- Mardi 9 juillet 2013
- Demande d'organisation d'une audition publique sur la procréation médicalement assistée (PMA)
- Présentation de l'étude de faisabilité de MM. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, et Marcel Deneux, sénateur, vice-président, concernant les performances énergétiques dans le secteur de la construction, en vue d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie
- Audition du conseil scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
- Mercredi 10 juillet 2013
Mardi 9 juillet 2013
- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -Demande d'organisation d'une audition publique sur la procréation médicalement assistée (PMA)
M. Bruno Sido, sénateur, président de l'OPECST.- Je vous prie d'excuser notre collègue Jean-Yves Le Déaut, Premier vice-président, qui est retenu dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale pour une intervention durant la discussion finale du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche.
Avant de commencer cette séance, je tiens à rendre hommage à notre collègue Jean-Louis Lorrain, décédé le 27 juin dernier. Jean-Louis Lorrain fut sénateur du Haut-Rhin de 1995 à 2004, et l'était redevenu en mars 2010. Médecin de profession, Jean-Louis Lorrain fut un membre éminent de l'Office parlementaire d'octobre 2001 à octobre 2004. Il a réalisé des rapports qui ont fait date : sur l'incidence éventuelle de la téléphonie mobile sur la santé (2002) et sur les nanosciences et le progrès médical (2004). Au nom de l'Office, je souhaite exprimer à sa famille et à ses proches nos plus sincères condoléances.
M. Bruno Sido.- J'ai été saisi par notre collègue, Mme Virginie Klès d'une demande d'organisation d'audition publique sur la procréation médicalement assistée (PMA). Mme Anne-Yvonne Le Dain s'est également déclarée intéressée.
Je vous rappelle que nous avons entendu, le 21 juin dernier, le Professeur Jean-Claude Ameisen, président du comité consultatif national d'éthique (CCNE), sur l'organisation du débat national sur la PMA.
À l'occasion de cette audition, si l'alacrité intellectuelle du Président Ameisen nous a introduits à la complexité de ces problèmes, notre interlocuteur a jugé utile que l'Office puisse organiser une ou plusieurs auditions publiques, qui auraient pu se tenir parallèlement aux conférences de citoyens que le CCNE mettra en place, mais qui les précèderont probablement puisque le débat public a été reporté au premier trimestre 2014.
La demande de Mme Virginie Klès me paraît donc justifiée et intéressante.
(Approbation à l'unanimité des membres présents).
Présentation de l'étude de faisabilité de MM. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, et Marcel Deneux, sénateur, vice-président, concernant les performances énergétiques dans le secteur de la construction, en vue d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie
M. Bruno Sido.- Nous allons maintenant entendre les conclusions de l'étude de faisabilité de MM. Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux sur les performances énergétiques dans le secteur de la construction, en vue d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie.
M. Marcel Deneux, sénateur, vice-président de l'OPECST.- La performance énergétique des bâtiments est au coeur de la transition énergétique. C'est en effet la consommation d'énergie primaire dans le bâtiment qui offre la marge d'économie possible la plus importante par rapport aux autres grands domaines de consommation que sont l'industrie et les transports.
En août 2009, la première loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement a jeté les bases législatives de la réglementation thermique 2012, dite RT2012, qui impose aux constructions nouvelles un plafond de consommation énergétique défini en énergie primaire : 50 kWh par mètre carré et par an.
En décembre 2009, l'Office, à travers une évaluation conduite par MM. Christian Bataille et Claude Birraux, a confirmé la pertinence de la fixation d'un plafond en énergie primaire, sous réserve de le compléter par un plafond d'émission de dioxyde de carbone [CO2], modulé dans des conditions identiques en fonction notamment des zones géographiques et de l'altitude.
Mais cette étude a aussi mis au jour les difficultés pour faire prendre en compte par la réglementation certaines solutions technologiques nouvelles, d'une part, en raison d'un mode d'évaluation des performances basé sur une méthode conventionnelle (le « moteur de calcul »), d'autre part, en raison de la lourdeur des procédures de certification.
Notre collègue, M. André Chassaigne, a rappelé, lors du débat à l'Assemblée nationale du 26 février 2013 sur les dispositifs d'efficacité énergétique et de maîtrise de la demande d'énergie dans le bâtiment, les difficultés d'homologation de certains composants innovants, dont les matériaux bio-sourcés. Puis il a transmis au Bureau de l'Assemblée nationale, en tant que président du Groupe des démocrates et républicains, une demande de saisine de l'Office.
Le 27 mai 2013, le Bureau de l'Assemblée nationale a saisi l'OPECST le 27 mai 2013 d'une demande d'évaluation des conditions de mise en oeuvre de la réglementation thermique, mettant l'accent sur l'importance des résultats effectifs en termes d'économies d'énergie. Dans la continuité des travaux engagés par MM. Christian Bataille et Claude Birraux en 2009, l'étude a pour objet d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie.
M. Jean-Yves Le Déaut et moi-même avons été désignés, le 29 mai dernier, par l'Office pour mener cette nouvelle étude. Mais, par anticipation, le président Bruno Sido et moi avions organisé le 4 avril 2013 une audition publique sur le thème : « Économies d'énergie dans le bâtiment : comment passer à la vitesse supérieure », ouverte par notre collègue André Chassaigne et conclue par Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'innovation et aux PME.
La présente étude de faisabilité s'attache à présenter ce que pourraient être les principales orientations de l'étude, la nature des investigations que nous comptons conduire, les modalités d'organisation de nos travaux. En conclusion, nous soumettrons à l'approbation de l'Office une formulation plus opérationnelle de l'objet de l'étude.
Conformément à ce que souligne la saisine du Bureau de l'Assemblée nationale, notre évaluation devra être axée sur l'obtention d'économies d'énergie effectives.
L'audition du 4 avril 2013 a mis en évidence l'existence d'une approche très monolithique de la performance énergétique en France, qui laisse à l'écart des acteurs qui semblent pourtant concourir d'une autre manière à cet objectif.
Cela apparaît à trois niveaux de prise en compte de l'effort d'économies d'énergie : les labels de construction, la mesure des économies réalisées, la certification des composants.
Ainsi, le paysage européen de l'économie d'énergie dans le bâtiment est dominé par deux labels, qui, depuis une quinzaine d'années, ont fait leur preuve sur plusieurs milliers de bâtiments : « Maison passive » d'origine allemande, et « Minergie » d'origine suisse. Ces labels sont d'un niveau au moins aussi exigeant que les normes françaises. Ainsi la labellisation « Maison passive » impose une étanchéité de l'enveloppe environ cinquante fois plus sévère que celle imposée par la RT2012.
Alors que plusieurs États européens (Finlande, Danemark) ont prévu de retenir le label « Maison passive » comme référence réglementaire après 2015, ce label ne bénéficie en France que de soutiens départementaux et régionaux.
Quant au label Minergie, il demeure toujours sans portée au regard de la réglementation française, ce qui n'est guère dans la logique d'une situation où l'on aurait au contraire intérêt à faire feu de tout bois.
Le deuxième gisement d'économies d'énergie mis à l'écart concerne la gestion active de l'énergie.
C'est une des trois approches propres à diminuer la consommation énergétique des bâtiments, à côté de l'isolation et de l'amélioration de la performance des équipements. La gestion active de l'énergie vise à ajuster la consommation énergétique aux besoins.
Cela consiste à généraliser l'utilisation des minuteries, pour déclencher les équipements juste au moment où l'on en a besoin. Ce pilotage fin peut abaisser la consommation globale de 40 % selon les données recueillies dans le cadre du programme HOMES conduit par Schneider dans plusieurs pays européens. Le gain procuré en termes d'économie d'énergie est ainsi équivalent à celui que procure l'isolation.
La RT2012 ne prend pas en compte, au niveau conventionnel, les économies de la gestion active de l'énergie, au motif que ces économies sont dépendantes du profil d'utilisation du bâtiment, qui peut changer. C'est un point qui mérite, à tout le moins, investigation.
Enfin, le dernier enjeu de l'étude concerne la complexité des procédures de certification des composants du bâtiment, les isolants comme les équipements.
Ceux-ci font l'objet d'un contrôle pour des raisons évidentes de sécurité, à des fins de protection de la santé et de l'environnement. Le contrôle concerne aussi la performance en matière d'économie d'énergie, de manière à favoriser l'utilisation des composants les plus efficaces.
Cependant avec une durée de deux à trois années, les procédures imposées pour la certification des composants paraissent excessivement longues, ce qui pénalise les petites entreprises. De plus, ces procédures ne prendraient pas en compte, contrairement au principe de la libre circulation sur le marché intérieur, les certifications délivrées dans un autre État membre de l'Union européenne ; elles imposeraient de tout vérifier à nouveau, en une démarche aussi lourde que la certification initiale.
Or, si les procédures sont, en théorie, harmonisées au niveau de l'Union européenne, c'est justement pour supprimer les entraves techniques aux échanges.
Le règlement 305/2011 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction est entré pleinement en vigueur au 1er juillet 2013. Son but affiché (considérant 8) est de « simplifier et de préciser le cadre existant et d'accroître la transparence et l'efficacité des mesures en vigueur », ce qui donne à penser, a contrario, que la saisine de l'OPECST n'est pas sans fondement.
Comme ce nouveau règlement prévoit notamment des procédures simplifiées dans le cas des petites et moyennes entreprises, un des objets de l'étude sera d'évaluer ce nouveau cadre européen de procédure.
D'ores et déjà, les divers problèmes répertoriés permettent de définir les axes d'investigation de l'étude.
Il s'agit d'abord d'examiner de près le fonctionnement des instances en charge de la qualification des produits ; ensuite, de comparer les procédures françaises avec celles de nos voisins européens qui sont les plus mobilisés sur la performance énergétique des bâtiments ; enfin, d'évaluer les règles communautaires, anciennes et nouvellement entrées en vigueur, au regard du principe de libre circulation au sein du marché intérieur.
Il sera donc particulièrement instructif de suivre directement une opération de certification pour observer son déroulement, ses étapes, et identifier les tiers techniques qu'elle mobilise. Nous espérons obtenir toute la collaboration nécessaire de la part des responsables publiques gérant ce type de procédure.
L'Allemagne étant un pays connu pour son engagement dans les efforts en faveur de la performance énergétique des bâtiments, nous projetons d'aller Outre-Rhin pour étudier les solutions allemandes aux questions soulevées par l'étude :
- certaines entreprises allemandes se considèrent-elles comme victimes d'obstacles à l'innovation ?
- la législation européenne garantit-elle, en Allemagne, la libre circulation des produits innovants sur le marché intérieur ?
- le cadre réglementaire allemand permet-il de mieux réconcilier le calcul conventionnel et la mesure de la performance réelle ?
- la gestion active de l'énergie est-elle reconnue en Allemagne comme un instrument de la performance énergétique ?
- les labels de construction des associations militantes pour les maisons passives (Passivhaus, Minergie) bénéficient-ils d'un soutien public ?
Nous nous proposons d'aller conduire une enquête équivalente en Finlande.
M. Jean-Yves Le Déaut profitera en outre d'un déplacement en Suède, à l'occasion d'une conférence sur l'énergie, pour prendre des contacts avec des responsables suédois du secteur du bâtiment.
En ce qui concerne l'analyse de la portée pratique du règlement européen du 9 mars 2011 « établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction », nous nous proposons d'interroger les responsables de l'administration française à l'origine du décret du 27 décembre 2012 pris pour l'exécution de ce règlement. Nous devrons aussi rencontrer les rapporteurs du texte au Parlement européen, et les fonctionnaires compétents de la Commission, pour vérifier dans quelle mesure cette nouvelle réglementation s'inscrit bien dans la mise en oeuvre du principe de libre circulation sur le marché intérieur, en créant un cadre de fonctionnement allégé pour les petites entreprises innovantes.
Pour conduire nos travaux, nous comptons nous appuyer sur un comité resserré d'experts, et nous visons une remise de nos conclusions en mai 2014.
Ce comité d'experts comporte des ingénieurs ayant une connaissance pratique des procédures de certification des produits, et du rôle du moteur de calcul et une personnalité scientifique à même de prendre du recul par rapport aux enjeux réglementaires.
Quant au calendrier des travaux, les auditions et l'évaluation des procédures françaises commenceront à la fin du mois de septembre 2013. Une audition publique ciblée sur les conditions d'élaboration du moteur de calcul pourrait être organisée en janvier 2014. Le déplacement en Allemagne aurait lieu en novembre 2013, et celui prévu en Finlande en mars 2014.
En conclusion, nous vous proposons une formulation plus ciblée du titre de notre étude.
En effet, la mission confiée à l'OPECST par le Bureau de l'Assemblée nationale a pour objet « d'établir des informations objectives sur les développements à attendre de la filière du bâtiment en matière d'économies d'énergie ». Or, évoquer « les développements à attendre de la filière du bâtiment » constitue une manière de faire référence aux innovations. Et il s'agit d'établir à leur propos des « informations objectives », c'est-à-dire, en fait, d'évaluer leur performance réelle.
Cette mise en avant de l'objectivité renvoie au problème fondamental posé par le calcul conventionnel, qui, lorsqu'il détient le monopole de la description des performances au détriment d'une prise en compte du résultat mesuré in situ, constitue un obstacle potentiel aux innovations en matière d'économies d'énergie. Les analyses en ouverture de l'audition publique du 4 avril 2013 de notre collègue M. André Chassaigne, inspirateur de la saisine, sont sans ambiguïté à cet égard.
En conséquence, nous vous proposons d'intituler l'étude : « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. »
M. Bruno Sido.- Cette proposition de nouvelle formulation met en lumière des blocages réglementaires. Est-ce véritablement le cas ? Je m'adresse plus particulièrement à M. Jean-Yves Le Déaut, qui vient tout juste de nous rejoindre après son intervention dans l'hémicycle.
M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président.- J'essaye en effet de pallier au mieux l'impossibilité physique de l'ubiquité ; jongler entre ma présence en séance publique et à cette réunion de l'Office illustre les conflits d'emploi du temps auxquels un parlementaire est couramment confronté.
Pour revenir à la question posée, les éléments d'information recueillis, notamment grâce à l'audition publique du 4 avril 2013, donnent effectivement l'impression de l'existence de certains freins à l'innovation. L'étude va permettre d'aller un peu plus loin dans l'analyse pour voir de quoi il retourne. Nous avons besoin d'auditionner toutes les parties prenantes.
Les enjeux économiques sont très réels dans le secteur des composants du bâtiment, car l'isolation à elle seule représente un marché de l'ordre de 200 milliards d'euros, et de nombreuses entreprises sont candidates pour y prendre leur part. Il est important que le dispositif réglementaire puisse rendre possible l'émergence de meilleures solutions techniques dans le respect des obligations fixées par la loi, et qu'il donne sa chance aux produits innovants. Le cadre réglementaire européen joue également un rôle dans les conditions de la certification, et il nous appartiendra aussi de l'évaluer, notamment sous l'angle du bon fonctionnement du marché intérieur.
En conclusion, cette étude porte sur un aspect stratégique de la réussite de la politique d'économies d'énergie.
M. Bruno Sido.- En évoquant la gestion active de l'énergie, vous avez cité l'exemple des minuteries, mais non des compteurs intelligents. Seront-ils inclus dans l'étude ?
M. Marcel Deneux.- Sans aucun doute, car il s'agit d'appareils aidant à ajuster le niveau de la consommation d'énergie aux besoins.
M. Bruno Sido.- Je sollicite l'avis des membres de l'OPECST, d'abord sur le nouvel intitulé proposé pour l'étude, que je trouve personnellement bien adapté, à savoir : Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment, puis sur l'ensemble de l'étude de faisabilité
(Approbation des deux points à l'unanimité des membres présents).
Audition du conseil scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
M. Bruno Sido.- Je tiens à transmettre les excuses de nos collègues absents aujourd'hui, en raison de l'examen de multiples textes en deuxième lecture dans le cadre de cette session extraordinaire, ainsi que de la tenue de congrès et colloques, fréquents en cette période.
En introduction, je voudrais aussi saluer le travail réalisé, au cours de sa longue carrière au sein de l'Office, par M. Philippe Dally, responsable du secrétariat de l'Office au Sénat. En tant que président de cet office, j'ai eu l'occasion de travailler en étroite collaboration avec lui durant ces deux dernières années, ce qui m'a permis d'apprécier ses qualités personnelles et professionnelles. Aussi, voudrais-je lui souhaiter une très bonne retraite, bien méritée.
Je remercie les membres du conseil scientifique, fortement renouvelé, avec douze membres nouveaux, d'être présents, comme ils le sont également chaque fois que nous faisons appel à eux dans le cadre de nos études ou de nos auditions publiques.
Je pense qu'il convient que chacun, autour de cette table, se présente et expose succinctement ses domaines d'activité.
Puis nous passerons à un débat portant sur les problématiques scientifiques émergentes et, le cas échéant, sur la question de la recherche scientifique et technologique française.
M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président.- Nous avons prévu d'organiser à l'automne 2013 une réunion avec le conseil scientifique, mais nous voulions vous rencontrer, à l'occasion de ce renouvellement, afin de remercier les anciens membres et échanger avec les nouveaux sur des questions telles que le rôle du conseil scientifique et les nouveaux thèmes de réflexion résultant des dernières évolutions des sciences et technologies.
Dans le cadre de ce renouvellement, nous avons notamment souhaité plus de parité, diversifier nos relations avec les organismes de recherche et les entreprises, multiplier nos contacts internationaux, élargir le champ des disciplines représentées, notamment aux sciences humaines et sociales qui apportent un éclairage essentiel sur un certain nombre de problèmes, tels que l'organisation du débat public et l'expertise scientifique. Le choix des nouveaux membres a évidemment été difficile. Tous n'ont pu venir. Cédric Villani qui ne pouvait être présent aujourd'hui mais participe souvent à nos travaux m'a demandé de l'excuser.
Je voudrais m'associer aux remerciements à Philippe Dally qui a porté, durant quatorze ans, le fonctionnement du secrétariat de l'Office au Sénat. J'ai notamment pu apprécier son professionnalisme à l'occasion d'un rapport sur les impacts de l'utilisation de la chlordécone, un insecticide dont la rémanence dans les sols peut atteindre plusieurs centaines d'années.
M. Bruno Sido.- Je veux d'abord remercier les anciens membres du conseil scientifique, fortement renouvelé, pour le travail effectué et l'aide qu'ils nous ont apportée dans la conduite de nos rapports. Si ces derniers sont appréciés, c'est largement grâce à leur contribution.
Je propose maintenant de procéder à un tour de table pour donner à chacun l'occasion de se présenter et d'exposer succinctement ses domaines d'activité. Ensuite, nous passerons à un débat sur les questions scientifiques émergentes et les problèmes rencontrés par la recherche scientifique et le développement technologique en France.
Mme Dominique Meyer.- Biologiste et médecin spécialisée dans les problèmes d'hémostase et de coagulation, je suis membre de l'Académie des sciences ainsi que du Conseil économique, social et environnemental. J'ai eu la joie d'être l'initiatrice des jumelages entre parlementaires de l'Office, membres de l'Académie des sciences et jeunes chercheurs. Dans ce cadre, j'ai eu l'occasion de travailler depuis huit ans avec M. Philippe Dally que je tiens également à saluer.
M. Laurent Kalinowski, député.- Député de la Moselle, enseignant à la retraite, je suis actuellement chargé, dans le cadre de l'Office, d'un rapport sur l'hydrogène en tant que vecteur énergétique.
M. Gérard Roucairol.- Après en avoir été le vice-président, je suis devenu, au début de cette année, président de l'Académie des technologies. Sur le plan professionnel, j'ai été successivement professeur à l'université d'Orsay, puis à l'École normale supérieure, avant de diriger la recherche du groupe Bull durant vingt-cinq ans.
M. Marcel Deneux.- À l'origine agriculteur dans la Somme, dont je suis aussi sénateur, j'ai publié en 2002 un rapport et un cd-rom de l'Office consacrés aux changements climatiques en 2025, 2050 et 2100 qui ont connu bien plus qu'un succès d'estime. Aujourd'hui, je m'occupe davantage de questions énergétiques, notamment dans les transports automobiles. L'étude qui vient de m'être confié par l'Office sur les obstacles réglementaires à l'innovation dans le bâtiment permettra d'élargir mon champ d'intervention.
Mme Hélène Bergès.- Nouvelle entrante dans le conseil scientifique, je suis docteur en génétique et biologie moléculaire. Au sein de l'INRA, je dirige un laboratoire : le centre national de ressources en génomique végétale. Cette structure, unique en France, coordonne de nombreux projets internationaux.
M. Jean-Pierre Gattuso.- Également nouvel entrant au conseil scientifique, je suis directeur de recherche au CNRS. Je travaille dans un laboratoire de l'université Pierre et Marie Curie, à Villefranche-sur-Mer. Je m'intéresse aux changements climatiques et à leurs impacts sur les écosystèmes et organismes marins. Je suis co-auteur de plusieurs chapitres du rapport, en cours de rédaction, du groupe II du GIEC.
M. Michel Petit.- Membre sortant du conseil scientifique, je suis physicien de l'atmosphère, en retraite depuis un nombre respectable d'années. Dernièrement, j'ai surtout travaillé sur les questions de changements climatiques. Au sein de l'Office, j'ai été particulièrement actif dans le cadre du rapport de M. Marcel Deneux et d'une autre mission, dont M. Jean-Yves Le Déaut était le président.
M. Marcel Deneux.- Je dois en grande partie aux conseils de M. Michel Petit le fait d'avoir constitué un comité d'experts de la meilleure qualité qui nous a permis de ne pas nous tromper.
Mme Edith Heard.- Nouveau membre de votre conseil scientifique, d'origine britannique, je suis biologiste, généticienne de formation, directrice de l'unité de génétique et de biologie du développement à l'Institut Curie depuis quelques années et aussi professeur au Collège de France. L'épigénétique, discipline à la fois ancienne et nouvelle, touchant à la fois à la génétique, à la biologie du développement, à la génomique et au cancer, est mon domaine de prédilection.
M Alain Marty, député.- Je suis député de Moselle et membre de l'OPECST.
M. Laurent Gouzènes.- Docteur en robotique, j'ai travaillé dans la recherche informatique chez ST Microelectronics en tant que responsable des grands programmes ; maintenant, je suis dans une entreprise qui édite des logiciels temps-réel. J'ai déjà eu l'occasion de travailler à plusieurs reprises avec l'Office.
M. Marcel Van De Voorde.- Belge de nationalité, j'ai quitté la Belgique il y a trente ans pour travailler au CERN puis à la Direction générale de la Recherche et de l'Innovation de la Commission européenne ; j'ai écrit le programme Erasme de la main droite. J'ai aujourd'hui une fonction de conseil auprès du président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy.
Mes centres d'intérêt sont l'éducation universitaire, la recherche en Europe, et ces dernières semaines, le budget européen. Le budget de l'Horizon 2020 sera approuvé, je l'espère, dans une à deux semaines. Je m'occupe globalement du management de la recherche en Europe, en lien avec de nombreux instituts partout dans les États-membres.
M. Étienne Klein.- Physicien, je suis directeur de recherche au CEA et responsable des grands projets (autrefois ceux du CERN). Je dirige un laboratoire de philosophie, qui étudie l'évolution de la relation sciences-société... J'étais déjà membre du conseil scientifique de l'OPECST et suis très heureux d'y voir figurer des représentants des sciences sociales.
M. Olivier Oullier.- Professeur de psychologie à l'université d'Aix-Marseille, mes recherches portent sur la façon dont les gens prennent des décisions et s'influencent mutuellement.
Mme Marie-Christine Lemardeley.- Présidente de l'Université Sorbonne Nouvelle Paris III, je travaille dans une discipline purement littéraire. La Sorbonne est une très bonne université pour l'ouverture à la pluridisciplinarité.
M. Roland Courteau, sénateur.- Enseignant de métier, j'ai travaillé sur le risque de tsunami sur les côtes françaises et sur la pollution en Méditerranée, qui est une mer malade. Son état exige une réaction urgente, sinon, vers 2030-2040, le point de non-retour sera franchi. J'ai travaillé avec M. Philippe Dally sur l'avenir de l'aviation civile.
M. Michel Cosnard.- Je suis nouvel entrant au conseil scientifique, professeur à l'université de Nice en informatique ; à côté de cela, je préside l'INRIA ainsi que de l'alliance Allistene.
Je viens de terminer cette semaine une contribution d'Allistene pour le pôle de compétitivité numérique, qui vous sera transmise.
M. Bruno Sido.- Nous allons avoir besoin de vos compétences pour une prochaine étude sur le risque numérique.
M. Hervé Chneiweiss.- Je suis actuellement directeur du laboratoire Neurosciences Paris-Seine (INSERM-CNRS-UPMC), rédacteur en chef de la revue Médecine/Sciences et président du comité d'éthique de l'INSERM. En tant que membre du conseil scientifique de l'OPECST, j'ai participé aux travaux sur la loi de bioéthique, les cellules souches, l'imagerie cérébrale et, très récemment, à ceux sur la médecine personnalisée.
M Jean-Yves Le Déaut.- Pour renouveler le conseil scientifique de l'OPECST, nous nous sommes attachés à respecter de multiples critères. Je complèterai ce tour de table en citant les membres qui n'ont pu être présents.
Il s'agit de : Mme Hélène Bergès, directrice du Centre national de ressources en génomique végétale, INRA-CNRGV, qui a obtenu les Lauriers 2012 de l'INRA ; Mme Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences, ancienne présidente du CNRS, que chacun connaît ; M. Gérald Bronner, professeur de sociologie à l'Université Paris-Diderot, membre de l'Institut universitaire de France, qui est un nouveau membre du Conseil, comme Mme Bernadette Charleux, directrice du Laboratoire de chimie, catalyse, polymères et procédés, Lyon 1 - CNRS ; M. Jean-Marc Egly, membre de l'Académie des sciences, professeur à l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, INSERM - CNRS - Université de Strasbourg, qui, lui, est déjà membre de notre conseil scientifique ; M. Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer, nouveau membre ; Mme Claudie Haigneré, ancien ministre, membre de l'Académie des technologies, présidente d'Universcience, que chacun connaît ; M. Stéphane Mangin, professeur de physique, Université de Lorraine, Institut Jean Lamour - CNRS, membre de l'Institut universitaire de France, qui revient tout juste de l'Université de Californie, La Jolla ; Mme Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, CEA, dont les travaux sur le climat font autorité ; M. Jean-François Minster, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies, directeur scientifique du groupe Total, qui est un membre déjà ancien de ce Conseil ; M. Bruno Revellin-Falcoz, président honoraire délégué aux relations internationales de l'Académie des technologies ; M. Cédric Villani, médaillé Fields 2010, directeur de l'Institut Henri Poincaré, professeur à l'Université Claude Bernard - Lyon 1, qui est un nouveau membre, mais a déjà largement participé aux travaux de l'OPECST.
Comme vous le constatez, nous nous sommes attachés à rajeunir et à féminiser le conseil scientifique, tout en renforçant la variété des disciplines représentées et la diversité régionale de ses membres.
M. Bruno Sido.- Chacun reconnaîtra les compétences des membres du conseil scientifique pour débattre des problématiques émergentes.
Mme Dominique Meyer.- Quelles sont les études actuellement en cours à l'Office ?
M. Jean-Yves Le Déaut.- Il s'agit d'études sur « Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels », sur « La diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle », sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques », sur « Les enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée », sur « L'hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? », sur « Les freins réglementaires à l'innovation en matière de performances énergétiques dans le secteur de la construction », dont nous venons tout juste d'approuver l'étude de faisabilité, et sur « L'évaluation du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) ».
M. Bruno Sido.- Nous venons, en outre, d'autoriser l'organisation d'une audition publique sur la procréation médicalement assistée (PMA). Il est à rappeler que s'agissant des études, l'OPECST ne s'auto-saisit pas ; il peut être saisi par le Bureau ou une commission permanente de l'une ou l'autre assemblée.
M. Jean-Yves Le Déaut.- L'OPECST est également saisi en application de dispositions législatives prévues dans une douzaine de textes, dont la dernière en date résulte de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche adoptée définitivement cette après-midi. L'Office parlementaire sera dorénavant chargé d'évaluer tous les deux ans la stratégie nationale de recherche instituée par cette même loi. Les lois de bioéthique ont également toujours prévu leur évaluation par l'OPECST, au bout de cinq ans, dans la perspective de la préparation d'étapes législatives nouvelles.
Le conseil scientifique a un rôle essentiel de relais vers la communauté de recherche pour constituer les groupes de travail ou comités d'experts qui appuient les études. Bien sûr, les membres du conseil scientifique ont priorité pour participer eux-mêmes à ces groupes. C'est une des originalités des travaux de l'OPECST, en France et même à l'échelle de l'Europe, de produire ses rapports à travers un échange entre les meilleurs spécialistes d'un sujet et des parlementaires s'attachant à identifier les principaux enjeux politiques et sociaux dudit sujet.
M. Bruno Sido.- En effet, l'OPECST a pour rôle essentiel d'éclairer les enjeux des questions scientifiques qui font irruption de plus en plus souvent dans le champ politique. Pour remplir leur mission, les rapporteurs de l'Office ont eux-mêmes besoin d'être éclairés par des personnalités scientifiques de confiance ; le conseil scientifique sert de vivier pour choisir les experts qui vont accompagner les rapporteurs dans leur étude.
Les travaux de l'Office ne sont pas partisans, et le choix fréquent de duos de rapporteurs de tendances politiques différentes en est la meilleure illustration ; les rapports se donnent pour objectif d'être pertinents scientifiquement et politiquement dans l'identification des enjeux essentiels, et l'Office faillirait à ses missions s'il sortait de cette épure.
Les anciens membres du conseil scientifique connaissent l'importance de la fonction de conseil auprès des rapporteurs. Les nouveaux membres en feront à leur tour l'apprentissage, sachant qu'un des objectifs du renouvellement était justement de s'attacher des compétences nouvelles pour faire face aux prochaines saisines.
Notre collègue Mme Anne-Yvonne Le Dain peut-elle se présenter ?
Mme Anne-Yonne Le Dain, députée.- Quoique d'origine bretonne, je suis députée de l'Hérault, plus particulièrement d'une circonscription couvrant la moitié de Montpellier. Je suis aussi vice-présidente de la région Languedoc-Roussillon en charge de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Je suis ingénieur agronome, et docteur en sciences de la terre, ma thèse portant sur la modélisation pour l'étude de la tectonique, discipline encore assez nouvelle à l'époque de mon doctorat. J'occupais encore voici quelques mois, avant de devenir députée, la direction de l'évaluation des agents et des équipes au Centre international de recherche agronomique pour le développement (CIRAD), organisme tourné vers les questions posées par l'agriculture dans les pays du Sud. Auparavant, j'étais directrice d'un département dans ce même établissement, qui est un EPIC, ce qui m'amenait à gérer des questions de personnel, de budget et de patrimoine en plus des questions scientifiques. J'ai totalement abandonné mes activités au CIRAD depuis que je suis députée, car la tâche de représentant de la Nation, au service de tous sans esprit partisan, est très prenante et impose de plus une présence à Paris.
M. Bruno Sido.- M. Jean-Pierre Finance, même si vous êtes un ancien membre du conseil scientifique, pouvez-vous néanmoins participer au tour de table ?
M. Jean-Pierre Finance.- J'ai été professeur d'informatique, président d'université pendant quatorze ans, président de la Conférence des présidents d'université en 2007 et 2008. J'ai contribué au rapprochement des quatre universités de Lorraine maintenant fusionnées. Depuis un an et demi, je représente la Conférence des présidents d'université à Bruxelles, où je suis aussi présent au titre de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), en essayant de mettre en place une représentation commune. Je suis également correspondant de l'Association européenne des universités, qui regroupe 850 universités en Europe.
M. Bruno Sido.- Je donne la parole à Mme Delphine Bataille, venue nous rejoindre entre temps.
Mme Delphine Bataille, sénatrice.- Je suis sénatrice du Nord, élue lors du dernier renouvellement du Sénat, membre de la commission de l'économie, et des groupes d'études sur l'énergie, l'industrie et sur les communications électroniques.
M. Marcel Van de Voorde.- Pouvez-vous décrire les limites des missions de l'OPECST, en nous indiquant notamment si les sujets relatifs au débat science société, à l'organisation de la recherche et de l'innovation industrielle, à la création d'emplois, relèvent de la compétence de l'OPECST, ou si seuls des domaines très techniques peuvent être abordés par l'Office ?
M. Jean-Yves Le Déaut.- L'Office parlementaire a été créé en 1983 en vue d'éclairer les parlementaires sur l'incidence du développement des sciences et des techniques pour la société. Il a connu un temps la concurrence d'un office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, mais son champ de compétence s'est à nouveau élargi depuis la disparition de celui-ci. Une de ses fonctions principales est de jouer le rôle de passerelle entre le monde scientifique, public ou privé, et le Parlement ; son conseil scientifique l'assiste dans cette mission, notamment pour faire remonter des problématiques importantes, en particulier celles qui n'ont pas encore émergé au niveau politique ou réglementaire.
S'agissant des domaines d'étude, l'Office a développé une compétence dans les questions nucléaires, particulièrement sous les deux angles de la sûreté et de la gestion des déchets. Cette compétence s'est élargie à toutes les questions d'énergie, dont des études sur les énergies renouvelables, mais aussi sur l'efficacité et la sobriété énergétique. L'Office a aussi été sollicité, dès 1992, sur les questions de bioéthique, puis chargé de l'évaluation des lois successives dans ce domaine, ses études s'élargissant aux différents aspects du domaine : cellules souches, neurosciences, maladies monogéniques, aujourd'hui médecine personnalisée. Les crises ont apporté leur lot de demandes d'études, qui ont concerné les tunnels, les pesticides, la biodiversité, et qui amènent maintenant l'Office sur le terrain du risque numérique. Certaines questions industrielles duales, comme celle des drones, conduisent aussi l'OPECST à entrer en contact avec le domaine de la défense.
Au total, la palette des sujets possibles est large, et peut même concerner certains domaines transversaux comme « l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques », ou « la diffusion de la culture scientifique et technique ». Les sujets faisant polémique, comme les OGM, peuvent être abordés à travers des auditions ouvertes à la presse en vue de mobiliser une expertise publique, collective et contradictoire.
Un grand nombre de thèmes d'études sont donc possibles a priori, et c'est l'une des missions du conseil scientifique de nous faire remonter les questions encore peu visibles qui méritent intérêt, notamment si l'enjeu exige une réaction avant l'amorce d'un recul ou d'un déclin dans un domaine majeur.
M. Bruno Sido.- L'OPECST ne s'interdit aucun domaine d'étude pourvu qu'il touche à la science et à la technologie. On pourrait même éventuellement se lancer dans la science politique, mais on ne l'a pas encore fait. Notre champ d'activité est vaste, les sujets sont nombreux ; récemment, par exemple, j'ai travaillé à un rapport sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne.
M. Marcel Van de Voorde.- Existe-t-il, au sein du Parlement français, un autre organe que l'OPECST qui pourrait constituer une sorte de doublon ?
M. Bruno Sido.- Nous sommes le seul organisme interparlementaire commun à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il n'existe pas d'équivalent.
M. Jean-Yves Le Déaut.- Il faut rappeler la frontière avec les commissions de l'Assemblée et du Sénat, qui sont saisies lors de l'examen des projets et propositions de lois. Le travail de prospective de l'OPECST se situe bien en amont du travail législatif : il peut s'agir souvent d'un travail d'évaluation des textes ou des stratégies.
M. Laurent Gouzènes.- Juste une petite remarque pratique : l'OPECST pourrait-il nous envoyer régulièrement, une fois par mois par exemple, par courriel ses agendas prévisionnels de travail, d'auditions ?
M. Bruno Sido.- C'est entendu. Sachez déjà que nous allons arrêter nos travaux dans une semaine, et les reprendrons début septembre.
M. Jean-Yves Le Déaut.- Quand le sujet traité vous intéresse, vous pouvez demander à faire partie du groupe de travail ou comité de pilotage, ou vous pouvez simplement participer à certaines des auditions publiques.
Mme Dominique Meyer.- Des sujets très généraux comme les priorités stratégiques de la science et de la technologie en France, les problèmes liés à l'enseignement des sciences sont-ils susceptibles d'intéresser l'OPECST ?
M. Bruno Sido.- Jusqu'alors, mis à part le rapport de MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut sur « l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques », très intéressant, sur la recherche et les craintes qu'elle suscite, les sujets sont souvent plus précis que cela, mais aucune évolution n'est à exclure.
M. Laurent Gouzènes.- Pour abonder dans le sens de Mme Dominique Meyer, l'enseignement rencontre un problème. On assiste aujourd'hui à une explosion des savoirs et des connaissances. Des millions de chercheurs coexistent et, cela ne s'est jamais vu auparavant et pose un problème d'apprentissage, d'assimilation des connaissances, de définition des formations, de la frontière entre la recherche scientifique et technologique pour les entreprises. C'est un vrai sujet qui remet en cause le système d'enseignement : où va-t-on chercher les connaissances, comment les enseigne-t-on, comment les assimile-t-on, y compris tout au long de la vie ? L'interdisciplinarité bouscule encore plus l'enseignement. De plus, tous les pays ne sont pas égaux dans la production des connaissances ; les Français publient beaucoup en anglais, les Chinois en chinois, lorsqu'ils publient, et on manque d'accès à toute une masse de leurs publications. La réciprocité n'existe pas. Comment la France peut-elle rester à jour, comment peut-elle avoir accès à toutes ces connaissances ?
M. Jean-Yves Le Déaut.- La nouvelle loi votée aujourd'hui définitivement sur l'enseignement et la recherche, va précisément nous demander de répondre à cela, de réfléchir à la stratégie. Les questions de stratégie de recherche, d'interdisciplinarité, sont majeures et il n'est pas interdit d'envisager un rapport de l'Office sur ces problématiques. D'ailleurs, je voudrais vous demander les études qui vous paraîtraient essentielles aujourd'hui à mener dans le paysage scientifique et universitaire français et européen.
M. Hervé Chneiweiss.- Pour revenir sur les questions d'interface entre l'Office et nous, je regrette que les rapports de l'Office, qui sont détaillés et de bonne qualité, soient si peu médiatisés. On trouve facilement les auditions publiques sur Internet, sur les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais il me paraît paradoxal que les deux composantes de la Chaîne parlementaire, Public Sénat et LCP-AN, n'en parlent pas, ne diffusent aucune émission scientifique. Le Bureau de l'OPECST ne pourrait-il pas se rapprocher d'elles pour les inciter à faire écho aux travaux de l'Office et à être un peu plus en prise avec les questions scientifiques ?
M. Bruno Sido.- L'Office ne donne pas assez dans le sensationnel pour les intéresser suffisamment. Les média ont parlé de nous quand, par exemple, l'Office a organisé une grande audition publique à la suite de l'accident nucléaire de Fukushima ou quand nous sommes allés faire des contrôles inopinés dans les centrales nucléaires françaises. Certains sujets intéressent peu la presse, mais il est certain que l'Office devrait mieux se faire connaître, car ses rapports sont dignes d'intérêt, y compris pour le grand public.
M. Olivier Oullier.- Je ne souhaiterais pas mésinterpréter vos propos. LCP est-elle censée faire du sensationnalisme ? Selon moi, la question soulevée par M. Hervé Chneiweiss portait sur l'intérêt des rapports de l'Office en général, et pas seulement sur celui des rapports traitant de sujets sensationnels. Car, si j'ai bien compris, le but est d'attirer le public sur des sujets auxquels il n'a pas l'habitude d'être confronté.
M. Bruno Sido.- Je vous ai donné le point de vue de certains journalistes, qui recherchent l'audience et s'intéressent à l'audimat.
M. Olivier Oullier.- C'est également le cas de LCP. Je voudrais aborder de nouveau l'offre de production et de communication scientifiques en ligne - qui tend à se multiplier - et la nécessité de pouvoir sélectionner les sources.
Parallèlement se développe ce que les Anglo-Saxons appellent le Do it yourself ou fais-le toi-même. Il s'agit de personnes menant des recherches sur la génétique ou réalisant de la programmation à leur domicile, hors des laboratoires, ce qui, jusqu'à présent, était inédit et, ce, parallèlement à l'open access des journaux et des résultats de la recherche.
Cette question mériterait d'être discutée, en particulier celle de l'accès au savoir, pas uniquement en termes de réception du savoir en vue de la formation mais aussi de l'application autonome du savoir par des individus. Il s'agit là d'une question importante pour la science et la société, car toute une partie de la science se développe progressivement hors de tout contrôle, ce qui devrait intéresser une institution telle que l'OPECST.
M. Jean-Yves Le Déaut.- La communication est une donnée majeure dans la société actuelle, bien que, comme Bruno Sido l'a souligné, on ne communique que durant les crises. Il faudrait un plan de communication propre à l'OPECST. À partir du moment où c'est le conseil scientifique qui le suggère, il importerait que le Bureau de l'OPECST revoie les présidents de LCP et de Public Sénat afin, comme dans le passé, de leur demander de renforcer le contenu scientifique de leurs émissions.
Il existe, par ailleurs, les canaux internes de l'Assemblée nationale qui retransmettent en direct les travaux des commissions et ceux de l'OPECST. Le public peut y accéder grâce à Internet. Ce moyen est probablement insuffisamment connu mais il permet au public, lorsqu'une audition est ouverte à la presse - ce qui est la majorité des cas - de la visionner en direct et même en différé pendant quelques mois.
Quant à l'open access, il s'agit là d'un vrai sujet, dont le Parlement a discuté dans le cadre du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai été l'auteur d'un amendement qui aurait permis de parvenir à un équilibre entre les droits des éditeurs et la possibilité, pour les chercheurs, de publier eux-mêmes les travaux qu'ils ont parfois publiés chez des éditeurs.
En ce qui concerne les suggestions émises par M. Olivier Oullier, les questions qu'il a soulevées méritent effectivement d'être examinées par l'OPECST, dans le cadre de ses futurs travaux.
M. Jean-Pierre Finance.- L'open access aux publications est un sujet qui a donné lieu à de nombreuses réflexions et à des avancées, de nature à améliorer l'articulation entre les aspects législatifs et réglementaires, d'une part, et les aspects scientifiques, d'autre part.
Science Europe a mis en place un groupe de travail sur ces mêmes problèmes. Il m'apparaît qu'on n'est pas trop éloigné des problématiques qui construisent notre futur environnement scientifique.
M. Gérard Roucairol.- Je me félicite que le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche contienne une disposition - issue d'un amendement déposé par M. Jean-Yves Le Déaut - plaçant l'Académie des technologies sous la protection du Président de la République. Je suis fier et honoré de cette reconnaissance de la technologie, ce dont je tiens à remercier M. Jean-Yves Le Déaut.
S'agissant des travaux de l'Académie des technologies, elle mène des réflexions sur les types de recherche - tant universitaires qu'industrielles - qui produiront des changements sociaux importants et qu'il conviendrait de mener dans les années à venir.
Il en est ainsi du développement des systèmes sociaux innovants, dont l'intégration de divers composants est réalisée par les technologies de l'information et de la communication. Parmi ces systèmes, on peut citer : la télémédecine, les éco-quartiers, les éco-cités, la route intelligente, le véhicule du futur. Il s'agit d'un ensemble de systèmes qui comportent beaucoup de composants - notamment numériques - et différents capteurs. Ceux-ci permettent de prendre l'état d'un malade, de mesurer des encombrements de véhicules ou d'équilibrer l'énergie des cités produite localement ou nationalement. Ces milliards de capteurs sont connectés au Web et ramènent de nombreuses données qu'il faut entreposer, parce qu'elles permettront de prendre des décisions importantes. Ce qu'on a ainsi l'habitude de qualifier de « big data » requiert des puissances de traitement colossales.
Les structures que l'on met en place conditionnent l'évolution de la société. On ne résoudra pas le déficit de la sécurité sociale sans passer par la médecine préventive. On ne résoudra pas davantage la transition énergétique sans envisager les éco-cités et la question du transport public. On ne provoquera pas la relocalisation industrielle si on ne raisonne pas en termes de simulation numérique et de fabrication 3D.
Il est nécessaire d'avoir une vision globale.
Cela pose de multiples questions : quels sont les travaux de recherche à mettre en place ? Les structures existantes sont-elles adaptées ? Doit-on mettre en place des démonstrateurs ?
A-t-on les moyens, voire la volonté ? Existe-t-il un moyen d'évaluer correctement l'innovation ?
Si l'on ne se place pas d'un point de vue général, coexisteront, d'une part, des producteurs de technologies opérant au niveau le plus vaste possible et d'autre part, des intégrateurs répondant aux besoins ; cela signifie que les chaines de production de l'industrie vont éclater. Dans vingt ans, tout au plus, il n'existera plus d'industrie verticale. Il y aura des champions mondiaux qui seront chef de file en matière d'intégration horizontale.
Cela soulève des problèmes de sécurité numérique, puisque toutes les communications à mettre en place vont donner lieu à des exploitations potentiellement malfaisantes.
C'est un ensemble global qui va être développé, caractérisé par des similarités entre les différents systèmes. Ce seront les mêmes structures de base, mais avec des applications différentes. Comment se préparer à ces grandes évolutions ? Voilà la question fondamentale. C'est le futur de la recherche française qui est en jeu.
M. Laurent Gouzènes.- Il ne faut pas préparer seulement les laboratoires mais également les entreprises à ces changements, dans un cadre règlementaire précis.
Personnellement, j'avais abordé la question sous un autre angle : le problème du futur.
Aujourd'hui, et ce sera d'autant plus vrai à l'avenir, les objets communiquent de plus en plus (maison intelligente, capteur d'humidité dans les champs, compteur de personnes dans une foule...). Cela changera le monde lorsque l'on commencera à exploiter ces informations ; et cela a déjà débuté.
On va développer des modèles prédictifs grâce à des supercalculateurs. Ces systèmes seront capables de prévoir le futur à l'échelle de l'individu qui se déplace, ce qui pourra empêcher, par exemple, un embouteillage. De la même façon, on va pouvoir prédire le futur par rapport à l'urbanisation, le futur des villes, et décider où construire une route avant même que les habitants n'en aient besoin. Donc, existera un calcul à la fois à l'échelle macro et à l'échelle micro.
Une bonne illustration de ce phénomène est celle de la jeune fille enceinte qui, du seul fait de son comportement et malgré son silence, va révéler son état et permettre aux professionnels de lui proposer leurs services, par l'envoi de bons d'achat par exemple. Je fais là référence à un cas réel au cours duquel un père a appris la grossesse de sa fille.
On arrive ainsi à avoir une vision fine du comportement des personnes dans des domaines très variés (élections politiques, paris sportifs, etc.).
À partir du moment où on s'habituera à connaitre le futur, on se demandera comment on faisait avant. Le présent sera le passé de ce qu'on connait déjà.
Une question importante demeure : quelle sera la nature des emplois créés avec ce potentiel prédictif ?
On va assister à une interconnexion généralisée. Comment et à qui cela va-t-il profiter ? Quelle sera la législation applicable ? Ainsi, la connaissance des déplacements doit-elle être accessible ? Cela rejoint le débat autour du rôle des grandes entreprises comme Google, qui détiennent ces informations et qui peuvent les monnayer.
Le problème de la propriété des données devra être résolu.
M. Bruno Sido.- Si on connait le futur, la vie ne sera plus très drôle.
M. Hervé Chneiweiss.- Quand on évoque ce futur merveilleux qui nous est promis, on omet deux détails.
Premièrement, rien n'est prouvé en matière d'économie résultant éventuellement des stratégies préventives en médecine. Dans un premier temps, a contrario de ce que l'on nous promet, cela entraînera beaucoup de dépenses supplémentaires et une énorme hausse de la consommation d'énergie ; d'où un mur énergétique à franchir.
Le second point, ce sont les capteurs posés sur un individu. Le grand problème aujourd'hui, c'est la « dépistologie ». On dispose de techniques de dépistage qu'on peut utiliser mais qui, en réalité, ne remplissent pas la mission thérapeutique de la médecine. C'est le cas typiquement du SIDA, mais aussi du scanner hélicoïdal, et de bien d'autres dépistages.
Mme Edith Heard.- C'est vrai pour le cancer du sein pour lequel les investissements ne sont pas forcément appropriés.
M. Olivier Ouiller.- Comment va-t-on utiliser, lors des campagnes électorales, les 3 000 mesures que l'on peut avoir par individu, pour faire de la prédiction ou pour éviter le futur qu'on nous prédit ? La manière dont les données sont diffusées va entraîner des changements individuels et collectifs, tant dans le domaine médical que non médical.
M. Gérard Roucairol.- La baisse de la consommation énergétique liée à l'informatique est à la fois moins rapide qu'on ne le prévoyait et relativement faible. S'apercevoir que quelqu'un est tombé chez lui et déclencher les secours n'est pas très compliqué. Si l'on attend de la télémédecine des éléments de progrès, il faut s'intéresser au fonctionnement. Il n'y a pas forcement à investir beaucoup. Il faut trouver des solutions et non pas dire simplement : ça ne marche pas.
M. Etienne Klein.- Disposer de capteurs permettant d'avoir des données nouvelles pour le futur ne permet pas de prédire le futur. Il n'existera jamais une maîtrise complète du futur. Sur l'enseignement, la transmission des connaissances, il est certes possible de produire des connaissances dans un garage, mais seulement dans certains domaines. Il y a un écart entre les connaissances permettant d'être opérationnel dans la recherche et le niveau de connaissances qu'on peut transmettre par l'enseignement : par moment, la distance est très importante, ce qui entraîne un découragement abyssal chez certains étudiants dès qu'ils sont confrontés à la recherche au laboratoire. C'est un vrai sujet.
M. Bruno Sido.- C'est un thème intéressant.
M. Michel Cosnard.- Je proposerai une autre thématique : la disparition des interfaces, des interactions entre le monde humain, le monde physique et le monde numérique. On peut l'aborder par les réseaux de capteurs, par la protection de la vie privée, mais aussi par la robotique, par les drones : quel est le lien entre les dispositifs numériques indépendants et leur capacité à développer une certaine forme d'intelligence par l'apprentissage ? Par ailleurs, quelles activités scientifiques peut-on conduire sur l'utilisation des drones sur le plan militaire ?
Mme Anne Yvonne Le Dain, députée.- Il y a actuellement une multiplication, une accumulation des informations, ce qui pose la question de la capacité à faire le tri, de l'aptitude à apprendre à faire des choix, à gouverner le monde, à l'appréhender. Or les scientifiques sont hyperspécialisés.
Aujourd'hui, l'hyperspécialisation de la communauté universitaire et scientifique conduit à une difficulté à comprendre la complexité organisationnelle et donc socio-politique du monde. Comment alimenter, tout au long de la vie, l'aptitude et l'appétence à vouloir diriger, diriger puis cesser de diriger ? C'est difficile : j'ai vu trop de scientifiques prendre des responsabilités puis lâcher prise, ou au contraire se les approprier tellement qu'il n'y avait plus de place pour les autres.
C'est un problème culturel qui n'est pas français mais mondial, car à l'étape actuelle de l'histoire de la science et des technologies, ceux qui ont le langage du global prennent le pouvoir et ceux qui ont le langage de la spécificité n'osent plus le prendre, ou bien le prennent trop et trop fort.
Il conviendrait donc que l'Office s'interroge sur la manière dont les personnes qui sont dans le métier de la production et la transmission de savoirs peuvent, au fil d'une vie, acquérir les outils de ceux qui dirigent et décident.
M. Olivier Oullier.- Il existe un problème français relatif aux formations exécutives tout au long de la carrière. J'enseigne dans des MBA « exécutif » en France et à l'étranger. Or, en France, je n'ai jamais vu, parmi les étudiants, un directeur de laboratoire ou un scientifique. À l'étranger, j'enseigne à des patrons de sociétés privées venant d'administrations publiques ou du monde de la recherche, pour pouvoir ensuite prendre les rênes d'un laboratoire. Il est vrai qu'il s'agit d'une expérience personnelle non représentative, mais en France, les responsabilités sont allouées dans les laboratoires de recherche sans qu'il y ait d'évaluation des capacités à être un chef d'équipe, un dirigeant, un gestionnaire, etc. Je pense qu'il faudrait mener une réflexion pour savoir comment permettre aux gens de faire une pause afin de se former dans un domaine qui n'est pas leur spécialisation initiale.
M. Jean-Yves Le Déaut.- Ce qui a été dit est riche, et je crois qu'il y a des idées de sujets d'études pour l'Office que vous pourriez essayer de formaliser. Le premier sujet est celui de l'accès aux données de la recherche et la transmission de ces données. Dans le passé, les données transmises étaient évaluées par des pairs, ou des « référés ». Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et à côté de données certaines, provenant de grands laboratoires, il va y avoir de plus en plus de données incertaines. Or, celui qui transmettra des données incertaines en les médiatisant bien aura plus de chances de se faire entendre que celui qui transmettra des données évaluées sans savoir les vendre.
Par ailleurs, je crois que les systèmes sont de plus en plus complexes. Par exemple, en matière de données génétiques, on va pouvoir vendre des produits qui n'en sont pas, comme des génomes qui ne donneront pas beaucoup d'informations, contrairement à ce que croira l'acheteur. De même, pour la télémédecine, il y a du bon et du moins bon. Comment allons-nous essayer de contrôler cette évolution ? M. Laurent Gouzenes nous disait qu'en notre qualité de parlementaires, nous devons dire le droit. C'est ce que nous essayons de faire. Mais aujourd'hui, le droit n'est plus national. Personne ne peut empêcher l'un de nos ressortissants d'aller dans un autre pays pour accomplir quelque chose d'interdit chez nous. Donc le droit ne résoudra pas tout, d'autant que l'on a développé des technologies sans en mesurer tout l'impact. Or, comment mesurer l'impact de l'application de la science par le biais d'une technologie ?
C'est sur tous ces sujets que nous devrons réfléchir d'une manière collective, et nous sommes preneurs de toutes vos idées.
M. Laurent Gouzenes.- Une petite parenthèse concernant la législation sur les données personnelles : en Pologne, les données personnelles doivent toujours être stockées sur des ordinateurs dans le pays même, ce qui n'est pas le cas ailleurs en Europe, et, de plus, existe l'obligation d'implanter des centres de services informatiques dans le pays même, ce qui crée davantage de valeur ajoutée.
Le dernier point que je voulais aborder est celui de la biodiversité avec le problème des référencements des variétés. L'Union européenne met en place une législation, qui sera effective en 2016, selon laquelle toutes les variétés devront être enregistrées avec paiement de droits, sauf pour les micro-entreprises qui en seront dispensées. Dans ces conditions, quelle diversité réelle disposera-t-on dans cinq ans, dans dix ans suite à cette législation ? Pour les entreprises intermédiaires, les démarches à effectuer seront chères, et toutes sortes de variétés vont disparaître du marché. Il y aura d'un côté des micro-niches, et de l'autre côté de gros semenciers de type Monsanto, qui vont assurer 99 % de la production : il n'y aura plus de variété génétique.
M. Bruno Sido.- Pour clore notre réunion, je voudrais vous remercier pour la richesse de toutes ces interventions qui donnent des pistes de travail pour l'Office.
Mercredi 10 juillet 2013
- Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Premier vice-président -Communication de MM. Jean-Louis Touraine et Jean-Sébastien Vialatte, députés, relative à l'audition publique sur les prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque dans le cadre des greffes d'organe
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST - L'ordre du jour appelle la communication de M. Jean-Louis Touraine et M. Jean-Sébastien Vialatte, excusé aujourd'hui, relative à l'audition publique du 7 février 2013 sur les prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque dans le cadre des greffes d'organes. Cette réunion précédait un colloque international réunit pour la première fois à Paris. Les transplantations d'organes sont un symbole de l'évolution des prouesses médicales qui permettent de sauver de nombreuses vies.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime aujourd'hui à 100 000 le nombre de patients en attente d'une greffe rénale aux États-Unis. En France, on dénombre un greffon rénal pour quatre patients qui en ont besoin ; cet écart s'accroît et entraîne un trafic illicite d'organes aux conséquences dramatiques. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en débattre au Conseil de l'Europe.
L'Agence de la biomédecine avait suggéré que l'OPECST examine les méthodes de prélèvement d'organes en Europe et aux États-Unis pour réfléchir aux moyens d'accroître les possibilités de don d'organes et les conditions de prélèvement en France. Tel est l'objet de cette communication.
M. Jean-Louis Touraine, député, rapporteur - Les transplantations d'organes ont été, sont encore, et seront pour longtemps une merveilleuse aventure humaine. Celle-ci a impliqué des performances médico-scientifiques remarquables pendant le XXème siècle. Au cours de la première moitié du XXème siècle, la recherche a rendu possibles d'éventuelles transplantations, puis lors de la seconde moitié du siècle, des transplantations réussies de reins, puis de coeurs, de foies et d'autres organes ont été effectivement réalisées chez l'homme.
Au-delà de ces performances médico-scientifiques, il s'agit là d'une extraordinaire oeuvre de solidarité entre les humains, entre celui qui donne et celui qui reçoit. Déjà, le don du sang, au début du siècle dernier, représentait un bel effort de solidarité, mais le don d'un organe est encore plus symbolique de la solidarité dans la chaîne des humains, que ce soit un organe donné entre vivants (par exemple, d'un frère pour sa soeur), ou que ce soit au-delà de la mort. On peut ainsi redonner la vie à un patient qui, sinon, serait mort du fait de l'insuffisance de l'un de ses organes. La communauté scientifique et, plus largement, la communauté humaine en général et les familles concernées ont salué ce progrès immense, qui a fait reculer les désespoirs de tous ceux qui, dans les décennies passées, se résignaient à une mort inéluctable parce que leurs organes étaient devenus incapables de fonctionner correctement.
Aujourd'hui, après avoir vaincu toutes les difficultés, c'est-à-dire avoir fait comprendre l'intérêt de la solidarité et les impératifs techniques, avoir fait oeuvre de pédagogie auprès de la communauté médicale, avoir vaincu les principales causes d'échec - les échecs chirurgicaux sont devenus exceptionnels, les échecs immunologiques extrêmement rares et les autres complications, infectieuses, tumorales, etc. ont toutes été maîtrisées -, l'absence de greffe reste néanmoins une cause importante d'échecs. Actuellement, on compte plus de patients qui décèdent en listes d'attente que de patients greffés décédant d'une complication liée à l'opération.
Notre premier devoir est donc de lutter contre la pénurie gravissime de greffons, devenue la première cause de décès des personnes qui espèrent en la greffe mais ne peuvent pas en bénéficier.
Vous avez cité, Monsieur le Président, le chiffre de 100 000 personnes en attente aux États-Unis, en France le chiffre atteint 12 300 pour les greffons rénaux car, chaque année, on compte davantage de nouveaux insuffisants rénaux qui s'inscrivent sur les listes que de personnes greffées. Le succès des transplantations conduit un nombre croissant de patients à solliciter une greffe car on vit bien mieux avec une greffe qu'en hémodialyse, on connaît moins de complications, moins de mortalité, moins de morbidité et, surtout, une qualité de vie bien meilleure. De ce fait, on sollicite une greffe quel que soit son âge ou son problème médical. En outre, c'est aussi une manière de coûter bien moins cher à la société. Au cours de la première année de greffe, le coût total des traitements est inférieur ou égal à celui des dialyses. Mais les années suivantes, ce coût est infiniment plus faible et, en l'absence de pénurie, les économies effectuées grâce à la transplantation rénale permettraient de construire un très grand hôpital, de plus de 600 lits, chaque année en France. Ce n'est pas l'objectif, mais cette information illustre l'importance de l'économie potentiellement réalisable. Actuellement, plus d'un tiers des malades sont toujours en liste d'attente après cinq ans. Il est pourtant difficile, pour une personne jeune de continuer à vivre en étant en hémodialyse à raison de trois séances hebdomadaires. C'est un traitement lourd et affaiblissant pour le patient et qui crée un handicap. Cette situation génère un coût humain et financier considérable pour notre pays.
Face à cette pénurie, plusieurs solutions sont envisageables. D'abord, faire respecter la loi française, qui ne l'est pas intégralement. Fondée sur le principe du consentement présumé, elle dispose que toute personne qui n'a pas exprimé de son vivant une opposition au prélèvement d'organe peut être donneur potentiel. Cependant, elle prévoit aussi d'interroger la famille sur l'avis de la personne qui vient de décéder. Or, comme généralement, les personnes n'ont pas exprimé d'avis, la famille décide bien souvent à leur place et émet l'opinion de l'un de ses membres. Bien souvent, un membre de la famille qui a un état d'âme s'oppose au prélèvement. L'esprit de la loi n'est pas respecté car le corps n'appartient ni à la famille ni à l'État mais à la personne elle-même. Ceci explique en partie la grave pénurie d'organes que nous subissons. Paradoxalement, en France, il n'existe aucune objection au prélèvement de tous les organes en cas d'autopsies médico-légales. Cela est demandé par la justice et personne n'a le droit de s'y opposer. Dès lors, tous les organes sont prélevés pour qu'on sache si ce qui a provoqué la mort relève de la responsabilité d'un tiers et si une assurance doit couvrir le préjudice. L'intérêt mercantile autorise ainsi le prélèvement sans restriction.
L'Agence de la biomédecine (ABM) est parfaitement consciente de cette difficulté et s'efforce de lutter contre les refus de prélèvements. Officiellement, il y aurait un tiers de refus mais leur nombre réel serait probablement proche de la moitié car, par autocensure, les équipes médicales ne proposent même pas à certaines familles, un peu véhémentes et opposantes, de prélever des organes. On perd donc à peu près la moitié des organes exploitables, alors que sans cette perte, il n'y aurait plus de pénurie d'organes. Il nous faut lutter contre cela et rendre hommage au travail de l'ABM pour faire mieux respecter la loi.
Il faut également augmenter les prélèvements. Le nombre de personnes sur lesquelles peuvent être prélevés des organes décroît car la mortalité prématurée diminue en France, ce dont il faut se réjouir. Les accidents de la route sont devenus plus rares, de même que les accidents vasculaires cérébraux d'évolution fatale et de nombreuses autres maladies.
Il s'est avéré nécessaire d'étendre les indications de prélèvement : on prélève des organes sur des sujets beaucoup plus âgés qui, hier, auraient été récusés. Sachant que l'âge du donneur doit rester comparable à celui du receveur, eu égard à la durée de vie restante de l'organe, on a étendu le cercle des donneurs vivants, d'autant que le taux de succès des greffes est encore plus élevé, avec une durée de vie des organes plus prolongée, lorsqu'il y a appariement familial pour des raisons non seulement génétiques, mais aussi psychologiques, comme cela s'observe notamment pour les dons entre époux. Ceci montre que la présence du donneur vivant rappelle au receveur qu'il faut tout faire pour que la greffe soit un succès.
Malgré ces possibilités d'extension des prélèvements, la pénurie reste très présente, c'est la raison pour laquelle la France, à l'instar de quelques autres pays européens, souhaite étendre le prélèvement d'organes à des donneurs en état d'arrêt cardiaque dit « contrôlé ». La plupart des greffes d'organes, pour l'instant, sont effectuées sur des patients en état de mort cérébrale : leur cerveau est complètement et définitivement détruit, comme l'attestent l'absence de circulation cérébrale, l'électro-encéphalogramme plat de façon définitive et l'absence de toute activité du cerveau. Dans ces conditions, on constate la mort et la sanction systématique est d'arrêter les mesures de réanimation, de respiration artificielle et d'assistance à la circulation cardiaque.
Quand un prélèvement d'organe est possible, on prolonge quelque peu ces mesures de réanimation afin de réunir les conditions de transplantation. Au moment opportun, on prélève les organes et on arrête les mesures de prolongement artificiel de la vie. On a déjà observé des cas de prélèvements d'organes sur donneur avec un coeur arrêté, car le donneur étant en réanimation, on avait la possibilité, au moment de l'arrêt cardiaque irréversible, de prélever, très vite, les organes. Cela a permis quelques greffes avec des résultats assez satisfaisants, même s'ils sont un peu moins bons que les greffes avec des organes prélevés sur un sujet à coeur battant.
Cependant, dans d'autres pays, il s'est avéré possible de prélever des organes sur des sujets en état de mort par arrêt cardiaque « contrôlé », c'est-à-dire décidé par l'équipe médicale. Cette possibilité permettrait, en France, d'effectuer des prélèvements sur environ 800 personnes, ce qui représente 2 400 organes, dont presque 1 600 reins. Ceci serait de nature à diminuer le niveau de la pénurie. Mais ce type de prélèvement exige des précautions sur le plan technique comme sur le plan psychologique et pose des problèmes qu'il faut affronter avec beaucoup de doigté.
La définition des arrêts cardiaques chez les donneurs est issue d'une réunion des chirurgiens de l'Hôpital de Maastricht en 1995. Ils ont défini quatre catégories d'arrêt cardiaque, devenues classification internationale, dite de Maastricht. Trois de ces catégories - I, II et IV - se rapportent à des arrêts cardiaques non contrôlés survenant de façon inopinée chez quelqu'un déjà soumis à des soins et pour lequel l'arrêt cardiaque aboutit à la fin de la vie et, en ce cas, permet, si tout est prêt, de prélever quelques organes dans des conditions de grande rapidité.
La catégorie III de la classification internationale de Maastricht concerne des personnes arrivées au terme d'une maladie gravissime qui, étant en fin de vie, sont déjà entrées dans la phase d'agonie pour laquelle la législation actuelle préconise d'éviter l'acharnement thérapeutique, ainsi que le prévoit la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, dite loi Leonetti ; il faut, à un moment donné, se résigner à ne plus faire de gestes actifs qui perdent tout leur sens puisque la personne n'a plus aucun espoir de vie. La fin de vie intervient plus vite mais on limite les souffrances physiques ou psychiques des personnes concernées comme des familles et des proches. Au moment de décider l'arrêt des mesures actives, intensives, artificielles de soutien d'une vie qui, si elle n'est pas devenue végétative, est très faible et artificielle, faut-il autoriser des prélèvements d'organes après le débranchement de la personne et l'arrêt cardiaque ? Cela implique un encadrement parfait.
Nos collègues espagnols, anglais, néerlandais et américains ont fait part de leur expérience de prélèvement d'organes de catégorie III au cours de l'audition publique organisée par l'OPECST. Un grand nombre d'organes pouvait être recueilli dans ces pays en utilisant cette méthode, qui se heurte d'ailleurs beaucoup moins aux refus des familles car, devant un arrêt cardiaque, celles-ci autorisent plus aisément un prélèvement.
En revanche, les conditions techniques de réanimation supposent une multiplicité de moyens permettant d'effectuer des pronostics et des diagnostics exacts. Ces collègues ont rapportés des cas de pronostic négatif à court terme, où après l'arrêt de la respiration artificielle, des personnes ont pu vivre encore plusieurs semaines, voire quelques mois. L'arrêt cardiaque n'est pas survenu et donc le prélèvement n'a pas eu lieu. Il faut donc former les personnels, notamment aux pratiques de réanimation et à l'utilisation des produits autorisés. Il est vraiment indispensable que les sédations fassent l'objet d'une évaluation très particulière, et que les techniques permettant aux organes de demeurer acceptables pour la transplantation n'interfèrent pas avec la survie de la personne. Le prélèvement ne peut être effectué que par des équipes indépendantes de celles qui assurent l'accompagnement de la personne en train de mourir. Il faut éviter toute confusion entre le rôle des uns et des autres.
Nous formulons à cet égard une série de recommandations. Il convient d'utiliser toutes les innovations technologiques, au premier rang desquelles l'IRM, avant l'arrêt des traitements, afin d'obtenir un pronostic très rapide. Il s'agit aussi d'utiliser la circulation régionale normo-thermique, des machines d'évaluation des organes, des machines à perfusion pour le prélèvement d'organes sur donneur décédé après arrêt cardiaque, des techniques de perfusion hypothermique ou normo-thermique.
En outre, il faudrait encourager les recherches portant sur les marqueurs permettant d'évaluer les organes susceptibles d'être transplantés et de proposer une conduite à tenir sur la sédation du donneur. Les techniques actuelles exigent un certain délai : disposer de marqueurs fiables et d'une réponse rapide serait extrêmement précieux car il suffirait d'un prélèvement sur l'organe pour déterminer sa qualité. Actuellement, pour évaluer un organe, on peut certes le brancher sur une machine, mais cela allonge la période d'ischémie, période où il ne reçoit pas le sang oxygéné qui lui est bénéfique. La recherche, à cet égard, a déjà commencé, bien sûr, mais il importe de l'encourager.
Pour organiser et informer les équipes, il faut harmoniser les pratiques. Les personnels médicaux doivent pouvoir différencier l'arrêt des thérapeutiques devenues vaines, ayant pour seul effet de prolonger l'agonie, de la mise en place d'actions thérapeutiques nouvelles. Il faut donc définir, pour l'ensemble de l'équipe médicale, le rôle de chacune des thérapeutiques : ce qui est fait pour soulager le patient, ce qui est fait pour prélever des organes sans gêner les conditions de survie du patient, quel est le point de non-retour chez un donneur potentiel. Cela suppose de s'inspirer des expériences étrangères, de recueillir ces données et de former les personnes concernées.
Il ne sera pas possible, du jour au lendemain, de former des équipes dans toutes les villes de France où se trouvent des centres de prélèvements, il faudra privilégier un nombre restreint de grands centres urbains où s'effectuent les transplantations elles-mêmes avec des équipes multidisciplinaires qui développent cette expertise. Quand cette expertise aura ainsi été développée dans un certain nombre de grands centres, on pourra l'étendre aux autres territoires de notre pays. On peut imaginer qu'une commission pourvue d'une mission de contrôle puisse être chargée de cette évolution. Pour former et informer les personnels, il faut enseigner systématiquement la classification internationale de Maastricht, ces quatre catégories d'arrêt cardiaque.
Il faut organiser une conférence de consensus destinée à tous les professionnels de santé impliqués dans le prélèvement d'organes et veiller à l'existence d'un consensus, au sein des équipes médicales, créer des centres mettant en place des prélèvements d'organes de catégorie « Maastricht III » et sensibiliser tous les intervenants dès le début de la mise en place du programme. En outre, il convient d'améliorer les conditions de travail des équipes médicales en veillant à leurs conditions d'astreinte et de déplacement.
Il faut par ailleurs veiller à appliquer strictement les conditions dans lesquelles sont encadrées les décisions d'arrêt de traitements mises en place par la loi Léonetti du 22 avril 2005. Rien ne serait pire que de modifier, à des fins de transplantation, les conditions établies par la loi car on serait suspecté de vouloir encourager la transplantation au détriment de la survie de certains patients, ce qui n'est pas imaginable et doit être absolument interdit d'une façon nette, vigoureuse et enseigné à tous les personnels médicaux et paramédicaux.
S'agissant de l'accord de la famille et des proches du donneur, moins il y aura de refus des familles, plus la pénurie d'organes se réduira. Cependant, il convient de respecter les quelques personnes qui refusent le prélèvement d'organes pour des raisons variées, même si toutes les grandes religions monothéistes occidentales ont émis des avis favorables à la transplantation d'organes. Il reste que, chez certains bouddhistes ou dans certaines variétés de philosophies, des réticences à la transplantation existent. C'est le cas de très peu de courants philosophiques, mais il faut respecter cette possibilité. Il n'est pas question de contraindre quiconque.
Les familles s'opposent moins souvent à un prélèvement après arrêt cardiaque qu'à un prélèvement effectué avec un coeur encore battant avec une mort cérébrale. Il y a peu à craindre de refus pour la catégorie III ; pour autant, il faut que le dialogue avec la famille du défunt soit de bonne qualité. La difficulté ne porte pas sur le recueil du non-refus, mais sur l'explication de ce qu'il adviendra. Il faut expliquer aux proches que les mesures de réanimation artificielle seront arrêtées et que l'on ignore dans combien de temps l'arrêt cardiaque surviendra car telle est la réalité. On essaiera de mettre en oeuvre toutes les mesures permettant d'obtenir le pronostic le plus fiable possible mais aucun moyen ne peut apporter une estimation temporelle exacte. Il faut que la famille soit prévenue, car c'est une situation particulière que de devoir attendre quelques jours en sachant que la personne n'a plus d'espoir et ne bénéficie plus de thérapeutique à visée curative. Cela exige de la part des personnels du tact, de faire oeuvre de pédagogie, d'humanité, d'empathie. Ceci implique une formation des personnels amenés à rencontrer les familles de façon répétée, car tout échec dans ce dialogue induirait un nombre de refus secondaires important et serait exploité par certains pour remettre en cause toute la pratique des transplantations, comme cela a pu être observé dans le passé à quelques occasions.
Depuis que l'Agence de la biomédecine a été créée, ceci ne s'est plus reproduit grâce à un contrôle très rigoureux allant de la qualité du dialogue postérieur à la mort, à la restitution du corps effectuée d'une façon parfaite afin que le proche décédé soit présenté d'une manière digne. Pour éviter les refus illégitimes, il convient donc de favoriser l'accompagnement, l'écoute et le dialogue avec la famille et les proches du donneur dans le cadre d'un prélèvement d'organe de type « Maastricht III ».
Il convient d'informer le public qui, dans notre civilisation contemporaine, rechigne à penser à l'après mort. À la différence des hommes de l'antiquité qui se disaient « mortels », rappelant ainsi à chacun sa condition inéluctable, les contemporains ont plutôt tendance à se croire immortels et ne prennent pas le temps de formuler leurs volontés sur ce qu'il adviendra de leur corps, de leurs possessions, leurs obsèques, etc. Cela n'est pas préparé dans la plupart des cas et encore moins, évidemment, à propos de l'usage de leurs organes. Si, en majorité, on se dit être favorable, et même heureux, de pouvoir faire don de ses organes après sa mort, on ne l'indique pas clairement.
Or la question sera posée à la famille qui aura des doutes, car on est plus réticent pour le don des organes d'un proche que pour les siens. Ceci est particulièrement vrai pour le décès d'un enfant, quel que soit son âge, et on le comprend. Chacun d'entre nous a une certaine difficulté à intégrer l'idée suivante : « mon enfant est décédé et j'accepte qu'on lui prenne des organes ». Cette réticence est compréhensible car c'est un traumatisme majeur que de perdre un enfant et on a l'impression qu'un geste chirurgical est un deuxième traumatisme, alors même qu'en ayant posé la question au jeune décédé, il aurait répondu, dans 99,5 % des cas, de manière positive.
Il est difficile d'évoquer avec efficacité ces questions auprès de la population, on ne trouve ni écoute, ni réceptivité. Des expériences scientifiques ont démontré que les gens restent passifs devant leur télévision et qu'ils n'en parlent pas entre eux, après des émissions télévisées évoquant ces sujets. Il est traumatisant de débattre des prélèvements ; l'on se dit que le silence conjurera le mauvais sort. On se doit d'informer un public qui n'a pas très envie de l'être.
Sous l'empire de la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d'organes, dite loi Caillavet, il n'y avait pas de registre de refus, personne ne pouvait exprimer son refus et, donc, tout le monde était prélevé. Cela a pu heurter car le consentement sans information était toujours présumé alors que le consentement n'est pas valable en l'absence d'information préalable. C'est pourquoi les lois successives plus récentes, même si elles ont introduit des difficultés pour les transplanteurs et ont aggravé la pénurie d'organes, sont nécessaires car on ne peut opérer sans s'assurer que la personne a été informée.
Nous devrons informer sur la possibilité de prélever des organes de la classe III de Maastricht. On pourrait s'inspirer de l'Espagne, où le taux de prélèvement est important et où les réticences sont moindres. Le grand metteur en scène espagnol Pedro Almodóvar, dans le film Tout sur ma mère (1999), décrit les conditions dans lesquelles l'héroïne perd son jeune fils dans un accident, elle-même étant infirmière, et donne son accord pour un prélèvement dans une réaction naturelle. Il ne semble y avoir aucun obstacle, ni psychologique, ni d'aucune nature. Les Espagnols qui, il y quelques dizaines d'années, effectuaient peu de transplantations, en font aujourd'hui bien plus car ils ont mis en place un système très efficient, objet d'une grande acceptation sociale.
Ceci montre l'intérêt de l'adhésion populaire à ce type de prélèvement, adhésion qui passe d'ailleurs par l'information complète de la totalité des professionnels de santé. Pour y parvenir, il faudrait organiser en France une conférence nationale et médiatisée, avec la participation des professionnels de santé, comme l'a fait l'Espagne, afin de relayer ces informations au sein de la population. Cette conférence serait d'autant plus utile qu'il faut absolument éviter toute confusion entre ce débat et celui concernant la fin de vie. En effet, il serait très néfaste que l'on associe les décisions concernant la fin de vie et le prélèvement d'organes puisque, par définition, on veut, au contraire, que ce soit complétement dissocié. On n'impose pas des conditions de fin de vie dans le but de prélever des organes, ce serait extrêmement choquant. Je considère qu'il faut envisager cette conférence, quand il n'y aura plus de débat sur les modalités de la fin de vie. La création d'un observatoire chargé d'évaluer ces données et de remettre ces conclusions devrait permettre d'établir la confiance du public.
Nous pouvons avancer avec optimisme puisque plusieurs pays voisins ont déjà ouvert la voie et qu'il n'y a pas de raison que les Français ne soient pas aussi confiants dans cette nouvelle modalité de prélèvement, bien nécessaire à tous les malades en attente de transplantation.
M. Jean-Yves Le Déaut - Je félicite nos collègues pour cette excellente communication qui honore l'Office parlementaire. Je donne la parole à ceux qui souhaitent poser des questions.
M. Gérard Bapt, député - Ce rapport est en effet très complet et appelle sans doute d'autres développements pour sensibiliser certains services d'urgence et de réanimation, peut-être par des courriers de l'OPECST rappelant les besoins en matière d'organes, les coûts humains et financiers impliqués.
Par ailleurs, je vous fais passer un document que je viens de recevoir et qui est une proposition de promotion d'un spectacle théâtral visant à encourager le don d'organes, parrainé par le Pr Christian Cabrol. Cela peut aussi être une suite efficace de sensibilisation par des moyens culturels qui, s'ils sont bien préparés, dans un cadre éducatif par exemple, peuvent contribuer à favoriser l'information pour obtenir le consentement éclairé des citoyens.
M. Jean-Louis Touraine : Tous les moyens de sensibilisation sont bons en effet. Je vois que Mme Yvanie Caillé, qui dirige une association de prélèvement de rein et d'insuffisance rénale, participe à cette initiative avec le Pr Cabrol et que SAS le Prince de Monaco et son épouse y sont espérés. Des relais dans le public sont toujours utiles pour évoquer les nécessités de prélèvement. Il y a quelques années, un acteur célèbre qui avait donné un rein à sa soeur avait contribué à médiatiser efficacement le don au sein des familles, les gens s'identifiant plus facilement aux malades ou aux familles du donneur qu'aux médecins.
Quant aux lettres que l'OPECST pourrait envoyer, il me semble que, dans un premier temps, la conférence que nous proposons dans les recommandations serait plus importante, car au début de l'audition publique, certains réanimateurs ont exprimé des réticences à utiliser le prélèvement de catégorie III, parce que cela change leurs pratiques. On doit faire preuve d'une certaine diplomatie et on a pu observer d'ailleurs une évolution de leur position au cours de la réunion. La conférence me semble un moyen plus efficace que des courriers qu'ils risquent de mettre de côté. Elle les fait participer directement au débat, ils peuvent ainsi donner directement leur avis et on peut leur apporter des réponses.
M. Laurent Kalinowski, député - Je vous remercie de cette présentation synthétique et très complète, d'avoir attiré l'attention sur l'importance du don d'organes, par rapport à ce qu'on entend au plan mondial dans un cadre international sur les trafics d'organes. Il convient certes de ne pas faire une confusion avec les débats sur la fin de vie, mais il est encore plus essentiel en termes de formation, d'information des équipes médicales, notamment au niveau régional, de faire en sorte que ces équipes progressent pour mieux communiquer sur l'importance de ce geste et puissent rassurer les familles. Une conférence, mais aussi une préparation progressive à cette conférence est indispensable par rapport au « savoir-être » en face des familles et au comportement des équipes médicales.
M. Jean-Louis Touraine - Il ne faut pas omettre en effet la grave question du trafic d'organes. Il n'y a pas en France de trafic d'organes, mais certains malades, hémodialysés par exemple, vont acheter des organes à l'étranger, bien que cela soit interdit ; et on ne peut refuser de les soigner ensuite en France. La pénurie engendre le marché noir et la recherche de solutions alternatives, même illicites. Des pays comme Israël où la pénurie est grande laissent acheter des organes à l'étranger, le Japon aussi car il n'y a pas là-bas de possibilité de prélèvement post mortem. Notre pays n'est pas à l'abri et on ne peut exclure que des personnes ayant trop attendu y aient recours, même à des conditions que la moralité réprouve. L'attente devient insupportable. J'ai personnellement connu au moins un exemple de malade qui, après avoir attendu de nombreuses années, est revenu chez nous avec une greffe de rein réalisée de façon assez médiocre à l'étranger ; il a fallu ensuite le prendre en charge et la greffe a finalement pu être efficace. Cela doit d'autant plus nous inciter à réduire notre pénurie dans des conditions de consensus, de dialogue impliquant la totalité des professionnels et des familles et surtout de transparence totale, sinon, cela se retournerait contre l'avenir de cette pratique.
M. Jean-Yves Le Déaut - L'extension du prélèvement de catégorie Maastricht III est une solution, même si elle n'apportera pas autant de possibilités que le prélèvement après mort cérébrale. Il faudrait peut-être attendre que le débat sur la fin de vie soit terminé avant de lancer ce nouveau sujet. Je voudrais poser deux autres questions. Connaît-on les différences de taux de prélèvement en fonction des différents centres médicaux ? Par ailleurs, on a refusé en France d'établir un régime positif de carte de donneur, mais le système du registre des refus que l'on a préféré est-il bon, dans la mesure où on demande toujours aussi l'avis de la famille si la personne n'a rien dit ? Ne pourrait-on pas modifier ce dogme, organiser un moment de la vie où l'on poserait la question de l'acceptation, du refus, ou du choix par la famille, soit lors d'une journée nationale du don d'organe, lors d'un passage à l'hôpital par exemple, soit lors de l'établissement de la carte vitale ? Ne peut-on envisager de revenir sur le système du registre des refus, qui est un vrai système de refus ?
M. Jean-Louis Touraine - Sur la première question, il existe en effet des différences de performances d'un centre à l'autre, mais elles se sont amoindries grâce au travail formidable de l'Agence de la biomédecine, que je salue encore. Auparavant, il existait des différences considérables d'un centre à l'autre et, au surplus, il n'existait pas de centre partout et, donc, pas de demande. La formation de tous les personnels effectuée régulièrement par l'ABM a largement contribué à gommer les différences et c'est elle qui pourrait fournir toutes les statistiques sur les taux de prélèvement des différents centres médicaux. Certains centres restent néanmoins plus performants que d'autres.
La seconde question est très importante. Si l'on fait des comparaisons européennes, on constate que tous les pays où le consentement est présumé, comme en France, ont un meilleur taux de prélèvements que ceux qui obligent à une autorisation explicite. Mais il est vrai que la situation française où l'on ajoute la consultation de la famille nous classe un peu entre les deux catégories de pays. L'Espagne est le pays qui a les meilleures performances, car elle a mis en place un système de consentement présumé, ne demande pas l'avis de la famille et les personnels concernés sont payés à l'acte. C'est une incitation qui n'est bien sûr pas exactement conforme à notre éthique. Il faudrait trouver une meilleure solution. La difficulté est que la majorité des personnes ne souhaite pas se prononcer à l'avance sur la possibilité de prélèvement de ses propres organes.
M. Jean-Yves Le Déaut - Si on disait, au moment de l'établissement de la carte vitale, que le consentement est présumé sauf refus de l'intéressé ?
M. Jean-Louis Touraine - En effet, au moment de la discussion du projet de loi de bioéthique, j'avais proposé que le ministre de la Santé ou une autre autorité envoie un courrier à chaque Français de plus de 18 ans l'informant sur la possibilité de prélèvement de ses organes post mortem, sur l'existence d'un registre des refus accessible par informatique ou à son commissariat, par exemple, et en donnant un délai au bout duquel le consentement serait automatiquement présumé en cas de non-réponse. On m'a opposé l'article 40 de la Constitution, car l'envoi de la lettre constituait une dépense. Mais cela aurait beaucoup augmenté les possibilités de prélèvement.
M. Jean-Yves Le Déaut - On pourrait le proposer au moment de l'établissement de la carte vitale par exemple, mais sans doute est-ce un peu trop tôt, car elle est délivrée à 16 ans. Il faudrait donc trouver l'occasion d'un autre acte de la vie pour le proposer.
M. Jean-Louis Touraine - Lors de la journée d'appel, pourquoi pas ? Il faut poursuivre cette idée.