- Mercredi 11 septembre 2013
- Audition du Pr Jean-Luc Harousseau, président du collège de la Haute Autorité de santé sur le rapport d'activité de la HAS pour 2012
- Examen des amendements - Projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes
- Communication de M. Yves Daudigny, rapporteur général, sur la création d'un septième sous-objectif de l'Ondam consacré au Fonds d'intervention régional (FIR)
- Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge - Examen du rapport et du texte de la commission
- Nomination de rapporteurs
- Vendredi 13 septembre 2013
- Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge - Désignation des membres à l'éventuelle commission mixte paritaire
- Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge - Examen des amendements
Mercredi 11 septembre 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Audition du Pr Jean-Luc Harousseau, président du collège de la Haute Autorité de santé sur le rapport d'activité de la HAS pour 2012
La commission procède à l'audition du Pr Jean Luc Harousseau, président du collège de la Haute Autorité de santé sur le rapport d'activité de la Haute Autorité de santé (HAS) pour 2012.
Mme Annie David, présidente. - Nous allons consacrer la première partie de notre réunion de la matinée à la présentation du rapport annuel de la Haute Autorité de santé (HAS). Je suis heureuse d'accueillir le professeur Jean-Luc Harousseau, président du collège de la HAS ; le professeur Gilles Bouvenot, membre du collège et président, au sein de la HAS, de la commission de la transparence ; le professeur Jean-Michel Dubernard, membre du collège, président de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), et M. Dominique Maigne, directeur de la HAS.
Les textes législatifs prévoient la remise annuelle au Parlement d'un rapport d'activité de la HAS, mais également de ses commissions spécialisées, ce qui explique la présence des présidents des instances en charge de l'évaluation des médicaments et des dispositifs médicaux et technologies de santé. Il m'a semblé utile qu'à l'occasion de la publication de ces rapports, notre commission puisse faire le point sur le travail de la HAS, à laquelle le législateur a confié de nombreuses missions. Je remercie donc vivement le professeur Harousseau et l'ensemble des responsables de la HAS de leur présence ce matin.
M. Jean-Luc Harousseau, président du collège de la Haute Autorité de santé. - C'est un moment important pour moi d'expliquer devant la représentation nationale, à l'occasion de la présentation du rapport d'activité 2012 de la HAS, les missions qui lui sont confiées et de réfléchir à son évolution. Je voudrais tout d'abord rappeler brièvement ces missions, avant de donner la parole à mes collègues les professeurs Bouvenot et Dubernard.
La Haute Autorité de santé est une autorité publique indépendante. Sa mission essentielle est l'amélioration de la qualité des produits de santé et des soins afin de garantir à tous les usagers et patients un accès pérenne et équitable. Certains ont pu penser, compte tenu des nombreuses modifications législatives ces dernières années, que les missions de la HAS étaient trop nombreuses et peu lisibles. Je pense qu'il n'en est rien, notre objectif reste le même. De plus en plus, nous souhaitons également améliorer l'efficience des produits de santé, car nous ne pouvons ignorer leur coût dans le contexte économique actuel.
Instance de réflexion stratégique et de validation des décisions prises, le collège de la HAS compte huit membres. Le président du Sénat nommera deux nouveaux membres d'ici la fin de l'année, tout comme son homologue de l'Assemblée nationale. La Haute Autorité compte sept commissions spécialisées, dont deux ont l'obligation d'élaborer un rapport d'activité : la commission de transparence et la CNEDiMTS.
Au total, 400 personnes travaillent dans les services de la HAS, qui comprend trois directions opérationnelles et un service général, tandis que son budget de fonctionnement est de plus en plus serré : il est passé depuis quelques années sous la barre des 60 millions d'euros, au prix de gros efforts pour diminuer les dépenses de fonctionnement et de réduction d'emplois depuis 2010.
Venons-en maintenant au vif du sujet, le rapport d'activité pour 2012, qui comprend deux volets : les actions d'évaluation et de recommandation des produits de santé, d'une part, les actions d'amélioration de la qualité et de l'organisation des soins, d'autre part.
M. Gilles Bouvenot, membre du collège de la HAS, président de la commission de la transparence. - Je suis honoré de présenter devant votre commission le rapport d'activité de la commission de transparence, d'autant que j'ai été désigné à la HAS par le Président du Sénat.
L'année 2012 ne marque pas d'évolution notable par rapport à l'année précédente. Première mission de notre commission : se prononcer sur le bien-fondé de la prise en charge des médicaments par la solidarité nationale. Pour ce faire, nous évaluons le service médical rendu (SMR), autrement dit l'intérêt thérapeutique du médicament, qu'il soit nouveau, ou ancien dans le cadre de la réévaluation quinquennale. Les avis de notre commission ne sont que consultatifs, il revient in fine au ministre d'imposer à l'assurance maladie un taux de remboursement. Si le SMR est important, la commission propose un taux de remboursement de 65 % du médicament, 30 % si le SMR est modéré, et 15 % s'il est faible. Si le SMR est insuffisant, l'avis est défavorable, la commission ne propose pas de taux de remboursement, mais cela ne signifie pas pour autant, loin de là, que le médicament est inefficace. Je rappelle à cette occasion que les autorisations de mise sur le marché des médicaments se font désormais au niveau européen et dans des conditions très satisfaisantes.
Deuxième mission : évaluer le progrès thérapeutique d'un médicament par rapport aux produits déjà disponibles, à travers l'amélioration du service médical rendu (ASMR). Si le progrès est majeur, la cote est de I, et si aucun progrès n'est constaté, elle est fixée à V. Le code de la sécurité sociale est formel : si la commission de transparence octroie une cote de V à un médicament, cela induit mécaniquement des économies pour l'assurance maladie.
Troisième mission : favoriser le bon usage des médicaments, à travers notamment une diffusion spécifique des synthèses de nos avis, qui sont davantage lues par les prescripteurs que nos avis.
En 2012, le service d'évaluation du médicament a transmis à la commission environ 800 dossiers, soit un peu moins qu'en 2011, année particulière il est vrai, compte tenu des quelque 250 saisines ministérielles. Nous avons rendu l'an dernier 870 avis, contribuant ainsi à résorber en partie le stock de dossiers en attente, essentiellement des réévaluations quinquennales. Parmi les 200 dossiers de première inscription en 2012, seulement quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze substances nouvelles sont à signaler, car il est courant qu'une même substance soit déclinée sous différentes formes et avec des posologies variées. L'an dernier, 14 % des nouveaux médicaments évalués ont obtenu un SMR insuffisant et n'ont donc pas été proposés au remboursement. Ce taux est-il trop important, ou la commission est-elle au contraire une passoire ? Je rappellerai que la réglementation européenne actuelle interdit de refuser le remboursement d'un médicament qui n'est pas moins bon que ce qui existe. Par conséquent, quand nous ne proposons pas le remboursement d'un médicament, c'est qu'il est vraiment moins bon que l'existant.
En outre, seuls 10 % des nouveaux médicaments ont apporté un réel progrès thérapeutique en 2012. Ce taux est assez constant d'une année à l'autre. Toutefois, en 2011, l'industrie pharmaceutique a estimé que nous avons été plus sévères que les autres années. Je ne partage pas cette analyse : l'année 2011 a tout simplement été une mauvaise année. S'agissant des trente dossiers d'extensions d'indication présentés en 2012, les statistiques sont meilleures. Cette situation est logique : un médicament traitant le cancer du sein qui fait l'objet d'une demande d'extension d'indication pour le traitement d'un autre cancer a de fortes chances de recevoir un avis favorable.
Nos procédures sont soumises au principe du contradictoire, ce qui est normal en droit français. Les laboratoires peuvent donc contester nos avis, argumenter et être auditionnés pour faire valoir leurs points de vue. Ainsi, quarante auditions ont eu lieu en 2012. Elles ne sont pas inutiles, et dans la moitié des cas la commission a modifié son avis, suite à des dossiers initiaux peu clairs ou mal rédigés.
Afin de lutter contre les conflits d'intérêts et de renforcer la déontologie des évaluateurs, la plupart des instances internationales distinguent les « intérêts majeurs » des « intérêts mineurs ». Compte tenu des recours devant le Conseil d'Etat dont font l'objet certains de nos avis (pas moins de sept en 2012, dont nous attendons le jugements sur le fond), nous avons le sentiment d'être dans le « collimateur » de l'industrie pharmaceutique - le mot n'est pas trop fort -, dès lors qu'elle suspecte un conflit d'intérêts ou un manque d'impartialité parmi nos membres. C'est pourquoi nous avons décidé, depuis 2011-2012, d'adopter un principe maximaliste : « zéro lien d'intérêt ». Ainsi, aucun de nos membres ne doit avoir de conflit d'intérêt, qu'il s'agisse d'un « intérêt mineur » ou d'un « conflit négatif » (nous demandons ainsi à ce que toute personne ayant un lien avec un laboratoire concurrent se déporte). Cette exigence ne connaît qu'une exception, rigoureusement encadrée, en matière de médicaments luttant contre les maladies orphelines, qui ne sont connues que de quelques spécialistes français. Les membres de la commission s'autorisent alors, à titre exceptionnel et avec discernement, à les consulter pour mieux connaître la maladie, ce que nous signalons dans nos avis, sans que ces échanges n'influent sur l'évaluation du médicament. J'ajoute que nos séances de travail sont sténotypées, et que nos comptes rendus abrégés sont accessibles sur notre site internet. Rien n'est dissimulé, y compris nos votes à main levée, étant précisé que les votes secrets sont bannis de notre commission.
Afin de donner le maximum d'impact à nos avis, dont la longueur dépasse souvent une vingtaine de pages, nous avons décidé de leur adjoindre une synthèse d'une page et demie afin de mieux informer les prescripteurs médicaux. L'astuce, pour ainsi dire, consiste à publier sur notre site ces synthèses avant même que les visiteurs médicaux de l'industrie pharmaceutique n'entament leurs campagnes promotionnelles auprès des prescripteurs. Nous pouvons ainsi prémunir ces derniers de tout engouement exagérément communicatif suite au passage de visiteurs médicaux... Enfin, nous avons élaboré des fiches de bon usage pour des médicaments psychotropes, pour le traitement de la maladie d'Alzheimer, ou encore les pilules de troisième génération, afin d'expliquer aux prescripteurs le pourquoi et le comment de nos avis. Les fiches d'intérêt thérapeutiques sont même publiées au Journal officiel, afin que les médicaments d'exception, très coûteux, ne soient prescrits que si cela est vraiment nécessaire.
M. Jean-Michel Dubernard, membre du collège de la HAS, président de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS). - Le travail de la commission que je préside n'est pas aisé car le domaine des dispositifs médicaux est extrêmement hétérogène. J'ai estimé que 150 000 produits étaient répertoriés sous cette appellation, d'autres ont parlé de 400 000 produits. L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris a recensé, il y a un an, 97 430 dispositifs médicaux dans ses commandes, tandis que certains avancent le chiffre de 4 000 classes de dispositifs. Bref, la définition des dispositifs médicaux est plus difficile que pour les médicaments.
L'enjeu économique des dispositifs médicaux est pourtant majeur. Il en va de la compétitivité de l'industrie dans notre pays. J'ai présenté en 1994 un rapport à Edouard Balladur sur les transferts de technologies dans le domaine de la santé. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour vous informer qu'un colloque sur l'innovation dans le domaine des dispositifs médicaux sera organisé au Sénat, le 25 octobre prochain, en partenariat entre la HAS, la présidente de votre commission et vos collègues Chantal Jouanno et Bernard Cazeau, suite à leurs travaux dans le cadre de la mission commune d'information sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Beaucoup d'innovations ont lieu en France, mais les obstacles techniques et administratifs sont malheureusement trop nombreux.
Comme vous le constatez sur le document qui vous a été fourni, le taux des services attendus ou rendus insuffisants a augmenté entre 2005 et 2011 : la moyenne entre 2005 et 2007 était de 13 %, de 18 % entre 2008 et 2010, et de 36 % en 2011, avant de baisser à 23 % en 2012. J'observe que les dossiers que nous traitons sont moins bien rédigés que pour les médicaments, souvent sans méthodologie ni preuves, avec des populations cibles trop peu nombreuses. L'intérêt de la création de la HAS consiste justement à donner des avis scientifiques sur les services attendus et rendus des dispositifs médicaux afin de résister aux pressions politiques de toutes sortes.
Concernant les progrès thérapeutiques apportés par les nouveaux dispositifs, la situation est là encore différente de celle évoquée à l'instant pour les médicaments : seulement un dispositif en 2011, et un autre en 2012, se sont vu délivrer la cote I, la plus haute, tandis que la majorité des dispositifs médicaux obtient la cote V.
Le délai pour les demandes de première inscription a connu une évolution favorable ces dernières années. Il est théoriquement fixé à 180 jours, mais nous avons souhaité le ramener à quatre-vingt-dix jours pour faciliter le travail du comité économique des produits de santé. Depuis trois ans, le délai médian est passé sous la barre des quatre-vingt-dix jours. Grâce à une très forte mobilisation de nos équipes, 56 % des dossiers sont traités dans ce délai, malgré des demandes initiales complexes et souvent incomplètes.
S'agissant de l'évaluation des catégories de dispositifs médicaux en 2012, il faut distinguer les dispositifs du secteur ambulatoire ou de ville, inscrits dans les listes de produits de prestation remboursables (LPPR), et ceux de l'hôpital, qui relèvent de deux listes différentes. Lors des révisions des descriptions génériques, nous avons examiné, entre autres, la contention orthopédique, les implants articulaires de genoux, l'oxygénothérapie et la ventilation assistée à domicile. Le coût de certains dispositifs est parfois très important et avoisine le milliard d'euros.
Certains de nos avis sont également soumis à des phases contradictoires, la difficulté étant que nous devons fonder nos analyses uniquement sur les dossiers initiaux, qui sont souvent défaillants. Parallèlement aux saisines du ministère, nous avons enregistré en 2012 de nombreuses autres saisines, portant par exemple sur les scooters pour handicapés, les neurotransmetteurs médullaires ou encore les implants rétiniens. Je voudrais m'attarder sur ce dernier exemple, qui constitue une innovation de rupture car ces implants permettent à des personnes qui ont perdu la vue de distinguer à nouveau certaines formes ou certains objets. Toute la difficulté vient du fait qu'il existe très peu de documentation scientifique sur ce dispositif. Si les dispositions de l'article L. 165-1-1 du code de la sécurité sociale, introduites dès 1998 dans notre législation, autorisent la prise en charge financière d'un nouveau médicament à titre dérogatoire et transitoire, elles sont malheureusement restées lettre morte à cause de l'opposition de l'assurance maladie, ce que je déplore.
Sans rentrer dans les détails, parmi les facteurs conduisant à un niveau de service attendu ou rendu suffisant, on doit citer la démonstration de l'équivalence (dont l'usage est délicat pour les dispositifs médicaux), la compensation du handicap, la nouveauté du dispositif et le choix des populations cibles, pour lesquelles il serait d'ailleurs souhaitable de développer des coopérations en Europe.
Quant aux facteurs conduisant à un niveau de service attendu ou rendu insuffisant, on peut citer notamment un faible niveau d'efficacité et des effets indésirables notables non contrebalancés par l'efficacité clinique.
Je souhaite ardemment que l'on encourage le plus possible le secteur industriel des dispositifs médicaux, qui pèsera d'ici quelques années entre 14 milliards et 20 milliards d'euros. Pour encourager ce secteur, la HAS organise des journées pour rencontrer et informer les fabricants de dispositifs médicaux et les consultants. L'ignorance de certains de mes interlocuteurs sur les règles à suivre en matière de protocoles ne cesse de me surprendre. La nouvelle direction de la HAS a en outre instauré des « rencontres précoces » avec les fabricants, avant le dépôt d'une étude médico-économique par exemple, afin de les conseiller sur les protocoles à suivre sans les influencer, et nous avons rédigé un guide méthodologique qui sera bientôt traduit en anglais.
Un dernier mot pour vous informer que des discussions très importantes ont lieu actuellement au niveau européen, suite aux débats relatifs aux prothèses PIP, aux prothèses de hanche métal-métal et aux organismes notifiés, et que nous pouvons compter notamment sur l'engagement de Nora Berra, parlementaire européenne, pour faire avancer les choses au niveau de la commission européenne.
M. Jean-Luc Harousseau. - J'aimerais maintenant vous parler des autres activités menées par la HAS au cours de l'année 2012, qui sont exercées en dehors des commissions particulières venant de vous être présentées.
L'activité d'évaluation des actes médicaux, pour en terminer sur ce point, est conduite de deux manières différentes. Elle est assurée par la CNEDiMTS pour ceux d'entre eux qui sont associés à des dispositifs médicaux devant être inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables. D'autres actes sont évalués en dehors de cette commission ; dans ce cas, il peut s'agir soit d'effectuer un simple toilettage de la classification commune des actes médicaux (CCAM) ou de la nomenclature des actes de biologie médicale, soit d'évaluer de nouveaux actes. Nous faisons face dans ce dernier cas au problème de la longueur des délais entre le moment où un acte nous est soumis pour analyse et son inscription dans la nomenclature par l'assurance maladie. Au niveau de la HAS, cette lenteur résulte des exigences qui s'attachent à notre mission d'expertise et de la difficulté à parfois trouver des experts qui ne soient pas en situation de conflit d'intérêts. Une réflexion est actuellement en cours sur ce point afin de favoriser la prise en charge dans des délais très brefs des actes qui peuvent changer les traitements et les diagnostics des patients. La ministre de la santé nous a en effet demandé de formuler des propositions pour accélérer l'inscription des actes et dispositifs innovants, qui viendraient s'ajouter à la possibilité ouverte par l'article L. 165-1-1 du code de la sécurité sociale.
La HAS exerce également depuis 2008 une mission d'évaluation médico-économique. Celle-ci porte d'abord sur les stratégies de soins et de prise en charge ; nous avons ainsi rendu en 2012 un avis sur la stratégie de dépistage du cancer de la prostate. Elle doit également porter, ainsi que l'a prévu la LFSS pour 2012, sur les produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux), en particulier sur ceux qui sont susceptibles de modifier les stratégies thérapeutiques (médicaments à ASMR I, II et III) et ceux qui peuvent avoir un impact significatif sur les dépenses de santé. Le décret du 2 octobre 2012 qui étend les compétences de la HAS sur ce point n'entrera en application qu'en 2013. Nous nous sommes cependant préparés à cette nouvelle mission dès l'année 2012 : la commission évaluation économique et de santé publique, présidée par le professeur Lise Rochaix, l'a en quelque sorte préfigurée en travaillant sur quelques médicaments à la demande du comité économique des produits de santé (Ceps).
La HAS intervient dans le champ des pratiques professionnelles à travers l'outil classique des recommandations de bonnes pratiques mises à la disposition des professionnels de santé. Celles-ci sont très attendues lorsqu'elles interviennent dans des secteurs d'activité marqués par des positions très tranchées. Vous avez certainement entendu parler, par exemple, des recommandations formulées en 2012 par la HAS et l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) sur la prise en charge de l'autisme et des autres troubles envahissants du développement chez l'enfant, qui ont suscité des réactions fortement médiatisées des psychanalystes et pédopsychiatres d'un côté, et des associations de parents de l'autre. Alors que les progrès de la connaissance médicale et la transmission de l'information sont de plus en plus rapides, cette mission est actuellement en pleine évolution. Il est aujourd'hui possible d'accéder de manière simple à des recommandations très nombreuses émanant des organismes les plus divers (sociétés savantes, associations privées présentes sur Internet). Dans ce contexte, la HAS doit conserver sa place spécifique d'institution scientifique et indépendante qui retrace l'état de l'art de manière complète. Elle doit également travailler davantage en partenariat avec les sociétés savantes, notamment dans les domaines sensibles où les évidences sont peu nombreuses ou qui mettent en jeu différentes spécialités. Elle pourrait ainsi valider tout ou partie de leurs recommandations et s'appuyer sur celles-ci pour élaborer des produits courts à destination des médecins traitants en utilisant davantage les moyens modernes du numérique.
A côté de ces activités d'évaluation et de recommandation, la deuxième grande mission de la HAS porte sur la certification des établissements de santé, l'accréditation et l'organisation de la qualité des soins.
L'ensemble des établissements de santé passent tous les quatre ans au crible de la certification. Nous achevons actuellement un processus entamé en 2010 qui a permis d'évaluer 2 800 établissements, au rythme d'environ 700 par an, en application de la procédure de certification dite V2010 et au moyen d'outils standardisés et acceptés par les établissements. La certification a été à l'origine de nombreux progrès dans les établissements de santé : elle a permis de prendre conscience de la nécessité de disposer d'une politique de qualité et de sécurité des soins et a favorisé l'amélioration des pratiques professionnelles. Afin d'améliorer notre processus de certification, nous avons mené une enquête auprès des établissements et nous avons travaillé à partir de l'année 2012 à la mise au point d'une nouvelle procédure de certification, la V2014, qui sera mise en application dès l'année prochaine. Elle permettra de mettre en place un processus de contrôle plus continu et centré moins sur les procédures que sur les patients et sur les résultats cliniques. Nous utiliserons en particulier la technique dite du patient traceur, qui a déjà été expérimentée dans les pays anglo-saxons, et que nous avons mise en place dans quelques centres en 2012 et en 2013. Cette certification prendra également en compte l'incitation financière à l'amélioration de la qualité (Ifac) sur laquelle nous travaillons avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS).
L'accréditation des médecins est un dispositif facultatif destiné aux professionnels de santé exerçant dans une discipline à haut risque. En échange d'un engagement dans une démarche de qualité validée par un organisme d'accréditation et par le collège de la HAS, ceux-ci reçoivent une aide financière de l'assurance maladie pour leur responsabilité civile professionnelle. Près de 9 000 médecins, principalement dans les spécialités chirurgicale, obstétricale et en anesthésie, et essentiellement dans le secteur privé, ont ainsi été accrédités, et plus de 11 000 médecins étaient engagés dans une procédure d'accréditation en 2012. Les médecins concernés sont tenus de déclarer les événements porteurs de risque qu'ils constatent, c'est-à-dire les événements qui, s'ils ne sont pas corrigés, risquent d'entraîner des situations indésirables. Nous avons ainsi pu constituer une base de données très importante recensant plus de 50 000 événements de ce type, ce qui nous permet d'identifier des solutions permettant de diminuer les risques dans les hôpitaux et ainsi d'améliorer la qualité des pratiques et la sécurité des soins. Des réflexions sont en cours quant à l'extension de ce dispositif facultatif d'accréditation aux équipes médicales au sein des établissements de santé, en lien avec la procédure de certification, ainsi qu'aux autres professionnels de santé.
Dans le cadre de cette mission de certification, la HAS a développé avec la DGOS une politique d'indicateurs de qualité et de sécurité des soins dont elle a aujourd'hui la gestion complète. En 2012, onze thèmes différents ont été évalués par plus de cinquante indicateurs dans 2 400 établissements de santé participants. Initialement orientés vers les procédures de soins, ces indicateurs sont aujourd'hui davantage axés sur les pratiques et les résultats cliniques. Un travail de recherche entamé en 2012 avec des équipes hospitalières nous a permis de dégager des indicateurs ciblés sur la sécurité des patients. Cette politique d'indicateurs peut poser problème aux établissements de santé dans la mesure où elle contribue à augmenter leur charge de travail. C'est pourquoi, dans un souci d'efficacité, nous travaillons à mettre en place des indicateurs ciblés, discutés avec les professionnels, et qui ne sont remplis que tous les deux ans. Un colloque de la HAS sera consacré en novembre prochain à cette politique d'indicateurs.
De nombreuses activités liées aux questions d'organisation des soins se développent actuellement à la HAS. Les compétences dévolues à la HAS justifient en effet qu'elle prenne sa place dans les travaux actuellement en cours à de nombreux niveaux sur l'amélioration des parcours de soins, qui visent à garantir une meilleure coordination et une prise en charge plus efficace et plus efficiente. Nous avons tout d'abord travaillé sur les coopérations entre professionnels de santé prévues par l'article 51 de la loi HPST. Ce dispositif permet à un médecin de déléguer certaines de ses responsabilités à des professionnels de santé non-médecins, notamment des infirmiers. Nous avons étudié en 2012 dix-neuf protocoles de coopération, qui émanaient principalement des hôpitaux, et qui visaient à faciliter la prise en charge des patients dans les situations et spécialités où se pose un problème de démographie médicale. Ces coopérations, qui sont en plein développement, posent plusieurs problèmes, parmi lesquels la prise en charge de l'acte délégué, la formation des professionnels concernés et l'extension de protocoles locaux à l'échelon national. Nous avons également travaillé sur le thème de la pertinence des actes. A la demande de la DGOS et de l'assurance maladie, nous nous sommes penchés sur un certain nombre d'actes, notamment chirurgicaux, dont la fréquence de réalisation est très disparate au niveau régional. Nous avons notamment travaillé en 2012, avec la participation des professionnels du secteur, sur les césariennes programmées et les appendicectomies. Ces travaux, menés dans un court de délai afin de répondre aux conditions de notre saisine, ont été suivis d'une réflexion plus générale, qui a notamment porté sur l'organisation du parcours de soins de la femme enceinte. Je voudrais enfin insister sur nos travaux relatifs aux affections de longue durée (ALD), qui représentent un enjeu majeur pour notre système de soins. Nous avons rédigé de nouveaux guides relatifs aux parcours de soins pour quatre maladies chroniques (bronchite chronique, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, maladie de Parkinson) : ils visent une meilleure coordination entre professionnels de santé et une meilleure information du patient, qui doit pouvoir participer à sa propre prise en charge. Nous avons également été impliqués dans la mise en oeuvre de l'article 70 de la LFSS pour 2012, qui avait trait à une expérimentation du parcours de soins notamment chez le sujet âgé.
Relève enfin de nos compétences l'information des patients et des professionnels de santé. Nous assurons dans ce cadre une mission de surveillance des visites médicales et de certification des firmes pharmaceutiques, ainsi qu'une mission de certification des sites internet. Cette dernière nous semble cependant peu efficace ; c'est pourquoi nous avons décidé de l'abandonner en 2013 et de réfléchir à une nouvelle façon de répondre à cette mission qui nous a été confiée par la loi.
S'agissant de l'avenir de la HAS, il me semble nécessaire qu'elle devienne plus réactive, à la fois face aux progrès de la médecine et aux saisines dont elle fait l'objet, plus lisible pour les institutions sanitaires, les professionnels et les patients, et enfin plus complémentaire par rapport aux autres institutions du paysage sanitaire. Nous avons commencé à travailler en ce sens en 2012 et avons inscrit ces orientations dans le projet d'établissement qui fixe nos ambitions pour la période 2013-2016. Je vous indiquais en introduction que la HAS participait à l'amélioration de la qualité des soins ; nous souhaitons aller plus loin et participer à la régulation des soins à la fois par l'amélioration de la qualité et par la recherche de l'efficience.
A compter d'octobre 2013, l'évaluation des produits de santé connaîtra une profonde évolution avec la prise en compte d'une dimension médico-économique à côté de la dimension médico-technique traditionnelle. Cette évolution sera fondée sur le principe de la comparaison des nouveaux produits et stratégies avec l'existant. Dans cette optique, nous avons souhaité que le système actuel d'évaluation des produits de santé soit simplifié et repose désormais sur un seul indicateur comparatif. Celui-ci permettra d'apprécier l'intérêt thérapeutique d'un produit de santé par rapport à l'existant et sera associé à l'avis d'efficience donné par la commission médico-économique. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) est actuellement en cours pour évaluer la pertinence de cet indicateur unique.
M. Georges Labazée. - Dans son récent rapport consacré à la politique vaccinale de la France, la commission des affaires sociales a constaté l'intervention de plusieurs organismes dont la répartition des compétences apparaît parfois peu lisible. Une simplification du paysage institutionnel pourrait-elle être mise en oeuvre, dans ce secteur comme dans d'autres ?
M. Jean-Noël Cardoux. - Je rejoins l'interrogation de mon collègue. La HAS et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), dont les compétences apparaissent proches sur certains aspects, emploient un total de 1 455 personnes. Peut-être des économies d'échelle pourraient-elles être réalisées ?
Mme Catherine Génisson. - Pourriez-vous être plus précis sur la manière dont les médicaments orphelins et les dispositifs médicaux innovants sont évalués par des experts et des praticiens sans aucun doute très peu nombreux ? Comment s'assurer que l'on dispose d'une expertise véritablement indépendante et fiable sur ces questions difficiles ?
Mme Catherine Deroche. - S'agissant des délais d'instruction, qui ont en effet été très réduits au cours des dernières années, faut-il considérer que l'on est parvenu à un seuil en dessous duquel on ne pourra plus descendre, compte tenu des moyens dont dispose la HAS et de la rigueur nécessaire à ses expertises ? Seuls 17 % des établissements de santé sont certifiés sans réserves, ce qui est assez faible ; comment la surveillance de ceux qui obtiennent une certification avec réserves ou avec recommandations est-elle organisée ? L'accréditation des équipes médicales concerne-t-elle principalement les établissements privés ou les établissements publics ?
M. Jean-Luc Harousseau. - La simplification du paysage sanitaire français est un souhait largement partagé ; le député Yves Bur y a d'ailleurs consacré un rapport il y a trois ans. Nous constatons qu'il existe entre nos missions et celles qui sont exercées par d'autres institutions sanitaires une certaine similitude - en espérant qu'il ne s'agisse pas d'une compétition - et nous sommes nous-mêmes demandeurs d'une simplification. Il est clair que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) exerce certaines missions très voisines des nôtres, notamment dans le domaine de la vaccination. Sans demander que le HCSP soit rattaché à la HAS, je souhaiterais que la répartition de nos missions puisse être plus clairement définie.
Les missions confiées à la HAS et à l'ANSM sont en revanche très différentes : tandis que l'ANSM a pour mission de délivrer ou de retirer les autorisations de mise sur le marché (AMM) et d'assurer la pharmacovigilance, nous nous intéressons à l'inscription au remboursement et à la fixation du prix des produits de santé. Il est à noter que les missions de délivrance des AMM et de pharmacovigilance sont de plus en plus exercées au niveau européen, alors que les questions de remboursement et de fixation des prix, qui dépendent de l'organisation du système de santé, demeurent des procédures nationales. Par ailleurs, il arrive que les positions de la HAS et de l'ANSM divergent, comme ce fut le cas sur la question des pilules de troisième génération ; cela signifie que nous devons faire un effort de coordination.
M. Gilles Bouvenot. - Dans le cas des vaccins, s'il peut sembler à première vue qu'il existe des chevauchements de compétences, on peut distinguer trois missions bien distinctes dans notre organisation institutionnelle. La mission d'évaluation du rapport bénéfice-risque associé aux vaccins est assurée par l'Agence européenne du médicament (EMA) et l'ANSM. Les AMM sont pour la plupart proposées par l'EMA et il est devenu rarissime que des AMM nationales soient octroyées. Le HCSP examine ensuite la manière dont les vaccins mis sur le marché peuvent être utilisés au mieux et se prononce sur la stratégie vaccinale. La HAS émet enfin un avis sur le bien-fondé de la prise en charge d'un vaccin. Ainsi, si le HCSP a considéré qu'il était recommandé de se vacciner contre la grippe, la HAS n'a pas proposé le remboursement de ce vaccin pour toutes les catégories de population, mais seulement pour certaines populations cibles. De même, la HAS n'a jamais proposé le remboursement des vaccins contre les rotavirus, qui ont une AMM et sont considérés comme fort utiles par le HCSP. Les différentes institutions s'intéressent donc certes aux même produits, mais pour une finalité d'avis différente.
M. Jean-Michel Dubernard. - Une réforme préparée par le Gouvernement de Gordon Brown et appliquée par celui de David Cameron, qui a fait passer de vingt et un à neuf le nombre d'agences britanniques, a permis de réaliser 45 % d'économies de fonctionnement en trois ans.
M. Gilles Bouvenot. - Concernant l'évaluation des médicaments orphelins, nous sommes en effet très vigilants sur la question des conflits d'intérêts. C'est pourquoi nous demandons aux experts que nous consultons de se prononcer que sur la maladie et non sur le médicament que nous examinons.
S'agissant des délais, la réglementation européenne impose un délai de 180 jours entre le dépôt de la demande à la HAS et la publication du prix au Journal officiel. Quatre-vingt-dix jours sont accordés respectivement à la HAS et au Comité économique des produits de santé (Ceps). Il me semble que cette répartition n'est pas équitable dans la mesure où il est beaucoup moins long de négocier un prix que d'instruire un dossier au fond, ce qui nécessite notamment de trouver des experts sans lien d'intérêt et disponibles au moment où nous évaluons un produit. Il n'en reste pas moins que nous ne dépassons jamais quatre-vingt-dix jours pour examiner un médicament innovant afin de ne pas retarder l'accès des patients à un nouveau traitement.
M. Jean-Luc Harousseau. - Les équipes de la HAS ont fourni un travail remarquable afin de réduire les délais d'instruction. La longueur de ces délais est en effet souvent liée à la recherche d'experts ne présentant pas de lien d'intérêt avec l'industrie, et je dois dire qu'il est très difficile de trouver des experts ayant à la fois la compétence et l'indépendance.
M. Jean-Michel Dubernard. - La HAS a mis en place une charte de déontologie et la question est encadrée par la loi. Il demeure cependant une part d'ombre dans la mesure où, si l'on a connaissance des conventions passées, on n'en connaît pas le montant.
M. Jean-Luc Harousseau. - Sur la question de la certification, il peut en effet paraître surprenant, voire choquant, de constater que seuls 17 % des établissements sont certifiés sans réserves ou recommandations. J'aimerais cependant souligner que le processus de certification se déroule par étapes successives. Lorsque la certification n'est pas donnée d'emblée à la suite d'une première visite, des actions d'amélioration sont mises en place avec un programme de surveillance et une seconde visite est programmée. Il arrive cependant que certaines certifications définitives ne soient accordées qu'avec recommandation, ou, ce qui est plus grave, avec réserves ; il n'en reste pas moins que le processus de certification permet d'améliorer la qualité des établissements de santé. Pour autant, je dois dire que je suis choqué par le principe de la certification avec réserves, et c'est pourquoi celle-ci n'existera plus à partir de 2014.
J'ajoute ici qu'une simplification institutionnelle me semble facile à mettre en oeuvre sur la certification. La compétence en la matière est en effet éclatée entre la HAS et l'Anesm pour les établissements de santé et les services médico-sociaux présents au sein de ces établissements.
M. Dominique Maigne, directeur de la HAS. - 85 % des médecins accrédités exercent à titre libéral ou dans des établissements de santé privés. Notre ambition est d'étendre l'accréditation au-delà de sa fonction assurantielle originelle - l'aide financière apportée par l'assurance maladie dans ce cadre n'est d'ailleurs pas négligeable, puisqu'elle s'élève en moyenne à 50 % de la prime d'assurance, ce qui peut représenter 6 000 à 7 000 euros et jusqu'à 11 000 euros pour les spécialités les plus à risque - et de l'élargir à l'ensemble des praticiens. Cet élargissement peut être favorisé par le lien que nous avons établi entre l'accréditation et le développement professionnel continu (DPC) et par une série de dispositifs autour de la qualité gérés par la HAS qui peuvent être articulés avec l'accréditation.
Mme Colette Giudicelli. - Lorsque des risques associés à un médicament, par exemple à un vaccin, sont avérés a posteriori, existe-t-il une responsabilité partagée entre les acteurs du système institutionnel que vous venez de nous décrire ?
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Quel bilan tirez-vous de la réforme du financement de la HAS issue de la dernière LFSS ? La réforme de la procédure d'évaluation des produits de santé par l'introduction d'un indice synthétique sera-t-elle suffisamment aboutie pour être intégrée au PLFSS pour l'année 2014 ? On constate aujourd'hui que la consommation de médicaments en France se situe au même niveau que celle de ses voisins européens ; pour autant, ne subsiste-t-il pas dans notre pays un taux très élevé de prescription de nouveaux médicaments, les laboratoires essayant ainsi de contourner la fin de la protection d'un médicament par son brevet - je pense notamment aux statines ?
Mme Laurence Cohen. - Je suis moi aussi dubitative quant aux redondances qui existent entre les compétences attribuées aux divers organismes du domaine de la santé et je pense qu'un regroupement des différentes agences serait souhaitable.
S'il faut garder à l'esprit que le risque zéro n'existe pas en matière de santé, on constate que l'action des différents organismes en place ne suffit pas à éviter certains scandales sanitaires, ainsi que l'affaire des prothèses mammaires l'a récemment montré. C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire de progresser dans la recherche, par exemple sur la question des adjuvants aluminiques utilisés dans les vaccins. Quel est votre avis sur cette question et comment pouvez-vous intervenir dans ce domaine ?
Je suis quelque peu méfiante lorsque je vous entends parler d'une recherche d'efficience et d'une régulation des soins. La santé n'est pas un secteur marchand et l'intérêt du patient doit primer sur l'efficience comprise de manière strictement économique.
Quel est l'objectif de l'accréditation des professionnels ? Cherche-t-on à leur faire subir un nouveau contrôle tatillon alors qu'il existe déjà des contrats de bonne pratique avec l'assurance maladie ?
Mme Annie David, présidente. - La recherche d'efficience pourrait-elle permettre de refuser la commercialisation ou le remboursement d'un médicament nouveau, et dont le prix est de ce fait plus élevé, mais qui n'apporte pas d'amélioration thérapeutique par rapport à d'autres médicaments déjà présents sur le marché ? La certification prend-elle en compte l'environnement des établissements, et notamment leur caractère d'établissements de proximité ? La fermeture d'un hôpital de campagne qui ne répond pas aux exigences de la certification peut laisser un territoire dans une situation difficile.
M. Jean-Luc Harousseau. - La volonté d'efficience ne se confond pas avec un souci purement économique. C'est pourquoi nous parlons bien d'une évaluation médico-économique, étant entendu qu'il est primordial qu'un médicament rende service aux patients. Notre objectif n'est pas d'imposer des restrictions au détriment des patients mais de parvenir à une meilleure utilisation des moyens. Nous cherchons à faire le rapport entre le bénéfice clinique d'un médicament et son coût par rapport à ceux qui sont disponibles sur le marché et à trouver le niveau au-dessus duquel le bénéfice clinique ne justifie pas le surcoût.
En ce qui concerne l'indicateur thérapeutique relatif qui viendrait simplifier la référence actuelle au SMR et à l'ASMR, une mission de l'Igas visant à déterminer ses modalités pratiques est actuellement en cours. Je pense qu'en tout état de cause, rien n'interdit de l'inscrire dans le PLFSS 2014, ce qui permettrait d'entrer dès 2015 dans l'évaluation comparative que j'évoquais tout à l'heure - un décret pourrait venir ensuite préciser les modalités de son application. Ce mode d'évaluation pourrait apporter une réponse à la question soulevée par Madame la présidente. Actuellement, un médicament qui n'apporte aucun bénéfice nouveau est classé ASMR V, ce qui implique, en application du code de la sécurité sociale, qu'il doit être moins cher que les médicaments existants. Je ne suis pas certain que ce principe soit toujours respecté dans la pratique, mais c'est en tous cas celui qui est actuellement fixé par la loi.
M. Gilles Bouvenot. - Le code de la sécurité sociale prévoit simplement que quand un nouveau médicament ne constitue pas un progrès, il doit être moins coûteux ; il ne prévoit pas qu'il ne doit pas être commercialisé. Si la HAS décidait de récuser une nouvelle statine faisant jeu égal avec une statine plus ancienne, elle ne serait pas suivie par le Conseil d'Etat.
Pour répondre à la question portant sur la responsabilité des organismes intervenant dans le domaine de la santé, je rappelle que les missions confiées à la HAS n'intègrent pas la sécurité des produits médicaux - même si nous nous en préoccupons bien entendu dans nos analyses. C'est à l'ANSM qu'il revient de faire la police des médicaments et d'évaluer leur sécurité, la HAS n'intervenant qu'en aval pour évaluer l'opportunité de leur remboursement. C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous prononcer sur la sécurité des vaccins contenant des adjuvants aluminiques ; sur ce point, nous nous inclinons de bonne grâce devant l'avis rendu par l'EMA et l'ANSM.
Vous avez raison de souligner que la France est en train de perdre cette originalité qui faisait d'elle la première consommatrice mondiale de médicaments à égalité avec les Etats-Unis. Elle ne se situe désormais plus que dans le peloton de tête des pays européens, ce qui signe une défervescence de notre consommation de produits de santé. Le problème n'a cependant pas évolué d'un point de vue structurel. Les Français demeurent toujours plus demandeurs de médicaments en cabinet médical que les autres nationalités : je rappelle qu'une ordonnance établie par un médecin français comporte presque toujours un médicament, alors que les médecins néerlandais n'en prescrivent que dans 10 % des cas. Il existe en outre dans notre pays un véritable engouement pour la nouveauté, qui est le fait des patients mais aussi des professionnels de santé ; ceux-ci tiennent en effet à démontrer à leurs patients qu'ils ont actualisé leurs connaissances. Enfin, l'action des visiteurs médicaux, qui ne porte bien évidemment jamais sur les médicaments génériques, n'est pas à négliger. Nous sommes d'ailleurs bien conscients que certains des médicaments promus dans les cabinets médicaux constituent des contournements de génériques et nous y prêtons beaucoup d'attention.
M. Jean-Luc Harousseau. - Pour répondre à la question sur les statines, je rappelle que l'évaluation menée par la HAS porte aussi sur les lignes thérapeutiques ; et si nos recommandations étaient suivies, les statines les plus récentes, qui n'ont pas démontré une plus grande efficacité, seraient sans aucun doute beaucoup moins prescrites. Participer à la régulation des soins, comme nous le souhaitons, nous permettrait de faire en sorte que nos recommandations soient davantage suivies d'effet.
S'agissant de la sécurité des produits de santé, vous avez souligné à raison que le risque zéro n'existe pas, et nous ne pouvons que chercher à réduire le risque au maximum. C'est à l'ANSM qu'incombe la mission de veiller à la sécurité des médicaments ; quant à nous, nous nous consacrons à la sécurité liée à l'organisation des soins. Des progrès sont encore possibles, y compris dans nos propres procédures. Nous constatons par exemple que la mise en place de la check-list opératoire, qui fait partie des critères de la certification, n'a pas permis d'améliorer le risque au bloc opératoire de manière significative et nous réfléchissons au moyen d'agir sur ce point.
Vous nous avez fait part de vos craintes concernant l'accréditation, qui pourrait constituer une contrainte administrative supplémentaire pour les professionnels de santé. Nous en sommes conscients, et c'est pourquoi nous avons établi le principe selon lequel les professionnels qui se sont engagés dans une démarche d'accréditation n'ont pas à répondre en plus aux exigences du développement professionnel continu. Il n'en reste pas moins que la finalité de l'accréditation, qui est d'encourager les professionnels de santé à développer un effort de qualité et de sécurité, doit être poursuivie afin d'aboutir à une amélioration globale des pratiques.
M. Dominique Maigne. - S'agissant de nos moyens, la LFSS pour 2012 a relevé de 40 % le niveau de la taxe acquittée par les industriels sur les médicaments et les dispositifs médicaux, qui constitue une ressource propre de la HAS. Cette taxe ne représente cependant qu'une très faible part de ses ressources dont l'essentiel provient des taxes prélevées par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) sur les industriels, la fraction qui nous est affectée étant plus spécifiquement prélevée sur la promotion des médicaments.
Nous pensons que le modèle de financement de la HAS présente une grande fragilité dans la mesure où il est principalement assis sur des taxes, les dotations publiques provenant de l'Etat et de l'assurance maladie ayant été divisées par deux au cours des deux derniers exercices. Ces ressources sont en effet très volatiles, ce qui pose la question de la visibilité de notre fonctionnement sur le moyen terme. En outre, être financé par une taxe sur la promotion des médicaments peut apparaître quelque peu incongru pour une autorité de santé.
C'est pourquoi nous souhaitons que notre financement fasse l'objet d'une grande remise à plat et que son socle soit rendu plus sain et plus programmable, ce qui nous permettrait d'exercer nos missions dans une perspective pluriannuelle. Cette évolution pourrait passer par la réintégration au budget de l'Etat des taxes qui nous sont affectées et par la passation d'une convention avec l'assurance maladie sur un budget de programme.
Examen des amendements - Projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes
Mme Annie David, présidente. - Notre rapporteure pour avis, Michèle Meunier, souhaite nous proposer quatre amendements complémentaires sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
La commission adopte les amendements présentés par la rapporteure pour avis.
Communication de M. Yves Daudigny, rapporteur général, sur la création d'un septième sous-objectif de l'Ondam consacré au Fonds d'intervention régional (FIR)
M. Yves Daudigny, rapporteur général. - La mise en place, à compter de 1997, des lois de financement de la sécurité sociale s'est accompagnée du vote annuel par le Parlement d'un objectif national de dépenses d'assurance maladie, le désormais fameux Ondam. La loi organique de 2005 relative aux lois de financement a prévu que l'Ondam se décompose en sous-objectifs, dont la liste et le périmètre sont fixés par le Gouvernement.
Depuis la loi de financement pour 2006, l'Ondam (175,4 milliards d'euros en 2013) est réparti en six sous-objectifs :
- soins de ville (80,5 milliards) ;
- établissements de santé tarifés à l'activité (56,7 milliards) ;
- autres établissements de santé (psychiatrie, soins de suite... : 19,8 milliards). Ces deux sous-objectifs forment ce qui est communément appelé « l'Ondam hospitalier » ;
- établissements pour personnes âgées (8,4 milliards) ;
- établissements pour personnes handicapées (8,7 milliards). Ces deux sous-objectifs constituent « l'Ondam médico-social » ;
- enfin, les autres prises en charge (1,3 milliard), principalement les dépenses de soins des assurés français à l'étranger.
Selon la loi organique et le code de la sécurité sociale, le Gouvernement doit consulter les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat lorsqu'il souhaite modifier la liste ou le périmètre des sous-objectifs de l'Ondam. Le Gouvernement a adressé, le 4 septembre, une lettre à la Présidente de notre commission pour recueillir notre avis sur la création d'un septième sous-objectif qui retracerait les dépenses d'assurance maladie relatives au Fonds d'intervention régional (FIR).
Le FIR a été créé par la loi de financement pour 2012 : en regroupant plusieurs lignes de crédits, il apporte aux agences régionales de santé une certaine souplesse dans leur gestion financière.
En 2012, le FIR s'élevait à 1,5 milliard d'euros et avait pour vocation de financer la permanence des soins, tant en ambulatoire qu'en établissement, la coordination des soins ou des actions de prévention et de santé publique.
En 2013, le Gouvernement a élargi le champ du FIR à certaines aides à la contractualisation (AC), à plusieurs missions d'intérêt général (Mig) et à d'autres lignes spécifiques (démocratie sanitaire...). Le FIR totalise ainsi 3,3 milliards d'euros en 2013, dont 3,1 milliards provenant de l'assurance maladie, 139 millions du budget de l'Etat (au titre de la prévention et de la santé publique) et 73 millions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Jacky Le Menn et Alain Milon évoqueront largement la question du FIR dans leur rapport sur les agences régionales de santé ; ce sujet a été très présent dans chacune des auditions.
Je vous rappelle que, dès l'examen du PLFSS pour 2012, j'avais proposé que le montant du FIR soit voté par le Parlement, et non arrêté par le Gouvernement, ce qui aurait permis de renforcer l'information du Parlement. La création d'un sous-objectif de l'Ondam va dans ce sens ; je me réjouis donc de la décision du Gouvernement.
J'y vois plusieurs avantages :
- l'information du Parlement, je l'ai dit, mais aussi la transparence et le suivi ;
- le signal donné en faveur d'un décloisonnement et d'une « fongibilité » des crédits, seuls à même de fournir des marges de manoeuvre aux ARS pour qu'elles puissent mener de véritables politiques adaptées à leurs territoires.
Sans entrer dans le débat de fond, nous savons que notre système de santé souffre d'un cloisonnement important entre acteurs, qui se retrouve dans les sous-objectifs de l'Ondam. Cette construction amène souvent à opposer artificiellement ambulatoire et hospitalier, ce qui n'est pas satisfaisant.
Pour autant, les différentes composantes du FIR restent encore très « fléchées » par des circulaires des administrations centrales, ce qui limite en pratique les marges de manoeuvre des ARS, mais cette question, comme celle des problèmes importants d'engagement et de liquidation des crédits, sera traitée par nos collègues dans leur rapport d'information pour la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable à la création d'un sous-objectif de l'Ondam retraçant les dépenses d'assurance maladie relatives au FIR, en nous félicitant que cette décision rejoigne la position de notre commission pour que le Parlement vote le montant de ce fonds.
La commission émet un avis favorable.
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Annie David, présidente. - Nous examinons maintenant la proposition de loi n° 817 (2012-2013), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à modifier certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Merci Madame la présidente. Mes chers collègues, en France, en 2010, 51 500 personnes faisaient l'objet d'une décision de soins sans consentement, et environ 800 étaient placées dans une unité pour malades difficiles (UMD) pour une durée moyenne de douze mois. Les malades soignés sans leur consentement constituent, heureusement, une faible minorité des malades pris en charge par les établissements psychiatriques, moins de 20 %. Néanmoins, les enjeux en termes de libertés publiques font que le régime juridique qui encadre la prise de décision concernant l'obligation de soins fait l'objet d'un débat important dans lequel les exigences constitutionnelles pèsent aujourd'hui de manière déterminante. Par l'intermédiaire de questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer à cinq reprises sur les dispositions législatives concernant l'hospitalisation sans consentement, entraînant des bouleversements majeurs dans le régime juridique défini par la loi de 1838, loi qui était demeurée quasiment sans changement jusqu'en 1990.
Le coeur de la loi de 1838 est la possibilité pour le préfet d'ordonner l'hospitalisation complète d'une personne atteinte de troubles mentaux et présentant un danger pour les personnes ou troublant gravement l'ordre public. Cette décision, sans contrôle du juge, était destinée par ses promoteurs, les médecins disciples de Pinel, à permettre la prise en charge médicale la plus rapide possible. C'était donc à l'origine une loi à visée sanitaire, tournée vers le bien des malades.
Cent soixante-quinze ans après, les progrès de la psychiatrie nous permettent et nous imposent de rapprocher le plus possible la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux et incapables, du fait même de leur pathologie, de consentir aux soins, de celle de tous les malades.
Si l'obligation de soins peut avoir une vertu thérapeutique en elle-même, forcer certains à une prise de conscience, les atteintes portées à la liberté des patients ne peuvent excéder ce qui est strictement nécessaire aux soins. La seule autorité compétente pour ce faire est le juge. Dans sa décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 le Conseil constitutionnel a imposé sa saisine systématique lors des décisions de soins sans consentement, ainsi que son contrôle sur le maintien des personnes en hospitalisation complète. Cette réforme profonde des soins sans consentement a été mise en oeuvre par la loi du 5 juillet 2011. Malgré les difficultés matérielles importantes qu'elle a créées pour le greffes et les juges des libertés et de la détention, devant lesquels le contentieux a été uni, elle s'est mise en place sans difficulté majeure grâce à l'implication de tous les acteurs.
Sur ce point, donc, il convient de se féliciter de la réforme mise en oeuvre en 2011. D'autres aspects, cependant, ont fait d'emblée polémique. Deux points ressortent particulièrement de nos longs débats en commission, sous la houlette de Muguette Dini, puis en séance publique, avec notre regretté collègue Jean-Louis Lorrain qui avait accepté la charge du rapport.
Tout d'abord, une innovation demandée par plusieurs psychiatres, demande reprise par l'Igas en 2005 : la création de soins ambulatoires sans consentement. L'idée est celle d'une prise en charge ambulatoire assortie de contraintes permettant de garantir le suivi du traitement prescrit. Afin de la mettre en oeuvre, la loi de 2011 a séparé la décision de soins sans consentement du contenu des soins. Ceux-ci ne passent donc plus nécessairement par l'hospitalisation. La notion d'hospitalisation d'office (HO) a donc été remplacée par celle de « soins sans consentement à la demande du représentant de l'Etat ». Un document spécifique, le protocole de soins, a été créé en 2011 pour définir le contenu des soins sans consentement imposés à une personne en ambulatoire. Nombreux sont ceux qui reconnaissent l'intérêt que pourrait présenter une prise en charge ambulatoire assortie de contraintes. Mais comme le soulignait Muguette Dini en 2011 : « Soit ce dispositif n'est qu'un changement sémantique et il est inutile, soit c'est autre chose et nous n'en percevons pas la portée exacte ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 avril 2012, a confirmé cette analyse, en affirmant que les soins ambulatoires sans consentement ne pouvaient se traduire par aucune mesure de contrainte. En pratique donc, il n'y a pas plus de moyens d'obtenir l'observance d'un traitement ambulatoire sans consentement que d'un traitement ambulatoire consenti.
L'autre point ayant fait l'objet d'importants débats était les contraintes supplémentaires mises en place pour mettre fin aux soins sans consentement pour les personnes placées en UMD ou y ayant dans le passé fait un séjour. Le projet de loi conférait en conséquence un statut légal à ces unités hospitalières. L'intention du Gouvernement de l'époque était de permettre de limiter le risque posé par les malades jugés les plus dangereux pour autrui. Dans sa décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a estimé que ces mesures, telles que prévues, n'offraient pas de garanties suffisantes en matière de protection des libertés. D'une part, le juge constitutionnel a censuré les dispositions limitant la levée des mesures de soins sans consentement pour les personnes placées ou ayant été placées à un moment donné de leur parcours de soins antérieur en UMD, en raison de l'absence de définition législative des conditions et des formes d'entrée dans ces unités. D'autre part, pour les personnes déclarées irresponsables pénalement, les dispositions restreignant la levée des soins sans consentement ont été annulées, car elles n'établissent pas de distinctions entre les personnes à raison des faits commis.
Plusieurs possibilités s'offraient au législateur : ne rien faire, compléter le dispositif ou enfin, le réformer.
Ne rien faire signifiait qu'à l'issue du délai prévu par le Conseil constitutionnel, le 1er octobre 2013, on en revenait au droit commun antérieur à la loi de 2011, qui ne prévoyait pour aucune catégorie de personnes des mesures particulières restreignant la sortie des soins sans consentement. Ceci pouvait se défendre, notamment dans une perspective purement médicale. Les mesures prendraient fin quand les psychiatres jugeraient qu'elles ne sont plus nécessaires si, par exemple, l'état du malade est stabilisé et qu'il accepte les soins.
La deuxième possibilité était de compléter le système. Elle supposait de reprendre au niveau législatif les conditions d'entrée dans les UMD et, pour les personnes déclarées pénalement irresponsables, de limiter les mesures restreignant la sortie des soins sans consentement aux patients ayant commis les faits les plus graves.
C'est la troisième voie qu'ont choisie l'Assemblée nationale et le Gouvernement. En effet, aucune des deux autres solutions n'est parfaitement satisfaisante. Il peut en effet être légitime que certains malades fassent l'objet d'une vigilance accrue des pouvoirs publics. Parfois, l'actualité nous le montre malheureusement régulièrement, des ruptures de soins entraînent le passage à l'acte de malade avec des conséquences dramatiques. Pour autant, la plupart des personnes ayant fait l'objet de soins sans consentement ne présentent plus, après avoir été prises en charge, aucun risque pour les tiers. Du point de vue psychiatrique, il convient de distinguer entre les malades n'ayant jamais connu de passage à l'acte violent et ceux qui ont déjà franchi une fois cette limite. C'est ce que fait la proposition de loi qui nous est transmise par l'Assemblée nationale. Les mesures restreignant la sortie des soins sans consentement sont limitées aux personnes ayant été déclarées irresponsables pénalement mais ayant accompli des actes contre les personnes susceptibles d'une condamnation d'au moins cinq ans de prison ou des actes contre les biens susceptibles d'une condamnation d'au moins dix ans.
La proposition de loi fait également le choix de supprimer le statut légal des UMD créé en 2011, afin de les faire rentrer à nouveau dans le droit commun des services hospitaliers. Ce choix a fait débat. Je tiens simplement à préciser que les UMD n'offrent aucun type de soins particulier : ce sont des services de soins intensifs dotés d'un personnel plus nombreux que les services de psychiatrie générale qui accueillent l'immense majorité des personnes faisant l'objet de soins sans consentement. C'est pour cette raison qu'il n'en existe que dix en France et qu'elles possèdent très peu de lits. Mais la thérapeutique dispensée ne se distingue nullement des autres services. Tant du point de vue thérapeutique, qu'au niveau des contraintes en matière de libertés publiques, distinguer les UMD par un statut spécifique ne se justifie donc pas et pour ma part, je partage le choix fait par l'Assemblée nationale.
En l'état donc, les articles 4, 8 et 9 de la proposition de loi répondent à la décision du Conseil constitutionnel et doivent être adoptés avant le 1er octobre.
Les autres articles de la proposition de loi proposent de réformer la loi de 2011 sur d'autres points que ceux censurés par le Conseil constitutionnel. Deux sujets principaux sont abordés : le rétablissement des sorties d'essai, supprimées par la loi de 2011 et la simplification des procédures administratives et juridictionnelles. Ces mesures, j'ai pu le vérifier lors des auditions, font l'objet d'un large consensus parmi les acteurs.
J'en viens maintenant à une description rapide du contenu du texte.
L'article 1er propose une nouvelle réaction, plus claire, de l'article L. 3211-2-1 du code de la santé publique sur les formes que peuvent prendre les soins psychiatrique sans consentement. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'article précise que les soins ambulatoires sans consentement ne peuvent entraîner de mesures de contrainte.
L'article 2 rétablit les sorties d'essai. La loi de 2011 en avait supprimé les fondements légaux en raison des abus que suscitait le régime antérieur de sorties de trois mois renouvelables indéfiniment. Le régime proposé par l'article 2 de la proposition de loi encadre donc fortement la durée de ces sorties qui ne pourront excéder quarante-huit heures.
L'article 3 précise dans quelle mesure il est possible de recourir à la contrainte dans le cadre des soins sans consentement.
L'article 4 prévoit des règles spécifiques, plus contraignantes, en matière de mainlevée de la mesure de soins, pour les personnes déclarées pénalement irresponsables mais ayant commis des actes susceptibles d'une condamnation à cinq de prison pour atteinte aux personnes ou à dix ans de prison pour atteinte aux biens.
L'article 5 prévoit une décision obligatoire du juge des libertés et de la détention au plus tard douze jours après le début de l'hospitalisation complète puis, si celle-ci est maintenue, au plus tard six mois après le début de l'hospitalisation.
L'article 6 pose le principe selon lequel les audiences du juge des libertés et de la détention doivent avoir lieu dans l'établissement d'accueil. Il prévoit deux exceptions. D'une part avec la possibilité de mutualiser une salle d'audience entre plusieurs établissements. D'autre part avec un recours très encadré à la visioconférence.
L'article 6 bis apporte une précision sur la procédure d'appel.
L'article 7, très attendu par les psychiatres et les responsables d'établissement, procède à une rationalisation du nombre de certificats médicaux nécessaires lors d'une hospitalisation complète.
L'article 7 bis demande un rapport sur la dématérialisation du registre tenu pour les admissions en soins sans consentement.
L'article 8 prévoit la procédure de sortie des soins sans consentement et, s'agissant des personnes autres que les irresponsables pénaux, donne le dernier mot au juge en cas de désaccord entre le psychiatre en charge du malade et le préfet.
L'article 9 supprime le régime légal des UMD qui rentrent ainsi dans le droit commun.
L'article 10 précise le régime applicable aux personnes détenues faisant l'objet d'une décision de soins sans consentement.
Les articles 11 et 12 prévoient des dispositions relatives à l'outre-mer ainsi qu'aux dates d'entrée en vigueur des dispositions du texte.
Je partage très largement les choix faits par l'Assemblée nationale. Tant sur la réponse apportée à la décision du Conseil constitutionnel que sur les modifications complémentaires de la loi de 2011, j'estime, comme la totalité des personnes que j'ai auditionnées, que ce texte apporte des avancées importantes et qu'il ne serait pas compréhensible qu'on le rejette. Plusieurs des personnes auditionnées souhaitaient aller plus loin. Mais, au-delà même des conditions dans lesquelles nous sommes amenés à l'examiner, ce texte a nécessairement une portée limitée. Il ne concerne qu'une infime minorité de malades et les enjeux beaucoup plus vastes de la psychiatrie et de la santé mentale, qui doivent être traités, ne peuvent l'être que dans le cadre qui leur est adapté : un chapitre spécifique d'une loi de santé publique.
Je pense donc qu'il ne serait pas raisonnable d'insérer de nouvelles dispositions dans ce texte au seul motif qu'il s'agit d'un véhicule dont l'urgence garantit l'adoption rapide.
Pour autant, à l'issue des auditions que j'ai pu mener, grâce à la disponibilité des différents acteurs, il m'apparaît qu'un certain nombre de points peuvent encore être précisés et que des principes doivent être réaffirmés. Les soins sans consentement sont d'abord destinés à permettre aux malades atteints de pathologies lourdes qui altèrent leur jugement d'accéder aux soins. Comme me l'a dit un psychiatre « la première des libertés est celle du discernement sans laquelle toutes les libertés ne sont qu'une supercherie ». Rétablir le discernement des malades, telle est la mission qu'ont acceptée les équipes soignantes. Dès lors, dans le prolongement du travail approfondi fait par l'Assemblée nationale, j'ai cherché à renforcer la dimension médicale des soins sans consentement. Des échanges particulièrement denses avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté m'ont également amené à faire des choix qui me paraissent garantir le respect des droits fondamentaux de nos concitoyens.
Le texte que nous allons examiner est nécessaire. Il est attendu et je vous propose que le Sénat joue son rôle en essayant de l'améliorer.
Mme Annie David, présidente. - Je voudrais remercier Jacky Le Menn pour le travail qu'il a réalisé dans des délais extrêmement contraints, puisque cette proposition de loi a été ajoutée tardivement à l'ordre du jour de la session extraordinaire pour être discutée vendredi 13 septembre. Hier soir, en conférence des présidents, j'ai regretté les conditions de travail qui sont ainsi imposées au Sénat et à notre commission. Il est d'autant plus méritoire, pour le rapporteur, d'avoir pu organiser en peu de temps l'audition d'une quinzaine d'organisations ou personnalités concernées par ce sujet complexe, dont nous avions longuement débattu en 2011.
Mme Laurence Cohen. - Tout en saluant moi aussi le travail du rapporteur, je déplore les conditions dans lesquelles le Sénat doit examiner ce texte. Ceci dit, je partage largement la philosophie du rapport que vient de nous présenter Jacky Le Menn. Je me félicite qu'il ait pu entendre le « collectif des 39 contre la nuit sécuritaire » qui avait combattu la loi de 2011 et son caractère liberticide. Cette proposition de loi rompt clairement avec la vision sécuritaire qui caractérisait la loi de 2011. Plusieurs points méritent néanmoins d'être encore précisés, comme l'a d'ailleurs souligné le rapporteur. Notre groupe présentera des amendements en ce sens. Nous continuons à estimer que le rôle dévolu au préfet est contestable et nous souhaitons renforcer celui des médecins. Le délai de douze jours après le début de l'hospitalisation complète laissé au juge des libertés et de la détention pour statuer nous semble encore trop long. Nous regrettons que la psychiatrie de secteur soit absente de ce texte et nous souhaitons bien entendu que la prochaine loi de santé publique comporte un volet consacré aux soins psychiatriques.
Mme Catherine Génisson. - Le rapporteur a pu mener des auditions utiles dans le délai très bref qui lui était imparti. Je précise qu'à l'Assemblée nationale, le rapporteur de la loi de juillet 2011 s'était efforcé d'atténuer le caractère liberticide du texte, mais il faut être conscient du danger que représentent certains malades, pour eux-mêmes ou leur entourage. Sur un sujet aussi complexe, on ne parviendra jamais à une solution idéale. J'ai bien compris les raisons pour lesquelles l'Assemblée nationale a prévu la suppression du statut légal des UMD. Il faut cependant que ces unités puissent continuer à exister. L'état de certains malades justifie qu'ils soient hospitalisés dans des services spécifiques bénéficiant d'un nombre de personnels plus élevé.
Mme Annie David, présidente. - Il s'agit bien de ne plus prévoir un statut législatif spécifique pour les UMD, et non de supprimer ces services.
Mme Catherine Deroche. - Mes observations porteront surtout sur la méthode. Le Conseil constitutionnel a statué en avril 2012 et il a fallu attendre début juillet 2013 pour qu'un texte soit déposé à l'Assemblée nationale. Sur un sujet extrêmement délicat, le Gouvernement décide soudain de nous faire statuer en urgence. Ces conditions d'examen témoignent d'un total mépris du Sénat ! Bien entendu, le rapporteur n'est nullement en cause, puisqu'il a effectué un important travail dans des conditions très difficiles. Les commissaires du groupe UMP s'abstiendront et nous déposerons des amendements en séance publique.
Mme Muguette Dini. - Ma protestation est de même nature que celle de Catherine Deroche. On nous impose des conditions d'examen inadmissibles. Il faut d'autant plus saluer le travail du rapporteur. Sur le fond, il me paraît excessif et injuste de qualifier de liberticide la loi de juillet 2011, alors qu'elle a apporté de nouvelles garanties en prévoyant l'intervention du juge sur les soins sans consentement.
Mme Aline Archimbaud. - La proposition de loi traite d'un sujet délicat. Il faut trouver l'équilibre entre les nécessités liées aux soins, la protection des libertés et le maintien de la sécurité publique. Ce texte va dans le bon sens et mon groupe le soutiendra. Nous nous félicitons particulièrement de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'article 3 afin de permettre aux parlementaires de visiter les établissements de santé délivrant des soins psychiatriques, comme cela se pratique déjà dans les prisons. Notre groupe présentera plusieurs amendements visant notamment à raccourcir les délais dans lesquels le juge statue sur les soins sans consentement et à limiter le recours à la visioconférence.
Mme Christiane Demontès. - Il faut reconnaître que peu de temps est laissé au Sénat pour examiner ce texte, mais nombre d'entre nous avaient alerté le Gouvernement de l'époque, lors de la discussion parlementaire, sur les risques d'inconstitutionnalité de la loi de 2011. Une motion d'irrecevabilité avait d'ailleurs été défendue par Annie David.
Mme Catherine Génisson. - Je m'interroge fortement sur l'opportunité de l'amendement adopté à l'Assemblée nationale prévoyant un droit de visite des parlementaires. Le parallèle effectué avec les prisons n'est pas pertinent. Nous sommes à l'hôpital. Il y a là une sorte de défiance vis-à-vis de la communauté soignante et on fait peu de cas du respect du secret médical.
Mme Annie David, présidente. - Ce droit de visite n'est pas dirigé à l'encontre du travail des équipes soignantes. Lorsque nous visitons des prisons en tant que parlementaires, ce n'est pas pour mettre en cause le travail des personnels, mais pour mesurer les difficultés auxquelles sont confrontés ces établissements.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - On ne peut mettre sur le même plan prisonniers et malades, d'autant que pour ces derniers, il faut garantir le respect du secret médical.
Mme Aline Archimbaud. - Les établissements psychiatriques sont, pour certains patients, des lieux de privation de liberté.
Mme Colette Giudicelli. - Cette disposition est inopportune. Il paraîtra indélicat, vis-à-vis des malades, d'effectuer des visites de parlementaires.
M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Je comprends les réserves qui peuvent s'exprimer sur cette disposition, notamment de la part du corps médical. J'ai auditionné un responsable d'UMD qui n'a pas soulevé d'objections sur ce point, bien au contraire, puisqu'il a invité les membres de la commission qui le souhaiteraient à visiter son service. Mais cette attitude n'est pas nécessairement partagée par tous les médecins.
Je partage les remarques formulées sur le délicat équilibre à trouver entre des impératifs qui peuvent paraître contradictoires. On ne peut nier les problèmes de sécurité posés par certains patients. Il faut cependant bien doser le type de réponse apportée. La loi de 2011 avait une teneur sécuritaire assez marquée. La décision du Conseil constitutionnel impose un rééquilibrage.
S'agissant des UMD, je confirme qu'il n'est pas question de les remettre en cause. Il s'agit de services renforcés en personnels, compte tenu du type de patients qu'ils accueillent. Mais l'hospitalisation dans un tel service ne suffit pas à justifier une procédure particulière de levée de soins.
À Laurence Cohen, je précise que l'un de mes amendements à l'article 8 vise à donner l'initiative de la levée des mesures de soins sans consentement au collège des soignants, et non plus au préfet. Nombre de mes amendements vont dans le sens d'une médicalisation des soins et d'une meilleure garantie des libertés.
Mme Annie David, présidente - Nous passons à l'examen des amendements proposés par le rapporteur.
AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
Nomination de rapporteurs
La commission procède à la nomination de :
- Mme Christiane Demontès en qualité de rapporteure sur le projet de loi portant réforme des retraites (sous réserve de son adoption en Conseil des ministres et de son dépôt) ;
- Mme Catherine Procaccia en qualité de rapporteur sur la proposition de loi n° 679 (2011-2012) visant à un contrôle des comptes des comités d'entreprises et la proposition de loi n° 724 (2011-2012) relative à la gestion des comités d'entreprises.
Vendredi 13 septembre 2013
- Présidence de Mme Annie David, présidente -Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge - Désignation des membres à l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission procède à la désignation des candidats appelés à faire partie d'une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à modifier certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
Sont désignés comme candidats titulaires : Mme Annie David, M. Claude Domeizel, Mme Anne Emery-Dumas, M. Jacky Le Menn, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Kammermann et Muguette Dini, et comme candidats suppléants : Mme Aline Archimbaud, M. Gilbert Barbier, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Yves Daudigny, Claude Jeannerot, Marc Laménie et Mme Michelle Meunier.
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge - Examen des amendements
Mme Annie David, présidente. - Notre rapporteur, Jacky Le Menn, souhaite nous présenter un amendement de coordination sur la proposition de loi relative aux droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge.
La commission adopte l'amendement de coordination proposé par le rapporteur et donne sur les amendements soumis à son examen les avis suivants :