- Mardi 3 décembre 2013
- Audition de M. Guillaume Gaubert, directeur des affaires financières des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche
- Audition de M. Marcel Rufo, pédopsychiatre, chef de service à l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille
- Audition de M. Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l'Education nationale, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'Education nationale
Mardi 3 décembre 2013
- Présidence de Mme Catherine Troendle, présidente -Audition de M. Guillaume Gaubert, directeur des affaires financières des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche
La mission procède tout d'abord à l'audition de M. Guillaume Gaubert, directeur des affaires financières des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nos auditions reprennent alors qu'un grand appel à la grève a été lancé pour jeudi. Il nous appartient de travailler avec célérité afin de répondre aux inquiétudes des uns et des autres. Aussi recevons-nous sans tarder M. Guillaume Gaubert, directeur des affaires financières du ministère de l'éducation nationale.
M. Guillaume Gaubert, directeur des affaires financières du ministère de l'éducation nationale. - M. Simoni, mon adjoint qui m'accompagne, a suivi le financement de la réforme des rythmes et la mise en place du fonds d'amorçage. La direction des affaires financières est principalement chargée des affaires financières de ce grand ministère, ainsi que des relations avec l'enseignement privé.
Le président de la République a fixé l'an dernier devant le congrès de l'Association des maires de France (AMF) des orientations que nous avons traduites dans la loi de refondation, puis dans le décret d'application. Si le fonds d'amorçage est géré par l'agence de services et de paiement (ASP), nous assurons l'interface avec les directions académiques des services de l'éducation nationale (DASEN). Nous avons également joué notre rôle pour sécuriser son financement.
Pour l'année scolaire 2013-2014, 3 995 sur 23 000 communes sont passées aux nouveaux rythmes. Cela représente 1,3 million d'élèves ; 22 % de ceux des communes de moins de 2 000 habitants sont passés aux nouveaux rythmes, 26 % dans celles de plus de 50 000 habitants et 35 des 150 communes les plus importantes.
L'organisation des temps scolaires relève du caractère propre des établissements privés. Il leur est loisible de passer ou non aux nouveaux rythmes ; 6 % l'ont fait cette année, et nous estimons que la moitié d'entre eux le feront l'an prochain. Ils sont éligibles au fonds d'amorçage pour autant qu'ils respectent la règlementation sur les rythmes scolaires.
Le Premier ministre a décidé de proroger le fonds d'amorçage pour l'année 2014-2015. Le niveau d'aide sera le même : 50 euros par élève ou 90 euros pour les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine, de solidarité rurale ou dans les départements d'outre-mer (DOM). Cette prorogation a été traduite par un amendement au projet de loi de finances pour 2014. Elle n'a pas d'incidence financière sur l'année 2013-2014, où les aides scolaires s'élèvent à 84,6 millions d'euros. L'impact de la prolongation du fonds en 2014-2015 sera de 63 millions d'euros pour les communes qui sont déjà passées aux nouveaux rythmes scolaires, de 312 millions d'euros pour les autres.
Le fonds décaissera environ 515 millions d'euros sur les deux années scolaires. Les aides seront versées pour un tiers en 2013 ; puis en 2014, nous verserons les deux tiers des aides dues aux communes qui ont basculé à la rentrée 2013 et un tiers de celles dues aux communes entrant dans le dispositif, le solde étant libéré en 2015. Cela représente pour le budget de l'Education nationale des décaissements de 28,2 millions d'euros en 2013, 199,6 millions d'euros en 2014, 286,3 millions d'euros en 2015. En 2013, nous procèderons par redéploiements au sein du ministère, comme vous le verrez dans le projet de loi de finances rectificative. Pour 2014, 102,7 millions d'euros ont été inscrits par amendement au projet de loi de finances, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) apportant un financement exceptionnel de 62 millions d'euros inscrit dans sa convention d'objectifs et de gestion. Reste une trentaine de millions d'euros qui seront dégagés en gestion, probablement dans des conditions similaires à celles de 2013. Enfin, le financement de 2015 reste ouvert.
Le flux des dossiers à traiter est assez important. Les premiers versements ont eu lieu mi-octobre pour 95 % des 4 100 dossiers reçus : une centaine de dossiers étaient incomplets ; ils seront apurés dans les toutes prochaines semaines.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Merci pour cet éclairage instructif. Le financement de 2014 n'est pas bouclé, et 2015 suscite des interrogations.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - J'ai compris que le financement pour 2014 était bouclé.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - 33 millions d'euros restent à trouver.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Il s'agira de redéploiements, cela semble accessible. Comment avez-vous pu établir le montant attribué aux communes ? Quels paramètres avez-vous retenus ? Avez-vous interrogé des élus locaux ? Le coût des activités inclut-il la modification des transports scolaires ?
Les communes reçoivent leur premier versement avant la fin décembre : bonne nouvelle ! Quel est le mécanisme d'accompagnement financier pour les écoles privées ? Beaucoup de communes souhaitent une pérennisation du fonds, au moins un schéma en sifflet ou dégressif. Avez-vous réalisé des simulations de vos hypothèses ?
M. Guillaume Gaubert. - Il reste à trouver 30 millions d'euros pour 2014. Si ce n'est jamais facile à dégager, je ne peux que dire que nous l'avons déjà fait en 2013 et que l'ordre de grandeur n'a rien d'inhabituel. Pour 2015, la discussion avec la direction du budget commence en février-mars - nous préparerons à cette occasion un budget pluriannuel 2015-2017. Cent millions d'euros ont été inscrits au projet de loi de finances pour 2014.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - La Caisse nationale d'allocations familiales s'est-elle engagée pour 2015 ? Vous avez parlé d'un financement exceptionnel.
M. Guillaume Gaubert. - Antérieur à la prorogation du fonds d'amorçage, cet engagement ne porte que sur la version antérieure du fonds, avec un sifflet sur 2014. Pour établir les montants d'aide par élève, nous sommes partis non d'une estimation des coûts mais du volume financier du fonds et nous avons construit des critères de répartition entre les communes. Nous avons retenu les plus simples, les plus robustes, avec une différenciation bien connue des collectivités locales (dotations de solidarité rurale, urbaine et DOM).
Le coût horaire moyen des agents territoriaux a été estimé d'après les données 2010 de l'Insee. On peut le comparer au coût horaire constaté par les Caisses d'allocations familiales (Caf) pour l'accueil de loisirs.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Avez-vous ces données ?
M. Pierre-Laurent Simoni, chef de service, adjoint au directeur des affaires financières. - La Cnaf l'estime à 16,67 euros par heure en coût brut chargé.
M. Guillaume Gaubert. - Nous n'avons guère eu la possibilité de nous rapprocher des élus locaux dans les temps impartis pour la mise en place du fonds. Il nous a été difficile d'inclure l'impact des nouveaux rythmes scolaires sur les transports scolaires, parce que nous connaissons mal l'état actuel des transports du premier degré le mercredi, et le degré de mutualisation avec les transports du second degré.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Vous n'avez donc pas tenu compte de ce critère ?
M. Guillaume Gaubert. - Nous sommes partis du montant de l'enveloppe. L'aide est forfaitaire. Elle n'est pas calculée de manière analytique.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Elle était conçue comme un coup de pouce, pas comme une compensation à l'euro près.
M. Guillaume Gaubert. - Les écoles privées ont droit aux aides du fonds dans les mêmes conditions que les écoles publiques, dès lors qu'elles respectent la réglementation. On s'attend à ce qu'elles le fassent de manière aussi systématique que les communes à la prochaine rentrée. Quant à la pérennisation, je m'en tiens aux annonces gouvernementales.
M. Jean-Claude Carle. - Vous dites que dans le projet de loi de finances rectificative, des crédits seront redéployés au sein du ministère. J'en prends acte, car jusqu'à présent, cela semblait impossible. On voit bien que la réforme peine à se mettre en place, et ce n'est pas que les élus ne veulent pas : ils ne peuvent pas, parce que l'aide maximale de 140 euros ne suffit pas quand le surcoût atteint 300 euros, comme je l'ai vérifié dans mon département. Comment expliquez-vous cette différence ? Cela fait des sous...
Mme Caroline Cayeux. - Les quelque 100 euros correspondent à la dotation, si on y ajoute l'aide de la Caf. Celle-ci estime à 16,67 euros par heure le coût brut chargé d'encadrement. Combien d'enfants pourrons-nous encadrer ? Les recrutements risquent de faire exploser les coûts. La question des transports se pose différemment en communauté d'agglomération et en zone rurale, surtout quand le département ne participe pas - c'est le cas de l'Oise. Sur le plan financier, nous sommes très loin du compte.
M. Alain Fauconnier. - Avez-vous envisagé un financement par site plutôt que par élève, ainsi que par activité ? Les situations sont très différentes selon que les sites sont regroupés et les équipements disponibles. Certaines collectivités territoriales, dont la mienne, faisaient du périscolaire avant d'y être obligées par la loi.
Mme Maryvonne Blondin. - Bien sûr !
M. Alain Fauconnier. - C'était mon cas. Quand je ferai l'addition en fin d'année, je ne serai pas très loin de l'équilibre. Comment l'Education nationale traitera-t-elle cette diversité de situations ? Donner la même chose à tout le monde est absurde.
M. Pierre Martin. - Vous avez traité 4 100 dossiers, il en reste une centaine à apurer, avez-vous dit. Au total, 4 200 communes sont concernées en 2013. Combien le seront-elles en 2014 ?
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - 100%, c'est la loi !
M. Pierre Martin. - Toutes les communes qui ont opté pour les nouveaux rythmes scolaires feront-elles du périscolaire ? Ce n'est pas lié...
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Le coût estimé sur l'agglomération de Bordeaux va de 45 euros à 200 euros. Nous devrons préciser ces évaluations, trop disparates.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - La question du financement est centrale. Votre évaluation, comme celle de l'AMF, qui avait annoncé un coût de 150 euros, a été précipitée. En Alsace, le coût évalué peut monter jusqu'à 450 euros.
M. Guillaume Gaubert. - Nous devrons préciser ces évaluations. Toutefois, il n'y a pas de vérité comptable en ce domaine parce que nous ne pouvons pas lire ces dépenses dans les comptes des collectivités territoriales puis les traduire en coûts par élève. L'enquête de l'AMF est la plus récente : un tiers des communes n'a pas répondu (l'échantillon n'est pas d'une absolue représentativité) : un tiers n'a donné que des chiffres globaux ; le tiers restant est détaillé. Bien qu'elle en ait déduit un coût médian de 150 euros, l'AMF reconnaît qu'il est encore impossible d'en tirer une évaluation globale du coût de la réforme.
Il conviendra de tenir compte des grands types d'organisation retenus, d'observer les modélisations, et de considérer ce qui était déjà consacré au périscolaire, afin de mesurer le coût net, que l'on analysera par strate et en fonction des aides pérennes de la CAF. Les variations du simple au quadruple s'expliquent par celles du niveau de rémunération des intervenants, du taux d'encadrement, qui va d'un adulte pour dix élèves à un pour dix-huit. La Cnaf verse des aides à hauteur de trois heures d'activité périscolaire. Le Premier ministre lui a demandé d'augmenter le plafond.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Quand le Premier ministre a-t-il demandé à la Cnaf d'assouplir les conditions d'encadrement et qu'a-t-elle répondu ?
M. Pierre-Laurent Simoni. - La Caf ne cofinance que l'accueil de loisir sans hébergement (ALSH). L'expérimentation mise en place pour les prochaines années ne porte que sur les trois heures précédemment occupées par du scolaire. Le Premier ministre a demandé à la Cnaf de voir comment étendre la dérogation au reste du périscolaire.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Nous auditionnerons des représentants de la Cnaf la semaine prochaine. Nous serons très attentifs à leur réponse.
M. Guillaume Gaubert. - L'Insee évalue le coût unitaire moyen à 16,86 euros par heure. Trois heures d'accueil hebdomadaire coûteraient annuellement 182 euros par enfant avec un intervenant pour dix enfants, 130 euros avec un intervenant pour quatorze enfants, et 101 euros avec un intervenant pour dix-huit enfants. Je vous transmettrai la totalité des hypothèses de coût.
Tous les intervenants ne coûtent pas 16,86 euros par heure : il y a des bénévoles, des contrats aidés ou des sous-services. Il faut également savoir si des activités périscolaires existent déjà ou non. Nous pouvons évaluer des coûts bruts, seuls les maires sont en mesure de calculer les coûts nets. Cela vaut aussi pour les transports : nous n'avons pas accès aux chiffres détaillés. En tout état de cause, nous avons retenu des critères de répartition simples, rustiques même, car ce fonds n'a pas vocation à être pérennisé. Votre question vaut plutôt pour les aides de la branche famille qui sont calculées par élève et par heure : n'y aurait-il pas lieu de tenir compte de la diversité des situations ?
M. Alain Fauconnier. - Ces aides sont réparties par site et par activité. Une telle déclinaison répond mieux à la diversité des actions. Quand des associations de personnes âgées apprennent la couture à des élèves, il y a quatre ou cinq enfants par adulte - lequel n'a évidemment pas le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa). Et cela ne coûte rien.
M. Guillaume Gaubert. - Notre métier n'est pas de regarder les activités périscolaires avec le même luxe de détail que les équipes locales des Caf. Trois mille neuf cent quatre-vingt-quinze communes sont passées aux nouveaux rythmes scolaires à la rentrée 2013, auxquelles s'ajoutent des dossiers d'écoles privées.
M. Pierre-Laurent Simoni. - Nous attendons 4 120 dossiers : 3 995 communes et 125 écoles privées, pour lesquelles les communes ont fait le choix d'un versement direct. D'autres, environ 200, reçoivent les aides et les reversent aux écoles privées.
M. Guillaume Gaubert. - À la rentrée 2014, les modalités d'attribution des aides seront les mêmes. Il faudra respecter les nouveaux rythmes scolaires : neuf demi-journées, nombre d'heures maximum, pause méridienne d'une heure et demie par jour... il n'y a pas de condition liée au contenu des activités périscolaires - cela relève de l'école et de la commune.
M. Jean-Étienne Antoinette. - Le financement est lisible pour les deux prochaines années. Au-delà, avez-vous réfléchi à d'autres pistes ? Les fonds de la politique de la ville pourraient être utilisés.
M. Guillaume Gaubert. - Nous n'avons pas commencé à réfléchir à l'après-2014 : 286,3 millions d'euros sont à trouver pour 2015. À quel ministère le financement d'une aide pérenne devrait-il incomber ? Il ne va pas de soi que ce soit à l'Education nationale, qui est chargée du temps scolaire et non du périscolaire...
Mme Caroline Cayeux. - Le décaissement de l'État se fait-il par trimestre ou par mois ?
M. Guillaume Gaubert. - Le fonds paiera en deux fois. Il a fait un premier versement correspondant au tiers dû au titre de la rentrée 2013, pendant la troisième semaine d'octobre. Le solde sera versé en mars 2014. Notre objectif est de limiter la charge de trésorerie pour les communes. Le rythme devrait-être le même pour l'année 2014-2015.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Quantifier le coût pour les communes vous est impossible, avez-vous dit. Vous aurez d'ici mai des éléments très concrets sur la mise en oeuvre de la réforme par près de 4 000 communes. Envisagez-vous alors d'opérer un réajustement ?
M. Guillaume Gaubert. - Peut-être notre réflexion avance-t-elle lentement. Nous en sommes tout juste à la reconduction en 2014 des dispositions actuelles, telles que votées par l'Assemblée nationale et dont il n'est pas sûr qu'elles autorisent une autre modulation. Nous continuerons à contribuer au chiffrage, qui a été demandé à l'État. Bien entendu, nous restons à votre disposition pour éclairer vos travaux.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Y aura-t-il des points d'étapes ?
M. Guillaume Gaubert. - Nous sommes sortis de la Commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC) et de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), avec une demande très claire d'estimation des coûts. Comme nous n'aurons pas d'autres éléments que ceux de la rentrée 2013, nous poursuivrons certainement nos travaux.
M. Pierre Martin. - Je voudrais faire part d'une petite inquiétude. L'intérêt de l'enfant, qui est toujours mis en avant, doit se traduire dans les activités périscolaires. Par conséquent, les éducateurs doivent être choisis avec soin. L'objectif n'est pas de trouver du monde dans la rue. Quid de ce que l'on peut offrir aux enfants ?
M. Guillaume Gaubert. - Que nous ne réclamions pas de contreparties aux aides du fonds en termes d'organisation des temps périscolaires ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dialogue avec le ministère et ses services déconcentrés.
Mme Dominique Gillot. - Pour bénéficier des aides, il faut un projet éducatif territorial (PEDT) agréé par le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) et le préfet.
M. Guillaume Gaubert. - M. Delahaye vous répondra mieux que je ne saurais le faire. Le PEDT, qui est nécessaire pour demander une dérogation pour le samedi matin, est demandé par la CAF quand le taux d'encadrement est dérogatoire.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie infiniment de vos réponses.
Audition de M. Marcel Rufo, pédopsychiatre, chef de service à l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille
La mission procède ensuite à l'audition de M. Marcel Rufo, pédopsychiatre, chef de service à l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Après les aspects financiers, nous revenons à cet aspect fondamental qu'est l'intérêt de l'enfant, avec M. Marcel Rufo, pédopsychiatre connu et reconnu.
M. Marcel Rufo, pédopsychiatre, chef de service à l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille. - Je suis ravi d'évoquer avec vous ce splendide sujet pour un pédopsychiatre. Lorsque nous recevons un petit enfant dans les hôpitaux, nous réalisons avec lui des activités semblables à celles des activités périscolaires : théâtre, sports collectifs ou individuels...
Nous travaillons avec les chronobiologistes. Un enfant en difficulté est le plus attentif le mercredi ou le jeudi matin à 11 heures. Or, les contrôles se font le lundi matin ! Plus un entretien se prolonge, plus les difficultés d'attention s'accroissent ; l'enfant refuse les questions, son image se délite dans l'esprit de l'adulte.
L'enfant en difficulté souffre d'un trouble de l'estime de soi, comme si échouer était pour lui un moyen de valider sa singularité.
L'école a une importance colossale, quel que soit le milieu de l'enfant. Oui, mais certains milieux connaissent ses codes, d'autres non. En ce sens, l'enfant reproduit les modèles sociaux de ses parents...
Il est fréquemment invoqué contre la réforme des rythmes scolaires des risques de fatigue accrue des enfants. Or la fatigue n'existe pas chez l'enfant - il est plus fatigant que fatigué. Comment interpréter les mots de l'enfant qui, interrogé par ses parents, répond qu'il est fatigué ? S'agit-il alors de dépression, d'identification aux adultes, d'adhésion aux valeurs de la famille? Un enfant de 3 ans a quatre minutes trente d'attention, ce qui crée une appétence particulière pour le changement d'activités. Comment l'accueillir en dispersant les figures identificatoires ? L'enseignant est d'abord celui qui aide l'enfant à se séparer de ses parents pour grandir. En outre, un enfant se développe mieux en collectivité qu'auprès de sa mère.
Quelle école, alors, pour le plus grand nombre ? Les 15 % qui échouent ont besoin de plus de temps. Les parents ont parfois du mal à accepter l'écart entre l'enfant tel qu'il est parfois et l'enfant tel qu'ils l'auraient désiré. Les enseignants doivent d'autant plus être formés que les familles privilégient la scolarité pour masquer la difficulté d'apprentissage de l'enfant. Un enfant en situation de handicap ne serait-il pas plus à l'aide dans des activités de danse ou de théâtre que dans une scolarité dans laquelle il échoue ? Un enfant trisomique peut apprendre, mais ses acquis sont lents et fragiles : à l'école, il y a du rythme, des exigences, du travail, ce qui demande de la volonté.
On demande aux enseignants d'être meilleurs que nous-mêmes. L'école doit être parfaite, et l'institutrice compétente dans son enseignement et dans tous les domaines. Pourquoi ne pas utiliser le trésor que constitue le vivier des enseignants à la retraite ? Ils pourraient être utiles pour donner une seconde chance aux enfants. Rien n'est fermé, tout se joue toujours. Voyez les écoles de la seconde chance !
Comment les pays qui font mieux que nous dans le classement Pisa s'y prennent-ils ? D'abord, la scolarité précoce n'est pas un standard. Alors même qu'ils disposent de moyens financiers moins importants, les Finlandais placent les personnels les plus qualifiés auprès des élèves les plus en difficulté. Lors de mes ateliers avec les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), je constate un fort désir d'apprendre parmi les personnels, à condition de libérer leur créativité. Cette réforme, après laquelle il faudra revoir le dogme du collège unique, rappelle qu'il faut égaliser les chances. Commençons pour cela par éviter le délitement précoce de l'estime de soi. Sachons pour cela écouter les oppositions : les maires se plaignent du coût ; les enseignants s'interrogent sur la formation des animateurs ; ceux-ci voudraient que ceux-là les respectent... Evaluons aussi le discours des enfants libéré de tout discours adulte. À la télévision, un enfant de 9 ans se plaignait d'être fatigué après un atelier de théâtre... en ajoutant que sa maman lui avait dit de le dire.
L'aménagement des rythmes nous renvoie à la fonction de l'école. Celle-ci n'est-elle qu'une institution verticale, une lourde machinerie ou bien est-elle centrée sur sa mission pédagogique ? L'école a changé, elle n'est plus celle des hussards de la République. Loin d'être un sanctuaire, elle ouvre au monde comme elle s'ouvre au monde.
Qu'il est grand, le désir d'école ! Chacun souhaite pour ses enfants les études qu'il n'a pas faites. Ce phénomène de compensation se vérifie dans tous les milieux. En revanche, 30 % des enfants adoptés par des parents de milieux privilégiés souffrent de troubles cognitifs, soit dix fois plus que la norme dans ces milieux.
Nous avons la journée la plus longue et les vacances les plus importantes : c'est incompatible avec l'apprentissage. Il est temps d'exporter nos loisirs en Chine pour être compétitifs... Dans le pays génial qui est le nôtre, les enfants, fatigués, deviennent plus pessimistes que ceux du Rwanda. Quelle est cette société qui met les enfants et les adolescents en situation de crainte ?
Tous les acteurs doivent travailler ensemble. L'alliance, voilà le maître-mot. Dépassons les corporatismes, les ruptures entre enseignants et animateurs, famille et école. Pourquoi un enfant qui a réussi ne pourrait-il pas aider un enfant en situation d'échec ? Sommes-nous à ce point hors de toute solidarité ? Le harcèlement est un exemple : le surpoids en est la principale cause, qui renvoie aux inégalités sociales. Les reproduire à l'école est désastreux.
Les activités périscolaires proposées varient bien sûr selon les lieux. Certes, Paris offre 7 500 possibilités. Mais à Paris peut-on à part au jardin du Luxembourg, bien sûr - greffer un citronnier ? Y récolter des olives ? Il faut repenser la place du monde professionnel à l'école, intégrer les métiers. C'est minimaliste ? Peut-être, mais peut-on se contenter d'idéaliser les joueurs de football qui ont battu l'équipe d'Ukraine ?
Fils de pauvres, je sais ce que je dois à mes instituteurs, qui m'ont d'ailleurs demandé de ne pas le devenir, de faire autre chose. J'aurais aimé faire de l'aviron, du théâtre, de la musique... Si ma grand-mère ne m'avait pas appris à faire des pâtes, j'aurais aimé que quelqu'un me le montre, et j'aurais adopté cette grand-mère. C'est pourquoi je suis favorable à cette réforme. Les rythmes scolaires sont comme une pâte que l'on pétrit. La mesure est indiscutable pour les enfants en difficulté ; elle facilitera l'intégration des handicapés et diminuera la pression sur les enseignants. Pourquoi ne pas envisager une formation commune entre enseignants, animateurs, parents et politiques ? Construisons une alliance ! N'est-ce pas la fonction sacrée du maire que de mener une politique de la petite enfance ?
À la commission de suivi des rythmes scolaires, nous découvrons chaque jour des témoignages de pistes nouvelles. Le maire d'un petit village a créé un atelier de rien : l'on y rêve, ce qui n'est pas rien - Proust et Bachelard passaient leur temps à rêver... Il faudrait ainsi des classes d'ennui dans les collèges. C'est facile ? Utile surtout !
Combien de fois n'avez-vous pas vu au restaurant un enfant jouer avec une tablette. Inutile d'incriminer le jeu : les parents ont trouvé ce moyen pour occuper un gamin instable. Sa fatigue tient-elle à la modification des rythmes ou à la tablette ? L'école ne me fatiguait pas, elle me passionnait. Quand Albert Camus a reçu le prix Nobel, il a écrit à son instituteur, M. Germain, qui lui a répondu qu'il était heureux chaque matin d'aller à l'école parce qu'il allait lire dans les yeux de son petit Albert la joie des découvertes qu'il lui proposait. Il y a du Camus en tout enfant de la République. Il y a des liens entre la pratique de la voile et la géométrie, le théâtre et l'affirmation de soi, etc... Lorsque des ateliers théâtre sont mis en place, les consultations chez le psychiatre diminuent.
Si créer des objets pour que les enfants apprennent est plutôt montessorien, Célestin Freinet, lui, utilise l'exposé oral devant les parents invités - tous les députés ont été délégués de classe. À la « maison de Solenn », où nous avions tout, les médecins prescrivaient également des soins culturels ; les adolescents privilégiaient une poétesse libanaise qui les faisaient écrire librement : Roméo et Juliette en hôpital de jour, en somme. La clef est de donner aux enfants plus de chance que nous n'en avons eu. Cette réforme serait plus efficace le samedi matin que le mercredi, mais il faut tenir compte des familles recomposées, des nouvelles familles : après tout, les hommes ont accepté leur féminité et sortent les poussettes, quel progrès !
Oui, cela demande de l'organisation, de la réflexion, de la souplesse. Bref, la rigueur est de mise : c'est l'école, en quelque sorte. Tout cela mérite un travail en alliance qui accroîtra la confiance dans l'école de notre pays. Est-il exagéré de demander aux professeurs de mon centre hospitalier universitaire (CHU) de consacrer cinq demi-journées à des exposés devant des classes ? Nous disposons des moyens, sachons les articuler. Dans le détail, des aménagements sont possibles, il est possible de modifier les ratios. Je crois à l'alliance et à la sécurité pour les familles si le débat s'apaise. Comment croire à une école où les enfants sont attaqués pour leur poids, pour leur sexe, pour leur morphologie, pour leur vêture, pour leur handicap ? Nous devons tous nous relever les manches.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Merci pour cet enthousiasme et cet optimisme contagieux !
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Bien sûr, tout a un coût, mais merci pour cet enthousiasme et votre simplicité dans l'expression. Cette réforme fait tomber les barrières, pour que l'enfant bénéficie de l'expérience de tous, des enseignants comme de la dame de service. Un enfant se construit au fil de ses rencontres. Comment se libérer de normes qualitatives censées nous rassurer ?
M. Marcel Rufo. - C'est sûr, cette réforme propose du « désordre ». Prenez cet Anglais, qui s'ennuie dans son manoir normand et donne des cours d'initiations de langue anglaise à l'école, trois heures par semaine. Le résultat est là, car l'apprentissage des langues se joue avant trois ans. A Marseille, une mère de famille marocaine donne des cours de cuisine. La différence est un enrichissement, non une contradiction. La réforme rend le pouvoir aux terroirs : voilà la revanche des Girondins. Autant le redoublement en primaire me désole, autant la reprise des difficultés en sixième est utile. Aux notes séquencées, préférons dans le primaire des examens tous les trois mois. Cela évitera bien des phobies.
L'inventivité est à la base de la réussite. Les communes rurales, avec peu de moyens, en s'appuyant sur les associations de 1901, réalisent un travail remarquable et sont en pointe parce qu'elles déploient des trésors d'imagination. Pourquoi ces associations ne donneraient-elles pas à la collectivité à la mesure de ce qu'elles reçoivent ? Cette réforme n'est pas synonyme de désordre mais d'inventivité.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Ce que vous proposez n'est pas le désordre, mais une construction d'ensemble qui doit reposer sur l'alliance de tous. Précisément, cette visée, fondée sur le plaisir d'apprendre, n'est-elle pas contradictoire avec la réforme des rythmes scolaires qui n'est qu'une mesure partielle ? Cette réforme ne manque-t-elle pas de sens, d'où l'imbroglio dans lequel nous sommes entrés ?
M. Alain Fauconnier. - J'ai mis en oeuvre la réforme. L'enthousiasme des parents, des enseignants et des enfants est réel : sur dix-huit classes, pas un seul gréviste sur 18 classes de primaire, mais il y en a eu dans les maternelles. Quels sont vos conseils pour les enfants de 2 à 4 ans ?
Mme Dominique Gillot. - J'ai été sensible à la thématique de l'alliance pour transmettre des savoirs diversifiés aux enfants. Cependant, lorsque nous mettons en oeuvre la réforme, nous sommes confrontés à la suspicion, à la défiance, comme si chaque adulte cherchait à se protéger de l'autre. Les enseignants ont pourtant toujours fait appel à des personnes extérieures. Pourquoi ces craintes ?
Mme Marie-Annick Duchêne. - J'ai également été sensible au mot alliance parce qu'à l'école, le climat n'est pas apaisé, donc l'alliance est nécessaire. L'Education nationale ouvre-t-elle davantage l'école sur le monde pour que les enseignants puissent suivre les conseils d'autres personnes ?
M. Jean-Claude Carle. - Hervé Bazin disait des enfants : tous égaux, tous non pareils. Les difficultés que nous rencontrons ne tiennent-elles pas à la méthode ? Il faut une rupture de méthode, la rue de Grenelle doit passer de la logique de la circulaire à celle de la consultation. Les rythmes scolaires doivent-ils être découplés d'autres rythmes, y compris, en montagne, ceux de la météo ?
M. Marcel Rufo. - Le pessimisme de notre nation est très curieux. Pourquoi douter, alors qu'elle recèle un splendide potentiel ? La protection maternelle et infantile (PMI) des seules Bouches-du-Rhône dispose d'autant de personnel qu'un État africain entier pour les mêmes tâches ! Je ne comprends pas qu'au lieu d'organiser des articulations, l'on saucissonne. Cette réforme réussira si les enseignants, dont la représentation sociale a changé, comprennent qu'elle les aide.
Je crois à une réponse positive. Rien n'est figé. Nos enfants constituent notre richesse. En rugby, c'est un pack qui pousse en mêlée. Il faut s'appuyer sur les différences qui enrichissent. Les parents ont tendance à suspecter l'école et l'on n'entend que ceux qui sont contre. S'il faut les écouter pour éviter une radicalité, privilégions le consensus, aidons à surmonter les craintes, proposons de la formation. Dans les services de néonatalogie, les assistantes de puériculture jouent un rôle essentiel en prenant la main de la mère qu'elles font chanter au-dessus de la couveuse. En l'occurrence, les ressources sont chez les plus modestes : sachons écouter, ouvrons le débat, refusons les diktats.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Une question me taraude, que pensez-vous des deux mois de congé d'été ?
M. Marcel Rufo. - Ils sont trop longs : il faudrait les ajuster aux cinq semaines de congés payés. Les ruptures de la Toussaint, de Pâques, aggravent les choses pour les plus fragiles. Les officines de travail scolaire gagnent des millions d'euros grâce à la culpabilité des parents les plus modestes. Est-ce acceptable ? À nous de réaliser la fameuse 25e heure pour des récupérations. Je suis convaincu que nombre d'anciens instituteurs seraient prêts à revenir travailler.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - L'idéal serait de s'attaquer à l'organisation annuelle. Une politique des petits pas peut-elle réussir ?
M. Marcel Rufo. - Seule l'évaluation le dira. Un sociologue me décrivait les difficultés rencontrées sur les locaux, sur les moyens financiers, avec les parents... Mettons des chiffres sur la table, voyons ce que cela a donné. L'Education nationale est quand même une puissante institution, ce qui explique une absence de mobilité, une difficulté à accompagner les nouveaux enseignants envoyés en ZEP. Cette administration doit se réformer pour pouvoir réformer le pays.
M. Jean-Étienne Antoinette. - La République n'est pas uniforme. Il faut en tenir compte. Chez nous les enfants doivent prendre la pirogue pour aller à l'école.
M. Marcel Rufo. - J'étais récemment sur le Maroni. Les instituteurs, en Guyane, sont incroyables. Les enfants font sept ou huit heures de pirogue pour aller à l'internat. Un enfant, qui devenir instituteur, ne voulait pas se séparer de ses parents pour aller au collège. L'instituteur a proposé à ce petit Camus amérindien de l'héberger. Les difficultés s'effacent devant la solidarité.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie beaucoup.
Audition de M. Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l'Education nationale, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'Education nationale
La mission procède enfin à l'audition de M. Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l'éducation nationale, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous recevons maintenant M. Delahaye, inspecteur général de l'Education nationale, et directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'Education nationale.
M. Jean-Paul Delahaye, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'Education nationale. - La réforme de l'organisation du temps scolaire à l'école maternelle et primaire résulte du décret du 24 janvier 2013 et s'inscrit dans la priorité pour l'école primaire, qui est l'un des piliers de la refondation de l'école. Elle répond aux préconisations de nombreux rapports, et sa nécessité a été soulignée par les récents résultats de l'enquête Pisa. L'ambition première consiste à accroître l'efficacité des apprentissages. Ce n'est pas une fatalité que 15 % à 20 % des enfants soient en grande difficulté, que cette proportion s'accroisse, ni que l'origine sociale des élèves pèse autant dans les résultats scolaires.
En mettant fin à des journées trop longues et mal réparties dans l'année, la nouvelle organisation du temps scolaire fournira du meilleur temps pour que les élèves réussissent mieux. Sa mise en oeuvre sera nécessairement collective, y compris au sein de l'Education nationale. Des comités de suivi ont été installés à tous les niveaux. Au niveau national, le comité que préside Françoise Moulin-Civil, la rectrice de Lyon, rendra un premier bilan dans quelques jours. L'ensemble du système éducatif s'est mobilisé.
L'outil de gestion des personnels du premier degré, AGAPE, nous montre comment s'organise le temps scolaire de leur point de vue, en retraçant les heures d'entrée et de sortie dans les écoles. Les trois quarts des écoles ont choisi des rythmes réguliers. Les services départementaux nous communiquent en temps réel les données relatives à la mise en oeuvre de la réforme : aucune difficulté n'a été signalée pour 93 % des communes concernées. Cela ne signifie que tout s'est passé tout seul dès le jour de la rentrée ; la concertation a facilité les réglages nécessaires.
Au plus près du terrain, des formations multicatégorielles sont mises en place pour tirer parti du nouveau temps scolaire. Des rencontres sont organisées au niveau national, pour approfondir l'aspect pédagogique de la réforme - le comité national de suivi fera son miel des actes d'un séminaire regroupant directions académiques de l'éducation nationale (DASEN) et inspecteurs de l'éducation nationale (IEN).
Nous avons pris conscience de la nécessité de transmettre des recommandations pédagogiques aux équipes des écoles maternelles : celles que nous avons adressées la semaine dernière insistent sur le respect d'une alternance équilibrée entre temps de repos et activités, l'aide aux enfants pour identifier les lieux et les personnes, ainsi que sur la transition entre temps scolaire et périscolaire, sans oublier l'adaptation des activités aux besoins des enfants. En janvier, de semblables recommandations seront adressées aux écoles élémentaires. La mise en place de la réforme est globalement satisfaisante, grâce à la souplesse de la réglementation, qui a rendu possibles les ajustements nécessaires. Si, très rarement, des organisations ont été suspendues, ça a été le temps de trouver des solutions. Aucune équipe pédagogique ne souhaite revenir en arrière.
En 2013, 3 995 communes sont concernées : seules 258 ont procédé à des ajustements, dans les limites autorisées par le décret de janvier. L'enquête de l'Association des maires de France (AMF) a confirmé les chiffres fournis par les académies : nous n'enjolivions pas la réalité. Le plus souvent, les nouvelles organisations ont été proposées par des municipalités. C'est un changement radical ! Les maires, qui n'avaient la possibilité de modifier les heures d'entrée et de sortie d'école que de manière ponctuelle, peuvent prendre des initiatives dans l'organisation du temps périscolaire. Ces activités sont bien fréquentées et le sont de plus en plus.
La réforme se construit dans le dialogue et la recherche du consensus, grâce à l'engagement de tous les acteurs. Le partenariat entre l'Education nationale et les collectivités territoriales pour l'éducation des enfants s'en trouve renforcé : l'école et les territoires se parlent. Grâce à ce nouveau dialogue, les maires se ressaisissent de la question scolaire. Par exemple, certains se félicitent d'avoir connaissance des projets d'école.
M. Michel Le Scouarnec. - C'est déjà le cas !
M. Jean-Paul Delahaye. - Bien sûr ! Nous avons été tout aussi étonnés que vous... Voilà un apport majeur de la réforme : sans qu'il y ait confusion des rôles, l'école redevient l'affaire de tous. Le projet éducatif territorial dynamise les choses. Sur 3 995 communes, plus de 1 700 ont ou finalisent un projet éducatif territorial. En zone rurale, la mutualisation et la concertation se développent ; des outils informatiques de suivi des activités périscolaires, des guides de bonnes pratiques, se multiplient ; l'utilisation partagée de la salle de classe, qui a pu être vue par les enseignants comme une atteinte à leur identité professionnelle, fait l'objet de chartes ou de codes de bonne conduite qui les rassurent ; des formations se mettent en place.
La généralisation progresse de façon satisfaisante en dépit de la période électorale qui s'annonce. La préparation de la rentrée 2014 se déroule convenablement. L'annonce par le Premier ministre de la reconduction du fonds d'amorçage a rassuré les élus locaux, tout comme l'extension du calendrier à fin janvier 2014. Les recteurs et DASEN ont pour consigne d'apporter aux élus tout l'appui dont ils peuvent avoir besoin. Plus de 300 personnes sont investies de cette mission : dans l'académie de Limoges il y a un chargé de mission auprès de chaque DASEN. Je ne nie pas les difficultés, mais aucune ne semble insurmontable.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Votre remarque sur le contexte électoral m'a surprise.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Quand un maire ne se représente pas, c'est compliqué.
M. Jean-Paul Delahaye. - Je voulais simplement dire que l'école ne vit pas dans une bulle et tient compte du contexte.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Vous balancez entre optimisme et réalisme. Certes, les DASEN assurent que 93 % des communes ne rencontrent aucune difficulté, mais le constat mérite d'être nuancé. Le dialogue entre élus et enseignants, surtout s'il est historiquement installé, est un facteur crucial du succès de la réforme ; ailleurs, les chargés de mission que vous avez signalés sont particulièrement utiles parce que les maires se sentent isolés, pris entre des revendications contradictoires. Lors des réunions que j'ai tenues, les parents ont regretté de ne pas disposer d'un texte sommaire leur expliquant les motifs de la réforme. L'information n'a pu leur parvenir qu'à travers des enseignants ou des élus. C'est dommage ! Il faudrait sans doute regarder de ce côté-là...
Cette réforme bouleverse les schémas du fonctionnement de l'école, ainsi que l'organisation pédagogique du temps scolaire par les enseignants. Des modules de formations sont-ils prévus pour les accompagner dans la réforme ? Celle-ci ne sera efficace que si elle s'accompagne d'évolutions pédagogiques.
Enfin, une question que l'on nous pose souvent : quand l'école privée ne souhaite pas passer aux nouveaux rythmes scolaires, cela complique les choses pour la commune qui doit ouvrir simultanément l'école publique et le centre de loisirs ; y a-t-il une réponse réglementaire ?
M. Jean-Paul Delahaye. - En effet, le dialogue et la concertation ont favorisé la mise en oeuvre de la réforme. Là où ils font défaut, nos équipes sont extrêmement présentes. Dans l'académie de Grenoble, les inspecteurs de l'Education nationale (IEN) ont tenu deux réunions par jour en novembre. Certains maires ont pu se sentir isolés, j'en suis conscient ; l'effort d'explication en direction des parents n'a pas été suffisant, je le reconnais. C'est pourquoi nos recommandations aux écoles maternelles sont destinées à l'ensemble de la communauté éducative, parents y compris. Nous avions pensé que les quatre jours et demi étaient encore présents dans la mémoire collective. Ce n'est pas le cas, dont acte. Nous avions également cru que l'information allait passer à travers les conseils d'école qui comprennent des représentants des parents d'élèves ; des IEN réunissent maintenant l'ensemble des parents.
La réforme bouleverse la pédagogie, bien sûr. Elle le doit ! Il faut que la demi-journée supplémentaire transforme le temps scolaire et le rende meilleur. Des stages de formation sont organisés. Beaucoup d'enseignants nous ont déjà dit leur satisfaction de retrouver un temps plus utile que les quatre fois six heures dont ils disposaient.
Que faire le mercredi matin ? Des apprentissages fondamentaux, comme les quatre autres matinées ? Ce n'est pas forcément le meilleur choix dans la mesure où d'autres activités ne trouveraient plus leur place dans l'organisation des temps scolaires. Une journée de cinq heures quinze ou de cinq heures ne s'organise pas comme une journée de six heures. Le temps d'enseignement sera plus efficace. L'école privée est libre de son organisation. Nous appliquons la loi.
M. Michel Le Scouarnec. - J'ai été enseignant et maire, je comprends bien la problématique. La réussite dépend de la motivation de tous. Or il y a une grande disparité de moyens entre collectivités. Pour faire réussir ceux qui ne réussissent pas, il faut remédier à ces disparités. Le bonus peut venir d'un périscolaire de grande qualité. Dans certaines communes, les équipements culturels et sportifs sont plus rares que dans d'autres. N'allons-nous pas accroître les inégalités ?
Mme Dominique Gillot. - Après les discours pleins de conviction du ministre, l'administration s'efforce d'accompagner la réforme. L'accompagnement est-il pluricatégoriel et d'autres ministères sont-ils associés, à commencer par la Jeunesse et les sports ou la culture ? Il faut mobiliser toutes les compétences pour réussir les projets éducatifs territoriaux (PEDT).
Mme Colette Mélot. - Comme toute réforme, celle-ci inquiète une partie de la population. Elle est perçue différemment selon que les communes sont urbaines ou rurales. Lors des consultations, il est apparu que trois quarts d'heure par jour ne suffisent pas pour développer certaines activités. Est-il possible d'opérer des regroupements, par exemple de réserver une demi-journée à des activités périscolaires ?
Mme Maryvonne Blondin. - Même dans les communes qui disposaient d'un projet éducatif territorial, des crispations sont apparues autour de l'utilisation des trois quarts d'heure, bien trop brefs pour une activité pédagogique. Ensuite, le temps de l'administration n'est pas celui des élus : à peine la circulaire leur est-elle parvenue que les communes ont dû renvoyer leurs projets. Ces maladresses ont été sources de crispations. Combien de communes ont- choisi le samedi matin ? Enfin, les parents aimeraient disposer d'une notice explicative, ainsi que d'un calendrier des activités.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Vous souhaitez rendre le temps scolaire plus efficace. Comment articulez-vous le temps pédagogique avec les avancées des sciences cognitives ? Avez-vous à un moment donné envisagé de revenir à la situation de 2008, c'est-à-dire à vingt-six heures hebdomadaires, afin de mieux prendre en compte les activités culturelles et artistiques ?
M. Jean-Étienne Antoinette. - L'objectif est de réduire l'échec scolaire. L'enjeu est décisif en Guyane qui connaît un taux d'échec scolaire supérieur de 10 % à la moyenne. Peut-on imaginer une adaptation du schéma national en fonction des particularités locales ?
M. Jean-Paul Delahaye. - La réforme inquiète, avez-vous dit. Ce qui m'inquiète, moi, c'est le bilan dressé par l'OCDE dans l'étude Pisa. Quel choc ! En neuf ans le nombre d'élèves en grande difficulté a augmenté de 30 % et nous sommes le pays où l'origine sociale détermine le plus les résultats scolaires. La réforme du temps scolaire, qui n'est qu'un aspect de la refondation de l'école, sera très utile aux enfants défavorisés. Ce temps mieux organisé, nous l'articulerons avec les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé), qui ont une fonction universitaire de recherche, avec l'Institut français de l'éducation (IFE), de Lyon, ainsi qu'avec les évaluations de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, tandis que la formation continue vulgarisera les acquis de la recherche pédagogique.
Il n'a pas été envisagé de revenir à vingt-six heures sur trente-six semaines car notre problème n'est pas le manque de temps scolaire, mais son utilisation. Il s'agit de déterminer le contenu des programmes. Tous les enseignants se plaignent de leur lourdeur, qui est une source de difficultés pour les enfants. Le Conseil supérieur des programmes doit formuler des propositions.
Oui, il faut que tout le monde soit motivé. Il nous appartient d'expliquer cette réforme, afin de dépasser les intérêts particuliers, tout en écoutant chaque intervenant. Il nous incombe également de ne pas creuser les écarts. Les élus que vous êtes le savent bien, les inégalités existent : seulement 20 % des enfants bénéficient d'activités périscolaires. Que font les autres, tout le mercredi, au pied des immeubles ? À cet égard, cette réforme sert de révélateur.
Au-delà du soutien financier, l'accompagnement de la réforme est pluricatégoriel au sein du ministère : des inspecteurs, mais aussi des professeurs des écoles.
Mme Dominique Gillot. - Est-il aussi plurisectoriel ?
M. Jean-Paul Delahaye. - Bien entendu, les comités de suivi locaux réunissent tous les partenaires, y compris les représentants des ministères de la jeunesse et des sports et de la culture. Le ministère de la jeunesse et des sports, qui est au contact des associations et des élus, a d'ailleurs rédigé un guide à destination de ces derniers.
Les trois quarts d'heure n'ont jamais été présentés comme une obligation. Il s'agit simplement d'une moyenne. D'ailleurs, 23 % des communes ont choisi d'augmenter la durée des journées pour dégager deux plages d'une heure et demie. En revanche il n'est pas permis de cumuler les activités périscolaires sur une demi-journée, car le but de la réforme est de dégager neuf demi-journées de temps scolaire. Bien que le rythme de trois quarts d'heure ait été retenu dans 61 % des cas, tous les ajustements sont possibles dans le cadre du décret.
Des maladresses ont pu être commises. Nous n'avons jamais eu l'intention de demander à une commune de rédiger un PEDT en quelques jours. Ce serait absurde ! Une telle construction suppose une réflexion de longue haleine.
Trente-sept communes seulement ont demandé une dérogation pour le samedi matin. La consultation préalable au décret a été utile ! Tout le monde nous avait dit qu'il valait mieux prévoir le mercredi matin que le samedi matin, mais sans exclure une dérogation pour cette date. Il me semble que la proportion de communes adoptant le samedi matin pourrait être plus importante à la prochaine rentrée.
Mme Maryvonne Blondin. - Oui.
M. Jean-Paul Delahaye. - Le temps périscolaire n'est pas de la responsabilité de l'Education nationale. Pour autant, celle-ci ne s'en désintéresse pas. Notre grande responsabilité est de veiller à sa bonne articulation avec le temps scolaire. Les quelques incidents relayés par les médias ont été rapidement résolus. Des municipalités ont mis en place des outils spécifique. Renseignée par les directeurs d'écoles, notre base élèves, qui est parfaitement compatible avec les instruments statistiques des communes, a rendu bien des services.
Peut-il exister un dispositif particulier en Guyane ? Tant que le décret du 24 janvier 2013 est appliqué, tous les ajustements sont possibles dans ce cadre, M. r Antoinette. Je vous invite à faire des propositions à votre recteur.
M. Jean-Étienne Antoinette. - À Kourou j'ai appliqué la réforme des rythmes scolaires, mais d'autres communes souhaiteraient supprimer des cours les après-midi.
M. Jean-Paul Delahaye. - Je sais comment se pose la question de l'organisation du temps scolaire et les besoins des enfants en termes de restauration scolaire. Mme Pau-Langevin est très mobilisée et nous venons de renforcer les fonds sociaux. Discutons-en.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Des enseignants peuvent parfois participer à l'organisation du temps périscolaire. Selon quelles modalités et pour quelle rémunération ? S'agira-t-il d'heures supplémentaires ?
M. Jean-Paul Delahaye. - Voilà longtemps que les maires peuvent demander aux enseignants, pourvu qu'ils soient volontaires, d'assurer des activités périscolaires, par exemple pour les études surveillées ou pour la cantine. Nous éditons chaque année au Bulletin officiel un barème horaire. Environ 6 % des intervenants sont des enseignants, ce qui n'est pas négligeable, surtout dans les zones rurales. Cette proportion pourrait d'ailleurs s'accroître avec la généralisation de la réforme.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je vous remercie beaucoup de votre contribution.