Mardi 28 mai 2013
- Présidence de Mme Corinne Bouchoux, sénatrice -Audition de M. Michel Laurent, Président Directeur général de l'Institut de recherche pour le développement (IRD)
Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. - Nous recevons aujourd'hui M. Michel Laurent, directeur général de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), ainsi que M. Jean-Joinville Vacher, adjoint au directeur général délégué à la science. Cette mission commune d'information a pour objectif de documenter l'action menée hors de France par l'Etat en matière de recherche et développement, domaine dans lequel l'IRD a acquis une certaine expérience depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les recommandations que nous formulerons sur la base de cette documentation viseront à améliorer les partenariats que nous avons noués avec les pays du Sud.
M. Michel Laurent, président directeur général de l'Institut de recherche pour le développement. - L'IRD est un opérateur de recherche singulier dans le paysage académique français, car il hérite de soixante ans de présence dans les territoires d'Outre-mer et les zones tropicales. Érigé dans les années 1980 en établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), il est placé sous la double tutelle du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre chargé du développement. Depuis la dernière décennie, il s'est affirmé sur la scène scientifique, comme en témoigne la quantité et la qualité de ses publications relatives à l'environnement, la biodiversité, la gestion de l'eau ou les questions de santé publique, ainsi que l'évaluation qu'en a fait l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES). Les unités mixtes de recherche de l'IRD font désormais partie de la communauté scientifique nationale.
Sa mission est toutefois tournée vers le Sud. Pour la remplir, l'IRD est doté du quatrième budget des EPST français derrière le CNRS, l'Inserm et l'Inra, avec 200 millions d'euros annuels, contre 2,5 milliards d'euros pour le CNRS. Nos fonds propres avoisinent les 30 millions d'euros. Nos 2 300 collaborateurs sont pour moitié des chercheurs, et des personnels techniques pour l'autre moitié - administratifs, ingénieurs, notamment. Près de 40 % de nos moyens humains sont employés hors de la métropole, outre-mer ou dans l'un des vingt-cinq pays méditerranéens, africains, latino-américains ou d'Asie du Sud-Est dans lesquels nous sommes implantés.
Les programmes que nous conduisons se rapportent tous aux éléments du triptyque suivant : formation, recherche, innovation. Nos domaines de prédilection exigent en effet une importante formation de cadres, supposent de conséquents transferts de technologie et la construction de chaînes d'innovation dont la nature varie selon le niveau de développement du partenaire et les moyens qu'il consacre à ces questions - celui du Mali n'étant pas celui du Brésil, par exemple.
Par un mécanisme d'extension de compétences, l'IRD a pu constituer un réseau à l'échelle mondiale : par exemple, la présence au Kenya est facteur de coopérations renforcées avec la Tanzanie. Avec des représentants permanents dans près de 47 pays, nous couvrons une zone significative du globe.
Nous développons depuis les années 2000 de nouveaux instruments de partenariat. Lancés en 2007-2008 pour une durée de 4 ans, les laboratoires mixtes internationaux (LMI) seront bientôt en phase d'évaluation. Un fort engouement pour ce type de structures a déjà été observé dans les pays du Sud, davantage habitués jusqu'alors à se voir imposer l'approche, les moyens et les compétences de son partenaire du Nord. Nos LMI fonctionnent différemment, puisqu'ils reposent sur la co-construction, en respect d'une Charte sur l'éthique du partenariat : la vision des enjeux, la direction de la structure, son pilotage et son évaluation sont entièrement partagés.
Cette approche nouvelle de la coopération est rendue possible par la présence physique que nous entretenons dans les pays partenaires. Sur nos 168 millions d'euros de masse salariale, 30 millions sont consacrés au support de l'expatriation. Parfois considérée comme un vestige du passé, la présence physique des ingénieurs et des chercheurs est pourtant indispensable à la construction de partenariats solides : l'élaboration d'une stratégie, la mise à niveau des partenaires, la formation de docteurs, requièrent trois à quatre ans de travail. 65 % à 70 % de la recherche française est aujourd'hui réalisée sur le mode de la coopération internationale. L'Allemagne est notre premier partenaire, les États-Unis notre premier partenaire hors d'Europe, mais les programmes que nous menons avec ces Etats ne s'appuient guère sur l'expatriation.
Nos 200 millions d'euros comptent pour 2,4 % de l'aide publique au développement de la France, ce qui nous confère un fort sentiment de responsabilité. Mais il faudra un jour s'interroger sur la compatibilité de notre stratégie nationale de recherche, conduite aujourd'hui par Mme Fioraso dans le cadre de la stratégie européenne « Horizon 2020 », avec notre politique d'aide publique au développement.
Venons-en à la recherche proprement dite. Auparavant, les programmes de recherches étaient conduits par des chercheurs à titre individuels, parfois dans plusieurs pays à la fois. L'on pouvait alors se targuer de conduire 2 500 programmes dans le monde, ce qui n'était guère éclairant. Nous avons rationalisé tout cela en une dizaine de programmes pilotes régionaux : l'un est par exemple conduit avec les Etats de la bande sahélienne, un autre en partenariat avec l'Agence panafricaine de la grande muraille verte, destinée à lutter contre la désertification. En rationalisant nos chantiers, nous rassemblons nos partenaires sur le principe d'un copilotage.
La participation financière que nous engageons est soutenue par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Celle-ci ne peut en effet financer directement les pays du Sud, donc nous sommes obligés de recourir à un artifice faisant de ces derniers nos prestataires de service, ce qui n'est pas admissible. De nombreux programmes bénéficient en outre du 7e programme cadre de recherche et de développement (PCRD) de l'Union européenne. L'IRD anime également des chantiers de recherche conduits dans le cadre des programmes Era-net (European research area network) et Inco-net (International cooperation network) en Amérique latine, en Asie et dans le Pacifique.
Nous ne sommes pas habilités à délivrer de diplômes. Or nos partenaires sont demandeurs d'investissements dans la formation, au niveau master et doctorat. Nous finançons donc des bourses, 85 nouvelles par an. Les lauréats réalisent la moitié de leur thèse dans un laboratoire français ou européen, l'autre moitié chez eux, afin de ne pas rendre trop difficile leur retour au pays. Notre réseau d'anciens, ou d'alumni comme l'on dit désormais, réunit près de 600 docteurs des pays du Sud. De nombreux ministres de ces pays ont été formés par des chercheurs de l'IRD, à l'instar du nouveau commissaire de l'Union africaine pour le développement humain, les sciences et la technologie, en remplacement de Jean-Pierre Ezin. Mais peu connu, quoique très efficace à moyen et long terme, ce réseau est encore insuffisamment exploité.
Nos partenaires évoquent plus spontanément la « recherche et développement », lorsque nous parlons de « recherche pour le développement ». Nous avons donc évolué dans notre approche des choses. En Afrique de l'Ouest, nous avons créé avec les six universités publiques sénégalaises le premier incubateur public, destiné à donner les moyens à des porteurs de projets d'entreprise de les concrétiser. Le programme d'aide à la création d'entreprises innovantes en méditerranée (Paceim), porté par la France après avoir été aidé à ses débuts par l'Union européenne, a pour ambition de soutenir, grâce à une bourse financée pendant deux ans, 100 étudiants créateurs d'entreprise innovantes dans les pays du Maghreb et au Liban.
Dans le cadre du grand emprunt, en partenariat avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut Pasteur, nous soutenons un projet de valorisation de brevets vers les pays du Sud, thématique délaissée au niveau national. Doté de 10 millions d'euros, ce programme court sur dix ans. Il réunit les brevets dormants dans les organismes français de recherche et développement pour les constituer en grappes, et les valoriser auprès d'industriels dans les marchés du Sud. Notre portefeuille se compose aujourd'hui d'une centaine de brevets dont le retour sur investissement comble les coûts d'entretien. En outre, dans 20 % des cas, la propriété du brevet est partagée entre l'IRD et son partenaire. Nous espérons porter ce chiffre à 50 %.
Les statuts de l'IRD ont été modifiés en 2010, au terme d'un processus enclenché en 2005, date à laquelle un comité ministériel avait proposé de faire de l'Institut une agence. L'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) est portée par le Cirad, le CNRS, l'Inserm, l'IRD, l'Institut Pasteur et la conférence des présidents d'universités. Peu soutenue financièrement, l'AIRD ne peut avoir de véritable fonction de financement et se cantonne à l'ingénierie de programmes de recherche.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Combien y a-t-il de laboratoires mixtes internationaux ?
M. Michel Laurent. - Vingt-sept.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment leurs sujets de recherche sont-ils choisis ? Comment leurs équipes sont-elles constituées ? Quelle est la genèse de ces laboratoires ? Y a-t-il un équilibre entre chercheurs, ingénieurs et doctorants des pays du Nord et du Sud ? Selon quelle logique administrative fonctionnent-ils ? Quel est leur poids financier et quelles sont leurs perspectives ?
M. Michel Laurent. - Les LMI sont les figures de proue de notre politique de coopération en matière de recherche, qui permettent aux pays du Sud de passer du statut d'hébergeur à celui de partenaire de projets de recherche. La réflexion a commencé en 2007, et le premier appel d'offres a été lancé en 2008. Notre présence physique nous a garanti une bonne connaissance des acteurs.
Les LMI sont adossés à des unités mixtes de recherche, aujourd'hui au nombre de 58. Les universités sont présentes dans plus de 70 % d'entre elles, et le CNRS est notre premier partenaire. Grosses machines, souvent composées de plus d'une centaine de chercheurs, les unités mixtes de recherche transmettent dans les pays du Sud leur force de frappe au moyen des LMI. Ainsi, certaines universités d'abord réticentes à s'y engager, comme Paris VI ou Montpellier II, y ont finalement vu un moyen d'accroître leur visibilité dans les pays du Sud.
La première année, nous finançons un LMI sur nos ressources propres. Ces laboratoires regroupent généralement une dizaine de chercheurs du Nord et entre cinq et dix du Sud. En fonctionnement, donc hors coûts d'expatriation et moyens consacrés à la conduite du projet, ils coûtent 40 000 à 50 000 euros, ce qui, pour nous, n'est pas négligeable. Ces moyens sont confiés à la codirection du laboratoire. Ils devraient être investis intégralement au Sud. Actuellement, les fonds que nous engageons dans les structures présentes sur le territoire français servent pour partie à leur fonctionnement. Or nos fonds sont portés intégralement au crédit de l'aide publique au développement. Les règles pourraient être revues, comme l'OCDE et la BEI semblent l'admettre.
Il est rare que les LMI accueillent plus de deux ou trois chercheurs expatriés. Nous n'en avons pas les moyens. Mais il n'y a pas de laboratoire sans expatriés. Les établissements de recherche qui ont une structure en réseau n'ont pas de laboratoires aussi structurés que les nôtres. Les LMI sont constitués pour quatre ans, bientôt cinq par souci de cohérence avec les unités de recherche françaises. Leur fonctionnement exige un engagement sur deux fois cinq ans, délai indispensable à ce que l'investissement dans la formation des docteurs et dans leur intégration au tissu économique international produise ses fruits.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les LMI répondent ensuite à des appels d'offre ?
M. Michel Laurent. - Oui. J'étais la semaine dernière au Vietnam, deuxième exportateur mondial de riz. L'un de nos LMI y travaille sur la culture du riz. Le changement climatique, la salinisation des terres et l'apparition de maladies font en effet craindre de nombreux problèmes économiques auxquels la recherche doit apporter une réponse. Nous travaillons ensemble : le président de l'académie nationale vietnamienne des sciences agronomiques a souhaité cofinancer les projets du laboratoire - tandis qu'auparavant, les pays du Sud attendaient que nous investissions. Nous dialoguons également sur les enjeux de fond : le Vietnam souhaitait l'étendre à la filière café, nous nous y sommes opposés.
Nous avons cinq LMI au Maroc, à la demande du ministre marocain de l'enseignement supérieur et de la recherche, au nom des relations étroites qui unissent nos systèmes respectifs d'enseignement supérieur. Mais nous ne pourrons pas déployer 200 laboratoires dans le monde, car ce n'est pas notre vocation.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les LMI ne fonctionneraient-il pas mieux dans des pays dont le niveau de développement se situe dans une tranche intermédiaire-supérieure ?
M. Michel Laurent. - En 2008, les LMI se sont développés très vite en Amérique latine, et surtout au Brésil car le niveau de base est en effet plus élevé. Mais les LMI se déploient désormais partout dans le monde, Afrique centrale et de l'Ouest comprise.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Y en a-t-il en Inde ?
M. Michel Laurent. - Il y a une plateforme de bon niveau : la cellule franco-indienne de recherche en sciences de l'eau (Cefirse).
M. Jean-Joinville Vacher, adjoint au directeur général délégué à la science de l'Institut de la recherche pour le développement. - Les LMI ne sont pas présents que dans les pays émergents. Les pays un peu moins avancés donnent une importance croissante à la recherche et à l'enseignement supérieur, et ils sont nombreux à souhaiter un accompagnement. Les LMI, instruments de copilotage de ces politiques, sont pour ces Etats des outils tout à fait adéquats.
Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. - Comment inscrivez-vous votre action dans la stratégie européenne en matière de recherche ?
M. Michel Laurent. - Dans le cadre du 7e PCRD et du partenariat euro-méditerranéen, nous avons lancé un certain nombre d'initiatives avec nos partenaires allemands. Dans le cadre du partenariat franco-allemand, nous avons en outre développé des programmes en direction de l'Afrique. Nous avons porté un appel d'offres de recherches, pas aussi ambitieux que nous l'aurions souhaité, notamment dans sa partie financement.
Nous essayons, grâce à notre présence au sein des alliances - je suis vice-président d'AllEnvi - de considérer les pays du sud, non pas seulement comme terrains de science, mais aussi comme des sociétés dont l'identité doit être respectée. Ce n'est pas simple, mais les Allemands y parviennent : pourquoi la France ne mettrait-elle pas un point d'honneur à faire passer ce message ? C'est au ministère de l'enseignement supérieur de tenir ce discours, notamment au niveau européen. S'il ne le fait pas, cela complique notre tâche.
M. Jean-Joinville Vacher. - Les enjeux du changement climatique, de la biodiversité et des maladies émergentes appellent des réponses communes et une collaboration étroite entre le nord et le sud. Le sud doit être perçu comme un acteur complémentaire.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Aidez-vous les équipes de recherche dans les procédures très lourdes d'accès aux fonds européens de recherche et de développement ?
M. Michel Laurent. - Oui. Notre cellule Europe se mobilise autour de deux actions. Elle accompagne les équipes chercheurs de l'IRD pour répondre aux appels d'offres dits du FP7 (7ème programme-cadre), et a remporté de jolis succès. Elle travaille également sur l'Era-net et l'Inco-net . Sur tous ces programmes coopératifs, nos résultats sont honorables et je suis fier que l'IRD coordonne cinq instruments de recherche, à comparer aux six du CNRS. Lorsque nous participons à la coordination de programmes comme Pace-net (Pacific Europe network for science and technology), programme de coopération européen à l'échelon du pacifique intégrant l'Australie, la Nouvelle-Zélande, ou des Etats insulaires pauvres comme le Vanuatu, nous sommes vraiment dans notre coeur de métier.
M. Jean-Joinville Vacher. - L'IRD organise au mois de juin à Marseille la rencontre officielle des points de contact nationaux pour la Méditerranée et l'Amérique latine. Nous sommes un peu le leader au niveau européen de la coordination scientifique.
M. Michel Laurent. - Nous recevrons dans quelques semaines la conseillère en science et recherche de M. Barroso, Mme Anne Glover. Nous avons beaucoup d'échanges avec des Européens ; la plupart d'entre eux trouvent que l'IRD est un outil extraordinaire. En Europe, la majorité des instituts sont spécialisés, qu'il s'agisse de la santé, de la recherche en agronomie tropicale, et mobilisent une centaine de chercheurs, voire 150, sur un domaine précis. Avec ses 2 300 agents pluridisciplinaires, l'IRD fait envie.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Depuis 2007-2008, vous dites chercher des relations d'égal à égal avec vos partenaires, sans passer par des prestations de services. L'IRD est une petite structure dans le domaine de la recherche française et encore plus européenne. Cependant, à l'échelle des pays du sud, c'est un grand organisme. Dans ces conditions, comment une relation d'égal à égal est-elle possible ?
M. Michel Laurent. - Dans les pays avec lesquels nous travaillons, nous avons souvent des accords de siège avec le ministère des affaires étrangères. Nous signons dans la plupart des cas une convention avec le ministère de l'enseignement et de la recherche. De manière générale, un accord-cadre avec un ministère est presque systématique. Nous avons également des accords particuliers avec les institutions et les universités. Dans le continent africain, celles-ci explosent, souvent dans des secteurs d'excellence. Ce qui importe n'est pas tant le volume que la singularité et le caractère innovant de notre offre. Ce qui fait la différence, c'est notre réseau. Dans le cadre du forum mondial sur l'eau à Marseille et de la Conférence des Nations unies Rio+20, nous avons noué un partenariat fort, visible et emblématique avec le Brésil. Celui-ci s'est considérablement ouvert à l'international ces dernières années et se montre très intéressé par l'Afrique. Lorsque les Brésiliens ont compris nos activités en Afrique, ils ont voulu développer un grand partenariat tripartite. Nous avons lancé un appel d'offres, cofinancé par les Brésiliens, l'agence panafricaine de la grande muraille verte et l'agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD). Autre particularité de notre action : dans ces pays, nous travaillons avec les universités et les instituts mais également dans le cadre d'un partenariat à l'échelle du pays. Aucune université en France ne peut le faire.
M. Jean-Joinville Vacher. - Les stratégies régionales permettent de réduire les déséquilibres. Ainsi, nous avons monté un groupe avec le Pérou, l'Equateur et la Colombie pour travailler sur les séismes et le volcanisme, qui concernent toute la région andine. La régionalisation permet notamment d'atteindre une masse critique de chercheurs de part et d'autre.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quels sont les succès emblématiques de l'IRD en termes de contribution au développement ?
M. Michel Laurent. - Comme le démontre son rapport d'activité, l'IRD est singulier à deux titres. Sa première spécificité est de mener des activités de recherche pour le développement dans le sud, activités qui ne constituent absolument pas une recherche de seconde zone. Ses succès scientifiques sont incontestables : l'IRD publie chaque année 12 à 15 articles dans les trois plus grandes revues mondiales : Nature, Science et PNAS (Proceedings of the National Academy of sciences). Pour un institut ne comptant que 750 chercheurs actifs, c'est un bon indicateur de performance. Si nous pouvons comprendre le sida, la biodiversité, le changement climatique, c'est parce que nous étudions ces enjeux de façon globale, à partir du sud.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelle est l'évolution sur dix ans ?
M. Michel Laurent. - Tous nos indicateurs ont progressé de 2000 à 2010. Autre spécificité de l'IRD : plus de 50 % de nos publications sont cosignées par des chercheurs du sud.
Un exemple : les équipes de l'IRD étudient au Pérou le grand courant de Humboldt, qui concerne 10 à 15 % des ressources halieutiques de la planète. L'Imarpe (El Instituto del Mar del Perú ), institut de recherche péruvien sur la pêche, commençait à y travailler. Nos équipes se sont installées à l'Imarpe et ont étudié cet écosytème particulier. Désormais, la flotille compte 2 600 bateaux et le Pérou est devenu le premier producteur d'anchois au monde en 2007 ou 2008. Or, l'autorisation de pêcher des anchois dépend directement du ministère de la pêche péruvien, qui s'appuie lui-même sur l'Imarpe. C'est un exemple de décision publique impactée par les résultats de la recherche partenariale en LMI.
Autre exemple : dans les années 1995-1997, une unité de l'IRD a fait breveter Plumpy nut, une pâte à base d'arachide pour lutter contre la malnutrition infantile. Le brevet a été acheté par Nutriset, un industriel français qui produit aujourd'hui 55 000 tonnes de produits par an, et a sauvé 7 millions d'enfants. Il y a deux ans, des journaux américains nous ont accusés de faire du business avec la malnutrition infantile. Cela nous a perturbés, et nous avons décidé de rendre la licence gratuite en Afrique: toute entreprise peut désormais se la procurer sur internet. La polémique a cessé immédiatement.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Avez-vous des relations particulières avec l'Agence française de développement (AFD) ? Vous arrive-t-il de jouer l'interface entre des porteurs de projets issus de la recherche ?
M. Michel Laurent. - Depuis deux ans, nos relations sont régies par une convention cadre. L'AFD finance le développement dans les pays du sud et nous y développons une activité de recherche : il est logique que nos activités se croisent, notamment dans le cadre du fonds français de l'environnement mondial (FFEM), géré par l'AFD. Nous menons ensemble des opérations emblématiques : l'IRD investit dans le sud, et l'AFD finance les mécanismes de restitution de la dette. Ainsi, l'AFD est partie prenante aux accords de haute technologie que nous avons conclus avec le Gabon et Haïti dans le domaine des images satellitaires.
Nous projetons également d'installer l'IRD à Marseille, aux côtés de l'AFD qui y possède déjà son centre de formation. Dans le cadre du projet métropolitain, nous avons développé un programme de cité de la coopération internationale où seraient représentées les institutions françaises et internationales, notamment la Banque Mondiale.
Nous cherchons également des partenaires pour garantir l'avenir du programme d'aide à la création d'entreprises innovantes en Méditerranée (Paceim) que nous ne pouvons financer que trois ans. Son succès phénoménal nous contraint à chercher un partenaire : Proparco (société de promotion et de participation pour la coopération économique), Oséo...
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelles sont vos principales difficultés ? Quelles améliorations sont-elles souhaitables ?
M. Michel Laurent. - Depuis deux décennies, l'IRD vit avec une épée de Damoclès. Pour faire bref, l'ex-Orstom (office de la recherche scientifique et technique outre-mer) était déjà accusé d'être l'héritier d'une posture postcoloniale. Moi-même, ancien président d'université, - je suis entrée à l'IRD en 2006 -, j'ai été associé aux instances d'évaluation du CNER (comité national d'évaluation de la recherche) à la fin des années quatre-vingt-dix : son jugement était alors peu amène... A la fin de la décennie, le président Lazare a mené une réforme pour faire passer l'IRD du statut d'institut physique, scientifique et technique à celui d'un véritable organisme de recherche ; nous sommes passés de 100 à 58 laboratoires. La décennie suivante a vu la science progresser et depuis quatre ou cinq ans, nous sommes plutôt exemplaires en matière d'éthique de partenariat. Lors des assises, un grand débat a eu lieu, avec les syndicats notamment. Aujourd'hui, l'IRD fait l'objet d'une inspection conjointe des ministères de l'enseignement supérieur et de la recherche et des affaires étrangères : commandée par les cabinets de Mme Fioraso et de MM. Fabius et Canfin, elle devrait rendre ses conclusions en juin, notamment au sujet d'un instrument que nous avons mis en place en 2010, l'agence, qui fait l'unanimité contre elle, notamment des chercheurs qui craignent qu'elle ne consomme leurs crédits. En revanche, nous commençons à obtenir de belles réalisations avec nos programmes pour le sud. Nous sommes habitués au débat, l'institut est bousculé tous les cinq ou dix ans... L'inspection, lancée en septembre dernier, dans un contexte national difficile, a cependant suscité une grande inquiétude, même si notre bilan est très positif. Lors de la clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale, le président de la République a annoncé la tenue d'un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en juillet prochain. Notre fin y sera-t-elle annoncée ? Vous imaginez quelle peut être l'angoisse au sein de l'IRD.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. -En quoi consistent ces critiques ?
M. Michel Laurent. - L'agence a été créée en juin 2010 et mise en place au printemps 2011. L'inspection a été lancée dix-huit mois après : le coup a été rude ! Un laboratoire est d'ordinaire évalué au bout de quatre ou cinq ans... Pour un projet aussi complexe que l'agence, il aurait été logique d'attendre au moins l'échéance du contrat d'objectifs qui court jusqu'en 2015. Ce que nous regrettons, c'est de n'avoir jamais eu le moindre soutien financier. Le Sud n'est pas dépourvu de moyens : aux côtés des organisations internationales, il existe des fondations privées, souvent américaines. La France donne beaucoup pour le sida, mais les fonds vont aux organisations internationales, sans véritable idée du retour, malgré l'importance des sommes engagées. Si la décision politique était prise de doter l'agence de 5 à 10 millions d'euros en guise d'amorçage, les effets de levier seraient très importants au Sud.
M Jean-Joinville Vacher. - A côté de cette inspection, nous avons également été évalués par une commission internationale d'experts du Sud, du Nord, et français. Elle a estimé notre positionnement original et indispensable, reconnu notre recherche de qualité et notre intégration dans le tissu scientifique français et européen. Nous ne sommes pas parfaits et demeurons ouverts aux améliorations. Cependant notre communauté scientifique s'interroge : jusqu'à quand devrons-nous nous justifier ?
M. Michel Laurent. - On en demande beaucoup à cette communauté qui fait un travail honorable et qui a acquis une bonne visibilité. Des universités comme Paris 6 se rendent compte lorsqu'elles viennent au Brésil de l'intérêt qu'elles ont à utiliser nos outils. Nous sommes dans une dynamique : tout ne peut être réglé en douze ou quinze mois !
Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. - Vous avez eu dans le passé d'excellentes relations avec les écoles d'agronomie françaises. Leur restructuration a-t-elle eu un impact sur l'IRD, notamment en termes de flux d'étudiants ?
M. Michel Laurent. - Notre partenariat est très important : nous avons cinq laboratoires mixtes avec le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et six avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Les autorités de tutelle ont créé Agreenium (Consortium national pour l'agriculture, l'alimentation, la santé animale et l'environnement) pour développer une communauté agronomique française à l'international, conformément aux orientations du CICID. Cela empêche en réalité les rapprochements entre deux établissements ayant les mêmes tutelles, l'IRD et le CIRAD. A Montpellier, nous travaillons dans les mêmes laboratoires, mais au Laos, au Vietnam ou en Afrique, nous sommes concurrents ! Heureusement, nous nous entendons avec la nouvelle direction du Cirad et nous avons un dialogue, mais Agreenium reste un mur qui freine les synergies. Nous ne partageons aucun représentant avec le Cirad, alors que dans le Sud, nous avons parfois un seul représentant avec la conférence des présidents d'université (CPU), le CNRS... Nos partenaires du sud n'y comprennent rien. L'AIRD a été créée pour fédérer le portail français de l'offre Sud. C'était une belle idée, cependant le verrou demeure.
Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. - Ma question n'était pas totalement naïve et vous y avez parfaitement répondu.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quels sont les avantages er inconvénients de la double tutelle ? Sont-elles plutôt complémentaires ou observez-vous des dissonances ?
M. Michel Laurent. - Le budget de l'IRD est géré par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui est légitime pour un établissement public scientifique et culturel. Nous sommes aussi sous la tutelle du ministère des affaires étrangères. Poser la question de la double tutelle, c'est aussi poser celle de l'existence de l'IRD. Tout ceci relève d'un choix politique : quelle visibilité souhaite-t-on donner à notre action ? Pour ma part, je considère que le ministère des affaires étrangères doit s'investir beaucoup plus. Si les diplomates ont pris conscience de l'existence d'une diplomatie scientifique, ils nous connaissent mal et sont peu à mêmes de nous défendre. Ils n'ont pas été formés à cela.
M. Jean-Joinville Vacher. - Mon expérience diplomatique me permet d'affirmer que cette cotutelle est indispensable. Grâce à elle, nous nous sommes considérablement rapprochés des ambassades. Ce que je regrette, c'est que les ambassades se focalisent sur le nombre de leurs conseillers scientifiques, et oublient les 5 000 chercheurs-enseignants de l'enseignement supérieur qui travaillent directement avec le sud. La France a un outil exceptionnel et original, et il est dommage que la diplomatie scientifique ne le revendique pas davantage. Lors des Assises, le président de la République a repris à son compte le débat sur la cohérence des politiques publiques de développement et il a eu raison : il faut une cohérence entre la politique du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et la politique de développement.
M. Michel Laurent. - Nous avons eu d'importants chantiers au Tchad et au Mali ; nous menons deux grands programmes emblématiques dans le Tchad, dont une expertise internationale sur le lac Tchad, que nous souhaitons remettre en automne aux autorités. Nous y faisons un certain nombre de préconisations, notamment sur la mise en valeur économique du site, soumis depuis des millénaires à des variations du niveau d'eau. Cette mission s'effectue dans des conditions complexes ; nos chercheurs doivent être protégés par des véhicules blindés et nous faisons tout pour éviter les prises de risque.
Au Mali, nous disposons d'une représentation permanente à Bamako. En raison de son statut en zone rouge, elle fonctionne aujourd'hui avec des emplois locaux, et un seul chercheur de l'IRD. Les chantiers sont nombreux : santé, environnement, eau. Du point de vue politique, dans ces pays en conflit, la science, la recherche, peuvent aider à passer à une autre phase. Les Maliens sont très demandeurs ; le ministre de la recherche apprécie notre présence et nous le fait savoir. Nous pouvons représenter un des éléments de la contribution à la paix et au développement, mais nous avons du mal à faire entendre notre message.
Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. - Nous vous remercions.
Mercredi 29 mai 2013
- Présidence de Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure -Audition de M. Michel Bouvet, directeur général délégué de l'agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD)
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Nous vous remercions d'être présent pour échanger sur l'AIRD, dont vous avez la responsabilité. L'objectif de cette mission commune d'information consiste à analyser la recherche pour le développement hors de France et la qualité du dispositif français dans les pays du Sud, en vue d'élaborer des recommandations pour le renouvellement des politiques publiques en cette matière.
M. Michel Bouvet. - Je vous remercie de m'avoir demandé de porter mon témoignage sur l'action de la France en matière de recherche pour le développement, et je souhaite tout d'abord vous féliciter pour la parité de cette commission commune d'information.
Je parlerai en tant que Directeur Général délégué de l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement. Je débuterai par quelques réflexions sur les spécificités de la recherche pour le développement, avant de présenter le paysage français, en insistant sur le manque de coordination des acteurs, qui a conduit à la création de l'AIRD, dont je tirerai le bilan deux ans et demi après sa mise en place formelle. Pour que le développement des pays du Sud soit durable, il convient de répondre à leurs attentes, et de définir des voies d'amélioration, afin que la recherche soit un moteur du développement économique du Sud. Dans une deuxième partie, je vous ferai part des attentes de nos partenaires du Sud. Enfin, je répondrai franchement et personnellement aux bonnes questions qui m'ont été posées en préalable à cette audition.
La recherche pour le développement est nécessairement partenariale et multisectorielle, et doit intégrer très étroitement les trois composantes de la société de la connaissance : formation, recherche et valorisation. Faire de la science au Sud est incontournable et banalisé car de nombreuses questions scientifiques sont mondiales. En revanche, la recherche pour le développement des pays du Sud, ses sociétés et populations est finalisée. Elle s'inscrit dans une perspective d'aide au développement et se situe à l'intersection de la stratégie nationale de recherche et d'innovation, et de la politique d'aide publique au développement.
Les problèmes posés mettent en jeu des réalités physiques, biologiques, environnementales, humaines, sociales, etc. La recherche pour le développement est donc forcément interdisciplinaire et multisectorielle et concerne différents secteurs : santé, agriculture, adaptation au changement climatique, etc. La recherche pour le développement contribue à l'aide au développement car elle s'appuie sur des modalités de travail spécifiques avec le Sud, dans un cadre partenarial étroit, à tous les niveaux de la démarche : conception des programmes, réalisation, financement, publication, valorisation, etc. Cette recherche contribue non seulement à l'avancée des connaissances, ce qui est classique pour la recherche, mais également à la construction d'expertises locales (renforcement des capacités, en particulier scientifiques, des pays du Sud) et au développement des sociétés par les innovations ou méthodes qu'elle produit.
Dès la co-conception des programmes, la recherche pour le développement doit s'intéresser à la capacité d'utiliser ses résultats dans les politiques publiques locales. C'est une caractéristique qui la différencie de la recherche habituelle qui vise simplement à l'avancée des connaissances. Elle s'inscrit dans le cadre d'une demande sociale, et impose une articulation très forte entre formation, enseignement supérieur, recherche et valorisation. Les activités de recherche contribuent au renforcement des capacités scientifiques (formation par la recherche). La valorisation des résultats de recherche se doit non seulement d'être économique (innovation), mais aussi sociétale (c'est l'expertise pour l'aide à la décision), et culturelle - information scientifique et technique, lien science/société, etc.
Je voudrais maintenant souligner qu'en France, la recherche et développement représente un investissement non négligeable, pour ne pas dire important, mais morcelé. Le budget total de la recherche pour le développement s'élève officiellement en France à environ 500 millions d'euros dans le cadre de l'aide au développement public. Vous auditionnerez vraisemblablement les collègues de la Direction Générale de la Mondialisation du Ministère des affaires étrangères, qui sont plus légitimes pour préciser ce chiffrage. Ce budget représente 5 % de l'aide publique au développement, intégrant le budget du CIRAD et de l'IRD. Il convient d'ajouter au côté de ces organismes dédiés le réseau des 32 instituts Pasteur, les nombreux acteurs français de la recherche française au Sud, le CNRS, l'INSERM, les universités, ainsi que les IFRE positionnés au Sud (Instituts français de recherche à l'étranger, sous la double tutelle du MAE et du CNRS).
Cette communauté scientifique compte environ 7 000 scientifiques, soit un investissement financier et humain important. Malgré cette importance, la recherche pour le développement peine à se coordonner et souffre d'un morcellement qui nuit à son efficacité, tant les intérêts et modalités d'intervention de ces établissements sont diverses. Il existe dans les pays du Sud plus de 90 représentations, bureaux, etc. de la recherche française, émanant du CIRAD, de l'IRD, du CNRS, des IFRE, de l'institut Pasteur,...
L'AIRD a été créée pour répondre à cette problématique. En 2005, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a demandé à l'IRD d'évoluer vers un rôle d'agence de moyens. A l'époque, l'IRD s'est rapproché du CIRAD, du CNRS, de la conférence des présidents d'université, de l'INSERM et de l'Institut Pasteur pour mettre en place une cellule de trois à six personnes, un secrétariat exécutif permanent, qui a piloté depuis 2007 des programmes scientifiques, en partenariat avec le Sud, au nom de ses six fondateurs.
En 2007, les présidents des six organismes ont écrit aux deux tutelles de l'IRD et du CIRAD, le Ministère des affaires étrangères et le Ministère chargé de la recherche, pour leur demander de donner un statut à cette agence ou à cet embryon d'agence. Ceci a conduit à un décret en juin 2010, qui a modifié l'organisation de l'IRD avec une gouvernance organisée autour d'un président et la création de l'AIRD au sein de l'IRD, ayant trois missions :
- mobiliser les établissements de recherche et d'établissement supérieur et les autres institutions concernées sur toute question de science liée au développement, et animer la réflexion sur ces sujets ;
- programmer et contribuer au financement des activités scientifiques au service du développement ;
- ouvrir le réseau des implantations d'institut aux autres acteurs de la recherche française, européenne et internationale.
Cette agence a été mise en place au 1er janvier 2011, en tant que Direction Générale déléguée de l'IRD, en intégrant les équipes et les portefeuilles d'activité du secrétariat exécutif permanent, ainsi que des équipes préexistantes de l'IRD, c'est-à-dire les équipes d'information scientifique et technique et de communication, les équipes qui traitaient des relations avec l'Union Européenne, ainsi que les équipes de valorisation. Dans sa structure actuelle, l'AIRD existe depuis un peu plus de deux ans.
Afin de remplir ses missions prévues au décret, les activités de l'agence s'organisent en plusieurs thématiques. La première consiste à mobiliser, coordonner, animer la réflexion sur la recherche pour le développement, ce qui a en particulier conduit à des activités et des actions de concertation et d'incubation d'actions collectives, dans le cadre de deux comités, d'une part un comité de coordination entre les six organismes fondateurs du Nord, qui se réunit en moyenne une fois toutes les six à huit semaines, et d'autre part un conseil d'orientation qui comprend des représentants des organismes fondateurs du Nord, des Alliances thématiques et des tutelles ministérielles et des personnalités du Sud (13 personnes qualifiées du Sud) et qui se réunit tous les six mois, sous la présidence d'une personnalité du Sud, Jean-Pierre Ezin, qui vient de quitter son poste de commissaire aux ressources humaines, scientifiques et technologiques de l'Union Africaine.
Le second type d'activités de l'AIRD consiste à assurer l'ingénierie de projets de recherche en partenariat avec le Sud. Je citerai quelques exemples :
- la mise en oeuvre de programmes sur financement du Ministère des Affaires Etrangères sur les fonds de solidarité prioritaire : le programme Corus a ainsi permis de soutenir 150 équipes de 30 pays africains, en impliquant 1 500 scientifiques, ce qui donne une idée des programmes gérés ;
- la réponse à des saisines ministérielles (Ministère des Affaires Etrangères, Ministère chargé de la recherche, Ministère de l'Ecologie, etc.) : demande d'élaboration d'un programme de recherche pour lutter contre la papillonite en Guyane, demande de coordination des actions des organismes français en Haïti pour la reconstruction des instituts de recherche dans ce pays, suite au tremblement de terre du 12 janvier 2010 ;
- l'animation d'un programme tripartite Afrique/Brésil/France sur la lutte contre la désertification ;
- le pilotage de 16 programmes opérationnels de l'Union Européenne.
Je souhaite préciser que l'AIRD n'est pas opérateur de recherche, mais s'appuie sur les opérateurs, en particulier ses fondateurs (Cirad, CNRS, CPU, Inserm, Institut Pasteur, IRD).
Le troisième type d'activité est le renforcement de la capacité scientifique des pays du Sud, avec une palette complète de programmes et d'actions, chacun étant d'une certaine façon le service après-vente du précédent. Nous soutenons des allocations de bourses individuelles de thèse ou de recherche, nous avons des programmes soutenant des jeunes équipes de recherche du Sud, ainsi que des duos de chercheurs Nord-Sud plus expérimentés. L'AIRD est en train de mettre en place un dispositif de suivi des anciens bénéficiaires de son soutien.
Une action consiste à valoriser économiquement et « sociétalement » l'action des programmes de recherche. La valorisation sociétale passe par l'expertise collégiale qui vise à éclairer la décision politique en utilisant les résultats de la recherche. Une telle expertise est menée en ce moment sur l'avenir du lac Tchad, commanditée par la commission du bassin du lac Tchad. Ce dispositif ne donne pas lieu à la création de connaissances, mais à l'utilisation de connaissances pour aider à la décision publique.
En matière de valorisation plus économique, l'AIRD coordonne le consortium de valorisation thématique « Valorisation Sud » mis en place dans le cadre du programme des investissements d'avenir. Chaque Alliance thématique de recherche valorise les brevets dans son domaine. Ce sixième consortium, transverse, est coordonné par l'AIRD et dédié aux technologies visant les marchés du Sud. Il a été doté d'un budget de 9 millions d'euros dans le cadre du programme des investissements d'avenir.
L'AIRD pilote ou copilote aussi des incubateurs d'entreprise. Des incubateurs sont mis en oeuvre à Dakar, conjointement avec l'UCAD, et à Nouméa. Un autre est situé à Bondy.
Nous avons mis en place sur ressources externes un programme d'aide à la création d'entreprises innovantes pour les jeunes chercheurs de la rive Sud de la Méditerranée.
Je vous présente ici deux exemples concrets d'innovation. La première n'a pas été brevetée, c'est la moustiquaire imprégnée, pour se protéger des moustiques. Un chercheur a eu l'idée de renforcer l'efficacité de la moustiquaire en imprégnant d'insecticide la toile.
Mme Claudine Lepage. - Ce produit n'est-il pas malsain ?
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - C'est très efficace. Elles coûtent 4 000 francs CFA, ce qui n'est pas très cher.
M. Michel Bouvet. - Elles sont valables cinq ans. On peut les laver. Une autre innovation est une pâte alimentaire pour combattre la malnutrition.
Mme Christiane Kammermann. - Cette pâte a-t-elle bon goût ?
M. Michel Bouvet. - C'est extrêmement calorique, sans effet secondaire. Ce produit a généré 3 millions d'euros de revenus et permis de soigner 14 millions d'enfants. La société s'appelle Nutriset, le produit PlumpyNut.
Un autre objectif consiste à diffuser l'information et communiquer les résultats de la recherche. Cette mission contribue à l'éducation de la société. Nous cherchons de plus en plus à cosigner et coéditer des livres avec des auteurs et éditeurs des pays partenaires, si possible dans les deux langues. Nous mettons en place des expositions, des actions vis-à-vis des jeunes, procédons à l'édition et la mise en ligne de fiches d'actualité scientifique, qui participent aussi à l'éducation des médias, des relais d'opinions. Enfin, nous éditons et diffusons un journal, Sciences au Sud, diffusé à 75 000 exemplaires, pour cinq numéros par an. Ce journal adressé dans 117 pays est diffusé par voie postale à une liste déterminée de destinataires. Cette mission fait partie de l'action de valorisation culturelle. Les agents en mission qui nouent de nouveaux contacts les ajoutent à la liste de diffusion.
Le dernier objectif de l'AIRD consiste à ouvrir et mutualiser les plates-formes des organismes français dans le Sud. Le problème est que cette action se déroule sur la base du volontariat. Sont concernés par nos actions les plates-formes techniques, les centres de documentation, etc.
Pour résumer, l'agence gère plus de 80 programmes qui impliquent 60 pays en formation, recherche et valorisation.
Par décret, l'AIRD a été dotée d'un conseil d'orientation, lieu de discussion, d'échange et d'orientation. Dans ce cadre a été finalisée une charte du partenariat, de la recherche pour le développement, action commune à l'AIRD et l'IRD, qui énonce une dizaine de principes pour que la relation relève d'un vrai partenariat équilibré, et non de l'assistanat. Nous annexons cette charte à tous les accords-cadres signés avec les partenaires du Nord et du Sud.
Dans la perspective des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, et du développement de la solidarité internationale, j'ai demandé au collège Sud du Conseil d'orientation de l'Agence (COrA) d'exprimer ses attentes vis-à-vis de l'AIRD. Quatre thématiques majeures sont ressorties: renforcer les capacités, valoriser les résultats de la recherche, travailler en partenariat, ainsi que coordonner les acteurs et programmes français pour la recherche et le développement.
La première attente consiste à poursuivre le développement du partenariat avec les pays du Sud, en impliquant les acteurs du Sud dans les activités de l'AIRD. Nous cherchons à augmenter la participation des scientifiques du Sud dans l'ensemble des comités d'évaluation des appels d'offres, en particulier ceux qui expertisent les offres lorsque nous lançons les appels d'offres. Ce n'est pas très facile car les experts sont très demandés. Cet objectif représente un certain coût.
Nous cherchons de plus en plus à signer des accords avec des entités régionales, en faisant en sorte qu'ils soient suivis d'effet, afin de créer de la coopération et du partenariat Sud-Sud, en particulier la communauté économique des états d'Afrique centrale. L'Agence panafricaine de la grande muraille verte regroupe 11 pays.
La deuxième attente consiste à aider à développer les capacités scientifiques : notre soutien à la formation passe par la recherche et il est complété par des « écoles d'été » pour renforcer la compétence professionnelle ainsi que par les expertises collégiales. Nous accompagnons les pays du Sud qui le souhaitent dans la mise en place d'un système de gouvernance de l'enseignement supérieur et la recherche. Le cas de la Côte d'Ivoire est intéressant. L'AIRD a agi depuis deux ans pour ajouter des investissements « soft » au programme de reconstruction « hard » des universités dans le cadre du programme de désendettement et de développement de la Côte d'Ivoire, c'est-à-dire financer non seulement des investissements en dur (béton, équipements, ...), mais aussi des jeunes chercheurs qui seront dans dix ou quinze ans, des patrons de laboratoires ivoiriens ou internationaux. Nous avons réalisé une mission AIRD dans ce pays accompagnée de l'IRD dans le cadre de sa fonction d'opérateur, du CNRS et de la CPU.
Pour aider à lever les obstacles qui entravent le développement de la recherche dans les pays du Sud, des groupes d'experts mixtes sont chargés de l'identification des obstacles et de faire un effort de lobbying auprès des décideurs du Nord et du Sud.
La dernière attente des partenaires du Sud consiste à aider à coordonner les actions des acteurs scientifiques français en matière de recherche pour le développement, et être un point d'entrée des pays du Sud vers ces acteurs. L'AIRD a été mise en place en vue de coordonner les scientifiques français. Cependant, le modèle politique consistant à positionner l'AIRD dans l'IRD n'est pas optimal. Il a été créé dans un institut qu'il était chargé de coordonner. Le fait que la participation se déroule sur la base du volontariat complique la tâche de l'AIRD.
Nous tentons aussi d'élargir la coopération scientifique Nord-Sud en favorisant la synergie entre les compétences françaises, européennes et mondiales, en mobilisant les réseaux des collaborateurs et acteurs français, et en développant les relations au niveau régional, tant au Sud qu'au Nord.
Il nous revient aussi de développer les synergies entre les différentes disciplines concernant la recherche pour le développement. Il s'agit de l'aspect inter-organismes et intersectoriel. Hormis le CNRS et l'IRD, les autres organismes de recherche sont mono-sectoriels. Il s'agit de développer les échanges scientifiques entre les communautés françaises et celles du Sud, facteur d'enrichissement mutuel.
Finalement, le collège Sud du COrA a exprimé des recommandations pour que l'AIRD puisse répondre à ces attentes :
- doter l'agence de l'autorité nécessaire notamment par un renforcement de ses capacités propres de décision, et un renforcement de ses moyens financiers et humains ;
- lever la confusion de nom entre l'AIRD et l'IRD ;
- lever les autres ambiguïtés susceptibles d'exister entre l'AIRD et les autres structures françaises de soutien à la recherche pour le développement.
Le début de mon exposé était basé sur la contribution de l'AIRD, au nom de ses six membres fondateurs, aux deux Assises, Enseignement supérieur et recherche d'une part, et Développement et solidarité internationale d'autre part. La deuxième partie était basée sur l'expression des attentes des membres du collège Sud du COrA vis-à-vis de l'AIRD, autre contribution aux Assises. La fin de mon intervention sera plus personnelle et fournira des éléments de réponse aux questions préalables posées par cette mission commune d'information.
En cherchant à répondre à ces questions préalables, je me suis rendu compte de deux points.
Tout d'abord, il ne faut pas confondre recherche et science. L'objectif de la recherche est l'avancée de la connaissance. La science englobe formation, recherche et valorisation. C'est l'application des travaux de recherche, grâce à la formation par la recherche voire la formation à la recherche, et l'application des résultats pour une valorisation au bénéfice des populations ou des sociétés qui peuvent être utiles.
La question est plutôt de savoir qui sert de passeur entre la connaissance et son utilisation pratique. Est-ce le travail des chercheurs ?
Les chercheurs sont actifs dès lors qu'il s'agit de faire avancer la connaissance. Mais certains ont tendance à se retirer de tout programme visant à l'application de la recherche, à la valorisation de leurs résultats. Il conviendrait de davantage prendre en compte pour l'évaluation des chercheurs, voire des organismes, les activités de valorisation de leurs travaux. Il s'agit aussi de la valorisation pour faire de l'expertise, avoir un contact avec le milieu socio-économique, ou de faire de la vulgarisation scientifique. De plus, s'agissant de l'évaluation des travaux de recherche, il faut prendre en compte le fait que si l'excellence de la science du Sud est identique à celle faite au Nord, elle est parfois plus « lente ». Cette situation peut rebuter les chercheurs qui cherchent absolument à faire carrière. En effet, il n'y a ni les mêmes réflexes des chercheurs, ni les mêmes équipements que pour la recherche au Nord. Il y a aussi des problèmes pratiques, d'accès à l'électricité ou à internet, par exemple.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Le retard est lié à des questions techniques de coupure d'électricité, mais le fait que les réseaux sociaux soient structurés différemment donne lieu à une très forte intégration sociale, consommatrice de temps dans le Sud, y compris pour les chercheurs.
M. Michel Bouvet. - Oui. La deuxième remarque consiste à distinguer le niveau du programme de recherche des niveaux plus stratégiques. Le partenariat doit fonctionner à tous les niveaux, mais le lien formel avec le développement apparaît plutôt au niveau agrégé, qui tient compte de toute la chaîne intellectuelle : enseignement supérieur, formation et valorisation.
Venons-en aux questions préalables qui m'avaient été posées.
La première : la recherche pour le Sud est-elle réellement mise au service du développement ?
Les chercheurs qui travaillent pour le développement doivent avoir une grande liberté dans la définition de leur programme. La contrepartie de cette liberté est le devoir de restituer le savoir et le savoir-faire et de s'inscrire dans un cadre global. Il faut définir des programmes de recherche pour le développement qui correspondent à des enjeux partagés, dans une optique de développement durable, si possible en utilisant des financements incitatifs et répartis entre les partenaires. Ces programmes doivent être prioritairement axés sur des objectifs réalistes, fondés sur les besoins ou attentes exprimés par les partenaires du Sud. Il faudrait réserver ou obtenir des co-financements pour des programmes co-définis. Les critères d'évaluation des chercheurs sont liés au nombre et à la qualité des publications. Il faut davantage prendre en compte les spécificités de la recherche pour le développement.
Deuxième question : les laboratoires français de recherche dans ce domaine répondent-ils aux besoins des pays du Sud ? Leur approche est-il suffisamment transversale et interdisciplinaire ?
La recherche française pour le développement souffre d'un manque de coordination intersectorielle, donc de visibilité et de clarté. Il n'y a ni coordination programmée entre établissements français, par exemple via une Alliance Sud, ni entre établissements français et partenaires Sud. Chaque établissement hormis le CNRS et l'IRD est mono-sectoriel, même s'il est pluridisciplinaire. Ceci conduit à une réflexion en « silo », antagoniste du travail en multi-sectoriel, caractéristique de la recherche pour le développement.
Il faut davantage coordonner, harmoniser et donner de la visibilité aux actions scientifiques françaises en matière de recherche. Michel Eddi, Président du Cirad, vous a vraisemblablement parlé des dispositifs en partenariat du Cirad. Michel Laurent, Président de l'IRD, est probablement intervenu sur les programmes pilotes régionaux, PPR, qui sont de très bons instruments. Il faut développer ces idées qui mettent en jeu diverses disciplines plurisectorielles, à l'échelon régional, pour inciter à la coopération Sud-Sud.
La recherche française pour le développement doit s'organiser pour bâtir de façon concertée les programmes intersectoriels, pour répondre avec efficacité aux demandes des pays du Sud. Les cinq alliances thématiques ont des programmes au Sud, notamment l'ANRS, ou les programmes d'AVIESAN relatifs à la santé. Il faut une structure susceptible de jouer un rôle de point d'entrée pour les partenaires du Sud. Cette structure de référence en termes d'ingénierie des partenariats scientifiques avec le Sud doit agir comme un outil de facilitation et de méthode, en vue de capitaliser leur expérience, de coordonner l'établissement d'une macro-programmation, et de favoriser l'expatriation des scientifiques français au Sud. En effet, l'expatriation apporte la certitude d'une bonne synergie entre scientifiques du Nord et du Sud.
Mme Christiane Kammermann. - Pourriez-vous être plus précis sur ce sujet ?
M. Michel Bouvet. - Les scientifiques français qui restent au Nord travailleront sur des programmes du Nord, alors que leur expatriation permettra qu'ils traitent des programmes du Sud, répondant aux attentes des pays du Sud. Pour cette raison, l'expatriation est particulièrement importante, même si elle a un coût. Il s'agit de développer des compétences localement. Au delà de l'expatriation, lorsque nous finançons des bourses de recherche pour des étudiants du Sud, nous leur imposons de ne pas passer plus de six mois en France pour ne pas favoriser la fuite des cerveaux. En effet, nous voulons qu'ils contribuent à développer les systèmes sur place.
Ce portail unique offrira plus de visibilité, sera davantage sollicité, et donc plus efficace et garant d'une ingénierie exemplaire. Enfin, il faut instituer dans le système de management des cadres de suivi et d'évaluation ouverts aux partenaires financiers et aux usagers potentiels, plutôt au niveau des macro-programmes.
Troisième question : leur mode de financement est-il adapté ?
Les financeurs influent sur les programmes. Les chercheurs vont là où est l'argent. Leurs grandes sources de financement sont le budget de l'organisme auquel ils appartiennent, l'Agence nationale de la recherche, dont les moyens se réduisent et qui ne finance pas le Sud, contrairement à l'AIRD, l'Union Européenne qui n'est pas tellement orientée sur le développement des pays du Sud. Il faudrait financer de la recherche ciblée et coordonner les programmes orientés Sud des différents acteurs, avec une granulométrie suffisamment importante pour être lisible par les grands bailleurs internationaux.
Quatrième question : les partenariats développés avec les chercheurs du Sud sont-ils effectifs et permettent-ils de renforcer les capacités scientifiques au Sud ?
Oui, en particulier grâce à la formation par la recherche, sous réserve de la mise en place d'éléments de partenariat. Dans les programmations scientifiques, il faut systématiquement intégrer une composante de formation et de renforcement des capacités pour les programmes en partenariat, y compris la formation au management de la recherche (gestion administrative, gestion financière, contrôle, restitution, etc.).
Cinquième question : les travaux de recherche sont-ils suffisamment valorisés ?
Le potentiel de valorisation de la recherche pour le développement demeure important. La proportion des chercheurs qui s'impliquent en relation avec les directions de valorisation des organismes n'est pas optimale. Nous essayons de mettre en oeuvre deux types de mesure : la valorisation des brevets qui intéressent le Sud sont de plus en plus copartagés avec le Sud ; les mesures visant à développer la création d'entreprise au Sud sont à développer.
Sixième question : les scientifiques sont-ils assez impliqués dans l'aide au développement et son évaluation ?
Probablement pas assez, avec une responsabilité partagée. Chaque « camp » n'est pas confortable avec l'autre, chaque camp (financeur et scientifique) ayant des contraintes de temps différents. Le décideur a tendance à demander une réponse binaire à un expert scientifique, ce qui ne correspond pas à la logique de ce dernier.
Les scientifiques sont peu intégrés dans certaines catégories socio-professionnelles parmi les décideurs. Les opérateurs de l'aide (Banque mondiale, AFD) devraient davantage faire appel aux travaux et aux compétences scientifiques dans la définition, le suivi et l'évaluation des programmes et les programmes de recherche être soumis à une évaluation pluridisciplinaire.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Dans le partenariat, depuis hier, depuis que nous avons entendu le Président de l'IRD, nous avons l'impression que la France fait surtout de la cogestion, de la codirection et éventuellement du cofinancement. Le cofinancement est positif avec des pays de revenu intermédiaire et émergent, mais ce système est inapplicable dans certains pays. Comment fait-on pour s'assurer de la validité du cofinancement, à partir du moment où il y a des disparités très importantes en termes de structure ? Les structures de recherche française sont très solides, alors que les structures du Sud sont très petites. La recherche du Sud a besoin du Nord, mais celle du Nord a aussi besoin du Sud. Dès lors que nous ne pouvons pas faire de cofinancement et que les disparités sont très importantes, quels mécanismes peuvent-ils être mis en place pour créer une relation d'égal à égal sur le plan scientifique ?
M. Michel Bouvet. - Je propose de répondre sous l'angle du cofinancement, qui ne signifie pas forcément 50/50. Tout d'abord, il y a tout de même des budgets nationaux destinés à la recherche ou à l'innovation, dans les pays du Sud. Le fait que des scientifiques du Sud travaillent dans les programmes de recherche contribue au cofinancement en coût complet. Par ailleurs, le cofinancement d'un programme en bilatéral ne vient pas nécessairement du budget national, mais de la Banque mondiale, des organisations régionales, des fondations, des ONG, etc., apportées par le pays en question.
Nous avons, à titre d'exemple, un programme partenarial avec l'Egypte. Nous lançons chaque année un appel d'offres pour des travaux d'équipes mixtes franco-égyptiennes cofinancées à parité par les deux pays.
En ce qui concerne la structure de l'AIRD mentionnée en préambule, il ressort des contributions des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche que tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut une agence qui coordonne et finance des actions de recherche pour le développement inter-établissements et intersectoriel, qu'il faut que cette agence soit dotée de moyens, et qu'elle ait son indépendance. L'AIRD réussit à lever des cofinancements. Mais il faut un financement d'« amorçage ». Nous n'avons pas nécessairement besoin de centaines de millions d'euros. Parmi les pistes évoquées pour doter l'AIRD de cette capacité d'« amorçage », il y a la possibilité de prélever une petite proportion, de 0,5 à 2 %, des bourses que le gouvernement français donne pour accueillir les étudiants étrangers sur le territoire, pour financer le renforcement des capacités dans leur pays. C'est une manière d'éviter la fuite des cerveaux, et de former les pays à la formation des chercheurs dans leur pays. L'Union africaine a, d'ailleurs, récemment lancé une université panafricaine.
A titre de comparaison, l'ANRS dispose d'un budget d'intervention de l'ordre de 40 millions d'euros par an sur le seul sujet du SIDA. Le budget de l'AIRD a été abondé de 0,5 million d'euros lors de sa création, pour traiter tous les sujets, alors qu'elle traite de tous les sujets, santé, ressources naturelles, changements climatiques, l'énergie, l'aménagement urbain, ...
La contribution française au fonds mondial de recherche contre le SIDA et les hépatites doit s'élever à 360 millions d'euros, alors que cette participation est noyée parmi les autres. Le redéploiement de 10 millions d'euros de cette somme permettrait d'accroître considérablement le financement de la recherche dans le Sud.
Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Une question récurrente est liée à l'absence de financement du Sud par l'ANR. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Les équipes du Sud sont obligées de passer par le Nord, par des astuces de sous-traitance ou des organisations encore plus problématiques, afin que le Sud rentre dans ses frais.
M. Michel Bouvet. - Le rôle d'agence de contrat de l'AIRD peut laisser penser qu'il pourrait être tenu par l'ANR. Mais il faudrait changer les règles de fonctionnement de l'ANR, en l'autorisant à financer des équipes du Sud. L'AIRD est mieux placée pour prendre en charge cette activité du fait de l'appui sur le réseau des représentants et des régies de l'IRD, ainsi que de l'intégration formation/recherche/innovation. Le versement de l'aide à du développement intégré et durable supposerait de redéployer les moyens de l'ANR vers l'AIRD.