- Jeudi 21 mars 2013
- Femmes dans le secteur de la culture - Audition de Mme Muriel Beyer, directrice littéraire des Éditions Plon, membre de « women's forum »
- Femmes dans le secteur de la culture - Audition de Mme Muriel Couton, directrice du développement et de la coordination, directrice de la promotion et des actions culturelles de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
- Sécurisation de l'emploi - Nomination d'un rapporteur
Jeudi 21 mars 2013
- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -Femmes dans le secteur de la culture - Audition de Mme Muriel Beyer, directrice littéraire des Éditions Plon, membre de « women's forum »
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous reprenons aujourd'hui nos auditions sur notre thème de travail relatif à la place des femmes dans le secteur de la culture.
J'ai le plaisir d'accueillir Mme Muriel Beyer, en sa double qualité de directrice littéraire des Éditions Plon et de membre de « women's forum ».
L'audition du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), ainsi que celle des représentantes du collectif H/F auxquelles nous avons procédé l'an dernier dans le cadre de notre précédente étude sur « Femmes et travail » avait attiré notre attention sur l'importance des inégalités hommes/femmes dans le secteur de la culture, inégalités qui sont généralement sous-estimées.
Il nous a semblé utile de creuser cette année ce sujet qui a commencé à émerger dans le débat public.
Les deux premières auditions auxquelles nous avons procédé dans le cadre de ce nouveau thème de travail - celle de Nicole Pot, haut fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère de la culture et de la communication, et celle de Reine Prat, auteure de deux rapports qui ont fait date sur l'égalité des hommes et des femmes dans les arts du spectacle - nous ont permis de tracer le cadre général de notre étude.
Votre audition va nous permettre d'approfondir la perception que nous pouvons avoir de ces inégalités dans un secteur bien particulier, celui du livre et de l'édition.
Avez-vous le sentiment, compte tenu de votre parcours, que les femmes ont les mêmes chances que les hommes de trouver un éditeur ?
Est-il plus difficile pour une femme de créer sa propre maison d'édition ou de faire son chemin chez les « grands » éditeurs ?
Les femmes n'ont-elles pas cependant une sensibilité particulière aux attentes d'un lectorat souvent largement féminin ?
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes évidemment très intéressés de recueillir vos analyses, les constats auxquels votre expérience vous a permis de procéder et les suggestions que vous pourrez formuler pour nous permettre d'émettre des recommandations pour éclairer le législateur.
Mme Muriel Beyer, directrice littéraire des Éditions Plon, membre de « women's forum ». -Je suis la directrice éditoriale des éditions Plon qui appartient au groupe Editis, l'un des deux grands groupes en France avec Hachette, lesquels coexistent avec des maisons d'édition indépendantes.
Je suis un assez mauvais exemple, en ce domaine, dans la mesure où je n'ai pas rencontré, dans le déroulement de ma carrière, de difficultés liées au fait que je suis une femme. Cela ne veut cependant pas dire pour autant que ces difficultés n'existent pas.
Évoquons pour commencer la direction des grands groupes d'édition : celle-ci est exercée par des hommes, comme si l'on partait du principe que les femmes sont certes capables de lire, mais pas forcément de compter. Je disais un jour, par boutade, au président-directeur général du groupe Editis que je m'étonnais un peu qu'il n'ait pas recruté davantage de femmes dans son équipe mais que j'étais consciente que, c'est bien connu, nous n'étions évidemment pas capables de lire un compte d'exploitation ! Il s'est étonné de ma remarque et m'a avoué qu'il n'y avait pas pensé. C'est une réponse intéressante !
Quand on regarde le panorama actuel du monde de l'édition, on constate que peu de femmes assurent à la fois la direction financière et la direction éditoriale des maisons d'éditions ; au sein du groupe Editis, on n'en dénombre qu'une qui est en charge du secteur scolaire et universitaire ; on confie plutôt aux femmes un poste de directrice éditoriale mais elles sont aussi beaucoup présentes dans les directions juridiques et les services de ressources humaines.
La situation n'est pas meilleure au sein du groupe Hachette : il y a Isabelle Laffont à la direction de la maison d'édition JC Lattès et Teresa Cremisi chez Flammarion.
De ce fait, Odile Jacob et Nicole Lattès ont dû créer leur propre maison d'édition faute de se voir proposer un poste à leur mesure dans une structure existante.
S'agissant en revanche des possibilités de se faire éditer, le sexe de l'auteur n'est absolument pas pris en considération : seul compte le talent, et c'est heureux ! Cela dit, c'est surtout vrai pour la littérature romanesque, car je reconnais que dans le secteur des publications de type universitaire, en sciences humaines, philosophie ou analyses sociologiques, nous avons beaucoup plus d'auteurs masculins que féminins, alors pourtant qu'il existe beaucoup de femmes universitaires dans ces disciplines. Je ne m'en explique pas les raisons. La semaine dernière, une de mes éditrices m'a dit « j'ai une jeune philosophe sur un sujet original et intéressant ; et en plus, c'est une femme ». C'est significatif. Il est vrai que dans ces domaines, ce sont actuellement surtout des hommes qui nous proposent des choses nouvelles et originales.
L'édition est, dans l'ensemble, un métier très féminin : les services de communication sont presque exclusivement constitués de femmes, l'édition proprement dite c'est moitié-moitié, et c'est au niveau des directions que l'on constate un déséquilibre en faveur des hommes.
M. Roland Courteau. - Vous dites qu'il y a un peu plus d'hommes que de femmes aux postes d'encadrement : y a-t-il si peu d'écart que cela ?
Mme Muriel Beyer. - Si, il y a des écarts, mais c'est en train de changer.
Dans le monde de l'édition, il faut distinguer : les groupes d'édition - Editis, Hachette, Gallimard, Flammarion, le Seuil - sont dirigés par des hommes ; mais au sein de ces groupes, vous avez des maisons d'édition qui peuvent être dirigées par des femmes, mais comme vous le voyez, on ne se situe pas au même niveau. C'est une forme de « plafond de verre ». Il faut dire aussi que la direction d'un groupe comporte une dimension essentiellement stratégique et financière : on y trouve essentiellement des hommes. En revanche, la direction d'une maison d'édition peut comporter à la fois la direction financière et la direction éditoriale : les femmes y accèdent davantage. D'ailleurs, dans une maison d'édition, c'est la direction éditoriale qui prime.
Mme Françoise Laborde. - Vous soulignez que, comme dans beaucoup d'entreprises d'autres secteurs, les femmes se retrouvent sur des postes juridiques et de ressources humaines, ce qui permet ensuite aux sociétés de se targuer, dans une approche globale, d'avoir une bonne proportion de femmes dans les postes d'encadrement.
Mais je trouve très intéressant ce que vous nous dites sur la place qu'ont prises les femmes dans le monde de l'édition même si elles n'accèdent pas aux postes supérieurs de la direction des groupes.
Mme Muriel Beyer. - Oui, d'autant plus qu'une évolution se dessine depuis quelques années : autrefois, la direction d'une maison d'édition était d'abord assurée par celui qui tenait les cordons de la bourse ; mais aujourd'hui on attache une importance croissante à la direction éditoriale, car c'est du choix des livres édités que dépend d'abord la vie d'une maison d'édition et ces deux fonctions se situent aujourd'hui sur un plan d'égalité.
Pour prendre l'exemple de Teresa Cremisi, les deux fonctions sont regroupées en un seul poste : c'est souvent le cas dans les maisons indépendantes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Quel est le profil ou la formation pour accéder au monde de l'édition ? Quelles sont les difficultés qu'on y rencontre ? Y rencontre-t-on des formes de discrimination ou de précarité ?
Mme Muriel Beyer. - Il y a d'abord une difficulté pour entrer dans l'édition, car il n'y a pas de formation particulière. Entre deux candidats qui auraient la même formation - une formation littéraire par exemple - l'un sera fait pour ce métier, l'autre pas. Cela tient à des choses impalpables. C'est une question d'intuition : il faut connaître le marché et sentir ce qui marche ou ne marche pas, se vend ou ne se vend pas. On ne peut plus, pour être éditeur se contenter de publier les livres que l'on aime, il faut avoir une vision marketing. C'est pourquoi on a aussi des candidats qui viennent des écoles de commerce.
C'est différent pour les postes de correcteurs, de fabrication et de dessin : là une formation technique spécifique est nécessaire.
Ensuite, un parcours dans l'édition dépend beaucoup de la chance, des rencontres et des opportunités.
Quant à l'existence de discriminations, il est vrai qu'un homme aura peut-être, pour les raisons que j'ai déjà développées, plus de chance pour être embauché sur un pose de direction financière ou administrative, mais sur une fonction éditoriale, non, c'est surtout le parcours et les réseaux relationnels qui comptent. Aucune de mes consoeurs ne m'a jamais dit avoir été écartée du fait qu'elle était une femme.
M. Roland Courteau. - Quelle est globalement la proportion de femmes dans le monde de l'édition ?
Mme Muriel Beyer. - Toutes maisons d'éditions et tous services confondus, on dénombre une proportion de l'ordre de 40 % de femmes et il y a plus de femmes que d'hommes dans le secteur éditorial.
Mme Françoise Laborde. - Combien compte-t-on de femmes à la tête d'une entreprise d'imprimerie : on m'a indiqué qu'il n'y en aurait qu'une seule à Paris ?
Mme Muriel Beyer. - Il n'y a en effet que des hommes à la tête d'imprimeries. En revanche, les services de fabrication des maisons d'éditions, qui travaillent en liaison avec les imprimeurs, sont fortement féminisés et ce sont surtout des femmes qui sont chef de fabrication.
Les services commerciaux, naguère très masculins, évoluent dans un sens très favorable aux femmes, même si elles y sont encore minoritaires. Le secteur de la correction est, en revanche, toujours exclusivement constitué de femmes. Il y a beaucoup de femmes aussi dans le secteur de la traduction pour des raisons qui tiennent au mode de vie, parce que c'est un métier que l'on peut exercer chez soi. Les services de presse sont composés de femmes, et la candidature d'un homme provoque toujours une surprise. Je me souviens avoir reçu, il y a quelques années, la candidature d'un homme pour un poste d'attaché de presse en province : celui-ci m'avait assurée, à l'appui de sa candidature, que « lui, au moins, n'aurait aucun problème d'enfant » ! C'est quand même extraordinaire, non ?
Le secteur économique de la librairie connaît une crise qui oblige les libraires indépendants à se regrouper pour survivre, notamment en raison de la concurrence de la vente en ligne effectuée par Amazon, par qui sont vendus aujourd'hui 20 % des livres.
Aux difficultés économiques s'ajoutent des problèmes de recrutement : le métier de libraire est un vrai métier et, aujourd'hui, on recrute souvent des étudiants, pas nécessairement très motivés, qui l'exercent « en attendant mieux ». La baisse des services rendus contribue à la dégradation des choses même si certaines librairies de quartier continuent d'apporter de précieux choix et conseils.
Il faut soutenir les librairies dans les petites villes et les villages car elles sont au coeur de l'animation culturelle.
M. Roland Courteau. - Pour pallier la disparition des librairies, des municipalités créent des bibliothèques municipales ; dans certains départements, comme le mien, des « bibliobus » permettent de rendre accessible la culture dans les villages les plus isolés.
Mme Muriel Beyer. - La disparition des petites librairies appauvrit le réseau de distribution et il est dommage que les sociétés de distribution, qui sont de grandes machines, n'y prêtent pas attention.
M. Roland Courteau. - Autrefois, les fonds des bibliothèques locales avaient tendance à ne proposer que des ouvrages anciens, mais dans mon département, nous avons fait un effort pour proposer aussi des publications récentes.
Mme Muriel Beyer. - Les éditeurs ont compris qu'ils avaient intérêt à jouer le jeu en proposant des ouvrages à des prix attractifs aux bibliothèques, ce qui permet de maintenir l'intérêt pour la lecture de futurs clients potentiels ; la lecture est en effet une habitude que je conseille de pratiquer tous les jours.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Qu'en est-il de la bande dessinée ?
Mme Muriel Beyer. - C'est un secteur que je connais peu, en forte croissance et dont les lecteurs sont des tous les âges.
On trouve curieusement peu de femmes parmi les dessinateurs de bandes dessinées alors qu'elles sont nombreuses dans le secteur des livres de développement personnel ou dans celui des ouvrages destinés aux enfants.
M. Roland Courteau. - A vous entendre, le monde de l'édition évolue donc positivement pour ce qui est de la place des femmes ?
Mme Muriel Beyer. - Je le crois en effet car je compte beaucoup de femmes parmi mes collaborateurs et j'ai pu constater le chemin parcouru par les femmes dans le monde de l'édition depuis que j'y suis entrée en 1982 : à cette époque Françoise Verny faisait figure de pionnière.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Y-a-t-il des regroupements dans l'édition ?
Mme Muriel Beyer. - Nous sommes tous concurrents mais il existe un syndicat de l'édition qui traite des sujets transverses qui intéressent toutes les maisons d'éditions, tels que le statut des libraires, les contrats d'auteur, le livre numérique.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Quels sont les utilisateurs des tablettes pour livres numériques ?
Mme Muriel Beyer. - Le livre numérique ne représente encore qu'une part négligeable du chiffre d'affaires de l'édition ; ce sont surtout des personnes amenées à se déplacer qui les utilisent pour des raisons de commodité.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - La composition des jurys des prix littéraires est-elle équilibrée ?
Mme Muriel Beyer. - Le prix Femina a été créé pour compléter les autres prix littéraires, notamment le Goncourt dont les membres du jury étaient tous des hommes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Madame, je vous remercie.
Femmes dans le secteur de la culture - Audition de Mme Muriel Couton, directrice du développement et de la coordination, directrice de la promotion et des actions culturelles de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Muriel Couton dans le cadre de nos travaux sur « Femmes et culture ».
Nous l'entendons bien sûr au titre des responsabilités importantes qu'elle exerce au sein de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques : elle y assure la promotion des oeuvres du Répertoire en France et à l'international, la gestion du Fonds de l'action culturelle, ainsi que celle de la Maison des auteurs et de la Bibliothèque de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).
Nous connaissons l'engagement de la SACD sur cette thématique de l'égalité hommes-femmes dans le secteur de la culture : c'est en effet l'audition de Sophie Deschamps, ancienne présidente de la SACD, conduite dans le cadre de notre précédente étude sur « femmes et travail », qui nous a donné l'envie d'approfondir cette année cette thématique « femmes et culture ».
Nous vous auditionnons également au titre de vos responsabilités militantes car nous connaissons votre engagement sur ce sujet que reflètent votre page « Facebook » et votre blog « Où sont les femmes ? »
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Notre délégation sera très attentive aux analyses que vous formulerez et aux recommandations que vous nous proposerez pour faire bouger les choses.
Mme Muriel Couton, directrice du développement et de la coordination, directrice de la promotion et des actions culturelles de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). - Je tiens à préciser que, si les missions que j'exerce à la SACD, sous la direction de son président Pascal Rogard et de son secrétaire général, Guillaume Prieur, m'amènent parfois à traiter des problématiques qui nous occupent aujourd'hui, c'est véritablement à titre personnel que je continue à développer mes activités militantes en faveur de la place des femmes, via notamment la page « Facebook » et le blog dont vous avez pu prendre connaissance. Cet engagement s'inscrit dans le fil conducteur de mon parcours.
Ayant commencé à travailler en Grande-Bretagne dans l'audiovisuel, je n'ai pas tout de suite rencontré la question du « plafond de verre », puisque la présidente-directrice générale et la directrice des ventes des programmes de la chaîne de télévision où je travaillais étaient des femmes.
Un voyage personnel au Proche-Orient ensuite, où je me suis rendue seule à travers la Jordanie, la Syrie, Israël et la Turquie, a véritablement constitué pour moi une prise de conscience.
De retour en France, j'ai travaillé dans deux organismes culturels publics, à l'Institut national de l'audiovisuel (INA), tout d'abord, puis à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Musique - Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs (SACEM-SDRM), dans lesquels les postes à responsabilité étaient occupés par des hommes - seuls 10 % des postes de cadre étaient occupés par des femmes, celles-ci étant reléguées à des tâches d'exécution.
A cet égard, je me souviens, même si c'est anecdotique, de n'avoir vu que des hommes au « restaurant des cadres », ce qui reflétait une certaine ambiance de travail.
Alors qu'il n'y avait qu'une seule femme cadre à la SACEM, au contraire la SACD est une structure très féminisée, à tous les niveaux, depuis les agents de maîtrise jusqu'au comité de direction.
Aujourd'hui, la SACD est présidée par un directeur général, Pascal Rogard, et une directrice générale adjointe, Janine Lorente, assistés d'un conseil d'administration dans lequel les femmes sont largement représentées.
Je vous rappelle que la SACD a été fondée en 1777. Il a fallu attendre 2003 pour qu'une femme accède à la direction : Christine Miller a assumé cette fonction, dont je vous rappelle qu'elle est un peu spécifique à la SACD, puisqu'elle est confiée à une artiste, puis Sophie Deschamps ensuite, à deux reprises, en 2006 et en 2011.
C'est en 2011, au début de son second mandat, que Sophie Deschamp m'a fait part de son souhait de travailler sur les représentations stéréotypées des femmes dans les fictions diffusées à la télévision. Ce sujet faisait partie intégrante des missions de la SACD, le conseil d'administration étant, notamment, composé de réalisateurs et de scénaristes de films de fiction.
De mon côté, ayant eu l'occasion de rencontrer Reine Prat lorsque je travaillais à l'INA dans le cadre d'un programme dénommé « Art canal », et ayant suivi les conclusions de ses rapports remis en 2006 et 2009, qui dénonçaient notamment les stéréotypes de genre véhiculés dans les créations de spectacle vivant, j'ai mis en relation Sophie Deschamps avec les responsables du Mouvement H/F, mouvement créé dans la lignée des travaux de Reine Prat. C'est donc bien Sophie Deschamps qui a été l'instigatrice des travaux de la SACD à ce sujet.
En 2011, Laurence Equilbey a commandé à deux étudiants en Master 2 d'administration de la musique et du spectacle vivant à l'université d'Evry-Val d'Essonne, Mikaël Loup et Anne-Sophie Bach-Toussaint, un rapport sur « La place des femmes dans les institutions publiques du spectacle vivant dans les postes à responsabilité ». Toutes les disciplines, hors le cirque, ont été examinées.
Sous l'égide de la présidente de la commission des Affaires culturelles du Sénat, Marie-Christine Blandin, la SACD a alors décidé de réunir au Sénat, le 6 mai 2013, des artistes du spectacle vivant pour réfléchir à la question « culture et parité : le changement c'est maintenant ? ». Cette conférence a permis à Sophie Deschamps, scénariste et présidente de la SACD, de réunir Muriel Mayette, comédienne et administratrice de la Comédie Française, Laurence Equilbey, mais aussi Anne-Laure Liégeois, metteuse en scène, et des représentants du Mouvement H/F et du Laboratoire de l'égalité pour échanger sur le sujet.
C'est à cette occasion que nous avons décidé de produire un document, notamment à partir des chiffres présentés lors de la conférence, et qui est devenu la brochure que vous connaissez et qui a largement été diffusée sous le titre « Théâtre, musique, danse : où sont les femmes ? ».
La partie de la brochure consacrée à la musique, qui a été rédigée par Laurence Equilbey, est la plus éloquente : une seule femme directrice de maison d'opéra (Caroline Sonrier à Lille), des chefs d'orchestre majoritairement masculins... et cela concerne tant la musique classique que contemporaine !
Nous voulions que cette brochure, qui a été éditée à 20 000 exemplaires, soit prête pour le Festival d'Avignon, puisque nous souhaitions la remettre en mains propres à tous les directeurs de structures [centres chorégraphiques nationaux (CCN), centres dramatiques nationaux (CDN) et scènes nationales], ce qui explique que nous l'avons réalisée en un délai très court - quasiment un mois - à partir des chiffres et des informations dont nous disposions, souvent ceux des plus grosses structures, les plus subventionnées, dans trois disciplines, le théâtre, la musique, la danse. Cette méthode empirique explique que tous les lieux ne soient pas mentionnés, en particulier ceux dont les « saisons » 2013 n'étaient pas disponibles.
La réaction des directeurs d'établissements et des structures a été intéressante, chacun s'inquiétant de la place des femmes dans sa propre structure.
A cet égard, je pense que cette brochure a permis une prise de conscience sur la faible représentation des femmes dans ce secteur, alors que chacun est persuadé qu'« il y a beaucoup de femmes dans la culture ».
Je suis frappée par l'immobilisme sur ce sujet, alors que les rapports de Reine Prat, en 2006 et 2010, et de Laurence Equilbey, en 2011, auraient dû servir de détonateurs.
A ce jour, les avancées ont été faibles. On peut se féliciter que le ministère de la culture et de la communication ait publié le 1er mars 2013 un premier état des lieux, sous le titre « Observatoire de l'égalité hommes-femmes dans la culture et la communication », que nous estimons pouvoir être détaillé et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé à la Direction générale de la création artistique (DGCA) notre collaboration pour fournir des données chiffrées en la matière.
A cet égard, nous pensons que les sources d'information sur le sujet doivent être démultipliées : les collectivités territoriales, mais aussi des structures privées, comme la nôtre, doivent collaborer avec le ministère de la Culture et de la Communication et, en particulier, avec la personne chargée au ministère de l'observation, en l'occurrence Catherine Lephay-Merlin.
A titre d'exemple, la SACD est amenée à travailler avec toutes les entités de création et de diffusion lyrique, notamment au travers du Fonds de création lyrique, ainsi qu'avec les structures qui s'occupent des arts du cirque et des arts de la rue et, plus largement, du théâtre.
Aujourd'hui, il me semble essentiel de pérenniser l'Observatoire et de le rendre plus collaboratif, à l'heure où la part des collectivités territoriales dans le financement des activités culturelles grandit. Cela permettrait d'inverser une tendance à un certain désintérêt de l'administration centrale pour les problématiques du genre, comme le non-renouvellement du poste de Reine Prat pouvait le laisser supposer.
A l'heure actuelle, tout se passe comme si chacun, le ministère d'un côté, les collectivités territoriales de l'autre, tentaient de faire avancer les choses. Mais sans concertation, le résultat est parfois étonnant. Prenons l'exemple du renouvellement de la direction de la scène nationale de Martigues, actuellement exercée par une femme. Le ministère a imposé une « short-list » entièrement féminine, ce qui part d'une intention louable, mais sans en discuter au préalable avec les collectivités concernées, ce qui a suscité inévitablement des réactions.
Inversement, la « short-list » établie pour la succession de Caroline Carlson au centre chorégraphique national de Roubaix ne présente que trois noms masculins...
Alors que les modalités de nomination des directeurs de structures culturelles vont être modifiées et, en particulier, vont être différentes selon les structures (scènes nationales, CDN et CCN), la collaboration de l'ensemble des acteurs est essentielle.
Pour rattraper le retard dans l'accès des femmes à ces postes, la transparence de l'information est essentielle. Quelles directions vont être renouvelées ? Dans quelles structures ? Quels sont les délais ? Aujourd'hui, l'opacité des procédures et notamment certaines pratiques qui consistent à « inciter » certaines personnes à présenter leurs candidatures jouent en faveur des hommes.
Alors que les années à venir vont voir de nombreux postes de direction renouvelés, la transparence et la circulation des informations sont plus que jamais essentielles.
J'en viens maintenant aux dispositifs de formation.
Reine Prat vous a déjà parlé des pratiques existantes dans les conservatoires.
Sans revenir sur ces propos, j'estime qu'il faudrait aujourd'hui généraliser dans tous les conservatoires les modules dédiés à la question du genre. Ces programmes devraient aborder la question du contenu des créations. Quelles pièces sont aujourd'hui « montées » par les metteurs en scène de théâtre, d'opéras ou d'oeuvres musicales, mais aussi dans les arts du cirque et de la rue ?
Ils doivent aussi s'intéresser à la question de la présence des femmes parmi les créateurs. A cet égard, on observe, aujourd'hui, un recul du nombre de femmes chorégraphes à la tête des centres chorégraphiques nationaux. Le remplacement d'Emmanuelle Huynh par un homme au centre chorégraphique d'Angers et de Caroline Carlson à Roubaix traduit cette tendance à la baisse, les femmes ne représentant plus aujourd'hui que 27 % des directeurs de centres chorégraphiques nationaux.
Sous l'influence d'une évolution du « genre » chorégraphique, et en particulier de la non-danse, les hommes investissent de plus en plus cette discipline. Je vous invite à suivre les travaux de Caroline Saporta sur ce sujet.
La formation concerne aussi les futurs managers des établissements culturels. On pointe souvent du doigt le risque de « fonctionnarisation » de la culture. Et à ce titre, on tend à accorder peu d'attention à la dimension « managériale » des établissements culturels.
Ce prétexte sert souvent d'alibi aux hommes aux postes de direction, dont on évalue rarement les compétences qui leur permettent de prétendre à ces postes.
Une telle évaluation permettrait aux femmes d'être mises dans une situation d'égalité avec les hommes. Et je pense que les hommes y auraient tout intérêt. On ne fera avancer les choses que si les hommes collaborent.
Sur la « féminisation » des fonctions de « metteuse en scène », « auteure », je pense que les difficultés que nous rencontrons nous-mêmes, parfois, viennent du fait que nous n'y avons pas été habituées dès l'enfance. Il est temps de faire rentrer ces mots dans les programmes dès le plus jeune âge, dès l'école !
Car, vous le savez, les mots ont leur importance. Trouvez-vous normal que Jean-Claude Casadesus, fondateur et directeur de l'orchestre national de Lille, annonce la recherche d'un « successeur », terme qui a été repris dans un communiqué de presse du président de l'orchestre ? Je l'ai dénoncé sur mon blog, mais c'est important que nous soyons tous vigilants.
Mme Françoise Laborde. - L'appel d'offre pour le renouvellement du poste de la directrice générale adjointe du Festival « Pro-nomade » en Haute-Garonne indique bien qu'on recherche un(e) directeur ou directrice adjoint(e). Mais si l'on n'y prend garde, ce genre de « simplification » est une conséquence de la règle qui veut qu'en français, le masculin l'emporte toujours sur le féminin...
Mme Muriel Couton. - Oui, la mention du féminin est obligatoire aujourd'hui dans les appels d'offre. Mais il faut également rester vigilant dans tous les documents de communication.
Je voudrais vous dire un mot de la nécessité du « repérage » des hauts potentiels féminins dans le secteur culturel, que ce soit pour les emplois artistiques ou administratifs. Cette pratique est courante et généralisée dans le secteur privé, mais ignorée dans le secteur public, culturel en particulier. Cette mission ne doit pas être entièrement laissée à l'initiative des inspecteurs du ministère de la culture et de la communication...
Mme Françoise Laborde. - ... dont certains sont très éloignés de ces préoccupations.
Mme Muriel Couton. - ... mais prise en compte dès la sortie des établissements de formation, des conservatoires en particulier.
Dans le secteur privé, certaines entreprises investissent pour former des « potentiels » qu'ils estiment prometteurs. Il faut mener une véritable réflexion en ce sens dans notre secteur.
Concernant l'accès aux responsabilités et aux postes de direction, nous sommes face à un paradoxe. De plus en plus de femmes diplômées ont de hauts niveaux de qualification. Pourtant, elles sont toujours aussi peu nombreuses aux postes de direction : beaucoup plafonnent aux postes d'adjointes.
Selon nous, cela s'explique en partie par leurs difficultés à se constituer en réseaux, comme on en trouve par exemple dans la finance et, en particulier, dans les activités de consulting. Aujourd'hui, toutes les dirigeantes font circuler l'information dans les réseaux des Grandes Écoles dont elles sont issues.
Les femmes dans la culture sont confrontées à ce double handicap, d'une part d'être peu nombreuses aux postes de direction, d'autre part d'être peu solidaires entre elles.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - C'est l'avantage d'un statut que de permettre l'organisation des mouvements du personnel. Ainsi, dans les grandes entreprises publiques, les futures vacances de postes font l'objet d'une publication dans un bulletin pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent de présenter leur candidature.
Mme Muriel Couton. - En ce qui concerne les postes de direction (d'un centre chorégraphique national, d'un centre dramatique national ou d'une scène nationale), il faudrait, pour que les femmes soient à égalité avec les hommes, que les informations soient diffusées bien en amont car on sait que tout se joue bien avant que celles-ci ne circulent dans la presse !
Prenez la désignation de Stéphane Lisner à la direction de l'Opéra de Paris : cette nomination est intervenue deux ans avant sa prise de fonctions effective et s'est jouée hors de toute publicité. Il est vrai qu'en matière d'appel à candidatures les règles sont un peu dérogatoires pour les théâtres nationaux -.
Je pense qu'il faudrait que les femmes se prennent en main. Dans le cinéma, par exemple, une association vient de se créer, « Deuxième Regard », pour accompagner les jeunes réalisatrices. Dans le spectacle vivant, le mouvement « H/F » est également très mobilisé.
Au niveau européen, un rapport a récemment fait part d'initiatives européennes de création de réseaux. La mobilisation doit avoir un effet d'entraînement, mais aussi une fonction de « coaching ». Les femmes qui ont échoué dans une candidature se découragent parfois plus vite que les hommes... Le réseau doit aussi servir à redonner confiance aux candidates.
Dans le domaine du spectacle vivant, il faut aborder la question des auteures et de leur sous-représentation. A cet égard, une chercheuse, Aurore Evain, a consacré une étude aux femmes auteures sous l'Ancien Régime. Elle a ainsi retrouvé dans un journal des années 1920, « Le Cri de Paris », un article sur la sous-représentation des femmes parmi les auteurs dramatiques. La situation est aujourd'hui toujours la même...
Comme Reine Prat, je pense qu'en ce domaine, il faut opter pour des solutions radicales. Je travaille, à l'heure actuelle, sur un projet de création d'un lieu de référence - qui n'existe pas à l'heure actuelle - qui pourrait accueillir uniquement des femmes - auteures, metteuses en scène, scénographes, chorégraphes - pour présenter des projets de création.
Ce lieu de référence - qui pourrait être implanté à Paris - serait un « incubateur » non permanent - sa durée de vie serait limitée -, proposerait une programmation faite de créations et de projets accueillis et serait en partie financé par des subventions.
Idéalement, il deviendrait un « lieu ressource » pour les programmateurs, dans toutes les disciplines. Sachant son existence limitée dans le temps, il serait une sorte de « tremplin » pour les femmes qui peinent encore à trouver une réelle visibilité.
Bien sûr, ce projet est très ambitieux et repose sur un certain volontarisme, en particulier de la part des femmes qui y participent.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - En ce qui me concerne, je suis assez séduite par une telle proposition, même si je ne sous-estime pas les réticences que peut susciter un tel projet, ni les difficultés à le réaliser dans la période de restrictions budgétaires actuelle.
Je suis très sensible à votre préoccupation de rendre permanent un Observatoire, à un moment où une nouvelle organisation territoriale va nous obliger à repenser l'articulation entre l'action publique nationale et l'implication publique dans la culture des collectivités territoriales, avec le souci d'éviter le risque des inégalités de traitement entre les différentes collectivités, dont on sait qu'elles ne sont pas toutes à égalité en ce domaine.
L'Observatoire doit aussi servir d'outil de pilotage aux politiques culturelles locales, en particulier en ce qui concerne l'accès de tous à l'offre culturelle, dont on sait qu'elle est encore problématique.
Enfin, comme vous, j'estime que les mots ont leur importance et que la féminisation doit être inculquée dès l'école.
Mme Françoise Laborde. - L'idée d'un lieu dédié aux créatrices femmes est séduisante, notamment parce qu'elle repose sur une autre logique que celles des quotas : certes ceux-ci nous ont permis de bien progresser, en particulier en politique, mais on voit aussi où peut nous conduire un dispositif comme le binôme paritaire pour l'élection des conseillers départementaux. Je crois donc que, en ce domaine, il faut faire très attention à ce que l'on propose, car il faut aussi que les femmes se prennent en charge, se mobilisent et ne se laissent pas décourager par des échecs.
Certes, nous insistons beaucoup, ici à la délégation, sur la défense de l'égalité salariale et de l'égalité entre les femmes et les hommes en général, et c'est légitime, mais nous devons être conscients de la lassitude, voire de l'agacement, que ces revendications peuvent, à la longue, susciter chez certains. Aussi cette proposition d'incubateur, parce qu'elle repose sur une autre logique pour aider les femmes à prendre confiance en elles-mêmes pour accéder à des responsabilités, me paraît-elle intéressante.
Mme Muriel Couton. - D'autant plus que ce projet serait limité dans le temps. Vous savez sûrement que si les mandats des directeurs de centres dramatiques nationaux et de centres chorégraphiques nationaux sont limités à dix ans depuis 2010, on peut aujourd'hui rester trente ans à la tête d'une scène nationale. Cette longévité des mandats constitue un véritable frein aux nouvelles entrantes. C'est la raison pour laquelle j'envisage ce lieu comme un lieu provisoire, non permanent.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Avez-vous testé cette idée auprès de vos collègues ?
Mme Muriel Couton. - Non, pour l'instant le projet est en cours d'écriture. Mais je sais déjà qu'il ne fera pas l'unanimité, voire qu'il pourra être considéré comme une provocation.
Sécurisation de l'emploi - Nomination d'un rapporteur
La délégation procède à la nomination d'un rapporteur sur les dispositions du projet de loi n° 774 (AN, XIVème législature) relatif à la sécurisation de l'emploi (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission au Sénat).
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Par courrier du 19 mars 2013, Mme Annie David, présidente de la commission des Affaires sociales, m'indique que celle-ci a décidé de saisir notre délégation sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale, qui pourrait venir en discussion devant le Sénat dans la seconde quinzaine d'avril.
Il s'agit d'un texte important, dont certaines dispositions - je pense en particulier à l'article 8 relatif à l'encadrement du temps partiel - auront un impact sur l'emploi féminin. C'est d'ailleurs un des sujets que nous avions évoqué dans le cadre de notre rapport annuel sur « Femmes et travail » et sur lequel nous avions formulé des recommandations pour améliorer la situation des femmes travaillant à temps partiel qui sont, vous le savez, particulièrement touchées par la pauvreté et la précarité.
J'ai reçu la candidature de notre collègue Catherine Génisson.
Y a-t-il d'autres candidatures ?
Je vous propose donc de confier à Catherine Génisson la responsabilité d'être notre rapporteure.
Mme Catherine Génisson est désignée à l'unanimité rapporteure sur les dispositions du projet de loi n° 774 (AN, XIVème législature) relatif à la sécurisation de l'emploi (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission au Sénat).