice Gélard. - Pourquoi passer de 10 000 à 4 000 euros ?
M. Simon Sutour, rapporteur. - Actuellement, la France a instauré un plafond de 4 000 euros pour les procédures simplifiées nationales. Nous allons voter une proposition de résolution pour renforcer la position de notre Gouvernement qui n'est qu'un des 28 gouvernements de l'Union européenne. Cela dit, nous devons dire quelle est notre position.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous allons nous prononcer sur le dépôt de cette proposition de résolution. Si nous l'acceptons, elle sera distribuée et, le 22 janvier, nous examinerons les amendements et nous voterons sur ce texte qui deviendra une résolution du Sénat, à moins que son inscription à l'ordre du jour ne soit demandée.
Le dépôt de la proposition de résolution est décidé.