Mercredi 29 mai 2013
- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -Audition de M. Jean-Michel Casa, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères
La commission auditionne M. Jean-Michel Casa, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères.
M. Daniel Reiner, président. - Vous avez été nommé directeur de l'Union européenne le 28 mai 2009 après avoir été notre ambassadeur en Jordanie puis à Tel Aviv. Voici un trop long moment que notre commission ne vous a pas auditionné, ce qui ne signifie nullement une baisse de notre intérêt et de notre vigilance pour les questions relatives à l'Union européenne. Peut-être en partie en raison de la crise économique et financière que nous traversons, l'Europe paraît en panne. Les opinions publiques, dans pratiquement tous les pays membres, voient le scepticisme, l'euroscepticisme, se développer. Et je ne parle pas seulement du Royaume-Uni. Il existe une évidente lassitude et la tentation d'un repli national. Cette panne relative est inquiétante alors que nous allons avoir les élections européennes pour le Parlement européen en 2014.
Vous avez la responsabilité d'un domaine immense que nous n'avons naturellement pas la possibilité de couvrir en une audition. C'est la raison pour laquelle je vous propose de centrer votre propos sur trois questions.
La première porte sur la politique étrangère de l'Union et, comme nous en étions convenu, sur le bilan et la réforme du service d'action extérieure. Avec le traité de Lisbonne, nous avons créé un outil théoriquement efficace pour la politique étrangère européenne : le SEAE. Le Parlement européen vient d'adopter des propositions sur l'organisation et le fonctionnement de ce service. Nos collègues de la Chambre des Lords viennent de publier un rapport et pas moins de 50 recommandations sur le SEAE. Nous serions intéressés par vos analyses et la position de notre pays sur ce service et son évolution. En particulier notre commission, également en charge des questions de défense, s'intéresse à une meilleure prise en compte de la PSDC par le service.
Dans la même logique, dans la perspective du Conseil européen de décembre prochain, notre commission a mis en place un groupe de travail sur l'Europe de la défense. Lors de son intervention devant l'IHEDN, vendredi 24 mai, le Président de la République a indiqué qu'il présenterait à nos partenaires des propositions non seulement dans le domaine capacitaire, mais aussi en matière de coordination des politiques des 27 par zone géographique. Une réunion des pays de la lettre d'intention vient d'avoir lieu à Paris, ce même 24 mai, à notre initiative. Pouvez-vous nous dire comment vous voyez la préparation de ce Conseil européen consacré à la défense.
Enfin, s'agissant de la PESD, comment en voyez-vous l'évolution ? En particulier l'une de vos sous-directions traite de l'Allemagne et des relations entre nos deux pays. Au-delà des polémiques récentes qui ont eu lieu, où en est la relation franco-allemande ? On reparle par ailleurs en France d'union politique, qui est un thème courant en Allemagne, mais plus rare en France.
Ce sont trois vastes questions sur lesquelles nous pourrions passer beaucoup de temps. Je sais également que mes collègues ne manqueront pas de vous interroger sur d'autres aspects : élargissement, Balkans etc.... Ce constat doit nous inciter à vous inviter plus souvent devant notre commission.
M. Jean-Michel Casa, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères.- Le Service européen pour l'action extérieure est sans doute l'innovation la plus originale du traité de Lisbonne et l'une de celles qui cristallisent les enjeux les plus importants pour l'avenir. Cette création correspond à l'ambition d'une mise en cohérence des instruments d'action extérieure, et témoigne de la volonté d'affirmation de l'UE en tant qu'acteur mondial.
Le SEAE est placé sous l'autorité du Haut Représentant pour les Affaires étrangères et pour la politique de sécurité (art 27.3 du TUE), pour l'exercice des trois fonctions principales que lui confient les traités : conduite de la PESC dans sa capacité de Haut Représentant (comme son prédécesseur Javier Solana), présidence du Conseil des Affaires étrangères (et de toute la filière des groupes de travail qui lui sont subordonnés), et fonction de Vice-présidente de la Commission, en charge de la coordination des relations extérieures. Nouvel organe sui generis, distinct de la Commission et du Conseil, le Service est un nouvel instrument au service de l'émergence d'une diplomatie européenne, complémentaire à celles des États membres. Ce nouvel organe dispose de moyens directs d'action, qui préexistaient (au moins comme de premiers instruments), notamment la PESC et la PSDC, mais aussi de certains moyens qui relevaient auparavant de la sphère communautaire.
Pour remplir ses missions, le SEAE s'appuie sur une administration centrale et sur le réseau, en plein essor, des délégations de l'UE à l'étranger, constitués l'un comme les autres d'un personnel issu des Services du Conseil, de la Commission et des appareils diplomatiques des États membres. S'agissant de l'administration centrale, le SEAE est dirigé par un Secrétaire général exécutif (le titulaire actuel est notre compatriote, Pierre Vimont), exerçant ses fonctions sous l'autorité du HR. Le Secrétaire général exécutif est assisté par deux secrétaires généraux adjoints, l'un pour les affaires politiques (Helga Schmid), l'autre pour les affaires interinstitutionnelles (Maciej Popowski). S'y ajoute un directeur général administratif (David O'Sullivan), dont la fonction n'est pas sans entrer parfois en léger doublement avec celle du Secrétaire général. Ces quatre responsables composent, autour de Mme Ashton, la structure collégiale de direction du SEAE (dit « corporate board »). L'administration centrale du SEAE comprend 8 directions générales (5 directions géographiques « classiques », - Afrique ; Asie et Océanie ; Amériques ; Afrique du Nord et Moyen-Orient ; Europe Orientale et Asie Centrale - une direction générale chargée des affaires globales et multilatérales, une direction générale chargée de la réponse aux crises et de la coordination des moyens, et une direction générale chargée des questions administratives, du budget et de la gestion du personnel, dont le directeur travaille sous l'autorité du HR).
Il inclut également les anciennes structures du Secrétariat général du Conseil, en charge de la mise en oeuvre de la politique de sécurité et de défense communes (PSDC), à l'exception notable des Agences (Agence européenne de défense, Institut d'études de sécurité, Centre satellitaire). Ces structures politico-militaires et la direction chargée de la politique de sécurité et de la prévention des conflits (sanctions, non-prolifération, médiation/dialogue), sont explicitement placées sous l'autorité et la responsabilité directes du HR, en sa seule qualité de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (et non de Vice-présidente de la Commission). Les spécificités de ces structures sont ainsi respectées.
Le SEAE réunit également les présidents des groupes de travail du Conseil dans la sphère « relations extérieures », y compris celui du Comité politique et de sécurité, qui sont présidés de manière stable par un représentant désigné par HR, et non plus par la présidence tournante de l'Union. Les Représentants spéciaux de l'UE (les RSUE, 10 actuellement, dont deux Français) qui sont proposés par la HR, pour traiter directement de thématiques politiques, soit sur le plan géographique (Sahel, Processus de Paix au Proche Orient, Corne de l'Afrique..), soit thématiques (Droits de l'Homme), travaillent en relation avec le SEAE, mais ne sont pas intégrés en son sein, du fait de leur mode de désignation par décision du Conseil.
Les délégations de l'Union à l'extérieur, placées par les traités sous l'autorité du HR, sont dirigées par un chef de délégation qui exerce son autorité sur l'ensemble des personnels, quel que soit leur statut. Le personnel des délégations relève pour une partie du SEAE (chef de délégation et personnel en charge des questions « politiques »), pour une autre de la Commission, en particulier pour exercer les fonctions relatives à l'exécution des instruments financiers de coopération extérieure de l'Union. Les délégations reçoivent des instructions du SEAE ainsi que des services de la Commission, pour les compétences qui lui reviennent, et assurent désormais la coordination et la représentation de l'Union dans les pays de résidence, en lieu et place de l'ancienne présidente tournante (et des anciens délégués de la Commission). L'Union européenne dispose ainsi aujourd'hui d'un réseau de 136 délégations, qui assurent sa représentation auprès des pays tiers ainsi que des organisations internationales.
Le SEAE regroupe les personnels issus des services concernés de la Commission et du SGC et des membres du personnel des services diplomatiques des États membres, qui disposent du statut d'agents temporaires de l'Union. Ces derniers peuvent être employés par le SEAE pour une durée maximale de huit ans, susceptible d'être prolongée de deux ans dans des cas exceptionnels et dans l'intérêt du service. Ces personnels bénéficient d'une stricte égalité de traitement, y compris en termes de progression de carrière et de mobilité. L'ensemble du personnel a vocation à exercer des fonctions dans les délégations. Les nominations au sein du SEAE sont fondées sur le mérite et sur une base géographique aussi large que possible. Une fois que le Service aura atteint sa pleine capacité, les diplomates nationaux devront représenter au minimum un tiers du personnel et les agents permanents de l'Union au moins 60 %. À ce jour, les diplomates nationaux représentent 31,5 % du personnel total du SEAE, qui s'est engagé à atteindre l'objectif d'1/3 de diplomates nationaux d'ici à juillet 2013.
Une procédure spécifique est prévue pour la nomination des chefs de délégation de l'UE, qui sont nommés par le HR, avec l'accord de la Commission, au titre des fonctions d'ordonnateurs secondaires de la Commission qui leur sont confiées. Le Parlement européen peut demander au HR d'avoir un échange avec les chefs de délégation et les représentants spéciaux de l'UE nouvellement nommés avant leur prise de poste.
Pour ce qui est de la présence française au sein du SEAE, elle est globalement très satisfaisante. La France compte désormais 120 administrateurs au sein du Service (sur un total de fonctionnaires européens et d'agents détachés d'environ 1 650), dont une quarantaine d'agents issus du « service diplomatique national ». Elle se classe au premier rang en termes d'agents équivalents à nos agents de catégorie A. A ces chiffres s'ajoutent la soixantaine d'agents contractuels français, ainsi que 35 experts nationaux détachés auprès du SEAE.
Au siège, la répartition des postes dans l'encadrement du SEAE nous est également favorable. Le poste de numéro 1 du service, immédiatement en dessous de la HR, le Secrétaire général Exécutif, a donc été confié à Pierre Vimont. Hugues Mingarelli est Directeur général Moyen-Orient et Voisinage Sud, poste de première importance aux yeux des autorités françaises. Véronique Arnault occupe la direction Droits de l'Homme et démocratie au sein de la DG Affaires multilatérales. Vincent Guérend s'est vu confier la direction des finances et de l'administration, tandis que Joëlle Jenny est directrice « Politiques de sécurité et prévention des conflits ». Claude-France Arnould s'est enfin vue confier la direction de l'Agence Européenne de Défense, dont le rôle en matière de renforcement des capacités de l'Union en matière de défense est tout aussi important que les structures politico-militaires du SEAE. La France compte en outre deux représentants spéciaux de l'Union européenne (RSUE) : pour le sud-Caucase (Philippe Lefort) et pour le Sahel (Michel Reveyrand). Enfin, en délégation, la France compte actuellement 17 chefs de délégation, sur 136 donc (dont la Turquie, la RDC, le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Cambodge ou encore plus récemment le Venezuela) et deux chefs de délégation adjoints (Etats-Unis et Pakistan).
S'agissant du budget, le SEAE dispose d'une section propre pour ses dépenses de fonctionnement dans le budget de l'Union, dont le HR est l'ordonnateur. Les crédits qui lui sont alloués étaient en 2012 de 488 millions d'euros. En revanche, les dépenses opérationnelles découlant de la mise en oeuvre des instruments financiers de l'action extérieure continuent à relever de la section budgétaire de la Commission.
S'agissant de la programmation des instruments financiers de l'action extérieure, le SEAE, sous l'autorité du HR, est chargé de préparer les décisions de la Commission relatives à la programmation stratégique pluriannuelle de la très grande majorité des fonds d'aide extérieure : Fonds européen de développement (FED), Instrument de coopération au développement (ICD), Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH), Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP), Instrument de coopération avec les pays industrialisés (ICI), Instrument de coopération pour la sécurité nucléaire (ICSN). Les décisions pratiques d'engagement concernant le FED et l'ICD d'une part, l'IEVP d'autre part, sont élaborées conjointement par les services compétents du SEAE et de la Commission, sous la responsabilité du Commissaire chargé du développement d'une part, de la politique de voisinage d'autre part.
Quel bilan et quelle révision pour le SEAE ?
La décision du 26 juillet 2010 fixant l'organisation et le fonctionnement du SEAE prévoit que la Haute représentante procède « d'ici à la mi-2013, à un examen de l'organisation et du fonctionnement du SEAE et formule, au besoin, des propositions en vue de modifier la présente décision ». A l'issue d'un exercice de consultation avec les États membres, la Haute représentante devrait être en mesure de présenter son rapport au Conseil des affaires étrangères de juillet. La version modifiée de la décision devrait être adoptée au plus tard au début de 2014.
Pour notre part, nous avons conduit, en parallèle, nos propres réflexions et nous dressons un bilan mesuré sur les premières années de vie de cette nouvelle institution. Très clairement, le SEAE a progressivement su se créer une place et être un élément de l'action extérieure européenne. Mais, il est une construction récente et complexe qui a besoin d'une certaine stabilité. Il doit marier des cultures différentes (entre diplomates venant des États membres et fonctionnaires de la Commission, notamment) et créer une véritable « esprit de corps, qui n'est pas encore acquis. Aujourd'hui encore, le SEAE reste trop réactif et pas assez dans l'initiative. Il n'a pas encore l'ensemble des réflexes qui sont ceux d'une grande diplomatie nationale, et doit au fond pouvoir progressivement être davantage capable de synthétiser la vision des 27 États membres, et même parfois de l'anticiper, afin de mener une politique extérieure active.
Si les délégations de l'Union européenne, dans les États-tiers, ont progressivement su s'imposer comme un lieu de coordination et de concertation, cela n'a pas toujours été simple, mais les choses se sont nettement améliorées et d'une façon générale, les délégations de l'UE ont progressivement commencé à jouer un rôle reconnu : l'Union a été capable d'ailleurs de parler d'une voix, avec des mécanismes de bonne pratique, par exemple pour les démarches européennes dans les pays tiers. Il est clair que la Haute représentante elle-même a une énorme tâche à mener : présider le CAE (avec toute la filière de groupes de travail qui lui est rattachée), présider une centaine de dialogues avec les pays-tiers, être présente au Parlement européen, tenter de coordonner l'action de l'ensemble des Commissaires en charge des questions relatives à l'action extérieure de l'Union (développement, commerce extérieur, crises, action humanitaire). Elle a connu un certain nombre de succès, incontestables : poursuite des discussions en E3 +3 avec les Iraniens, avec toutes ses difficultés ; accord dans les Balkans (avec le règlement historique Kosovo/Serbie du 19 avril dernier) ; relance du dialogue avec la Chine (création d'un dialogue stratégique) et avec d'autres partenaires stratégiques.
A un an de la fin du mandat de Mme Ashton, le moment n'est pas venu d'une refonte d'ensemble, d'autant que le SEAE n'a pas démérité, et que nous devons éviter un nouveau débat institutionnel, qui serait incompréhensible pour le grand public. Cependant, des améliorations sont possibles et souhaitables, dans un premier temps à traités constants. Elles doivent pouvoir être identifiées en parfaite transparence et avec la participation étroite et constante des États membres, qui sont parties prenantes du Service. Nos orientations portent à ce stade sur les éléments suivants :
- améliorer la cohérence avec les politiques communautaires internes ayant une dimension externe, ainsi que le pouvoir d'impulsion et de coordination de la Haute représentante en qualité de vice-président de la Commission (on peut penser, par exemple, à l'environnement et au climat) ;
- renforcer l'expertise sécurité-défense au sein du SEAE, qu'il s'agisse de l'administration centrale (en particulier en renforçant la chaîne de commandement militaire), mais aussi des délégations (mise en place de conseillers « sécurité-défense », singulièrement dans les régions de crise) ;
- confier au SEAE un début de responsabilité dans la coordination en matière consulaire, notamment pour l'adoption et le suivi des arrangements locaux de coopération entre les États membres et l'implication des délégations dans la coordination de la coopération consulaire locale ;
- améliorer, sous l'autorité de la HR, le pilotage et la gestion des instruments financiers qui restent aujourd'hui, de la responsabilité administrative et comptable de la Commission ;
- renforcer les synergies entre le SEAE et les services diplomatiques nationaux, en valorisant mieux les pistes de mutualisations (immobilières mais aussi culturelles).
Sur cette base, nous avons préparé deux « non-papiers » délibérément ciblés, diffusés aux États membres dans le contexte du « Gymnich » de mars, et qui portent respectivement, l'un sur le renforcement de l'expertise « sécurité défense » du SEAE, à plusieurs échelons : pilotage politique (rôle du Conseil), organisation du service (désignation d'un SG adjoint « PSDC », mise en place d'un échelon politico-stratégique, structures politico-militaire (hiérarchisation plus affirmée), délégations de l'UE (renforcement de l'expertise sécurité défense) ; l'autre sur l'affirmation du rôle du SEAE en matière de coopération consulaire, en s'appuyant notamment sur la négociation en cours de la proposition de directive relative à la protection consulaire des citoyens de l'UE à l'étranger.
Cette démarche ciblée est le fruit d'une approche pragmatique, fondée sur la valeur ajoutée constatée du SEAE, à l'heure où nos réseaux diplomatiques et consulaires sont confrontés à la fois aux enjeux mondiaux et aux restrictions budgétaires. Un effort de mutualisation est nécessaire partout où c'est utile, même si l'émergence et l'évolution future du SEAE ne sauraient remettre en cause le bien-fondé et la prévalence de nos instruments diplomatiques nationaux. Les travaux, lancés à l'occasion du Gymnich des 22 et 23 mars dernier, se poursuivront jusqu'au rapport que Mme Ashton nous remettra à l'été. La marge de manoeuvre de cet exercice reste limitée par les contraintes budgétaires et par l'opposition de certains États membres, et notamment les Britanniques, à une évolution significative du rôle du SEAE. C'est aussi dans ce cadre que s'inscrivent les propositions du Parlement européen (le rapport Brok, qui devrait être adopté à l'occasion de la prochaine session plénière du Parlement européen).
Concernant les questions de défense et de sécurité et la préparation du Conseil européen spécifique qui leur sera consacré en décembre prochain.
En qualité de « bras armé » de la PESC, la Politique sécurité et de défense commune (PSDC) est sans doute l'instrument le plus visible de l'action extérieure européenne. La France est à l'initiative de cette politique et soutient son développement depuis son origine et sur l'ensemble des volets qui la caractérisent : les opérations (27 au total, déployées à ce jour, depuis 2003) ; les capacités (sujet relancé par la démarche de mutualisation-partage que nous avons adopté pour combler nos lacunes les plus critiques en opérations) ; les institutions (y compris dans le cadre de la révision du SEAE, dans lequel nous souhaitons renforcer l'expertise sécurité-défense du SEAE, en dépit de l'opposition britannique à toute avancée sur la chaine de commandement militaire).
Le sujet prend un nouveau relief dans le contexte actuel marqué par la situation dans le Sahel, et au Mali, en particulier, qui montre que les questions de défense et de sécurité sont devenues plus que jamais une priorité pour l'UE, tout en soulignant certaines limites de la coopération européenne dans ce domaine, pour autant le déploiement de la mission de formation de l'armée malienne (et de ses éléments de protection), avec la participation de la quasi-totalité des États membres (même de pays du centre ou du nord de l'Europe, sans aucune tradition dans la région) est très encourageante ; la mise en oeuvre du traité de Lisbonne et l'esprit de mise en cohérence de l'action extérieure qu'il est censé créer, se traduit notamment par la définition d'une approche plus globale de la gestion de crise.
En même temps, l'évolution de notre environnement géostratégique met de plus en plus l'accent sur nos intérêts communs de sécurité, cependant que la crise économique et les restrictions budgétaires favorisent, en principe, la mutualisation des responsabilités et des efforts de défense, à l'échelon européen. C'est la raison pour laquelle le choix de consacrer un Conseil européen aux questions de défense (le premier depuis 2008, sous la présidence française de l'UE) prend toute sa valeur.
C'est un choix que la France a assumé et porté depuis 2009 et qui consacre ses efforts. En effet, l'initiative de renforcement de la PSDC, lancée par les pays du triangle de Weimar en décembre 2010, rejoints par l'Italie et l'Espagne en septembre 2011 (Weimar plus), a débouché sur une prise de conscience européenne, qui s'est traduit par la décision de consacrer un Conseil européen aux questions de défense en décembre 2013. Dans cette perspective, le Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 a adopté des conclusions ambitieuses sur la PSDC, qui tiennent compte de nos principales demandes et constituent la feuille de route pour la préparation du Conseil européen de décembre prochain :
- sur le volet opérations et gestion de crise, le rappel que les missions et opérations de la PSDC constituent un élément-clé de l'approche globale de l'UE pour la gestion de crise, et l'appel à renforcer la capacité de l'UE à déployer de manière rapide et efficace les moyens civils et militaires et le personnel appropriés sur le terrain ;
- sur le volet capacités, mention de la nécessité d'une coopération européenne plus systématique et à long terme en matière de défense, y compris par le recours à la mutualisation et au partage des capacités militaires pour combler nos lacunes stratégiques les plus critiques : le transport aérien stratégique, en lien avec l'entrée en services des A400M ; les avions ravitailleurs ; l'observation aérienne (drones) et la dimension spatiale (satellites) ;
- sur le volet industriel, mention du nécessaire développement de la base industrielle et technologique de défense européenne, du renforcement des synergies entre la recherche et le développement, civils d'une part, militaires de l'autre, et de la mise en oeuvre des directives dites du «paquet défense» de 2009.
Dans cette perspective, des travaux sont actuellement menés par la Haute représentante, la Commission et les États membres, dans différents formats. La Haute représentante présentera, à la demande expresse des États membres un rapport sur la PSDC au Conseil des affaires étrangères de juillet. Ce rapport permettra d'avoir une discussion opérationnelle lors des réunions informelles des ministres des affaires étrangères et des ministres de la défense, qui auront lieu pendant 3 jours, à Vilnius, en septembre.
Concernant la Commission, le Président Barroso, qui a affirmé devant le Parlement européen le besoin d'un « réexamen complet des capacités européennes de défense », a prévu de publier, dans les prochains semaines, et au plus tard en juillet, une communication sur les questions industrielles de défense. Nous avons fait valoir nos vues aux services de la Commission, afin qu'elles soient mieux reflétées dans le projet de communication (réticence sur un nouveau cadre législatif, à un moment où le « paquet défense » n'est pas encore complètement mis en oeuvre ; promotion du concept d'« opérateur économique de défense européen », pour aider au développement de la base industrielle et technologique de défense ; réserves, en revanche, sur toute tentative de communautariser les cadres, nécessairement nationaux, de contrôle des actifs stratégiques en matière d'industrie et de défense).
Du côté des États membres, les efforts entrepris dans le format « Weimar plus » (France, Allemagne, Pologne, Espagne et Italie) ont permis d'obtenir des avancées concrètes en matière de PSDC : lancement de nouvelles opérations au Niger, au Mali, dans la Corne de l'Afrique et en Libye ; activation du Centre d'Opérations, à défaut d'un quartier général européen ; lancement de projets de mutualisation et de partage des capacités industrielles des États membres, pilotés par l'Agence européenne de défense. Ils sont poursuivis et élargis dans le contexte de la préparation du Conseil européen de décembre. Mais nous devons aller plus loin, et la mobilisation de tous les États membres est importante. Nous nous employons à préparer ensemble les prochaines échéances d'ici le Conseil européen de décembre, dont le Conseil des affaires étrangères/défense, prévu le 22 juillet prochain, au cours duquel la HR présentera son rapport d'étape sur la PSDC ; la double réunion informelle des ministres des affaires étrangères et des ministres de la défense, qui aura lieu à Vilnius, en septembre, et qui doit être décisive dans la perspective du Conseil européen de décembre.
Dans l'intervalle, notre objectif est de maintenir la dynamique des opérations, en poursuivant les réflexions et les travaux de planification en cours au-delà des grandes opérations européennes en cours, en Afrique, notamment en Somalie et le Sahel, avec le déploiement dans les prochains jours d'une mission de soutien à la surveillance et au contrôle des frontières en Libye ; sur l'opportunité d'agir en appui du cessez le feu entre Israël et le Hamas, en proposant des mesures de soutien à l'allégement des restrictions à la circulation des biens et des personnes, avec la réactivation d'EUBAM Rafah, avec un mandat adapté et renforcé (avec, en toile de fond, le projet d'une relance du processus de paix au Proche-Orient) ; avec la préparation d'une planification, en vue d'une approche globale de l'aide qui pourrait être apportée à la Syrie dès la sortie de crise, en particulier sur les questions de sécurité, comme la France l'a suggéré à ses partenaires ; enfin, avec l'idée d'une reprise par l'UE de l'ensemble des responsabilités de sécurité dans les Balkans.
À cet égard, le Conseil européen constitue une échéance majeure et un défi pour l'Europe de la défense pour remplir l'objectif que poursuit cette politique : assurer la sécurité de l'Europe et de ses citoyens partout où elle pourrait être menacée.
M. Robert del Picchia. - La création d'un poste de secrétaire général adjoint en charge de la PSDC est une idée française. Comment réagissent nos partenaires, en particulier les Britanniques ? Quel sera son travail ? Les petits États-membres ne risquent-ils pas de voir ça d'un mauvais oeil ?
Ensuite, concernant la protection consulaire, 25 pays sont considérés comme dangereux, et la France a en charge 17 d'entre eux. En cas d'évacuation, comme cela aurait pu être le cas au Mali, il faudrait prendre en charge les ressortissants français mais aussi les européens, ce qui représente un coût important. Les négociations se poursuivent sur la directive « protection consulaire », y a-t-il un volet sur le partage du coût ?
M. Jean-Michel Casa. - L'idée d'un secrétaire général adjoint en charge de la PSDC est une proposition qui n'a pas encore abouti, et vraisemblablement on se heurtera à une réticence britannique. En termes de calendrier, cela sera certainement du ressort du successeur de Mme Ashton, et pas avant 2015, puisque les élections au Parlement européen auront lieu en mai 2014, puis se poursuivront par des auditions, nominations et prises de fonction. Beaucoup de nos partenaires plaident pour la création de ce secrétaire général adjoint, qui aurait la responsabilité de l'ensemble de la chaine de commandement et pourrait superviser les aspects gestion de crises politico-militaires et civiles. Les Britanniques seront certainement les plus difficiles à convaincre, notamment compte tenu de la perspective d'un référendum sur leur appartenance à l'Union européenne.
Concernant la protection consulaire, les Britanniques s'étaient vivement opposés, en 2009-2010 lors de la négociation de la décision la création du Service extérieur, à l'inclusion d'une dimension consulaire. Nous souhaiterions l'inclure au moins à titre embryonnaire, dans le cadre de cette révision de la décision sur le service et de la directive sur la protection consulaire, en ciblant les pays en crise ou potentiellement en crise, en travaillant dans une logique de concertation sur le terrain, par la définition de plans d'évacuation, de pilotage commun, ... Des arrangements locaux pourraient intervenir sur la base d'une identification précise des ressortissants et la mise en commun des moyens pour qu'il y ait une meilleure répartition des responsabilités. Nous combattons fermement dans le cadre de la discussion sur la directive, pour que soit créée une mutualisation européenne sous forme d'un fonds qui pourrait ensuite défrayer les États-membres, notamment en cas de grosse opération, comme celle que l'on a connue en Côte d'Ivoire où nous avons évacué la quasi-totalité des Européens.
Concernant les auditions par le Parlement européen, il est normal que les fonctionnaires, comme le Secrétaire général, soient aussi amenés à répondre devant les Commission, y compris la sous-commission défense.
Dans tous les cas, nous espérons que la prochaine directive marquera un saut qualitatif en matière de protection consulaire, avec de vrais plans d'actions préventifs et une forme de partage des coûts.
M. Christian Cambon. - Avez-vous la conviction que les choses vont dans le bon sens ou existe-t-il un degré d'inquiétude à avoir concernant la politique extérieure de l'Union européenne ? Sans porter de jugement sur l'action de Mme Ashton, les questions de fond sont prégnantes : si l'on regarde les principaux lieux de conflits, l'Union européenne a rarement été en ordre de marche et à la tête des initiatives. Une partie de l'Europe, en particulier celle du nord, est plus ouverte aux relations avec les pays des Balkans, tandis que l'Europe du sud a tendance à se tourner vers le Maghreb. On ne va pas vers une politique européenne de défense ! Certes, certaines initiatives vont dans le bon sens, comme l'achat de matériels, la gestion des sources de renseignement ... mais parallèlement il n'existe pas de force européenne en matière de politique extérieure. Comment expliquer cette forme de désaffection des Français et Européens pour l'Europe et sa politique étrangère ?
En outre, la France consent des sommes considérables au FED, plus 800 millions. Nous ne cessons d'interroger sur le choix des orientations pour leur mise en oeuvre, sur les dépenses, sur la base de reconstitution de ces fonds ... et nous dénonçons l'absence d'évaluation de ces politiques alors que les sommes consenties sont conséquentes ! Les Britanniques eux-mêmes proposent de lancer des évaluations bilatérales, donc ce sentiment est identifié dans plusieurs pays. Il n'y a pas de doutes sur la volonté de bien faire, mais nous pensons qu'il faut porter un regard de fond sur notre volonté de coopération. Quelles initiatives pourraient être prises pour mieux contrôler les orientations et les évaluer ?
M. Jean-Michel Casa. - Le FED est un domaine dans lequel il devrait y avoir plus de supervision commune. Le dernier Conseil affaires étrangères en formation développement, qui vient d'avoir lieu a consacré l'essentiel de ses travaux à ces problématiques de transparence. La prise de conscience qu'il faut avoir une meilleure visibilité des dépenses, plus de transparence et moins d' « évaporation », plus de coordination entre la vision politique et l'utilisation des fonds, existe ! Y compris dans les situations de post-crise, où il ne s'agit pas seulement de faire du développement traditionnel, mais de la reconstruction.
La désaffection des Européens vis-à-vis de l'Union est plus liée à la crise économique et financière qu'à sa politique extérieure. Il ne faut d'ailleurs pas opposer les régions les unes aux autres, nous sommes aussi intéressés par les Balkans, et nous nous sommes rapprochés des Allemands pour dire que nous devons prendre nos responsabilités dans cette région, y compris en matière de sécurité, d'autant plus que nous n'avons pas su les prendre il y a 20 ans. Les Etats-Unis, quant à eux, sont demandeurs que l'Europe prenne ses responsabilités en matière de sécurité et de défense, le terrain n'a même jamais été aussi favorable à une meilleure autonomie des Européens.
Bien sûr il y a eu des fractures, par exemple sur la Libye, où nous sommes intervenus avec les Britanniques et sans les Allemands. D'ailleurs, une partie des milieux politiques allemands reconnaît aujourd'hui que son pays a eu tort en l'espèce. Si on avait agi de manière plus intégrée, plus européenne, dès le départ, nous n'aurions peut-être pas aujourd'hui à traiter de façon aussi aigüe le problème des frontières libyennes. Néanmoins, nous n'avons pas été seuls dans cette initiative, nous avons été soutenus au point de vue logistique et organisationnel par les Etats-Unis, mais aussi par plusieurs pays européens : les Danois, les Belges, les Italiens, les Grecs, qui ont fourni le transport, ou les bases d'appui ... Cela a donc été une sorte d'opération européenne, mais en dehors du cadre institutionnel.
M. Robert del Picchia. - En Allemagne, il n'y avait pas de majorité au Parlement !
M. Jean-Michel Casa. - Au-delà du système politique allemand, que nous n'avons pas à juger, c'est plus leur attitude d'isolement, dans ce cas, qui a été critiquée. Les Polonais, au contraire ont connu une attitude et évolution remarquables : ils sont passés d'une position totalement atlantiste à une position très militante en faveur de défense européenne ! Ils consacrent une bonne part de leur budget aux questions de défense, ils ont de vrais programmes d'achats d'armements, une croissance dynamique, et sont particulièrement actifs au sein de Weimar et au sein du groupe Weimar +.
Au Mali, nous sommes intervenus seuls et dans l'urgence, mais tous les Européens ont applaudi cette initiative et cette prise de responsabilités. D'ailleurs, l'aide ne s'est pas faite attendre en termes de moyens logistiques, de formation ... Les Tchèques ont envoyé plus d'une cinquantaine d'hommes dans la force de protection, c'est un changement d'attitude notable pour un pays longtemps considéré comme atlantiste ! Autre exemple, en Somalie, l'opération Atalanta est réputée plus efficace que celle de l'OTAN. Il y a sans doute d'autres rôles à jouer sur d'autres crises, par exemple au Proche-Orient. Il y a une vraie demande d'Europe et notre présence serait la bienvenue.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je me réjouis de l'idée de création d'un fonds européen pour la protection diplomatique et consulaire car c'est une idée que je porte depuis 2004.
Qu'en est-il des initiatives européennes en soutien au processus de Minsk ?
Quelle est la place de la francophonie au sein du SEAE ? On m'a rapporté que des documents relatifs à l'élargissement n'étaient rédigés qu'en anglais ! Est-ce exact ?
M. Jean-Michel Casa. - La diplomatie française reste viscéralement attachée à la défense de la francophonie. Les textes circulent dans les deux langues, notamment les conclusions du conseil. Certains documents de travail sont en anglais pour aller plus vite dans les débats, mais nous veillons au respect du français !
Concernant le « fonds consulaire », il reste pour l'heure une bataille à mener! Pour les situations de crise, un fonds existe, le MIC (monitoring and information centre), avec un mécanisme de remboursement en cas d'évacuations massives lors de situations de crise. C'est en revanche plus compliqué pour les opérations courantes, comme un accident de car. On souhaiterait au minimum pouvoir mettre en place un formulaire de remboursement des sommes engagées par les bénéficiaires ou leur État d'origine. Pour l'instant, l'opposition est britannique, et c'est plus un refus idéologique parce que sur le fond, ils auraient aussi à gagner à la mise en oeuvre de ce fonds. Pour ce qui me concerne, je pense que les choses vont prendre du temps, mais qu'elles vont évoluer, en particulier avec la mise en place de la prochaine Commission, si on s'oriente vers une approche plus globale, dans sa composition, des relations extérieures de l'Union.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Le fonds pourrait être présenté, pour susciter l'adhésion de nos partenaires, pour la revalorisation du concept de citoyenneté européenne, car celui-ci n'a pas évolué depuis 1992.
M. Jean-Michel Casa. - Notre idée, dans le cadre de la proposition de la commission sur la directive protection consulaire, est vraiment de mutualiser les coûts. Nous souhaitons une approche intégrée et serons coriaces sur ce point.
Nomination d'un rapporteur
La commission nomme rapporteur :
Mme Michelle Demessine sur le projet de loi n° 602 (2012-2013) autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région wallonne du Royaume de Belgique sur l'accueil des personnes handicapées.