Mercredi 27 mars 2013
- Présidence de M. Charles Revet, président d'âge puis de Mme Bernadette Bourzai, présidenteRéunion constitutive
La mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe a constitué son bureau et procédé à un échange de vues entre ses membres sur les enjeux, le périmètre et l'organisation de la mission.
M. Charles Revet, président d'âge - Je vous prie d'excuser M. Gérard César, à qui revenait la fonction de président d'âge. La présente mission commune d'information a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu à l'article 6 bis du règlement du Sénat. C'est le groupe Union centriste (UDI-UC) du Sénat qui en a formulé la demande lors de la Conférence des Présidents du 20 février dernier. Il en a été pris acte et les 27 membres de la mission ont été nommés, sur proposition des groupes, lors de la séance du 13 mars.
L'objet de cette mission est d'examiner la situation de la filière viande en France et en Europe, du producteur au consommateur, en passant par l'ensemble des maillons de la chaîne. Alors que l'affaire de la viande de cheval - qui s'est retrouvée dans plusieurs pays européens dans des préparations culinaires sensées contenir du boeuf - est loin d'être close, et que chaque jour apporte son lot de nouveaux doutes sur les circuits empruntés par les matières premières carnées utilisées dans l'industrie agroalimentaire, et alors que l'élevage sous toutes ses formes continue à souffrir en France de conditions économiques difficiles, nous répondons par cette mission à une réelle préoccupation des français.
En application du règlement du Sénat, les postes de président et de rapporteur de la mission doivent être partagés entre majorité et opposition. Même si cela n'est pas systématique, il est d'usage que la responsabilité de rapporteur soit confiée à un membre du groupe ayant demandé la création de la mission commune d'information. Le bureau est complété par plusieurs vice-présidents. Chaque groupe pourrait disposer d'une représentation au sein du bureau. Nous pourrions réserver trois sièges au bureau pour chacun des deux groupes les plus nombreux : le groupe socialiste et le groupe UMP. Le bureau compterait donc 10 membres.
La mission commune procède à l'élection, à l'unanimité de son bureau, ainsi constitué :
- Présidente : Mme Bernadette Bourzai ;
- Rapporteure : Mme Sylvie Goy-Chavent ;
- Vice-Présidents : MM. Gérard Bailly, Claude Bérit-Debat, André Dulait, François Fortassin, Benoît Huré, Georges Labazée, Joël Labbé et Gérard Le Cam.
Mme Bernadette Bourzai, présidente de la mission commune d'information. - Je vous remercie de la confiance ainsi accordée et cède la parole à Mme Goy-Chavent qui souhaite nous faire part des raisons qui ont amené son groupe à demander la création de la présente mission.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure de la mission commune d'information. - Je vous remercie de la confiance que vous me témoignez en me désignant rapporteure de cette mission. D'autres sujets auraient pu retenir l'attention du groupe UDI-UC, mais celui de la filière viande en France et en Europe nous intéresse plus particulièrement. La crise de la viande de cheval ouverte depuis quelques semaines a montré que, malgré les efforts de traçabilité de la viande bovine depuis la crise de la vache folle, malgré les contrôles sanitaires, des fraudes étaient encore possible à grande échelle. Or le consommateur veut savoir ce qu'il mange. L'étiquetage de l'origine de la viande bovine existe et fonctionne bien. En revanche, dès qu'il s'agit de préparations agroalimentaires, l'opacité règne. Il en va de même sur les conditions d'abattage. Le consommateur a pourtant le droit de savoir si la viande qu'il achète est issue de bêtes pour lesquelles les règles de bien-être animal ont été respectées. Du champ à l'assiette, en passant par l'abattoir, il est nécessaire de répondre aux attentes de la société, en toute transparence.
Concernant l'abattage, j'avais présenté une proposition de loi en novembre dernier, réclamant que les animaux fassent tous l'objet d'un étourdissement préalable, afin de ne pas leur infliger de souffrances inutiles. J'ai déposé en janvier une autre proposition de loi, exigeant que le consommateur soit informé des conditions d'abattage. Cette question pourra être abordée dans le cadre de notre mission. En portant d'abord notre attention sur le consommateur, nous pourrons nous interroger sur les normes de commercialisation, sur l'étiquetage de l'origine, sur les contrôles effectués sur les viandes et produits carnés par les services vétérinaires ou par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et sur les tendances lourdes de consommation qui se dessinent déjà en viande. Nous pourrons ainsi faire des propositions tant au niveau national qu'au niveau communautaire, car le marché unique implique que les règles du jeu soient définies essentiellement à Bruxelles.
Mais le champ d'investigation de notre mission n'est pas cantonné à la seule question de la consommation de produits carnés et de l'information des consommateurs. Il s'agit aussi d'interroger l'économie de la filière, à l'heure où de grands acteurs sont en redressement judiciaire, qu'il s'agisse du groupe Doux dans le poulet, ou du groupe breton Gad, spécialisé dans le porc. La question de la répartition des marges entre acteurs économiques, du producteur au consommateur, et du rôle particulier de la grande distribution, est fondamentale, et nous l'examinerons attentivement, notamment en auditionnant l'observatoire des prix et des marges. Au-delà de la répartition de la valeur ajoutée, c'est la problématique de la compétitivité de la filière viande qui inquiète. Pourquoi perdons-nous chaque année des parts de marché dans l'abattage face à d'autres pays européens comme l'Allemagne ? Y-a-t-il un risque de voir notre production de viande bovine, porcine ou de volailles décliner, si l'outil d'abattage est lui-même en difficultés ? Comment construire une filière solide dans tous ses maillons, qui assure une rémunération correcte pour les producteurs, les industriels, les distributeurs ? Plusieurs centaines de milliers d'emplois sont en jeu autour de la filière viande, et cette dimension économique fait pleinement partie du champ d'investigation de cette mission.
Je termine en proposant un objectif : parvenir à un consensus sur le diagnostic de la filière, en France et en Europe, et sur des propositions. Je souhaite qu'au-delà des sensibilités politiques différentes qui sont les nôtres, nous soyons capables de promouvoir une vision commune et partagée qui pourrait guider l'action des pouvoirs publics en direction du secteur de la viande.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Élue dans une région d'élevage, le Limousin, travaillant avec le groupe de travail sur la réforme de la PAC, je me réjouis que le Sénat aborde la question de la filière viande dans le cadre d'une mission commune d'information, associant les sénateurs de plusieurs commissions. Il ne s'agit pas au demeurant d'une première : l'élevage bovin avait fait l'objet d'un excellent rapport d'information de notre collègue Gérard Bailly en juillet 2011. La filière ovine avait pour sa part était analysée par MM. Gérard Bailly et François Fortassin en janvier 2008, dans un rapport malicieusement intitulé « revenons à nos moutons ».
De longue date, le Sénat s'intéresse donc à l'élevage et à la viande. Mais cette mission ira plus loin que nos précédents travaux, en permettant d'examiner l'ensemble de la filière viande, qu'elle soit bovine, porcine, ou de volaille.
En accord avec la rapporteure, je suggère un calendrier serré, qui nous permettrait de rendre notre rapport au début de l'été, soit plus vite que les six mois traditionnellement impartis aux missions d'information. Pourquoi un tel choix : car il y a urgence à proposer des solutions. Il est également souhaitable que le Parlement s'exprime avant que ne soit déposée la loi d'avenir de l'agriculture, annoncée pour la rentrée 2013-2014. Enfin, il existe déjà de nombreux travaux sur la filière viande et nous pouvons nous appuyer sur ceux-ci pour rapidement engager notre cycle d'auditions. Nous pourrons réunir le bureau tous les mois pour valider les orientations et propositions du rapport, qui pourrait être adopté début juillet.
Il est nécessaire d'auditionner l'ensemble des intervenants de la filière. Le nombre d'auditions pourrait s'élever à plus d'une soixantaine. Outre les auditions, un certain nombre de déplacements sont à envisager : des déplacements en Europe : Allemagne, Pays-Bas, Bruxelles pour rencontrer la commission européenne et les parlementaires européens ; mais aussi de déplacements en France : dans l'Ouest pour visiter des élevages porcins et de volailles, ainsi que des abattoirs et usines ; dans le bassin allaitant pour visiter des élevages bovins et des abattoirs, à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) à Clermont-Ferrand pour rencontrer les acteurs de la recherche. Outre la présidente et la rapporteure, plusieurs membres du bureau pourraient y participer.
Chaque audition et chaque rencontre lors des déplacements fera l'objet d'un compte-rendu, accessible à l'ensemble des membres de la mission.
Une page sur le site Internet du Sénat retracera l'ensemble des travaux de notre mission, et permettra aux internautes de déposer leurs contributions. Enfin, Public-Sénat nous accompagnera tout au long de cette mission, pour son programme « les dessous de la loi », afin de mieux faire connaître au public le travail parlementaire, dans un but pédagogique.
M. François Fortassin. - J'aimerais vous soumettre une suggestion sur le périmètre de notre étude. La production de viande est destinée à être mangée. Or, un produit qui répond parfaitement aux normes sanitaires peut se révéler peu satisfaisant sur un plan gustatif. Nous intéresserons-nous au cours de notre mission à la question du goût ?
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Au cours de nos déplacements, nous pourrons procéder à des dégustations. Dans le cadre de nos travaux, nous chercherons bien sûr à mettre en avant la question de la qualité des produits, qui recouvre celle de leur goût, au même titre que le problème de leur traçabilité.
M. Gérard Bailly. - J'adresse mes félicitations à Mme la présidente et à Mme la rapporteure qui conduiront ce travail très intéressant. Je souscris entièrement aux orientations du programme de travail qui nous a été présenté, et qui me semble très ambitieux. J'aimerais cependant vous faire part de quelques observations.
Il me semble que nous devrions nous montrer prudents dans la conduite de nos travaux. L'affaire qui a été récemment médiatisée repose sur une tricherie. Or, si évidemment la transparence du circuit des produits est nécessaire et s'il faut la réaffirmer, cette tricherie ne concerne pas l'ensemble des acteurs de la filière viande. Lors d'un travail que nous avons précédemment mené, nous avons pu constater que la traçabilité des produits était parfaitement assurée dans le Loiret pour les achats du groupe Mac Donald's : la viande provenait de bêtes de nos élevages et le blé des pains était fourni par des agriculteurs locaux. Afin de ne pas instiller un doute et de ne pas pénaliser les producteurs, nous devrions faire preuve de prudence dans nos travaux, d'autant qu'ils seront très médiatisés.
Par ailleurs, il me semble que notre mission devrait aborder la question des importations, et notamment des exportations extra-européennes. Nos importations de viande sont très importantes et concernent l'ensemble des productions ; en production ovine, nous importons ainsi plus de 50 % de la viande que nous consommons. Or, les produits ainsi importés - je pense par exemple à ceux qui proviennent d'Amérique du Sud - ne sont pas nécessairement soumis aux mêmes exigences de transparence que les produits français et peuvent avoir été nourris aux OGM. Sur ce point, il pourrait être intéressant que nous nous rendions un matin à Rungis pour observer l'activité concrète des importateurs.
M. Charles Revet. - Allons-nous, dans le cadre de nos travaux, nous pencher de manière approfondie sur le fonctionnement des circuits d'approvisionnement des industriels ? Du fait de l'actualité, nous serons attendus sur cette question.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Le but de la mission est de dresser un état des lieux précis de l'ensemble de la filière viande, afin de pouvoir ensuite formuler des propositions et ainsi rassurer les consommateurs. Ce tableau devra permettre de suivre les produits du pré à l'assiette, et dans toutes les étapes intermédiaires. Il s'agit d'un défi important et nécessaire.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Je partage les points de vue évoqués sur la richesse du travail proposé. Avec le nombre considérable de plus de soixante auditions prévues, nos investigations seront très étendues.
Afin de pousser ces investigations le plus loin possible, j'aimerais que nous puissions questionner de grands opérateurs de manière approfondie, et notamment que nous puissions écouter les sociétés incriminées comme Spanghero. Il est important de pouvoir comprendre dans le détail les pratiques d'un commerce qui n'est pas toujours transparent, et de pouvoir apprécier dans quelle mesure ces pratiques échappent à la réglementation et aux règles élémentaires de précaution. Ces questions ne concernent pas seulement les produits carnés, mais également les produits laitiers par exemple.
M. Joël Labbé. - Le ministre délégué à l'agroalimentaire, Guillaume Garot, que nous avons auditionné, nous a fait part de ses ambitions : son ministère poursuit le travail sur la sécurité alimentaire et s'intéresse également à la valeur ajoutée et à la qualité, voire l'excellence, des produits.
Il existe aujourd'hui une crise de la volaille, qui touche particulièrement la Bretagne. La France est un pays exportateur de volailles, mais elle en importe également pour 45 % de sa consommation. Or il existe un fort déséquilibre entre les exportations et les importations. Les chiffres d'Eurostat pour 2011 sont édifiants : nous aurions exporté 1,2 million de tonnes de poulet pour 1,4 milliard d'euros, tandis que nous en aurions importé 760 000 tonnes pour 2,2 milliards. La problématique de la part des importations dans notre consommation me paraît dès lors essentielle. Des réponses sont aujourd'hui attendues s'agissant de la consommation française locale ; il en va de la relance de nos filières. Nous devons tirer les leçons de ce dernier épisode médiatique malheureux, qui a au moins permis de mettre en lumière certaines pratiques, et restaurer la confiance.
Par ailleurs, nous devrons également nous pencher sur la filière de la viande bio, qui n'est plus une niche aujourd'hui et qui ne demande qu'à se développer.
M. Gérard Le Cam. - Il m'apparaît nécessaire de faire la clarté sur la circulation de la viande en Europe. On a l'impression que la viande est transportée successivement d'un point à un autre, parfois pour finalement revenir à son point de départ, dans le seul but de faire de l'argent. Les questions de la technique d'obtention des minerais de viande et de leur composition exacte me paraissent également importantes.
Mme Renée Nicoux. - Je pense que nous partageons tous les mêmes objectifs. Nous devons donner des réponses aux consommateurs, qui doivent savoir quelle viande ils mangent et d'où elle vient.
J'aimerais que nous puissions également nous pencher sur la problématique du trading dans le domaine de la viande, que je n'ai découverte qu'à l'occasion de l'actualité récente. Quelle est leur influence dans la constitution du prix de la viande, alors que les éleveurs ont du mal à vivre de leur production ? C'est plus globalement toute la question du rôle des intermédiaires qui est posée.
M. René Beaumont. - En tant qu'ancien vétérinaire inspecteur des abattoirs, je me félicite de la mise en place de cette mission d'information, mais je souhaite également que nous nous montrions prudents. La traçabilité a été mise en place pour la première fois en France au moment de la crise de la vache folle par le ministre de l'agriculture Philippe Vasseur. Aujourd'hui, tous les animaux abattus en France sont identifiés et suivis : c'est une avancée considérable. Cependant, ce dispositif et ceux qui sont intervenus ensuite ont causé une diminution de 25 % de la consommation de viande rouge en France. Il y a un risque que notre démarche fasse perdre confiance aux consommateurs et pèse ainsi sur les producteurs.
Par ailleurs, le programme de travail de notre mission me semble très ambitieux, peut-être même un peu trop. Nous voulons nous intéresser à des viandes différentes, dont les conditions de production, les origines, les modes de commercialisation sont différents. Les viandes blanches et rouges, le veau, le boeuf, ont des origines différentes et ne sont pas toujours produits en France. Le marché de la volaille, qui est particulièrement complexe, mériterait à lui seul que lui soit consacrée une enquête entière. Le marché de la viande ovine a son centre davantage en Nouvelle-Zélande qu'en France. Il me semble donc difficile de nous lancer dans une étude approfondie de la totalité de ces filières et de vouloir résoudre l'ensemble de leurs problèmes. Il nous faudra aussi faire preuve d'une grande discrétion. Cela me paraît essentiel.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Je souhaiterais préciser que nous constituons bien aujourd'hui une mission commune d'information et non une commission d'enquête. Je voudrais ensuite vous rassurer sur la publicité que nous ferons à nos travaux. L'objectif n'est pas de provoquer ou de stigmatiser des sociétés aujourd'hui en difficulté : notre objectif est de connaître la vérité sur une filière mal connue. Nous fixerons bien les règles du jeu pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce point
M. Michel Boutant. - J'aimerais évoquer un sujet qui n'a pas encore été abordé. L'actualité fait qu'aujourd'hui l'origine de la viande et certaines pratiques qui ont fait l'objet de révélations récentes sont au centre de l'attention de l'opinion publique. Je pense pourtant que nous devrions aborder d'autres produits que les produits carnés et en particulier les peaux et les cuirs, qui fournissent des matières premières à des entreprises qui se portent plutôt bien en France, les industries du luxe et de la maroquinerie. Je travaille actuellement, dans mon département de Charente, à l'ouverture d'une de ces entreprises qui viendrait créer 400 emplois dans quelques mois et à l'établissement d'un cahier des charges entre cette entreprise, les éleveurs et les abattoirs pour qu'elle puisse bénéficier de cuirs de qualité. Je crois que la valorisation des déchets et des peaux est un vrai sujet, et que nous ne devrions pas concentrer notre travail exclusivement sur la question de la viande stricto sensu.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Nous pourrons aborder ce sujet, dont je connais l'importance, lors de nos visites d'abattoirs, notamment dans le Massif central. Le secteur des peaux est en effet un secteur considérable.
M. Jean-Luc Fichet. - Je crois que la question fondamentale que se posent les consommateurs est la suivante : comment les producteurs de viande peuvent-ils vendre de la viande de cheval en prétendant qu'il s'agit de viande de boeuf ? Est-ce un manque de professionnalisme ? Un professionnel du textile sait faire la différence entre du coton et du nylon, un professionnel du bois sait faire la différence entre du chêne et du hêtre ! Pour la viande, c'est pareil : de bons professionnels savent différencier les types de viande et on ne leur fera pas prendre du cheval pour du boeuf. Comment en est-on arrivé là alors qu'il y a le long de la chaîne de production des professionnels capables d'identifier la nature de la viande ? Existe-t-il une omerta ? Est-ce un problème de conditionnement du minerai ? Je doute franchement que personne ne s'interroge à un moment ou à l'autre sur la nature de la viande qui est travaillée. Je crois que c'est à ces interrogations des consommateurs que nous devons répondre. La question des compétences, de la formation des professionnels de la filière mérite d'être posée. Enfin, je voudrais dire que si nous devrons dénoncer les dysfonctionnements, il faudra aussi montrer ce qui se fait de bien dans cette filière et revaloriser tous ceux qui sont injustement affectés par ce scandale. Ce secteur est très important pour notre économie et il s'agit d'éviter que certains mauvais comportements rejaillissent sur tous.
M. Jean-Claude Lenoir. - J'ai écouté avec attention mes collègues et je dois vous dire que ne voudrais pas que nous ouvrions la boîte de Pandore. Nous sommes tentés d'aborder de multiples sujets qui concernent l'élevage, la transformation et l'alimentation. Si nous devions faire le choix d'une problématique très large, je crois qu'il nous faudrait aussi nous intéresser à la question de l'équarrissage et à l'impact de la production de ce secteur sur les poissons. Pour autant, je pense qu'il serait vraiment souhaitable de réduire l'amplitude de notre champ d'investigation, de limiter l'éventail des sujets abordés, surtout si nous devons rendre notre rapport dans des délais contraints.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Je vois que notre mission commune d'information suscite un vif intérêt - et que vous suggérez de nombreuses pistes d'investigation pour notre sujet d'étude. Nous en avons pris bonne note. L'objectif de notre mission est d'auditionner l'ensemble des acteurs, tous les intermédiaires, pour sortir des idées préconçues et établir un état des lieux précis et chiffré de la filière. Il s'agit bien plus de mettre en valeur ce qui se fait de bien plutôt que de stigmatiser ce qui va mal. Et nous ferons en sorte d'élaborer des propositions constructives pour résoudre les difficultés qui peuvent se poser. Nous voulons rencontrer tous les intermédiaires de la filière - élevage, transport, stockage, distribution, et c'est vrai qu'ils sont très nombreux entre le pré et l'assiette. Plusieurs questions méritent des éclaircissements : le problème du minerai, le rôle exact des traders dans le négoce de la viande... Il semblerait que parfois la viande ne quitte pas son entrepôt mais que beaucoup d'argent circule en raison des transactions qu'elle suscite ! Notre volonté est de dresser un véritable état des lieux et non de stigmatiser qui que ce soit au sein de la filière viande. Nous voulons restaurer la confiance des consommateurs en trouvant les bons leviers, en donnant des idées au Gouvernement, en jouant la transparence pour redonner pleinement l'envie de consommer les produits qui viennent de France. Il est vrai que beaucoup de produits sont importés : quelles quantités précisément ? Pourquoi nos éleveurs sont-ils confrontés à de réelles difficultés ? Pourquoi importons-nous autant alors qu'une partie de nos élevages sont parfois condamnés à la fermeture ? Il nous faudra répondre à toutes ces questions. Nous nous intéresserons aussi à l'élevage biologique, un maillon important de la filière viande. Le cuir et la question du cinquième quartier sont des sujets intéressants mais il ne faut pas trop se disperser si on veut garder de l'efficacité. La filière de la viande française est dans l'ensemble une filière d'excellence. Joël Labbé a parlé du poulet, c'est un sujet que je connais bien moi-même - si vous me permettez de faire preuve d'un peu de chauvinisme - avec le poulet de Bresse, certifié AOC, un bel exemple de produit d'excellence de notre filière viande.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Je partage le souhait de Jean-Claude Lenoir de ne pas nous disperser. Nous disposons de peu de temps et je ne pense pas qu'on puisse embrasser l'ensemble des problèmes que nous avons évoqués, en dépit de leur intérêt. Je crois que nous devrions revenir à ce qui préoccupe l'opinion, et notamment l'affaire Spanghero. Il s'agit d'un problème très précis, celui de la transformation de viande pour la production de plats cuisinés. S'y on y ajoute le problème de l'attractivité économique française qui est actuellement en baisse, on comprendra qu'en amont certains producteurs utilisent des expédients - le mot est faible - pour se conformer à cette politique des prix, ce qui génère des excès - là aussi, le mot est faible - pour rester compétitif. Je crois qu'il serait souhaitable de nous focaliser sur ces préoccupations de l'opinion publique et de nous rappeler que c'est précisément ces inquiétudes qui ont conduit à la création de cette mission commune d'information. Je pense aussi que nous devrions prendre le risque de la transparence.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Certes, le scandale sanitaire de l'affaire Spanghero est en partie à l'origine de notre mission, mais nous devons aussi nous intéresser à la situation économique de l'élevage qui est très difficile dans notre pays et partout en Europe à l'heure actuelle. Or nous sommes à la veille de la réforme de la politique agricole commune (PAC) et de la loi d'avenir de l'agriculture que le Gouvernement présentera au Parlement à la fin de l'année. Nous devons faire progresser l'idée que les élevages français souffrent et qu'ils ont besoin de mesures appropriées. Je souscris aussi tout à fait à l'idée que le commerce de la viande en France, en Europe, et aussi les importations qui viennent d'autres continents, devront faire l'objet de toute notre attention. La traçabilité de la viande est loin de s'appliquer partout et les normes d'élevage ne sont pas les mêmes selon les continents et entre les pays de l'Union européenne. J'ai dit que nous ne mettrions pas en causes de personnes ou de sociétés, que nous ne chercherons pas à choquer avec du sensationnalisme. Mais il n'est pas non plus question d'occulter quoi que ce soit. Les auditions démarreront la semaine prochaine.