- Mercredi 22 mai 2013
- Nomination de rapporteurs
- Accélération des projets de construction - Examen du rapport pour avis
- Adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France - Présentation de l'avis de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
- Adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France - Examen du rapport et du texte de la commission
Mercredi 22 mai 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Nomination de rapporteurs
M. Alain Richard est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 554 (2012-2013), présentée par M. Jean-Pierre Sueur, portant diverses dispositions relatives aux collectivités locales.
M. Yves Détraigne est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 605 (2011-2012), présentée par M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues, visant à instituer une évaluation médicale à la conduite pour les conducteurs de 70 ans et plus.
Accélération des projets de construction - Examen du rapport pour avis
Puis la commission examine le rapport pour avis de M. René Vandierendonck sur le projet de loi n° 107 (A.N., XIVe lég.) habilitant le Gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction (procédure accélérée).
M. René Vandierendonck, rapporteur. - Ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale la nuit dernière, habilite le Gouvernement, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, à prendre des ordonnances pendant quatre mois. Il fixe un délai de ratification de cinq mois à compter de la publication de ces ordonnances. Il s'inscrit dans le prolongement du discours d'Alfortville du Président de la République et vise à accélérer la production de logements, qui a chuté fortement, entraînant une perte de 25 000 emplois en un an, ce qui témoigne de l'urgence de la situation. La commission des lois s'est saisie pour avis des seules dispositions concernant le contentieux administratif et le droit de l'expropriation.
Quand M. Benoist Apparu avait présenté au Sénat les dispositions majorant les droits à construire, puis à l'occasion de l'abrogation de cette loi en juillet dernier, plusieurs sénateurs, M. Daniel Dubois et d'autres, avaient réclamé des mesures contre les recours abusifs ou dilatoires qui freinent la réalisation des programmes de construction. Si, en droit, le recours contentieux ne suspend pas l'exécution de l'autorisation d'urbanisme qui a été délivrée, il a en pratique un effet paralysant. Lorsqu'un recours est engagé, les banques, les notaires et les promoteurs tenus par des promesses de vente à échéance se mettent d'accord pour retarder l'engagement des opérations de construction. Or, le contentieux de l'urbanisme a augmenté de 8,7% entre 2010 et 2011. Les recours abusifs et dilatoires constituent une réalité : la cour d'appel de Paris a récemment prononcé des condamnations à 18 mois de prison et 50 000 euros d'amende pour escroquerie, dans une affaire de désistement monnayé de recours.
Installé au printemps 2013 par Mme Cécile Duflot, un groupe de travail présidé par l'ancien président de la section du contentieux du Conseil d'État, M. Daniel Labetoulle, groupe qui a entendu notre collègue Alain Richard, a formulé sept propositions. Selon le cabinet de la ministre, six d'entre elles seront reprises dans les ordonnances ; la septième, relative à l'action en démolition, suscite quelques hésitations. Comme Mme Annick Petit, rapporteure de l'Assemblée nationale, je souhaite que le ministère associe les parlementaires à la définition des grandes lignes des ordonnances.
La première recommandation du groupe de travail vise à clarifier les règles de l'intérêt pour agir. Le code de l'urbanisme présente déjà des spécificités à cet égard : ainsi, une association constituée après l'affichage de l'opération en mairie n'a pas la qualité pour agir. Pour veiller au bon équilibre entre droit au recours et droit à construire, il est proposé que l'intérêt pour agir doive être direct et limité au cas où le programme est de nature à affecter directement l'occupation, l'usage ou la jouissance d'un bien occupé régulièrement.
Seconde recommandation, la cristallisation des moyens. Aujourd'hui divers artifices de procédures permettent d'introduire de nouveaux moyens lors des échanges de mémoires au cours de l'instruction. Le groupe de travail préconise que le juge puisse empêcher, à compter d'une date qu'il fixerait, de soulever de nouveaux moyens, à l'exception des moyens d'ordre public.
Troisièmement, il est proposé d'instituer un mécanisme dérogatoire au principe selon lequel la légalité d'un acte s'apprécie à la date de la requête. Le juge disposerait d'un mécanisme de régulation. En cas de vice de procédure par exemple, il pourrait octroyer un délai pour le dépôt d'un permis modificatif, au lieu d'annuler l'acte attaqué.
Plus novateur encore est le dispositif qui permettrait au défendeur, en l'occurrence la victime d'un recours abusif, de présenter devant le juge de l'excès de pouvoir des demandes reconventionnelles à caractère indemnitaire ; c'est le juge, saisi du recours contre l'autorisation d'urbanisme, qui apprécierait la recevabilité de ces demandes. Ce mécanisme se distingue de l'amende infligée par le juge en cas de recours abusif et qui bénéficie à l'Etat. Il s'agit d'une arme dissuasive et efficace... Néanmoins, dans le respect du principe de séparation des ordres de juridiction, ce nouveau recours ne doit pas être exclusif de la poursuite d'une action contentieuse devant le juge civil.
Une autre recommandation porte sur l'encadrement des transactions qui sont en elles-mêmes un procédé acceptable mais peuvent être détournées de leur finalité première. Le groupe de travail propose de rendre obligatoire l'enregistrement devant l'administration fiscale des actes de désistement indemnisé. Je suis favorable à cette transparence.
Une mesure n'a pas suscité l'enthousiasme de la ministre : c'est, je l'ai dit, celle qui vise à recentrer l'action en démolition sur son objet premier. Actuellement, en cas d'annulation contentieuse d'un permis de construire, il est possible à la partie lésée de réclamer la démolition de l'ouvrage construit illégalement, dans le respect néanmoins du principe d'intangibilité des ouvrages publics. La démolition automatique serait limitée à certaines zones : bande littorale, zone de prévention des risques, secteurs sauvegardés... et appréciée en fonction de l'importance des opérations.
Enfin le groupe propose, pour certaines grosses opérations de construction de logements, de confier à la cour administrative d'appel (CAA) une compétence en premier et dernier ressort. Un permis de construire pourrait faire l'objet, selon les cas, d'un recours devant le tribunal administratif, dispensé de ministère d'avocat, ou d'un recours devant la CAA statuant en premier et dernier ressort, sous deux conditions cumulatives : l'acte devrait être délivré sur le territoire d'une commune où une taxe annuelle sur les logements vacants est applicable et il devrait concerner la construction d'une surface importante, au moins 1 500 mètres carrés de surface hors oeuvre nette selon le groupe de travail.
Je suis favorable à ces mesures qui répondent au caractère particulier du contentieux de l'urbanisme. M. Labetoulle reconnaît cependant qu'elles ne dispensent pas d'une réflexion sur la complexité du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement, véritable cause du problème. Les annonces de Mme Delphine Batho sur des états généraux du droit de l'environnement nous donnent des espoirs car ce contentieux a véritablement explosé depuis les lois Grenelle I et II.
J'en viens à l'article 4 du projet de loi. Le Conseil constitutionnel, à l'occasion d'une QPC, a déclaré contraires à la Constitution les articles L.15-1 et L.15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, relatifs à la consignation de cette « juste et préalable indemnité » exigée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Faute d'accord sur une indemnité à l'amiable, le juge judiciaire est saisi et fixe une indemnité le plus souvent supérieure à celle proposée par l'expropriant. Il reste possible d'interjeter appel. La consignation ne portant que sur le montant supérieur à l'indemnité proposée par l'expropriant, il s'agit d'une indemnité partiellement préalable. Le Conseil constitutionnel l'admet mais seulement dans des cas circonscrits. Désormais, en cas d'appel, il y aurait donc consignation des sommes en cas d'obstacle au paiement ou de refus de recevoir l'indemnité ainsi que lorsque des indices sérieux laissent à penser que l'expropriant ne pourrait recouvrer la somme versée si la décision de justice lui était favorable. Dans ce dernier cas, le juge pourrait n'autoriser la consignation que de « tout ou partie du montant de l'indemnité supérieur à ce que l'expropriant avait proposé ».
L'équilibre entre droit de recours et droit de la construction est préservé par ce texte. Je vous propose de donner un avis favorable aux deux articles dont nous nous sommes saisis.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Ce texte est utile. Ceux qui construisent des logements sont en colère de voir leur projet empêché par des recours, lesquels sont légitimes du point de vue de la défense des droits, mais souvent dilatoires et paralysants. Dans le passé, les directions départementales de l'équipement (DDE) imposaient leurs projets ; la situation s'est inversée, les recours sont devenus systématiques et les défenseurs de l'intérêt général se retrouvent en situation de faiblesse.
Quant à « la production de logements », quelle expression hideuse... Mieux vaut parler de construction ou d'édification !
M. Alain Richard. - Auparavant la gauche était accusée de compliquer tous les textes d'urbanisme par des dispositions nouvelles, et la droite créditée de la volonté de simplification. Nous travaillons aujourd'hui à fronts renversés !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La gauche a évolué dans le sens de la social-démocratie. Elle a progressé vers le rocardisme...
M. Alain Richard. - Le Grenelle de l'environnement a suscité une extraordinaire fertilité normative. Le Président de la République juge que la surcharge normative a atteint sa cote d'alerte. Dès lors il apparaît judicieux de procéder par ordonnances pour simplifier le contentieux administratif, même si le Parlement n'aime pas ces délégations législatives. Acceptons-les...
Si les recours sont si nombreux, c'est que les intérêts patrimoniaux, commerciaux ou associatifs - ces derniers parés du prestige du désintéressement pécuniaire - savent se faire entendre. Ce texte provoquera les protestations de ceux qui l'accuseront de tuer l'état de droit.
L'expression « production de logement » a un sens : la construction relève de l'économie de marché, elle suppose des ressources et un équilibre économique.
Sur le fond, le groupe de travail a eu tendance à se focaliser sur les permis de construire et les délais supplémentaires causés par le contentieux. Mais une opération d'aménagement ne se résume pas au permis de construire : de nombreux actes sont susceptibles de nourrir un contentieux et d'allonger les délais, décisions de mise en révision du plan local d'urbanisme (PLU), engagement d'une zone d'aménagement concerté (ZAC), préemption de logements... Sur quels actes administratifs vont s'appliquer les simplifications proposées ?
Enfin, en Ile-de-France, la modification des règles d'évaluation en matière d'expropriation a abouti à réduire considérablement le nombre d'accords amiables. Il en résulte un engorgement des tribunaux. Dans les tribunaux de grande instance (TGI), on remanie la répartition des compétences afin que les décisions touchant l'expropriation soient rendues avant trois ans...
Mme Catherine Troendle. - Le texte ne conduit-il pas à instaurer deux poids et deux mesures concernant la démolition, laissant plus ou moins de latitude au juge selon les zones, pour une même infraction ? Est-ce juridiquement bordé ?
M. Alain Anziani. - L'encadrement des recours abusifs a fait l'objet de nombreuses propositions et projets de textes, dont une proposition de loi sénatoriale il y a quelques années. L'équilibre est difficile à trouver. L'amende actuelle de 3 000 euros n'est pas dissuasive et le tribunal administratif répugne à estimer un recours abusif simplement parce que la procédure dérange le constructeur. Les moyens sérieux ne manquent pas pour fonder un recours, même abusif.
Même sans chance d'aboutir, une demande reconventionnelle assortie d'un montant significatif au titre des indemnités peut, elle, s'avérer dissuasive.
Une dernière voie consiste à saisir le tribunal judiciaire pour recours abusif. Mais à ma connaissance peu de procédures ont abouti.
Un mécanisme plus simple est nécessaire. Le Conseil d'Etat a instauré une procédure de filtrage. Pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme similaire au tribunal administratif pour écarter les recours manifestement abusifs ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Les intentions sont louables. Mais comment faire ainsi l'impasse sur les aspects financiers et le manque de disponibilité du foncier, pour s'intéresser uniquement aux conséquences du contentieux sur la durée des opérations ? Quelle approche étroite !
En outre, les juridictions ne seront-elles pas tentées de se dessaisir au nom de l'état de droit ? Que donneront dans le concret ces nouvelles dispositions ? On oublie un peu vite une cause importante de retards : l'environnement et les dispositions issues du Grenelle. Si la dissuasion financière était suffisante, et appliquée, on construirait plus de logements. Enfin, je souligne que plus on complique l'édifice juridique, plus on crée des sources de contentieux
M. Philippe Kaltenbach. - Ce projet de loi est bienvenu dans la crise du logement que nous connaissons. J'adhère à l'ensemble du dispositif. Les recours sont légitimes mais trois ans pour statuer, c'est trop ! Peu importe les recours, pourvu qu'ils soient traités rapidement. Quelle solution concrète pour réduire ces délais ? Si l'absence de réponse de l'administration valait acceptation et non plus refus, les juridictions seraient obligées de réagir.
Traitant également du logement intermédiaire, ce texte favorisera la construction de logements pour tous les types de revenus. Enfin la faiblesse des aides à la pierre constitue un frein à la production de logements. Donnons-nous les moyens de notre ambition, sur la TVA comme dans les aides à la pierre.
M. Jean-Jacques Hyest. - Je ne suis pas systématiquement hostile aux ordonnances, sur certains textes très techniques ; encore faut-il un contrôle efficace par le Parlement lors de la ratification qui désormais doit être explicite. Or ici les ordonnances toucheront un champ est très large : les délais, les zonages, etc. Pourquoi les unités urbaines sont-elles les seules concernées ? Un régime intermédiaire est institué, avec un prétendu bail à construction, bien compliqué, sur lequel je m'interroge.
Le texte concerne les logements et ignore les bâtiments d'entreprises, pourtant soumis aux mêmes problèmes, leur construction étant suspendue pendant des années en raison des recours et des fouilles archéologiques préventives... L'installation de Picard Surgelés à Fontainebleau a donné lieu à un nombre effarant de recours, alors que l'entreprise apportait emplois et développement économique !
On a multiplié les obligations : schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), schéma de cohérence territoriale (Scot), plan local d'urbanisme (PLU), qui doivent être compatibles, sans parler des plans de prévention du risque inondation (PPRI) et autres. Concrètement, certains terrains déclarés constructibles se révèlent inconstructibles. On autorise la surélévation d'un étage des immeubles mais on n'impose aucune obligation de créer des parkings. Or les problèmes de stationnement créent le désordre dans les villes...
L'article 4 tire les leçons de la décision du Conseil constitutionnel. C'est normal.
Avant de me prononcer définitivement sur la délégation au Gouvernement, je souhaite approfondir l'examen de quelques dispositions. Dans l'immédiat, je m'abstiendrai.
M. André Reichardt. - Je ne suis pas non plus opposé par principe au recours aux ordonnances s'il a pour résultat d'accélérer les constructions. Mais de nombreuses dispositions de l'article 1er n'ont aucun lien avec cet objectif. Le 8° vise à faciliter la gestion de la trésorerie des entreprises, le 7° protège les accédants en cas de défaillance du promoteur : en quoi ces dispositions contribueront-elles à accélérer la construction de logements ? Même remarque s'agissant de l'augmentation du taux maximal de garanties d'emprunts par les collectivités territoriales. Certains délais sont réduits et la procédure de construction simplifiée, mais ce texte est un fourre-tout. Soit son champ aurait dû être restreint, soit il aurait fallu l'étendre à l'environnement. Dans ma région, le grand hamster, espèce certes fondamentale pour la biodiversité, crée bien des difficultés. Un seul terrier, peut-être désaffecté depuis longtemps, et tout un projet d'aménagement entier est bloqué pour des années !
M. Patrice Gélard. - Le PLU de ma commune a été attaqué. J'ai obtenu gain de cause devant le tribunal administratif qui a condamné les 19 requérants à 300 euros d'amende chacun et les associations à 1 000 euros. Ils ont fait appel. Mais le vrai problème est dans le délai : deux ans et demi d'attente pour obtenir un jugement, quatre ou cinq ans en cas d'appel. Les tribunaux administratifs ont fait des efforts, mais pas sur l'urbanisme.
M. François Zocchetto. - Ce texte facilitera l'instruction des dossiers de construction. Il permettra de lutter contre les recours abusifs et à seule fin de gain financier ; nous avons déposé ces dernières années des amendements qui n'ont jamais été adoptés. Il facilite également la gestion de la trésorerie des entreprises, prises en tenaille entre l'exigence de paiement rapide à leurs fournisseurs, selon les termes de la loi LME, et l'attente du règlement de leurs clients privés, qui ne sont soumis à aucune obligation.
Pourtant, une loi plus large sur le logement est en cours d'examen. Pourquoi ne pas avoir intégré les présentes dispositions dans ce texte ? Et s'il y a urgence, pourquoi prévoir des délais d'habilitation allant jusqu'à huit mois ?
M. François-Noël Buffet. - Il s'agit de lutter contre les recours abusifs engagés contre les permis de construire pris en application des PLU ou les PLH. S'agissant des procédures d'élaboration de ces documents, je suis hostile à une modification des règles. Certes la concertation prend du temps, mais lorsqu'elle est bien menée, les recours diminuent, comme on le constate à Lyon, et les communes se sentent écoutées.
Les recours abusifs sont souvent motivés par l'appât du gain : un voisin cherche à obtenir du promoteur une petite indemnité financière. A cet égard, la meilleure solution semble être la mise en place, au sein des tribunaux administratifs, d'un mécanisme de filtrage des recours manifestement abusifs, pour rejeter ceux-ci sans attendre.
M. Hugues Portelli. - Ce texte porte l'empreinte du lobby des constructeurs immobiliers. Le 3° de l'article 1er augmente le taux maximal de garantie par les collectivités territoriales des emprunts souscrits par les titulaires de concessions d'aménagement. Or les collectivités territoriales sont déjà largement mises à contribution à ce titre ! Il y a quelques années nous avions essayé, lors d'une loi de finances, d'associer l'État plus étroitement à ces mécanismes, en vain. On accroît l'endettement des collectivités territoriales pour favoriser les titulaires de concessions d'aménagement : un vrai projet de gauche !
M. René Vandierendonck, rapporteur. - La saisine de notre commission est circonscrite. Je n'ai pas cherché à l'élargir. Il est vrai que bien des sujets mériteraient un long examen.
Madame Troendle, selon les préconisations du groupe de travail, la démolition ne constituerait plus une sanction juridictionnelle automatique, sauf dans certains périmètres. Toutefois il n'est pas certain que le Gouvernement reprenne ce point dans la rédaction des ordonnances.
Un projet de loi devrait bientôt habiliter le Gouvernement à réformer le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Normalement, la valeur vénale d'un bien s'apprécie un an avant le déclenchement d'une enquête publique, et en fonction de la constructibilité. Or, une circulaire de Bercy retient un calcul de la valeur vénale selon la méthode dite du compte à rebours, qui intègre le potentiel d'appréciation due à la constructibilité future.
Enfin, le texte de refonte du droit de l'urbanisme qui devrait nous être soumis à la rentrée comportera près de 120 articles. Ces questions se poseront. D'ici là, le groupe de travail de Daniel Labetoulle nous invite à nous intéresser au fond du droit.
Mettez dans la balance le code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure au Grenelle et la nouvelle version, post-Grenelle. Le résultat se passe de commentaires. Le poids n'est pas le même.
La commission adopte un avis favorable aux articles 1er et 4.
Adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France - Présentation de l'avis de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
La commission procède ensuite à l'examen de l'avis de Mme Maryvonne Blondin, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le projet de loi n° 582 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France (procédure accélérée).
Mme Maryvonne Blondin, rapporteure pour avis de la délégation aux droits des femmes. - Je vous remercie d'avoir saisi la délégation aux droits des femmes sur le chapitre premier qui concerne la prévention de la traite des êtres humains et sur le chapitre XI qui adapte la législation française à la convention du Conseil de l'Europe en matière de lutte contre la violence à l'égard des femmes et contre la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011.
J'ai auditionné la direction générale de la police nationale, la direction générale de la gendarmerie nationale, et deux associations spécialisées : Voix de femmes et Accueil-Sécurisé (AC-SE), qui ont l'expérience de l'aide aux victimes. J'ai aussi interrogé par écrit la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.
La traite des êtres humains et les violences faites aux femmes sont deux sujets imbriqués, avec des ramifications internationales, qui nécessitent à la fois une intense coopération policière et judiciaire et une réponse pénale adaptée en droit interne.
En matière de traite des êtres humains, il est essentiel de frapper les trafiquants au portefeuille ; les forces de l'ordre recherchent systématiquement les avoirs criminels, souvent situés à l'étranger. Un coordinateur national à la lutte contre la traite des êtres humains a été nommé récemment. Si la coopération progresse au sein de 1'Union européenne, certains États membres, hélas, ne le souhaitent pas. Un pays comme la Russie est également très réticent.
Le principal problème juridique rencontré est celui de l'établissement de la preuve. L'infraction de traite des êtres humains n'est retenue que dans 10% des cas où elle pourrait l'être, les services préférant recourir à la seule qualification de proxénétisme, plus facile à prouver. Dans le droit actuel il faut en effet établir à la fois l'existence de menaces, contraintes, violences ou pressions sur la victime, et la recherche d'un profit financier, aucun des deux éléments ne suffisant à lui seul.
Le projet transpose des textes européens et remédie à ces lacunes. Gardons à l'esprit la finalité : simplifier la prévention et la répression pour éradiquer la traite des êtres humains. En outre la définition de la traite est élargie pour inclure l'exploitation d'activités criminelles et le prélèvement d'organes.
Pour les mineurs, il faut considérer qu'il y a traite des êtres humains lorsque l'action de traite et le but d'exploitation sont établis, même en l'absence de moyens. C'est ce que propose la directive de 2011 et que met en oeuvre le projet de loi.
Notre deuxième recommandation est que la traite des êtres humains devienne une priorité de la politique pénale : les enquêteurs doivent être formés à cette fin. Les services susceptibles de détecter des victimes de la traite doivent être sensibilisés, sans oublier les services du travail et de l'emploi et les professionnels de santé. Les DIRECCTE ont, par exemple, constaté l'utilisation de travail quasi forcé dans la cueillette des fruits et des légumes et un réseau de traite a pu être identifié.
La délégation propose que la France prenne une initiative au sein de l'Union européenne pour améliorer la coopération internationale et faire pression sur les États récalcitrants. Elle recommande de renforcer encore la protection des victimes, de mieux les soustraire à l'influence des trafiquants : précisément, nous manquons d'hébergements pour mettre à l'abri ces personnes particulièrement fragiles, vulnérables et qui ont tendance à fuir les représentants de l'ordre. La délégation juge également indispensable l'implication des juridictions et magistrats spécialisés dans les affaires financières pour porter des coups significatifs aux avoirs des trafiquants à l'étranger. Elle soutient les recommandations du Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (Greta).
Le Conseil de l'Europe a mis en place un réseau de parlementaires référents sur la convention d'Istanbul : pour le Sénat, il s'agit de Mme Bourzai. Pour la convention de Lanzarote, sur laquelle notre délégation n'a pas été saisie, et qui traite des abus et des violences sexuelles faites aux enfants, je suis la parlementaire référente pour le Sénat.
L'une des innovations prévues dans la convention d'Istanbul est l'incrimination de la tromperie en vue d'envoyer une personne à l'étranger pour lui faire subir un mariage forcé. L'État français se trouve impuissant lorsque la personne est en territoire étranger. Deux autres changements : l'incrimination de tentative d'interruption de grossesse non souhaitée, et l'incitation à subir une mutilation génitale, même si cette incitation n'est pas suivie d'effet. Depuis plusieurs années, la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité de nos politiques pénales, donc de l'action des parquets et de la Chancellerie, ce qui se traduit par un taux élevé de réponse pénale et une forte augmentation du nombre de condamnations. La convention d'Istanbul nous donne des moyens pour combattre l'escroquerie au mariage forcé. Il n'est pas rare que des familles envoient à l'étranger leurs filles qui croient partir en vacances ou rendre visite à une grand-mère malade et sont ensuite contraintes à un mariage. Elles sont binationales et pourtant elles ne reviendront jamais en France.
Sur cette partie du projet de loi, la délégation vous propose dix recommandations. Il faut que la ratification de la convention d'Istanbul soit rapidement soumise à l'approbation du Parlement : la ministre des droits des femmes semble le souhaiter aussi. La connaissance du phénomène doit être améliorée par des enquêtes statistiques. Les violences se produisent à huis clos, dans des cercles fermés, ce qui fait craindre que seule la partie émergée de l'iceberg ne soit perçue par la justice. La formation et la sensibilisation doit être généralisée à l'ensemble des services publics en contact avec la jeunesse, l'enfance et les familles, pour améliorer la détection et la prévention. Le collège, le lycée peuvent aussi donner l'alerte en cas d'absence d'une jeune fille - et ce n'est pas la famille qu'il faut prévenir ! La délégation recommande de ne pas s'interdire le recours aux médiateurs familiaux, ce qui correspond à une demande de la Chancellerie.
Nous demandons une identification précise des États de destination des mariages forcés, afin d'engager avec eux des négociations diplomatiques. Les manoeuvres dolosives en vue d'un départ à l'étranger doivent pouvoir être incriminées même si leur finalité n'est pas strictement un mariage forcé : le but peut aussi être de forcer un jeune à changer d'orientation sexuelle, ou de l'éloigner de fréquentations jugées non recommandables...
Il arrive que des jeunes filles consentent à partir pour un mariage sans réellement savoir ce qui les attend. L'empêchement au retour sur le territoire français, par des familles qui résident en France, doit être réprimé. C'est une demande des associations que nous avons auditionnées. Une interdiction de sortie du territoire à l'encontre d'un mineur exposé au risque de mariage forcé doit également pouvoir être prononcée ; c'est une forme de principe de précaution pragmatique. Nos postes diplomatiques dans les États de destination des mariages forcés doivent être sensibilisés et dotés de guides de bonnes pratiques, en vue de la protection et du retour des victimes. Certains consulats sont très performants sur ce point, d'autres moins.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour ce travail très approfondi.
Adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Alain Richard sur le projet de loi n° 582 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France (procédure accélérée).
M. Alain Richard, rapporteur. - Nous légiférons dans le cadre de la mondialisation et de la construction européenne. De plus en plus, des phénomènes relevant du droit pénal sont transfrontaliers. Le présent projet de loi traite d'une quinzaine d'entre eux. En gestation depuis deux ans, il illustre la continuité de l'État. Je souligne sa bonne qualité juridique, résultant du travail de la Chancellerie, de multiples concertations, et du partenariat avec le Secrétariat général des affaires européennes puisqu'une bonne part des dispositions sont l'application d'engagements conclus par les instances européennes. Comme souvent, nous avons dépassé les délais de transposition - ce qui explique la procédure accélérée. La Chancellerie n'a instauré de nouvelles dispositions pénales que lorsque la transposition de nos engagements les rend strictement nécessaires.
Une partie des textes à transposer résulte de négociations entre pays dont les systèmes juridiques sont différents : il n'est pas aisé de trouver des vocables qui signifient, en droit ou en procédure, exactement la même chose. Le résultat est nécessairement un texte de compromis explicitant dans chaque langue les concepts d'autres pays - le piège étant de traduire mot à mot quand il existe déjà des termes équivalents, plus sobres et plus explicites, en droit français.
Nous avons à transcrire les documents suivants : une directive d'avril 2011 sur la lutte contre la traite des êtres humains, une directive d'octobre 2010 relative au droit à la traduction dans les procédures pénales, une décision-cadre de février 2009 sur la reconnaissance mutuelle entre les États-membres des condamnations prononcées par contumace, une directive de décembre 2011 sur la lutte contre les abus sexuels sur les enfants et la pédopornographie, une décision-cadre de novembre 2008 relative à l'exécution des condamnations à une peine privative de liberté entre pays de l'Union européenne, et une décision de décembre 2008 relative au fonctionnement d'Eurojust. La qualification de ces textes change en fonction de leur date : depuis le traité de Lisbonne, l'Union européenne n'adopte plus de décisions-cadre dans le domaine de la justice et des affaires intérieures mais des directives.
Nous procédons à une transposition fidèle de ces textes. Sur la reconnaissance mutuelle des condamnations par contumace et l'application des peines, de nombreuses dispositions sont introduites dans le code pénal ou le code de procédure pénale parce qu'il s'agit de droits nouveaux.
Nous transposons aussi quelques autres textes internationaux : les protocoles additionnels récents à la convention de Genève de 1949 sur les signes humanitaires (il y a eu des controverses sur l'emploi du signe de la Croix-Rouge), une résolution de 2010 du Conseil de sécurité qui organise la fin des deux tribunaux pénaux internationaux ad hoc sur la Yougoslavie et sur le Rwanda, une convention internationale relative à la protection contre les disparitions forcées, un accord de 2006 sur la coopération judiciaire de l'Union européenne avec l'Islande et la Norvège, et la convention d'Istanbul de mai 2011 sur les violences à l'égard des femmes.
L'Assemblée nationale a ajouté à cela une mise en cohérence avec la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, en mars 2013, a annulé un jugement relatif à l'application du délit d'offense envers le chef de l'État. Cependant, les députés n'ont pas fait une interprétation exacte de cette décision : la Cour n'a pas déclaré que ce délit était contraire à la convention européenne des droits de l'homme, elle a simplement estimé que l'application qui en avait été faite au cas d'espèce n'était pas conforme à la convention.
Une remarque, à l'adresse de la Chancellerie : s'agissant de dispositions qui vont entrer dans les codes, il aurait été plus logique de les présenter dans l'ordre où elles vont s'insérer, plutôt que dans l'ordre chronologique des conventions ou directives.
Six ou sept sujets méritent une discussion de fond. Avons-nous besoin d'adopter une définition de l'esclavage en droit pénal français ? Y sommes-nous prêts ? Je ne le crois pas. Est-il judicieux de conférer au membre français d'Eurojust des pouvoirs directs, y compris de contrainte, en matière d'enquête ? L'Assemblée nationale l'a proposé ; je ne souhaite pas que nous la suivions. L'inclusion dans notre code pénal de dispositions précises relatives aux disparitions forcées justifie-t-elle une incrimination visant non seulement les États mais aussi les organisations politiques ? Après bien des hésitations, ma réponse est négative. Faut-il instaurer, en plus des dispositions qui figurent déjà dans la loi sur la presse de 1881 en matière de provocation et d'apologie, une infraction de provocation, d'incitation à la mutilation sexuelle ne passant pas par un moyen public ? Je suis d'accord pour suivre l'Assemblée nationale qui l'a proposé. Le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme au principe de légalité des délits et des peines la mention de l'inceste dans les dispositions pénales relatives aux atteintes et agressions sexuelles commises dans le cercle familial ou par personne ayant autorité. Il me paraît donc judicieux de mettre fin à cette mention dans le code pénal et le code de procédure pénale. Pour les dispositions nouvelles en matière de droit à la traduction, le partage entre ce qui relève du législatif et du réglementaire ne me paraît pas le bon : les exigences de procédure sont des garanties et relèvent de la loi. Les conséquences sur la durée, la complexité et surtout le coût des procédures seront considérables, je le signale ici : plusieurs dizaines de millions d'euros.
Enfin, quel sort réserver à cette idée de supprimer le délit d'offense au chef de l'État ? L'actuel intéressé ne s'en est pas autrement ému, mais cela créerait un vide juridique que je vous proposerai de combler.
Je vous propose d'adopter ce texte moyennant quelques modifications : il pourrait donc être adopté dans les temps sans que nous ayons le sentiment d'avoir conclu trop vite.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci.
M. Jean-Pierre Michel. - Je suis satisfait que ce texte vienne enfin en discussion. Il répond aux obligations internationales de la France envers l'Union européenne, le Conseil de l'Europe, la Cour européenne des droits de l'homme...
Il est difficile, en effet, de transposer des textes européens en matière pénale : les droits pénaux sont différents selon les pays, sans parler de la procédure. Chez nous, celle-ci est très différente de ce qu'elle est ailleurs, je songe à la place des parties civiles. Nous le verrons lors de l'examen du premier amendement de notre rapporteur, avec lequel je ne suis pas tout à fait d'accord. Je partage l'avis d'Alain Richard, en revanche, sur Eurojust. Même s'il faut user avec modération du délit d'offense au chef de l'État - d'autant que le président ne peut être poursuivi, lui, dans aucune procédure ! - il a son importance : certaines offenses, comme celles qui ont été faites au général de Gaulle pendant la guerre d'Algérie, doivent être poursuivies. Je suis donc très réticent à supprimer cette disposition, d'autant qu'elle existe aussi dans d'autres pays du Conseil de l'Europe. Nous voterons le rapport et le texte, sous réserve d'éventuels amendements que je présenterai en séance publique.
M. François Zocchetto. - Il est heureux que nous examinions ce texte, qui est le résultat d'un travail important fourni par la Chancellerie depuis des années. M. Richard a fait un rapport intéressant, et je partage son jugement sur la méthode : mieux vaudrait procéder en suivant l'ordre des codes. L'article dans lequel les députés proposent une définition de l'esclavage me paraît présomptueux. Il s'agit d'un phénomène complexe et prétendre en donner une définition juridique pourrait être contreproductif, car le droit pénal est d'interprétation stricte. Cet article ne doit pas être maintenu. Sur Eurojust, revenons au texte du Gouvernement : le représentant français propose des mesures aux magistrats français, il ne les ordonne pas. Quant au texte sur l'inceste, il ne s'agit pas d'un débat nouveau pour notre commission : nous avions déjà émis des réserves quant à l'introduction de cette disposition dans notre droit pénal.
M. Patrice Gélard. - Je me méfie de la transposition de directives dans notre droit interne : nous avons la mauvaise habitude d'en rajouter. Les multiples recommandations de notre rapporteure pour avis m'ont inquiété : cela finit par dénaturer le texte à transposer ! L'exposé intéressant de notre rapporteur m'a un peu rassuré : ne cédons pas à notre coutume de transformer en un texte de trois pages un texte qui en faisait une !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous ne le faisons pas seulement pour les directives européennes...
M. Alain Richard, rapporteur. - Oui, on parle d'ailleurs dans ce cas de « sur-transposition ».
M. Patrice Gélard. - Oui. Une autre manière de sur-transposer : les circulaires préfectorales, qui précisent la manière d'appliquer les textes issus de la transposition...
M. Jean-Jacques Hyest. - Le rapporteur a fait un excellent rapport. Dans ce texte, on ne sur-transcrit pas : très bien. Je suivrai les propositions de notre collègue Alain Richard, mais je m'interroge sur l'article 17 bis introduit par les députés et que le rapporteur complète. Sur la définition de la traite des êtres humains, il faut travailler encore. Les députés semblent avoir visé toute une série de dispositions. Pour le coup, n'en rajoutons pas : cela nous ferait sortir de l'objet du texte. Nous sommes souvent en retard pour transposer, ne tardons pas à voter ce texte. Sur Eurojust, je partage l'opinion du rapporteur sur la rédaction des députés ; on ne peut pas confier à un magistrat hors hiérarchie le soin d'ordonner des mesures. Le texte du Gouvernement est meilleur sur ce point.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat, relative à la compétence territoriale du juge français sur les infractions relevant de la Cour pénale internationale, fait écho à des dispositions de ce texte. Laissons à la proposition de loi son intégrité, mais souhaitons qu'elle soit prochainement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale... Ce fut un gros travail !
M.
Alain Richard, rapporteur. - J'ai peut-être
été un peu elliptique sur certains points. Pourquoi ne pas
adopter une définition pénale de l'esclavage et de la
servitude, comme le propose l'Assemblée nationale ? La seule
définition internationale faisant autorité date de 1926. A cette
époque, l'esclavage était encore un phénomène de
masse dans certains pays. Les situations auxquelles nous nous
référons devraient plutôt être qualifiées
d'esclavage moderne : elles sont le fait de groupes privés, qui
emploient la force ou le chantage, et sont plus difficiles à
définir. La définition initiale relevait du droit civil :
est esclave la personne à l'encontre de laquelle s'exerce un droit de
propriété. Cette définition rigoureuse était
juridiquement solide. Nous aurions peine à caractériser de telles
situations aujourd'hui ! Et vouloir établir une nouvelle
définition pourrait bien en effet être contreproductif. Dans deux
décisions, la Cour européenne des droits de l'homme a
estimé que l'article 4 de la convention imposait aux États
de « criminaliser » l'esclavage, qui n'est pas
défini en tant que tel en droit français. Des avocats
français sont très fiers d'avoir fait condamner la France sur ce
motif. La Cour européenne n'a toutefois pas précisé ce
qu'il fallait criminaliser, se contentant de désigner « les
situations de cet ordre ». Il faudra donc introduire dans le code
pénal une infraction - qui sera sans doute un crime - de
réduction en esclavage, ou d'asservissement, esclavage et servitude
étant rigoureusement synonymes en français, le servage
étant une notion différente. L'Assemblée nationale a
voté une définition qu'elle savait incomplète
- charge au Sénat de l'améliorer. Je concède que
je n'ai rien trouvé de meilleur. Par conséquent, pour creuser la
question, je suggère un groupe de travail. La garde des sceaux souhaite
une définition qui corresponde aux réalités actuelles et
qui soit partagée.
La France a l'espoir que soit créé un parquet européen. Le degré d'enthousiasme est variable parmi nos partenaires. Le gouvernement actuel, reprenant un projet du précédent gouvernement, veut promouvoir une coopération renforcée : neuf États, dont l'Allemagne, pourraient créer un parquet européen commun compétent en matière d'atteintes aux intérêts financiers de l'Union. L'Assemblée nationale a considéré qu'à travers les représentants nationaux d'Eurojust un parquet européen émergeait, et a souhaité, pour le symbole, donner au représentant français le pouvoir de prendre des mesures d'instruction contraignantes à l'égard des magistrats nationaux. Certes, mais cela perturberait notre ordre juridique et le statut des magistrats, régi par une ordonnance portant loi organique qui énumère les membres du parquet. Il faudrait la modifier, pour un apport qui ne serait pas significatif.
La définition de la traite des êtres humains n'est sans doute pas encore assez rigoureuse : je ne l'ai pas modifiée, mais peut-être est-il possible de mieux cerner le phénomène.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 20 supprime l'article relatif à l'esclavage et la servitude. Je m'en suis expliqué.
M. Jean-Pierre Michel. - Je voterai cet amendement n° 20. Mais nous devons aboutir rapidement : la Cour européenne a condamné la France dernièrement, estimant que malgré la modification du code pénal en 2007, notre pays ne s'était pas doté des moyens réglementaires et législatifs de réprimer le travail forcé et la servitude. La garde des sceaux est réticente : pour elle, l'esclavage, c'est la traite des Noirs. Mais il y a l'esclavage moderne : travail forcé ou esclavage sexuel. La Cour européenne demande de le « criminaliser » : cela ne signifie pas nécessairement en faire un crime, passible de la cour d'assises. En faire d'emblée un crime pourrait même être contreproductif au regard de l'efficacité de la répression.
M. Jean-Jacques Hyest. - Exact. Il n'y aura pas de poursuites.
M. Jean-Pierre Michel. - Comment un jury pourra-t-il déterminer les éléments de l'infraction ? Et les parties civiles ne pourront agir.
L'amendement n° 20 est adopté.
L'article 2 bis est en conséquence supprimé.
Article 4
Les amendements rédactionnels nos 1 et 2 sont adoptés.
Article 4 bis
L'amendement n° 3 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement rédactionnel n° 14 vise à passer du vocabulaire « bruxellois », au vocabulaire français !
L'amendement n° 14 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 18 concerne les pouvoirs du représentant français à Eurojust. Nous préférons lui maintenir la fonction de proposer des actes, et non de les imposer aux magistrats français.
M. Jean-Pierre Michel. - Je suis entièrement d'accord avec le rapporteur. Les membres d'Eurojust ne sont pas membres du parquet français, et n'ont donc pas le droit de faire des actes, encore moins de les ordonner. En Europe, les membres des parquets ont des statuts différents : fonctionnaires en Allemagne mais jouissant d'une grande indépendance, totalement indépendants en Italie, plus ou moins indépendants en France... Des projets de loi en discussion leur donneraient plus d'indépendance, le parquet restant soumis hiérarchiquement au garde des sceaux. Comment un fonctionnaire d'un Land allemand pourrait-il ordonner des poursuites en France ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Le parquet européen, ce n'est pas cela !
M. Alain Richard, rapporteur. - Seul le représentant français pourrait ordonner des poursuites en France, mais nous ne le voulons pas.
L'amendement n° 18 est adopté.
Article 9
Les amendements rédactionnels nos 14 et 15, l'amendement d'harmonisation n° 5 et l'amendement de précision n° 6 sont adoptés.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 7 distingue deux délits : l'utilisation abusive, et l'imitation d'un emblème. Je préfère en conséquence deux alinéas distincts.
Les amendements nos 7 et 8 sont adoptés.
Article 15
L'amendement n° 10 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'Assemblée nationale a complété l'article 16 relatif à l'incrimination d'incitation à la mutilation sexuelle sur mineur. Mais la nouvelle rédaction pose problème. Mieux vaut s'inspirer d'une disposition pénale existante. Avec mon amendement n° 19, le parquet pourra poursuivre l'auteur de l'incitation, que les actes aient finalement été commis ou non.
M. Jean-Pierre Michel. - Les mutilations sexuelles religieuses - comme la circoncision - sont-elles pénalement répréhensibles ?
M. Alain Richard, rapporteur. - En droit, oui, coutumièrement, non, pour les confessions anciennement implantées en France. C'est juridiquement fragile... Il y a d'ailleurs eu une controverse significative sur ce point en Allemagne fédérale l'an dernier.
Mme Esther Benbassa. - Cela a fait scandale !
M. Alain Richard, rapporteur. - Que ce ne soit pas poursuivi pourrait un jour faire scandale !
L'amendement n° 19 est adopté.
Article 17
L'amendement rédactionnel n° 11 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 12 concerne le délit d'offense. La Cour européenne, je le répète, ne réclame nullement sa suppression, comme ont affecté de le croire les députés. Ce problème n'est pas simple pour une majorité, d'autant que nous aurons prochainement à traiter du statut juridictionnel du chef de l'État. J'ai opté pour une solution intermédiaire : la loi de 1881 prévoit une procédure spéciale pour les membres du Gouvernement, qui peuvent demander au garde des sceaux d'engager des poursuites. Je propose qu'on l'applique aussi au chef de l'État.
Mme Cécile Cukierman. - Notre groupe ne se retrouve pas dans la rédaction des articles 48 et 31 de la loi de 1881. Le présent texte vise à supprimer le délit d'offense : en attente d'un texte sur le statut du chef de l'État faisant clairement le départ entre l'individu et le titulaire d'une fonction, nous ne nous opposerons pas à ces amendements qui alignent le cas du chef de l'État sur celui des ministres, car il serait surprenant que les seconds soient mieux protégés que le premier ! Nous votons ce compromis, avec des réserves.
M. Jean-Pierre Michel. - C'est un sujet délicat. L'offense au chef de l'État ne s'adresse pas à l'homme, mais à la fonction. Je ne suis pas sûr que ce que vous proposez soit conforme à la Constitution : il me semble difficile de traiter le chef de l'État comme les membres du Gouvernement... Il les nomme, préside le Conseil des ministres : il doit bénéficier d'un niveau de protection supplémentaire. Je voterai votre amendement, mais avec quelques doutes...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le Président de la République pourra-t-il déposer une question prioritaire de constitutionnalité ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Je ne souhaite pas que l'on revienne sur le statut pénal du chef de l'État, cela serait dommageable pour la dignité et la responsabilité de la fonction, qui est au coeur de nos institutions. Il n'y a pas lieu de supprimer le délit d'offense au chef de l'État. Il n'y a pas de président normal ! En ces temps où la société n'a plus de repères, ne traitons pas le Président de la République comme un copain. Je suis partisan de supprimer l'article.
M. François Zocchetto. - Avec tout le respect que je dois à l'excellent travail du rapporteur, je crois qu'il ne faut pas bricoler avec le statut du chef de l'État, qui forme un tout. C'est ce que j'ai indiqué récemment au Président de la République. Si l'on modifie le statut pénal, alors modifions tout le statut. Pour moi, il ne faut pas y toucher, même si je souhaite que le délit d'offense ne soit pas utilisé...
M. Hugues Portelli. - Cet article 17 bis n'a rien à faire dans une loi de transposition de textes européens : c'est un cavalier.
M. Alain Richard, rapporteur. - Je ne sais trop que répondre car je suis partagé. J'ai essayé de tirer au milieu... Mais si l'amendement n'est pas adopté, je n'en ferai pas un drame !
M. Jean-Pierre Michel. - Pour restaurer le délit d'offense en son état actuel, il faut supprimer l'article 17 bis.
M. François Zocchetto. - Votons sur les amendements puis sur l'article.
L'amendement n° 12 est rejeté.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 16 a le même objet.
L'amendement n° 16 est rejeté.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 13, rédactionnel, traite de l'incrimination pour offense sur les correspondances à découvert, autrement dit l'offense sur carte postale !
L'amendement n° 13 est rejeté.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - A la demande de nos collègues, je mets aux voix l'article 17 bis non amendé.
L'article 17 bis n'est pas adopté.
Article 23
L'amendement rédactionnel n° 17 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :