Mardi 5 février 2013
. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Je remercie Madame la Ministre Geneviève Fioraso, que l'on connaît bien ici, d'être venue devant l'OPECST pour nous informer sur la loi en préparation sur l'enseignement supérieur et la recherche. Je pense qu'au-delà des prises de position de nature politique, la loi de 2006 a été une avancée salutaire. J'espère donc que nous ne jetterons pas le bébé avec l'eau du bain.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Je remercie aussi Madame la Ministre non seulement pour sa venue à l'OPECST mais aussi pour tout le support qu'elle m'a apporté dans ma récente mission [Rédaction du rapport intitulé « Refonder l'Université, Dynamiser la recherche : mieux coopérer pour réussir »].
Je dois tout d'abord souligner que vous avez mis en place une très bonne méthode. Les Assises nationales ont permis de consulter très largement le monde scientifique et d'associer le Parlement très en amont de la loi.
Notre travail est de compléter les lois sur l'enseignement supérieur et la recherche. Il faut simplifier, mieux organiser le système, revoir la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) mais sans remettre en cause l'autonomie. La réussite des étudiants est aussi un de nos objectifs principaux.
Le travail engagé me semble aller dans le bon sens, néanmoins un point m'inquiète : on a dit qu'il fallait une cohérence pour l'ensemble de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais dans les versions du projet de loi que j'ai vues, la notion de co-tutelle a disparu. J'imagine que dans les réunions interministérielles, il y a eu quelques réactions, des freinages mais il me semble qu'il s'agit là d'une notion fondamentale.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. - Merci Monsieur le Président et Monsieur le Premier vice-président. Comme Bruno Sido l'a dit, je connais en effet assez bien l'OPECST pour en avoir été membre durant cinq années. Au cours de cette période, j'ai notamment fait un rapport sur la biologie de synthèse qui a été une expérience particulièrement enrichissante.
Dans ce projet de loi, ma volonté est d'aller vers un large consensus. La méthode que nous avons adoptée est celle du dialogue. Le ministère que je dirige a la particularité de voir son budget être exécuté à environ 90 % par des opérateurs extérieurs.
Le second ministère en ce qui concerne la délégation de son budget à des opérateurs extérieurs est la culture, mais il ne délègue que 50 % de son budget.
La loi LRU a marqué la communauté académique ; il faut la réformer. Pourtant, il ne faut pas revenir sur la notion d'autonomie. Cette notion remonte à loin. Depuis la loi Faure de 1968, en passant par la loi Savary de 1984, les différentes lois sur l'enseignement supérieur et la recherche ont renforcé cette belle notion qu'est l'autonomie, il faut qu'elle soit totalement appropriée. Néanmoins, sa mise en oeuvre devait être revue car le dialogue et la confiance devait être rétablis.
Sans vouloir faire de polémique, je pense que le discours du Président Sarkozy de janvier 2008 a laissé chez les chercheurs un goût amer qui s'est traduit par des mouvements importants dans les universités.
Par le biais des Assises, nous avons voulu réengager le dialogue. Certains étaient sceptiques sur la méthode. Néanmoins, plusieurs dizaines de séminaires dans les territoires, l'implication des recteurs, des préfets, des équipes de recherches et de la communauté académique dans son ensemble ont fait la réussite de ces Assises. Elles ont été encadrées au niveau national par un Comité de pilotage indépendant qui a procédé à plus de 110 auditions.
Le Premier ministre a voulu accompagner tout cela d'un regard transverse. Ce fût, également, la mission de Jean-Yves Le Déaut, au titre de l'OPECST et du Parlement.
Il a donc reçu cette mission d'établir les bases du projet de loi ; il a finalement presque réalisé un livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche. Son rapport est la source d'une très grande richesse d'informations et d'analyses.
Le rapporteur national des Assises, Vincent Berger, a su faire une synthèse des 1 300 contributions que le comité de pilotage a reçues et de tout ce qui s'est dit sur le territoire.
De tout cela, je dois faire un projet de loi. La loi ne traitera pas tous les sujets abordés par les Assises et le rapport Le Déaut car la loi ne constitue pas toute la politique de l'enseignement supérieur et de la recherche. En effet, tout ne relève pas de la loi et, par ailleurs, le Président de la République a voulu un projet de loi sobre qui ne puisse pas être retoqué.
Pour la première fois, nous proposons un projet qui regroupe l'enseignement supérieur et la recherche.
Dans un monde en mutation, nous devons nous adapter. Il faut repenser l'économie de la connaissance qui est devenue extrêmement compétitive. Les pays émergents l'ont compris et se lancent massivement dans la compétition. Nous les avons rencontrés et ils veulent massivement investir. Pour eux, c'est un moyen de développement ; pour nous, c'est le levier du redressement de notre pays.
Nous ne sommes pas en avance. Ainsi, moins de 30 % d'une tranche d'âge atteint le niveau bac +3. Le Danemark est à 44 % et nos voisins proches autour de 40 %.
Nous avons une recherche de qualité qui reçoit de nombreuses récompenses et jouit d'une grande reconnaissance internationale. Cependant, deux points faibles ressortent, mis en avant notamment par le rapport de Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut intitulé « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques » : la recherche technologique et le transfert de technologie.
Notre projet de loi veut remédier aux dysfonctionnements identifiés lors des Assises ; notamment améliorer la réussite des étudiants, sanctuariser la recherche fondamentale en revoyant les obligations de comptes rendus intermédiaires, qui sont une vraie perte de temps, et qui ne sont pas vraiment adaptés à la notion même de recherche fondamentale.
Nous allons par ailleurs demander à l'ANR de laisser des temps de recherche plus longs qui s'inscrivent dans de grands projets européens à horizon 2020.
La réussite des étudiants sera au centre du projet, notamment en direction de ceux qui échouent le plus en premier cycle : les lauréats d'un baccalauréat professionnel ou technologique (ils représentent désormais la majorité des bacheliers). Naturellement, ces bacheliers devraient se diriger vers les BTS et IUT. En conséquence d'une évolution malheureuse, ils se dirigent par défaut vers l'université alors qu'ils ont sept fois plus de « chances » d'y échouer.
C'est la traduction d'un problème d'orientation qu'on n'a pas voulu ou pu affronter. Les IUT sont devenus des filières très sélectives vues par les étudiants comme une voie d'accès à des études plus longues, et non plus comme des filières courtes à vocation professionnelle.
Les étudiants que j'ai pu rencontrer m'ont notamment dit qu'ils vont dans ces filières car ils sont plus encadrés - c'est plus rassurant à la fois pour eux et leurs parents - mais aussi car les formations et leurs intitulés y sont plus lisibles.
Je souhaite engager une réforme forte pour les bacheliers technologiques et professionnels. Nous devons faire évoluer les filières d'origine des étudiants en IUT et BTS. 10 à 15 % devront être titulaires d'un baccalauréat professionnel ou technologique. Il s'agit là d'une évolution forte mais qui n'est pas à même de dénaturer ou « casser » la qualité de ces formations.
Le premier cycle universitaire est devenu un parcours assez erratique pour une importante part des étudiants. Il dure souvent quatre ou cinq ans. Or, ceci pénalise essentiellement les plus modestes. La réouverture des possibilités au profit des bacheliers professionnels et technologiques vise à répondre à ce problème. Mais nous avons aussi engagé un travail plus large avec Vincent Peillon sur ce que nous appelons le Bac-3 - Bac+3. Ce que nous visons, c'est que les élèves de lycée bénéficient tous d'une présentation de l'université et de ses méthodes pédagogiques par des maîtres de conférences et des professeurs d'université. Cette nouvelle pratique doit aussi permettre de faire intervenir des professionnels non académiques pour mieux présenter le monde professionnel.
Pour le premier cycle universitaire, nous souhaitons mettre en place une spécialisation plus progressive, non pas pour casser les disciplines mais pour favoriser les passerelles et ainsi améliorer la réussite des étudiants.
L'intégration des ESPE (Écoles Supérieures du Professorat et de l'Enseignement) doit aussi être l'occasion d'introduire des innovations pédagogiques, notamment en ce qui concerne le numérique. Mais je tiens à souligner que ce dernier ne devra pas être intégré comme un simple gadget. Les étudiants sont désormais ce que l'on appelle des « digital natives ». En cours, ils vérifient directement en ligne, en temps réel, si ce qui est dit par le professeur est juste. Quand, dans leur rapport, MM. Le Déaut et Birraux ont évalué la perception du risque suivant l'âge, ils ont constaté que les jeunes considèrent comme le risque le plus important celui de voir leur ordinateur piraté. Dans le dialogue que l'on a avec eux, en cours, leur relation au numérique change profondément le lien entre enseignants et étudiants ; cela écrase la hiérarchie. On ne peut plus enseigner de la même façon, il y a des choses à apprendre de ce côté. Il faut revoir notre façon d'apprendre et de dialoguer.
De la même façon, je veux multiplier l'alternance par deux. En Allemagne, plus de 40 % des jeunes sont formés ainsi. En France, ils sont 8 % et seulement 4 % dans les universités. Quand on observe cela de plus près, ce sont surtout les universités des villes nouvelles (Marne-la-vallée...) qui portent l'alternance dans le supérieur ; le poids académique y est sûrement moins fort car elles doivent se tourner vers leur environnement immédiat.
Il nous faut aussi améliorer la visibilité de notre offre de formation. Si on compte uniquement les spécialités de masters, sans compter les masters des écoles, elles sont plus de 7 800 aujourd'hui : est-ce bien sérieux ? Qui peut s'y retrouver ? Personne, ni les étudiants, ni leurs familles, et surtout pas, encore une fois, les plus modestes. Les employeurs n'arrivent plus à identifier les formations et les compétences acquises : comment voulez-vous qu'ils recrutent des jeunes diplômés de l'université ? Ces spécialités, 5 800 pour les masters, seront supprimées. Ça ne veut pas dire que l'on va appauvrir l'offre, car les masters pourront toujours se différencier les uns des autres, mais on rendra ainsi cette formation lisible par tous. Il en est de même pour les licences où l'on dénombre environ 3 300 intitulés. On va diviser ce chiffre par dix. Un certain nombre de ces formations sont le fruit de négociations avec les acteurs économiques locaux qui, par conséquent, les connaissent, notamment parmi les filières dites professionnelles. Nous n'y toucherons pas, car ce travail de simplification se fera toujours en dialogue, jamais de façon péremptoire. Ce sera fait en un an ou deux en appréciant l'offre à la hauteur de la qualité des enseignements dispensés.
Nous voulons avancer sur la reconnaissance des doctorats. Le constat est simple, les entreprises et l'administration ne reconnaissent pas assez les doctorats. Il s'agit d'un combat de longue haleine pour que la haute administration publique reconnaisse cette formation. Les qualités acquises par les doctorants sont pourtant des qualités dont on a besoin, surtout dans des domaines monopolisés par certaines formations, les doctorants se caractérisant souvent par beaucoup de créativité et de transversalité.
Le deuxième grand point de ce projet sera le décloisonnement du paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Si nous voulons assumer la vocation à l'universalité de notre enseignement supérieur et de notre recherche, il faut être plus clair et plus visible à l'international. Cependant, nous sommes face à une accumulation de strates dans lesquelles il est difficile de se retrouver.
Nous voulons donc abattre les barrières entre ces strates mais également entre entreprises et recherche, entre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et université. L'inscription à l'université sera donc obligatoire en CPGE. Les accusations du risque de destruction du système sont infondées. Nous voulons rapprocher sans uniformiser, nous voulons aussi protéger ceux qui réussissent le moins. Les frais ne seront que de 180 euros pour les non-boursiers, et nuls pour les boursiers.
Nous voulons également décloisonner à l'intérieur même des universités. Il faut les ouvrir aux personnalités extérieures et instaurer la parité. Seulement 8 % des présidents d'université sont des femmes, alors que l'université est la structure qui produit le plus d'études sur la parité. Les personnalités extérieures doivent être des administrateurs à part entière, et devront ainsi participer à l'élection du président. Ils viendront d'organismes de recherche associés, des collectivités locales et du milieu socio-économique, et leurs nominations devront donc être incontestables.
Nous voulons également regrouper, sur la base du volontariat, la multitude des acteurs de l'enseignement supérieur sur un même site sans remettre en cause les statuts particuliers des uns et des autres. Nous voulons laisser de l'autonomie sur ces sujets. Peu importe le moyen : regroupement, fédération, confédération, rattachement... du moment que la structure globale devienne claire et visible.
Le dernier grand point sera la recherche. Elle souffre aussi de la complexité des structures. Elle souffre également d'un manque de lisibilité. Par exemple, le Grenelle de l'environnement a fait émerger 19 pistes de recherche ! Ce n'est pas réaliste pour un pays de la taille de la France.
La recherche française doit devenir plus européenne. Au cours des dernières années, on a vu une baisse de 5 % des lauréats européens ; elle est certainement imputable à la concurrence des appels à projets nationaux.
Nous allons introduire un agenda stratégique de la recherche qui associera l'OPECST très en amont. Cet agenda permettra à la recherche française d'être plus lisible par le grand public. Cet agenda s'appuiera sur les alliances et un conseil stratégique associé au Premier ministre. Ce conseil viendra en remplacement d'au moins deux conseils. L'OPECST viendra, comme je l'ai dit, en amont mais aussi en aval ; il permettra ainsi au Parlement d'assurer sa mission de contrôle.
Nous allons pousser la recherche stratégique avec les instituts Carnot et les CEA tech.
La résorption de la précarité est aussi un point important pour l'avenir de la recherche publique française. Cela ne se fera pas par la loi, car ce problème ne relève pas de son domaine. Néanmoins, le travail est déjà engagé avec 8 000 titularisations programmées pour les années à venir. Nous devons aussi mener une action de fond pour éviter de renouveler cette situation. On doit ainsi limiter à 30 % la quantité de CDD dans les appels d'offre de l'ANR.
Enfin, j'ai été heureuse de lire dans le rapport Gallois qu'il faut sanctuariser l'enseignement supérieur et la recherche et d'entendre le Président de la République, hier, dire qu'il s'engage à sanctuariser le budget durant le quinquennat sur une base sincère et lisible.
M. Bruno Sido. - Merci, Madame la Ministre, pour cet exposé. Je souhaite vous poser plusieurs questions.
Premièrement, il y a une inquiétude qui monte du côté des grandes écoles et des classes préparatoires, notamment en raison des spécificités des enseignements qu'elles dispensent. Elles souhaitent être assurées de garder pleinement leur indépendance, qu'en dites-vous ?
Concernant la stimulation de la recherche fondamentale, il faudra prendre garde à ne pas complètement abandonner la culture de projet, qui permet entre autres le regroupement pluridisciplinaire et la logique partenariale.
Nos chercheurs, que nous rencontrons dans le cadre des travaux de l'Office, se plaignent de la croissance de leurs charges de gestion. Qu'en pensez-vous et que proposez-vous ? Où en êtes-vous de votre projet d'harmonisation des dossiers d'appel d'offre ?
Aujourd'hui, dans la recherche publique, la part de la masse salariale dans le budget est de 80 % et pèse donc sur les marges de manoeuvre des organismes publics de recherche. Comment y remédier ? Envisagez-vous un second grand emprunt ?
Mme Geneviève Fioraso. - Toutes les inquiétudes s'expriment. C'est normal dans un contexte de présentation d'un avant-projet de loi. Dans la presse, on dit que le ministère recule et ce n'est pas vrai. Il y a débat et nous sommes dans une démarche de dialogue et de consultation. La controverse est donc nécessaire.
Les classes préparatoires ont depuis longtemps des conventions avec les universités au bénéfice de tous les acteurs. Il faut mettre encore plus de fluidité. C'est bien d'avoir des éclairages sur les métiers de la recherche aussi quand on est en classe préparatoire. Trop peu d'étudiants des grandes écoles, d'ailleurs, font des thèses. Les passerelles jouent un rôle important pour ainsi diversifier la culture et en finir avec ce système trop dual. C'est exactement ce que dit le Président François Hollande : « Rapprocher sans confondre ». Pas de crainte à avoir, donc, d'être confondu, ni d'être fondu.
Concernant le rééquilibrage des crédits, nous sommes confrontés, comme vous le dites très justement, à une course permanente aux crédits. Il devient nécessaire de revenir à un équilibre en donnant une vision à moyen terme à la recherche. Probablement que l'ANR devra aligner ses appels à projet sur ceux de l'Union européenne, pour que les chercheurs s'occupent plus de ce qu'ils sont habilités à faire. Il faut aussi équiper les petits laboratoires.
L'interdisciplinarité, c'est justement ce qu'on cherche lorsqu'on préconise de se spécialiser moins rapidement. Aussi favorisons-nous le dialogue entre les disciplines ainsi que la création de nombreuses passerelles. Les temps s'accélèrent, l'accès à la connaissance a changé et il existe de moins en moins de disciplines monolithiques. Nous encourageons par ailleurs les grands projets structurants de recherche à s'accrocher au niveau européen pour ainsi avoir plus de visibilité.
Pour ce qui est de la part des dépenses salariales, vous le savez, la recherche, c'est avant tout de la matière grise. Et la matière grise s'incarne dans des personnes. Il faut organiser la résorption de la précarité, il faut mettre fin à la précarisation présente, mais il faut aussi maintenir, par ailleurs, un flux d'entrants. On doit pouvoir aussi compter sur la recherche privée et la haute administration. Il faut pour cela diversifier les débouchés et assurer l'accompagnement de la mobilité des chercheurs.
On arrive au bout du Grand Emprunt, mais tout n'est pas encore dépensé. Deux tiers des sommes ont été affectés à l'enseignement supérieur et à la recherche. Ils ont été, par exemple, affectés au renforcement des instituts Carnot et des IED. Néanmoins, les premiers IED ne démarrent pas, et ce, depuis quatre ans ! Alors, est-il pertinent de maintenir ces projets ? Avant de lancer un nouvel emprunt, on peut peut-être penser à reconvertir les montants non encore utilisés du premier Grand Emprunt.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Madame la Ministre, je vais vous demander de préciser plusieurs points, mais je voulais tout d'abord vous remercier pour votre présentation. Je suis très heureux que le rôle stratégique de la recherche ait été souligné et que l'OPECST puisse participer à la définition de cette stratégie. Je voudrais que vous précisiez les conditions de l'orientation en première et deuxième années de santé, et les modalités d'organisation des études médicales. Deuxièmement, la question de la co-tutelle a disparu des derniers projets que j'ai vus. Pour moi, comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un point important de la loi à venir. La question de la reconnaissance des doctorats, notamment dans la haute administration, est aussi un enjeu important ; le Parlement, via l'OPECST mais aussi les commissions, a par le passé pris position en faveur de mesures plus volontaires que les premières rédactions du projet de loi. Y aura-t-il plus de volontarisme ? En tous cas, le Parlement y veillera, notamment par voie d'amendements. Sur le Grand Emprunt, en effet, tout n'a pas été distribué ; certaines villes y sont restées en marge. Comment va-t-on les aider ?
Mme Geneviève Fioraso. - En effet, je n'avais pas répondu à votre interrogation initiale concernant les cotutelles. Ce mot de co-tutelle a fait très peur à certains ministères. Ce qui est important, c'est que l'offre de formation fasse l'objet d'une harmonisation et d'une coordination. Certains établissements ont dit craindre une « atteinte » à leur culture s'ils passaient sous la tutelle du MESR. Nous avons donc décidé de changer de formulation pour pouvoir aboutir. Désormais, le projet prévoit que le MESR coordonne l'ensemble des formations et nous sommes assez déterminés sur ce sujet.
Concernant les doctorats, nous sommes extrêmement volontaristes. Cependant, il faut admettre que nous nous sommes montrés un peu naïfs au départ en pensant que les négociations avec les grands corps de l'État seraient aisées et pourraient se faire en bloc. En fait, il faudra négocier corps par corps. La solution à ce problème n'est pas forcément de légiférer. Nous en sommes donc au stade de la négociation avec, encore une fois, beaucoup de détermination. Ce sont des « montagnes » mais l'objectif final est juste. Nous avons besoin de diversifier l'accès aux concours.
Dans le domaine des études de santé, il y a des expérimentations en cours. Trois universités parisiennes ont instauré des passerelles ; les licenciés de biologie peuvent désormais entrer dans les filières de médecine sans passer le concours de première année. La loi se propose d'envisager la généralisation de ces expérimentations ; c'est un travail mené en collaboration avec le ministère de la Santé. Nous sommes par ailleurs en train de travailler sur les modalités du concours d'entrée, qui ne convient plus vraiment ; nous sommes ainsi les seuls en Europe, et même au-delà de l'Europe, à sélectionner nos médecins par QCM, et même à faire passer un QCM pour vérifier les connaissances en sciences humaines et sociales. Croyez-moi, des améliorations à cet égard permettront de répondre à un besoin, notamment avec le vieillissement de la population.
M. Alain Claeys, député. - Madame, ce premier sujet qui m'apparaît essentiel pour votre ministère est le crédit d'impôt recherche (CIR). Je pense que, d'ici trois ans, il risque d'y avoir télescopage entre ce dispositif et les crédits courants, et nécessité d'un arbitrage entre le coût du CIR et votre propre budget.
Deuxièmement, s'agissant des communautés d'université, si je comprends bien, la loi va supprimer les PRES. Je me pose la question de la légitimité des conseils de ces communautés face aux conseils des universités. Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque de régionalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Quelle légitimité vont avoir ces communautés pour négocier les contrats de site ?
En ce qui concerne le conseil stratégique de la recherche, je dois dire que je ne comprends pas grand-chose. Je suis favorable à une coordination au niveau du MESR, mais quel rôle aura ce conseil face à Louis Gallois ? On nous dit en effet qu'il est responsable de la réflexion stratégique. Par ailleurs, je m'interroge sur le pilotage de l'ANR : est-elle le bras séculier de l'État ? Va-t-il y avoir une évolution de sa gouvernance ?
Enfin, un mot sur l'évaluation, je ne crois pas trop que l'enjeu soit le changement de nom de l'AERES...
M. Michel Berson, sénateur. - Madame la Ministre, je voudrais vous poser cinq questions dont trois portent sur le coeur du projet de loi.
Tout d'abord, je voudrai prolonger l'intervention de mon collègue Claeys. Le CIR pose à la fois un problème financier et une question de fond. La dernière réforme du CIR a conduit à faire passer son budget de 2,5 milliards d'euros à 6 milliards. Le budget de l'ESR va quant à lui suivre l'inflation durant les trois prochaines années. On doit donc réfléchir à l'évolution du CIR pour le réorienter en partie vers la recherche publique. Deux mesures simples pourraient rapidement être mises en oeuvre : bonifier le recrutement de docteurs par les entreprises ; favoriser la sous-traitance à des organismes publics d'une partie de la recherche des entreprises.
Ma deuxième question porte sur le problème des vacataires et des contractuels. Vous avez annoncé le chiffre de 8 000 précaires régularisés en quatre ans ; cela fait 2 000 régularisations par an. Or on dénombre jusqu'à 50 000 contractuels et vacataires ; je dis bien en comptant les vacataires, ce qui fait grimper les chiffres. On a multiplié par quatre leur nombre au cours des années passées, alors qu'au-delà d'une part de 20 % de l'effectif, on peut considérer qu'il y a des abus.
Troisièmement, je reviens sur la lancinante question de la gestion de la masse salariale. Il y a, c'est vrai, des dérapages mais pas seulement. De plus, il y a la question de l'avenir : comment garantir que l'État prévoira les ressources nécessaires notamment pour financer le GVT ?
Plus particulièrement sur le projet de loi, deux questions me taraudent : la gouvernance de ces nouveaux objets que sont les communautés d'universités et l'évaluation.
Vous avez parlé de souplesse, c'est une très bonne chose. Mais il y a la question du conseil d'administration et de sa composition. Si les ratios de représentation retenus sont ceux figurant dans le projet de texte, il risque d'y avoir des problèmes.
Je dois dire que l'évaluation est une chose que je ne connaissais pas il y a quelques années. Je pense aujourd'hui que ce serait contre-performant de remplacer un organisme qui commence à être connu par quelque chose qui lui ressemble fort. Ce serait injuste car ça ne tiendrait pas compte de l'évolution importante des deux dernières années. Et c'est dommage car l'AERES a acquis une certaine notoriété aussi bien au niveau national qu'international. De plus, elle a permis d'améliorer sensiblement la lisibilité du système.
Mme Geneviève Fioraso. - Tout d'abord sur le CIR. C'est en effet un sujet que je n'ai pas abordé. C'est un sujet, et c'est le choix du Premier ministre, qui a été abordé dans le budget et plutôt sous son angle financier, et ce, même s'il concerne directement le financement de la recherche. Mais je vais faire quelques remarques rapides. Le pourcentage de PIB dépensé pour la recherche plafonne à 2,2/2,3 % - loin de l'objectif des 3 % - alors que l'Allemagne est à 2,8 %. Si l'on compare la structure des dépenses, en Allemagne, c'est la part privée qui est plus grande ; la part publique est en effet à peu près la même qu'en France. Quand on regarde plus finement, à structure industrielle équivalente, on est à peu près au même niveau. C'est un peu l'oeuf ou la poule vous me direz, mais le problème, c'est qu'on a perdu des emplois industriels, et si on les a perdus, c'est parce qu'ils n'étaient pas suffisamment haut de gamme, et parce qu'ils n'étaient pas suffisamment irrigués par la recherche. On ferait bien de s'interroger sur cette cohérence et ne pas en rester à une analyse théorique. Si on crée des exonérations fiscales et sociales, et que ça ne se traduit pas en emplois, c'est donc que la méthode est à corriger. Je ne pense pas qu'il faille diminuer l'effort financier sur le CIR, car en matière fiscale, notamment en période difficile pour les entreprises, il n'y a rien de pire que l'inconstance. Pour autant, les résultats doivent être au rendez-vous.
Concernant les communautés d'universités, je me suis posé les même questions que vous. Mais, en même temps, on sent bien que l'objectif partagé, c'est d'avoir plus de lisibilité tout en laissant beaucoup de flexibilité et sans sacrifier des sites qui se considèrent comme oubliés par les grands pôles. Cette idée des communautés d'université répond aux remontées des Assises quant au manque de crédibilité des PRES, quant au manque d'ouverture sur leur milieu et quant au manque de représentation des personnels. Tous les établissements, quel que soit leur statut préexistant, auront intérêt à avoir une réflexion stratégique commune. C'est ce que l'on veut. Les représentants des personnels seront davantage impliqués et cela permettra d'améliorer la communication. Ce ne sera pas pour autant ingérable. Les CA ont pour le moment un tiers d'élus ; dans le dispositif préconisé par la nouvelle loi, on en aura au maximum 40 %. Par ailleurs, elles ne porteront vraisemblablement pas le nom de « communauté » ; elles s'appelleront, par exemple, Université de Bordeaux, Université de Toulouse... Le terme de « communauté » a été retenu pour faire une sorte de parallélisme avec les communautés de communes qui mutualisent un certain nombre de missions.
M. Alain Claeys. - Madame la Ministre, permettez-moi d'intervenir à ce propos. Je comprends bien Université de Bordeaux, Université de Toulouse. Mais il peut y avoir des formes différentes d'universités et de regroupement. Comment prendre cela en compte ?
Mme Geneviève Fioraso. - C'est vrai. C'est pourquoi nous avons bien pris la précaution de prévoir que ces communautés ne se feront pas sur une base régionale. Nous avons voulu éviter de tomber face au problème que vous avez soulevé, c'est pourquoi elles se feront sur une base académique ou inter-académique ; on a essayé d'ouvrir le champ des possibilités, et ce, sans interférer a priori avec une loi qui viendra plus tard, qui est l'acte 3 de la décentralisation.
M. Alain Claeys. - On ne peut pas aller en aveugle comme ça. Il ne faudrait pas que les lois de décentralisation interviennent après pour refermer le jeu. Il faut que cet arbitrage gouvernemental intervienne au moment de la loi sur l'ESR.
Mme Geneviève Fioraso. - Bien sûr, mais c'est compliqué car, de fait, on doit fixer le cadre avant la nouvelle loi de décentralisation. On a tout de même intérêt à passer avant, et à baser notre loi sur l'académie et l'inter-académique. Comme ça, on se met à l'abri des choix qui seront faits plus tard ; les collectivités s'organiseront ensuite.
Concernant la composition du conseil d'administration de ces communautés, 20 % seront des représentants des membres et 30 % seront des personnalités extérieures, parce que nous pensons que les sites doivent être davantage ouverts sur leurs écosystèmes. Par ailleurs, s'il y a plus de quinze membres, il peut y avoir une dérogation pour avoir jusqu'à 40 % de représentants des membres.
M. Alain Claeys. - Ces communautés d'universités contractualiseront-elles ? Si oui, sur la base de quoi ?
Mme Geneviève Fioraso. Oui, sur la base d'un contrat de site et sur la base de compétences qu'elles auront choisi de mettre en commun. Tout s'adaptera en fonction du degré de fédération des sites.
M. Jean-Yves Le Déaut. - J'ai discuté aujourd'hui avec le représentant de l'Association des Régions de France (ARF) qui suit l'ESR, et il m'a dit que l'ARF aimerait que l'on fixe les choses dès cette loi, et que les arbitrages soient faits. Car il est évident que l'acte 3 de la décentralisation en matière d'ESR va poser toutes ces questions. À mon sens, il ne faut pas laisser les questions de décentralisation en matière d'ESR entre les seules mains des spécialistes du droit des collectivités territoriales. Sans aller jusqu'au détail, il faut tout de même réfléchir en amont à cette question.
Mme Geneviève Fioraso. - Pour l'AERES, il ne s'agit pas de remplacer un organisme par son jumeau. Si nous supprimons l'AERES, c'est pour changer profondément les missions qu'elle remplit. C'est vrai qu'il y a eu des évolutions au cours des derniers mois, mais les dysfonctionnements étaient trop importants pour être ignorés. Cela ne met pas en cause l'expertise des gens, ni des équipes. Par exemple, j'ai entendu en audition, ici à l'Office, les responsables de l'AERES dire qu'ils ne savaient pas évaluer un projet pluridisciplinaire ; en économie, notamment, ils avaient eu de grosses difficultés. La conception des missions du Haut Conseil est radicalement différente : il va habiliter des procédures, c'est-à-dire qu'il ne va évaluer lui-même que par défaut, lorsque ce sera demandé par les équipes ou les établissements. C'est en fait ce qui se fait un peu partout dans le monde.
Concernant la stratégie de la recherche, nous voulons rétablir le rôle de l'État par rapport à l'ANR ; celle-ci était devenue stratège par défaut, en fait. Il y avait bien la SNRI (Stratégie nationale de recherche et d'innovation), mais c'était quand même un peu vague, et on ne savait pas réellement qui était stratège. La création des Alliances était une bonne initiative. Dans notre schéma, c'est l'État qui coordonnera avec un conseil d'expertise. Le Commissariat général aux investissements (CGI) a, quant à lui, sa propre vocation dans le cadre du Pacte de croissance. Nous travaillerons avec lui, mais il n'a certainement pas vocation à se substituer au ministère.
Mme Maud Olivier, députée. - Ma première question porte sur le rapprochement des sites. J'ai rencontré le directeur de la fondation de coopération scientifique de Saclay, qui m'a annoncé l'ouverture du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay au 1er janvier 2014. J'ai compris que l'État sera très présent avec les contrats de site, mais j'aimerais savoir comment les collectivités vont être associées car, pour le moment, elles sont un peu oubliées ?
Mme Geneviève Fioraso. - Saclay, comme les autres sites, va faire évoluer le PRES vers une communauté basée sur un statut d'Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Les collectivités seront associées à ces établissements.
Mme Maud Olivier. - Mon deuxième point concerne la formation tout au long de la vie. A l'heure actuelle, dans la grande majorité des cas, on est diplômé à 25 ans, et on fait le même métier toute sa vie sur la base de ce diplôme. Comment faire en sorte que les savoirs de ces diplômés soient au moins mis à niveau régulièrement, et que la formation tout au long de la vie se développe ?
Ma troisième question porte sur la diffusion de la culture scientifique et technique. Je voudrais savoir si elle sera du ressort du MESR ? Pourrait-il donner quelques pistes de stratégie ? Car, pour l'instant, il y a une délégation régionale donnée à beaucoup d'associations ; mais je crois qu'il y a une demande pour des objectifs et des pistes de stratégie clarifiés.
Enfin, une dernière question sur les grands défis des années à venir, sur l'énergie, la santé ou les NTIC, par exemple. Je crois qu'il serait bien d'en fixer les contours au niveau du conseil stratégique de la recherche. Mais je crois aussi qu'il faudrait des retours d'informations vers les acteurs de terrain concernés sur les territoires, pour que cette stratégie de recherche soit clairement définie et partagée.
M. Patrick Hetzel, député. - L'OPECST est de toute évidence un organisme un peu particulier puisque je voudrais simplement dire que je rejoins M. Berson sur l'AERES, et que je partage ce qu'a dit M. Claeys concernant notamment les risques qui pourraient être liés à une régionalisation de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. Il n'y a pas là des problématiques nouvelles. Et je crois que c'est intéressant de voir que ces préoccupations transcendent nos mouvements politiques.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur quelques points précis.
Que vont devenir les fondations de coopération scientifique ? En l'occurrence, quand je lis le projet de loi, et plus précisément ce qui concerne les sections 1, 2 et 3 du Chapitre 4 du Titre 4 du Livre 3 du Code de la recherche, il y a un certain nombre de points où l'on supprime des structures qui existaient. Pouvez-vous en tout cas confirmer que leurs missions seront maintenues ?
Deuxièmement, il est prévu une forme de bicamérisme entre le Conseil d'administration et le Conseil académique. Ce n'est pas ici que je vais poser la question de l'utilité que peut parfois avoir un tel système, mais comment peut-on éviter les risques de blocage institutionnel ? Notamment, est-il envisageable de restreindre les compétences du Conseil académique à un rôle consultatif ?
Le projet actuel prévoit une nomination par le recteur des personnalités extérieures dans les conseils d'administration. Or vous venez d'envoyer un courrier à destination de la CPU dans lequel vous évoquez plusieurs formules alternatives. Y-a-t-il une évolution ou souhaitez-vous maintenir ce processus de nomination par les recteurs ?
Quatrième question, comment sera-t-il possible de consolider progressivement, et de façon cohérente, les structures de regroupement si les PRES disparaissent et leurs remplaçants sont d'emblée réorientés vers un schéma de contrat unique ? Je pense à certains PRES qui regroupent des institutions historiques comme l'ENS ou le Collège de France, par exemple. Je ne suis pas sûr que tout ceci soit aujourd'hui miscible. Comment faire en sorte que l'autonomie de gestion du Collège de France ou de l'ENS d'Ulm soit maintenue à l'intérieur de ces structures de regroupement ?
Dernier point, vous prévoyez une représentation très faible des chefs d'établissement aux conseils d'administration de ces communautés d'universités. On voit bien, du coup, que peut se poser la question de la garantie de leur représentation. Il faut assurer un mécanisme de lien et d'échange avec ces chefs d'établissements. Comment auront-ils finalement la légitimité requise pour convaincre leur communauté d'enseignement, s'ils ne participent pas eux-mêmes aux votes ?
Voilà quelques questions, il y en aurait d'autres, mais je pense que nous aurons dans les mois à venir de nouvelles occasions d'échanger plus avant sur ces sujets.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. - Merci, Madame la Ministre, de cet exposé très dense et, en tout cas, très précis. Je vais essayer de compléter ou plutôt d'aller sur d'autres chemins que mes collègues pour aborder un certain nombre de points très concrets.
Actuellement, comme chaque année, des universités et des laboratoires préparent leur plan quadriennal avec la perspective d'une évaluation par l'AERES et d'une contractualisation l'année prochaine. Qu'en sera-t-il pour ceux qui doivent déposer leur dossier cette année ?
Ensuite, sur le titre de doctorat, question que vous avez soulevée et qui est essentielle, vous avez souligné à quel point les différents corps d'état au sein de l'institution nationale qu'est l'État français sont des montagnes. Vous me permettrez une incidente, chaque corps est une montagne et vous êtes Sainte-Geneviève [le MESR est situé au bout de la rue de la montagne Sainte-Geneviève]. C'est un euphémisme de formuler les choses ainsi. Je ne prends pas de copyright, reprenez-le car je salue vraiment votre courage et votre vaillance. Mais ne serait-il pas plus simple et moins complexe de travailler sur les conventions collectives avec le monde industriel ? Il y a deux conventions collectives qui sont presque les mêmes, celles de la chimie et de la pharmacie, qui reconnaissent le doctorat. Ce sont les seules, mais par équivalence de forme, ne pourrait-on pas aller dans le même sens avec d'autres conventions collectives ? Je crois, pour l'avoir entendu récemment d'un certain nombre de collègues universitaires, que ce serait formidable pour le devenir de leurs étudiants car tous n'iront pas dans des grands corps de l'État, et tous ne sont pas formés dans des grandes écoles parisiennes. Ce qui m'amène à mon troisième point.
Est-il inenvisageable de se demander si, finalement, certaines grandes écoles parisiennes et franciliennes, je pense par exemple à l'ENS, et en tout cas à celles qui sont sous tutelle de l'État et pas de droit privé, ne pourraient pas avoir vocation à contractualiser de manière intelligente et spécifique, pour des temps donnés, avec des universités en région pour éviter que Paris soit la France et le reste la Province ? Ceci a été malheureusement un peu la tendance et c'est aussi le problème du plateau de Saclay. C'est un peu abrupt, j'en conviens, mais on est ici à l'Assemblée nationale. Si on ne le dit pas ici, où est-ce qu'on le dit ?
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Merci d'avoir posé cette question.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - C'est un chemin, mais quand on ne commence pas par poser les premiers pas sur un chemin, on ne va nulle part, et ce, même si le chemin peut parfois changer de forme. C'est une question essentielle, car il y a ailleurs en France des écoles puissantes et, finalement, la manière pour les écoles de rayonner sur tout le territoire, est une question qui s'est posée de la même façon pour les organismes de recherche. Raisonner aussi avec cette force-là, dans une logique de contractualisation sur la qualité des diplômes et la reconnaissance de la qualité des étudiants, me paraîtrait essentielle. Au bout du compte, ce qui me parait primordial, c'est qu'on forme les étudiants, qu'ils soient pertinents, fiables, stables et efficaces pour le devenir de l'industrie française et de l'économie française. C'est essentiel et fondamental.
Mon quatrième point n'attend pas de réponse, Madame la Ministre, mais c'est un problème que je pose. La fusion des concours médecine, pharmacie, sage-femme, etc. n'est pas du tout facile à vivre pour les étudiants car cela veut dire : qui n'est pas médecin devient, par exemple, sage-femme. Avant, on choisissait un métier, maintenant on passe un concours commun et, par défaut, on devient sage-femme. Au lieu de considérer des métiers différents dans le monde de l'hôpital et de la médecine, on a créé des vassalités dans l'empire de la santé ; on a hiérarchisé de fait les métiers.
Les Sociétés d'accélération du transfert des technologies (SATT) sont des outils qui ont été voulus, créés, dotés, et qui doivent avoir des trajectoires. À mon sens, ces trajectoires ne peuvent pas être de les restreindre à l'espace territorial dans lequel elles s'inscrivent, ce qui leur interdirait d'avoir des ambitions internationales. C'est un point qui n'est pas anodin car, pour l'instant, elles sont contingentées à 90 % ou 95 % sur leur territoire régional et seulement à 5 % à l'extérieur. Peut-être faudrait-il travailler, dans un horizon plus lointain, à la levée de cette contrainte.
J'ai un dernier point qui est la question des stages sur laquelle, il me semble, il y aurait peut-être matière à ce que nous travaillions. En effet, beaucoup de nos élèves et étudiants sont employés très tard dans leur vie, même s'ils ont des diplômes de niveau L ou Bac, car ils sont en permanence en stage, ce qui est permis par le fait qu'ils peuvent s'inscrire en permanence et de façon illimitée à l'université, et que le monde économique se sert énormément de cette facilité. Ce point mériterait plus d'attention, car la « stagiairisation » de la jeunesse est un vrai problème.
Mme Geneviève Fioraso. - S'agissant du devenir des fondations, on ne supprime rien. Simplement, on demande une seule fondation abritante. Il s'agit là aussi de faciliter la lisibilité et d'avoir un seul interlocuteur.
En ce qui concerne les conseils académiques et leur cantonnement à un rôle consultatif, on est déjà, en France, un peu en deçà par rapport à ce qui se fait ailleurs, où l'on assume le fait qu'il y a vraiment deux fonctions différentes. Ce n'est pas notre culture en France, donc on n'a pas voulu parler de « Sénat académique ». L'idée, avec un « conseil académique », c'est quand même de responsabiliser et de permettre un vrai travail, sans pour autant, contrairement à ce que j'ai pu entendre, déstabiliser la fonction du CA et la fonction de président. Dans le texte finalement proposé, qui sera en fait stabilisé d'ici début mars avec l'envoi au Conseil d'État et le passage en conseil des ministres qui, lui, devrait intervenir à la mi-mars, le président du CA et le CA fixent dans les statuts de l'établissement les modalités de désignation à la présidence du conseil académique. Ils décideront s'il s'agit du même président, d'un vice-président par délégation ou d'une personnalité extérieure. Au début, on avait été un peu plus radical ; on avait dit que ce serait une personnalité extérieure. L'idée, c'est quand même bien de distinguer ces compétences. Les limites imposées au conseil académique, c'est que chaque décision qu'il prendra engageant les finances, le budget ou la stratégie de l'établissement, devra être validée par le conseil d'administration de façon à ce que les deux fonctions ne se confondent pas. Donc il aura une mission plus que consultative mais pas stratégique.
Les difficultés financières des universités ne relèvent pas de la loi, mais sont traitées à travers un accompagnement spécifique. Les conditions de transfert n'ont pas forcément été les meilleures, mais le GVT a vocation à être intégré dans le budget des universités, comme c'est le cas pour les organismes. Merci à Michel Berson d'avoir reconnu que certaines universités ont un peu poussé les règles à l'époque en saturant leur plafond d'emploi notamment avec des postes contractuels de catégorie A ; c'est du coup une situation assez difficile à gérer pour les présidents qui suivent.
Les structures de regroupement n'ont pas vocation à faire disparaître les écoles qui intégreront les communautés d'université. Il n'y a pas de dogme là-dessus. Les membres qui se regrouperont dans les communautés d'universités choisiront eux-mêmes le type de regroupement et le niveau d'intégration auquel ils voudront consentir. C'est assez ouvert et ça permet donc de s'adapter aux différents sites.
Il n'a jamais été dit que le recteur proposerait les personnalités extérieures à nommer. Il aura pour rôle de rassembler les noms des personnes proposées suivant des règles prévues dans les statuts des établissements. Ce sont les collectivités, les organismes partenaires et les autres institutions qui désigneront des représentants et personnalités qualifiées. Cette idée a suscité une certaine opposition, non sans paradoxe, car ceux qui nous demandent d'être moins régionalistes et davantage régaliens se méfient quand l'État, représenté par le recteur en région, reprend les choses en main... Je vous laisse méditer là-dessus car ce fut une source d'étonnement pour moi. On s'est adapté, et on désignera donc ces personnes de manière à ce que ce soit irréfutable.
Il y avait aussi une inquiétude sur la place accordée aux représentants de composantes, ce que vous appelez les chefs d'établissements. Non seulement ils pourront constituer jusqu'à 40 % du CA des communautés d'universités lorsque celles-ci comporteront plus de quinze membres, mais, en plus, on donne la possibilité de créer un conseil des composantes de façon à ce qu'ils soient bien intégrés. J'ai trop vécu au niveau local, là aussi, un certain paradoxe entre une demande forte de collégialité et un vrai problème pour faire redescendre l'information dans les universités. Donc plus les composantes seront présentes, plus l'information circulera ensuite.
La culture scientifique et technique est un sujet qui n'est pas dans la loi, car il dépend aussi du ministère de la Culture. C'est un sujet sur lequel nous travaillons conjointement et, dans les réunions interministérielles, nous soutenons qu'il est nécessaire, en ce domaine, d'être au plus près du terrain. Nous pensons donc que la décentralisation est une bonne chose pour l'animation du réseau des Centres de la culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI). Pour autant, nous maintiendrons un dispositif national, peut-être UniverScience avec quelques évolutions. Mais nous ne voulons pas que perdure ce qui se passe aujourd'hui, c'est-à-dire que les expositions viennent de Paris, sont revendues aux CCSTI, qui sont elles-mêmes financées par les régions, ce qui aboutit à un montage financier un peu improbable. Par ailleurs, nous croyons au tissu associatif, « La main à la pâte » ou « Les petits débrouillards », par exemple. Il faut donc laisser la place aux initiatives locales, et cela participera ainsi de cette culture de progrès à laquelle nous tenons. Dans mes cartes de voeux, j'ai choisi de mettre en exergue cette phrase de Marie Curie : « Rien n'est à craindre, tout est à comprendre ». Je crois que la culture scientifique et technique doit s'inspirer de cette phrase.
Sur le quadriennal, tant que la loi n'est pas votée et mise en application, c'est le règlement actuel qui s'applique. Donc, accueillez bien l'AERES ; il n'y a pas de raison de leur dire : « Vous allez être supprimés, donc on ne vous écoute plus ». Je sais que cela arrive, et que c'est une souffrance pour les personnels de l'AERES. Je peux le comprendre.
En ce qui concerne l'insertion des docteurs, on travaille sur les deux fronts : conventions collectives et corps d'État. J'ai reçu le MEDEF et la CGPME, mais on veut aussi que l'État soit exemplaire. Je crois aussi que, pour avoir souffert en tant que députée de cette stérilisation induite par une certaine forme de pensée unique, introduire de la transversalité dans les grands domaines est une bonne chose ; il faut que l'énergie ne soit plus le domaine réservé de tel corps ou l'industrie celui de tel autre corps...
Je suis d'accord avec vous sur les problèmes soulevés par les stages et c'est pour cela que l'on veut favoriser l'alternance. Celle-ci permet de mieux favoriser l'insertion professionnelle. Nous sommes donc en train d'en discuter avec Thierry Repentin ; mais elle peut avoir des effets pervers, qui justifient les inquiétudes de Michel Sapin et Thierry Repentin : si l'on encourage l'alternance, des responsables d'entreprises préfèrent en priorité travailler avec des jeunes de niveau supérieur au baccalauréat plutôt qu'avec des jeunes de niveau V ; or ce sont ces derniers qui constituent aujourd'hui le noyau dur du chômage des jeunes. Il faut donc trouver un équilibre. Je vais revoir prochainement Thierry Repentin là-dessus.
Enfin, je ne vois pas comment les SATT ne pourraient s'intéresser qu'au niveau régional. Si elles aident des start-up, celles-ci se situent sur des marchés de niches qui sont forcément de niveau international. Je pense qu'il faut éviter que les SATT deviennent des usines à gaz et s'étoffent en emplois. Il ne faut pas non plus qu'elles se focalisent sur une rentabilité à court terme, car elles abandonneraient finalement la recherche fondamentale qui est plus risquée que la petite innovation au fil de l'eau, et ça ne justifierait pas alors d'avoir des SATT partout.
Je crois que j'ai à peu près tout dit. Dans les communautés d'universités, les éléments spécifiques, comme le budget de tel ou tel établissement, s'il est décidé de ne pas procéder à une fusion, seront intégrés tels quels dans le contrat voté par le conseil d'administration.
M. Bruno Sido, sénateur, président. - Merci Madame la Ministre. Je vais me risquer en disant que l'enseignement supérieur et la recherche étant les deux mamelles de l'Office parlementaire, il est normal que les débats aient été riches et les questions nombreuses et pertinentes, et les réponses non moins riches et pertinentes. Merci à toutes et à tous et merci à Madame la Ministre d'avoir répondu à toutes nos questions.