- Mardi 15 octobre 2013
- Mercredi 16 octobre 2013
- Avenir et justice du système de retraites - Examen du rapport pour avis
- Préfectures et réorganisation territoriale de l'État - Contrôle budgétaire - Communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale
- Demandes de saisine pour avis et désignation de rapporteurs pour avis
- Situation économique et financière de la Lettonie avant son entrée dans la zone euro au 1er janvier 2014 - Communication de M. François Marc, rapporteur général
- Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) -Contrôle budgétaire - Communication de M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial
- Jeudi 17 octobre 2013
Mardi 15 octobre 2013
- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président -Economie sociale et solidaire - Examen du rapport pour avis
La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport pour avis de M. Jean Germain, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 805 (2012-2013) relatif à l'économie sociale et solidaire.
M. Yvon Collin, président. - Le président Philippe Marini est retenu à Vilnius, où il représente le Sénat avec Marc Massion à l'occasion de la première conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière, issue de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - Le projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire a pour ambition de définir le périmètre précis de ce secteur, de faciliter la transmission d'entreprises à leurs salariés, de moderniser le régime des coopératives et d'aménager l'environnement juridique des mutuelles, institutions de prévoyance, associations, des fondations, fonds de dotation, structures d'insertion par l'activité économique. Quatre commissions du Sénat ont souhaité en être saisies : commission des affaires économiques, saisie au fond, commission des lois, commission des affaires sociales et commission des finances. J'ai donc limité le champ de notre saisine pour avis aux dispositions qui relèvent évidemment de notre compétence.
Il s'agit d'abord de celles relatives aux sociétés d'assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance, et en particulier de la création de titres financiers spécifiques. Ils sont dénommés certificats mutualistes s'ils sont émis par des sociétés d'assurance mutuelle, qui relèvent du code des assurances, ou par des mutuelles, qui relèvent du code de la mutualité. Ce sont des certificats paritaires s'ils sont émis par des institutions de prévoyance, qui relèvent du code de la sécurité sociale. Le but est de renforcer les fonds propres de ces organismes, en tenant compte de trois exigences : respect des principes mutualistes, satisfaction des critères prudentiels, protection des épargnants.
Les certificats ne donnent ni droit de vote supplémentaire en assemblée générale, ni droit sur l'actif net de l'émetteur. Les mutuelles sont des sociétés de personnes. Le présent texte leur applique des outils venant d'autres horizons, pour leur permettre d'augmenter leurs fonds tout en respectant leur nature. Les souscripteurs seront uniquement des personnes liées par une affectio societatis directe ou indirecte à l'émetteur : sociétaires, membres participants, adhérents, assurés des organismes membres du même groupe que l'émetteur, et tous organismes d'assurance mutualistes ou paritaires. Je vous présenterai sur ce point un amendement d'harmonisation entre les différents types de certificats. La souscription visant d'abord à soutenir l'émetteur, la rémunération des certificats est plafonnée à une fraction des résultats, par un système qui sera défini par décret et lissé dans le temps.
Pour pouvoir être comptabilisés intégralement dans la couverture des engagements de l'assureur, les fonds doivent avoir un caractère de permanence : l'émetteur ne doit pas être obligé de rembourser ou de racheter les titres, ceux-ci doivent éventuellement absorber les pertes d'exploitation et la rémunération doit être flexible. C'est le cas des certificats : rémunération décidée discrétionnairement par l'assemblée générale, capital subordonné, pas de remboursement sauf en cas de liquidation de l'émetteur et après désintéressement de l'ensemble des créanciers, rachats par l'émetteur à la valeur nominale, facultatifs, contingentés et sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; enfin, pas de cession de gré à gré. Pour les rachats, le projet de loi définit un ordre de priorité : je vous proposerai à ce sujet un amendement d'harmonisation.
Le projet de loi renvoie aux obligations, telles que définies le code des assurances et le code de la sécurité sociale, touchant certaines opérations de capitalisation. Je vous proposerai un amendement visant à clarifier et renforcer ces dispositions. La détention de tels titres est particulièrement contraignante pour les souscripteurs : nous ne voulons pas créer des subprimes... Assorti de mes amendements, le dispositif est équilibré, étant entendu que les titres ne rémunéreront sans doute pas l'intégralité du risque porté par les détenteurs. Cet investissement est avant tout un acte volontaire et militant.
Le texte favorise aussi le développement de la coassurance : plusieurs assureurs pourront proposer ensemble un contrat pour couvrir un risque excédant les capacités de chacun, à l'instar de ce qui se pratique déjà en matière de risques industriels. Avec la loi du 14 juin 2013 est apparue la nécessité d'étendre la coassurance au secteur de l'assurance des personnes. Aujourd'hui les règles sont différentes selon les catégories d'intervenants, qui ne peuvent, dès lors, s'associer à une même opération de coassurance. L'article 34 met en cohérence leurs obligations - information précontractuelle, notice d'information, clauses bénéficiaires, facultés de renonciation et de résiliation, délais de prescription et interruption de la prescription, poursuite de la garantie en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires de l'employeur.
La possibilité de recourir à la coassurance est particulièrement nécessaire pour les mutuelles, dont la taille et le champ géographique ne correspondent pas toujours à l'ampleur des contrats de branche : certaines mutuelles, régionales, rencontrent des problèmes pour passer des contrats nationaux.
Les principes de gouvernance propre au secteur mutualiste sont préservés : les salariés couverts par de tels contrats bénéficient du statut de sociétaire et d'adhérent de chacune des sociétés d'assurance mutuelle participant à l'opération de coassurance. Le dispositif proposé constitue un progrès, même si la gouvernance de ces organismes risque d'être compliquée par l'augmentation du nombre de sociétaires ou d'adhérents.
En outre, nous devons émettre un avis sur certaines dispositions relatives aux associations, aux fondations et aux fonds de dotation, regroupées au sein des titres V et VI du projet de loi. Les associations sont autorisées à émettre des obligations depuis 1985. Les titres associatifs ne sont remboursables qu'à la seule initiative de l'émetteur : ce sont donc quasiment des fonds propres. En outre, quand il n'est pas fait appel public à l'épargne, les obligations émises par les associations sont rémunérées à un taux plafonné, qui est la somme du taux moyen du marché obligataire (TMO) du trimestre précédent et d'une rémunération définie par arrêté et qui ne peut excéder 3 %. Les associations font peu usage de ces titres, qui restent mal connus des investisseurs. Ceux-ci sont rebutés par les incertitudes sur la date et sur l'occurrence même du remboursement. Si bien que seules quelques dizaines d'opérations ont été réalisées depuis l'origine.
L'article 40 vise à donner un nouveau souffle à ce mode de financement en faisant des titres associatifs des instruments plus conformes aux pratiques du marché. Il borne l'horizon de remboursement ; désormais les contrats d'émission pourront prévoir le remboursement à une échéance déterminée, au moins sept ans, dès lors que les excédents constitués depuis l'émission, déduction faite des éventuels déficits constitués durant la même période, dépassent le montant nominal de l'émission. Ces nouveaux titres, à durée déterminée, pourront inclure une rémunération additionnelle à définir par arrêté dans la limite de 2,5 %. Ainsi, le taux maximal de ces dernières opérations pourrait s'établir, dans les conditions actuelles de taux, à 7,3 %. Je suis favorable à ces dispositions, mais vous proposerai un amendement destiné à mieux encadrer les émissions.
L'article 47 octroie aux fondations le droit d'émettre de tels titres : j'y suis favorable. Quant à l'article 46 relatif aux fondations d'entreprises, il prévoit que les mandataires sociaux, sociétaires, adhérents ou actionnaires de l'entreprise fondatrice pourront effectuer des dons à ces structures, à l'instar de leurs salariés. Ces dons seront-ils déductibles fiscalement ? La loi ne le dit pas et c'est à une prochaine loi de finances qu'il reviendra de trancher cette question. Pour l'heure donc, seuls les dons des salariés sont déductibles. Je n'ai pas d'opposition à formuler sur l'article.
Les articles 41 et 42 définissent le droit applicable en cas de fusion ou de scission d'associations - les fusions sont de plus en plus fréquentes. Je suis très favorable à l'adoption de ces articles, qui combleront un vide juridique : actuellement, deux associations qui se fondent en une nouvelle doivent repartir à zéro, en abandonnant tous les agréments ou toutes les autorisations dont elles disposent. C'est un obstacle parfois dirimant à la rationalisation du paysage associatif. Ce texte ne contient pas de dispositions fiscales stricto sensu. Cependant, après l'adoption du texte, l'administration fiscale pourra étendre à ces opérations le régime de sursis d'imposition et de droits de mutation forfaitaires applicables aux fusions de sociétés. Il faudra veiller à ce que la direction de la législation fiscale (DLF) s'empare bien du sujet.
L'article 48 propose une légère modification des conditions de création des fonds de dotation, introduits par la loi de modernisation de l'économie de 2008. Ces outils se caractérisent par leur grande simplicité de fonctionnement par rapport aux traditionnelles fondations reconnues d'utilité publique. Sans remettre en cause cet atout, l'article 48 vise à éviter que se multiplient des fonds dormants en proposant d'instaurer une dotation minimale au moment de la création d'un fonds, dont le montant serait fixé par décret. L'étude d'impact précise que le Gouvernement envisage un montant de 25 000 euros. Je n'ai pas d'opposition particulière à cela mais vous proposerai un amendement encadrant le pouvoir réglementaire.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous inviterai à émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
M. Richard Yung. - Le mouvement associatif enrichit la vie civique et sociale dans nos collectivités : ces dispositions, au demeurant assez complexes, vont dans le bon sens. Je suis surpris du taux que vous avez évoqué : 7,3 %, c'est un bon placement ! Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Mme Marie-France Beaufils. - Ce texte comporte des mesures très intéressantes, comme les facilités de reprise d'une entreprise par les salariés. Sur certains points, complexes, il me faudra creuser encore le sujet, je pense aux certificats paritaires. Quant aux fondations, elles ont des buts très divers. Ne faut-il pas réserver les dispositions à celles qui sont véritablement dans le champ de l'économie sociale et solidaire ?
M. Dominique de Legge. - Je ne suis pas sûr de comprendre la finalité de ce texte. Je n'y retrouve pas le choc de simplification annoncé : création d'un conseil supérieur de l'économie sociale, de chambres régionales de l'économie sociale, de pôles territoriaux de coopération économique...
L'article 5 est particulièrement remarquable : il consiste en une phrase unique de sept lignes, quasiment sans ponctuation. Illisible ! Malgré les efforts pédagogiques du rapporteur, que je remercie, j'aurai besoin de cours supplémentaires.
M. Aymeri de Montesquiou. - Pour tempérer l'optimisme de mon collègue, je signale que le taux de 7,3 % n'est assorti d'aucune garantie...
M. Yvon Collin, président. - Dans l'exposé des motifs du projet de loi sont évoqués la « création de nouveaux référentiels économiques » et le souci de « produire autrement », avec un « bénéfice pour tous ». Au moment où l'on débat de l'avenir économique du pays à dix ans, pensez-vous que le défi peut être relevé à cette échéance ?
M. Jean Arthuis. - Ce texte me plonge dans l'embarras. L'intention est bonne, mais la sémantique me gêne. Toutes les entreprises n'ont-elles pas une dimension sociale ? Chaque gouvernement ne les appelle-t-il pas à créer des emplois ? Je signale aussi que certains groupes de grande distribution ont une forme de coopérative... Et qu'au nom de l'économie sociale et solidaire, sont parfois commis des actes dont l'intérêt social n'est pas évident. Enfin, les articles sont trop longs, le texte crée des conseils et des structures nouvelles : ce n'est pas ainsi que l'on aidera la France à relever les défis de la compétitivité et inverser la courbe du chômage. Je rends hommage au travail du rapporteur, mais ne m'associerai pas à ce projet de loi.
M. Éric Doligé. - Je ne connais pas le détail du texte. Certaines sociétés coopératives ont un régime fiscal particulier. Le texte instaure-t-il des compensations fiscales pour les collectivités où elles ont leur siège ? Certaines communes, où les principales entreprises implantées sont des coopératives, sont privées de rentrées fiscales mais pas exonérées des charges induites ! Des péréquations sont-elles prévues ?
M. Philippe Dallier. - L'article 9 traite de la commande publique et des collectivités locales. Il indique que les collectivités territoriales devront adopter « un schéma de promotion des achats publics socialement responsables » et en assurer la publication, et il précise que ce schéma « détermine les objectifs de passation de marchés publics comportant des éléments à caractère social. » Création de comités Théodule, nouvelles obligations pour les collectivités territoriales... et que faites-vous du code des marchés publics ? Tout cela n'est pas très raisonnable.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - Nous sommes saisis pour avis. Quatre commissions travaillent sur ce texte. J'ai donc laissé de côté plusieurs sujets, pour me concentrer sur les questions purement financières.
L'économie sociale et solidaire est un concept ancien et qui a fait l'objet de maints débats philosophiques et économiques - tout comme le système de la coopération. Le périmètre reste à définir, nous en discuterons lors de l'examen du texte. Je n'ai pas prétendu répondre à cette question, en engageant l'ensemble de la commission... L'économie solidaire et sociale peut-elle être intégrée dans l'économie actuelle ? Certainement. Quoi qu'il en soit, nous appartenons à l'Union européenne et c'est sans doute à cette échelle que doivent être délimités les contours de ce secteur d'activité.
Pour que des mutuelles puissent passer d'une dimension régionale à une dimension nationale voire européenne, elles ont besoin de fonds propres. Or, étant des sociétés de personnes, elles ne peuvent faire appel à l'épargne publique dans les conditions du marché. Et si elles se transforment juridiquement, elles quittent l'économie sociale et solidaire. Ce sujet n'est pas facile ! Le texte respecte les principes mutualistes, les règles prudentielles et l'exigence de protection des épargnants.
Le taux de 7,3 % correspond à un risque, le capital ne pouvant être remboursé avant sept ans, et sans aucune garantie. La question de Mme Beaufils sur les fondations renvoie à celle du champ de l'économie sociale et solidaire. Il n'y a pas de dispositions relatives à la fiscalité locale et aux coopératives. L'article 9 ne m'a pas paru relever de notre commission, mais je note que dans nos collectivités, nous avons tous le souci de faire une place aux organismes d'insertion, par exemple dans les marchés touchant la collecte des ordures ménagères. Veolia a opéré un rapprochement avec la Fondation Abbé Pierre...
M. Jean Arthuis. - C'est de la communication institutionnelle - très chic, reconnaissons-le !
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - C'est à la commission des lois qu'il reviendra de préciser les règles de la commande publique.
M. Yvon Collin, président. - Passons à l'examen des amendements.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - L'article 36 indique comment les rachats de certificats mutualistes ou paritaires sont effectués : dans l'ordre d'arrivée des demandes, sauf exceptions. L'amendement n° 1 propose une rédaction mettant en cohérence le code des assurances et le code de la mutualité sur ce point.
M. Jean Arthuis. - Que faut-il entendre par la « liquidation du titulaire » évoquée au point n° 72, page 107 ? Je suis troublé.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - Il s'agit de personnes morales, exclusivement !
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 2 porte sur le même sujet. Le texte prévoit que les certificats mutualistes du code des assurances puissent être souscrits par les entreprises appartenant au même groupe d'assurance que l'émetteur. Cette faculté n'est pas prévue pour les certificats du code de la mutualité ni pour ceux du code de la sécurité sociale. L'amendement n° 2 harmonise les régimes.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 3 propose une réécriture de plusieurs alinéas. La rédaction est beaucoup plus longue, mais elle est plus complète. Elle est également plus explicite, donc utile : les parlementaires sauront ce qu'ils votent et les autorités de régulation seront mieux guidées dans leurs travaux.
L'amendement n° 3 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° 4 est adopté.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 5 améliore l'encadrement des émissions d'obligations associatives.
L'amendement n° 5 est adopté.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - L'amendement n° FINC.6 corrige une erreur de référence.
L'amendement n° 6 est adopté.
M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - L'étude d'impact indique qu'un décret pourrait fixer à 25 000 euros la dotation initiale minimale. Disons donc dans la loi que le montant du plancher ne dépassera pas 30 000 euros.
L'amendement n° 7 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles dont elle s'est saisie, tels que modifiés par ses amendements.
Mercredi 16 octobre 2013
- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président -Avenir et justice du système de retraites - Examen du rapport pour avis
Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 71 (2013-2014) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
M. Yvon Collin, président. - Le président Philippe Marini est retenu à Vilnius, avec notre collègue Marc Massion, où ils représentent le Sénat à la première conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière, instituée en application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites est l'aboutissement de plus d'un an de travaux. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a présenté ses projections en décembre 2012. La commission pour l'avenir des retraites, présidée par Yannick Moreau, a rendu son rapport en juin 2013. Enfin, des consultations avec les partenaires sociaux ont été menées pendant l'été.
En 2009, le COR prévoyait un déficit des régimes de retraites de 28 milliards d'euros en 2018. La réforme de 2010 visait à rétablir l'équilibre à cette échéance. Dès 2011, la Cour des comptes avait déjà révisé les prévisions de solde à la baisse et anticipé un déficit de 2,5 milliards d'euros en 2018. Fin 2012, le COR a publié de nouvelles projections, avec un déficit de 21 milliards d'euros en 2018. Les objectifs de la réforme de 2010 ne seront pas atteints, essentiellement à cause de la dégradation de la conjoncture.
Le COR a dû d'abord estimer l'évolution de la masse salariale, donc de la population totale et du taux d'activité. Selon ses hypothèses, la proportion des plus de 75 ans passera de 9 % de la population en 2015 à 16 % en 2060 et le taux d'activité augmentera à 68,7 %. Jusqu'en 2035, le nombre de retraités augmentera fortement, en raison des effets différés du baby-boom, pour se stabiliser ensuite. Quant à la population active, elle augmentera jusqu'en 2025, restera constante entre 2025 et 2035, puis augmentera à nouveau après cette date. C'est la période 2025-2035 qui sera délicate car le nombre des retraités augmentera tandis que celui des actifs restera stable.
Le COR a élaboré plusieurs scénarios d'évolution des soldes financiers fondés sur différentes hypothèses concernant le niveau de la productivité du travail, qu'il fait varier dans une fourchette entre 1,3 % à 1,8 %, et le taux de chômage de long terme, entre 4,5 % et 7 %. Il a aussi présenté des versions alternatives, selon que les rendements des régimes complémentaires des salariés (ARRCO) et des cadres (AGIRC) sont constants ou décroissants. Le rendement est constant lorsque la valeur du point - qui détermine le montant de la pension - et le salaire de référence sont tous deux indexés sur les prix. Il est décroissant lorsque la valeur du point est indexée sur les prix et le salaire de référence sur l'évolution du salaire moyen AGIRC et ARRCO. Les salaires progressant plus vite que les prix, le salarié achète alors plus cher le point. Pour les régimes, un rendement décroissant est plus favorable qu'un rendement constant.
L'évolution des salaires est corrélée à la productivité du travail. Dans le scénario retenu par le Gouvernement, la productivité du travail augmentera de 1,5 % par an, avec un taux de chômage de long terme de 4,5 % et un rendement des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO constant. Dans ce cas, le solde s'établira à - 0,7 % du PIB en 2060, tandis qu'il serait équilibré avec un rendement des régimes AGIRC-ARRCO décroissant. Afin de prendre en compte l'accord AGIRC-ARRCO de mars 2013 ainsi que la révision à la baisse de la prévision de croissance, le Gouvernement a réactualisé la projection. En l'absence de réforme, le déficit s'établirait à 19,1 milliards d'euros en 2014 et atteindrait 26,6 milliards d'euros en 2040 en euros constants. Il est urgent d'agir.
Le projet de loi opère une distinction entre une période de court à moyen terme, 2014 à 2020, où primeront des mesures de recettes, et une période de long terme, où la hausse de la durée de cotisation produira ses effets. Première mesure de recette, le report du 1er avril au 1er octobre de chaque année de la revalorisation des pensions en fonction de l'évolution des prix. Cela représentera en 2014 une économie de 800 millions d'euros.
M. Aymeri de Montesquiou. - Ce n'est pas une mesure sociale !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Si, car l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), les pensions d'invalidité et les rentes liées aux accidents du travail ou aux maladies professionnelles continueront à être revalorisées au 1er avril.
Autres mesures de recettes : la fiscalisation des majorations de pensions pour les retraités ayant élevé trois enfants ou plus ; la hausse des cotisations déplafonnées salariés et employeurs, de 0,15 % en 2014 puis de 0,05 % jusqu'en 2017 et enfin, l'allongement de la durée de cotisation à raison d'un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035, soit 43 ans de cotisation en 2035 contre 41,5 aujourd'hui. Cette mesure aura un impact financier positif pour les régimes de retraite, à hauteur d'environ 5 milliards d'euros en 2030 et 10 milliards d'euros en 2040. À cette date, les mesures de recettes auront un impact de près de 8 milliards d'euros et les mesures d'économies, de 13 milliards d'euros.
En tenant compte des mesures de justice, qui ont un coût, l'impact net de la réforme se traduira par une amélioration du solde de l'ensemble des régimes de 4 milliards d'euros en 2014, et de 19 milliards d'euros en 2040.
Grâce à ces mesures, les régimes de base seront à l'équilibre dès 2020 et excédentaires à l'horizon de 2030. Des déficits persisteront pour les régimes des fonctionnaires et les régimes spéciaux, principalement ceux de la SNCF, de la RATP et des mines, équilibrés par des subventions, ainsi que pour les régimes de retraite complémentaire obligatoires.
Parmi les mesures de justice sociale, la plus importante est la prise en compte de la pénibilité. La réforme de 2010 a introduit un dispositif spécifique mais qui concerne davantage l'invalidité que la pénibilité. En effet, le départ à la retraite anticipé est ouvert à partir d'un taux d'invalidité de 10 % et pour certains accidents du travail ou maladies professionnelles. Seuls 10 000 dossiers ont été déposés depuis 2011, dont environ 6 000 ont été acceptés. Le bilan est maigre. Le projet de loi crée un compte personnel de prévention de la pénibilité. Le besoin de financement, estimé à 500 millions d'euros en 2020, sera couvert par une hausse équivalente de cotisations employeurs. D'autres dispositions visent à aider les femmes, les jeunes ou les assurés ayant eu une carrière heurtée à se constituer des droits à la retraite.
Le comité de pilotage des régimes de retraite (COPILOR), censé suivre l'application de la réforme de 2010, s'est réuni une seule fois, sans donner le moindre avis. Le texte le remplace par un comité de surveillance des retraites, rebaptisé « comité de suivi » par l'Assemblée nationale. Le schéma de pilotage s'inspire de celui mis en place pour l'évolution du solde des finances publiques, avec le Haut Conseil des finances publiques. Le comité de suivi rendra chaque année un avis sur le respect des objectifs, fondé sur les données transmises par le COR, et il formulera des recommandations. Le Gouvernement indiquera au Parlement, après consultation des partenaires sociaux, les suites qu'il entend leur donner. Enfin le comité de suivi remettra un avis sur les suites données à ses recommandations.
La réforme contribue à l'effort de consolidation des finances publiques, à l'amélioration du solde public et au respect de l'objectif de moyen terme (OMT) de solde structurel. Le Gouvernement a prévu un ajustement structurel à hauteur de 0,9 % du PIB en 2014, grâce à un effort en recettes de 0,2 % et en dépenses de 0,7 %. La réforme des régimes de retraite participe à l'amélioration du solde pour 3,4 milliards d'euros en 2014. Ses effets s'accentueront avec le temps : l'économie réalisée représentera 0,5 % du PIB en 2040.
M. François Marc, rapporteur général. - Je partage la position de notre rapporteur pour avis. La situation du système de retraites exige une réaction immédiate pour rétablir l'équilibre. Le Gouvernement s'y est attelé. L'exigence de solidarité est respectée avec les mesures en faveur des carrières longues ou des métiers pénibles, conformément aux attentes du pays. Nous devons soutenir l'initiative du Gouvernement.
M. Albéric de Montgolfier. - Que penser des hypothèses macroéconomiques retenues par le COR ? Un taux de chômage à 4,5 % ou 7 %, est-ce vraiment réaliste ?
Certes, la réforme de 2008 aligne la durée de cotisation dans les régimes spéciaux sur celle des autres régimes. Mais l'âge effectif de départ à la retraite, autour de 54 ou 55 ans, demeure très inférieur à la moyenne nationale. Les subventions versées par l'État resteront importantes. Ne faudrait-il pas augmenter les décotes ? Quelle est la différence entre un chauffeur de car employé par un conseil général et un conducteur de train automatisé employé par la SNCF ? Les différences de traitement entre régimes de retraite sont-elles justifiées ?
M. Jean-Paul Emorine. - Les hypothèses retenues dans la loi sont très optimistes. De plus le COR, comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), ignore les évolutions dues au progrès technique. Au milieu du siècle dernier notre pays comptait 5 millions d'agriculteurs. Avec la modernisation, ce nombre est tombé à 900 000 et pourrait descendre à 600 000 dans quelques années. Il n'est pas improbable que le nombre d'exploitations, d'environ 500 000 aujourd'hui, chute à 300 000. De même les gains de productivité provoqués par la mécanisation dans les entreprises ne sont pas pris en compte.
Quel sera le montant des subventions versées par l'État aux régimes spéciaux ? Comment se répartissent-elle selon les régimes ?
M. Vincent Delahaye. - Je ne partage pas l'avis du rapporteur général. L'intitulé du projet de loi est trompeur. Il garantit plutôt le maintien des injustices ! Il est très simple de prévoir un rééquilibrage si l'on se fonde sur des hypothèses optimistes. Mais il s'agit d'une mauvaise méthode. Entre 2007 et 2012, les gains annuels de productivité se sont élevés à 0,18 % par an. Pourtant le COR envisage un scénario à 2 % par an. Pourrait-il nous fournir un scénario fondé sur une croissance de la productivité de 0,5 % par an et un taux de chômage de 10 %, comme aujourd'hui ?
Vous nous indiquez les besoins de financement des différents régimes. Serait-il possible de connaître le nombre de personnes concernées par chaque régime ? Comment expliquer la forte baisse du déficit des régimes spéciaux, de 7,7 milliards d'euros à 4,4 milliards d'euros, entre 2030 et 2040 ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - C'est l'effet de l'allongement de la durée de cotisation.
M. Éric Bocquet. - La question des retraites relève d'un choix de société. Elle ne se résume pas à une équation comptable. Il ne suffit pas d'entrer des données dans un logiciel pour obtenir la solution ! La retraite à 60 ans a été instaurée par la gauche, une gauche décomplexée dirions-nous aujourd'hui. Nous devons assumer ce choix. Nul ne sait quelle sera la démographie, la croissance ou le niveau des salaires à l'avenir. Qui sait, l'évasion fiscale sera peut-être jugulée, nous disposerons alors de 50 milliards d'euros de recettes supplémentaires. S'il faut consacrer plus de ressources au financement des régimes de retraite, allons chercher l'argent là où il est !
Il est faux de croire que la société soutient la réforme. Qui ne dit mot consent ? Je crois plutôt que nos concitoyens sont rendus muets par la lassitude, la résignation, le renoncement. Mais ce qui ne s'exprime pas socialement s'exprimera politiquement dans les urnes. Enfin, à propos des régimes spéciaux, je suis partisan du plus grand dénominateur commun, non du plus petit.
M. Aymeri de Montesquiou. - Je suis surpris par les chiffres retenus. Un taux de chômage de 4,5 %, c'est le plein emploi. Une telle hypothèse paraît extravagante. Ensuite, la meilleure mesure de justice n'est-elle pas la convergence des régimes ? Comment justifier l'écart entre les conducteurs de la RATP et ceux des bus scolaires ? Il faut tenir compte de la pénibilité, mais à travail identique, il faut une durée de travail identique.
M. Francis Delattre. - Cette réforme a été exigée par l'Europe en contrepartie du report de deux ans des engagements de réduction des déficits.
M. François Marc, rapporteur général. - Voulez-vous dire que vous n'auriez pas fait de réforme ?
M. Francis Delattre. - Je ne vois là qu'un semblant de réforme, de simples ajustements sur la base d'hypothèses folkloriques. Les régimes AGIRC et ARRCO ont besoin à long terme de 8 à 9 milliards d'euros. L'effort prévu ici est insuffisant.
De plus, les régimes spéciaux ont été rapprochés du régime de la fonction publique, mais l'écart avec le régime général demeure important. Comment expliquer, alors que les règles ne changent pas, que leur déficit diminue de moitié ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cette réforme oublie les régimes complémentaires, les régimes de la fonction publique d'État et les régimes spéciaux. Le titre de la loi n'est pas adapté. Où est l'avenir, où est la justice ?
M. Yann Gaillard. - Cet échafaudage de prévisions me laisse très sceptique. Les chiffres seront sans doute revus chaque année. Je ne crois pas que la vérité surgisse de ce genre d'exercice. Je m'abstiendrai.
M. Dominique de Legge. - Un régime par répartition doit par construction être équilibré. On ne redistribue que ce qui est collecté. Le rapport entre les actifs et les inactifs est fondamental. Il n'est pas sûr que les mesures de politique familiale aillent dans le bon sens. Le scénario retenu est très optimiste, donc peu réaliste - un taux de chômage de long terme de 4,5 % ! Le gain de la réforme en 2040 est estimé à 18,6 milliards d'euros, malgré cela il subsistera toujours un déficit de 28,9 milliards d'euros à cette date.
M. François Fortassin. - Cette analyse prospective a au moins le mérite d'exister. Il est toutefois difficile de connaître l'espérance de vie à l'avenir. Or son évolution influera sur les régimes de retraites.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Dans le scénario retenu, les gains de productivité du travail s'élèveront à 1,5 % par an tandis que le taux de chômage de long terme s'établira à 4,5 %, soit le taux de chômage que connait l'Allemagne aujourd'hui. De plus, lors de la réforme de 2010, le Gouvernement avait déjà retenu l'hypothèse d'un taux de chômage de 5 %.
La productivité apparente du travail a ralenti à cause de la crise de 2008. Entre 1990 et 2007, elle s'est établie à 1,8 % par an. Monsieur Delahaye, prendre pour base un taux de chômage de 10% et une progression de la productivité du travail de 0,5 %, n'est-ce pas reconnaître que l'économie française est condamnée ? Ce serait un mauvais signal ! Là aussi, l'hypothèse retenue est la même qu'en 2010.
M. Francis Delattre. - Vous prétendez que nous nous sommes trompés en 2010. Pourquoi persévérer dans l'erreur en ce cas ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. La crise de 2008 a modifié la donne. Si vos hypothèses de productivité faible et de chômage élevé s'avéraient exactes, cela signifierait que nous ne vivrions plus dans le même monde. Doit-on avoir cette ambition dans un projet de loi ? De plus, elles ne correspondent pas au régime de long terme de la France.
M. Vincent Delahaye. - Depuis combien d'années le chômage est-il de 10 % ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Le taux de chômage avant la crise n'était pas de 10 %. Il faut parier sur le redressement de l'économie française. Nous avons des atouts. Ne soyons pas défaitiste en raisonnant avec des hypothèses catastrophistes !
En réponse à Jean-Paul Emorine, je précise que le progrès technique est pris en compte dans les projections de l'INSEE. Il constitue l'une des composantes de la productivité apparente du travail.
S'agissant des régimes spéciaux, certains bénéficient d'une compensation car leur démographie est très déséquilibrée. Je ne dispose pas ici même des tableaux que vous demandez, mais ce système de compensation inter-régimes participe de la solidarité nationale.
Monsieur Bocquet, l'espérance de vie augmentant, il n'est pas infondé que les gains soient partagés entre temps de travail et temps de retraite.
Il y a urgence : si nous ne faisons rien, les régimes seront déficitaires de 20 milliards d'euros à l'horizon 2014. Grâce aux mesures du Gouvernement, les régimes de base - Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), Fonds de solidarité vieillesse (FSV), régime des indépendants (RSI), mutualité sociale agricole (MSA), caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), etc. - seront équilibrés en 2020. Si l'on restait dans le cadre de la réforme de 2010, leur déficit serait de 4 à 5 milliards d'euros en 2018. J'ai distingué ces régimes, d'une part, de ceux équilibrés par une subvention (fonction publique, régimes spéciaux) et d'autre part des régimes complémentaires (AGIRC et ARRCO). Ces derniers ont pris en mars 2013 des mesures extrêmement courageuses pour réduire leur déficit prévisionnel sans tirer sur leurs réserves, déjà en baisse sensible.
M. Francis Delattre. - Leurs mesures représentent 3 milliards d'euros. Il manquerait donc 4 à 5 milliards d'euros d'ici 2020. Sans compter qu'ils empruntent.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Nous devons ces décisions courageuses aux partenaires sociaux. À court terme, ils ont des choix à faire : indexer la valeur du point et celle de l'achat du point sur les prix ou sur les salaires. Selon que le rendement est décroissant ou constant, les évolutions de soldes varient considérablement. Les prévisions de déficits résiduels du COR sont établies à partir d'une hypothèse de rendement constant. On imagine mal que la valeur du point ne soit pas indexée sur les prix, mais il revient aux partenaires sociaux de définir cette valeur ainsi que le salaire de référence. Il ne revient pas au législateur de prendre cette décision à la place des partenaires sociaux.
Enfin, pour revenir au projet de loi, tout le monde sera soumis aux mêmes mesures, qu'il s'agisse des agents de la fonction publique, des salariés du privé ou des assurés de régimes spéciaux : les taux et la durée de cotisation augmenteront.
M. Aymeri de Montesquiou. - Même la durée ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Oui. Si la durée de cotisation n'est pas suffisante, une décote sera appliquée au montant de la pension.
M. Francis Delattre. - Cela ne veut pas dire que les assurés des régimes spéciaux partiront à la retraite au même âge que les autres...
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Sur ce point, nous nous sommes calés sur les dispositions des réformes de 2008 et de 2010. Nous ne sommes pas revenus en arrière.
M. Francis Delattre. - Heureusement !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Les fonctionnaires, pour obtenir une retraite à taux plein, seront soumis aux mêmes augmentations de taux de cotisation et de durée de cotisation. On dit souvent qu'ils sont mieux lotis que les salariés du privé...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous n'allez pas dire qu'ils sont logés à la même enseigne !
M. Albéric de Montgolfier. - Le calcul de la pension se fonde sur les six derniers mois !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Il y a certes une différence entre la retraite moyenne d'un fonctionnaire et celle d'un salarié du privé.
M. Francis Delattre. - De combien ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - De l'ordre de 300 à 400 euros.
M. Francis Delattre. - De 350 euros, exactement.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Cet écart s'explique en grande partie par un effet de structure. Ce ne sont pas les mêmes populations. Les ouvriers et employés sont majoritaires dans le privé, tandis que dans la fonction publique d'État, le nombre des cadres de catégorie A a beaucoup augmenté ces dernières années. Comparer les pensions moyennes du public et du privé revient par conséquent à comparer des choux et des carottes. Si l'on regarde les taux de remplacement plutôt que les montants nominaux des pensions, on s'aperçoit que les chiffres sont quasiment identiques. De plus, les fonctionnaires ne cotisent pas sur leurs primes, or celles-ci représentent 10 % à 40 % de leur rémunération.
Mme Michèle André. - Exact !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - On peut toujours demander au COR d'étudier l'alignement des pensions nominales, mais alors le taux de remplacement diminuera significativement pour les fonctionnaires.
Le problème se situe entre 2025 et 2035, quand la population active se stabilisera tandis que le nombre de retraités augmentera significativement. Nous devons prendre des mesures rapides et équilibrées en recettes comme en dépenses. Si nous reportons à 2020 l'augmentation de la durée de cotisation, nous allons au-devant de déficits récurrents, de nature à compromettre le respect de nos engagements européens. Cette réforme n'est pas seulement équilibrée, elle rend notre système plus juste pour les jeunes, les femmes et les salariés exposés à des facteurs de pénibilité.
M. François Marc, rapporteur général. - Je partage les conclusions de notre rapporteur pour avis, qui démontre la nécessité d'agir dès aujourd'hui. Monsieur Delattre, les choses ont changé depuis 2010 : dans le cadre du semestre européen, nous avons inscrit nos discussions budgétaires avec Bruxelles dans des perspectives de moyen et long termes. Vous avez toute liberté de croire que nous obéissons à un ordre venu de « quelque part ailleurs » mais la réalité est que notre pays a choisi, avec d'autres au sein de l'Union européenne, ce modèle de cogestion budgétaire et financière.
M. Francis Delattre. - Je n'ai pas dit cela et je souscris bien sûr à vos propos en hommage du vice à la vertu.
M. Vincent Delahaye. - Le précédent gouvernement tablait sur 5 % de chômage, l'actuel sur 4,5 %... Je ne partage pas ces hypothèses optimistes. Depuis 1983, nous n'avons jamais connu un chômage inférieur à 7,5 %. Ce devrait être un minimum à retenir comme hypothèse de projection, même dans une perspective optimiste !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Le COR a fondé l'un de ses scenarios sur une hypothèse de 7 % de chômage à long terme : il est possible de vous y référer. Dans le scénario B, l'hypothèse de 4,5 % de chômage ne vaut qu'à partir de 2030. Il est supposé que le taux de chômage effectif convergera progressivement vers ce niveau. Ce n'est donc pas cette hypothèse qui est retenue pour les années 2014 et 2015.
M. Aymeri de Montesquiou. - Mais il faut bien une base de calcul. L'observation de ces trente dernières années, c'est tout de même un fondement solide : nous ne sommes jamais descendus sous les 7,5 % de chômage. Or à 4,5 %, nous sommes en-deçà même de la barre du plein emploi !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Dans ce cas, l'hypothèse d'un taux de chômage à long terme de 5 % retenue dans la réforme de 2010 était déraisonnable.
M. Francis Delattre. - Voyez où cela nous a menés !
M. Aymeri de Montesquiou. - Tenons compte des erreurs passées...
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - À nouveau, c'est une hypothèse de long terme. Il y a urgence à agir. Les effets prévus dans le cadre de cette réforme sont équilibrés. Ainsi, je souhaite que la commission donne un avis favorable sur ce projet de loi.
La commission émet un avis favorable à l'ensemble du projet de loi.
Préfectures et réorganisation territoriale de l'État - Contrôle budgétaire - Communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale
Puis la commission entend une communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur les préfectures et la réorganisation territoriale de l'État.
Mme Michèle André, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat ». - Ce contrôle s'inscrit dans une trilogie. Dans le cadre de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je me suis d'abord intéressée à la diffusion des nouvelles technologies, notamment à l'entrée en application des nouveaux titres d'identité sécurisés, dont le passeport biométrique. J'ai ensuite étudié les conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur la qualité du service rendu aux usagers par les préfectures et les sous-préfectures. Enfin, je me suis penchée sur la question de l'adaptation de l'administration préfectorale à la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE).
Ces dernières années, l'organisation et le mode de fonctionnement de l'administration préfectorale ont profondément changé. Entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la RéATE a consisté à régionaliser la plupart des services déconcentrés de l'État, passés de vingt à huit grandes entités administratives : direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ; direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) ; direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ; direction régionale des affaires culturelles ; direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale ; direction régionale des finances publiques ; services du Rectorat ; enfin, Agence régionale de santé (ARS).
Au niveau départemental, des directions départementales interministérielles sont apparues - deux ou trois, selon la démographie départementale : la direction départementale des territoires, qui regroupe les anciennes directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et de l'équipement (DDE) ; la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), qui reprend les compétences des anciennes directions départementales de la jeunesse et des sports, des affaires sanitaires et sociales (DDAS) en matière d'affaires sociales ; des unités départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des services vétérinaires. Dans les départements les plus importants, deux structures se substituent en outre à la DDCSPP : une direction départementale de la cohésion sociale et une direction départementale de la protection des populations.
La transition entre le modèle précédent et cette nouvelle architecture territoriale n'est pas allée sans difficulté. Des moyens humains ont été perdus - les médecins des anciennes DDAS, par exemple, qui sont partis dans les agences régionales de santé - au risque de fragiliser durablement les politiques publiques.
La Réate a fait de la région le niveau de pilotage des politiques publiques, tandis que le département met en oeuvre des actions de proximité. Le rôle du préfet de région a été renforcé par l'autorité qui lui est désormais reconnue sur les préfets de départements. Il dispose notamment d'un pouvoir décisionnaire de la répartition des crédits des budgets opérationnels de programme afin d'adapter les moyens aux enjeux territoriaux.
Cependant l'une des évolutions les plus notables au sein de l'administration préfectorale a été l'influence croissante du secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) à ses côtés. Celui-ci coordonne l'action des services régionaux de l'État, veille à leur articulation avec les services départementaux, conduit la mise en oeuvre de certaines politiques européennes, initie des mutualisations et anime la plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines. Pour ce faire, il dispose d'une équipe dont les effectifs ont fortement progressé, au point de constituer une sorte de cabinet régional faisant parfois écran entre le préfet de région et les directions régionales et faisant craindre la redondance avec le secrétaire général des préfectures départementales.
Dans cet ensemble, la place et le devenir du préfet de département sont incertains. Sous l'effet notamment de la RGPP, les effectifs ont diminué. Le manque de fonctionnaires de catégorie A prive les préfectures et sous-préfectures de ressources suffisantes. Le suivi et la mise en oeuvre des politiques publiques au niveau départemental deviennent plus délicats. Le périmètre du contrôle de légalité se réduit, ce qui accroît le risque juridique pesant sur les élus.
Le département a pourtant vocation à demeurer un échelon de proximité, et le préfet de département, un interlocuteur indispensable pour les élus locaux et les acteurs économiques et sociaux. De même, le sous-préfet est apparu de manière constante au cours de mon contrôle comme devant être la porte d'entrée des services de l'État.
L'administration préfectorale subit en outre l'inflation des normes. Chaque année, 80 000 pages de circulaires sont adressées aux préfectures. Réuni le 17 juillet dernier, le Conseil interministériel pour la modernisation de l'action publique a annoncé la limitation des circulaires à cinq pages.
Dans une période marquée par la réduction des effectifs et le changement rapide des métiers, la formation, en particulier en catégorie C, devient un facteur clé de réussite pour les fonctionnaires. La mobilité doit également être encouragée. La force des habitudes, la crainte du changement, l'achat d'un logement, l'ancrage familial, constituent autant d'obstacles bien connus à une évolution professionnelle portée par la mobilité. A cela s'ajoutent des barrières administratives, les différences de statuts ou de rémunérations.
Ces enjeux peuvent notamment être mesurés à l'aune des projets menés par l'administration préfectorale. Après des débuts difficiles, le passeport biométrique et le système d'immatriculation des véhicules ont désormais atteint leur régime de croisière. Tel n'est pas le cas du projet FAETON introduisant un nouveau permis de conduire : initialement prévue pour le 19 janvier 2013, son entrée en application a été repoussée au 16 septembre 2013 pour des raisons techniques. Enfin, techniquement prête, la carte nationale d'identité électronique reste en attente de décisions.
Que veut-on faire désormais des préfectures et de leur prolongement naturel, les sous-préfectures ? Cette question occupe tous les esprits. Les agents s'inquiètent de leur devenir et du sens des missions qui leur sont assignées. Je salue leur sens de l'État, leur engagement et leur dévouement dans une conjoncture délicate. Les élus locaux s'interrogent également, partagés qu'ils sont, dans leur attitude envers l'Etat central, entre méfiance naturelle et attente légitime de soutien.
Les étapes successives de la décentralisation appellent un nouvel effort d'imagination. Le temps est bien loin du préfet quasi omnipotent en son département, mais le gué n'est pas encore totalement franchi : c'est bien ce qui fait la complexité de la situation actuelle. Faut-il abandonner le contrôle de légalité ? Les préfectures doivent-elles continuer à mobiliser des personnels sur les régies ? Ou au contraire aller vers la généralisation du paiement par le timbre fiscal ? La Réate ne peut suffire. L'administration préfectorale a bien un avenir, mais celui-ci doit désormais faire l'objet d'un nouveau projet.
M. Éric Doligé. - Vous parlez de problème d'effectifs. Il y a surtout un problème de perte d'autorité des préfets sur leur administration. Les nouvelles structures ont totalement pris le pouvoir. Les préfets de département, en particulier, sont démobilisés. Ils n'osent plus rien refuser aux hauts fonctionnaires qui dirigent les services administratifs, par peur des réactions de l'administration centrale.
M. François Fortassin. - L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) est un parfait exemple de confusion des normes. Certaines directions ont demandé des peines de prison à l'encontre de certains maires - les procureurs n'ont à ce jour pas donné suite à ces demandes, mais nous ne sommes pas à l'abri de développements futurs - et pour des raisons vénielles, qui plus est : parce que des conducteurs de travaux avaient mis un coup de pelle malencontreux dans des ruisselets, dérangeant des salamandres à ventre gris !
De même, dans une vallée pyrénéenne, il a fallu près d'un an pour savoir à quelle hauteur construire le tablier d'un pont, afin de protéger les chauves-souris, dont certaines le franchissent en volant au-dessus et d'autres, en-dessous... C'est ubuesque ! Ces gens-là paralysent l'action publique et font passer les maires pour des délinquants. Est-ce normal ?
M. Jean-Paul Emorine. - Il est des sous-préfectures qui ne comptent guère plus de dix ou douze employés. Ce seuil vous parait-il pertinent ?
M. Yannick Botrel. - Je remercie la rapporteure pour ce très intéressant rapport. J'ai le sentiment que les choses fonctionnent convenablement. Nous avions certes de très bonnes relations avec les anciennes DDAF et DDE. Mais tout dépend en définitive des interlocuteurs et de la qualité des échanges que nous entretenons avec eux. Dans de nombreux dossiers, nous travaillons ensemble efficacement. En matière d'ingénierie, les services déconcentrés sont plus démunis qu'avant, et les collectivités territoriales ont constitué leurs propres équipes en récupérant des fonctionnaires déconcentrés, mais sans doute est-ce l'esprit de la décentralisation.
Le rôle de l'administration est de contrôler, mais aussi de faciliter la vie des collectivités. Les préfets de département n'ont certes plus une grande autorité sur les DREAL mais celles-ci sont dans une position ambigüe : leur avis est par exemple requis pour modifier un document d'urbanisme, elles ont trois mois pour le rendre. Or certaines évitent de répondre. Cela vaut accord tacite, mais ralentit le fonctionnement de nos collectivités. Il faudrait corriger cette anomalie.
M. Albéric de Montgolfier. - Je reconnais mes préoccupations dans le rapport de Michèle André. La baisse des effectifs, liée à la RGPP d'hier et à la modernisation de l'action publique (MAP) d'aujourd'hui, pose de réels problèmes. Mais a-t-on la moindre idée des effectifs simultanément recrutés par des autorités indépendantes et organisations à caractère autonome comme les agences régionales de santé (ARS) ? La Cour des comptes ne cesse de dénoncer leur non-respect des plafonds d'emplois.
M. Jean Arthuis. - Je rends à mon tour hommage au rapport de Michèle André. Chaque année, nous avons ce débat sur les DREAL. Dans mon département, la construction d'une passerelle en bois dans un site protégé a été retardée d'un an, car c'est le délai qu'il a fallu à la direction régionale pour rendre son avis, et l'affaire est remontée jusqu'au ministère. Le ministre est-il le greffier de la DREAL Pays-de-la-Loire ? C'est insupportable ! Que la DREAL se comporte en régulateur budgétaire, cela va à l'encontre du soutien à l'activité économique et à la croissance.
À cela s'ajoute la question du rôle des préfets : sont-ils les procureurs de la République du droit administratif ? Ont-ils une fonction d'arbitrage local ? Le Gouvernement doit dire le sort qu'il entend leur réserver.
M. Francis Delattre. - Les services qui entouraient le préfet en Ile-de-France s'appauvrissent. Sur un territoire de 11 ou 12 millions d'habitants, la régionalisation est une catastrophe. Les préfets n'ont plus d'experts sous la main, les compétences sont tombées à un niveau effroyablement bas. Le conseil général des ponts et chaussées dispose de centaines d'ingénieurs hautement qualifiés : ne peut-on en réinjecter quelques-uns dans nos services ? Lorsque nous manquons d'experts pour traiter les grands dossiers d'aménagement, ne restent que les cabinets privés...
Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Notre débat démontre l'utilité du contrôle sur pièces et sur place. La décentralisation a été une grande ambition, mais le rôle des préfets n'a pas été redéfini. La RéATE a montré son utilité, notamment en matière immobilière et de regroupement de services, mais elle ne suffit pas. La perte d'autorité des préfets de département est une réalité.
Seules 40 sous-préfectures sur les 240 que compte notre pays ont moins de dix agents. Mais partout on manque de cadres, donc d'interlocuteurs pour accompagner les projets des élus locaux. Le sous-préfet étaient auparavant l'interlocuteur le plus proche, et disposant des ressources adéquates. Certaines préfectures ont trouvé de nouvelles méthodes de travail astucieuses, en confiant aux sous-préfectures l'expertise du contrôle de légalité. D'autres, en zones périurbaines, ont concentré le travail au niveau préfectoral. Mais aucun schéma global n'a pu être élaboré, et la mission diligentée par le ministre sur ce sujet n'a pas encore débouché sur des conclusions.
D'aucuns craignent la suppression du niveau le plus bas. Ce ne serait pas une bonne idée. Il faut avancer sur cette question avec précaution. Certaines zones, de montagne par exemple, ne s'y prêtent guère. Et dans tous les cas, le représentant de l'État doit rester en contact direct avec le niveau central et travailler avec lui en bonne intelligence. La nouvelle autorité hiérarchique du préfet de région sur le préfet de département a parfois été mal comprise. Les ministres veulent conserver une autorité directe sur leurs propres services, comme les DREAL, ce qui complique singulièrement la tâche des préfectures de région. La montée en régime des SGAR, leur compétence en matière européenne et de prospective n'a pas simplifié le paysage...
Peut-être conviendrait-il de rattacher les préfets directement au Premier ministre, afin de mieux exploiter leur dimension interministérielle. Au sein même du corps préfectoral, certains se posent la question. En effet, le préfet n'a plus pour seule mission de garantir l'ordre public, il a désormais un rôle économique et d'aménagement du territoire. Et il est exact qu'il manque des compétences, notamment celles réunies dans les anciennes DDE.
M. Francis Delattre. - Absolument.
Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Certaines compétences ont certes été absorbées par nos collectivités. Mais dans certaines matières, comme la politique de l'eau, nous avons besoin d'une vision plus large, à l'échelle régionale, voire nationale.
Monsieur de Montgolfier, je n'ai compétence que sur l'Agence nationale des titres sécurisés - les effectifs des ARS ressortissent à une autre mission. Nous manquons d'une vision globale sur ces organismes, mais en tout état de cause, les effectifs des opérateurs n'ont cessé de croître depuis deux ou trois ans.
L'ONEMA pose problème dans de nombreux départements.
Le rapport de François Patriat sur la réorganisation des services de l'État en lien avec les collectivités territoriales le disait déjà : nous avons du travail à faire pour mettre de l'ordre.
M. Francis Delattre. - Ne confondons pas décentralisation et déconcentration.
Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Ne désespérons pas. Les services déconcentrés et les collectivités travaillent ensemble très intelligemment. Mais les sigles nouveaux n'ont pas tous été intégrés et nos concitoyens peinent encore à s'y retrouver. Après l'affaire Spanghero, d'aucuns ont suggéré de rattacher la DDCCRF directement au ministre. L'idée semble passée, mais il faudra creuser ces questions d'organisation.
M. Yvon Collin, président. - L'affaiblissement des compétences est un vrai problème. Auparavant, les DDE étaient composées de « X-Ponts » compétents et visionnaires.
Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - J'ajoute que les préfectures ont encore une fonction de guichet. Or depuis quelques années, la tension est palpable : les salles d'attente sont pleines, le personnel est débordé, le matériel vieillit. Les procédures ont été en partie dématérialisées, mais il suffit d'une panne informatique pour désorganiser tout un service. Je veux d'ailleurs saluer la haute compétence et le dévouement de ces agents qui travaillent sans avouer la faiblesse des moyens qui leur sont alloués.
La commission donne acte de sa communication à Michèle André, rapporteure spéciale, et en autorise la publication sous la forme de rapport d'information.
Demandes de saisine pour avis et désignation de rapporteurs pour avis
La commission demande à se saisir pour avis sur la proposition de loi n° 7 (2013-2014) visant à reconquérir l'économie réelle, et nomme M. Jean-Marc Todeschini rapporteur pour avis sur ce texte.
La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi n° 28 (2013-2014) d'habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, et nomme M. François Patriat rapporteur pour avis sur ce texte.
Situation économique et financière de la Lettonie avant son entrée dans la zone euro au 1er janvier 2014 - Communication de M. François Marc, rapporteur général
Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission entend tout d'abord une communication de M. François Marc, rapporteur général, sur la situation économique et financière de la Lettonie avant son entrée dans la zone euro le 1er janvier 2014.
M. Yvon Collin, vice-président. - Mes chers collègues, nous allons entendre une communication de M. François Marc, rapporteur général, sur la situation économique et financière de la Lettonie, avant son entrée dans la zone euro au 1er janvier 2014.
M. François Marc, rapporteur général. - Je vais effectivement vous présenter un bref compte-rendu de mon déplacement en Lettonie, les 18 et 19 septembre derniers, qui avait pour objet d'étudier la situation de ce pays qui deviendra le 1er janvier prochain le dix-huitième membre de la zone euro. La décision a été actée en juillet par le Conseil de l'Union européenne, qui a considéré que les critères de convergence fixés par le traité de Maastricht étaient respectés. La Banque centrale européenne, qui rend un avis consultatif, a toutefois émis quelques réserves, notamment sur la capacité de la Lettonie à maîtriser l'inflation au cours des prochaines années. Plus fondamentalement, elle paraît particulièrement prudente à l'idée de tout élargissement de la zone euro.
Compte tenu des expériences récentes avec les autres pays, il m'a semblé intéressant de pouvoir apprécier par nous-mêmes la situation de la Lettonie.
Deux cartes géographiques figurent dans votre dossier pour illustrer mon propos sur la Lettonie, qui a pour capitale Riga et compte environ 2 millions d'habitants.
Je rappelle que sauf dérogation, les États de l'Union européenne sont tenus d'intégrer la zone euro lorsqu'ils respectent les critères de convergence. Toutefois, la volonté tenace de la Lettonie contraste avec l'attentisme de nombreux « jeunes » membres de l'Union européenne comme, par exemple, la Pologne. Elle pourrait toutefois être rejointe en 2015 par la Lituanie qui a entamé le même processus d'adhésion à la zone euro.
Il me semble important de revenir sur le chemin parcouru par la Lettonie au cours des dernières années avant de faire le point sur sa situation et ses perspectives car ce pays a été montré en exemple, notamment par l'Allemagne et par la Commission européenne, pour la manière dont il s'est sorti de la crise. On s'est également interrogé sur les facteurs de cette réussite qui n'était pas attendue par certains experts.
Pour rappel, au milieu des années 2000, la croissance de la Lettonie était supérieure à 10 % par an, portée notamment par une progression très importante du crédit, financée par des capitaux étrangers, ce qui n'est pas toujours rassurant. Les filiales des banques scandinaves, principalement suédoises, empruntaient à leurs banques mères et les banques nationales se finançaient grâce aux dépôts des non-résidents. J'y reviendrai tout à l'heure.
Cette croissance a également été portée par des augmentations de salaires de plus de 20 % par an, excédant largement les gains de productivité. Il s'en est suivi une perte de compétitivité et un fort déséquilibre de la balance des paiements courants, dont le déficit a dépassé 20 % du PIB en 2006 et 2007.
Après la faillite de la banque Lehman Brothers, la plus grande banque lettone a perdu 25 % de ses dépôts en trois mois, pendant que les doutes sur la capacité de la Lettonie à conserver l'arrimage fixe de sa monnaie à l'euro ont entraîné de forts achats d'euros. La situation devenant intenable, un programme d'aide international a été mis en place, associant principalement l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI), mais aussi d'autres partenaires, notamment les gouvernements scandinaves. Ce programme consistait en l'apport de 7,5 milliards d'euros sur trois ans, en échange de la mise en oeuvre de mesures d'austérité et de réformes structurelles.
La question du maintien de l'arrimage de la monnaie lettone à l'euro fit débat au moment de la définition du programme. De nombreux experts et le FMI considéraient que seule une dévaluation permettrait au pays de s'en sortir, mais les autorités lettones ont insisté pour conserver un taux de change fixe avec l'euro, sans même utiliser les marges de fluctuation de 15 % permises par le système monétaire européen (SME).
Le Gouvernement a ainsi souhaité maintenir le cap fixé vers l'adhésion à l'euro et ne pas envoyer de signal négatif à la population, la monnaie lettone étant pratiquement arrimée à l'euro depuis la création de celui-ci et plus de 80 % des prêts étant déjà libellés en euros dans le pays. Une dévaluation aurait donc eu des effets négatifs immédiats, tant pour les banques que pour leurs clients.
Le choix de la dévaluation interne, fondée sur l'austérité, a conduit les autorités lettones à prendre des mesures drastiques avec, notamment, des baisses considérables des allocations et des salaires, dont 27 % en moyenne dans le secteur public, ainsi que des hausses d'impôts, le taux normal de TVA étant notamment passé de 18 % à 22 %. En trois ans, les mesures de consolidation budgétaire ont représenté 17 % du PIB ; elles ont porté pour un tiers sur les impôts et pour deux tiers sur la dépense publique, un ratio qui ne nous est pas inconnu.
Alors que le FMI estimait que l'ajustement prendrait du temps en régime de taux de change fixe, l'impact des mesures s'est avéré beaucoup plus fort que prévu : l'économie s'est rétractée d'environ 25 % entre 2008 et 2009, ce qui est beaucoup plus violent que ce qu'a connu la Grèce, par exemple. Cette contraction de la demande intérieure a rétabli rapidement l'équilibre de balance des paiements courants, qui est redevenue excédentaire dès 2009. Ce fut donc une purge assez considérable. La très grande rigueur des mesures a conduit le FMI, ce qui est assez rare pour être souligné, à défendre auprès des autorités lettones, sans grand succès, le maintien de certaines prestations sociales.
Dès la fin 2009, la Lettonie a commencé à rebondir. En 2011 et 2012, sa croissance a, de nouveau, dépassé 5 % et a été la plus forte de l'Union européenne. Elle devrait d'ailleurs s'établir légèrement au-dessus de 4 % cette année et les années suivantes, ce qui peut nous rendre envieux.
Au total, la Lettonie n'aura finalement utilisé que 4,4 milliards d'euros et a remboursé le prêt du FMI de manière anticipée.
Comment expliquer un rebond aussi rapide ?
Le facteur d'explication le plus important tient probablement à la très grande capacité d'acceptation des mesures d'ajustement par la population. Elle doit être mise en perspective avec les temps très difficiles vécus sous la période soviétique et juste après l'indépendance ; en outre, la crise est intervenue à l'issue d'une très forte surchauffe économique ; les ajustements ont donc été perçus par la population comme une forme de « retour à la normale » après une période euphorique. D'autres explications doivent toutefois être mentionnées.
Tout d'abord, en dépit de coalitions parlementaires instables, le Premier ministre et le ministre des finances ont défini avec les prêteurs une stratégie de sortie de crise explicite et crédible, et ont pris rapidement des mesures de grande ampleur ; ils ont ensuite fait preuve de beaucoup de détermination et de constance ; leur mérite est d'autant plus grand que le paysage politique est à la fois éclaté et mouvant, ce qui favorise peu la conduite dans la durée de politiques exigeantes. Le taux de popularité des institutions et des autorités politiques en Lettonie est actuellement particulièrement faible, mais le système mis en place tient pour l'instant.
Ensuite, l'action du Gouvernement a été facilitée par un stock de dette publique faible au début de la crise, mais aussi par l'apport important des fonds structurels européens.
Il y a également eu une mobilisation et une coordination importantes de l'ensemble des prêteurs, non seulement publics, qu'il s'agisse de l'Union européenne, du FMI, de la Banque mondiale ou des États scandinaves, que privés. Il faut souligner tout particulièrement l'attitude « amicale » déterminante des banques scandinaves, en particulier suédoises, compte tenu de leur passé historique commun.
Enfin, les caractéristiques de l'économie lettone ont favorisé un ajustement rapide. La flexibilité du marché du travail a ainsi entraîné une forte baisse des salaires et des licenciements importants et les gains de productivité ont été rapides avec les réformes, compte tenu du retard du pays. Surtout, l'économie lettone étant de taille réduite et très ouverte, l'évolution de sa compétitivité a eu des effets massifs sur ses échanges et sa croissance.
Pour autant, le tableau n'est pas idyllique. Le taux de chômage, qui a diminué depuis, avait dépassé les 20 %, la pauvreté et l'économie grise se sont développées de façon très conséquente et la baisse des salaires publics a favorisé l'émigration des fonctionnaires les plus brillants.
Une fois le pays sorti de la crise, une demande croissante de redistribution des « fruits de la croissance » est apparue et des premiers allègements d'impôts ont été votés au printemps 2012, visant à réduire les tensions inflationnistes pour faciliter l'entrée dans la zone euro et à améliorer la compétitivité de l'économie.
A l'approche des élections législatives de l'automne 2014, le budget maintient une politique rigoureuse, avec un déficit prévisionnel limité à 1,4 % du PIB, mais augmente certaines dépenses en faveur des allocations sociales, du soutien de la croissance, de l'encouragement à la natalité et pour augmenter les salaires de certaines catégories de fonctionnaires, notamment les enseignants, les infirmières et les policiers.
Pour l'avenir, les défis à relever restent importants et des points de vigilance demeurent concernant la situation de ce pays qui va bientôt rejoindre la zone euro.
Tout d'abord le niveau des dépôts bancaires des non-résidents, qui représentent environ la moitié du total des dépôts, et sont, pour environ 90 %, originaires de Russie ou d'autres anciennes républiques soviétiques. Pour autant, toute comparaison avec la Suisse ou Chypre doit être relativisée compte tenu du poids limité de l'industrie bancaire en Lettonie. Surtout, l'Union européenne a demandé à la Lettonie d'être très vigilante sur ce sujet, compte tenu des risques qui pourraient résulter d'un retrait massif de ces dépôts pour le système bancaire, même si jusqu'ici, la part de ces dépôts est relativement stable. Les autorités ont donc imposé aux banques spécialisées dans l'accueil de ces dépôts des ratios prudentiels plus exigeants que le droit commun, et font preuve de vigilance par rapport aux risques de blanchiment.
On notera par ailleurs que la Lettonie offre depuis 2010 un visa « Schengen » de cinq ans à toute personne effectuant un investissement supérieur à un certain montant, ou déposant plus de 300 000 euros sur un compte à terme pendant cinq ans. Cette disposition, qui commençait à faire débat et à susciter des tensions au sein de la coalition gouvernementale, devrait être prochainement modifiée, avec un contingentement de plus en plus important des biens immobiliers donnant droit au visa et l'obligation de versement de 25 000 euros à un fonds de développement économique.
Une autre question porte sur le maintien de la compétitivité dans un contexte de reprise et de rattrapage des salaires et des prix par rapport à la zone euro. L'inflation est très faible, mais des risques existent, notamment dans le secteur des services et des petites professions indépendantes. A ce stade, toutefois, les hausses de salaires semblent en ligne avec les gains de productivité, et la Banque centrale lettone nous a semblé très vigilante sur cette question qui préoccupe la BCE.
Il faut également que le Gouvernement renforce sa lutte contre l'économie grise, qui s'est nourrie de la crise, et s'attaque à la question des inégalités et du chômage de longue durée.
Enfin, des réformes structurelles restent à accomplir, en particulier s'agissant du renforcement des institutions, de la gouvernance des entreprises publiques et de l'efficacité de la justice civile, ainsi que de l'amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur et du développement de l'apprentissage.
La Lettonie doit aussi trouver un modèle économique pour les années à venir. De ce point de vue, elle dispose de quelques atouts, notamment des ports en eaux libres toute l'année, qui ouvrent la voie vers les anciennes républiques soviétiques par le chemin de fer notamment, le pays se classant au quatrième rang européen pour le fret ferroviaire. Son commerce est principalement tourné vers l'Allemagne, la Russie et les pays nordiques. Le modèle économique est, quoiqu'il en soit, confronté à un défi démographique de grande ampleur. En effet, le vieillissement de la population est très marqué et ses effets sont accrus par une forte émigration, principalement d'étudiants et de jeunes actifs. Depuis 2001, 14 % des Lettons en âge de travailler auraient quitté le pays, pour aller notamment en Allemagne, en Suède ou en Irlande. Même si ce phénomène semble ralentir, cette évolution est un facteur de préoccupation tant pour le dynamisme économique que pour la soutenabilité des finances publiques à long terme. La prise de conscience de ces enjeux semble se faire et conduira bientôt à se poser des questions délicates comme celle d'un éventuel recours à l'immigration pour pallier la réduction de la population active.
Ce vieillissement peut avoir également un effet sur l'acceptation du contrat social par les plus jeunes, peu optimistes quant à leur avenir, d'autant que ce contrat social est déjà bousculé par les inégalités et par la division du pays entre lettophones et russophones, lesquels représentent 27 % de la population et sont majoritaires dans la capitale. Le maire actuel de Riga est d'ailleurs un russophone. Par ailleurs, environ 14 % de la population, essentiellement des russophones, a un statut de « non-citoyen » qui ne donne pas le droit de vote, l'accès à la citoyenneté étant conditionné au passage d'un examen de langue, d'histoire et de connaissance de la Constitution. Beaucoup refusent encore de se prêter à ces tests pour devenir citoyen letton et obtenir le droit de vote.
J'en viens enfin à l'état d'esprit dans lequel la Lettonie aborde son entrée dans la zone euro. Il faut d'abord souligner que ce choix n'est pas seulement économique mais aussi géopolitique. Tout ce qui arrime la Lettonie aux institutions euro-atlantiques et européennes reste perçu comme un gage de sécurité par rapport au voisin russe.
Si l'adhésion est largement soutenue par la classe politique, elle est, pour autant, assez impopulaire. Cela s'explique par divers facteurs : l'abandon d'une monnaie nationale symbole de l'indépendance, le poids des efforts accomplis au cours des dernières années pour entrer dans l'euro, qui a laissé d'importantes traces au sein de la population, la forte défiance dans les institutions qui portent cette ambition et, enfin, la crainte d'une « valse des étiquettes » que nous avons connue aussi dans notre pays. Les échos des plans de sauvetage successifs de la Grèce et de Chypre ont, par ailleurs, rendu peu attractive la zone euro.
Le Gouvernement letton m'a paru intégrer parfaitement les enjeux et les engagements liés à l'adhésion à la zone euro. En particulier, le ministre des finances m'a indiqué clairement qu'il était favorable à l'approfondissement de l'union bancaire et au développement de la régulation économique et financière en Europe. Il a aussi indiqué, ce qui n'avait pas toujours été dit de manière explicite, sa totale adhésion au principe de solidarité qui implique qu'un pays rencontrant des difficultés sera aidé par les autres. J'ai insisté sur ces points car il me semble important que nous accueillons dans cette « copropriété » qu'est la zone euro des membres qui vont de l'avant et sont prêts à en accepter les contraintes, le cas échéant.
Je formule encore deux remarques concernant l'intégration européenne. D'une part, la classe politique nous a semblé très favorable au renforcement de la gouvernance budgétaire européenne. La Lettonie avait d'ailleurs anticipé le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et a dû ensuite procéder à des ajustements pour s'y conformer. D'autre part, le Gouvernement nous a semblé ouvert à la discussion sur la question de l'harmonisation fiscale, mais dans une perspective à moyen terme qui permette au pays de disposer de marges de manoeuvre pour converger vers les pays de la zone euro.
Voici, mes chers collègues, les quelques éléments d'information que je souhaitais porter à votre connaissance. Au total, la Lettonie m'est apparue un candidat sans doute peu enthousiaste mais courageux, rigoureux et prêt à aller de l'avant dans l'intégration de la zone euro. Il est utile que nous renforcions nos liens avec ce pays, proche culturellement et économiquement des pays d'Europe du nord, et qui participera avec nous, demain, aux décisions qui engageront l'ensemble de la zone euro.
M. Yvon Collin, vice-président. - Je remercie le rapporteur général pour cette communication très éclairante et exhaustive sur la Lettonie qui entrera dans quelques semaines dans la zone euro. J'ai bien noté le choc subi par ce pays pour se redresser et ses effets collatéraux, notamment en matière sociale et en termes d'émigration. Je m'interrogeais en vous écoutant sur la place des syndicats en Lettonie et le rôle qu'ils ont joué dans cette acceptation subie. Finalement, la Lettonie a retenu la méthode allemande consistant à procéder à de la désinflation compétitive pour se redresser.
M. Jean-Paul Emorine. - Connaissant un peu le pays, je souscris tout-à-fait aux propos du rapporteur général tout en rappelant l'influence russe qui s'y exerce. Je salue l'intégration de la Lettonie dans la zone euro, laquelle ne prend pas d'énormes risques compte tenu de la taille de ce pays, unis par des liens forts avec les pays scandinaves, dont de nombreuses entreprises sous-traitent leur production aux pays baltes.
La Lettonie souhaite notamment son intégration à la zone euro pour sécuriser son indépendance vis-à-vis de la Russie, les relations de cette dernière étant toujours difficiles avec les États appartenant anciennement à l'Union soviétique et créant des partenariats avec l'Union européenne. Vous avez d'ailleurs rappelé qu'une partie de la population russophone n'avait toujours pas la qualité de citoyen en Lettonie.
J'estime par ailleurs que les pays de la zone euro devraient développer leurs relations avec des pays comme l'Ukraine, mais aussi avec la Russie afin de détendre les tensions entre cette dernière et les pays qui se rapprochent de l'Union européenne.
Enfin, je souhaiterais connaître le poids de la dette publique par rapport au PIB.
M. Jean Germain. - Je remercie à mon tour le rapporteur général pour sa présentation très exhaustive. Il me semble que la population lettone n'est en effet pas très enthousiaste à l'idée d'intégrer la zone euro. D'ailleurs, alors que le Parlement a voté l'autorisation pour la Lettonie d'intégrer la zone euro, une pétition nationale a été lancée au printemps par les syndicats demandant un référendum sur ce sujet.
Je rappelle également que la Lettonie a un passé historique fort, non seulement avec la Russie mais également avec l'Allemagne. Lors de la déclaration d'indépendance du pays en 1991, les russophones n'ont pu obtenir la nationalité, ce qui crée encore aujourd'hui des tensions.
L'intégration à la zone euro ne se fera pas sans difficulté, une part de l'opinion publique lettone ne la souhaitant pas. La tension politique est forte sur ce sujet et la crainte porte tout particulièrement sur le risque d'inflation, comme le mettent notamment en évidence les médias allemands ou russes.
Riga est une ville très étudiante, avec notamment des Allemands qui viennent y faire leurs études, en particulier de médecine, lorsqu'ils n'ont pu intégrer les filières souhaitées en Allemagne. Cette situation est d'ailleurs comparable à celle des étudiants français qui, n'intégrant pas l'école de médecine vétérinaire, très sélective à l'entrée en France, partent en Belgique où la sélection s'opère plus tard, en cours de cursus.
Alors que Riga est une ville très « pop », ouverte vers l'extérieur et animée, avec tous ces étudiants qui se côtoient, notamment dans les cafés, une partie de la population locale craint, pour sa part, que l'intégration de la zone euro ne conduise à une hausse du chômage et de l'inflation.
La Lettonie me semble donc connaître une situation politique compliquée, d'autant que pour certains Lettons, l'Union soviétique apportait une stabilité que le pays ne connaît plus. Même si je ne partage pas nécessairement cette analyse, il convient tout de même d'en tenir compte.
M. François Patriat. - L'exposé du rapporteur général était lucide et éclairant. Lors de mon voyage dans les pays baltes en 2001 avec Pierre Moscovici et Jacques Chirac, alors Président de la République, celui-ci apportait un message d'espoir en affirmant que nous allions aider leur pays à intégrer la zone euro, ce qui nous a d'ailleurs aidé à régler le difficile sujet des « légations baltes ».
À l'époque, j'avais constaté le fort contraste entre les villes, très en pointe du point de vue technologique, et les zones rurales, très proches de notre France du début du XXème siècle. Alors que les relations avec la Russie et les questions de citoyenneté étaient déjà des sujets de préoccupation, l'intégration dans la zone euro était perçue comme une solution d'avenir. Depuis, l'espoir a fait place au doute, comme l'a montré le rapporteur général avec beaucoup de lucidité. Le chemin pour arriver maintenant au bout de la démarche n'est pas aisé, surtout si les Européens ne sont pas vraiment à même de convaincre c'est un projet que nous pouvons développer en commun.
Je souscris pleinement à l'analyse du rapporteur général sur l'état actuel de la Lettonie et ses relations avec les autres pays européens, en rappelant tout de même les forts liens d'amitié existant également entre ce pays et la France.
M. François Marc, rapporteur général. - Je vous remercie pour ces interventions qui, par le récit des expériences de chacun, enrichissent la connaissance collective.
Pour répondre aux questions qui m'ont été posées, les syndicats comme tous les corps intermédiaires ont une faible influence en Lettonie. Au cours de la période de mise en oeuvre de la politique d'austérité, quelques manifestations ont été organisées et n'ont entraîné que peu de désagréments, tout juste un carreau cassé.
Ensuite, la Lettonie est un pays peu endetté puisqu'il connaît un taux d'endettement public de seulement 44 % du PIB, que beaucoup d'autres pays européens lui envient.
Je partage également le souhait de développement des partenariats avec des pays comme la Lettonie qui peuvent servir de passerelles vers d'autres régions du monde.
Il est vrai que la France et la Lettonie ont développé de forts liens d'amitié. Lors de mon déplacement, j'ai d'ailleurs pu constater que la France avait une bonne image et que sa position en faveur d'une forte régulation de l'activité bancaire et financière en Europe était assez bien partagée. Les autorités lettones rencontrées rejoignent aussi davantage la ligne franco-allemande portée sur la recherche de régulation que la ligne anglaise, plus libérale.
S'agissant de Riga, comme Jean Germain, j'ai pu constater que c'était effectivement une ville sympathique, avec une vie étudiante et festive importante.
La pétition lancée pour demander l'organisation d'un référendum sur l'intégration dans la zone euro a rencontré peu de soutien dans les mouvements politiques et n'a pas réellement mobilisé la population. Le parti russophone, qui cherche à élargir sa base électorale au-delà des barrières linguistiques, se déclare hostile à l'intégration tout en s'y opposant assez mollement.
Il semble finalement que tout le monde souhaite intégrer la zone euro sans vouloir le dire et parfois à reculons. Il ne faut pas oublier que les fonds structurels européens ont apporté beaucoup au pays, avec l'octroi de 450 euros par an et par habitant.
M. Jean Germain. - C'est autre chose que la dotation de solidarité rurale !
M. François Marc. - Je partage également le constat de la segmentation du pays entre les agglomérations en pointe et les zones rurales très en retard du point de vue technologique. Toutefois, une réflexion est menée pour tirer partie de cette agriculture peu intensive et encore préservée, en développant une agriculture biologique.
M. Yvon Collin. - Je remercie le rapporteur général pour cette communication qui nous a permis d'être mieux informés sur la situation de la Lettonie. Impressionné par les mesures drastiques qui ont été prises par les autorités lettones, j'imagine mal comment un tel choc pourrait être appliqué dans notre pays.
Il me reste à demander à la commission si elle donne acte de sa communication au rapporteur général. Je constate un accord unanime et je m'en réjouis.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur général.
Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) -Contrôle budgétaire - Communication de M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial
Puis la commission entend une communication de M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial, sur l'agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI).
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial des crédits dédiés à la sécurité routière, j'ai décidé de mener un contrôle budgétaire sur l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI). C'est d'ailleurs le seul opérateur de la mission budgétaire « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Elle est financée par une partie du produit des amendes de la circulation et du stationnement routiers. L'année dernière, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, mon attention avait été attirée par l'évolution de son budget de fonctionnement. En particulier, j'avais pu constater une forte augmentation des loyers mais aussi une masse salariale équivalente à 95 000 euros par agent. J'ai donc voulu regarder de plus près la manière dont est géré cet établissement.
Depuis le début de mon contrôle - mais c'est purement fortuit - l'Agence est au coeur d'une petite tempête médiatique qui vient de causer la démission de son directeur. En effet, alors qu'elle a pour mission d'adresser des millions de contravention chaque année, son directeur - semble-t-il - ne payait pas les siennes lorsqu'il s'agissait de sa voiture de fonction.
Ce même directeur avait d'ailleurs appelé mon attention sur la question des flottes d'entreprise. En effet, le plus souvent les entreprises ne désignent pas les conducteurs et se substituent à eux pour le paiement de la contravention. En revanche, il n'y a pas de retrait de point alors que cela constitue une partie importante de la sanction.
Cette situation est d'autant plus regrettable que j'ai eu l'occasion de le rencontrer par deux fois et que je porte une appréciation globalement positive sur son action à la tête de l'Agence.
L'ANTAI est chargé d'envoyer les avis de contraventions relatifs aux infractions relevées par les radars et par les systèmes électroniques de procès-verbal - dit PVé. Elle s'appuie beaucoup sur des prestataires privés. Les effectifs de l'Agence, composée de 26 agents, sont principalement à Paris tandis que sur le site de Rennes, les personnels sont principalement employés par la société Atos Worldline.
Le Centre de Rennes, c'est une « usine à contraventions ». J'ai eu l'occasion de m'y rendre, c'est très impressionnant. Chaque jour, le Centre fait partir 117 000 courriers, la plupart sont des avis de contravention, et en reçoit environ 20 000, la plupart étant des contestations.
Compte tenu de cette organisation, l'Agence emploie surtout des cadres supérieurs de la fonction publique - cadres A ou A + - ou des contractuels spécialisés. Elle ne comprend qu'un cadre de catégorie B et trois cadres de catégorie C. Dès lors, cela explique la moyenne élevée de la masse salariale par agent.
Quant à la double implantation à Paris et à Rennes, l'ANTAI fait valoir qu'elle effectue un important travail interministériel sur Paris. Les loyers sont assez raisonnables puisqu'ils sont de 153 euros par mètre carré à Rennes et de 353 euros par mètre carré à Paris. Auparavant, le loyer était directement pris en charge par le sous-traitant et, en 2012, l'ANTAI a décidé de reprendre le bail à son nom, ce qui donne l'impression que ce poste a augmenté alors que, en réalité, l'Agence a réalisé une économie.
L'Agence est une structure principalement de pilotage. À Rennes, la société Atos emploie près de 70 ingénieurs. Pour suivre leur travail, l'ANTAI a recours à un autre prestataire extérieur. Son budget s'élève à environ 125 millions d'euros, qui se révèle plutôt rigide compte tenu du poids des marchés publics. En outre, compte tenu des volumes traités chaque jour, cela ne paraît pas anormal. L'Agence dispose de 40 à 45 jours de fonds de roulement, soit 14,5 millions d'euros. Le budget me paraît maîtrisé malgré une progression constante du nombre de courriers envoyés. En 2016, elle prévoit d'adresser 46 millions de courriers et d'en recevoir 12 millions.
La démarche de performance de l'ANTAI est tout à fait exemplaire. Elle dispose de plusieurs indicateurs suivis par « un pilote d'indicateur ». À titre d'illustration, 95 % des appels reçoivent une réponse dans un délai de 40 secondes.
En revanche, le taux d'envoi d'avis de contravention par rapport aux infractions relevées par les radars n'est que de 70 %. Autrement dit, 30 % des conducteurs « flashés » ne reçoivent jamais d'avis de contravention. Cela s'explique notamment par l'impossibilité de relever l'immatriculation : plaques sales, absence de plaques à l'avant des motos, etc.
Pour les plaques étrangères, l'entrée en vigueur d'une directive européenne, le 7 novembre prochain, permettra de mieux verbaliser les conducteurs des Etats-membres de l'Union européenne, hors Royaume-Uni, Irlande et Danemark. C'est un point d'effort qui n'est pas négligeable.
J'en termine avec les pistes d'amélioration pour l'ANTAI. D'abord, je pense que l'Agence peut gagner en productivité par une dématérialisation accrue, des procédures de contestations. Aujourd'hui, pour contester une contravention, il faut envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception, qui doit systématiquement être numérisée au Centre de Rennes. Au jour le jour, près de 150 personnes sont mobilisées sur différents postes pour assurer le traitement de ces contestations. Certes, comme le souligne le directeur de l'ANTAI, la dématérialisation va entraîner un afflux supplémentaire de contestations. Il semblerait que le fait d'effectuer la démarche de devoir poster une lettre recommandée décourage certains contrevenants. C'est pourquoi, je pense que, même en ligne, il serait possible de demander des frais de dossiers qui auraient le même « impact psychologique ». En tout état de cause, compte tenu des développements informatiques nécessaires, des frais de dossiers seraient tout à fait justifiés.
Une autre piste suivie par l'ANTAI consiste à élargir le champ d'intervention du PVé au-delà des infractions routières. Aujourd'hui, le PVé peut prendre en charge 687 natures d'infractions. À terme, on pourrait porter ce chiffre à 1 000.
En un mot, c'est une Agence dynamique qui effectue sa mission dans des conditions satisfaisantes. À terme, il me semble qu'elle peut encore diminuer ses coûts et augmenter ses ressources par la diversification de ses missions. J'ai bien conscience qu'il s'agit d'évolutions de longue haleine qui doivent être préparées dès maintenant.
M. Yvon Collin, vice-président. - Je suis très étonné par le fait que 30 % des « flashs » ne fassent pas l'objet d'un avis de verbalisation.
M. Albéric de Montgolfier - Compte tenu du nombre considérable de courriers reçus par l'Agence, avez-vous l'impression que les contestations sont traitées avec sérieux ? On m'a rapporté dans mon département le cas d'un tracteur agricole qui avait fait l'objet d'un relevé d'infraction par un radar sur le périphérique ! Et le conducteur a eu toutes les peines du monde pour faire débloquer le dossier. En un mot, est-ce que le recouvrement prime sur la qualité de la réponse ?
M. Gérard Miquel. - Pour ma part, je m'étonne de l'attitude du directeur qui vient de démissionner. Il a fait preuve d'un manque de discernement et la sanction me semble tout à fait justifiée.
J'aimerais connaître l'avis du rapporteur spécial sur la proposition d'abaisser à 80 kilomètres par heure la vitesse sur les routes départementales. Personnellement, je n'y suis pas du tout favorable. Je me méfie de toutes les formes d'intégrisme. Ce n'est pas ainsi que vous empêcherez les excès de vitesse. Nous devons continuer de travailler pour supprimer les points dangereux, installer des glissières de sécurité, etc. Les départements font ces aménagements mais nous n'allons tout de même pas interdire aux gens de circuler !
Mme Michèle André. - Vous aviez un questionnement sur les deux sites, à savoir une implantation à Paris et à Rennes. Je suppose qu'il y a une histoire derrière ces deux implantations. L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), par exemple, a bien un siège à Paris et une plateforme à Charleville-Mézières. Pensez-vous qu'il faudrait rapatrier tous les agents de l'ANTAI à Rennes ?
Ma seconde question rejoint celle d'Albéric de Montgolfier. Comment les contestations, en particulier celles ayant trait aux usurpations de plaques, sont-elles traitées ? Comment cela se passe-t-il en pratique ? Il est extrêmement facile de faire des fausses plaques. Aucun document n'est demandé. Ne faudrait-il pas apporter une preuve lorsque l'on fait faire des plaques d'immatriculation ?
Parfois aussi, les préfectures peuvent prendre un temps assez long pour enregistrer les ventes de véhicules.
M. François Fortassin. - - Aujourd'hui, il est parfois difficile de traverser la France sans se faire « flasher » par un radar ! Il y a un certain nombre de limitations de vitesse qui n'ont aucune justification sur le plan de la sécurité routière. Le système est aveugle. Je circule régulièrement sur une autoroute sur laquelle la vitesse est limitée alternativement à 130 kilomètres par heure à 110 kilomètres par heure. Ces limitations s'appliquent de la même manière à tout heure de la journée et quel que soit la densité de la circulation.
Parfois, on a le sentiment que l'implantation de radars est justifiée par la levée de recettes plutôt que par la sécurité.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - S'agissant du traitement des contestations, deux tiers des lettres reçues concernent la désignation d'un autre conducteur. Quant aux autres, il s'agit certes d'un traitement de masse, qui peut parfois conduire à des incohérences mais, dans l'ensemble, les contestations font l'objet d'une réponse adaptée.
En cas de vol ou d'usurpation de plaques, il faut renvoyer le formulaire avec le récépissé de dépôt de plainte.
Sur la question de la double implantation, Rennes a été choisie car y était implanté le centre de recouvrement de la redevance télévisuelle. On a donc reconverti un service public existant. Je comprends l'argument avancé selon lequel il y a une grosse charge de travail interministériel. Néanmoins, il me semble que l'on pourrait regrouper une plus grande partie des effectifs à Rennes.
Je suis d'accord avec Gérard Miquel. Je me demande néanmoins si, dans d'autres administrations, on effectue des contrôles pour éviter de telles dérives. À mon avis, le directeur de l'ANTAI est loin d'être le seul.
Quant à la baisse de la vitesse sur les routes départementales, j'y suis également défavorable. Il faut se garder de solutions excessives. La politique de sécurité routière a porté ses fruits. Nous devons continuer mais c'est inutile d'aller trop loin. Je rejoins les réflexions de François Fortassin. Nous avons tous constaté que certains radars ne semblaient manifestement pas installés dans des zones accidentogènes. Pour autant, je ne pense pas que nous devons revenir en arrière. Il faut trouver le bon point d'équilibre.
À l'issue de ce débat, la commission donne acte de sa communication à Vincent Delahaye, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Jeudi 17 octobre 2013
- Coprésidence de M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances, et de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -Financement public des grandes infrastructures sportives - Communication de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, et M. Dominique Bailly, rapporteur au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
La commission entend une communication de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, et M. Dominique Bailly, rapporteur au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le financement public des grandes infrastructures sportives.
M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. - Nous souhaitons la bienvenue à nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. J'ai l'honneur de coprésider cette réunion avec sa présidente Marie-Christine Blandin. Vous savez que notre président Philippe Marini participe avec Marc Massion, à la première conférence interparlementaire sur la gouvernance budgétaire prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en Europe.
Nos travaux de ce matin s'inscrivent dans la tradition de contrôle exercé conjointement par nos deux commissions, qui nous avait déjà conduits à examiner au printemps, avec Dominique Gillot et Philippe Adnot, le bilan consolidé des sources de financement des universités. Jean-Marc Todeschini et Dominique Bailly nous présentent le financement public des grandes infrastructures sportives, sujet que M. Todeschini a déjà abordé sous le prisme du rôle du Centre national pour le développement du sport (CNDS).
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Merci de nous accueillir. Nous menons en effet de nombreux travaux communs. Nous apprécions l'expertise de la commission des finances : ainsi, s'agissant des aides à la presse, elle nous a été précieuse et je me félicite que les remarques que nous avions formulées quant à la situation des photographes aient été prises en compte.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial de la commission des finances. - L'idée d'orienter mes travaux de contrôle vers le financement public des grands équipements sportifs m'est venue des difficultés posées par la participation du CNDS à la construction ou à la rénovation des stades de l'Euro 2016 de football. La question centrale était alors celle-ci : que doit payer l'État, que doit payer le CNDS ? Toutefois, cela est loin d'épuiser le sujet puisque l'essentiel des financements provient pour l'heure des collectivités territoriales. Les pressions qui s'exercent sur elles sont multiples. Quelques années après les travaux des commissions « grands stades » ou « grandes salles », ceux des députés David Douillet et Bernard Depierre, après la vaste étude de la Cour des comptes sur les rapports entre les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels, nous avons donc souhaité étudier ces questions à notre tour.
Chacun connaît l'expertise de Dominique Bailly dans le domaine sportif et son expérience à la mairie d'Orchies, ville de basket-ball. Nous avons mené de nombreuses auditions - ministère, CNDS, fédérations, ligues, clubs, sociétés d'exploitation, consultants, etc. - et nous sommes déplacés à Lyon, Saint-Etienne ainsi qu'au Havre.
Les clubs d'élite des principaux sports pratiqués en France évoluent dans des stades ou des salles de capacité moyenne. En football, la capacité moyenne des stades de Ligue 1 s'élève à un peu plus de 29 000 places, contre plus de 38 000 en Premier league anglaise. En Pro A de basket-ball, la salle moyenne compte 4 569 spectateurs. En outre, nos deux plus grands équipements sportifs n'ont pas de club résident. Il s'agit en premier lieu du Stade de France, qui compte plus de 80 000 places. Cette absence de club résident a d'ailleurs valu à l'État de payer jusqu'à cette année une indemnité au consortium qui gère le stade.
Il s'agit également du Palais omnisports de Paris Bercy (POPB), seule salle française de plus de 10 000 places en configuration sport, qui n'abrite aucun club non plus. Ses dirigeants, qui nous ont exposé leur projet de rénovation à l'horizon 2015, considèrent d'ailleurs une telle absence comme un atout, sans renier la vocation sportive du lieu. Ainsi le sport est pour eux un événement comme les autres - au moins 35 jours par an -, qui se programme au milieu des spectacles, plus lucratifs, sans que le calendrier des compétitions d'un club ne puisse modifier la programmation de la salle.
En France, le modèle public prédomine : dix-neuf des vingt stades de Ligue 1 de football, douze des quatorze stades du Top 14 de rugby et la totalité des dix-huit salles utilisées en Pro A de basket-ball appartiennent à une collectivité. Les modes d'exploitation sont plus variés, mais le modèle dominant reste celui de l'exploitation par la collectivité elle-même, le club résident étant un simple locataire.
Les propriétaires, presque toujours des collectivités, font l'objet de pressions diverses, par exemple à l'occasion de grandes compétitions, pour agrandir ou améliorer ces équipements à leur frais. Les cahiers des charges des organisateurs de ces compétitions sont de plus en plus fournis : d'après le préfet Jacques Lambert, celui de la Coupe du monde de 1998 faisait 15 pages, contre 500 pour l'Euro 2016. Les villes peuvent certes renoncer à postuler...
Les fédérations et ligues, nationales ou européennes, ont également des exigences croissantes. Certes, aux termes de l'article R. 131-33 du code du sport, elles ne peuvent imposer des règles dictées par des impératifs d'ordre commercial, comme le nombre de places, les espaces affectés à l'accueil du public, ou les installations de retransmission audiovisuelle. Mais, outre les pressions informelles, émergent des cahiers d'exigences baptisés par exemple « licence club » ou « labels stades », fondés en partie sur des critères commerciaux. Le respect de certaines de ces normes conditionne, dans certains cas, l'attribution d'une partie des droits télévisuels.
En Europe, les organisateurs ont moins de scrupules et peuvent conditionner l'inscription de clubs au respect de normes commerciales ou télévisuelles dans l'enceinte d'accueil. Nos trois champions nationaux des principaux sports de salle de l'année en cours n'évoluent pas dans des lieux conformes au cahier des charges européen : en basket-ball, Nanterre devra quitter son Palais des sports municipal pour se rendre à la Halle Carpentier afin de jouer l'Euroligue ; en handball, le PSG Hand évoluera également à Carpentier et non à Coubertin pour disputer la Ligue des champions ; en volley-ball, le Tours volley a bénéficié d'une grâce pour la saison en cours mais devra avoir trouvé une solution dès l'année prochaine. Les pressions subies par les collectivités peuvent être simplement locales, le club pouvant faire valoir ses propres besoins de développement, avec parfois un fort écho médiatique.
M. Dominique Bailly, rapporteur de la commission de la culture. - Les évolutions récentes du stade de football montpelliérain de la Mosson illustrent parfaitement notre propos. Au cours des deux dernières décennies, Montpellier agglomération, son propriétaire, a réalisé de nombreux travaux. D'abord, une modification significative des plans du stade à l'occasion de la Coupe du monde de football dont Montpellier a été l'une des villes hôtes, avec la création d'un centre de presse et d'un salon officiel et d'autres rénovations, pour un coût total d'environ 20 millions d'euros. Ensuite, des adaptations de 4 millions d'euros pour accueillir la Coupe du monde de rugby de 2007 (nouvelle pelouse, rénovation des vestiaires, de l'éclairage et de la sonorisation, installations d'écrans géants, agrandissement de la tribune de presse). De nouveaux travaux de réfection, pour plus de 3 millions d'euros, ont porté sur la mise aux normes de l'UEFA de l'ensemble des sièges pour la Ligue des champions 2012-2013. Enfin, bien que la ville ne doive pas accueillir de matchs de l'Euro 2016 de football, l'agglomération a annoncé 50 millions d'euros de travaux pour faire de la Mosson un équipement haut de gamme : couverture de la partie du stade non encore abritée par un toit transparent, agrandissement des loges, mise aux normes handicapés et création de 3 000 places de stationnement.
L'État n'est pas complètement absent, mais ce n'est pas lui qui prend les initiatives. Le plan football lancé en vue de l'Euro 2016 n'implique aucune planification étatique mais un engagement de soutien juridique et financier aux initiatives locales, à hauteur de 160 millions d'euros, porté par le CNDS. Des dispositions législatives et réglementaires ont été prises afin que les stades exploités sous le régime du bail emphytéotique administratif (BEA) ou portés par un acteur privé soient éligibles à ce soutien. Un plan similaire devait concerner le handball dans la perspective du championnat du monde de 2017 organisé en France. Il a été suspendu par le conseil d'administration du CNDS fin 2012, dans le cadre du redressement de ses finances. Les demandes de soutien à la construction passent désormais par le canal ordinaire des demandes de subventions.
Notez que l'octroi de ces aides est suspendu à la décision de la Commission européenne, à laquelle a été notifié, au titre des aides d'État, le régime d'aide du plan football. La Commission ne s'est toujours pas prononcée sur sa compatibilité aux règles de la concurrence. Un examen aussi poussé est assez rare dans le domaine du sport. Le cas des stades de l'Euro 2016 pourrait éclaircir le droit communautaire en la matière, avec cette difficulté : les améliorations en partie financées par le CNDS, bien qu'effectuées à l'occasion d'un événement international, ont vocation à demeurer et à profiter en partie à des clubs professionnels.
Dans les projets en cours ou récemment achevés, nous constatons que la propriété publique de l'équipement demeure la règle, à l'exception bien connue de l'Olympique lyonnais (OL). Les modèles d'exploitation sont plus variés : au Havre, un club (HAC) occupant gère le nouveau stade au travers d'une filiale ; les partenariats public-privé (PPP) se répandent, notamment au Mans, à Marseille, à Dunkerque. Reste que dans tous les cas, un fort soutien public est indispensable pour mener les projets à bien, même à Lyon. En effet, le projet de l'OL n'aurait pu aboutir sans soutien public. Ainsi, les expropriations sur le site retenu ont été facilitées par la loi du 22 juillet 2009, qui déclare d'intérêt général les enceintes sportives ainsi que les équipements connexes, « quelle que soit la propriété privée ou publique de ces installations ». Ensuite, le CNDS a octroyé une subvention de 20 millions d'euros au projet lyonnais après modification des dispositions réglementaires interdisant les aides à des projets privés. A cela se sont ajoutés la garantie de 40 millions d'euros du conseil général du Rhône et un prêt obligataire de 20 millions d'euros de la Caisse des dépôts et consignations.
Un dernier mot au sujet de la Fédération française de rugby (FFR), qui ambitionne de se doter d'un stade de 82 000 places à Ris-Orangis, pour un coût de l'ordre de 600 millions d'euros. Le plan de financement reste à définir mais la FFR souhaiterait des apports uniquement privés. Au contraire des clubs, la fédération n'est pas soumise à l'aléa sportif, mais le nombre d'événements qu'elle pourra assurer est moins élevé que celui de clubs engagés dans des championnats réguliers. La FFR fait reposer l'équilibre financier de son ouvrage sur une hypothèse de 17 à 20 événements par an, dont 5 à 6 rencontres du XV de France. Elle souhaite un équipement multimodal, capable d'accueillir d'autres sports ainsi que des concerts.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Dans notre rapport, nous avons préféré les propositions aux injonctions, car le contrôle parlementaire ne saurait empiéter sur l'autonomie des collectivités territoriales. Mieux vaut un recueil des bonnes pratiques comme des pièges à éviter. Chaque acteur impliqué sur ces dossiers doit demeurer à sa place et assumer pleinement ses responsabilités, sans se défausser sur les autres.
Commençons par les collectivités. Un calibrage adéquat de leur projet est un premier impératif. En un mot, elles doivent se garder de la « folie des grandeurs », en dépit de toutes les pressions et des illusions que font naître une ou deux années de résultats exceptionnels du club résident. Les stades de football d'Istres - le club est aujourd'hui en Ligue 2 -, de Grenoble et du Mans constituent des exemples d'infrastructures formatées pour la Ligue 1 sinon pour l'Europe, et que les collectivités propriétaires doivent entretenir bien que les clubs n'attirent pas un public suffisant.
Les collectivités doivent donc prendre une décision dégagée des événements et des succès immédiats et fondés sur de réels besoins de long terme. Les établissements financiers avec qui l'Olympique lyonnais a contracté des emprunts ont demandé un plan de financement fondé sur un scénario de présence de l'OL en Ligue 2 pendant trois ans. Un exemple à suivre. La lourdeur des investissements et la glorieuse incertitude du sport devraient conduire les futurs propriétaires à évaluer la rentabilité dans un scénario résolument pessimiste.
Idéalement, un échelon territorial modérateur - la région, dans certains cas - porterait un deuxième regard sur le projet envisagé. Les collectivités gagnent à partager leurs expériences plutôt qu'à prendre ce type de décisions isolément. L'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) peut fournir le cadre de ces échanges.
Un mot sur les PPP : nous ne les condamnons pas en bloc. Ils permettent parfois de réaliser des projets dont la complexité dépasse la compétence de la maîtrise d'ouvrage publique, offrent des facilités de financement et optimisent la gestion de l'équipement. Mais ce modèle a des limites : un intermédiaire entre la collectivité et le club complique les relations ; et le club perd à long terme le contrôle de son équipement. Pire, ce modèle comporte des dangers : en étalant la charge dans le temps, le PPP incite les collectivités à voir trop grand, au risque de subir de graves déconvenues si le club résident périclite. Il favorise également souvent la prise en compte d'hypothèses sportives optimistes.
M. Dominique Bailly, rapporteur. - S'agissant du rapport entre les clubs et les collectivités, il n'existe pas de modèle idéal. L'agglomération Saint-Etienne Métropole pilote la rénovation du stade Geoffroy Guichard, partie intégrante du patrimoine public local. Les pouvoirs publics assument la dépense : charge à eux de maîtriser la taille et l'évolution du projet.
Néanmoins, dans de nombreux autres cas, l'implication des clubs dans l'exploitation, voire dans la propriété de « leur » stade serait une façon utile de les responsabiliser. Le cas lyonnais n'est guère incitatif au vu des difficultés rencontrés par ce club pourtant très structuré... mais il existe d'autres solutions, comme le BEA ou les conventions d'occupation, attribuant la gestion du stade ou de la salle au club résident. Ce modèle a été choisi au Havre : le club a été associé dès l'origine au projet de nouveau stade, décidé et financé par l'agglomération havraise. Le HAC en assure à présent l'exploitation au travers d'une filiale ad hoc. Il règle les charges d'entretien du locataire et verse une redevance de l'ordre de 1 million d'euros par an à l'agglomération en essayant de dégager ce revenu sur les activités extra-sportives.
Sous cette lumière, il serait opportun de faciliter des transferts de droits ou de propriété en permettant aux collectivités territoriales de soutenir financièrement les clubs à réaliser un projet privé ou à acquérir en tout ou partie un équipement public.
En revanche, quel que soit le modèle retenu, le principe de responsabilité impose de faire payer au club le juste prix de la location de l'équipement. A titre d'illustration, la chambre régionale des comptes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a récemment pointé du doigt le cas de Marseille, pour le choix contestable d'un PPP et pour le très faible montant de la redevance réclamée à l'OM - 50 000 euros par an au lieu des 8 millions d'euros évalués par la chambre.
Quant à l'État, il doit rester à sa place. Il doit limiter son action au co-financement des enceintes destinées à accueillir de grands événements internationaux, dans l'attente de la levée définitive du risque communautaire. En outre, il devrait assumer ses décisions, sans les faire financer par le CNDS. Les engagements ont été pris pour l'Euro 2016 : il importe désormais d'apporter au CNDS la ressource correspondante, afin d'éviter la confusion des rôles et le blocage de certains projets.
Par ailleurs, nous nous félicitons bien sûr du récent accord avec le Stade de France, qui met fin, pour au moins quatre ans, aux pénalités pour absence de club résident - le Sénat les a critiquées à de nombreuses reprises. Et nous voulons souligner que si l'Ile-de-France comptait à l'avenir deux stades de plus de 80 000 places sans club résident, la concurrence serait féroce pour l'organisation des événements ; au bout du compte, l'un des ouvrages péricliterait sûrement, ce qui coûterait très cher. L'État doit par conséquent soutenir la conclusion d'un accord équitable et durable entre le Stade de France et la FFR.
Un dernier mot au sujet des fédérations et des ligues : elles ont trop souvent poussé les collectivités « au crime » en prescrivant des dépenses qui ne les engageaient pas et sans réfléchir à leurs conséquences pour les contribuables. Qu'elles s'interrogent : veulent-elles des championnats déséquilibrés où les mêmes gagnent à chaque fois, et peuvent ainsi s'équiper, comme Barcelone, Manchester ou le Bayern Munich ? Ou bien des championnats plus équilibrés, sans pouvoir exiger alors que chacun soit suréquipé ? Les organisateurs peuvent peser sur le modèle : en amont, avec la répartition de sommes comme les droits télévisuels ; en aval, en évoluant vers des modèles fermés à l'américaine qui anéantissent le risque de descentes - nous n'y sommes personnellement pas favorables mais le débat est ouvert ; à tout le moins en réduisant le nombre de descentes ou bien en accordant un droit à l'erreur ponctuel l'année suivant un investissement important dans un stade.
M. Roger Karoutchi. - Vous parlez du « rôle modérateur » de la région. Pour l'heure, la région Ile-de-France, que je connais bien, a surtout un rôle de financeur, et à contrecoeur qui plus est ! Le Stade de France nous avait été vendu avec le Paris-Saint-Germain comme club résident. En fait, il n'y est jamais allé, et, de surcroît, nous avons dû rénover le Parc des princes. L'entretien du Stade de France coûte cher. Quel club pourrait imaginer remplir régulièrement 80 000 places ? Résultat des courses : la région compense une partie des pertes, sous des formes diverses. Nous avons d'ailleurs payé davantage pour des spectacles comme le Roi Lion ou Cléopâtre que pour les événements sportifs. Ce n'est pas notre rôle. En attendant de rétablir l'équilibre du stade, nous trouvons des expédients, comme l'achat de places pour les scolaires : c'est un bricolage coûteux, pas une solution pérenne.
Puis la FFR a refusé de discuter sur la prolongation de sa convention avec le Stade de France : elle voulait le même équipement pour elle ! Nous avons dit stop : on ne va pas payer pour deux Cléopâtre ! De plus, le territoire retenu, dans l'Essonne, dispose déjà de capacités d'accueil de grands spectacles : le Grand Dôme de Villebon-sur-Yvette compte 15 000 places et n'arrive pas davantage à l'équilibre. Entre la demande sportive et les exigences des fédérations, il faut trouver une voie raisonnable.
Je pourrais aussi parler des fédérations de sport automobile, qui veulent également leur circuit en Ile-de-France... Revenons sur Terre : nous n'avons pas les moyens de payer tout cela. La vérité, c'est que l'État a pris des engagements en prévision des Jeux olympiques de 2012 et s'est désengagé aussi vite, une fois la candidature de Londres retenu par le Comité international olympique. Résultat : les fédérations se tournent désormais vers les collectivités. La région Ile-de-France a mis un terme à certaines conventions avec les fédérations, mais l'on ne tiendra pas longtemps si tout le monde exige son grand équipement.
M. Philippe Dallier. - Je salue à mon tour le travail réalisé par nos deux rapporteurs. À dire vrai, nous nous attendions un peu à leurs conclusions.
La Seine-Saint-Denis a la chance d'avoir le Stade de France. Celui-ci a longtemps vidé nos commissariats les soirs de match - heureusement, une autre organisation a été trouvée depuis pour assurer la sécurité... Mais, à côté de cela, ce département demeure avant-dernier dans le classement des équipements sportifs, alors qu'il a la population la plus jeune de France. L'État a généreusement monté un plan de rattrapage de 15 millions d'euros il y a deux ans, et l'on nous presse de solliciter le CNDS avant que ses subventions ne se tarissent...
Je pense, moi aussi, que le projet de stade de la FFR est une folie. L'agrandissement du Parc des princes dont j'entends parler est aussi une folie. Nous marchons sur la tête : nous n'avons pas les moyens de tout financer. Vous avez raison de souligner que les rôles respectifs de l'État, des collectivités et des fédérations sont à revoir complètement. La libre administration des collectivités territoriales est un principe dangereux s'il consiste à les laisser démunies face aux exigences des fédérations sportives et des ligues. L'État est la plupart du temps partie aux négociations relatives aux équipements, quoi que rien ne l'y oblige. Ne pourrait-on renforcer son pouvoir en la matière ?
Un mot sur les PPP, que l'on pourrait assimiler à une carte de crédit rechargeable pour les collectivités locales pauvres. En Seine-Saint-Denis, y ont eu recours ceux qui n'avaient pas les moyens ! À leurs débuts, on les vantait comme des « financements innovants ». A la vérité, ils consistent à ponctionner durablement les collectivités, qui paient un loyer, et à les déposséder de la maîtrise de leur endettement... C'est pourquoi j'ai toujours refusé d'en signer. Bref, ne peut-on élaborer un schéma national relatif aux grands équipements, en conférant un droit de veto à l'État ?
Mme Corinne Bouchoux. - Sans vouloir m'immiscer dans la politique francilienne, j'approuve totalement les propos de MM. Karoutchi et Dallier : nous marchons sur la tête. Nous ne sommes plus dans les années soixante, à l'époque où les élus voulaient tous leur stade - et une autoroute pour y accéder. L'expérience canadienne nous enseigne qu'il y a là une source majeure de risques pour la vie publique.
Philippe Séguin voyait effectivement dans les PPP une forme de crédit renouvelable susceptible d'assassiner les collectivités locales et les élus avec, mettant à mal notre modèle démocratique. Il avait parfaitement raison.
Soyons attentifs aux évolutions des modèles économiques sportifs : droits de retransmission, salaires des joueurs... Les circuits d'argent, dont l'origine est parfois délictueuse, sont opaques - voyez le rapport de la commission d'enquête dont le rapporteur est Eric Bocquet. Il n'est plus question de sport pour tous mais de dictature du football et du marché, et tandis que de nombreux jeunes sont privés d'équipements de proximité, nous allons construire de nouveaux « temples » qui resteront vides. Sans compter que l'aléa sportif peut tout faire basculer du jour au lendemain. Au Mans par exemple, le stade est superbe mais il ne sert plus à rien. Nos concitoyens nous demanderont des comptes : il est urgent d'agir. La constitution de la mission commune d'information sur le sport professionnel et les collectivités locales est bienvenue.
M. Michel Le Scouarnec. - Je vous rejoins sur le rôle de l'État et du CNDS. Il ne faut toutefois pas oublier les zones rurales. L'État doit viser un développement harmonieux des territoires et notre rôle de parlementaires est d'y veiller. Les crédits du CNDS n'appartiennent pas aux grandes villes. Le sport amateur concerne des millions de gens, et pour assister à des grands événements sportifs ou culturels, les habitants des petites communes doivent faire beaucoup de kilomètres. Par ailleurs, le PPP est un choix risqué, car lorsque le club disparaît, la collectivité doit bien sûr continuer d'honorer ses engagements.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Lorsque j'ai exigé que la rénovation du stade de Lens soit l'occasion de le rendre compatible avec la pratique du rugby, j'ai essuyé une manifestation. J'aimerais donc savoir si tous les nouveaux grands équipements créés pour le football sont aménagés pour accueillir des matchs de rugby.
Je rejoins Philippe Dallier : nous pourrions exiger qu'une étude soit formalisée préalablement au lancement d'un grand projet, qui répertorie les sites existants, leur capacité d'accueil et leur santé financière. L'État pourrait, sur ce fondement, exercer son droit de veto. Il est bon de rendre compatible certains équipements avec d'autres types de manifestations, et pas seulement le Roi Lion, car s'agissant des spectacles d'opéra, au Stade de France, on entend davantage les poids lourds des autoroutes voisines que les chanteurs sur scène.
Avez-vous connaissance de l'évolution des dépenses d'investissement dans les grands équipements, et peut-on les comparer aux dépenses d'investissement en matière de culture et d'éducation ? Soyons sévères dans nos préconisations : tout le monde se serre la ceinture, il n'y a pas de raison que certains se goinfrent de béton pour construire des équipements qui ne seront pas occupés.
Enfin, le CNDS a-t-il deux guichets distincts pour le soutien aux actions territoriales en matière de sport pour tous et le financement des grands équipements, et sont-ils suffisamment étanches ?
M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. - Le CNDS, qui cofinance de nombreux équipements, ne pourrait-il pas jouer un rôle de modérateur en conditionnant son soutien au respect d'une forme de planification ? Le compte d'exploitation du Palais omnisports de Paris Bercy, salle multi-activités, est-il équilibré ? Le POPB peut-il constituer un modèle ?
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Je suis heureux de voir que nous sommes tous d'accord, sans doute parce que nous sommes tous soumis aux mêmes pressions. Reste que légiférer dans ce domaine n'est pas simple. La ministre des sports a été courageuse de n'inscrire aucun crédit au titre de la compensation pour absence de club résident au Stade de France en loi de finances pour 2013, puis d'engager une négociation serrée avec le consortium qui a abouti à l'abandon de cette compensation pour quatre ans. Juridiquement, ce n'était pas évident, mais le consortium a cédé. Il est certain qu'en 1995, l'État a contracté sous la pression de la Coupe du monde. Aujourd'hui, ce type de pression pèse sur les élus locaux.
Le CNDS a été saigné à blanc entre autres par les stades de l'Euro 2016 et les grandes salles dites Arénas. C'est pourquoi la ministre a décidé de supprimer l'enveloppe affectée à ces dernières au sein de cet établissement public. Par ailleurs, je ne considère pas que le CNDS a vocation à jouer un rôle de modérateur, c'est un outil de financement pour les infrastructures dans les territoires, non pour les équipements nationaux. Au dernier trimestre de l'an passé, le plan de redressement adopté par le conseil d'administration du CNDS a interrompu les financements sur tout le territoire, ce qui a posé de nombreux problèmes juridiques.
A propos du grand stade de rugby, même si je n'ai pas employé les mêmes mots que Roger Karoutchi, j'ai la même analyse que lui. Il est déjà heureux que Valérie Fourneyron ait réussi à remettre autour de la même table la FFR et le consortium Stade de France, qui ne se parlaient plus, et qu'un accord ait été trouvé entre les deux parties jusqu'en 2017. Sur son projet de grand stade, cette fédération m'a présenté un dossier alléchant. Mais au bout du compte, les spectacles artistiques de type Cléopâtre ne se produiront pas à la fois dans les deux grands stades, sans même parler du Grand Dôme de Villebon-sur-Yvette. Nous verrons si le projet avance. Cela dit, en pratique, même si la Fédération prévoit un financement sans argent public, nous savons bien que ce type d'équipement n'aboutit pas sans soutien public.
M. Albéric de Montgolfier, président. - L'État apporte au moins des garanties.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - En effet. A Lyon, le conseil général a apporté les siennes. Monsieur Karoutchi, nous ne préconisons pas que la région soit le financeur. Ma région a refusé à Nancy comme à Metz de financer un stade pour l'Euro 2016. Nous penchons pour un rôle modérateur des régions, quoique dans certains endroits, les communautés urbaines pourraient le remplir plus efficacement. Il n'y a pas de modèle unique mais un principe : ne pas laisser les villes seules face aux décisions.
S'agissant des PPP, nous sommes tous d'accord. Le goût pour ces financements ne dépend pas de la couleur politique.
M. Philippe Dallier. - Les mauvaises idées sont les mieux partagées...
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Le scenario présenté par le maître d'oeuvre est toujours trop optimiste, et les détails masqués aux collectivités. Au Mans, l'aléa sportif était censé être couvert par Vinci : en réalité, du fait de la faillite du club, sa couverture risque de retomber sur la ville. Le législateur devra se pencher sur ces sujets.
Le Parc des princes sera agrandi dans la perspective de l'Euro 2016. Mais la coupe d'Europe 2020 se déroulera dans un réseau de grandes villes d'Europe sélectionnées avant le début de l'Euro 2016. L'UEFA choisira vraisemblablement des infrastructures existantes. Ensuite, ce qui est censé n'être qu'une opération ponctuelle deviendra peut-être la règle...
Établir un schéma national suppose de décider de l'implantation des grands clubs. Ce serait l'idéal, mais nous évoluerions de ce fait vers des ligues fermées. Si l'on veut responsabiliser les clubs, à l'image des clubs anglais et allemands, il faut qu'ils soient propriétaires de leur infrastructure ou au moins qu'ils l'exploitent - en France, le budget d'un club est composé pour l'essentiel de masse salariale, ils ne consentent aucune dépense d'investissement. Le droit européen nous amènera peut-être vers ce mode de fonctionnement.
M. Dominique Bailly, rapporteur. - Le constat est partagé sur tous les bancs. Nous pouvons le contrarier si nous faisons preuve d'une vraie volonté politique. La ministre a eu le courage de dire non à la fédération française de handball dans la perspective du championnat du monde de 2017. Ce volontarisme politique doit s'exercer à tous les niveaux, car rien ne peut se faire sans la puissance publique - l'exemple de l'Olympique lyonnais en témoigne.
Le cas du Havre est instructif : la communauté d'agglomération a associé très en amont tous les partenaires sur un projet de développement de long terme. La cuisine centrale du Stade Océane distribue par exemple plus de 2 000 repas dans l'agglomération, sur lesquels l'exploitant, donc le club, touche une commission. Voilà une gestion intelligente. Chaque année, la communauté d'agglomération touche un million d'euros pour rembourser son emprunt. Sommes-nous capables de faire cela à l'échelle nationale ?
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Le stade du Havre est équilibré alors que le club évolue en Ligue 2 car le projet a été conçu sur cette base.
Madame la présidente Blandin, la plupart des stades sont rugby-compatibles. En revanche, je ne peux répondre à votre autre question, ne disposant pas d'éléments précis sur l'évolution annuelle des dépenses des collectivités territoriales en matière de grands équipements sportifs.
S'agissant du POPB, il est bénéficiaire. Son agenda est rempli à l'avance, et la salle est très souvent pleine. Mais il s'agit d'un cas isolé, dans un environnement particulier : l'Ile-de-France, Paris....
M. Philippe Dallier. - Paris n'est pas l'Ile-de-France !
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Le modèle n'est pas transposable. Ceux qui s'y essaient n'y parviennent pas.
Madame Bouchoux, vous avez parlé de temple vide : notre rapport évoque des cathédrales vides...
M. Philippe Dallier. - C'est une question de chapelle !
Mme Corinne Bouchoux. - Je parlais de temple laïc...
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - On invoque souvent les exemples étrangers, mais les sociétés qui se trouvent derrière les clubs ne s'investissent pas toutes de la même façon, et n'investissent pas toutes dans les équipements. La Coupe du monde au Qatar précipitera une évolution vers la démesure totale.
M. Dominique Bailly, rapporteur. - Cela dit, même les Brésiliens s'interrogent sur l'opportunité de dépenser tant d'argent dans les stades de football de la coupe du monde de 2014 !
M. Albéric de Montgolfier, président. - Nous vous remercions. Je propose aux deux commissions de vous donner acte de votre communication et d'en autoriser la publication sous forme de rapport d'information.
Acte est donné aux rapporteurs de leur communication et il est décidé d'autoriser la publication du rapport.