- Mercredi 5 juin 2013
- Table ronde avec représentants des syndicats de salariés de l'agro-alimentaire
- Audition de MM. Jean-Louis Hurel, président et Léonidas Kalogéropoulos, conseiller du syndicat des industries françaises des coproduits (SIFCO)
- Audition d'Alain Berger, délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie (DIIAA)
Mercredi 5 juin 2013
- Présidence de Mme Bernadette Bourzai, présidente. -Table ronde avec représentants des syndicats de salariés de l'agro-alimentaire
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je vous souhaite la bienvenue. Notre mission d'information qui a d'ores et déjà effectué une cinquantaine d'auditions, a été créée à la suite de l'affaire Spanghero dont nous déplorons les conséquences sur le sort de l'entreprise ainsi que celui des salariés.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Nous attendons beaucoup de votre audition. Je souligne particulièrement notre souhait de prendre l'exacte mesure des menaces sur l'emploi dans votre secteur d'activité. Pouvez-vous, par ailleurs nous livrer votre analyse des mécanismes de « dumping social » mis en place chez nos voisins européens, en particulier en Allemagne. Pensez-vous enfin que des formations spécifiques plus nombreuses devraient être mises en place, en particulier dans l'abattage et la boucherie, pour améliorer l'attractivité des emplois.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Plusieurs entreprises du secteur de la transformation de la viande connaissent des difficultés économiques importantes (Gad, Doux, Spanghero). Disposez-vous d'un panorama global des risques qui pèsent sur l'emploi dans le secteur de la transformation de viande ?
M. Patrick Massard, secrétaire général FGA-CFDT. - Il est difficile de dresser un bilan global mais nous avons une bonne connaissance de certains dossiers particuliers. 240 emplois sont directement menacés chez Spanghero et on ne sait pas à l'heure actuelle si des offres de reprise vont se manifester.
En ce qui concerne le groupe Doux, le tribunal de commerce ne s'est pas définitivement prononcé mais on semble s'acheminer vers une reprise, ce qui, à notre sens, ne résoudra pas tous les problèmes. Ce groupe ferme, en moyenne, un abattoir par an depuis une quinzaine d'années. Au cours de cette période, notre syndicat s'est évertué à demander aux dirigeants d'anticiper la baisse - programmée depuis 1994 - des restitutions aux exportations versées par l'Union européenne, mais rien n'a été fait. Le choix stratégique de ce groupe se dégage très clairement : il consiste à maintenir sa présence à l'exportation tant que les restitutions perdurent, or ces dernières ont chuté de 50 % ces cinq dernières années et on s'oriente vers leur extinction. 1 500 à 2 000 emplois directs disparaîtront alors, en même temps que les restitutions. Nous attirons l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de réorienter cet outil de travail à l'horizon de cinq à dix ans.
S'agissant de l'abattoir porcin de Gad SAS GAL, on se dirige vraisemblablement non pas vers une reprise mais plutôt vers un plan de continuation qui comportera d'importantes mesures de restructuration et la fermeture d'au moins un abattoir. Entre 1 400 et 1 800 salariés sont ici concernés.
En dehors des dossiers qui sont sous le feu de l'actualité, beaucoup de petites entreprises souffrent. Au moins trois grandes tendances suscitent des inquiétudes. Tout d'abord, dans la filière bovine, la raréfaction du bétail vif a pour conséquences à la fois la hausse des prix et la baisse de la consommation : ce phénomène pourrait, à terme, menacer les emplois existants. Ensuite, dans la viande porcine, on constate que les distorsions de concurrence jusqu'alors imputables aux pays tiers sont aujourd'hui également intra-européennes. Les surcapacités sont importantes dans les abattoirs le porc, ce qui pourrait se traduire, ici encore par des restructurations et des pertes d'emplois. Le plan stratégique de filière qui a été présenté par le Gouvernement au mois d'avril dernier a cependant le mérite d'actionner les deux leviers que sont, d'une part, la relance de la production de porcs pour atteindre un objectif chiffré à 25 millions et, d'autre part, la revalorisation des produits français, à travers le logo Viande de porc française (VPF). Nous espérons que ce redressement pourra intervenir rapidement, avant que des restructurations soient annoncées car les mesures de soutien arrivent souvent trop tard.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vous soulignez la nécessité de revaloriser les produits français et il est important, pour nos travaux, que vous puissiez préciser les modalités de cette revalorisation.
M. Patrick Massard. - Cela passe par la labellisation des productions porcines ou un étiquetage VPF alors même que le porc reste aujourd'hui un produit de moyenne gamme avec peu de labels rouges. Nous avons d'ailleurs suggéré d'introduire des critères sociaux dans les cahiers des charges de la labellisation. Au niveau européen, on évoque souvent le bien être animal. Il nous parait nécessaire de penser à celui des salariés, en se souvenant que ces derniers contractent des maladies professionnelles. Il a été répondu favorablement à notre demande mais la réflexion ne semble pas aboutie à ce sujet.
En ce qui concerne la filière avicole, la principale inquiétude concerne le taux d'importation qui a très fortement augmenté ces dernières années pour atteindre 44 %. Par ailleurs, la filière dinde connait de très graves difficultés : dans les années 2000, la France était en tête de l'Europe dans ce secteur, puis nos voisins allemands ont fortement développé leur production et nous en subissons, de plein fouet, les conséquences. J'ajoute que, paradoxalement, alors que la demande européenne et mondiale est en expansion dans la filière avicole, la France ne parvient pas à en tirer parti.
M. Joseph d'Angelo, secrétaire général de la FNAF-CGT. - En préambule, je rappellerai que la filière viande a connu beaucoup trop de scandales au cours des dernières années. L'affaire de la viande de cheval, qui n'est qu'un exemple parmi d'autres, va malheureusement pénaliser non seulement Spanghero mais aussi de nombreuses entreprises, en portant le coup de grâce à celles qui étaient déjà fragilisées.
En ce qui concerne le groupe Doux, nous avons demandé au Gouvernement de prendre des mesures énergiques qui pourraient aller jusqu'à la mise sous tutelle. Les difficultés sont également nombreuses dans les entreprises du secteur de la transformation. Dans tous les cas, ce sont les salariés qui subissent les principales conséquences des stratégies patronales défaillantes. Nous souhaitons que soient accordées aux salariés les protections dont ils manquent aujourd'hui ainsi que les moyens d'agir, par la voie de leurs institutions représentatives, sur le plan sanitaire et de la qualité de l'alimentation. Nous demandons, en particulier, l'élargissement des droits des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
S'agissant du coût du travail, il faut apporter plusieurs précisions. Certes, ils sont moins élevés en Allemagne qu'en France, mais ceux de la Belgique sont supérieurs aux nôtres et ce pays parvient pourtant à exporter ses produits en volaille en France. Je rappelle que la main d'oeuvre ne représente que de 20 à 25 % du total des coûts de l'industrie agro-alimentaire. La robotisation, moins développée en France qu'en Allemagne, est un facteur important de diminution de ces coûts industriels : le patronat et l'Etat doivent prendre en considération ce constat. Dans le même sens, nous estimons nécessaire la modernisation de la filière porcine, tout en rappelant que les gains de productivités doivent, au moins partiellement, être redistribués aux salariés et ne pas s'accompagner de pertes d'emplois.
Nous dénonçons enfin l'insuffisance des auto-contrôles qui s'explique par des considérations de rentabilité et amène les catastrophes que nous connaissons : il faut donc accroitre les moyens des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et des autres acteurs des contrôles publics externes.
M. Michel Kerling, secrétaire fédéral chargé du secteur « viande de boucherie », FGTA-FO. - Nous ne disposons pas non plus d'un panorama économique complet au niveau national mais le secteur de la viande souffre de manière évidente. Le secteur porcin est le plus fragile et il est en surcapacité depuis une dizaine d'années. Il n'a pourtant pas été redimensionné, comme nous l'avions suggéré, en particulier dans le domaine de la première transformation qui enregistre constamment des pertes. Plus généralement, le secteur agroalimentaire a pour caractéristique de subir les crises avec un décalage temporel et on peut s'attendre à des plans drastiques de réduction des effectifs dans les prochains mois.
La fermeture de deux sites de GAD ayant été évoquée, le Gouvernement nous a indiqué que des propositions de reclassement seront faites aux salariés sur l'un des deux sites et que la production porcine devrait se redresser. Mais nous pensons, pour notre part, que cette vision est trop optimiste et constatons que certains producteurs vont désormais livrer leur viande à d'autres acteurs de la filière : il faut donc s'attendre à des pertes d'emploi importantes. Le secteur porcin a été marqué depuis trois années par une forte volatilité des prix des matières premières. Nous avons souligné à plusieurs reprises l'écart qui se creuse entre les productions végétales et animales. La baisse de production d'animaux de boucherie est régulière et certaines entreprises ont du mal à s'approvisionner.
En ce qui concerne les solutions, l'étiquetage de l'origine française des viandes constitue, à notre avis, un bon moyen de valoriser les productions nationales mais je rappelle qu'un grand acteur de la viande porcine a refusé de communiquer sur ce point, sans doute parce qu'il s'approvisionne avec de la viande de provenance étrangère.
Au-delà du scandale de la viande de cheval, la crise est aujourd'hui avant tout économique et il faudrait que les divers maillons de la filière - la production, la transformation, et la grande distribution - s'organisent, sinon pour mutualiser les bénéfices et les pertes, du moins pour mieux se comprendre. Au moment de la crise de la vache folle, la filière a démontré sa capacité à surmonter les difficultés de façon coordonnée. Il faudrait s'inspirer de cet exemple.
Nous n'avons jamais été opposés au principe de la contractualisation, bien au contraire, mais le contexte de financiarisation et de libéralisme qui prévaut dans le domaine alimentaire n'y est pas favorable. Certaines avancées nous paraissent souhaitables mais les industriels indiquent qu'ils ne peuvent répercuter, auprès de la grande distribution alimentaire, que la moitié des hausses de prix qu'ils subissent, ce qui constitue une difficulté majeure.
S'agissant, enfin, du problème du dumping social, le fait que les directives laissent place une certaine marge d'interprétation ne facilite pas les choses : l'instauration d'un salaire minimum de branche en Allemagne nous parait peut-être une solution aux Etats membres de l'Union européenne envisageable pour remédier aux distorsions de concurrence actuelles.
M. Didier Pieux, secrétaire fédéral chargé de l'industrie avicole et charcutière, FGTA-FO. - L'industrie agricole ne prend aujourd'hui pas assez en considération la nécessité de renforcer les politiques sociales, et en particulier la formation. Il conviendrait de mettre en place un Organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de branche pour financer des stages et nous y travaillons depuis plusieurs années. La grande majorité des salariés de notre secteur sont recrutés au bas de la grille salariale et ils ne bénéficient presque jamais de possibilités de formation au cours de leur vie professionnelle : pourtant, au moment des restructurations, ce sont les emplois de ces salariés les plus fragiles qui sont le plus souvent supprimés.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les industriels sont pourtant tenus d'organiser des formations pour le personnel en charge de l'abattage, comme l'ont confirmé plusieurs auditions : quel est leur nature précise ?
M. Didier Pieux. - Les formations obligatoires concernent l'hygiène et la sécurité : ce ne sont pas, pour la plupart, des formations qualifiantes qui améliorent les perspectives de carrière des salariés.
M. Philippe Soulard, délégué CFTC. - Je partage ce qui vient d'être dit sur la formation. Nos délégués de sites constatent que les stages se limitent par exemple aux « gestes et postures » ou au maniement du couteau, si bien qu'on pourrait se demander si les entreprises ne tentent pas simplement de récupérer les fonds de la formation professionnelle sans pour autant délivrer des formations qualifiantes et alors même que l'obtention de certains certificats de qualification professionnelle harmonisés (CQP) faciliterait la réembauche de leurs titulaires dans d'autres branches d'activité, comme par exemple les transports, en cas de suppression de poste.
La presse régionale a tout récemment évoqué la fermeture de plusieurs sites en Bretagne. Le nombre important de restructurations en cours empêche les salariés licenciés de retrouver un emploi dans une implantation voisine, contrairement à ce qu'on leur laisse parfois envisager. S'agissant de l'affaire Spanghero, je souligne à mon tour que les salariés en seront les premières victimes. J'ajoute que nous doutons de l'efficacité des autorités de contrôle ainsi que des services vétérinaires, dotés de moyens insuffisants. Nous estimons que les gains qui ont pu être retirés de telles tromperies devraient être redistribués aux salariés qui ont perdu leur emploi.
M. Gautier Bodivit, délégué CFE-CGC Agro. - Je représente, pour ma part, les personnels d'encadrement dans l'ensemble des maillons de la filière. Tout d'abord, il ne faut pas tenter de masquer les graves difficultés des groupes industriels de l'agroalimentaire en matière de coût du travail. On vient d'évoquer les distorsions de concurrence dans les abattoirs, mais en Allemagne, les charges patronales sont deux fois moins importantes qu'en France. En Roumanie, que nous venons de visiter, c'est également le cas et un consensus existe, entre les partenaires sociaux de ce pays, pour réduire les charges pesant sur le travail. Pour cette raison, nous nous sommes prononcés en faveur d'une hausse du taux de TVA sur les produits agro-alimentaires compensant la baisse des charges sociales, le but étant de permettre aux entreprises de moderniser leur outil de travail.
En ce qui concerne le dialogue social, nous soulignons la nécessité d'une responsabilisation des organisations d'employeurs et de salariés, sans quoi on ne parviendra pas à surmonter les blocages, comme en témoigne l'échec de la dernière négociation salariale dans la filière volaille.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Serait-il envisageable que les employés d'une entreprise constatant une manipulation par leurs dirigeants bénéficient d'un droit d'alerte et qu'ils puissent être protégés ?
M. Frédéric Malterre, secrétaire national chargé des questions économiques, FGA-CFDT. - Nous soulevons depuis longtemps la question du droit d'alerte. Une avancée réelle a été introduite par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte, mais ce texte d'initiative parlementaire ne semble pas prévoir le cas des fraudes. Nous préconisons, pour notre part, une triple procédure : à l'alerte interne de la hiérarchie du salarié et à celle des institutions représentatives, toutes deux prévues par le droit en vigueur, il est souhaitable d'ajouter la possibilité d'un contact direct du salarié avec les organismes externes de contrôle. Il faut, en effet, tenir compte de la nécessaire protection des lanceurs d'alerte qui, en pratique, risquent d'être rapidement exclus de l'entreprise s'ils déclenchent des procédures internes.
M. Philippe Soulard. - En matière d'alerte, nous nous interrogeons également sur l'application du droit de retrait du salarié qui ne peut être, en principe, invoqué que si c'est le salarié lui-même qui est en situation de danger et non pas pour protéger la santé des autres. Je souligne également que la protection du salarié qui dénonce des dysfonctionnements est essentielle car nous constatons des cas concrets de licenciement.
M. Joseph d'Angelo. - Le droit de retrait est effectivement encadré par des conditions trop restrictives ; pourtant, je témoigne que les salariés qui sont obligés, contre leur gré, de participer à des processus de production répréhensibles en souffrent. J'ajoute qu'il est également fondamental de protéger les représentants syndicaux.
M. Michel Kerling. - Dans les cas de fraudes, comme dans l'affaire Spanghero, le droit en vigueur semble perfectible. L'article L. 4133-1 du code du travail, introduit par la nouvelle loi du 17 avril 2013, prévoit, en effet, que le travailleur alerte immédiatement l'employeur s'il estime que la production de son entreprise fait peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement. Outre la reconnaissance du droit de retrait du salarié dans un tel cas, il faudrait, d'une part, compléter le texte en introduisant la notion de fraude et, d'autre part, prévoir que l'alerte puisse être lancée auprès des services publics concernés.
M. Gautier Bodivit. - Il convient à notre avis de réaménager et de simplifier les classifications des emplois de la filière agro-alimentaire. Je fais observer par exemple que la convention applicable à la filière volaille comporte à elle seule 32 coefficients différents avec 3 euros brut d'écart de rémunération dans les onze premiers niveaux. Une telle complexité est-elle vraiment nécessaire ? De plus, la part de l'encadrement est insuffisante dans ces classifications, ce qui s'accompagne nécessairement d'une insuffisante attention portée à la stratégie de long terme et à l'innovation, essentielle pour améliorer la valeur ajoutée.
Le développement du logo « viande française » avec des critères simples et précis pour le consommateur nous parait souhaitable, ce qui inclut, par construction, le respect des critères sociaux prévus par notre réglementation nationale.
Mme Vanessa Perottin, secrétaire fédérale chargée des branches viande et volaille de la FGA-CFDT. - Je souhaiterais tout d'abord vous rappeler la distinction au sein de la filière viande, entre les première, deuxième et troisième transformations - l'abattage et la découpe - et la quatrième transformation - c'est-à-dire la préparation de produits élaborés -, qui dispose de sa propre convention collective.
Je souhaiterais revenir sur les difficultés de l'entreprise Elivia, filiale viande du groupe Terrena. A l'époque où le groupe Bigard a voulu racheter Socopa, peu après avoir acheté Charal, un énorme groupe, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est intervenue en expliquant que Bigard devenait trop important : elle a donné comme consigne à ce groupe de céder un certain nombre de sites de production. La coopérative Terrena a récupéré certains sites dans l'est de la France. Depuis que le protocole de cession est arrivé à son terme en juin 2013, les relations commerciales entre les deux groupes ont cessé et l'entreprise Elivia doit désormais se débrouiller seule alors qu'elle n'a pas conçu de véritable stratégie commerciale au moment du transfert de site. Je regrette que lors de son intervention, la DGCCRF n'ait pas poussée sa réflexion au-delà du protocole de cession entre Bigard et Elivia. Dès avant la fin du protocole, tout le monde savait qu'Elivia connaîtraient des difficultés : elles étaient largement prévisibles.
M. Michel Kerling. - En ce qui concerne les prérequis pour travailler dans le secteur de la viande de boucherie et la politique de formation, le profil des salariés a complètement changé depuis 30 ans avec l'industrialisation des outils. Autrefois, les salariés devaient posséder un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de boucherie. Aujourd'hui, la politique de formation, qui a été mise en place un peu tardivement mais qui donne satisfaction aux entreprises - un peu moins aux salariés, en raison de la faible rémunération de ces qualifications - est celle du certificat de qualification professionnelle (CQP). Aucun prérequis n'est nécessaire, nous embauchons des salariés sans qualification et qui proviennent d'horizons divers. Avec cette politique du CQP, nous pouvons valoriser les métiers propres à la viande de boucherie mais aussi créer des CQP transversaux qui permettent aux salariés de pouvoir changer d'activité au sein du secteur agroalimentaire de manière plus facile. Il convient toutefois de veiller à ce que les entreprises ne cherchent pas seulement à récupérer ce qu'elles ont été versé pour la formation professionnelle, notamment par des allègements de charges sociales, sans réel projet. La qualification des salariés ne doit pas être galvaudée, même en période de crise économique.
M. Joseph d'Angelo. - Je voudrais faire deux remarques. La première concerne l'emploi, et en particulier l'emploi au sein du groupe volailler Doux. Sur 800 suppressions d'emplois dans le pôle frais, 176 salariés ont trouvé une solution d'emploi ou de formation, mais seulement 18 en contrat à durée indéterminée (CDI). Second point, concernant la question du coût du travail : nous avons cherché dans le cas de l'entreprise Phénor, qui connaissait des difficultés, la part qui était due au coût du travail et la part due à la mauvaise gestion de l'entreprise. Qu'avons-nous constaté ? L'entreprise n'était pas compétitive car l'employeur n'avait pas fait les investissements nécessaires pour se mettre au niveau de la concurrence et rester à la pointe de la technologie. Le problème est toujours lié à un manque d'investissement, jamais au coût de la main d'oeuvre.
M. Patrick Massard. - Sur le droit d'alerte, ce qui nous inquiète, c'est la privatisation des contrôles de premier niveau dans les abattoirs, qui peut conduire à multiplier des cas de fraude analogues à celui de Spanghero. Concernant la formation professionnelle, il a été constaté, dans le cadre du comité stratégique de filière, que 15 % des salariés de l'agroalimentaire ne possèdent pas les savoirs fondamentaux alors que la moyenne nationale est de 9 %. Une bonne partie de ces salariés relèvent des filières viande et volaille.
Sur la formation professionnelle, nous distinguons les filières viande et volaille car il s'agit de deux conventions collectives distinctes. L'approche patronale est différente. Sur les CQP transversaux, la filière viande est signataire des accords alors que la filière volaille, depuis 1995, ne dispose d'aucune politique de formation professionnelle de branche malgré les demandes des représentants des salariés. Pourtant, les salariés de cette branche ont un besoin criant de qualifications, comme on peut le constater avec les salariés de Doux dont beaucoup ont pour toute qualification les années passées au sein de cette entreprise. Mais il faut savoir que les directions des ressources humaines des entreprises estiment que si les salariés acquièrent des qualifications, ils partiront immédiatement en raison du manque d'attractivité du métier et des difficultés de fidélisation.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Pourriez-vous développer davantage ce point ? Que voulez-vous dire lorsque vous expliquez que, si l'on qualifie les gens, ils partiront ?
M. Patrick Massard. - Le turn-over dans la filière viande est aujourd'hui de 1,8 %. Avec la crise économique actuelle, les salariés peuvent difficilement partir. Mais je me souviens de 2001 où il y avait eu une bouffée d'oxygène sur l'emploi : la filière volaille n'arrivait plus à recruter au point qu'une agence de recrutement du Morbihan offrait un téléphone portable à tout salarié qui parrainait un nouvel arrivant dans l'entreprise de production de volaille du secteur ! Quand une entreprise de volaille ferme et qu'on propose un emploi dans le même groupe à 10 km, les salariés ne veulent pas y aller car les conditions de travail sont trop difficiles. Dans les abattoirs de volaille, 80 % des gens sont payés au SMIC ou à un niveau proche du SMIC. Il existe donc un vrai problème d'attractivité, de fidélisation et d'image du secteur de la viande.
Mme Vanessa Perottin. - Je voudrais revenir sur les propos de M. Massard concernant l'absence depuis 1995 de politique de formation dans la filière volaille. Nous nous trouvons confrontés au manque de bonne volonté du collège des employeurs qui se retrouve également sur le volet de la protection sociale. Quel que soit le domaine, les employeurs refusent de mettre en place un système mutualisé au niveau de la branche. D'où une prise en charge dans les entreprises, qu'il s'agisse de la prévoyance ou de la formation.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quels motifs invoquent les employeurs ?
Mme Vanessa Perottin. - Ils ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la politique à mener au niveau national et n'arrivent pas à s'entendre pour mutualiser des moyens, pour les verser au pot commun afin de développer une véritable formation professionnelle.
M. Patrick Massard. - Cette façon de procéder se retrouve dans la façon dont ils gèrent leurs entreprises. J'ai vécu la fin de l'entreprise Bourgoin : tout le monde se regardait dans le blanc des yeux pour savoir qui allait mourir en premier et qui allait ramasser les morceaux ! Ils sont engagés dans une politique du moins-disant sur les prix qui nous mène à la catastrophe. Je me souviens de cuisses de poulet vendues sur le marché à 6 francs le kg car le concurrent les vendait à 6,50 francs ! Bien sûr il ne doit pas y avoir d'entente sur les prix, mais ils se concurrencent à tous les niveaux alors que la convention collective doit définir des minima au profit des salariés.
M. Jean-Jacques Lasserre, sénateur. - J'aimerais être éclairé sur la question de l'expression des salariés au sein de l'entreprise. Avez-vous des propositions à nous faire pour améliorer l'expression des salariés, qu'il s'agisse d'entreprises familiales ou de sociétés, ou bien encore de coopératives ?
M. Philippe Soulard. - Je pense que cette expression des salariés va être difficile à mettre en place. Les entreprises ne veulent pas révéler leur business plan à moyen terme, car c'est lui qui doit leur permettre de gagner de l'argent, si bien que les salariés n'ont pas d'informations sur la stratégie de l'entreprise en matière de développement de l'activité et des emplois. Peut-être faudrait-il améliorer la communication entre les dirigeants et les salariés, ce que nous préconisons depuis très longtemps.
M. Jean-Jacques Lasserre, sénateur. - Y a-t-il un souhait des centrales syndicales de parvenir à une meilleure communication ?
M. Michel Kerling. - Il est toujours difficile de faire monter les salariés à bord quand le bateau est en perdition. En outre, les institutions représentatives du personnel existent et les employeurs peuvent s'adresser à elles. Si leur mise en place est difficile dans les petites entreprises, dans les entreprises de plus grande taille, elles existent depuis plusieurs années et des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), qui permettent de prévoir la stratégie de l'entreprise à horizon 3 - 4 ans et de former les salariés en cas de baisse d'activité ont été mis en place. Les délégués syndicaux nous expliquent cependant qu'ils ont beaucoup de mal à faire appliquer ces accords dans les entreprises.
M. Patrick Massard. - Plusieurs de nos syndicats ont signé l'accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi qui prévoit la présence de salariés dans les conseils d'administration des grandes entreprises. Nous espérons que cela permettra aux salariés d'exprimer leur point de vue sur la stratégie de l'entreprise. Une base de données unique va être mise en place qui devrait permettre de disposer de toutes les informations pour comprendre la stratégie de l'entreprise.
Sur le dialogue social, deux niveaux doivent être distingués, celui de la branche et celui de l'entreprise. Au niveau de la branche, le dialogue social n'existe pratiquement pas dans le secteur de la volaille. C'est le ministère qui arbitre car le recours à un tiers était devenu indispensable. Le patronat veut nous en faire sortir mais nous ne voyons pas comment nous pourrons avancer même si ces dernières années ont été signées quelques accords relatifs aux salaires. Dans la branche viande, le dialogue social existe même si ce n'est pas la panacée. Au niveau de l'entreprise, il faut regarder au cas par cas. Chez Doux, le dialogue social s'est un peu amélioré. Il ne fonctionne pas trop mal non plus chez LDC. Mais en ce qui concerne les qualifications et la formation professionnelle, leurs salariés n'ont pas accès aux CQP en raison du refus du patronat d'y adhérer au niveau national. Dans le cadre du plan stratégique pour la filière volaille, le ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll a demandé à la Fédération des industries avicoles (FIA) de signer au plus vite l'accord sur les CQP transversaux. La FIA a reconnu qu'elle n'était pas allée assez loin dans la formation professionnelle et qu'elle allait étudier cette question de très près.
M. Gautier Bodivit. - Nous sommes dans un contexte tendu et les cadres constatent un manque de communication entre les ouvriers et les directions des entreprises. La part de l'encadrement est très faible voire inexistante dans certains grands groupes, ce qui crée des crispations. Je constate que lorsqu'ils sont présents, les cadres et les agents de maîtrise servent d'intermédiaires entre les directions et les ouvriers pour apaiser le dialogue social.
M. Joseph d'Angelo. - Mon propos sera succinct : les salariés subissent les stratégies patronales et personne ne leur demande leur avis à leur sujet. Dire le contraire revient à se raconter des histoires. Nous avons beau faire partie d'un conseil d'administration, nous n'avons pas d'influence sur les stratégies des entreprises, et ce n'est pourtant pas faute d'idées.
M. Michel Kerling. - Le nombre des abattoirs en France est passé en quelques années d'un peu moins de 400 à un peu moins de 300 et il est difficile de poursuivre une activité en l'absence d'adossement à un groupe industriel. Lorsque les médias montrent des abattoirs qui ne répondent plus aux normes sanitaires, une très mauvaise image est donnée au consommateur, et nous ne pouvons pas non plus cautionner de tels outils. On s'aperçoit qu'il y a une érosion lente mais continue des effectifs chez le plus gros industriel du secteur, le groupe Bigard, d'environ 1 à 1,5 % avec des départs non remplacés. Le salaire brut moyen de base pour les ouvriers de l'industrie agroalimentaire va de 8 % seulement au-dessus du SMIC à 1 545 €. Les salariés acceptent de plus en plus mal aujourd'hui de subir la modération salariale et la perte d'accessoires au salaire comme la participation aux bénéfices et l'intéressement. Nous considérons que ces accessoires font partie de la vie de l'entreprise. Toucher aux salaires ou vouloir une modération trop importante ne se justifie pas, a fortiori si la participation ou l'intéressement diminuent.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quel est le rôle exact dans votre filière du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Comptez-vous beaucoup d'accidents du travail ?
Mme Vanessa Perottin. - L'activité dans nos entreprises est de plus en plus soutenue, avec des cadences élevées, en raison d'une pression de la part de nos clients, notamment la grande distribution. L'environnement dans lequel évolue le salarié est agressif. Au niveau des branches, les accords sur la pénibilité du travail ont peine à voir le jour. Il faut d'abord mener un diagnostic sur la pénibilité puis mettre en oeuvre des actions pour résoudre les problèmes qu'il aura mis au jour. Un accord sur la pénibilité a été signé dans la filière viande. Il contient surtout une déclaration de bonnes intentions sur la prévention des risques. Sur les réparations proprement dites, les salariés qui ont aujourd'hui 55 ans et plus ne bénéficieront que de quelques allègements et de quelques aménagements de fin de carrière. Les employeurs signent des accords mais ont du mal à les mettre en oeuvre dans les entreprises afin que les process prennent davantage en compte le bien être des salariés. Les modifications de chaîne, d'outils ont surtout pour vocation d'améliorer la rentabilité. Je ne connais qu'un seul exemple ou l'employeur a pris en compte les conditions de travail de ses employés lors de l'installation d'une nouvelle ligne de désossage, après mise en place d'un groupe de travail avec le CHSCT et des ergonomes.
Les troubles musculo squelettiques (TMS) sont la première cause d'arrêts de travail et de maladies professionnelles dans les filières viande et volaille. Rien n'est fait dans la branche volaille même s'il existe deux conventions qui ont été signées avec la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et la mutualité sociale agricole (MSA), sur lesquelles nous ne bénéficions hélas d'aucun bilan qualitatif mais seulement d'un bilan quantitatif.
Les chiffres que je vais vous donner sont ceux de la CNAM. Le taux de maladies professionnelles dans la filière viande est de 13 %, 14 % dans la filière volaille et 5 % pour les produits élaborés, issus de la quatrième transformation. Pour la viande de boucherie, le taux d'accidents du travail est de 10 %.
M. Joseph d'Angelo. - Deux lois doivent impérativement évoluer : celle qui concerne la faute inexcusable de l'employeur et celle qui porte sur l'indemnisation des maladies professionnelles. Il y a beaucoup de TMS dans la filière viande. Dans le groupe Bigard, 45 maladies professionnelles sont reconnues mais aucun salarié n'a pu utiliser la loi sur la faute inexcusable de l'employeur, qui est inadaptée. Cette loi devrait évoluer vers une action collective, du CHSCT ou de la CPAM par exemple. Concernant la réparation intégrale, un excellent rapport avait été fait par M. Jean Massé. Il avait été débattu au Conseil économique, social et environnemental (CESE) mais avait été enterré sous la précédente majorité. La loi sur les maladies professionnelles date de 1898, il serait temps de la toiletter sinon nous pourrions connaître des cas comme celui d'AZF où ceux qui travaillaient dans l'usine n'avaient droit qu'à une réparation forfaitaire alors que ceux qui passaient sur la route avaient droit à une réparation intégrale.
M. Michel Kerling. - Les dernières données de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) concernant le monde de la viande, qui datent de 2008, montrent qu'il y a 150 accidents du travail avec arrêt pour 1000 salariés, soit 4 fois plus que la moyenne des autres secteurs d'activité, ce qui révèle un haut niveau de pénibilité, en raison des troubles musculo-squelettiques causés par les cadences, du froid et du taux d'hydrométrie. Nous sommes en négociation sur la pénibilité. Des institutions de prévoyance pourraient être mises en place pour les petites et moyennes entreprises. Nous cherchons à développer une politique de prévention et de réparation dans cette branche, mais elle n'est pas toujours relayée par les employeurs. Nous sommes très attachés au dialogue social de branche pour éviter que ne se creusent le fossé entre les salariés des grandes entreprises, relativement mieux protégés, et ceux des petites et moyennes entreprises, qui bénéficient de trop peu de garanties.
M. Philippe Soulard. - Les chiffres qui ont été cités sont malheureusement exacts. Les salariés continuent souvent à travailler jusqu'à ce qu'ils soient victimes d'une invalidité de catégorie 2. Il est moralement très difficile pour un salarié qui a travaillé pendant 30 ou 40 ans dans une entreprise d'être licencié pour invalidité et de ne plus pouvoir travailler. La politique de branche doit être très forte pour pouvoir être imposée à l'ensemble des salariés de la branche.
M. Gérard Bailly, sénateur. - Dans l'agroalimentaire, de gros efforts été faits dans certains secteurs pour remplacer des métiers très pénibles par des machines. Serait-il possible de prévoir ce type de solutions dans le secteur de la viande ? Je voudrais aussi évoquer les distorsions de concurrence dont nous sommes victimes de la part de l'Allemagne. Comment se fait-il que les normes européennes ne soient pas appliquées de la même manière partout ?
M. Michel Kerling. - Concernant la pénibilité, on est passé avec l'industrialisation d'une cadence de 10 bovins à l'heure à une cadence de 28 bovins à l'heure en 30 ans. La productivité a donc été multipliée par 2,8. Autrefois la fatigue physique était sans doute plus fréquente mais aujourd'hui, la fatigue nerveuse et le stress causés par les cadences et les impératifs de rentabilité sont plus forts.
On pourrait mieux former les salariés et favoriser leur mobilité au sein de l'entreprise pour éviter de laisser un même salarié pendant de longues années dans des conditions difficiles de froid et d'hydrométrie.
M. Patrick Massard. - Des efforts ont été fait dans les filières viande rouge et porc sur les conditions de travail ces 10 dernières années avec la mécanisation et la robotisation. Dans la volaille, beaucoup reste à faire car de très nombreuses tâches sont toujours manuelles. Il est sans doute possible d'améliorer les choses. Mais il est vrai que la marge de manoeuvre financière des entreprises est aujourd'hui limitée, ce qui a un impact sur les salaires, sur les conditions de travail, sur les investissements et sur la recherche et développement. Il faut donc redonner de la valeur à la volaille et au porc, comme l'a annoncé le ministre en avril. Concernant le dumping social, les syndicats européens se sont saisis de la question. Nous portons la revendication d'un salaire minimum dans tous les pays européens et nos homologues allemands la partagent. La confédération européenne des syndicats (CES) s'est aussi saisie de la question et sa présidente l'abordera prochainement avec le président de la République française. C'est un vrai souci dans la mesure où des producteurs français vont faire abattre leurs animaux en Allemagne parce que c'est moins cher. Le ministre nous a dit qu'il aborderait la question une fois les négociations sur la politique agricole commune (PAC) terminées, mais qu'il serait difficile pour la France d'affronter seule l'Allemagne sur cette question. Je ne suis pas convaincu que le recours intenté en Belgique aboutira, mais au moins le problème est désormais ouvertement évoqué, ce qui est une bonne chose.
Mme Vanessa Perottin. - En Allemagne, on est sur un mode d'abattage et de transformation standardisé à grosse échelle. En France, on développe différents niveaux de gammes. Quand les entreprises françaises cherchent à s'adapter au modèle allemand, cela pose des problèmes de conditions de travail avec la production de poulets lourds : c'est le format de l'animal qui change ! Si on remodifie la structure de la chaîne d'abattage, cela risque de pénaliser les salariés dont les conditions de travail pourraient se dégrader.
Audition de MM. Jean-Louis Hurel, président et Léonidas Kalogéropoulos, conseiller du syndicat des industries françaises des coproduits (SIFCO)
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Les coproduits jouent un rôle non négligeable dans l'équilibre économique de la filière viande, ce que vous allez nous expliquer.
M. Jean-Louis Hurel, président du SIFCO. - J'aimerais tout d'abord apporter une précision sur la notion de coproduits, qu'il faut distinguer des sous-produits, qui peuvent provenir d'animaux issus de l'équarrissage. Au sens strict, les coproduits sont les produits issus d'animaux sains dont nous consommons la viande mais qui ne sont pas utilisés pour l'alimentation humaine. Ce sont par exemple le cuir, les os, le sang, les plumes, soit ce que l'on appelle le « cinquième quartier ». Les adhérents de notre syndicat travaillent aussi bien les coproduits que les sous-produits issus de l'équarrissage.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quels volumes les coproduits représentent-ils ? Comment sont-ils valorisés et à travers quels débouchés ? Les substances contenues dans la panse des animaux sont-elles considérées comme des coproduits ? Qu'en est-il de la méthanisation ? Comment les coproduits sont-ils traités dans les pays voisins ? Des modifications législatives vous semblent-elles nécessaires ?
M. Jean-Louis Hurel. - 2,8 millions de tonnes de coproduits et sous-produits sont collectées chaque année par les adhérents du SIFCO, qui réalisent un chiffre d'affaires global d'environ 800 millions d'euros. En application du règlement n° 1774/2002 complété par le règlement n°1669/2009, les sous-produits animaux sont répartis en trois catégories. Pour tous ces produits, le but est de rechercher la meilleure valorisation possible.
La première catégorie rassemble les produits issus d'animaux impropres à la consommation, envoyés à l'équarrissage, ainsi que les matériels à risques spécifiés (MRS) provenant d'animaux sains abattus. Ces produits sont systématiquement détruits par incinération à 1 600 degrés en cimenterie, le résidu étant utilisé comme combustible dans le ciment. L'avantage de cette matière est qu'il n'y a pas de résidu de combustion à récupérer. La graisse, longtemps utilisée comme combustible dans les chaudières de nos usines, peut désormais être utilisée dans la production de biocarburants. Une usine va ouvrir au Havre.
La deuxième catégorie correspond aux produits issus d'animaux morts en élevage. Ces produits sont détruits ou leurs farines sont utilisées pour faire de l'engrais pour les grandes cultures ou des biocarburants. Il arrive que des produits des catégories 1 et 2 se trouvent mélangées ; dans ce cas, tout est détruit.
La troisième catégorie, enfin, rassemble les produits valorisables issus d'animaux sains, que l'on utilise pour la production de graisses, de gélatine et d'alimentation animale pour animaux de compagnie (pet food), l'aquaculture, les détergents ou encore pour des utilisations en cosmétique.
M. Gérard Bailly. - Les produits relevant de la deuxième catégorie ne seraient-ils pas mieux valorisés s'ils étaient utilisés pour l'alimentation animale ? Je pense en particulier aux animaux saisis en abattoir. Un animal abattu en urgence parce qu'il s'est cassé les reins n'est pas impropre à la consommation et ne présente pas de danger pour la santé.
M. Jean-Louis Hurel. - Il s'agit d'un sujet sensible depuis la crise de la vache folle. La production d'engrais est actuellement la seule destination possible des produits relevant de la deuxième catégorie. Les abats sont difficiles à vendre pour la consommation humaine et sont principalement utilisés pour la production de pet food. Ces produits empruntent des circuits très spécifiques.
M. André Dulait. - N'importons-nous pas des coproduits ? La méthanisation ne serait-elle pas envisageable pour les produits des catégories 1 et 2 ?
M. Jean-Louis Hurel. - Si la méthanisation avait existé au moment de la crise de la vache folle, on y aurait probablement recouru. La même réglementation s'impose à l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. Il n'existe à ma connaissance aucune importation de coproduits bruts. Cela s'explique aussi par des raisons économiques : on ne transporte pas des produits de peu de valeur sur une longue distance.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Contrairement à la viande de cheval, qui elle a parcouru un long trajet à travers l'Europe ...
M. Gérard Le Cam. - De quelle catégorie le minerai de viande relève-t-il ?
M. Jean-Louis Hurel. - Ce que l'on appelle le minerai de viande ne constitue pas un coproduit, puisqu'il est directement consommé. Le minerai de viande ne rentre pas dans nos usines.
M. Gérard Bailly. - Comment assurer la traçabilité du cinquième quartier, en particulier la catégorie 3 ? Lorsque la carcasse est traitée en abattoir, ce n'est qu'après un certain nombre d'opérations que les services vétérinaires la contrôlent et éventuellement l'écartent du circuit.
M. Jean-Louis Hurel. - Les sous-produits sont orientés dans des bacs de réception. Ils ne sont pas individualisés pour chaque animal. Ils sont cependant identifiés et il est possible de déclasser l'ensemble d'un bac, en cas de problème. Deux inspections vétérinaires sont réalisées : l'une ante mortem et l'autre post mortem. Elles permettent de déterminer la destination des différents produits.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Que fait-on des matières stercoraires ? Et du sang ?
M. Jean-Louis Hurel. - Celles qui proviennent de ruminants sont des MRS. Elles peuvent faire l'objet de méthanisation, comme le lisier. Le sang en revanche, produit à haute valeur protéique, peut partir dans l'alimentation des poissons d'élevage. Il en va de même des plumes.
M. Gérard Bailly. - Que fait-on du foie, de la langue, du coeur des animaux abattus ?
M. Jean-Louis Hurel. - Les abats peuvent être consommés en alimentation humaine, mais les consommateurs n'en veulent plus.
M. Gérard Bailly. - Les chinois achètent bien des oreilles de cochon.
M. Jean-Louis Hurel. - La filière viande a, depuis quelques années, mieux organisé sa découpe, et congèle des abats qu'elle expédie en Asie.
M. André Dulait. - Le prix payé pour un animal à l'éleveur intègre-t-il la valorisation du cinquième quartier ?
M. Jean-Louis Hurel. - Oui, le prix du cinquième quartier est intégré dans la valorisation totale de la bête, même si l'on ne spécifie pas cette valorisation.
M. François Fortassin. - Lorsqu'il existe de la triperie, on peut valoriser les abats. Là où il n'y en a pas, aucune valorisation n'est possible.
M. Jean-Louis Hurel. - Encore faut-il qu'il y ait des consommateurs derrière.
M. Gérard Le Cam. - Les cuirs sont-ils suffisamment exploités ?
M. Jean-Louis Hurel. - Les abatteurs collectent les cuirs et les vendent à des spécialistes. Ensuite, les cuirs sont exportés, essentiellement en Asie, car il n'y a plus de tannerie en France. On exploite par ailleurs beaucoup les boyaux de porc pour les préparations pharmaceutiques. Je précise que le cinquième quartier est constitué de tout ce qui n'est pas valorisé en consommation humaine directe. Lorsque les abats sont consommés, ils ne font pas partie du cinquième quartier.
M. François Fortassin. - Pour moi, le cinquième quartier est constitué de tout ce qui est retiré de la carcasse. Et je maintiens qu'il n'est pas payé à l'éleveur. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs les abatteurs n'ont pas cherché à le valoriser.
M. Jean-Louis Hurel. - Les produits relevant du cinquième quartier ne sont pas forcément retirés de la carcasse. Le sang et les plumes font partie du cinquième quartier, et sont produits avant la découpe. Les suifs et gras de porcs sont aussi enlevés avant la découpe.
M. André Dulait. - Les gras de porcs sont aussi utilisés dans l'alimentation humaine. Ils servent parfois à ré-engraisser les poudres de lait.
M. Jean-Louis Hurel. - Les gras de porc peuvent aussi servir à fabriquer le saindoux. Mais ce n'est pas la totalité des utilisations des gras de porc.
Tout ce qui est utilisé directement en consommation humaine ne relève pas du cinquième quartier : les pieds et paquets, les ris de veau ...
Les os, en revanche, relèvent du cinquième quartier : ils subissent un dégraissage dans un bain d'acide et sont utilisés pour la production de gélatine.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quels sont les circuits de valorisation des coproduits animaux ?
M. Jean-Louis Hurel. - La valorisation se fait auprès des utilisateurs des produits que nous récupérons : nos clients sont les fabricants d'aliments pour animaux de compagnie ou encore les fabricants d'engrais, qui utilisent nos produits comme composants des produits qu'ils commercialisent.
Les industries du cinquième quartier produisent en réalité de la protéine ou de la graisse. Ces protéines ou graisses rentrent ensuite dans la composition de différents produits. Le retour des protéines animales transformées (PAT) dans l'alimentation des animaux est actuellement en débat. Les PAT ne résultent que de la transformation des coproduits de catégorie 3. Elles ne peuvent pas résulter de MRS, classées en catégories 1. Il n'y a donc rien à voir entre les PAT et les farines animales d'autrefois.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Exporte-t-on et importe-t-on des PAT ?
M. Jean-Louis Hurel. - A ma connaissance, il n'existe aucune importation de coproduits animaux bruts. Il est possible qu'il existe des importations indirectes, c'est-à-dire que certaines usines intègrent des coproduits en provenance de l'étranger dans leurs produits finis, en particulier en ce qui concerne l'alimentation des animaux de compagnie. De même, beaucoup de poissons d'élevage sont importés. Or, ils ont été alimentés par les PAT.
Dans ce contexte, il importe avant tout de ne pas prendre de dispositions qui aboutiraient à pénaliser la France par rapport à ses voisins, même si de telles dispositions pourraient être de nature à rassurer les consommateurs.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ne devrait-on pas étiqueter le mode d'alimentation des poissons d'élevage ?
M. Jean-Louis Hurel. - Il s'agit là d'une problématique complexe. La pisciculture française pourrait se trouver en difficulté par rapport aux autres pays européens si les poissons devaient être nourris sans PAT. Immanquablement, le poisson français sans PAT sera plus cher.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La France applique-elle la réglementation européenne sur les coproduits de manière plus stricte que nos voisins ?
M. Jean-Louis Hurel. - Les règlements que j'ai évoqués s'appliquent dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Il arrive que la réglementation française soit plus stricte que la réglementation européenne, par exemple sur les récupérations de suifs : les graisses pouvant être contaminées au moment de la découpe de la carcasse, la réglementation française prévoyait ainsi que ces suifs ne pouvaient pas être valorisées dans la filière alimentaire. Nous étions alors en situation de sur-réglementation. L'interdiction de la consommation de ris de veau, au moment de la crise de la vache folle, était franco-française.
M. André Dulait. - Il faudrait appliquer les mêmes règles à tous.
M. Jean-Louis Hurel. - Je rappelle que le poulet brésilien, importé en France, est nourri à base de PAT.
M. François Fortassin. - Je crois qu'il ne faut pas abuser les consommateurs. Je me permets de vous livrer une anecdote à ce propos : le « bar de haute mer » que j'ai un jour acheté était en fait un bar élevé dans une cage en haute mer.
M. Jean-Louis Hurel. - Il faut faire la part des choses entre le risque sanitaire et les circuits de distribution et la perception de l'alimentation. Il faut prendre des réglementations dures pour protéger le consommateur contre des risques réels mais pas contre des risques imaginaires car, alors, nous pénalisons notre propre production ?
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quel a été l'impact sur votre secteur de la crise de la vache folle ?
M. Jean-Louis Hurel. - Au moment de la crise de la vache folle, il a bien fallu continuer à alimenter nos animaux en protéines, alors même que l'on avait interdit les farines ; c'est pourquoi nous avons eu recours à des importations de soja. Ces importations ont un impact important sur le prix des produits avec des écarts pouvant aller jusqu'à 90 à 100 euros de moins par tonne de tourteau par rapport aux PAT. Or, les PAT viennent d'animaux dont nous consommons la viande ! Nous nous privons de capacités de meilleures valorisations des coproduits, qui permettraient aussi de nourrir le bétail pour moins cher.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Comment peut-on être sûrs que les coproduits soient sains. Le problème de la filière viande est la perte de confiance du consommateur.
M. Jean-Louis Hurel. - Je suis persuadé qu'aujourd'hui, en raison des mesures prises à la suite de la crise de la vache folle, la traçabilité des produits fabriqués à partir d'animaux est extrêmement forte, y compris concernant les coproduits. Cette traçabilité est même plus forte que pour d'autres produits alimentaires. Il existe des contrôles très poussés, sur l'ensemble des matières qui rentrent et sortent des abattoirs.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La transparence est un sujet fondamental. A mon sens, la valorisation des produits passe également par l'information des consommateurs et par un étiquetage transparent.
M. Jean-Louis Hurel. - Le manque de connaissance crée chez les consommateurs une inquiétude justifiée, qui pourrait être levée par la pédagogie. Je vous invite au demeurant à visiter une usine de coproduits pour vous rendre compte de la qualité de nos processus.
M. Léonidas Kalogéropoulos, conseiller au SIFCO. - Imposer l'étiquetage de l'origine pourrait cependant avoir un effet pervers : s'il n'était obligatoire que pour les produits français, l'absence de précision sur les autres produits pourrait devenir anxiogène.
M. Jean-Louis Hurel. - Nos coproduits sortent des abattoirs avec un document d'accompagnement en trois exemplaires, les flux sont tracés systématiquement, les transporteurs sont enregistrés, les échantillonnages avant expédition sont effectués systématiquement. Un système informatique relevant de la direction générale de l'alimentation (DGAl) existe également. Nous sommes très contrôlés.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quelles modifications législatives vous paraissent nécessaires ?
M. Jean-Louis Hurel. - Je pense qu'il ne faut pas de législation nationale spécifique, sinon, nous pénaliserons nos filières. Il faut laisser l'Union européenne définir les règles du jeu. Je prends un exemple : alors que la directive déchet ne devait pas s'appliquer aux produits régis par le règlement n° 1774/2002, la transcription de cette directive n'a pas repris l'exclusion des sous-produits de son champ d'application. Je n'ai pas eu de réponse du ministère de l'écologie sur ce point.
M. Léonidas Kalogéropoulos. - Il existe aussi une anomalie fiscale sur l'application d'une taxe aux graisses utilisées dans nos usines, comme combustible.
M. Jean-Louis Hurel. - Notre syndicat a adressé au Gouvernement une lettre pointant les risques de pénalisation de la filière viande en France en listant l'ensemble des particularités réglementaires françaises pénalisantes.
Audition d'Alain Berger, délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie (DIIAA)
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui le délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie, qui est au coeur de la réflexion sur le lien entre la production agricole et sa transformation industrielle.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - En effet, nous sommes impatients d'entendre vos préconisations pour la filière viande, qui est aujourd'hui en graves difficultés.
M. Alain Berger, délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l'agro-industrie. - J'ai été nommé dans les fonctions de délégué interministériel par un décret du 19 juillet 2012. La délégation interministérielle aux industries agroalimentaires avait été créée en 2005. Elle est aujourd'hui placée sous la tutelle de trois ministres : celui chargé de l'agriculture, celui chargé du redressement productif et enfin, le ministre délégué à l'agroalimentaire. La fonction principale du délégué interministériel est de coordonner l'action des différents services de l'État intervenant dans le domaine de l'agroalimentaire, qu'il s'agisse de commerce extérieur, de recherche, ou même de santé. Le délégué interministériel doit veiller à la cohérence de l'action de l'État dans le domaine qui lui est confié.
Depuis juin 2012, le Gouvernement présente la particularité de compter un ministre délégué chargé de l'agroalimentaire. Dès lors, en tant que délégué interministériel, j'ai été amené à me concentrer sur des missions particulières portant sur la filière avicole et sur la filière porcine.
Je souligne l'importance du secteur des industries de la viande en France. Il est fondamental au demeurant de raisonner au niveau des filières, car il existe un continuum entre agriculture et industrie. Nous avons une politique agricole. Nous avons une politique industrielle. Nous devons avoir une même politique pour ces deux secteurs.
Le revenu des agriculteurs est d'ailleurs dépendant des rapports avec la transformation. Il résulte de moins en moins des négociations menées à Bruxelles. Il faut donc mieux connecter l'amont agricole avec l'aval, pour créer de la valeur collective tout au long de la filière. C'est là une des premières fragilités du système aujourd'hui : le problème de compétitivité n'est pas d'abord celui de l'agriculture ou d'abord celui de l'industrie, c'est celui de la filière dans son ensemble. La qualité des rapports d'échange entre acteurs est également fondamentale : si l'un des maillons de la chaîne crée de la valeur, et qu'ensuite il y a destruction de valeur, l'ensemble de la filière est affaiblie.
Il est donc fondamental de définir une stratégie collective de filière. Or, nous constatons trop de conflits aujourd'hui entre les différents maillons des filières. La grande distribution est de ce point de vue au banc des accusés. On peut créer de la valeur en amont et la détruire en aval. Lorsque la grande distribution fait des promotions massives, vendant un produit qui vaut 4 € le kilo à 1,50 € le kilo pendant une semaine, elle détruit le référentiel de prix du consommateur.
La France dispose d'un potentiel agricole fantastique, d'un potentiel industriel incontesté, et de réelles opportunités pour conquérir des marchés à l'international. Les appellations d'origine contrôlée (AOP) constituent un bon modèle de création de valeur sur l'ensemble d'une filière. Le champagne était pauvre avant d'être riche. C'est l'unité de vue, l'unité de stratégie entre acteurs qui a permis de créer une valeur collective pour la filière.
Il est certes important de régler les problèmes de compétitivité des outils industriels et des élevages, de mettre fin aux distorsions de concurrence, notamment avec l'Allemagne en matière de coûts de main d'oeuvre, mais nous ne gagnerons pas la bataille par une stratégie de compétitivité orientée uniquement vers la baisse des coûts. Il faut sortir des difficultés par le haut, par la création de valeur collective.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La France ajoute-t-elle une couche de normes nationales aux normes européennes, pénalisant les acteurs économiques ?
M. Alain Berger. - L'exemple de la filière porcine est de ce point de vue significatif. Le problème le plus criant de cette filière réside dans la surcapacité des abattoirs, dans un contexte où la production a baissé de 2 millions de porcs depuis 2010, soit l'équivalent de la capacité d'un gros abattoir industriel. Cette baisse de la production s'explique par l'insuffisante modernisation des élevages, en partie à cause de la réglementation environnementale. Il est légitime de disposer d'un encadrement réglementaire pour protéger l'environnement mais le régime d'autorisation des constructions ou agrandissements d'élevages, considérés comme des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), est trop contraignant.
Or moderniser les élevages est indispensable sur le plan économique pour gagner en compétitivité, mais aussi sur le plan environnemental. J'ai la conviction que des outils de production plus modernes permettront de mieux gérer les effluents. Ce n'est pas facile à faire comprendre. Le carcan réglementaire du régime d'autorisation doit être desserré, au profit d'un régime d'enregistrement, qui est permis par le droit communautaire. Il ne s'agit pas d'aller vers des élevages de 1 000 truies, mais d'offrir aux éleveurs la possibilité de s'agrandir avec des cheptels de 30, 40 ou 50 truies supplémentaires.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Dans mon département, les jeunes qui veulent s'installer se plaignent de procédures compliquées mais aussi très longues.
M. Alain Berger. - C'est la réalité. Avec le dispositif d'enregistrement, les délais seront raccourcis à cinq mois. La procédure reste transparente, avec affichage des projets dans les mairies concernées. Les éleveurs devront apporter toutes les garanties environnementales requises. On n'a pas encore bien mesuré les efforts faits par les éleveurs depuis 20 ans. En Bretagne, je constate que de nombreuses exploitations recyclent totalement leurs effluents. Certains voudraient encadrer aussi le droit au recours contre les projets de construction ou d'agrandissement d'élevages. Or, le droit au recours est un droit fondamental garanti par la Constitution. On ne peut donc pas aller trop loin sur ce point.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Des procédures compliquées et longues en France sont sources de surcoûts des projets. Comment aider financièrement les jeunes à s'installer ?
M. Alain Berger. - Les professionnels de la filière porcine m'ont indiqué que la question du financement n'était pas le problème principal. Bien sûr, des aides publiques peuvent accompagner la modernisation des élevages. Mais le principal point de blocage reste réglementaire. La mise en place d'une procédure d'enregistrement permettra de stopper l'hémorragie de la production et de remonter à 25 millions de porcs produits par an en France pour réalimenter les outils d'abattage.
Un autre point essentiel pour améliorer la situation de la filière porcine relève d'une meilleure gestion collective de l'abattage-découpe. Les opérateurs sont en conflit les uns avec les autres et la coordination entre eux est très difficile. Certains éleveurs vont même faire abattre leurs porcs en Allemagne, alors qu'ils ont un abattoir porcin à quelques kilomètres.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Concrètement, comment faire ?
M. Alain Berger. - Dans la filière porcine, la transformation est un maillon essentiel et très fragile : 70 % du porc est transformé. Or, la plus grande entreprise de salaisonnerie ne représente que 8 % du marché. Pendant plusieurs années, ces entreprises n'ont pas répercuté sur leur aval leurs hausses de coûts de production. Les industriels devraient pouvoir davantage objectiver les hausses de leurs charges, avec des indicateurs sur les pièces de découpe porcine. Des clauses devraient être intégrées dans les contrats avec la distribution.
Une autre action à mener en viande porcine est de développer le label viande porcine française (VPF). Les transformateurs ne veulent pas de ce label car d'une part, cela complique leur gestion de la matière première, et d'autre part, leurs marges de transformation, déjà très contraintes, pourraient être encore rognées, s'il n'y a pas de hausse des prix des pièces de découpe, qui sont plus chères en France. Pour acheter français, il faudra que le consommateur accepte de payer un peu plus cher.
Cela me permet d'aborder un sujet fondamental : il me semble essentiel d'arrêter de détruire la valeur de l'alimentation. On arrive aux limites de l'exercice aujourd'hui. Les prix de détail posent de véritables problèmes en termes de rémunération de l'amont agricole et industriel. Quand un opérateur économique est soumis à des contraintes de prix aussi fortes, il développe des stratégies de survie en dégradant ses produits, en mettant par exemple plus de gras à la place du maigre, en allant chercher ses ingrédients là où c'est moins cher. Certaines alertes remontent. Est-ce scandaleux de payer ses cerises 4 € le kilo, lorsque l'on sait qu'en une heure, on en ramasse 10 kilos ? Dans son budget, le consommateur a des postes contraints. Pourquoi l'alimentaire serait la variable d'ajustement ? Rappelons-nous qu'au sens large, le secteur alimentaire en France représente 2 millions d'emplois.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Peut-on faire partager cette idée au niveau européen ?
M. Alain Berger. - Le dialogue a lieu au niveau européen, notamment avec l'Allemagne, mais il ne réglera pas tout. Il faut sortir de la logique de destruction de valeur des produits alimentaires.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - On nous dit que l'on ne sert plus de porc en restauration collective scolaire, expliquant une baisse de la consommation de cette viande.
M. Alain Berger. - C'est inexact. La consommation de viande porcine ne cesse d'ailleurs de progresser. C'est une viande accessible, bon marché, et qui doit le rester, sans aller en-dessous d'une certaine valeur.
Lors de la crise de la vache folle, la filière viande bovine française a mis en place une vraie stratégie de valorisation de la production nationale à travers le label viande bovine française (VBF). Nous devons nous inspirer de cette expérience.
Dans la filière avicole, la situation est assez claire : la France perd des parts de marché à l'exportation mais aussi sur son marché domestique. Le diagnostic est cependant différent que celui porté sur la filière porcine. A mes yeux, la compétitivité de la filière avicole passe par celle de l'outil industriel d'abattage-découpe. Il faut développer des stratégies porteuses sur le marché à partir d'une amélioration de la compétitivité du maillon industriel. Notre potentiel avicole est tel que l'on peut mettre en oeuvre toutes les stratégies : développer les produits d'entrée de gamme, avec beaucoup de pièces découpées, les produits d'export, mais aussi les poulets sous label. Il est nécessaire d'ailleurs de jouer sur tous les tableaux. La spécialisation de notre production avicole serait une erreur. Pour réoccuper notre marché intérieur, il faut développer les poulets d'entrée de gamme et les pièces de découpe. Mais il ne faut pas pour autant négliger les produits labels qui sont une locomotive. L'amélioration de notre position sur les produits d'entrée de gamme passe par la mise en place d'outils industriels très performants, capables de rivaliser avec les autres acteurs du marché, en particulier les belges et les néerlandais. Rappelons-nous que nous importons 44 % de notre consommation, surtout depuis les autres pays européens.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les éleveurs de poulet ont autant de difficulté à s'installer que les éleveurs de porcs.
M. Alain Berger. - Dans la filière avicole, il existe une tradition de contractualisation entre l'industrie et les producteurs. Mais les outils ne sont pas encore assez modernisés. Il faut probablement rendre les producteurs un peu moins dépendants de l'industrie, tout en conservant la logique de contrats pluriannuels. Le poids des importations en France s'explique par la faiblesse de nos outils industriels. Sur les poulets d'entrée de gamme, il est difficile de gagner de l'argent, sauf si l'on a de gros volumes. Gagner de l'argent dans l'entrée de gamme est plus facile lorsque l'on fait aussi du poulet label. La force de la France réside dans la diversité de ses productions avicoles, qui n'existe pas dans les autres pays et permet à la France de disposer d'une compétitivité spécifique.
Comme dans d'autres filières, la filière poulet doit revoir ses rapports à la grande distribution. Les promotions sont destructrices de valeur car elles laissent penser au consommateur que le poulet doit avoir un prix très bas. Les distributeurs n'ont d'ailleurs pas intérêt à long terme à cette spirale des prix bas. Si l'on détruit les emplois de l'agroalimentaire, les consommateurs risquent d'être d'ailleurs demain moins nombreux ou moins riches.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les distributeurs nous disent que le rayon viande est déficitaire, comment inverser cette tendance ?
M. Alain Berger. - Les travaux de l'Observatoire des prix et des marges sont remarquables. Je constate que les distributeurs ne ferment pas leur rayon boucherie. Il en va de même pour les rayons de produits de la mer dans les supermarchés : ils sont déficitaires, mais ils augmentent la fréquentation du magasin. On ne peut pas raisonner sur chaque rayon sans prendre en compte l'ensemble.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les filières viande ne sont-elles pas marquées par un trop grand éclatement des interlocuteurs et un trop grand nombre d'intermédiaires ?
M. Alain Berger. - L'outil de transformation dans l'agroalimentaire est très éclaté, ce qui fragilise les entreprises dans leurs rapports de négociation avec l'aval. Pour autant, nous n'avons pas intérêt à n'avoir que des grosses entreprises dans ce secteur. Il en va de l'aménagement du territoire, mais aussi de l'efficacité des entreprises. Certaines PME sont très performantes, et exportent.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Pourquoi n'existe-t-il pas d'interprofession unifiée dans le secteur de la volaille ?
M. Alain Berger. - Le secteur de la dinde et celui du poulet dialoguent depuis peu. Le secteur de la dinde est en grande difficulté, avec un marché qui s'effondre, au profit du poulet lourd. La mise en place d'une interprofession unifiée est en marche. C'est la clé du succès. L'interprofession pourra élaborer une démarche de type « volaille française ».
A mon sens, un signe de l'origine doit être accompagné d'un cahier des charges imposant des normes de qualité, à la fois organoleptique, sociale et environnementale, ou encore sur le plan du mode de production. Le consommateur ne peut pas être rassuré que par une indication de provenance. C'est une démarche similaire à celle du commerce équitable.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - La transparence peut-elle restaurer la confiance du consommateur ou cette idée est-elle un leurre ?
M. Alain Berger. - Il est difficile de modéliser le comportement du consommateur. Il est évidemment légitime que le consommateur sache ce qu'il consomme. Mais un produit alimentaire est complexe. Le maximum d'information doit être donné, à condition qu'elle soit claire.
Méfions-nous des fausses bonnes idées. L'équilibre alimentaire est complexe. Pour ma part, je ne suis pas un grand défenseur des taxes comportementales, qui ne modifient pas beaucoup le comportement du consommateur et conduisent à se focaliser sur un ingrédient particulier. Il faut se méfier des campagnes sur le zéro sucre ou zéro matière grasse. Il s'agit le plus souvent de marketing. Prenons un exemple : la composition des vins. Peut-on réduire un vin à sa formule chimique ?
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Sur les produits transformés à base de viande, nous n'avons pas assez d'information tout de même. L'affaire de la viande de cheval l'a démontré.
M. Alain Berger. - L'affaire de la viande de cheval est une affaire de fraude. On a indiqué au consommateur que le produit était « pur boeuf » alors qu'il contenait du cheval.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Indiquer l'origine française de la viande utilisée contribuerait à rassurer le consommateur, même si seulement la moitié de la viande utilisée dans un plat préparée est d'origine française. C'est un début.
M. Alain Berger. - J'y suis plutôt favorable. Mais nous devons en mesurer les conséquences, notamment en salaisonnerie. D'une manière générale, les français ne sont pas très chauvins en matière d'alimentation, contrairement aux anglais par exemple qui sont très sensibles aux labels comme le « buy british ». Or, il faut être fiers des produits français, qui devraient être étiquetés comme tels, en garantissant une qualité à côté de l'origine. Les enseignes françaises sont parfois frileuses.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le chauvinisme alimentaire existe dans de très nombreux pays. Je l'ai constaté en Roumanie.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Quelles mesures préconisez-vous pour la filière bovine ?
M. Alain Berger. - Agir sur la filière bovine est plus compliqué que sur les filières avicole et porcine. Une partie du marché de la viande bovine est alimenté par le troupeau laitier. Il existe cependant un point commun : le salut viendra d'une véritable stratégie de filière. Que les opérateurs se fassent concurrence et ne coopèrent pas entre eux n'est pas efficace.
L'objectif doit être d'augmenter la valeur ajoutée produite sur notre territoire. Le marché demande des produits de plus en plus transformés. Autant qu'ils le soient en France.
Pour conclure, je voudrais indiquer que je reste optimiste pour la filière viande en France. Les acteurs doivent simplement davantage dialoguer et retrouver la confiance. Les plans proposés pour la filière porcine et la filière volaille n'ont pu être élaborés qu'en faisant travailler tous les acteurs de chacune de ces filières ensemble. Ces plans ont été validés par eux. C'est la condition du succès.