- Mardi 10 septembre 2013
- Interdiction du cumul des mandats - Audition de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
- Interdiction du cumul des mandats - Audition de M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public, M. Olivier Beaud, professeur de droit public, Mme Julie Benetti, professeur de droit public et M. Dominique Rousseau, professeur de droit public
- Mercredi 11 septembre 2013
- Jeudi 12 septembre 2013
Mardi 10 septembre 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre SUEUR, président -Interdiction du cumul des mandats - Audition de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur
La commission entend M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi n° 733 (2012-2013) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (procédure accélérée) et sur le projet de loi organique n° 734 (2012-2013) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (procédure accélérée).
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et sénatrices de toutes les commissions, ainsi qu'à monsieur le ministre, qui va nous présenter ces projets de loi sur le non-cumul des mandats. Quels que soient les points de vue, nul ne peut nier l'importance de cette réforme qui modifiera en profondeur nos pratiques politiques.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. - Enfin, nous y sommes. C'est une chance de retrouver le Sénat pour aborder concrètement, sincèrement, l'examen de ces projets de loi interdisant le cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale. J'aborde ce débat avec responsabilité et fierté : ce texte traduit un engagement du président de la République et représente une étape importante dans la modernisation de nos institutions ; c'est une véritable révolution de nos pratiques politiques, qui marque l'aboutissement de la logique de décentralisation lancée il y a plus de trente ans par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, puis poursuivie et amplifiée par différentes majorités.
Cette réforme démocratique n'est pas brutale, elle ne prend personne par surprise. Elle s'inscrit dans une double-dynamique : l'affirmation du Parlement et l'approfondissement progressif de la démocratie locale. En trente ans de décentralisation, l'exercice d'un mandat local est devenu de plus en plus complexe. La France, ses villes, ses paysages, sa démocratie locale ont été profondément modifiés par l'affirmation du rôle des territoires, désormais inscrit dans la Constitution. Nos territoires vivent, ils mobilisent les énergies, préparent demain. C'est un chantier exaltant, dans lequel les élus de terrain - je suis bien placé pour le savoir - ont un rôle primordial à jouer.
Le mandat parlementaire - légiférer, contrôler l'action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques - est tout aussi prenant. La session unique depuis 1995 et la réforme constitutionnelle de 2008 ont renforcé cette exigence. Les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, voulues par la gauche, ont limité les possibilités de cumul et mis fin à la folie antérieure : auparavant, un même élu pouvait être simultanément maire, président de conseil général, président de conseil régional, député ou sénateur et parlementaire européen !
M. Michel Teston. - Comme Lecanuet !
M. Manuel Valls, ministre. - Ou Louis Mermaz... Il était temps de passer de la limitation du cumul à l'interdiction.
Ce texte est équilibré : souple sur sa date d'application, strict sur le périmètre des fonctions concernées. J'ai oeuvré pour que la règle du non-cumul s'applique en 2017, après le renouvellement général des deux assemblées. Chacun pourra ainsi s'organiser et rester libre de choisir. Le Gouvernement s'en est remis à la formule suggérée par le Conseil d'État qui garantit l'exercice du droit de suffrage, assure la continuité du fonctionnement des assemblées et évite tout risque de rétroactivité. Certains souhaitaient une application dès 2014, mais les effets politiques de la loi seront perceptibles dès les prochaines élections municipales ; je dirai même plus, ses effets sont déjà perceptibles.
Le périmètre retenu correspond à l'engagement du président de la République : non-cumul de toute fonction exécutive locale, y compris dans les intercommunalités. Ces dernières exercent des compétences croissantes et ont vu leur légitimité récemment renforcée. Les fonctions d'adjoint au maire et de vice-président d'un conseil départemental, d'un conseil régional ou d'une intercommunalité sont également incluses dans le périmètre afin d'éviter toute tentative de détournement de la loi. L'Assemblée nationale a étendu le principe du non-cumul aux fonctions dérivées du mandat local : présidence ou vice-présidence de certains syndicats ou établissements publics.
La règle doit être simple. L'introduction de seuils ne serait pas lisible pour les électeurs : avec un seuil à 1 000 habitants, les trois quarts des communes seraient de facto exclues... Pour être comprise et être efficace, la règle doit s'appliquer à tous. Aujourd'hui, sénateurs et députés sont soumis aux mêmes règles en matière d'incompatibilités ; rien ne justifie qu'il en soit autrement demain. L'ancrage local, certes essentiel, reste possible à travers un mandat de conseiller municipal, départemental ou régional. Votre assemblée compte d'ores et déjà 40 % de sénateurs n'exerçant pas de fonction exécutive locale. Sont-ils moins bons parlementaires que les autres ? Je ne le crois pas.
Je ne sous-estime pas l'ampleur de ce changement, qui est une véritable révolution. J'ai moi-même été à la fois maire et député...
M. Vincent Delahaye. - Et président d'une intercommunalité !
M. Manuel Valls, ministre. - Je sais que la rupture est douloureuse, mais je sais aussi combien il est frustrant de ne pouvoir exercer pleinement, matériellement, ces deux fonctions, même si c'est une douleur moins visible et plus lancinante.
Je vous invite à prendre vos responsabilités sur ce texte, en essayant de ne pas rester confinés dans l'atmosphère du Palais du Luxembourg. Vous savez que la grande majorité de nos concitoyens est favorable à cette mesure de modernisation : les Français veulent des maires à plein temps et des parlementaires à plein temps.
Avec 300 voix pour à l'Assemblée nationale, personne ne peut douter du caractère inéluctable de l'application de ce projet de loi. Ceux qui connaissent la jurisprudence du Conseil constitutionnel en doutent encore moins, tout comme personne ne peut douter de la détermination du président de la République à mettre en oeuvre cet engagement. Vous avez le choix : soit vous êtes seulement dans l'opposition à la modernité, au sens de l'histoire de notre vie politique, au risque de servir ceux qui dénigrent le Sénat et veulent le caricaturer, soit vous participez à ce beau mouvement de modernisation et de changement. C'est aussi en ces termes que le débat se posera. Je me tiens à votre disposition : vous pouvez compter sur mon écoute, et sur ma détermination.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci d'avoir parlé avec autant de clarté et de détermination. L'atmosphère du Sénat serait confinée, dites-vous ? Non, le Sénat de la République est ouvert aux quatre vents de l'esprit ! Il est ouvert à la société dans sa diversité et attaché à la modernité.
M. Simon Sutour, rapporteur. - J'ai particulièrement apprécié la clarté des propos du ministre. Le texte adopté par l'Assemblée le 9 juillet dernier crée une nouvelle incompatibilité parlementaire avec les fonctions exécutives locales et les fonctions dérivées au sein des sociétés d'économie mixte locale (SEML), des sociétés publiques locales (SPL) ou des sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA). Les incompatibilités sont les mêmes pour les députés et les sénateurs, et ce depuis 1958 : c'est notre force.
La fin du cumul ne pose-t-elle pas à terme la question du statut de l'élu ? Le Gouvernement soutiendra-t-il la proposition de loi de Mme Gourault et M. Sueur, adoptée par le Sénat le 29 janvier dernier ? Quid du cumul entre mandats locaux ? Ne faudrait-il pas poursuivre la réforme pour prendre en compte les fonctions au sein des EPCI ? Enfin, faut-il, selon vous, limiter les indemnités des parlementaires à celles perçues au titre de leur mandat parlementaire ? Notre commission avait adopté une proposition de loi organique en ce sens...
M. Gaëtan Gorce. - M. le ministre a évoqué le long parcours qu'a connu cette réforme. Le cumul des mandats est une habitude de notre République : en l'absence de décentralisation, c'était le moyen pour les élus de résister au pouvoir central. Dès lors que la décentralisation est en mouvement, j'approuve le processus engagé, ainsi que le calendrier retenu. Il faudra toutefois s'interroger sur l'avenir de la décentralisation, car le non-cumul doit s'accompagner d'un renforcement des responsabilités et des compétences des collectivités territoriales. Or les projets de loi en cours d'examen sont bien timides...
De même, des parlementaires à plein temps doivent avoir des prérogatives renforcées. La réforme de 2008 n'était pas satisfaisante : nos moyens demeurent trop limités. Au Gouvernement d'encourager une nouvelle réforme des assemblées parlementaires pour leur permettre d'exercer pleinement leurs prérogatives. Contrairement à ses homologues allemand ou britannique, le Gouvernement français n'est pas issu du Parlement et ne dépend pas de lui : il n'a pas de compte à rendre aux assemblées. Pour rééquilibrer la situation, inutile d'imaginer une VIème République : renforçons plutôt les pouvoirs individuels et collectifs des parlementaires, par exemple en donnant aux rapporteurs pour avis sur le budget les mêmes pouvoirs que les rapporteurs spéciaux ; en renforçant la part du contrôle et de l'évaluation dans les missions des commissions parlementaires ; en obtenant que les administrations soient à la disposition du Parlement. Bref, le non-cumul suppose un rééquilibrage entre le Parlement et l'exécutif. À défaut, il aboutira - a fortiori si l'on nous impose le scrutin à la représentation proportionnelle - non pas à des assemblées politiques, mais à des rassemblements d'apparatchiks.
M. Jean-Pierre Vial. - Être contre ce texte, c'est ne pas comprendre le sens de la modernité, dit le ministre. Je comprends pourquoi cette salle est inhabituellement fleurie : il s'agit de recouvrir le cercueil des mandats... (Sourires)
L'incompatibilité concerne-t-elle les présidences et vice-présidences des futures métropoles ? Le texte est muet sur ce point. Quid des syndicats mixtes et des sociétés publiques locales (SPL) ? Nos collectivités sont impliquées dans beaucoup de structures de ce type. Or un commentaire d'un juriste paru dans le Journal des Maires laissait entendre qu'un élu ne pourrait plus être en charge d'une SPL... Dans sa rigueur, ce texte interdira-t-il la présence d'élus dans les SPL et syndicats mixtes, pourtant indispensable à la vie de la collectivité ?
M. Christian Cointat. - En tant que sénateur des Français de l'étranger, je suis par nature de ceux qui ne peuvent cumuler mandat parlementaire et fonction locale : aucun Gouvernement ne nous a donné d'exécutif local, ce que je regrette. Je cumule toutefois mon mandat de parlementaire avec celui de membre de droit de l'Assemblée des Français de l'étranger. La récente interdiction de ce cumul de droit va poser problème, car siéger dans une assemblée locale apporte des connaissances indispensables.
La modernité, ce n'est pas la réforme en soi, c'est une bonne réforme. Avez-vous bien pesé les avantages et les inconvénients de couper tous les parlementaires de leur base locale ? La direction engagée n'est sans doute pas mauvaise, mais la solution retenue est-elle la bonne ? Je n'en suis pas sûr... Les 40% de sénateurs qui n'exercent pas de responsabilité exécutive locale ne sont sans doute pas plus mauvais que les autres, mais sont-ils pour autant meilleurs ? En tout cas, les parlementaires élus locaux ne sont pas nécessairement les plus souvent absents !
M. Philippe Dallier. - C'est certain !
M. Christian Cointat. - Il n'y aura pas de renouvellement général des deux assemblées en 2017 : le mandat des sénateurs élus en 2014 courra jusqu'en 2020. Comment la réforme s'appliquera à eux ?
Enfin, invoquer l'opinion publique ne suffit pas à démontrer l'efficacité d'une réforme. Il y a bien des choses que l'opinion publique souhaite et que nous lui refusons de lui accorder, à commencer par le rétablissement de la peine de mort ! La modernité n'est pas de suivre mais de précéder. Comment nous convaincre que vous précédez l'opinion publique ?
M. Vincent Delahaye. - Le débat sur le fond aura lieu dans l'hémicycle. Les sondages d'opinion sont à manier avec prudence : les Français sont hostiles avant tout au cumul des indemnités... Le sujet méritait de faire l'objet d'une grand débat national, car l'élection présidentielle n'a pas tranché la question : François Hollande avait certes annoncé une loi sur le cumul, mais sans dire qu'elle serait aussi excessive ! Pourquoi la procédure accélérée sur ces textes ? Et pourquoi avoir omis les établissements publics d'aménagement de la liste des incompatibilités ? Je déposerai un amendement pour y remédier.
M. Manuel Valls, ministre. - Le non-cumul des mandats doit en effet se traduire par une amélioration du statut de l'élu. Si le Sénat a adopté largement la proposition de loi Gourault-Sueur, l'Assemblée nationale s'est également saisie de la question avec le rapport de Philippe Doucet, qui fait suite à celui de Marcel Debarge. Le président de la République s'était engagé lors des États généraux de la démocratie territoriale à avancer sur ce sujet, comme sur celui des normes, et le Gouvernement y travaille. Nous sommes en phase d'arbitrage interministériel.
Le statut social du parlementaire est correct, mais M. Gorce a raison d'évoquer le problème des moyens d'expertise, car le contrôle de l'exécutif est l'une des fonctions premières du Parlement. La révision constitutionnelle de 2008 a offert aux parlementaires un espace important, à eux de s'en saisir. Il faudra en revanche améliorer le statut social des élus locaux, notamment des élus des petites communes, qu'il s'agisse d'indemnités ou de retraite.
Le Gouvernement ne compte pas étendre les interdictions de cumul vertical des fonctions locales : un maire peut présider une intercommunalité. Le texte distingue fonctions locales et parlementaires, sachant que la loi interdit déjà le cumul de fonctions exécutives.
À la suite d'un amendement à l'Assemblée nationale, le montant des indemnités parlementaires a été limité. Je connais l'apport dynamique de M. Mézard, qui a fait feu de tout bois sur cette question, avec la sincérité qu'on lui connait. (Sourires)
Les nouvelles règles en matière de cumul concerneront bien les métropoles : toutes les collectivités en voie de création seront couvertes. Les fonctions de président, de vice-président, de membre du conseil d'administration ou de surveillance d'une SPL seront incompatibles avec un mandat parlementaire, de même que celles de président ou de vice-président d'un syndicat mixte.
La réforme de la représentation politique des Français de l'étranger a été définitivement adoptée. Je ne la commenterai donc pas.
Enfin, la loi s'appliquera à tous les sénateurs en 2017, qu'ils soient ou non renouvelables à cette date. Idem pour les députés européens élus en 2014, dont le mandat prendra fin en 2019.
Il est vrai que nous n'avons pas à suivre tous les mouvements de l'opinion : bien des débats d'actualité le montrent. Je connais les arguments : les Français disent être contre le cumul mais élisent et réélisent des députés-maires ou des sénateurs-présidents de région... J'en ai été l'illustration ! Le même argument était utilisé naguère par ceux qui cumulaient quatre fonctions exécutives. Reste qu'on ne peut s'affranchir du débat sur l'engagement des élus, le rôle du Parlement, la place de chacun dans les collectivités territoriales. D'autres sont ouverts : le rôle des assemblées face à l'exécutif, le statut de l'élu, le cumul horizontal. Certains députés proposaient d'aller plus loin encore, d'interdire tout cumul avec un mandat local ou d'encadrer le cumul dans le temps, comme cela se fait aux États-Unis...
Cette révolution démocratique est de notre point de vue inexorable. Nous y sommes prêts. N'en déplaise à M. Delahaye, l'engagement de campagne du président de la République était très précis : interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec un exécutif local. Contrairement à d'autres, cet engagement ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, politique ou d'opinion. Il n'y a aucune raison de ne pas le tenir. Quant à la procédure accélérée, elle se justifie par la nécessité d'adopter ces règles avant les élections municipales de mars 2014, afin de préparer les investitures et candidatures.
M. Claude Jeannerot. - Il y a quelques années, Guy Carcassonne signait dans Le Monde une tribune dans laquelle il établissait une distinction entre le statut de sénateur de celui de député, estimant que le sénateur, étant spécifiquement chargé de représenter les collectivités territoriales, pouvait se voir investi d'une responsabilité exécutive. Comment envisagez-vous cette distinction ?
M. Philippe Dallier. - On a cru comprendre ! (Sourires)
M. Rachel Mazuir. - Une fois de plus, après le texte sur la transparence, les parlementaires sont pris pour cible : j'ai parfois l'impression d'être traité en délinquant !
Le projet de loi fait l'impasse sur le cumul des fonctions locales entre elles. Certains, à Lille ou à Lyon, pourront cumuler des fonctions déterminantes... Les présidents des 22 régions seront les interlocuteurs privilégiés du Gouvernement. Cela pose problème. Que pèseront les parlementaires dans le Rhône, si Gérard Collomb - qui est un ami - préside tout ce qui compte ? Je suis favorable à une évolution, mais à condition que l'on prenne tout en compte et que l'on cesse de mettre systématiquement en cause les parlementaires. On attend d'un capitaine qu'il défende ses équipiers !
M. Alain Néri. - Ma question est simple, et appelle une réponse simple. L'objectif de cette réforme est que chaque élu soit plus efficace et plus responsable tout en étant au fait des besoins de nos concitoyens. Maire d'une commune de 1 300 habitants, sénateur, conseiller général, je ne suis pas éternel...
M. Henri de Raincourt. - Quoi que... (Sourires)
M. Alain Néri. - Si demain je ne suis pas candidat, celui qui sera élu maire en 2014 sera un agriculteur, un employé de la SNCF ou un médecin...
Mme Éliane Assassi. - Et pourquoi pas une femme ?
M. Alain Néri. - En tout cas, sûrement pas un énarque. Pensez-vous que cette personne abandonnera son activité professionnelle pour exercer son mandat de maire ? Bien sûr que non. Imaginons que, sur sa lancée, il - ou elle - se porte candidat aux élections cantonales : s'il est élu conseiller général en 2015, abandonnera-t-il son métier pour autant ? Bien sûr que non.
M. Philippe Dallier. - Il voudra devenir sénateur ! (Sourires)
M. Alain Néri. - Pourquoi celui qui exerce un mandat parlementaire à plein temps serait-il, lui, contraint d'abandonner sa fonction ? N'est-ce pas une stigmatisation, une discrimination, une rupture d'égalité entre citoyens ? Le suffrage universel est seul légitime pour désigner les représentants du peuple. Tous les citoyens doivent être traités sur un pied d'égalité ! Le maire d'une très grande ville, comme Paris, abandonnera, lui, son activité professionnelle. Il y a une réflexion de bon sens à mener.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je félicite nos collègues pour la qualité de leur dialectique. J'ai pour ma part derrière moi 32 ans de mandat électif, dont un an et demi de cumul. La question centrale est celle du temps. Le travail parlementaire est prenant : il y a tant de textes, d'amendements, de missions... Or le mandat exécutif local est lui aussi très prenant. La France compte beaucoup de talents : utilisons-les, et que chacun s'adonne à un mandat.
M. Alain Néri. - Au suffrage universel de les choisir.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous en êtes le vivant exemple.
M. Didier Guillaume. - Cumulard assumé, je tenais à m'exprimer dans ce débat difficile. Une très large majorité de Français se prononce pour la limitation du cumul des mandats, mais jamais un administré ne m'a demandé de renoncer à l'un de mes mandats ! Certains mettent en avant l'argument financier, nous devrions l'assumer : nous travaillons sept jours sur sept, pour un salaire bien moindre que dans bien des professions...
Toutefois, si l'on veut aller dans le sens de l'histoire, de l'évolution de la société, disons-le tout de go : quand on cumule plusieurs mandats - et a fortiori plusieurs fonctions, ce qui n'est pas mon cas - on manque de temps. Signer un rapport, tenir des auditions, participer à des missions, cela prend du temps, même si les nouvelles technologies nous permettent de rester connectés et de faire notre travail sérieusement. Je voterai ce texte, mais attention à la stigmatisation des élus, que certains comportements peuvent alimenter.
Sans doute me trouverez-vous un peu démagogue, mais est-ce plus difficile d'être à la fois parlementaire et maire d'une petite commune que d'être maire et président d'une métropole - ce qui restera autorisé ? Avançons par étapes. Le Sénat n'a pas à être dans l'air du temps - c'est le destin des feuilles mortes - mais à montrer que la modernité, ce sont des élus qui font leur travail à fond. Sur le terrain, les gens apprécient notre travail. Or les mêmes jugent les politiques discrédités et le cumul source d'inefficacité... Curieuse dichotomie. Montrons-leur que le Sénat fait son travail avec sérieux.
M. Manuel Valls, ministre. - Monsieur Jeannerot, le droit actuel aligne le régime des sénateurs sur celui des députés en matière d'incompatibilités. Dans sa lettre comme dans son interprétation par le Conseil constitutionnel, l'article 24 de la Constitution ne justifie pas un traitement différencié pour les sénateurs. Le faire supposerait de faire évoluer le rôle du Sénat, sur le modèle du Bundesrat ou du Sénat espagnol... Ce n'est pas, je pense, ce que vous souhaitez. En outre, un traitement différencié des sénateurs conduirait à qualifier ce texte de loi organique relative au Sénat, ce qui suppose un vote conforme des deux assemblées. Le Gouvernement ne souhaite pas s'engager dans cette voie. Enfin, l'Assemblée nationale n'accepterait pas cette différenciation : certains y verraient l'occasion de remettre en cause la loi sur le non-cumul des mandats.
À MM. Mazuir, Néri et Guillaume, je réponds que j'ai été maire, que je reste conseiller municipal, mais que nous devons faire attention au vent mauvais qui accompagne la mise en causes des élus, de la vie démocratique. L'Express de demain titre sur le « palmarès des cumulards »... La crise de confiance que traverse la France ne tient pas qu'aux problèmes institutionnels, mais la pratique des élus compte. Elle nourrit l'abstention, y compris lors des élections locales : il faut y prendre garde. Avançons par étapes. Certains élus ont déjà choisi de se consacrer à leur mandat local, à l'instar du maire de Paris ou de Toulouse.
Je ne dis pas que ceux qui cumulent ne travaillent pas : souvent, ils sont parmi les parlementaires les plus engagés. Mon mandat de maire ne m'a pas empêché d'animer l'opposition au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Mais la conséquence, c'est la délégation non pas aux élus mais à l'administration... Les nouvelles technologies ne remplacent pas le contact humain.
Je suis conscient des changements que va provoquer cette réforme, comme celle du scrutin binominal. Les parcours politiques locaux ou nationaux seront différenciés, il faudra accompagner les évolutions, quitte à ce que d'autres textes viennent compléter celui-ci. Le cumul est déjà limité, nous l'interdisons.
M. Alain Néri. - Il faut qu'il y ait un peu de jeu !
M. Manuel Valls, ministre. - Nous conservons de la souplesse. Le scrutin à la représentation proportionnelle existe déjà au Sénat : dans l'Essonne, j'ai vu des candidats s'affranchir allègrement des partis politiques et se faire élire au Sénat grâce à leur expérience et leur réseau. Un parlementaire pourra rester conseiller municipal, départemental ou régional. L'ancrage dans la réalité locale doit être sauvegardé : députés et sénateurs continueront de venir en fin de semaine dans leur territoire, pour être à l'écoute de nos concitoyens.
Interdiction du cumul des mandats - Audition de M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public, M. Olivier Beaud, professeur de droit public, Mme Julie Benetti, professeur de droit public et M. Dominique Rousseau, professeur de droit public
Ensuite, la commission entend, autour d'une table ronde, M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public, M. Olivier Beaud, professeur de droit public, Mme Julie Benetti, professeur de droit public et M. Dominique Rousseau, professeur de droit public.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je voudrais tout d'abord souhaiter la bienvenue à M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public et M. Olivier Beaud, professeur de droit public qui, avec MM. Laurent Bouvet et Patrick Weil, ont adressé une lettre au chef de l'Etat et aux présidents des assemblées sur la question du cumul des mandats qui nous occupe.
Je voudrais également accueillir M. Dominique Rousseau, ainsi que Mme Julie Benetti, tous deux professeurs de droit public et membres de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin.
M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public. - Je voudrais tout d'abord vous faire part de ma surprise, de voir commencer le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur les deux textes qui nous réunissent, par l'affirmation selon laquelle, le cumul des mandats est une spécificité française à éradiquer.
Cet argument me paraît quelque peu hasardeux... De spécificités françaises il en est d'autres plus spectaculaires, voire problématiques, à commencer par notre Président de la République et la concentration des pouvoirs entre ses mains, au regard du droit comparé.
Cette concentration du pouvoir s'est traduite au plan parlementaire par une sorte de « caporalisation » qui est également une spécificité française.
Si l'Assemblée nationale avait été amenée à voter sur l'autorisation d'intervenir en Syrie, et qu'elle avait émis, comme la chambre des communes l'a fait le 29 août dernier, un vote de rejet, imaginez le crime de lèse-majesté que cela aurait produit.
Compte tenu de cette logique de concentration des pouvoirs, à côté des bénéfices attendus de cette réforme, la règle du non-cumul prive les députés d'une assise territoriale personnelle et risque d'entraîner leur soumission aux appareils partisans.
La position du Sénat est à part, comme en convenait mon ami le professeur Guy Carcassonne, farouche opposant au cumul des mandats. Représenter une Nation, c'est représenter une population mais aussi un territoire, se plaisait-il à dire. Cet argument plaide en faveur du bicamérisme. On ne peut pas séparer totalement ces deux représentations, mais il convient de distinguer les missions constitutionnelles confiées à chaque chambre du Parlement. À l'Assemblée nationale, priorité est donnée à la représentation de la population, avec un correctif territorial qui varie selon les modes de scrutin. Au Sénat, en vertu de l'article 24 de la Constitution, priorité est donnée à la représentation des collectivités territoriales de la République, avec un correctif démographique. Il existe donc bel et bien un lien organique entre le Sénat et les collectivités territoriales dont il est l'émanation.
Élu par les citoyens, le député se définit d'abord comme un citoyen. Le sénateur, principalement élu par les élus locaux, s'il n'est pas l'un d'entre eux, est amené à le devenir, de par le lien organique qui découle de l'article 24.
Dans ses propositions de réforme du Sénat, Guy Carcassonne prévoyait d'attribuer la moitié de ses sièges aux maires des grandes villes, aux présidents des conseils généraux et des conseils régionaux. Dans son esprit, l'hostilité au cumul des fonctions concernait essentiellement l'Assemblée nationale et épargnait le Sénat. Il ne faudrait pas tronquer sa pensée.
Je terminerai mon propos par une note stratégique. Dans l'économie du bicamérisme, et dans le dialogue entre les deux assemblées, l'interdiction du cumul des mandats pour les députés apporterait au Sénat un surcroit de dynamisme et d'autorité. Elle y attirerait des élus locaux qui veulent une carrière nationale et des députés qui veulent la poursuivre sans renoncer à leurs fonctions locales.
Mme Julie Benetti, professeur de droit public. - C'est un plaisir et un honneur d'être entendue par votre commission, même s'il n'est pas facile pour moi de m'exprimer après le professeur Pierre Avril, dont les travaux ont profondément marqué mon travail de thèse, et, chose inédite, je me démarquerai de ses positions.
Le cumul des mandats est un sujet sur lequel nous avons longuement débattu au sein de la commission « Jospin ». Je voudrais rappeler quel a été l'esprit de nos propositions sur ce sujet. Le fil rouge qui a guidé notre réflexion est la volonté de renforcer le lien unissant le citoyen à ses représentants. De cette idée a découlé toutes les propositions de la commission et en particulier celle de limiter strictement le cumul des mandats des parlementaires. Sur cet objectif, il n'y a pas eu de dissension. Certains membres de la commission souhaitaient même le passage immédiat au mandat parlementaire unique. La commission n'a pas jugé opportun de proposer d'interdire d'emblée à un parlementaire d'exercer un mandat local, pour autant, nos préconisations s'inscrivent clairement dans cette perspective. Le temps n'est plus aux « réformettes » mais au passage à l'acte.
L'idée, à terme, est de rendre le mandat parlementaire incompatible avec tout mandat électif autre qu'un mandat de simple conseiller local, et que cette incompatibilité inclut dans son champ les fonctions locales « dérivées », c'est-à-dire toutes les fonctions, même non exécutives, qui peuvent être exercées au sein d'établissements locaux dont les pouvoirs et les moyens sont souvent sensiblement plus importants que ceux des collectivités territoriales elles-mêmes.
Le projet de loi organique initial était en retrait par rapport à nos préconisations car n'étaient visées que les fonctions exécutives des collectivités territoriales ainsi que celles des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Mais, en première lecture à l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois, l'interdiction de cumul a été étendue aux fonctions exécutives des syndicats intercommunaux et des syndicats mixtes, ainsi que les fonctions de président, de vice-président et de membre de conseils d'administration des établissements publics locaux, des sociétés d'économie mixte locales, des sociétés publiques locales ou des organismes d'HLM. Il faudrait sans doute modifier l'intitulé même de la loi dès lors que ne sont plus visées seulement des fonctions exécutives.
Le projet de loi organique, tout comme la commission « Jospin », écarte l'idée d'une différence de traitement entre députés et sénateurs. L'article 24 de la Constitution n'implique pas que les sénateurs soient des élus locaux mais qu'ils soient élus par un collège essentiellement composé d'élus locaux. Au demeurant, les parlementaires pourront continuer à siéger au sein des conseils municipaux, départementaux ou régionaux dès lors qu'ils n'appartiennent pas à leurs exécutifs. La Constitution ne fait pas de différence entre les missions de l'Assemblée nationales et celles du Sénat.
À trop appuyer sur la spécificité sénatoriale, le risque est d'ouvrir la voie à une transformation du Sénat en chambre des territoires, et de réduire ses prérogatives par rapport à celles de l'Assemblée nationale. Le devenir du Sénat se joue ici... Si la spécificité du Sénat justifie une différence de traitement, demain, elle justifiera une différence de prérogatives.
Je plaide donc, à titre personnel, pour que les sénateurs et les députés soient traités de la même façon, car tous sont des parlementaires à part entière.
Notre souci est la rénovation du Parlement et le plein exercice des fonctions exécutives locales. Le cumul des mandats est un frein à ces objectifs. C'est à ce prix, en rendant aux parlementaires leur pleine disponibilité pour se saisir de leurs prérogatives, que cette rénovation pourra devenir effective. Je souhaiterais rappeler ici les nombreux écrits de Guy Carcassonne sur ce sujet.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie tous deux pour ces exposés aux conclusions différentes, mais dans lesquels notre ami Guy Carcassonne a été cité.
M. Dominique Rousseau, professeur de droit public. - Je vous remercie pour votre invitation, c'est un honneur d'être reçu par la représentation nationale. Le débat sur le cumul des mandats est un débat récurrent et bien connu. Tous les arguments ont été exposés depuis longtemps. Du côté des « pour » : la proximité, l'ancrage territorial, l'autonomie à l'égard des partis politiques. Du côté des « contre » : le renforcement récent des pouvoirs du Parlement justifiant que les parlementaires se consacrent pleinement à leurs tâches, la nécessité de rénover la vie politique et de l'ouvrir à d'autres catégories de personnes.
Le débat est donc bien connu. Il faut désormais le trancher politiquement, ce qui n'est pas notre rôle d'universitaires. Vous avez une connaissance de la vie parlementaire que nous n'avons pas.
Je voudrais insister sur trois points. Deux points de politique constitutionnelle et un point de contentieux constitutionnel.
Le premier point de politique constitutionnelle a trait à la conception que l'on peut se forger du mandat politique en général. On peut cumuler les mandats (ville, canton, département, région), comme au Monopoly, acheter tous les secteurs en rouge, en orange ou en bleu. On accumule du capital que l'on peut ensuite céder comme des parts de marché : une ville contre une région ou un département.
Pour ma part, je suis plus favorable à une distribution du capital politique, qui permet une respiration du jeu politique et un renouvellement de l'énergie démocratique du pays, luttant ainsi contre les situations monopolistiques.
Mon deuxième point de politique constitutionnelle concerne le fait de ne pouvoir concevoir la question du cumul des mandats de manière isolée. Il y a sur ce sujet une expression célèbre du Président Jacques Chirac, que je ne reprendrai pas intégralement ici, qui m'invite à penser que quand on touche un article de la Constitution, on touche tous les autres.
La question du cumul doit être reliée à d'autres réflexions comme la discussion sur la rénovation du statut des parlementaires, la nécessité en cas de non-cumul de prévoir une augmentation de leur indemnité et un renforcement des moyens matériels et humains à leur disposition pour exercer leur mandat. Il serait également nécessaire de renforcer les pouvoirs du Parlement.
Au sein de la commission « Jospin », j'ai fait valoir une opinion séparée. Je suis favorable à une interdiction du cumul des mandats pour les députés et à un cumul obligatoire pour les sénateurs. Je considère que le Sénat n'a de légitimité dans la République que s'il n'est pas le doublon de l'Assemblée nationale. L'assise du Sénat dans nos institutions ne sera pas garantie si on ne reconnait pas son rôle de représentant des collectivités territoriales. Cela passe par un collège électoral d'élus locaux mais également par les membres du Sénat eux-mêmes. Pour représenter les collectivités territoriales, il faut être un élu local.
Ma réflexion s'inscrit dans une réflexion plus générale. Étant favorable, sur le plan constitutionnel, à une décentralisation poussée, il me semble que la régionalisation ne sera pas possible sans une classe politique régionale autonome de celle nationale. Le poids politique des collectivités territoriales décentralisées devra avoir une expression institutionnelle nationale au Sénat. Schématiquement, l'Assemblée nationale représente la population, le Sénat les collectivités territoriales. L'ensemble constitue la représentation de la Nation.
Je terminerai sur un dernier point, de contentieux constitutionnel : je veux parler de la question de la date d'entrée en vigueur de la réforme. On a tout entendu sur ce point : 2017, 2014, etc. Cette question renvoie à celle des suppléants : si la réforme entre en vigueur dès 2014, il faudra modifier la loi organique pour étendre les hypothèses de remplacement d'un parlementaire par son suppléant, afin d'éviter une multitude d'élections législatives partielles. Le Conseil constitutionnel l'acceptera-t-il ? Plusieurs décisions - notamment celle, récente, du 6 juin 2013 - indiquent que le Conseil admet qu'on puisse modifier les règles électorales en cours de mandat à condition que cela soit justifié par un motif d'intérêt général. Or l'entrée en vigueur rapide d'une réforme constitue un tel motif, d'après sa jurisprudence. Une entrée en vigueur en 2017 offre une sécurité sur le plan juridique, tandis que fixer cette entrée en vigueur en 2014 pourrait présenter un risque constitutionnel, même si ce risque paraît minime en l'occurrence, car le Conseil rappelle souvent qu'il ne détient pas un pouvoir général d'appréciation identique à celui du législateur.
M. Olivier Beaud, professeur de droit public. - Pour ma part, je défends, comme Pierre Avril, une position plutôt défavorable à ce projet de réforme, pour plusieurs raisons. Je dois d'abord avouer que la lecture du rapport de la commission Jospin m'avait irrité par son dogmatisme et son manichéisme, alors qu'initialement j'étais plutôt favorable à la thèse du non-cumul, au moins s'agissant des députés. Mais il me paraît évident qu'une telle réforme ne peut qu'aggraver la présidentialisation du régime, n'en déplaise au rapporteur de l'Assemblée nationale qui a qualifié cet argument de « rustique ». A l'heure actuelle, que cela plaise ou non, l'existence de « grands barons » au sein du Parlement constitue un contre-pouvoir. L'interdiction du cumul des mandats risque, à l'inverse, d'accentuer la concentration des pouvoirs. Il y a là une question fondamentale tenant à l'équilibre global de nos institutions, qui a pourtant été peu abordée lors des débats à l'Assemblée nationale.
Ces débats ont été riches et intéressants. On constate que l'Assemblée nationale s'est livrée à une logique infernale en étendant considérablement le champ de l'incompatibilité. En outre, ce projet de réforme ne procède pas seulement à une extension des incompatibilités mais constitue un saut qualitatif ; il modifie toute la portée du système, en le faisant passer d'une logique de limitation des mandats à une logique d'interdiction. Plusieurs députés ont fait part de leurs réserves. Je ne citerai que les propos du député David Habib lors de la séance du 4 juillet 2013 : « la fin du cumul, si elle n'est pas accompagnée d'un vaste mouvement décentralisateur, renforcera Paris et l'échelon central par rapport à la province. [...] Le problème ne concerne pas Montpellier, Toulouse, Lille, mais les agglomérations et les villes moyennes qui, elles, ont besoin d'un relais avec l'échelon central et les ministères et qui l'ont aujourd'hui trouvé grâce à l'existence du député-maire. Je crains que la fin du cumul soit pour celles-ci un élément déstabilisateur ». Pourtant, lui comme plusieurs de ses collègues députés, tout aussi réservés, ont voté le projet de loi, car ils appartiennent à la majorité... On a bien ici une illustration de la « caporalisation » dont parlait tout à l'heure Pierre Avril.
Que voulons-nous vraiment pour notre République ? Dans son rapport, page 31, le rapporteur de l'Assemblée nationale Christophe Borgel donne des éléments : l'un des effets de la réforme sera de donner davantage d'importance au suppléant et d'atténuer la dimension personnelle de l'élection. Ainsi, il s'agit bien de renforcer l'allégeance partisane ! Mon opinion est que, dans une démocratie, l'électeur doit connaître son élu et pouvoir le contrôler. Cette réforme va favoriser les apparatchiks qui commencent leur carrière à 20 ans dans les partis et se font désigner dans des circonscriptions faciles au détriment de ceux qui conquièrent le statut de parlementaire par des mandats locaux durement gagnés.
Tout cela vaut a fortiori pour le Sénat. Le point le plus étrange de ce projet de loi organique est l'assimilation à laquelle il procède entre le statut de sénateur et celui de député. Le renvoi au régime des incompatibilités des députés pour fixer celle des sénateurs est d'ailleurs un hasard historique. Or, de la même manière qu'on différencie les inéligibilités, il y a une véritable logique institutionnelle à différencier les incompatibilités. Cette loi organique est-elle une « loi organique relative au Sénat », auquel cas le Gouvernement ne pourrait passer outre son consentement en donnant, le cas échéant, le dernier mot à l'Assemblée nationale ?
Je terminerai en citant ces propos du sénateur Jacques Carat lors d'une séance au Sénat le 17 décembre 1985 : « Comment [le Sénat] pourrait-il être valablement l'émanation des collectivités locales si les élus qu'elles se sont choisis pour les représenter ne pouvaient, en même temps, siéger dans notre assemblée ? Nos institutions fixent donc elles-mêmes la mesure à garder ». Je vous remercie.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Tout ce que nous venons d'entendre montre à quel point l'organisation de cette table ronde était une bonne idée. J'ai été rassuré par une partie des propos du Professeur Avril, même si je ne partage pas sa position de façon générale. Le ministère de l'Intérieur a produit des statistiques : d'ores et déjà, 40% des sénateurs n'exercent pas de fonction exécutive locale ; c'est d'ailleurs mon cas. Le professeur Avril nous dit que quand on est élu par des élus locaux, on devient de ce fait l'un d'entre eux : j'approuve totalement cette idée, dont j'ai fait l'expérience.
J'aurai, pour les uns et les autres, plusieurs questions. Tout d'abord, je suis pour ma part issu de la fonction publique territoriale, et je sais d'expérience que les mandats locaux ne représentent plus la même charge. En outre, un mandat de maire aujourd'hui ne ressemble en rien à ce qu'il était il y a 40 ans. N'y aurait-il pas là un argument en faveur d'une évolution du droit ?
Par ailleurs, qu'en est-il sur le plan du droit comparé ? Quel est le droit applicable dans les autres États de l'Union européenne ? La France est-elle plus ou moins stricte que la moyenne ? Doit-on parler d'un « retard français » ?
Ce projet de loi propose d'interdire le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale : la prochaine étape consistera-t-elle à interdire le cumul entre plusieurs fonctions exécutives locales ?
Enfin, à quelles évolutions peut-on s'attendre sur le plan institutionnel après l'entrée en vigueur de la réforme ?
Mme Julie Benetti. - Il est vrai que le droit comparé est souvent mobilisé. Si la France fait figure d'exception, c'est moins par ses règles que par sa pratique : d'autres États autorisent le cumul, mais la proportion de ceux qui cumulent plusieurs fonctions est moindre.
Sur la question du cumul de mandats locaux, il me semble que notre législation est satisfaisante. Il ne faudrait pas, ici, tomber dans une logique d'interdiction, pour reprendre des termes utilisés tout à l'heure.
J'attends beaucoup de cette réforme sur le plan institutionnel. Permettez-moi de vous citer les propos de Guy Carcassonne, qui disait que « le Parlement ne manque pas de pouvoirs mais de parlementaires pour les exercer ». Il faut que les parlementaires se dressent contre le Gouvernement ! L'absentéisme des parlementaires favorise le pouvoir exécutif et laisse une place démesurée aux représentants politiques des groupes. Ce projet de loi est une réponse à cette « caporalisation » dont souffre le Parlement !
M. Gaëtan Gorce. - Je suis sensible aux arguments de Dominique Rousseau, que je remercie par ailleurs de ne pas avoir cité les paroles du président Chirac in extenso... Comme cela a été le cas pour le quinquennat, les conséquences de la réforme qu'il nous est demandé de voter n'ont pas été évaluées... Qu'en est-il, en particulier, du nécessaire rééquilibrage des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement ? Aujourd'hui, le cumul des mandats ne permet pas au Parlement de résister face au Gouvernement, mais l'interdiction du cumul ne le permettra pas plus si on ne donne pas aux parlementaires les moyens matériels, humains et juridiques d'exercer les pouvoirs de contrôle que leur reconnaît la Constitution. La semaine de contrôle au Parlement y est d'ailleurs la plus pauvre. Comme sénateur, quel pouvoir réel ai-je, aidé d'un seul collaborateur et de mes codes, face à l'armada de fonctionnaires de Bercy ou du ministère de l'Intérieur ? Comme rapporteur, je suis totalement dépendant des données et informations qu'accepte de me transmettre le Gouvernement. Pour ma part, je pense que les pouvoirs dont disposent les parlementaires sont encore trop restreints. Il faudrait notamment que tous les rapporteurs puissent disposer des pouvoirs des rapporteurs budgétaires.
Par ailleurs, je suis intimement convaincu que cette réforme ne favorisera en rien le renouvellement de la classe politique. De ce point de vue, je suis d'accord avec le Professeur Beaud, il faut placer les partis politiques, dont les assises se sont lentement érodées, devant leurs responsabilités.
Enfin, faut-il cultiver la spécificité du Sénat ? Je ne le crois pas. Je rappelle que notre assemblée a été créée afin de porter une certaine « sagesse » - dans une optique assez conservatrice, il faut le reconnaître. À mon sens, le Sénat a vocation à rester une assemblée généraliste. C'est le mode d'élection des sénateurs qu'il faut modifier.
Sur l'ensemble de ces points, il me semble que la réforme qui nous est proposée n'apportera pas de solution satisfaisante. Je la voterai néanmoins, tout en étant conscient du fait que le pouvoir des appareils des partis politiques risque de s'accroître encore sur le Parlement.
Mme Virginie Klès. - Ma question ira à Mme Benetti : comment et pourquoi, selon vous, cette interdiction du cumul des mandats renforcerait-elle le lien entre le peuple et ses représentants ? S'agit-il, ici, de la question de la présence des parlementaires à Paris ? Comment évaluez-vous la journée d'un maire d'une grande ou d'une petite commune, d'un conseiller régional, etc. ?
M. Christian Cointat. - Je m'adresse à Mme le professeur Julie Benetti. Mme Virginie Klès a posé la première question que je voulais aborder, mais j'en ai d'autres. Je voudrais d'abord observer que si on fait une réforme, c'est pour être efficace, il faut une cohérence d'ensemble.
Vous êtes opposée au cumul des mandats parlementaires avec des mandats d'exécutifs locaux, mais vous n'abordez pas la question des parlementaires qui continuent à exercer leur profession : par exemple, un parlementaire qui est avocat pourra continuer à plaider, alors qu'un parlementaire qui serait également maire devra abandonner l'un des deux mandats. Trouvez-vous donc normal qu'on ne traite qu'une partie du problème ?
D'autre part, il est très difficile d'être élu sans exercer un mandat local. Pour ma part, je suis un élu des Français de l'étranger ; je ne peux donc pas cumuler mon mandat avec un exécutif local mais je suis membre de l'Assemblée des français de l'étranger (AFE). Or, jusqu'à présent, personne n'a été élu dans une circonscription des français de l'étranger sans avoir été membre de l'AFE. C'est par l'exercice d'un mandat local qu'on remplit le mieux son mandat de sénateur.
Je rappelle aussi que lorsqu'on a changé la limite d'âge pour être élu au Sénat, on a successivement retenu 35 ans, puis 30 ans et enfin 24 ans ; à l'époque, l'argument développé a été de dire que si à 18 ans on peut être élu à l'Assemblée nationale, il faut en revanche justifier d'au moins une expérience d'élu local avant de pouvoir être élu sénateur, d'où l'argument de l'époque que l'âge de 24 ans correspond à l'âge de 18 ans majoré de 6 ans, soit la durée normale d'un mandat local.
Si on veut des parlementaires dignes de ce nom, il faut des parlementaires élus par eux-mêmes : en cas d'interdiction de cumul des mandats, le maire, le président d'un conseil général ou d'un conseil régional désigneront un faire-valoir, qui sera élu au Sénat. C'est un très grand risque pour le Sénat car les ficelles seront tirées par d'autres que les sénateurs.
Il n'y aura donc à l'Assemblée nationale et au Sénat que des « apparatchiks » ou les faire-valoir des grands barons locaux.
Je suis donc parfaitement d'accord avec les arguments développés par Mme le Professeur Benetti mais j'arrive à une conclusion exactement inverse.
Je pense qu'il faut revaloriser le parlementaire, non le Parlement : le Parlement a des pouvoirs alors que les parlementaires n'en ont pas. Comme l'a souligné mon collègue Gaëtan Gorce, le parlementaire ne peut pas rivaliser en termes d'expertise technique avec le ministère des finances par exemple.
Ce que je reproche à cette réforme, que je ne voterai pas, c'est le fait qu'elle ne mesure pas suffisamment le pour et le contre : elle risque d'entraîner un déséquilibre institutionnel. Les membres du Parlement voteront cette réforme justement parce qu'ils ne peuvent pas se dresser contre le Gouvernement ; ce projet de loi ne rééquilibre pas les rapports entre Parlement et Gouvernement.
M. Alain Richard. - Je veux ajouter quelques réflexions et quelques interrogations qui n'ont, me semble-t-il, pas été abordées jusqu'à présent.
À propos de la différenciation entre l'Assemblée nationale et du Sénat, j'ai une simple remarque : la seule véritable justification du bicamérisme, c'est la double délibération, la valeur ajoutée qu'il donne à la délibération, quelle que soit l'origine élective des assemblées et il est vain de chercher d'autres justifications. Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales mais il représente le peuple français ; si on basculait sur un système où le Sénat ne représente que les collectivités territoriales, on aboutirait au système allemand où lorsqu'un élu du Bundesrat perd son siège local, il perd en conséquence son siège au Bundesrat.
J'ai une autre observation. Le cumul a une raison fonctionnelle : il apporte une expertise locale. Dans n'importe quel débat, 90 % des arguments échangés s'enracinent dans une expérience locale.
Il faut faire de la science politique et analyser si une minute de plus sera consacrée au mandat de parlementaire lorsque l'interdiction du cumul des mandats sera effective. Je ne le pense pas car la première préoccupation de l'élu est d'être identifiée par ses électeurs. Lorsque les parlementaires n'auront plus de mandat local, ils devront consacrer au moins autant de temps à leur circonscription mais comme ils n'exerceront pas de mandat local, ils joueront un peu la « mouche du coche » : ils seront présents pour se faire connaître. « All politics is local », toute politique est locale disent les américains : c'est vrai aussi en France.
En ce qui concerne le renouvellement du personnel politique, je partage l'analyse de mon collègue Gaëtan Gorce : j'ai un doute sur le fait que cela va provoquer un appel d'air et vu les conditions dans lesquelles il se produira, ce seront les collaborateurs de parlementaires qui remplaceront les parlementaires qui cumulent aujourd'hui leur mandat avec des mandats locaux.
Enfin, combien d'élus locaux ont une activité professionnelle ? Si on comparait le cumul d'un mandat local avec un mandat parlementaire et le cumul d'un mandat parlementaire avec l'exercice d'une profession, on risquerait être surpris sur qui du mandat local ou de la profession prend le plus de temps. Ayant connu les deux situations, je peux dire que l'activité professionnelle dont le cumul est pourtant autorisé avec un mandat parlementaire est autrement plus prenante que le mandat local.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie très sincèrement le professeur Olivier Beaud d'être venu et qui a dû partir avant la fin de cette table ronde.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je souhaite intervenir dans la continuité du professeur Pierre Avril pour dire que compte tenu du mode d'élection des sénateurs, ceux-ci méritent un traitement protecteur. Vous avez évoqué le fait que les sénateurs doivent être des élus de collectivités territoriales, mais il existe pourtant près de 45 % de sénateurs qui n'ont aucun mandat local. De ce fait, pour qu'ils soient placés sur le même pied d'égalité que les parlementaires disposant aussi d'un mandat local, il serait souhaitable qu'une institution, à l'échelon local, rassemble parlementaires et élus locaux pour instaurer un dialogue et un échange nécessaires.
M. Philippe Bas. - Je voudrais émettre une observation sur la question de savoir s'il faut différencier les sénateurs des députés en fixant des règles différentes. Comme Alain Richard, je pense que se pose la question du statut des élus en général. En effet, il y a une différence pour l'élu local, selon qu'il est fonctionnaire ou salarié, ou qu'il est maire ou président de conseil général, etc. : le code du travail comme le statut général de la fonction publique prévoient que 25 % du temps de travail peuvent être dégagés au titre du mandat. Le mandat local n'est donc pas à ce point dévorant puisque le législateur considère qu'on peut travailler 75 % de son temps en entreprise ou comme fonctionnaire et être en même temps maire d'une ville ou président d'un conseil général ou régional. On peut aborder alors la question du cumul des mandats avec l'idée que ce ne serait qu'un cas de figure parmi d'autres. À propos du statut de l'élu local, on en a discuté il y a quelques semaines, lors de l'examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique : le principe est celui de l'autorisation de continuer son activité professionnelle et l'exception, l'interdiction pour une liste de métiers limitativement définis par la loi organique. Cette interdiction s'applique non pas parce qu'il y a un problème de temps mais parce qu'il y a un risque pour l'indépendance de l'élu.
Le champ extrêmement large de la question du cumul en général n'est donc ici abordé que de manière très partielle par rapport aux questions réelles que soulève ce texte.
M. Claude Jeannerot. - Je voudrais remercier les différents intervenants car ce débat a montré qu'en la matière, il n'y avait aucune vérité révélée.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Très bien !
M. Claude Jeannerot. - Je voudrais revenir sur mon intervention lors de l'audition précédente, avec le ministre de l'intérieur. J'ai moi aussi convoqué la mémoire de Guy Carcassonne, farouche opposant au cumul des mandats. Il opérait une différence cependant, entre les députés et les sénateurs, en tant qu'élus par les collectivités territoriales. J'émets donc l'hypothèse que ces deux situations peuvent être traitées de manière différente. Dans sa réponse, le ministre a avancé deux arguments pour s'y opposer : le premier, d'ordre constitutionnel, est que cette différenciation entre députés et sénateurs serait infondée au regard des attributions identiques des deux chambres. On ne pourrait donc imaginer des conditions différentes d'exercice des mandats. Le second argument est que cette différenciation ferait du Sénat une chambre « croupion », limitée dans ses prérogatives, par nature différentes de celles de l'Assemblée nationale en raison du statut différent des parlementaires de ces deux chambres. Que pensez-vous de cette argumentation ?
M. Pierre Avril. - Je voudrais tout d'abord répondre à la question posée à propos de la spécificité des sénateurs par rapport aux députés. C'est une spécificité qui a son origine dans les sources mêmes : la Constitution établit elle-même, à l'article 24, que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Mais par ailleurs et simultanément, le Sénat est une assemblée parlementaire au même titre que l'Assemblée nationale, sous la seule réserve qu'il ne peut pas renverser le Gouvernement, en contrepartie de quoi il ne peut être dissous. Mais les deux chambres ont la même nature : celle de représenter le peuple français, l'une étant issue du suffrage universel direct, l'autre du suffrage universel indirect. Soulever le fantôme d'une capitis diminutio du Sénat résultant d'une différenciation du régime électoral des sénateurs par rapport à celui des députés, conduisant à ce que le Sénat ne représente plus que les collectivités territoriales n'a pas de sens : il est déjà écrit dans la Constitution que le Sénat représente les collectivités territoriales. C'est, au contraire, tirer les conséquences de la source constitutionnelle que d'établir une différenciation entre les parlementaires de chacune de ces chambres et on ne peut, par conséquence, imposer aux sénateurs un régime électoral équivalent à celui des députés. Ce n'est d'ailleurs actuellement pas le cas !
Prenons l'exemple suivant : si l'interdiction du cumul des mandats existait déjà, Jean-Marc Ayrault serait devenu sénateur. Je veux aussi rappeler qu'en 1959, Edgar Faure, Gaston Deferre et François Mitterrand, battus aux élections législatives, sont devenus sénateurs. Le Sénat n'a pas eu à s'en plaindre. Ce sera quelque chose d'impossible désormais si le Parlement adopte ce projet de loi.
Un mot sur les pouvoirs du Parlement. Guy Carcassonne avait écrit dans sa préface à l'ouvrage de M. René Dosière « L'argent caché de l'Élysée », que le Parlement ne manque pas de pouvoirs mais d'hommes pour les exercer.
Lors des débats sur la révision constitutionnelle de 2008, il avait ajouté que chaque fois que le Parlement réclamait de nouveaux pouvoirs, on les lui attribuait, mais ils profitaient en réalité à la majorité politique essentiellement, et donc au Gouvernement auquel elle est en quelque sorte asservie.
Dans cette logique, l'interdiction du cumul des mandats aggraverait une situation de manque d'indépendance des parlementaires à l'égard du Gouvernement déjà fortement dégradée.
Mme Julie Benetti. - Je retiens de plusieurs interventions que la détention d'un mandat local apporte une connaissance de la vie et de la société réelle.
Je n'ai certes pas de pratique du mandat politique. Mon point du vue est purement universitaire, mais, est-ce à dire alors que les parlementaires britanniques, allemands, italiens n'auraient pas cette connaissance ? Est-ce à dire que la connaissance de la vie réelle ne vient que d'un mandat électif ?
L'expertise locale n'est certainement pas supprimée par le projet de loi organique. Les parlementaires pourront continuer à être des élus locaux et les mandats peuvent se succéder dans le temps.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Sous réserve d'être réélu bien sûr.
Mme Julie Benetti. - Le projet de loi organique ne règle pas tout. Il laisse par exemple de côté les incompatibilités professionnelles. Mais, est-ce parce que l'on ne traite pas cette question qui devrait l'être, qu'il faut renoncer à légiférer sur le cumul des mandats ?
Quant aux moyens des parlementaires, on pourrait encore modifier l'arsenal juridique... Cependant, ils ont d'ores et déjà des pouvoirs significatifs.
Effectivement, il y a un manque de moyens matériels et humains. Il faut doter les parlementaires d'une force d'expertise face au Gouvernement. Mais cette question ne doit pas empêcher la réforme dont nous discutons. De plus, si la réforme permet aux parlementaires d'être davantage présents dans leur assemblée, cela leur donnera plus de poids pour demander des moyens supplémentaires.
Enfin, pour répondre au sujet de l'absentéisme, je ne le réduis pas à la question du cumul des mandats. Mais je pense que le cumul en est l'un des facteurs puissant. Or, l'absentéisme nourrit l'antiparlementarisme en France. Cet antiparlementarisme m'effraie beaucoup.
Sans vouloir faire parler l'opinion publique, il me semble néanmoins qu'on attend des parlementaires qu'ils exercent d'abord leur mandat parlementaire et des titulaires de mandats exécutifs locaux qu'ils exercent d'abord leur mandat d'exécutif local.
Quant à la question du seuil, effectivement, il n'y a pas d'équivalence parfaite entre un mandat de conseiller municipal dans une petite commune rurale et le mandat d'un conseiller municipal dans une grande commune.
La commission « Jospin » avait écarté la question d'une distinction selon un seuil démographique. Il nous a semblé qu'il fallait une mesure simple et nette pour opérer la rupture avec l'état du droit.
M. Dominique Rousseau. - Beaucoup de choses ont été dites. Je ne développerai donc que deux points.
Concernant la logique de la réforme, il me parait évident qu'à elle seule, elle ne va pas moderniser les institutions de la République. Mais, elle peut être un levier pour poser d'autres questions concernant l'opportunité de prévoir des incompatibilités professionnelles, la nécessité de revaloriser des moyens matériels des parlementaires ou le renforcement des pouvoirs du Parlement. Il faut un point d'accroche à ces réformes ultérieures. N'attendons pas trop de la réforme dont nous discutons. Elle n'est qu'un point de départ.
N'attendons pas trop du droit non plus. Cette réforme aura des effets vertueux, mais également pervers. Il ne faudra pas forcément en rendre responsable la loi ou le législateur.
J'ai entendu dire qu'avec la limitation du cumul des mandats, si le député-maire ne peut plus être maire, il va placer son copain ou son assistant comme maire... Ce n'est pas ici la faute de la loi, mais bien celle des hommes politiques.
La loi pose un régime juridique. On ne peut pas savoir à l'avance quel usage en sera fait car les effets du non cumul ne se feront sentir qu'au bout de quelques années. Il faudra du temps pour que tous, hommes politiques et citoyens, s'approprient cette réforme.
Quant à la conception du mandat, l'affirmation selon laquelle il faudrait nécessairement un ancrage local aux parlementaires me fait m'interroger sur ce qu'est l'intérêt général. Ce n'est pas la somme des intérêts particuliers des collectivités territoriales.
Je crois que quand Jean-Jacques Servan-Schreiber a été élu député, il a voulu inscrire sur sa carte de visite « député de Meurthe-et-Moselle », le Président de l'Assemblée nationale de l'époque, Edgar Faure, lui avait envoyé une lettre lui signifiant qu'il était « député de la Nation ».
Les parlementaires doivent penser la volonté générale comme dépassant l'addition des intérêts particuliers. La présence dans les délibérations de préoccupations locales risque de faire perdre aux assemblées leur fonction de dire l'intérêt général. Cette fonction se déplacera alors ailleurs. Au Conseil d'État ? Au Conseil constitutionnel ? Je crains un affaissement de la volonté générale.
De plus, il me semble que le non cumul des mandats est un moyen de limiter la présidentialisation du régime. À la lecture des débats parlementaires qui accompagnent chaque révision constitutionnelle, on peut s'apercevoir que le Gouvernement se réjouit quand les députés sont en circonscription.... Plus les parlementaires seront à Paris, plus le Gouvernement sera sous leur contrôle.
Je ne crois donc pas, à l'inverse, à l'idée selon laquelle le cumul de mandats permettrait de limiter la présidentialisation. Aujourd'hui, les parlementaires peuvent cumuler, et pourtant, ils ne s'opposent pas au Gouvernement. D'ailleurs, ceux de la majorité voteront ce texte qu'ils n'apprécient pas.
L'idée selon laquelle le cumul des mandats serait un moyen de limiter la présidentialisation n'est pas opérant - en témoignent la situation actuelle et les conditions dans lesquelles ce texte va être examiné !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je souhaiterais ici intervenir, car ce que vous avez dit m'interpelle. Qu'est-ce qui vous permet de dire que les parlementaires votent contre leur volonté ? Notre Constitution permet la diversité des expressions. Je vous rappelle en outre que tout mandat impératif est nul. Les conditions d'examen des textes au Sénat, qui réunissent des majorités variables, le montrent bien...
M. Dominique Rousseau. - Je maintiens que la situation actuelle, qui autorise le cumul des fonctions, ne donne pas aux parlementaires les ressorts nécessaires pour s'opposer au président de la République. L'existence de « barons locaux », pour reprendre une expression utilisée tout à l'heure, n'y change rien : le Gouvernement préfère les parlementaires en circonscriptions !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie pour la richesse de nos échanges, qui nous ont beaucoup apporté et contribueront à enrichir le débat.
Mercredi 11 septembre 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre SUEUR, président -Interdiction du cumul des mandats - Examen du rapport et des textes de la commission
La commission examine le rapport de M. Simon Sutour et les textes proposés pour le projet de loi n° 733 (2012-2013) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (procédure accélérée) et sur le projet de loi organique n° 734 (2012-2013) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (procédure accélérée).
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous examinons ce matin le rapport de Simon Sutour sur le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen et sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Ces projets de loi organique et ordinaire ont été déposés le 3 avril 2013 par le Gouvernement, et ont été renforcés et adoptés par l'Assemblée nationale à la majorité de ses membres le 9 juillet 2013.
Le cumul des mandats est une pratique ancienne et constante, enracinée dans la construction politique de notre pays depuis au moins la seconde moitié du XIXème siècle. La distinction ancienne établie par la doctrine entre les « élections politiques » au niveau national et les « élections administratives » - l'élu local n'ayant vocation qu'à administrer son territoire sans réelle autonomie par rapport au pouvoir central - explique l'absence de règles limitant le cumul des mandats. Le mandat parlementaire est pour l'élu local un moyen de disposer de plus de pouvoir à l'égard du préfet. Comme le résumait Michel Debré : « quand, maire d'une ville ou administrateur élu d'un département, on ne veut ni ne peut se révolter contre le pouvoir central, il faut tenter de pénétrer à l'intérieur des mécanismes qui font, à Paris, le Gouvernement et l'administration du pays ».
M. Guillaume Marrel, maître de conférences en sciences politiques, souligne ainsi l'ancienneté du phénomène, mais relève sa « croissance et sa stabilisation sous la IIIème République, puis sa reconstruction sous la IVème République », et ce qu'il appelle sa « systématisation sous la Vème ».
Le cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions locales a longtemps été aussi un moyen de disposer d'une protection, de moyens humains et financiers, bref d'un statut qui n'existait alors que pour les parlementaires en vertu du principe de gratuité des fonctions électives locales. D'où le lien que d'aucuns établissent entre la question du non cumul et celle du statut de l'élu. C'était le sens, hier, de ma question au ministre sur l'avenir de la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, adoptée par le Sénat en janvier 2013. J'ai reçu du Gouvernement l'assurance qu'elle serait inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans les mois qui viennent.
La pratique française du cumul des mandats nationaux et locaux est singulière. M. Julien Boudon, professeur de droit public, note qu'elle n'obéit à aucune donnée institutionnelle prédéterminée, le cumul n'étant fonction ni du type de régime politique, ni de la composition de l'échiquier politique, ni de la forme de l'État. Un État aussi unitaire et récemment décentralisé que le Royaume-Uni ignore quasiment cette pratique. Les membres des chambres basses sont 24 % en Allemagne à détenir un mandat local, 20 % en Espagne, 7 % en Italie et 3 % au Royaume-Uni.
Au Royaume-Uni, l'absence d'encadrement du cumul s'explique par l'habitude politique. Cette situation, comme celle des Pays-Bas, fait figure d'exception. J'ajoute que sept pays de l'Union européenne ont rendu le mandat de parlementaire européen incompatible avec tout mandat local. Comme le soulignait le rapporteur de l'Assemblée nationale Christophe Borgel, s'il y a bien une spécificité française, elle réside non dans l'existence du cumul mais dans l'intensité du phénomène.
Quelques règles ont été progressivement instaurées pour mettre fin aux cas extrêmes. La loi du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires a été une première étape, introduisant le principe d'une limitation du cumul de mandats locaux. Les lois organiques du 19 janvier 1995 et du 5 avril 2000 ont resserré le dispositif. Enfin, la loi du 5 avril 2000 interdit le cumul de deux mandats parmi ceux de maire, président de conseil général et président de conseil régional.
Actuellement, il n'existe donc aucune règle d'incompatibilité entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale. Cette interdiction a seulement été introduite pour les représentants français au Parlement européen par la loi du 5 avril 2000, avant d'être abrogée par la loi du 11 avril 2003, pour mettre fin à une différence de traitement avec les parlementaires nationaux. Le Conseil constitutionnel avait néanmoins validé ce texte.
L'encadrement du cumul est encore partiel, pour ne pas dire marginal. Il peut donc être renforcé, et l'actuelle réforme n'épuisera pas le sujet. Vous avez été nombreux à évoquer hier le cumul entre mandats locaux, ou encore, la prise en compte des fonctions exercées dans les structures intercommunales.
Les tentatives d'encadrement se sont multipliées. Et nos concitoyens rejettent de plus en plus massivement cette pratique. Récemment, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions présidé en 2007 par l'ancien Premier ministre Edouard Balladur, puis la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin en 2012, se sont successivement prononcés contre le principe du cumul des mandats.
Les arguments pour ou contre sont connus. Je me limiterai aux raisons qui me rendent favorable à ces textes. En premier lieu, le cumul du mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales ne permet pas d'exercer notre mandat parlementaire dans toute sa plénitude. Il existera toujours des exemples ou des contre-exemples de cumulards ou de non cumulards plus ou moins assidus. Ma conviction est cependant que la décentralisation a profondément bouleversé l'exercice des fonctions exécutives locales, y compris dans les plus petites communes car les maires et leurs adjoints sont soumis à de nouvelles contraintes, sans disposer de collaborateurs ou de services aussi étoffés que dans les grandes villes.
Quelques travaux scientifiques se sont intéressés au lien entre absentéisme et cumul, avec des résultats contradictoires car les éléments de mesure de l'activité parlementaire sont parcellaires ou tronqués. M. Luc Rouban, du Centre d'études de la vie politique française (Cevipof) affirme qu'il « n'y a pas de corrélation entre le nombre de mandats et l'investissement dans l'ensemble du travail parlementaire ». M. Abel François estime pour sa part que « l'effet global du cumul des mandats n'est pas évident » car « si les simples mandats semblent avoir une influence positive sur l'activité parlementaire, les fonctions dans les exécutifs locaux ont une influence négative ».
M. Laurent Bach, auteur d'une étude sur la période 1988-2011, dresse un bilan plus précis en distinguant, parmi les mandats locaux, des mandats lourds, maire de grandes villes, présidents de conseils généraux ou régionaux. Il avance que l'implication d'un parlementaire est d'autant plus réduite que sa fonction exécutive locale est importante. Les titulaires d'un gros mandat local seraient intervenus en séance publique ou en commission moitié moins souvent que les députés sans mandat local significatif. M. Bach conclut que « seules les activités (...) rentables électoralement sont autant voire plus suivies par les détenteurs de mandats locaux ».
« Institutionnalisation du conflit d'intérêts » pour Guy Carcassonne, le cumul des mandats est aussi pour Michel Debré le mécanisme par lequel « les préoccupations locales l'emportent dans l'esprit de nos parlementaires sur les préoccupations nationales ». Ce constat, dressé en 1955, sous la IVème République, lui faisait dire que « le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française ». Avec des règles de non cumul plus strictes, les parlementaires n'auraient plus aucune excuse - notamment face à leurs électeurs - pour expliquer leur faible implication au Parlement.
Un mot sur l'application de la réforme au Sénat. Certains souhaitent un traitement différencié entre les députés et les sénateurs, s'appuyant notamment sur la mission de représentation des collectivités territoriales que l'article 24 de la Constitution confère au Sénat. J'y suis défavorable. D'une part, le régime d'incompatibilité parlementaire a toujours été le même dans les deux assemblées, depuis 1958. D'autre part, en accentuant sa spécificité, le Sénat nierait sa fonction généraliste. Doté de prérogatives quasiment similaires à celles de l'Assemblée nationale, le Sénat ne saurait être exclusivement la chambre des collectivités territoriales.
Enfin, aucune disposition ne rend impératif le cumul des mandats, pas même l'article 24 de la Constitution. L'interprétation qu'en fait le juge constitutionnel impose que le corps électoral des sénateurs soit composé essentiellement d'élus locaux, non que tous ses membres le soient. Par conséquent, opposer le sénateur exerçant une fonction exécutive locale et le sénateur seulement parlementaire est absurde. Il ne saurait y avoir de hiérarchie entre eux.
La réforme proposée par le Gouvernement et adoptée par l'Assemblée nationale est équilibrée. Elle n'interdit pas le cumul du mandat parlementaire avec un mandat local, ce qui répond aux critiques sur la rupture du lien avec la réalité locale. Les parlementaires pourront en revanche se consacrer aux missions que la Constitution leur assigne. C'est un progrès souhaitable. C'est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi organique, et le projet de loi qui étend ces règles aux députés européens.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour ce rapport précis et documenté. À la demande de nos collègues, le débat général en séance publique durera cinq heures. Avant de donner la parole à ceux qui le souhaitent, je vous communique un courrier que je viens de recevoir.
À l'initiative de Mme Assassi et avec l'accord de la commission des affaires étrangères, nous avons sollicité une audition auprès de l'ambassadeur des États-Unis pour évoquer les questions de surveillance et de renseignement, la NSA et l'affaire Prism. L'ambassadeur américain nous répond : « Comme vous le savez, les États-Unis et la France sont deux grandes démocraties qui entretiennent une longue tradition d'entente et d'amitié dont les liens se sont approfondis au cours des années. »
M. Yves Détraigne. - Cela commence mal...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - « Je ne peux manquer de souligner mon profond attachement aux échanges réguliers que notre ambassade entretient avec le Parlement, et tout particulièrement avec le Sénat. Cependant... »
M. Yves Détraigne. - Et voilà.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - « ...je ne peux malheureusement pas répondre favorablement à votre demande d'intervention devant vos commissions. Toutefois, ce serait avec plaisir que je vous rencontrerai en tant que présidents de vos commissions pour m'entretenir avec vous des questions portant sur les relations franco-américaines sans pour autant pouvoir apporter de précisions sur les sujets mentionnés dans votre lettre ».
Encore un mot avant d'engager le débat, pour féliciter au nom de la commission M. Alain Richard, qui vient d'être nommé représentant du Ministre des affaires étrangères pour développer les relations économiques entre la France et les pays des Balkans.
M. Yves Détraigne. - Je félicite notre rapporteur pour sa remarquable capacité de travail, puisqu'il nous présente son rapport le lendemain même des auditions. Quelle réactivité...
Ce projet de loi interdit aux responsables des collectivités territoriales de siéger au Sénat, qui pourtant assure la représentation de ces dernières. C'est pour le moins original. Certes, le cumul est un mal français, comme l'a écrit L'Express hier, et il faut y mettre un peu d'ordre. Mais qui veut noyer son chien l'accuse de la rage, et je connais bien des cumulards très actifs au Parlement. Charles de Courson, député de la Marne, mon département, est un ténor de l'Assemblée nationale et l'un des parlementaires les plus présents sur le terrain.
Certes, le cumul est plus fréquent en France que dans les démocraties voisines. Mais nos régimes politiques sont différents ! La France n'est pas réellement décentralisée. M. Alain Lambert, président de la Commission consultative d'évaluation des normes, l'a dit récemment à la radio : il n'y a jamais eu autant de normes que depuis que l'on a imposé un moratoire sur les normes ! Si les collectivités territoriales ne sont plus représentées au Parlement, si elles n'ont plus leur mot à dire, elles seront contraintes de subir et appliquer les décisions prises au niveau central. La révision générale des politiques publiques a fait des dégâts dans les régions et les départements, mais pas dans les administrations centrales, qui produisent toujours autant de textes et de contraintes. La voie de la recentralisation est ouverte.
Enfin, si le Sénat est transformé en clone de l'Assemblée nationale, quel sera son avenir ? Autant le supprimer ! La création d'un Haut Conseil des territoires indique qu'on en prend le chemin. Cette réforme avance masquée : nous ne sommes pas prêts à l'adopter.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le président du groupe RDSE a exprimé hier notre position au rapporteur. Un mot sur la forme : le bazar qu'est devenue cette commission la fait renoncer à formuler des critiques sur tel ou tel point particulier.
La réforme consiste à remplacer des cumulards par des parachutistes, elle substituera à des responsables élus en vertu de leur assise locale des personnes désignées par des grands partis au fonctionnement clanique - l'auteur de cette épithète se reconnaîtra.
Si l'on veut faire comme les autres pays, occupons-nous plutôt d'établir une véritable séparation des pouvoirs. En France, l'exécutif et le législatif ne sont nullement séparés : voyez les déclarations des technocrates du cabinet de la ministre de la décentralisation lors du débat sur les métropoles, qui trouvaient « scandaleuses » les modifications apportées par le Sénat au motif qu'elles remettaient en cause des mois de travail de l'administration. Aux États-Unis, de tels propos sont inimaginables, et ceux qui les tiendraient seraient renvoyés sur le champ ! La forme fédérale du régime proscrit d'ailleurs le cumul des mandats.
« Vivifier la vie parlementaire » n'est pas une justification plus convaincante. Les rares études scientifiques que cite le rapporteur ne prouvent qu'une chose : on ne sait rien de l'impact du cumul sur la vie politique. J'ai moi-même fait quelques recherches : certains parlementaires dotés de lourds mandats sont certes plus absents que la moyenne, mais on trouve aussi dans cette catégorie des parlementaires dépourvus de tout autre mandat. Globalement, les cumulards sont plutôt plus actifs que les autres. Mais au-delà des heures de présence, à quoi s'emploient-ils ? À faire passer de temps à autre un sous-amendement que le Gouvernement consent à accepter après trois heures de discussion, quand par extraordinaire il ne l'a pas déclaré irrecevable ? De qui se moque-t-on ? Si l'on veut revivifier le Parlement, il faut cesser de voir en lui une pure courroie de transmission des souhaits de l'Élysée, transmis via Matignon. Et séparer véritablement les pouvoirs.
Je dis cela d'autant plus sereinement que j'ai volontairement abandonné mon mandat de maire de Figanières, commune de 2 500 habitants, lorsque je suis devenu sénateur. Je ne suis plus qu'adjoint aux finances, grâce à quoi je suis la vie locale. Et ne venez pas invoquer la volonté d'améliorer notre travail en garantissant la présence dans l'hémicycle : lorsque j'ai déposé sur le texte relatif à la transparence de la vie publique un amendement destiné à comptabiliser l'activité parlementaire - un site privé s'y emploie, mais imparfaitement -, il a été refusé !
Le cumul a longtemps été justifié, disiez-vous, par la distinction courante entre élections politiques et élections administratives. Mais lorsque nous avons présenté la proposition de loi relative à l'éligibilité des étrangers non communautaires, vous vous y êtes opposé au motif que les élections locales n'étaient pas politiques ! Finalement, elles le sont ?
Enfin, il est extraordinaire que ce texte élude soigneusement la question du cumul horizontal ! On ne pourra plus cumuler les mandats de sénateur et d'adjoint au maire de Figanières, mais être baron local, maire d'une commune de 600 000 habitants, et président d'une communauté urbaine aussi grande qu'un département ne posera aucun problème... C'est se moquer du monde ! Quant aux conflits d'intérêts, c'est bien en confrontant les intérêts particuliers et en les transmutant que l'on forge à l'intérêt général... Tout à la fois, on dénonce le conflit d'intérêts que serait le cumul des mandats et l'on promet que rien ne changera, que les parlementaires élus par des élus auront toujours le souci des intérêts locaux. Décidément, adopter ce texte en l'état ne serait pas une bonne chose.
M. Philippe Bas. - Je salue moi aussi le tour de force du rapporteur, qui nous présente un rapport très documenté à peine les auditions achevées.
Le Gouvernement a choisi d'engager la procédure accélérée. C'est son droit, et je le respecte à condition qu'il n'en abuse pas. En l'occurrence, cette décision est inutile pour une réforme censée ne s'appliquer qu'en 2017. La procédure accélérée ne saurait en outre avoir pour effet de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale. D'abord car les dispositions organiques relatives aux inéligibilités et aux incompatibilités qui sont applicables aux députés s'appliquent aussi aux sénateurs, en vertu de l'article L.O. 297 du code électoral - qui résulte de la codification à droit constant par un décret de 1964 de l'ordonnance portant loi organique du 24 octobre 1958. Le texte est relatif au Sénat autant qu'à l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel ne manquera pas de vous rappeler à cette réalité juridique ! Ensuite, car l'Assemblée nationale ne saurait avoir le dernier mot sur les dispositions relatives au remplacement des sénateurs élus au scrutin majoritaire qui démissionneraient pour conserver leur mandat local. Enfin, car aussi loin que l'on souhaite aller dans le cumul des mandats, on ne peut interdire à un maire d'être sénateur sans méconnaître la logique même de notre institution et l'esprit de l'article 24 de la Constitution. Or, si une telle disposition était adoptée, il y aurait une différenciation entre les deux assemblées et l'Assemblée nationale ne pourrait avoir le dernier mot.
La procédure accélérée ne doit pas priver le Parlement du temps nécessaire pour approfondir ces sujets. C'est pourquoi nous présenterons nos amendements pour la séance ultérieurement, en mettant à profit tout le temps qui nous reste.
Notre groupe n'est pas hostile à l'instauration de règles limitant utilement le cumul des mandats. Une actualisation est même nécessaire depuis la révision constitutionnelle de 2008, et compte tenu de l'évolution de l'intercommunalité et des responsabilités des exécutifs locaux. Mais tout est dans la mesure. Les dispositions du présent texte sont excessives et, combinées avec d'autres réformes récentes, mettent en cause l'identité du Sénat.
L'impasse est faite non seulement sur le cumul horizontal, mais aussi sur le cumul d'activités électives et d'activités privées. Privilégier celles-ci sur des activités au service de l'intérêt général comme l'exercice d'un mandat local, il vous faudra le justifier devant les Français ! Il faut faire le contraire !
Il est singulier d'interdire à un élu local d'être en même temps parlementaire alors que le code du travail et le statut de la fonction publique l'autorisent à occuper un emploi salarié à 75% de son temps de travail, soit 27 heures par semaine. Les élus locaux sont des surhommes et des surfemmes, nous le savons. Si on les autorise à travailler 27 heures par semaine à côté de leur mandat local, pourquoi leur interdire d'être parlementaire ?
Ce texte est mal bâti. Il procède d'une réaction instinctive et populiste. Trouvons un dispositif plus raisonnable.
M. Gaëtan Gorce. - Soyons prudents et évitons les arguties. Ne confondons pas réglementation du cumul et moralisation de la vie publique : elles n'ont rien à voir. Ne stigmatisons pas les élus qui exercent diverses responsabilités, avec la volonté incontestable de faire progresser l'intérêt public.
Plaçons-nous sur le terrain de la modernisation des institutions. Historiquement, le cumul a servi aux élus locaux à peser sur l'État central. Mais les aiguilles de l'horloge ont tourné. La décentralisation a eu lieu, vous vous y êtes ralliés après l'avoir combattue. Les collectivités territoriales ont des responsabilités nouvelles. Le débat mobilise depuis les années quatre-vingt les pouvoirs publics, les juristes et les citoyens. La réflexion conduite sous Lionel Jospin avait permis d'introduire davantage d'équilibre entre les responsabilités mais n'avait pas recueilli l'assentiment de l'opposition d'alors. Il serait bon de faire bouger les rôles, entre ceux qui souhaitent faire évoluer les institutions et ceux qui, par réflexe conservateur, s'y opposent en permanence - ces lignes ne recoupant pas celles de la majorité et de l'opposition.
Nous devons considérer ce texte comme un outil de revalorisation du Parlement. Il faut évaluer des moyens, individuels et collectifs, indispensables aux parlementaires pour accomplir leur mission de contrôle : la réforme de 2008 est loin d'avoir tout réglé sur ce point. La procédure parlementaire n'est pas satisfaisante. Il y a des progrès à accomplir pour que le Parlement tienne pleinement son rôle face à l'exécutif et soit considéré non comme un exécutant discipliné mais comme un vrai partenaire.
La réforme doit intervenir avant les élections municipales pour que candidats et électeurs se prononcent en pleine connaissance de cause - d'où la procédure accélérée. Elle doit surtout conduire à envisager un renforcement des prérogatives du Parlement et des moyens des parlementaires, et contribuer à moderniser des institutions qui fonctionnent mal. L'opinion publique veut des parlementaires qui se consacrent à leurs tâches de législation et de contrôle ; ces derniers ne seront pas pour autant coupés des assemblées locales, puisqu'ils pourront demeurer conseiller municipal, départemental, régional.
M. Christian Favier. - Notre groupe est depuis longtemps favorable au non cumul, car il faut renouveler et féminiser la vie politique. Toute avancée législative est donc bienvenue. Reste la question du rôle spécifique du Sénat, représentant des collectivités locales. L'expérience acquise dans l'exercice de mandats locaux nourrit notre travail législatif : on l'a encore constaté lors du récent débat sur les métropoles. Mais le projet de loi ne supprime pas tout lien puisqu'il autorise le parlementaire à être membre d'une assemblée locale. Pour autant, je m'inquiète de voir remettre en cause le rôle du Sénat : le Haut Conseil des territoires ne fait-il pas doublon avec notre assemblée ? L'organisation du travail parlementaire devra aussi être revue afin que l'élu puisse concrètement faire vivre ce lien avec le territoire : on ne peut se satisfaire de lois hors-sol, coupées de la réalité locale.
Je regrette que le projet de loi n'aborde pas la question du cumul des mandats dans le temps. Le suffrage universel tranchera, dira-t-on. Certes, mais les raisons du cumul ne sont pas toujours aussi nobles que l'on dit ; des stratégies de réélection sont à l'oeuvre, par exemple. Or l'absence de renouvellement risque, sur la durée, de figer la vie politique. Nous sommes favorables à ce texte.
M. Antoine Lefèvre. - Grâce à ce projet de loi, plus rien ne fera obstacle à l'implication totale des parlementaires, dit le rapporteur. Mieux vaudrait améliorer l'organisation du travail parlementaire... Vous parlez d'absentéisme, mais bien des super-cumulards sont parmi les sénateurs les plus actifs. De même, il y en a beaucoup que l'on ne voit guère, alors qu'ils n'exercent pas d'autre mandat que celui de parlementaire...
M. Gaëtan Gorce. - N'attaquez pas ceux qui ne sont pas là pour se défendre !
M. Antoine Lefèvre. - Il serait intéressant de mesurer les conséquences de l'écrêtement. Mieux communiquer sur ce sujet aurait évité bien des fantasmes et des stigmatisations. J'ai pour ma part fait l'objet d'un article de presse qui additionnait toutes mes indemnités supposées - en oubliant l'écrêtement ! L'un de mes adjoints, qui exerce en outre une profession, perçoit bien davantage... En interdisant aux parlementaires les fonctions exécutives dans les SEM ou les syndicats, on se prive de leur compétence et de leur expérience, sans faire faire d'économies aux collectivités, bien au contraire ! En tant que président de ma communauté de communes, je n'ai ni cabinet, ni service de communication car je mutualise ces structures avec celles de ma commune ; un autre président s'en dotera, ce qui aura un coût pour la collectivité. Il aurait été plus équilibré d'intégrer les intercommunalités dans les incompatibilités prévues par la loi de 1985.
J'avais expliqué au journal Rue 89, qui
prétendait débusquer le cumulard
- assumé -
que j'étais, que le lien avec la population de mon territoire serait
distendu si je n'étais plus que parlementaire et conseiller
général. Mon travail législatif se nourrit de mes
permanences de quartier. Lors de la discussion de la loi Duflot sur le
logement, les interventions de parlementaires cumulards qui président
des offices HLM étaient particulièrement pertinentes. De
l'avantage de bien connaître les questions d'urbanisme !
Quoi qu'il en dise, le député René Dosière a lui aussi cumulé les mandats - sauf quand les électeurs ne lui en ont pas laissé le loisir. Dommage qu'il n'ait pas l'expérience de l'intercommunalité quand il intervient sur ce sujet...
Hier, M. Manuel Valls invitait le Sénat à ne pas s'opposer au « sens de l'histoire » et à « participer à ce beau mouvement de modernisation et de changement ».
M. Pierre-Yves Collombat. - Le « sens de l'histoire » ! Rien que ça !
M. Antoine Lefèvre. - Méfions-nous de l'argument de la prétendue « modernité » : naguère, vous refusiez l'innovation qu'était le conseiller territorial ! Pour ma part, je m'opposerai à ce texte.
M. René Vandierendonck. - Le Sénat représente les collectivités territoriales, d'où son mode original de désignation et sa préséance dans la procédure parlementaire pour les textes intéressant les collectivités territoriales. Cela ne signifie en aucun cas un monopole de représentation au détriment de l'Assemblée nationale. Ne faisons pas aboyer les chats ! Il est évident que la pratique territoriale donne une plus-value au travail parlementaire. Le Gouvernement aurait dû s'inspirer de l'une des deux pistes suivantes : soit conditionner l'éligibilité au Sénat à l'exercice préalable de mandats électifs ou de responsabilités exécutives dans une collectivité territoriale, soit purger le débat de tout amalgame en interdisant simplement le cumul des indemnités. J'ai d'ailleurs voté l'amendement Collombat : si l'on cumule un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, c'est bénévolement ! Oui à l'objectif de renouvellement !
Où en est-on de la proposition de loi Anziani, ou du rapport Doucet sur le statut de l'élu ? Selon le président Bel et le président Sueur, ce sujet devait être traité avant, ou du moins concomitamment à l'examen du texte sur les métropoles. En tant que parlementaire, je suis profondément choqué d'entendre aujourd'hui le Gouvernement annoncer que la question du statut de l'élu ne sera pas examinée tant que la loi sur le non-cumul n'aura pas été adoptée. C'est insultant pour la représentation parlementaire, je tenais à le dire publiquement.
Enfin, j'indique à M. Détraigne que le vice-président de l'Association des maires de France, qui n'est autre que Pierre Jarlier, me disait hier lors d'une audition comme rapporteur, être très intéressé par la création du Haut Conseil des territoires, qui semble pourtant faire doublon avec le Sénat, au motif que l'AMF a besoin d'avoir un accès direct au Comité des finances locales (CFL) ou à la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN).
Mme Virginie Klès. - À titre personnel, je me retrouve dans les propos de M. Vandierendonck. Ceci étant, je suis chargée de rapporter la parole du groupe socialiste, exercice difficile tant les positions divergent. Une fois le texte voté, nous pourrons en mesurer les effets sur l'absentéisme et la féminisation. Quant à la spécificité du Sénat en tant que représentant des territoires ruraux, elle pose la question de l'expérience acquise par un conseiller municipal, qui n'est pas identique selon qu'il est élu dans une petite commune ou une grande ville... Sur ce point, impossible d'exprimer une position commune.
M. Jean-Yves Leconte. - Le rapporteur a souligné combien il était difficile de cumuler plusieurs fonctions alors qu'un simple parlementaire peine déjà à assumer toutes ses responsabilités faute de temps. Certains arrivent à être présents et dans leur ville et au Parlement, mais le cumul limite indéniablement la capacité des parlementaires à exercer leur fonction de contrôle. Reste que la priorité serait de mieux organiser nos travaux : nous n'avons appris qu'hier, le 10 septembre, l'ordre du jour de nos travaux en octobre...
Comme beaucoup, je suis choqué par le mélange des genres entre parlementaires et élus locaux. Il faut donner à chacun les moyens d'exercer la fonction pour laquelle il a été élu, et non l'obliger à essayer de cumuler les moyens pour espérer réussir ! Dans la France centralisée de jadis, un élu local avait intérêt à détenir un mandat parlementaire pour défendre les intérêts de sa collectivité. Il s'agit aujourd'hui de clarifier les relations entre l'État et les collectivités territoriales, de renforcer la séparation des pouvoirs pour mettre fin aux conflits d'intérêts. L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts locaux ! La richesse d'un parlement, n'est-ce pas toutes les expériences de vie et de responsabilités, qui ne se limitent pas forcément à l'exercice d'une fonction exécutive locale ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Cela gênerait pour faire des lois ?
M. Jean-Yves Leconte. - En tant que sénateur des Français de l'étranger, je ne suis pas concerné. J'estime qu'une loi qui diversifie les parcours de vie antérieurs des parlementaires est utile à la démocratie. Les partis politiques décideront des listes, disent certains. C'est oublier que ce sont les électeurs qui tranchent.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ils n'iront plus voter.
M. Jean-Yves Leconte. - Cette loi renforce la séparation entre le pouvoir exécutif local et le Parlement : elle va dans le bon sens.
M. Jacques Mézard. - Réduire ce débat à un affrontement traditionnel entre une majorité et une opposition serait une caricature. Dix-sept des dix-huit membres de mon groupe ont voté pour le président Bel ; à la commission des lois, nos trois voix se sont portées sur le président Sueur. Mais sur ce texte, les méthodes utilisées n'honorent pas le Sénat. J'ai souhaité une discussion générale plus longue pour laisser à notre groupe le temps d'exposer tous les arguments qui le conduisent à rejeter ce texte sur le fond, et à dénoncer les méthodes employées - à commencer par la procédure accélérée - par ceux-là mêmes qui disent vouloir un débat démocratique. Certes, les élections municipales approchent, mais nous n'étions pas à quinze jours près ! L'argument ne tient pas, quand on entend les propos que tient le ministre des relations avec le Parlement en Conférence des présidents...
Le rapporteur a été désigné le 24 juillet, à la veille de la suspension des travaux ; il a commencé ses auditions le 9 septembre, à la veille de la reprise ; la plupart ont eu lieu hier, et il nous présente son rapport ce matin, le 11 septembre. Nous connaissons les capacités extraordinaires de M. Sutour, mais il n'en reste pas moins que tout cela n'est pas beau. Ces méthodes ne sont pas dignes de notre assemblée et d'un véritable débat parlementaire. Je déplore que certains s'y soient prêtés, notamment ceux pour lesquels nous avions naguère voté...
J'ai préféré ne pas assister à
l'audition du ministre de l'intérieur hier, me réservant pour sa
venue à l'université d'été du PRG. Il a
invité le Sénat à être moderne et à ne pas
donner une image ringarde. Argument lamentable ! En réalité,
c'est un changement profond de l'équilibre de nos institutions qui est
en cours. En catimini, même si ces évolutions
- binôme, non-cumul, etc. - figuraient déjà
début 2012 dans les textes de Terra Nova, rédigés sous
pseudonyme par des gens que l'on retrouve aujourd'hui dans les cabinets
ministériels...
Les juristes, les universitaires sont catégoriques : cette réforme va encore accentuer l'hyper-présidence et le poids de l'Élysée dans les institutions de la République.
M. Christophe Béchu. - C'est évident !
M. Jacques Mézard. - Vous vous attaquez au bicamérisme sans oser le dire. Le président du Sénat lui-même dit être ouvert à un débat sur la réduction du nombre de sénateurs. Le Gouvernement fait adopter le Haut Conseil des territoires, puis le non-cumul : à chaque fois, c'est bien le Sénat qui est dans le viseur ! Ayez le courage de le dire, assumez ! Ce sont les positions bien connues de Lionel Jospin que l'on traduit ici. Je vis très mal que celui qui devrait être le premier à défendre le bicamérisme soit silencieux, pour ne pas dire complice. Le groupe que je préside est petit, mais il a une histoire au Sénat. Ce que vous faites est un mauvais coup porté à la démocratie, aux institutions de la République.
Depuis un an, le RDSE a déposé six propositions de loi - qui n'intéressent nullement le Gouvernement. Nous proposons d'interdire le cumul des indemnités, qui choque nos concitoyens. Or les journalistes boboïstes parisiens entretiennent lâchement la confusion entre cumul des indemnités et cumul des mandats, pour mieux stigmatiser les élus. Nous avons proposé de limiter le cumul horizontal des mandats ; d'imposer un délai de carence aux membres de cabinets qui souhaitent se présenter aux élections. Aucune réponse du Gouvernement. Nous proposons qu'un même mandat ne puisse être renouvelé plus de deux fois de suite. Ringards ? Nous allons beaucoup plus loin que vous dans la rénovation de la vie politique ! Le ministre de l'intérieur nous a hier invités, semble-t-il, à « ne pas faire du Sénat une citadelle ». Le Sénat, une citadelle ? Oui, pour la réflexion, pour la liberté de s'exprimer. C'est que nous ne sommes pas caporalisés : cela insupporte les Gouvernements, à commencer par celui-ci.
Cette réforme strictement politicienne ne vise qu'à faire plaisir aux militants socialistes. C'est pourquoi le ministre de l'intérieur est prié de la faire passer, même s'il ne l'approuve pas ! Elle conduira à faire élire de purs apparatchiks. Déjà, au gré de l'évolution du scrutin à la proportionnelle, on voit arriver dans nos assemblées nombre d'anciens assistants parlementaires, preuve que la carrière politique se professionnalise de plus en plus tôt.
Avec cette réforme, Mme Aubry pourra être à la fois maire de Lille, présidente de la métropole et de trois des plus importantes SEM de France. Et ce cumul horizontal ne choque nullement Mme Lebranchu... M. Bas a dit ce qu'il en était des incompatibilités professionnelles : un parlementaire ne pourra être maire d'une commune de cinquante habitants, mais aura tout loisir d'exercer parallèlement toute une série de métiers !
M. Christophe Béchu. - Scandaleux !
M. Jacques Mézard. - Manque de temps, dites-vous ? J'ai regardé attentivement les statistiques : ce n'est pas parce que l'on cumule que l'on ne travaille pas au Parlement, et vice versa.
Nous proposons un système équilibré, limitant le cumul à un seul mandat exécutif local. Il faut également s'attaquer aux vraies incompatibilités professionnelles. Harlem Désir ou Eva Joly, qui seront prochainement à nouveau candidats au Parlement européen, donnent volontiers des leçons. Là encore, j'ai regardé les statistiques : ils se classent parmi les moins assidus des 754 députés européens ! Pourtant, ni l'un ni l'autre n'exerce de mandat local.
Mme Hélène Lipietz. - Je suis contente que vous le rappeliez. Chez nous, certains l'oublient.
M. Jacques Mézard. - Je ne suis pas allé jusqu'à faire le compte des couples de parlementaires - là aussi, ce serait édifiant...
L'expérience locale est irremplaçable. La Constitution donne au Sénat une compétence générale. Vous venez d'ailleurs de rétablir la clause de compétence générale pour les collectivités territoriales - à juste raison, car un maire traite de toute sorte de problèmes ! Le constituant a voulu que les sénateurs aient cette expérience locale : relisez les débats ! Relisez les discours de Gaston Monnerville, premier président de gauche du Sénat de la Vème République, qui rappelait constamment le rôle particulier de la Haute Assemblée. Relisez celui qu'il prononça lorsqu'il démissionna pour mieux défendre le Sénat sur tout le territoire national.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait d'un côté le beau, de l'autre le laid ; d'un côté le bien, de l'autre le mal. Nous avons des points de vue différents sur une réforme qui figurait dans le programme de président de la République. Il est naturel que chacun s'exprime. Point n'est besoin d'agresser ses collègues.
M. Hugues Portelli. - La question, au fond, porte sur la façon de faire de la politique. Quand on regarde l'histoire politique longue, depuis le début de la IIIème République, on observe qu'il y a trois façons de faire de la politique. La première, traditionnelle, dont nous sommes les représentants, consiste à faire ses classes localement avant d'être investi d'un mandat national. C'est la conception classique du parlementarisme français : élu local, puis parlementaire, puis éventuellement ministre. Une autre façon est de faire de la politique via les partis : militant, « fonctionnaire » de parti, puis élu local ou national, grâce au scrutin à la proportionnelle.
M. Philippe Bas. - Et parce que l'on obéit...
M. Hugues Portelli. - La troisième voie, depuis 1958, est d'être d'abord haut fonctionnaire, puis membre de cabinet ministériel, puis élu « parachuté » localement - le circuit traditionnel inversé.
M. Jean-Jacques Hyest. - Cela ne marche pas toujours...
M. Hugues Portelli. - Le présent texte est une offensive des fonctionnaires qui font de la politique contre les notables que nous sommes. Ces notables avaient une justification. Dans un pays centralisé, sans vrai contre-pouvoir local, les collectivités territoriales n'ont qu'un pouvoir réglementaire dérivé, autant dire, presque rien. Le cumul des mandats permet de peser face au ministre ou au préfet. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours aide aussi l'élu local à résister à la pression des partis politiques. La liquidation du cumul des mandats a pour autre versant le changement du mode de scrutin à tous les niveaux et la mainmise des hauts fonctionnaires sur la vie politique : après les partis, le Gouvernement et l'Élysée, restait à conquérir le Parlement...
Le Sénat est le bastion de la politique à la française, enracinée dans le tissu local ; son système électoral limite le poids des partis et préserve l'implantation territoriale. La réforme proposée traduit un choix politique qui doit être assumé en tant que tel. Si les députés britanniques ne sont que députés, c'est qu'il n'y a pas de pouvoir local en Grande-Bretagne : les maires n'ont d'autre prérogative que de se coiffer d'une perruque ! Pour être candidat à la chambre des communes, il faut d'abord démissionner de la fonction publique. Dans les pays à système fédéral - Espagne, Belgique, Allemagne, Italie - le pouvoir local a une vraie compétence législative, les partis y sont puissants et pilotent les carrières des élus. Nous avons, nous, une autre tradition. Que vous vouliez en faire table rase, soit, mais assumez-le !
Vous allez jusqu'à confier le soin de défendre la modernité aux repentis, à ceux qui n'ont plus envie de cumuler parce qu'ils sont aujourd'hui ministres ou retraités, aux journalistes qui sont les premiers à cumuler les fonctions dans différents médias et donnent des leçons ! Une chose est sûre, le jour où l'on m'interdira de cumuler, j'opterai pour mon mandat local : c'est le plus intéressant.
Mme Catherine Troendle. - Très bien.
Mme Cécile Cukierman. - Ne stigmatisons pas les partis politiques, qui se transforment pour mieux répondre aux attentes de la population. Ils ne sont pas les seuls responsables du décalage croissant entre les citoyens et les élus...
Ce texte est sans doute imparfait. Il fait malheureusement l'impasse sur le cumul horizontal. C'est une facilité que de s'appuyer sur ces élus qui président aussi tel office, telle intercommunalité, etc., mais il faut un partage des connaissances, des décisions, de la démocratie sur les territoires. On ne peut admettre que quelques personnes concentrent le pouvoir entre leurs mains, car les rapports avec la population en deviennent faussés.
Est-il démocratique qu'une seule personne décide et mette en oeuvre les différentes politiques nationales et locales ?
Le groupe communiste soutient le principe de ce texte, même si celui-ci est incomplet. Tout ne sera pas réglé mais c'est une avancée. La proximité avec la population est fondamentale. Or les parlementaires ne participent pas, ès qualité, à de nombreuses réunions où sont présents les élus locaux. Le cumul est un instrument du lien entre électeurs et parlementaires. Il faudra en inventer d'autres, sinon les parlementaires seront coupés des réalités. Ils ne sont pas aux ordres des partis mais au service de leurs concitoyens. Pour leur permettre de consacrer du temps au dialogue avec les élus locaux, il faudra aussi revoir le mode de travail au Parlement. Notre façon d'exercer notre mandat devra changer.
M. Jean-Jacques Hyest. - Une étude comparative des parlements européens montre que le nôtre est le seul à tenir des séances de nuit interminables ; et partout le travail s'arrête le vendredi à midi. L'essentiel du travail a lieu en commission, la séance publique étant réservée à l'examen de certains points. Travaillons-nous mieux que les autres ? J'en doute ! En Grèce, une commission est chargée de corriger les erreurs figurant dans les amendements : c'est ce que nous faisons quand nous examinons un texte après l'Assemblée nationale.
L'Express considère que notre système s'inspire d'une conception monarchique du pouvoir et il estime que la loi sur le cumul est bonne car elle nous rapproche du système des pays du nord. Mais nous ne sommes pas une démocratie du nord. L'instauration du quinquennat a aggravé la situation. J'étais contre l'inversion du calendrier des élections législatives et présidentielle. Ceux qui l'ont votée ont commis une erreur. Chaque mesure est désormais présentée comme le respect d'un engagement du président de la République et le Parlement n'a qu'à se taire.
La possibilité de cumuler a donné lieu à des excès. Les lois de 1985 et 2000 les ont limités. Mais il existe encore aujourd'hui un sénateur, mentionné dans L'Express, qui, s'il abandonnait son mandat de sénateur, aurait encore 25 fonctions ou mandats...
Quelle est la spécificité du Sénat ? Il représente les collectivités territoriales. Son expertise est reconnue en la matière. Mais on compte autant de députés présidents d'exécutifs locaux. Comment expliquer alors notre approche différente ? Elle est due à notre mode de fonctionnement. À l'Assemblée nationale, tout va très vite, les enjeux politiques sont prépondérants et l'examen des textes n'est pas approfondi. La situation ne fait d'ailleurs que se dégrader. J'ai été député. Je sais qu'on fait des coups, au fil de l'actualité. Le Sénat, par le mode d'élection de ses membres, est moins soumis à l'événement, a plus de recul. C'est pourquoi je soutiens notre bicamérisme. Les élus locaux nous font confiance car ils nous connaissent, nous sommes des leurs.
Deux institutions sont mal aimées et menacées par les penseurs uniques : le Sénat, qu'ils souhaitent transformer en un Conseil économique et social élargi, et les départements, condamnés sans appel. Pourtant le premier et les seconds ancrent le pays dans la démocratie.
Ce texte est brutal, sous couvert de porter une évolution positive pour le Parlement. Certains prétendent qu'il favoriserait une présence accrue des parlementaires. Faribole !...
M. Simon Sutour, rapporteur. - Vous ne m'avez pas écouté...
M. Jean-Jacques Hyest. - Si. Il ne faut pas être simpliste. J'ai connu un député, sans mandat local, qui n'était jamais à l'Assemblée nationale. Présent chaque jour et chaque heure dans sa circonscription, il a été élu et réélu pendant 45 ans.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Ce n'est pas un bon argument !
M. Michel Mercier. - Je suis cumulard. Si je ne figure pas dans l'article de L'Express, c'est que j'ai eu la sagesse de me taire. Je suis cumulard et j'en suis fier, car avant de cumuler il faut être élu, et chaque élection est une source de fierté. J'aborde chaque nouvelle élection comme la première. N'ayons pas honte. Les partisans de cette loi prétendent qu'elle augmentera la présence des parlementaires. Mais je suis très présent ! J'accomplis honnêtement mon travail de parlementaire et d'élu local. Les cumulards sont soumis davantage au contrôle des citoyens car ils se soumettent au suffrage tous les trois ans et doivent remplir autant de déclarations de patrimoine... Cet argument ne tient pas la route !
Le texte s'inspire de l'air du temps et prend sa source à l'antiparlementarisme. Il n'y a pas d'opposition entre des modernes et des ringards. Si être élu c'est être ringard, alors c'est la fin de la République ! De plus, en regardant de plus près le palmarès de L'Express, on constate que beaucoup des fonctions cumulées sont induites par le mandat principal : il est normal pour un maire d'être président du conseil d'administration de l'hôpital. Ne hurlons pas avec les loups, trouvons plutôt le bon équilibre.
Le cumul a considérablement augmenté avec la Vème République et l'on compte davantage de députés cumulards que de sénateurs. Pourquoi ? Pour échapper à l'emprise des partis et du pouvoir exécutif ! L'excès de parlementarisme rationalisé a engendré le cumul.
À crier partout que les cumulards empilent les indemnités et sont des incapables, on crée un climat délétère. Sans doute faut-il lutter contre les abus, mais méfions-nous d'un texte brutal, qui va bouleverser nos institutions. L'Assemblée nationale comme le Sénat seront concernées. Ici, il est probable que deux groupes parlementaires disparaîtront ou perdront leur autonomie. Le rôle de notre Haute Assemblée évoluera. Mais si elle doit devenir une Assemblée nationale bis, elle ne servira plus à rien. Il y a là un choix politique, au moins ne le dissimulez pas, ne prenez pas ces postures de vierge effarouchée devant le cumul des mandats.
M. Christophe Béchu. - Un des objectifs de ce texte est d'améliorer la qualité du travail parlementaire. À ce propos je regrette que nous nous réunissions avant même de disposer du rapport écrit...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est toujours le cas...
M. Christophe Béchu. - Précisément ! Je le déplore.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le rapport inclut le compte rendu de notre réunion.
M. Christophe Béchu. - Pourquoi ne pas tenir une première réunion consacrée à une présentation orale du texte, sans débat, puis une seconde, une semaine après, consacrée à la discussion et à l'examen aux amendements ? Le non cumul ne résoudra en rien notre désorganisation. J'ai siégé deux ans au Parlement européen, dont le fonctionnement diffère beaucoup du nôtre. Chaque année, au mois d'octobre, le calendrier de toutes les réunions de l'année est affiché. On ne reçoit pas une convocation au dernier moment !
Ce texte permettra-t-il de renouveler la classe politique ? Oppose-t-il les modernes et les ringards ? Je n'y crois pas. Pour le renouvellement des élus, c'est une limitation des mandats dans le temps qu'il faut mettre en place.
En outre, les parlementaires se divisent en deux catégories : ceux qui sont assurés de retrouver leur emploi à l'issue de leur mandat, et ceux qui ont abandonné leurs fonctions antérieures sans garantie de les retrouver. Avec le non cumul, le nombre des retraités et des fonctionnaires augmentera...
M. Jacques Mézard. - Celui des employés de grands groupes comme Vivendi ou Total, également !
M. Christophe Béchu. - La mise à disposition de salariés, dans les grands groupes - capables, effectivement, de réintégrer un ancien parlementaire - crée des conflits d'intérêts.
Autre argument avancé, il faudrait réconcilier les citoyens avec la classe politique. Cessons cette hypocrisie. Le problème n'est pas le cumul des fonctions, mais le cumul des indemnités, l'utilisation des enveloppes de frais de mandat, voire le nombre des parlementaires. Si le Gouvernement prétend que nous travaillons à mi-temps, qu'il supprime la moitié des postes ! En outre, le non cumul développera l'antiparlementarisme des élus locaux qui considéreront que les parlementaires sont coupés de la base.
Le système des cumuls résulte d'un compromis institutionnel apparu dans un pays centralisé. Nous modifions notre édifice institutionnel sans percevoir toute la subtilité des équilibres actuels. Nous changeons de régime. Le quinquennat a privé les élections législatives de leur sens. Le non cumul achèvera de transformer les parlementaires en godillots. L'ancrage local est le gage de l'indépendance à l'égard des partis comme de l'exécutif. Dans chaque formation, les francs-tireurs ne sont-ils pas ceux qui jouissent d'une telle assise locale?
Cette réforme correspond à un engagement présidentiel. Elle doit donc passer à tout prix. Et ce sont les repentis que l'on charge de la promouvoir ! L'intervention de M. Ayrault à la tribune pour défendre le non cumul constituera à coup sûr un moment d'anthologie...
D'autres solutions existent : interdire le cumul des indemnités ou limiter à trois le nombre de mandats consécutifs. Ce texte satisfait sans doute l'opinion publique mais dessert la République. Les effets ne seront sensibles que dans quelques années.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je trouve dangereux de soutenir l'idée d'une spécificité du Sénat à propos du non cumul. L'argument risque de se retourner contre le bicamérisme tel que nous le connaissons : comme dans d'autres pays, le Sénat ne serait plus consulté, alors, que sur les sujets intéressant les collectivités territoriales.
De même, certains s'opposent à la réforme au motif qu'elle serait insuffisante et que d'autres réformes devraient être faites. Argument classique, procédé connu. Je suis moi aussi partisan du non cumul horizontal.
M. Pierre-Yves Collombat. - Faites aussi le statut de l'élu !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Notre commission a fait son travail et voté un texte qui est toujours en attente d'examen par l'Assemblée nationale.
J'ai longtemps été à la fois député et conseiller municipal. À une autre période, j'ai travaillé à plein-temps. J'ai été pendant dix ans maire d'une grande ville. Soit dit en passant, pendant dix-huit mois, j'ai cumulé les deux fonctions : ce fut très difficile.
Ce week-end je me suis rendu dans onze communes de mon département. Je n'aurais pu le faire si j'avais été également maire d'une grande ville. Ne posséder qu'un mandat de parlementaire n'empêche pas d'être élu par les grands électeurs.
M. Jacques Mézard. - Au scrutin proportionnel ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'ai été élu au premier tour et au scrutin uninominal, sans avoir de mandat local. Il faut relativiser.
M. Jean-Jacques Hyest. - Vous évoquez la mairie d'Orléans. Votre point de vue serait-il le même s'il s'agissait de la mairie d'un village ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Non, sans doute. Vous avez raison.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Je savais que la mission de rapporteur serait difficile. Mais évitons les procès d'intention. J'ai été élu au scrutin uninominal par les grands électeurs de mon département à deux reprises, devançant les maires de deux grandes villes, également présidents des communautés d'agglomération.
Monsieur Mézard, en votant cette loi, loin de détruire le bicamérisme, nous le renforçons ! Les élus locaux souhaitent l'instauration du non cumul. Chaque fois que je les rencontre, ils m'interrogent sur l'état d'avancement de cette réforme. J'ai défendu le non cumul horizontal devant le ministre de l'Intérieur. Mais il n'est pas possible de tout faire en même temps.
Je n'ai jamais dit que les cumulards étaient toujours absents, ni les autres plus assidus. Je souligne d'ailleurs que 40% des sénateurs disposent d'un seul mandat. J'ai été directeur des services d'une grande ville dont le maire et le premier adjoint sont devenus députés. J'ai pu constater qu'être parlementaire empêchait d'être présent dans la collectivité locale. Personne n'a le don d'ubiquité.
En outre, tous les élus sont égaux. Ne jetez pas l'opprobre sur les parlementaires qui furent assistants parlementaires ou hauts fonctionnaires.
Monsieur Bas, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué...
M. Hugues Portelli. - Il compte beaucoup de repentis !
M. Simon Sutour, rapporteur. - ... dans ces décisions de 2009 et 2011 notamment sur la notion de loi organique relative au Sénat. Les clivages transcendent les partis politiques car ce texte touche à la manière dont chacun exerce ses fonctions.
On trouve toujours de bonnes raisons pour ne pas avancer. Souvenons-nous des débats sur le Pacs, vilipendé au début, et plus tard considéré comme allant de soi. Je souligne à cet égard que les lois sur le non-cumul ont toujours été portées par des Gouvernements de gauche...
M. Pierre-Yves Collombat. - Cela dépend du point de vue !
M. Simon Sutour, rapporteur. - Je suis fier de défendre ce texte.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU PROJET DE LOI ORGANIQUE
Article 1er
L'amendement n° 15 est retiré, ainsi que les amendements nos 4, 5, 12 et 13.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 1 qui supprime l'incompatibilité du mandat parlementaire avec les fonctions de président et de vice-président de société d'économie mixte (SEM).
M. Jean-Jacques Hyest. - Si l'on interdit le cumul avec la présidence d'un exécutif local, comment autoriser la présidence d'une SEM qui dépend directement des collectivités territoriales ? Je ne comprends pas la logique...
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
Les amendements n° 14 et 6 sont retirés.
Article additionnel après l'article 1er bis (nouveau)
Mme Hélène Lipietz. - L'article LO 145 du code électoral indique que sont incompatibles avec le mandat de parlementaire les fonctions de président, de membre de conseil d'administration, de directeur général dans les entreprises nationales et établissements publics nationaux. Une dérogation existe au profit des parlementaires qui siègent ès qualité ou en raison d'un mandat électoral local. L'amendement n° 17 supprime cette dérogation.
M. Alain Richard. - La loi concerne-t-elle également les sociétés publiques locales (SPL) ?
M. Simon Sutour, rapporteur. - Oui, l'article 1er ter traite des SPL. Avis défavorable à l'amendement n° 17 qui excède le champ de la réforme, destinée à mettre fin au cumul des mandats avec des fonctions dans les exécutifs locaux. La dérogation supprimée concerne tous les titulaires de mandats locaux et non seulement les titulaires d'une fonction exécutive locale. Un conseiller régional ou général ne pourrait ainsi plus siéger à un conseil d'administration.
L'amendement n° 17 n'est pas adopté.
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement n° 2 est contraire à l'esprit de l'article 1er ter ; il rend compatibles avec le mandat parlementaires les fonctions dérivées d'une fonction exécutive locale dans les SEM, Office HLM, etc.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 16 étend l'incompatibilité aux SEM ou aux établissements publics locaux.
M. Simon Sutour, rapporteur. - La rédaction de cet amendement est floue. Or, l'incompatibilité doit être d'interprétation stricte. En outre, tous les organismes visés n'ont pas forcément un conseil d'administration. Retrait sinon rejet.
L'amendement n° 16 est retiré.
Article additionnel après l'article 1er quater (nouveau)
Les amendements nos 7, 8, 9 et 10 sont retirés.
Article 2
L'amendement n° 11 est retiré.
Article additionnel après l'article 2
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 18 tend à limiter les cumuls de rémunération des parlementaires lorsque leur élection fait l'objet de recours.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Cette mesure figure déjà dans le texte issu de l'Assemblée nationale. Votre amendement est satisfait.
L'amendement n° 18 est retiré.
Mme Hélène Lipietz. - Les amendements n° 20 et 19 organisent le congé parental et le congé de maternité pour les femmes parlementaires. Il manque en effet un statut du parlementaire.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Ces dispositions sont extérieures au champ de cette loi. Retrait sinon avis défavorable.
Les amendements n° 20 et 19 ne sont pas adoptés.
Article additionnel après l'article 3 bis (nouveau)
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 22 tend à limiter les possibilités de cumul de fonctions exécutives dans plusieurs collectivités territoriales.
M. Christian Cointat. - Ces dispositions ne relèvent pas d'une loi organique.
M. Jean-Jacques Hyest. - Les cumuls de fonctions et d'indemnités d'exécutifs locaux sont plus choquants que le cumul avec un mandat parlementaire. Le classement de L'Express est stupide car de la fonction de maire découle l'exercice d'autres fonctions, corollaires. Mais quand on en cumule 26, comme il est indiqué dans ce magazine, c'est sûr qu'il y a un problème.
M. René Garrec. - Ne dénigrons pas un collègue.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous avez raison !
M. Michel Mercier. - Cet amendement marque un recul ; le droit actuel interdit de cumuler la présidence d'un exécutif général ou régional avec toute fonction de maire. Ici le seuil est relevé à 20 000 habitants.
L'amendement n° 22 est retiré.
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 23 abaisse le seuil d'écrêtement des élus au niveau de l'indemnité parlementaire. Bonne façon de montrer qu'on ne cumule pas pour l'argent...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Une proposition de loi avait le même objectif.
M. Jacques Mézard. - Elle est passée inaperçue...
M. Simon Sutour, rapporteur. - Cette proposition ne relève pas de la loi organique et rejoint un amendement de M. Gaëtan Gorce déposé sur la loi ordinaire. Je vous propose de le retirer au bénéfice de l'amendement de notre collègue.
L'amendement n° 23 est retiré, ainsi que l'amendement n° 24.
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement n° 25 interdit le cumul de rémunérations pour le parlementaire qui choisirait de conserver un mandat local. Notre commission a adopté le 24 avril dernier cette disposition lors de l'examen d'une proposition de loi organique du groupe RDSE. En conséquence j'émets un avis favorable sur le principe mais je préfère la rédaction de l'amendement n° 3 de M. Gorce.
L'amendement n° 25 est retiré.
M. Gaëtan Gorce. - L'objet de l'amendement n° 3 a été suffisamment exposé. Posons que l'indemnité parlementaire est exclusive de toute autre et le débat sera de beaucoup clarifié.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n° 3 est adopté.
Mme Hélène Lipietz. - Il n'y a aucune raison d'attendre pour appliquer la loi. L'amendement n° 26 avance son application à 2014 pour les mandats municipaux et à 2015 pour les mandats départementaux et régionaux.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Avis défavorable.
L'amendement n° 26 est rejeté.
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 21 oblige les parlementaires à choisir entre leurs différents mandats au terme de leur mandat parlementaire, soit 2014 ou 2017 pour les sénateurs et 2017 pour les députés.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Avis défavorable.
L'amendement n° 21 est rejeté.
Le projet de loi organique n° 734 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur n'est pas adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU PROJET DE LOI ORDINAIRE
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 2 limite le cumul entre mandats locaux et mandat de parlementaire européen, exercé à plein temps et au loin.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Cet amendement supprime le seuil de 1 000 habitants en dessous duquel les mandats municipaux ne sont pas pris en compte dans les incompatibilités. Ce seuil existe à l'article LO 141 du code électoral pour les parlementaires nationaux. Par souci de cohérence, ne revenons pas sur la rédaction de l'Assemblée nationale. Avis défavorable.
M. Christophe Béchu. - Le rapporteur parle de cohérence. Il est un point sur lequel la cohérence n'est pas assurée : seuls les députés européens ont l'obligation de conserver le dernier mandat auquel ils se sont présentés.
M. Christian Cointat. - C'est vrai !
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n° 3 limite le cumul des mandats pour les parlementaires dont l'élection fait l'objet de recours.
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement est satisfait par le dernier alinéa de l'article 1er. Avis défavorable.
L'amendement n° 3 est rejeté.
Article additionnel après l'article 2 bis (nouveau)
M. Simon Sutour, rapporteur. - L'amendement n° 1 de M. Gaëtan Gorce interdit de cumuler l'indemnité de mandat et l'indemnité liée à une fonction occupée du fait de ce mandat. Il rejoint sur le fond une proposition de loi du RDSE déposée cette année. Avis favorable.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est un apport de M. Mézard.
M. Jean-Patrick Courtois. - L'indemnité n'est pas seule en cause. Ce problème n'est d'ailleurs réglé qu'à moitié : les élus locaux peuvent en effet choisir le prélèvement forfaitaire libératoire sur leurs indemnités, contrairement aux parlementaires. Mais ils pourront au surplus être neuvième adjoint de leur commune, dixième vice-président de leur communauté d'agglomération, troisième vice-président du syndicat des eaux, vingt-cinquième adjoint du syndicat de traitement des ordures ménagères... sans exercer en fin de compte aucune responsabilité, mais en percevant chaque fois une rémunération. Il faut avoir le courage, avec le président Mézard, de limiter le cumul horizontal et de ne pas se cantonner aux indemnités.
L'amendement n° 1 est adopté.
Le projet de loi n° 733 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen n'est pas adopté.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans les tableaux suivants :
PROJET DE LOI ORGANIQUE
PROJET DE LOI
Examen des pétitions adressées au Président du Sénat
La commission examine ensuite les pétitions adressées au Président du Sénat depuis le 1er octobre 2012, en application des articles 87 et suivants du Règlement.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - En application des articles 87 et suivants du règlement du Sénat, les pétitions adressées au président du Sénat, une fois inscrites au rôle général, sont examinées par la commission des lois. Celle-ci peut décider soit de les renvoyer à un ministre ou à une autre commission du Sénat, soit de les soumettre au Sénat, soit de demander au président du Sénat de les transmettre au Défenseur des droits, soit de les classer purement et simplement. Elles sont caduques de plein droit au début de la session ordinaire suivante. Nous devons donc les examiner aujourd'hui.
La pétition n° 70-264 de M. Jean-Pierre Roche et autres s'oppose au choix du 19 mars comme journée commémorant la fin de la guerre d'Algérie. Je propose de répondre que la loi a été votée et de présenter les motifs pour lesquels elle l'a été.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La pétition n° 70-265 de Mme Bernadette Delorme et autres s'oppose à la loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe. Je propose de répondre que la loi a été votée et de présenter les motifs pour lesquels elle l'a été.
M. Christian Cointat. - Tout à fait d'accord. Mais il faudrait également faire remarquer que le citoyen n'a pas à remettre en cause la loi promulguée.
M. Jean-Jacques Hyest. - Cette pétition est antérieure au vote de la loi.
Mme Catherine Troendle. - La loi peut aussi changer !
M. Alain Richard. - Quand la pétition vise directement un débat parlementaire en cours, les signataires se sentiraient mieux considérés si nous leur répondions plus rapidement...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je me suis conformé à la tradition de notre commission ; mais il serait en effet plus élégant d'examiner ces pétitions au fur et à mesure de leur arrivée.
M. Jean-Jacques Hyest. - Mais qu'est-ce qu'une pétition, au juste ? Quel statut juridique ?
M. Alain Richard. - C'est une demande gracieuse.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous pourrons désormais répondre plus rapidement. Pour l'heure, je vous propose de répondre comme je l'ai indiqué.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La pétition n° 70-266 de Mme Julie Marck et autres demande la reconnaissance du diplôme d'orthophoniste au grade de master. Je propose de transmettre cette pétition à la commission des affaires sociales et à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La pétition n° 70-267 de M. Modesto Fernandez et autres s'oppose au remboursement à 100% de l'interruption volontaire de grossesse par la sécurité sociale et à la majoration du tarif. Je propose de transmettre cette pétition à la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La pétition n° 70-268 de Mme Catherine Delaunay et autre s'oppose au projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral. Je propose de répondre que la loi a été votée et de présenter les motifs pour lesquels elle l'a été.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La pétition n° 70-269 de M. Marcel Granier et autres s'insurge contre la situation matérielle d'exercice du mandat de sénateur. Cette pétition a été transmise pour information aux questeurs. Il n'y pas lieu de donner à ce stade d'autre suite, me semble-t-il.
Il en est ainsi décidé.
Jeudi 12 septembre 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre SUEUR, président -
Égalité entre les femmes et les hommes - Examen des amendements
La commission procède à l'examen des amendements sur le texte de la commission n° 808 (2012-2013) pour le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
Examen des amendements du rapporteur
Article additionnel après l'article 19
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'égalité entre les femmes et les hommes, et le regard porté sur chacun des sexes, est essentiellement un problème d'éducation et ne peut être réglé uniquement par la loi. Pour autant, il y a un certain nombre de choses qui nous paraissent tellement naturelles que l'on ne pense même pas à le modifier. Par exemple, concernant le tennis, les finales dames se disputent le samedi, et les finales hommes le dimanche, avec une plus large audience. Il est proposé que les fédérations veillent à assurer les conditions d'une audience équivalente pour les compétitions féminines et masculines. Les compétitions pourraient avoir lieu simultanément ou alternativement, nous laissons aux fédérations le soin de s'organiser. L'idée est d'attirer l'attention sur ce sujet, qui encore une fois nous paraît tellement naturel alors que cela n'a pas lieu de l'être.
La commission adopte l'amendement Lois.1.
Article additionnel après l'article 17
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il s'agit d'un amendement que j'avais présenté en commission, et que j'avais retiré afin de nous laisser le temps de la réflexion. Il vise à réprimer les actes tendant à harceler, humilier ou intimider les personnes, en particulier les collégiens et lycéens, en utilisant internet ou des vidéos. Le Gouvernement nous a demandé d'attendre la loi concernant internet, mais je ne pense pas qu'attendre soit la bonne solution : le phénomène prend de l'ampleur, il faut l'arrêter.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je suis d'accord sur le principe, mais les tribunaux ne disposent-ils pas d'ores et déjà des moyens de réprimer ces actes, ce qui éviterait de créer encore un nouveau délit ?
M. Alain Richard. - J'ai une suggestion d'ordre méthodologique à faire, car je suis effrayé par l'inflation pénale. Lorsqu'il est question de créer une infraction pénale, il faudrait que la commission puisse établir un tableau comparatif des infractions existant dans le domaine concerné. Un avocat général m'a récemment indiqué que sur 10 000 infractions existantes, 200 étaient réellement utilisées...
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je partage vos points de vue sur l'inflation pénale, mais selon la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, le droit pénal n'arrive pas à appréhender ce type d'actes.
M. Alain Richard. - Que dit le ministère de la justice sur ce point ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il n'a pas émis d'opposition.
La commission adopte l'amendement Lois.2.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Cet amendement est un amendement de précision. La commission adopté l'amendement Lois.3.
Article 25
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il s'agit de l'adaptation des dispositions du texte à l'outre-mer. Par ailleurs, je vous demande par avance l'autorisation, éventuellement, de déposer un « amendement-balai » à l'issue de l'examen du texte, pour procéder à d'autres adaptations nécessaires pour l'outre-mer.
La commission adopte l'amendement Lois.4.
Article 22 bis
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il s'agit d'un amendement sur la parité dans les conseils économiques sociaux et environnementaux régionaux. Il semblait compliqué d'imposer la parité étant donné que ces conseils sont composés de divers collèges indépendants les uns des autres. Il est proposé de définir des conditions de nomination garantissant un équilibre de 40 %/60 % en faveur de l'un ou l'autre des deux sexes.
M. Alain Richard. - Nous sommes ici à la rencontre du droit privé et du droit public. Comment imposer la parité à des collèges issus d'organismes privés ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est pour cela que nous proposons une approche globale. C'est le préfet de région qui décidera des quotas de nomination.
M. Alain Richard. - Il fixe à chaque organisme le nombre de personne de chaque sexe. C'est un progrès...
La commission adopte l'amendement Lois.5.
Article 22 ter
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il s'agit d'un amendement de précision rédactionnelle.
La commission adopte l'amendement Lois.6.
La commission a adopté les avis suivants :
Examen des amendements du rapporteur
Examen des autres amendements de séance
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'article 2 prévoit actuellement que les familles monoparentales ne sont pas concernées par le dispositif de partage de droits à la prestation partagée de l'accueil de l'enfant (PPAE). L'amendement n° 29 rectifié propose d'étendre cette dérogation aux situations dans lesquelles l'un des parents ne remplit pas les critères d'éligibilité au congé parental ou à la prestation. Dans ces deux cas, le partage de la prestation entre les deux parents est impossible quand bien même ils y seraient favorables. C'est pourquoi je suis favorable à cet amendement.
M. Alain Richard. - Cet amendement laisse cependant un sujet à traiter : un des conjoints peut ne pas prendre le congé pour des raisons sociaux-économiques.
M. Jean-Jacques Hyest. - Un de nos amendements tente justement de remédier à cette situation.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 29 rectifié.
Mme Cécile Cukierman. - L'idée de l'amendement n° 46 est que les économies dégagées par cette réforme ne soient pas utilisées à d'autres fins.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Le Gouvernement s'est effectivement engagé à ce que ces éventuelles économies soient utilisées en priorité pour financer le développement des modes de garde. Je demande donc le retrait de cet amendement, à défaut, j'y serai défavorable.
La commission émit un avis défavorable à l'amendement n° 46.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'a mendement n° 9 reprenant l'une des recommandations de la Délégation aux droits des femmes vise à rendre fractionnable le congé parental d'éducation. La durée totale de trois ans pourrait ainsi être prise par période de six mois jusqu'aux dix-huit ans de l'enfant.
Je propose de demander l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 9.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pourquoi ne pas proposer directement un avis favorable ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Si un avis favorable devait être mis aux voix, je m'abstiendrais car nous ne disposons pas d'une étude permettant de mesurer l'impact de cette réforme sur la vie des entreprises. Par ailleurs, je vois mal l'impact qu'elle pourrait avoir sur le plan éducatif, même si je comprends le souhait de prendre un congé lors de l'adolescence de l'enfant.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Si la commission s'en remet à l'avis du Gouvernement, je connais d'avance la réponse qui sera faite par la ministre : « votre idée est intéressante ; il faut travailler le sujet mais, pour l'instant, je vous demande de retirer votre amendement... ». Mieux vaut émettre un avis favorable pour permettre un débat en séance publique avec le Gouvernement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 9.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'amendement n° 10 a pour but de réduire de trois ans à dix-huit mois la durée de l'expérimentation pour le versement de l'allocation différentielle de soutien familial à tous les titulaires de pensions inférieures au montant de cette allocation. Il existe en effet un risque d'inéquité de traitement entre les allocataires selon que leur département participe ou non à l'expérimentation.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement car toute expérimentation mérite une période de temps suffisante afin d'en apprécier toutes les conséquences. Par exemple, nous avons réduit la durée d'expérimentation du RSA et l'élargissement du dispositif n'a pas été satisfaisant en raison d'une méconnaissance de l'ensemble de ses conséquences.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Il s'agit d'une mesure exceptionnelle de raccourcissement de l'expérimentation.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10.
Article additionnel après l'article 6
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'amendement n° 13 prévoit que le Parlement dispose, avant la fin 2014, d'un bilan sur la situation des femmes travaillant en PME et TPE en matière d'égalité professionnelle, puisqu'il n'y a pas pour ces entreprises de négociations obligatoires sur cette question.
M. Yves Détraigne. - C'est le cinquième amendement qui propose la remise d'un rapport au Parlement. Or, très souvent, ces rapports, lorsqu'ils sont rédigés, ne sont pas lus...
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je partage les interrogations de M. Détraigne. Je me demande ce que pourra apporter un tel rapport sur la situation des femmes dans les PME de moins de 50 salariés.
M. Alain Richard. - Par ailleurs, les directions des entreprises de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi (DIECCTE) ne sont plus en capacité de collecter ce type de données.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Nous avons certainement trop de rapports remis au Parlement mais il s'agit d'un moyen pour favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Concernant les amendements n°s 16, 113 et 135, j'y suis défavorable car il ne faut pas exclure la possibilité d'une médiation.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'auteur des violences est souvent un manipulateur qui peut obliger la victime à accepter une médiation !
M. Jean-Pierre Michel. - Il faut rester dans le droit commun : la médiation est l'une des possibilités prévues par la loi, laissons le procureur apprécier !
La commission émet un avis défavorable aux amendements n°s 16, 113 et 135.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Sur l'amendement n° 23, je vous propose de solliciter l'avis du Gouvernement puisque, en dispensant les victimes de violences des taxes et timbres relatifs au séjour, il entraînerait une perte de ressources pour l'Etat.
Mme Esther Benbassa. - Mais enfin, les considérations humaines doivent primer les considérations financières !
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Tout à fait. Mais nous aurons ce débat en séance publique, la commission n'en est pas le lieu.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 23.
Article additionnel après l'article 14
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je vous proposerai d'être favorable à la première partie de l'amendement n° 70 mais défavorable aux deux suivantes.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Si l'auteur de l'amendement ne le rectifie pas, un vote par division devra être envisagé en séance publique.
La commission émet un avis favorable, sous réserve de rectification à l'amendement n° 70.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je ne peux être que défavorable à l'amendement n° 159 dans la mesure où le texte supprimant le délit de racolage, que nous avons adopté récemment, est en cours d'examen à l'Assemblée et que le Gouvernement a, en outre, annoncé un texte spécifique sur la question de la prostitution.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement de Mme Esther Benbassa est sans doute à cet égard un amendement d'appel.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 159.
Article additionnel après l'article 14
Mme Esther Benbassa. - L'amendement n° 163 a pour objet de permettre aux associations de se constituer partie civile même si la victime est décédée ou dans un état ne lui permettant pas de consentir.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - En l'état du droit actuel, l'article 2-2 du code de procédure pénale permet à certaines associations d'agir en justice au soutien d'une victime de violences sexuelles ou intrafamiliales, à condition d'avoir l'accord de la victime.
Dans le cas où la victime est décédée, il importe sans doute de laisser le choix de l'action en justice aux ayants-droit de la victime ou à son représentant légal plutôt qu'à des associations. En outre, cette disposition pourrait soulever une difficulté au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Pour les victimes non décédées, ne pourrait-on pas prévoir une action en justice des associations ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Le code de procédure pénale le prévoit pour certains cas. Il ne paraît pas pertinent d'aller au-delà.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il y a une question de cohérence au sein de notre législation. Si la victime est décédée, il revient aux ayants-droit d'agir en justice. On ne peut pas prévoir qu'une même prérogative soit exercée différemment selon les cas.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 163.
Mme Cécile Cukierman. - L'amendement n° 137 vise d'abord à changer la dénomination des stages : il s'agit bien de responsabiliser les auteurs de violences pour leur faire prendre conscience de la gravité de leurs actes et prévenir la récidive et non de les sensibiliser simplement.
Cet amendement prévoit également d'évaluer régulièrement ces stages afin d'en renforcer l'efficacité. Il s'agira notamment, grâce à un suivi des auteurs de violences, d'étudier l'impact de ces stages sur la récidive et d'envisager, soit des évolutions du dispositif, soit son élargissement à de nouveaux publics.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - S'agissant de la terminologie, je suis plutôt favorable à la simple substitution du terme « responsabilisation » à celui de « sensibilisation » proposée par l'amendement n° 114 de M. Mézard.
Sur la question de l'évaluation des stages, il ne me paraît pas utile de préciser cette obligation dans la loi puisqu'une telle évaluation entre dans le champ des compétences des procureurs de la République, qui sont responsables de la bonne application de la loi pénale dans le ressort dont il a la charge.
Mme Cécile Cukierman. - J'ai du mal à savoir ce qu'est la responsabilisation par rapport à la sensibilisation et à la prévention. Il faudra continuer de travailler sur l'intitulé de ce stage.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Quelle est l'efficacité de ces stages ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Deux lectures par chaque assemblée seront effectivement nécessaires pour peaufiner cet article. Le terme de stage est en effet inapproprié car il s'agit en réalité d'une prise en charge des auteurs de délit. Pour avoir assisté à un colloque sur cette question la semaine dernière, il a été démontré un changement de personnalité entre le début et la fin du stage, grâce au programme spécifique dont bénéficient les « stagiaires ».
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Certains comportements relèvent de la psychiatrie ou de la psychanalyse.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 137, un avis favorable à l'amendement n° 114 et demandera le retrait des amendements n°s 137, 168 et 17.
Articles additionnels après l'article 15
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 71 propose de créer un délit de recours à la prostitution. En l'état, je considère que le présent projet de loi n'est pas un cadre adapté pour discuter de cette question.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous attendons plusieurs projets de loi sur le droit d'asile, l'immigration, le code pénal... Le calendrier et l'ordre du jour sont des sujets éminemment politiques. Je vous propose d'interroger la ministre sur des initiatives législatives concernant la prostitution.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 71.
Mme Cécile Cukierman. - L'amendement n° 154 vise à débattre de la question du changement de sexe à l'état-civil.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - La question est importante, mais il faut qu'elle soit traitée dans le cadre d'un texte spécifique.
M. Yves Détraigne. - Qu'est-ce que l'habitus, auquel il est fait référence dans l'amendement ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est un mode de comportement.
Mme Esther Benbassa. - Nous sommes très sollicités sur ces questions par les associations. Nous ne pouvons pas rester indifférents.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 154.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il est important que les personnels des préfectures en charge de la délivrance des titres de séjour soient formés aux violences intrafamiliales, aux violences faites aux femmes et sur les mécanismes d'emprise psychologique. Je suis favorable à l'adoption de l'amendement n° 6.
Mme Cécile Cukierman. - Je soutiens le motif de cet amendement, mais ne peut-on pas en élargir la rédaction aux personnels de préfecture en charge de l'accueil du public ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Tous les fonctionnaires doivent recevoir une formation à ces questions.
Mme Cécile Cukierman. - Il s'agit d'aider les agents des préfectures au moment de l'accueil, d'une part, de déceler d'éventuelles violences et, d'autre part, de recevoir les personnes qui en auraient été victimes.
M. Yves Détraigne. - Je ne pense pas que ces dispositions relèvent du niveau de la loi.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6.
Articles additionnels après l'article 15 bis
Mme Virginie Klès, rapporteur. - L'amendement n° 109 prévoit l'automaticité du retrait de l'autorité parentale en cas de condamnations pour certains crimes et délits. Cela reviendrait à priver le juge de toute possibilité d'appréciation. Je suis donc plutôt défavorable à l'adoption de cet amendement.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Moi, j'y suis résolument défavorable. Il relève du débat sur l'automaticité. C'est une question de principe. Ceci relève de l'appréciation du juge.
M. Yves Détraigne. - Oui, il s'agit du principe de personnalisation de la peine.
M. René Garrec. - C'est l'appréciation du juge qui a sur le dossier une vue que nous n'avons pas et, par ailleurs, c'est la question de la non-automaticité de la peine.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 109.
Mme Esther Benbassa. - Lors de l'examen de la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel, pour introduire en droit français la reconnaissance de la transphobie, nous avons utilisé les mots « identité sexuelle ».
Aujourd'hui, la commission nationale consultative des droits de l'homme demande que cette dénomination soit transformée en « identité de genre », entrée en vigueur dans le reste de l'Union européenne. Tel est l'objet de l'amendement n° 130.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Nous avons déjà eu longuement ce débat au moment de l'examen de la loi de 2012.
Mme Esther Benbassa. - Mais aujourd'hui, il est possible que la ministre accepte cette modification.
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je propose de maintenir la notion d'« identité sexuelle ».
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 130.
Article additionnel après l'article 17
Mme Virginie Klès, rapporteur. - Concernant l'amendement n° 33, j'y suis défavorable car le droit au procès équitable s'applique en la matière. En outre, je suis sceptique : ce n'est pas parce qu'on va dépayser la procédure qu'il n'y aura plus de copinage. Au sein d'une discipline universitaire, tout le monde se connaît ! Et qui va définir la notion de suspicion légitime ? Je crains des difficultés pratiques nombreuses.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Les instances disciplinaires ne sont tout de même pas suspectes a priori. Leurs membres doivent bien entendu faire preuve d'indépendance d'esprit. En outre, le harcèlement relève des tribunaux pénaux.
Mme Esther Benbassa. - Lors de la discussion générale du projet de loi relatif au harcèlement sexuel, j'avais lu la lettre d'une étudiante qui avait gagné son procès pénal sans que le conseil de discipline de l'Université ne reconnaisse son bon droit. Le professeur coupable a même été promu. La ministre de la justice a analysé le dossier et s'est aperçu que le conseil disciplinaire comprenait des membres de l'équipe de recherche du père du professeur concerné. Aujourd'hui le copinage a atteint un niveau très élevé dans l'université, à tel point que le ministre de l'enseignement supérieur a imposé que, dans chaque université, le quart des membres des commissions doit être issu d'une autre université.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 33 rectifié.
La commission a adopté les avis suivants :
Examen des amendements extérieurs