- Mardi 15 janvier 2013
- La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition de M. Denez L'Hostis, pilote de la mission « mer et littoral » de France Nature Environnement et administrateur de l'Agence des aires marines protégées
- La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition du général Pierre Chavancy, chef de la division emploi à l'État-major des armées et de M. Axel Moracchini, officier traitant « forces de souveraineté »
- La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition de M. Marc Rohfritsch, ingénieur divisionnaire de l'industrie et des mines, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)
- Mercredi 16 janvier 2013
- La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Présentation par MM. Jean-Étienne Antoinette et Georges Patient, Sénateurs de la Guyane, d'une étude de législation comparée sur les régimes applicables en matière d'exploration et d'exploitation pétrolières offshore
- La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition de M. Patrick Romeo, président de Shell France
Mardi 15 janvier 2013
- Présidence de M. Joël Guerriau, vice-président -La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition de M. Denez L'Hostis, pilote de la mission « mer et littoral » de France Nature Environnement et administrateur de l'Agence des aires marines protégées
M. Denez L'Hostis, pilote de la mission mer et littoral de France Nature Environnement et administrateur de l'Agence des aires marines protégées. - Merci d'avoir songé à inviter France Nature Environnement. Je souhaite aborder devant vous un grand nombre de questions, qui concernent non seulement les zones économiques exclusives, mais aussi les outre-mer français en général. Certes, les zones économiques exclusives constituent une richesse pour la France, mais la plupart des acteurs qui traitent du milieu marin s'y intéressent trop peu.
France Nature Environnement fédère près de trois mille associations environnementales, rassemblant environ huit cent mille adhérents. Quoique méconnu, son poids correspond à peu près à celui d'un des grands syndicats de salariés en France. Elle présente de plus l'avantage de comporter des associations implantées sur tout le territoire, y compris outre-mer : en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte... Or, en matière de biodiversité marine, l'essentiel des richesses se trouve dans les outre-mer, comme l'a bien mis en évidence le colloque que nous avons organisé il y a un an et demi au Conseil économique, social et environnemental : 1,5 km2 de récif corallien comprend autant de biodiversité que tout le littoral métropolitain. La France possède, grâce à ses outre-mer, 10 % des récifs coralliens mondiaux. La préoccupation de France Nature Environnement est de développer à la fois la connaissance et la préservation de cette biodiversité, c'est-à-dire de trouver le moyen d'encadrer le développement économique dans les zones économiques exclusives afin de minimiser son impact environnemental.
Mon travail de pilote de la mission « mer et littoral » est bénévole, mais France Nature Environnement emploie quelque 1 500 permanents, dont environ 45 au siège. J'ai la responsabilité politique de tous les dossiers liés à la mer à l'Agence. Après avoir été chercheur à l'INRA et à l'Ifremer, je me suis intéressé aux problématiques de la pêche, puis, pendant dix ans, j'ai dirigé un parc à thème scientifique sur les enjeux des océans profonds.
Je suis, comme vous l'avez indiqué, administrateur de l'Agence des aires maritimes protégées ; je n'ai toutefois aucun mandat pour m'exprimer ici en son nom. Je vous donnerai néanmoins mon avis sur son rôle, tout particulièrement outre-mer. Je suis aussi membre du comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens, qui rassemble des scientifiques, des administrations, des organisations non gouvernementales pour travailler à la protection des récifs coralliens. Je serai enfin membre du Conseil national de la mer et du littoral que le Premier Ministre va installer ce vendredi, et je présenterai ma candidature à son bureau.
La mission de l'Agence des aires marines protégées est d'installer des parcs marins. Hélas ! La situation budgétaire actuelle difficile bloque le développement des projets. Je le vois bien au conseil de gestion du parc naturel marin des Glorieuses, mitoyen de celui de Mayotte. Face à cette situation gênante, je sollicite l'appui des sénateurs. L'objectif de l'Agence est d'installer 20 % des eaux françaises (qui sont, en étendue, les deuxièmes au monde) en aires marines protégées, dont 50 % en réserves halieutiques. Cet objectif ambitieux semble aujourd'hui oublié, malgré quelques réalisations notables : après le parc d'Iroise, créé il y a cinq ans, sont venus ceux de Mayotte, du golfe du Lion, et M. Cuvillier a récemment signé l'arrêté créant celui de Picardie. De beaux projets restent en rade, et nous sommes presqu'absents de la protection de la mer dans nombre de nos territoires ultramarins. Il est vrai qu'en Martinique une réflexion est engagée, qui pourrait déboucher sur la création d'un parc - mais sans moyens, à quoi bon ? En Guadeloupe, le parc national mixte constitue un premier outil de protection du milieu marin. En Guyane, la situation est plus délicate, surtout avec les projets de développement d'activités pétrolières. La situation de la Polynésie est encore plus difficile, il n'y a que quelques aires maritimes protégées, surtout lagonaires, et un très grand projet autour des îles Marquises, dans la perspective de leur reconnaissance comme patrimoine mondial par l'Unesco. Et Saint-Pierre-et-Miquelon est une zone souvent oubliée. Le canal de Mozambique constitue un enjeu majeur en termes de biodiversité comme d'un point de vue diplomatique. Cette zone extrêmement riche, sans habitat permanent, mérite un niveau de protection très ambitieux ; or, faute de moyen, on n'avance guère. C'est pourquoi France Nature Environnement a refusé de voter le budget de l'Agence des aires marines protégées, insuffisant même pour les parcs existants.
En fait, les enjeux de la zone économique exclusive ne sont pas foncièrement différents de ceux des zones territoriales, ou de la haute mer. D'ailleurs, les limites de la zone économique exclusive pourraient bien s'étendre bientôt, et il faut garder à l'esprit que des sujets qui concernent actuellement la haute mer deviendraient alors propres à notre zone économique exclusive.
Les aires marines protégées doivent être des outils de développement durable. Plutôt qu'une protection à tout prix, il convient de rechercher un équilibre entre différentes activités, en minimisant leur impact sur l'environnement.
Les eaux de Clipperton sont le théâtre d'activités de pêche illégales, que nous n'avons pas les moyens de contrôler en dépit d'une surveillance satellitaire. En Guyane également, nos moyens de contrôle, pour significatifs qu'ils soient, ne suffisent pas. Nous avons deux patrouilleurs et une vedette des douanes, qui effectuent un nombre significatif de sorties mensuelles. Pourtant, 60 % des navires qui croisent dans la zone économique exclusive de Guyane sont étrangers : brésiliens, surinamais, guyanais, vénézuéliens... Plus grave, leur pêche est nettement plus importante que la pêche française, ce qui gêne une gestion durable des ressources. La pression sur celles-ci, hélas, va croissant, puisque 25 à 30 navires étrangers pêchent quotidiennement dans nos eaux, et y prélèvent entre deux et trois fois plus de poissons que nous. Et même s'ils sont arrêtés, ils n'hésitent pas à revenir ! Leurs engins de pêche ne correspondent pas aux normes environnementales que nous exigeons des nôtres, et auxquelles les pêcheurs guyanais ont récemment fait de gros efforts pour s'adapter. Voilà un exemple de très mauvais contrôle d'une zone économique exclusive.
Les énergies marines renouvelables constituent un secteur d'avenir pour nos zones économiques exclusives. L'éolien posé ou flottant a peu de chance de s'y développer. En revanche, il y a des projets pour l'énergie thermique des mers, notamment à La Réunion et aux Antilles. Elle donne lieu à des installations situées plutôt en eaux territoriales qu'en zone économique exclusive, et, juridiquement parlant, dans un quasi-désert. On l'exploite en pompant les eaux profondes, plus froides, et en produisant, grâce au gradient de température avec les eaux de surface, de la vapeur d'eau qui fait tourner des turbines. Cette technique n'est pas sans impact sur la biodiversité. En effet, l'upwelling artificiel risque de provoquer un véritable boom planctonique, les nutriments étant beaucoup plus abondants en profondeur qu'en surface. Une centrale pilote devrait ouvrir en Martinique en 2016. À La Réunion, DCNS apportera sa technologie pour la production de 10 MWh, avec cet avantage que c'est une production constante.
L'installation de structures aussi lourdes a des effets sur l'environnement maritime. Il s'agit d'abord de la pollution acoustique, notamment lors des travaux initiaux, qui peut être fatale à certains cétacés. Les câbles qui partent de ces installations peuvent entraîner une pollution électromagnétique, même si son intensité et son extension sont mal connues, ainsi qu'un problème de température dans leur voisinage immédiat, perturbations qui peuvent conduire à des phénomènes d'évitement. Il y a aussi ce qu'on appelle un effet-récif, ou effet réserve, c'est-à-dire que des populations importantes, notamment de poissons, se fixent aux alentours des outils qu'on installe. Ce peuvent encore être des perturbations lumineuses au niveau de la surface. En ce qui concerne la pollution par contamination, en revanche, l'exploitation de l'énergie thermique des mers ne présente pas de risque important.
Le décret en préparation sur les îles artificielles, pour encadrer la multiplication des éoliennes flottantes, des plateformes pétrolières, au statut juridique très flou, souffre de nombreuses faiblesses : le projet ne prévoit pas de concertation avec les structures nationales de protection de la nature, ni de consultation du futur Conseil national de la mer et des littoraux, non plus que des conseils ultra-marins qui ont été installés ces derniers mois.
Alors qu'un certain nombre de nos territoires sont concernés par les permis d'exploration, une réforme du code minier est en cours. En Guyane, nos associations souhaitent l'accélération du schéma minier marin, mais aussi que la participation du public soit véritablement une donnée essentielle, et que le principe pollueur-payeur soit instauré. L'Agence des aires marines protégées a montré que la biodiversité des eaux guyanaises était beaucoup plus forte qu'on ne le pensait : elles abritent en particulier des cétacés. Avec l'association Robin des bois, nous avons dénoncé le fait que l'étude d'impact n'abordait que le fonctionnement normal des forages et n'envisageait pas les accidents. Or, un drame comme celui du Prestige, ou comme ce qui s'est passé récemment dans le Golfe du Mexique, pourrait arriver aussi outre-mer, où nous n'avons pas les moyens de traiter une telle situation. Les recherches sismiques entreprises dans la prospection pétrolière sous-marine doivent tenir compte, dans leurs aspects acoustiques, de la biodiversité et en particulier, en Guyane, de la présence de cétacés.
Les ressources génétiques sont en principe régies par la Convention sur le droit de la mer, mais les contraintes sont très faibles. Les recherches sont surtout poussées dans le domaine pharmaceutique. La France est l'un des principaux pays qui s'intéressent à cette ressource. Développer un produit coûte 200 à 300 millions d'euros, mais les chiffres d'affaires de certains produits issus des fonds marins se chiffrent en milliards de dollars. Cela pose le problème de la brevetabilité du vivant, et surtout de la territorialisation de celui-ci : aujourd'hui, toutes ces ressources sont gratuites. J'avais du reste adressé il y a deux ans une longue note sur ce sujet au secrétaire général des Nations unies. La prise de conscience de ces enjeux se développe en France ; le sujet mériterait des travaux parlementaires, auxquels les outre-mer devraient prendre part de manière significative. Nous souhaitons un protocole additionnel à la Convention sur le droit de la mer, qui vient de fêter ses trente ans. La France n'a pas été aussi active sur ce thème qu'elle aurait pu l'être - il est vrai que de nombreux pays ne font rien pour clarifier les règles de l'accès à ces ressources.
France Nature Environnement est étroitement associée à la réforme du code minier. Lors de la phase préparatoire actuelle, quatre groupes de travail examinent chacun une centaine d'articles. Nos exigences sont de trois types : une meilleure définition de l'intérêt stratégique national, une prise en compte réelle des incidences environnementales, et l'émergence et le développement d'une fiscalité en mer, qui n'existe pour ainsi dire pas, et qui pourrait apporter des moyens aux territoires ultramarins concernés.
Bien que de très nombreuses activités soient possibles dans les zones économiques exclusives, il y en a peu en fait, et nous ne les connaissons pas assez pour prévenir les atteintes qu'elles portent à l'environnement.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Merci pour votre exposé très complet, qui nous a beaucoup intéressés : parmi nous sont présents des sénateurs d'outre-mer : Guadeloupe, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Guyane, Wallis et Futuna... mais aussi du Lot, de Seine-Maritime et de Loire-Atlantique, et même un sénateur, représentant des Français établis hors de France, ce qui constitue une très vaste circonscription.
Combien y a-t-il de parcs marins aujourd'hui ? Quelles sont vos ambitions pour eux ? Quel coût représentent-ils ? Quels sont les enjeux ?
M. Denez L'Hostis. - Le Grenelle de l'environnement avait prévu huit parcs marins pour 2012 : nous ne les aurons pas. Ceux qui existent sont de taille relativement modeste : nous sommes loin de 20 % des eaux sous protection pour 2020. Pour faire fonctionner un parc marin, il faut une trentaine de personnes. Or il n'y en a que deux ou trois dans celui du Golfe du Lion, quelques-unes aussi à Mayotte, mais aucune en Picardie, ni aux Glorieuses, qu'on envisage de mutualiser avec celui de Mayotte, faute de moyens. L'Agence ne bénéficie pas d'une fiscalité propre : l'État abonde son budget. Une piste pourrait consister à créer, sur le modèle de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), une fiscalité propre à la mer, qui serait fléchée sur la protection du milieu marin.
Faire en sorte que les activités maritimes financent la mer est l'un des enjeux de la fiscalité pour l'année qui vient. Tel n'est pas le cas lorsque, pour obtenir la paix sociale, l'on verse 35 % du produit de la taxe sur les éoliennes à l'ensemble des pêcheurs au travers du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), une part étant aussi versée aux pêcheurs locaux et aux communes situées en co-visibilité d'un parc. Rien n'est clair quant au fléchage des ressources vers la biodiversité. Peut-être cela relèvera-t-il de l'Agence de la biodiversité, qui devrait être créée sur la base du rapport attendu pour la fin du mois de juin ? Mais si l'Agence mêle les intérêts maritimes à un ensemble de sujets terrestres, cela posera problème. Elle ne devrait probablement pas disposer de moyens spécifiques autorisant la création de parcs marins en 2013, alors qu'il s'agit de l'outil le plus intéressant pour suivre les activités en mer.
M. Thani Mohamed Soilihi. - On ne donne pas leur chance aux énergies renouvelables, alors que la dépendance aux carburants est très grande dans des zones reculées comme les nôtres. Vous n'avez pas évoqué l'énergie hydrolienne ?
M. Denez L'Hostis. - La production d'énergie par les hydroliennes est désormais une technologie mature, même si une mauvaise manipulation a précipité au fond de la rade de Brest celle qu'EDF devait installer à Bréhat. L'hydrolienne du Fromveur, dans le parc marin d'Iroise, devrait quant à elle être exploitée par une société bretonne rachetée par GDF-Suez. Ces technologies sont promises à un grand avenir et nous pourrions en installer des dizaines, à condition de les adapter aux courants. Pour l'heure, on ne les utilise qu'avec les courants les plus forts, tels qu'à la pointe du Cotentin - à Barfleur - ou en Bretagne.
Je travaille actuellement sur un projet à l'île de Sein. Comme à Mayotte, 100 % de l'énergie y provient du fuel. Afin d'accéder à l'autonomie énergétique, le maire et la population réfléchissent à l'installation d'une éolienne qui pourrait couvrir l'ensemble de la consommation d'électricité, en particulier grâce aux réseaux intelligents, les smarts grids. Cela est toutefois impossible du fait de la loi littoral. L'installation de plusieurs hydroliennes est donc aussi envisagée, à l'ouest de l'île. Je ne crois pas que la courantologie de Mayotte soit suffisante. Or, il faut que le courant atteigne 6 à 7 m par seconde. Quand cette exigence sera abaissée, on installera des hydroliennes dans les fleuves ; un test sera prochainement réalisé dans la Gironde. Dans les territoires ultra-marins, des hydroliennes pourraient être installées dans les zones de forts courants entre deux îles ; elles éviteraient les difficultés d'installation posées par les éoliennes.
On ne parle jamais de l'absorption d'énergie. Pourtant, il est possible d'installer des houlomoteurs sous des jetées des ports, lieux en permanence battus par les flots. Installés sous le niveau de la mer, ces dispositifs seront moins affectés par les tempêtes tropicales. Pour l'heure, le premier houlomoteur va être installé dans la baie d'Audierne.
Aucune énergie n'est à négliger, même si les éoliennes présentent certains risques en cas de cyclone tropical, à moins de pencher les éoliennes comme on le fait en Guadeloupe... La Réunion a un projet d'autonomie énergétique pour 2030 ; une telle démarche est à la portée des autres territoires. Souhaitons que les ultra-marins comme les métropolitains poussent à la roue pour combler le retard pris par notre pays qui était en avance dans les années 70. Je compte aussi pour cela sur la représentation nationale.
M. Charles Revet. - À la conférence du droit de la mer organisée à l'ONU il y a trente ans, on commençait à parler de nodules polymétalliques. Où en est-on ? A-t-on commencé leur exploitation ?
Les aires maritimes protégées se prêteront-elles à une cohabitation ? À Antifer, la faune marine s'est développée autour des enrochements.
M. Denez L'Hostis. - C'est l'effet-récif : chaque installation joue comme un dispositif de concentration du poisson. Reste à savoir quels sont ses effets à long terme sur une zone plus large. L'Agence des aires maritimes protégées a travaillé sur cet effet réserve mais, pour aller plus loin, France Nature Environnement demande que les parcs éoliens soient transformés en aires marines protégées, précisément afin d'améliorer nos connaissances grâce à la présence humaine sur ces parcs.
Pour l'heure, les nodules ne sont pas encore exploités, bien que des recherches soient menées en Papouasie-Nouvelle-Guinée sur des encroûtements de soufre. Le travail porte surtout sur les terres rares des fonds marins pour lesquelles les Chinois détiennent déjà des permis d'exploitation dans le centre et dans la partie orientale de l'océan Pacifique. Faute de technologie adaptée, le problème principal demeure le coût d'accès à ces ressources.
Mme Karine Claireaux. - Comment mieux prendre en compte les richesses naturelles des territoires ultramarins ? Les associations locales font de leur mieux, malgré des moyens limités, et l'on n'arrive pas à faire remonter les informations par exemple sur les richesses insoupçonnées de l'archipel en cétacés ou en coraux. Le regard des instances nationales se pose trop peu sur l'outre-mer.
M. Denez L'Hostis. - La première contrainte est culturelle : aux Antilles, la mer est davantage perçue comme une ennemie ou un lieu vide que comme un espace de découvertes et d'activités. Même à Saint-Pierre-et-Miquelon la connaissance du milieu semble relativement faible.
Mme Karine Claireaux. - Elle est variable selon les espèces.
M. Denez L'Hostis. - Dans ce territoire, l'association locale membre de France Nature Environnement se substitue le plus souvent à l'État.
La conscience maritime de la France demeure insuffisante. Le mot « mer » n'apparaît pas dans le code minier ; ce sont donc les règles valables pour la terre qui seront appliquées. Le ministère des outre-mer devrait s'intéresser davantage à la mer.
M. Christian Cointat. - Il passe outre...
M. Denez L'Hostis. -En Guyane, à Clipperton ou aux Glorieuses..., la pêche illégale compromet la chance que la mer représente pour la France et ses outre-mer.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Merci beaucoup.
M. Denez L'Hostis. - Je compte sur vous !
J'étais justement avec deux sénateurs en Polynésie dans le cadre de l'Ifrecor.
M. Robert Laufoaulu. - Mme Claireaux souhaitait que l'on parle des coraux...
M. Denez L'Hostis. - À Saint-Pierre-et-Miquelon, il s'agit de coraux froids, exclus du champ d'intervention de l'Ifrecor.
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition du général Pierre Chavancy, chef de la division emploi à l'État-major des armées et de M. Axel Moracchini, officier traitant « forces de souveraineté »
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Veuillez excuser l'absence du président Serge Larcher, souffrant. Vous comprendrez aussi tout particulièrement la raison du retard de cette audition : l'hommage rendu par le président du Sénat à nos soldats morts au Mali et en Somalie.
M. Pierre Chavancy, chef de la division emploi à l'État-major des armées. - Une précision sémantique pour commencer : au sein des forces pré-positionnées, il faut bien distinguer les forces de souveraineté dont nous allons parler, des forces de présence stationnées dans des pays étrangers avec lesquels nous avons passé des accords.
La réorganisation du dispositif militaire en outre-mer résulte tout d'abord du livre Blanc de 2008 qui a défini des orientations stratégiques nationales : la priorité donnée à la Guyane qui accueille le centre spatial de Kourou, l'attention portée aux enjeux de souveraineté liés à l'étendue de nos zones économiques exclusives et la nécessité d'un dimensionnement de nos forces strictement adapté aux missions militaires. Les armées conservent cependant la capacité d'intervenir en soutien de l'action de l'État dans les situations d'urgence ou pour pallier les déficiences capacitaires des autres administrations Pas moins de douze réunions interministérielles (RIM) ont été consacrées à la réorganisation du dispositif militaire outre-mer et à son articulation avec, notamment, les services du ministère de l'intérieur - gendarmerie et sécurité civile - et les douanes qui dépendent du ministère des finances.
Cette réorganisation procède aussi de la RGPP, qui a posé un objectif de réduction de 54 000 postes de l'effectif total des armées entre 2009 et 2014 ; nous y sommes presque. La copie prévoyant tout le chemin parcouru depuis 2008 n'avait pas été écrite par le seul ministère de la défense, elle était d'abord et avant tout une production interministérielle.
Pour le dispositif outre-mer, ces objectifs impliquaient initialement une réduction d'effectifs de 40 % à l'horizon 2011. Les 12 RIM ont affiné la cible et ramené la réduction à 23 % en 2020. Plusieurs principes généraux ont été retenus pour y parvenir, à commencer par un recentrage sur nos missions militaires maintenant notre capacité à intervenir en situation d'urgence et accompagné d'une réaffirmation des responsabilités régaliennes de chacun des ministères. La rationalisation de l'ensemble s'est faite selon une logique de théâtres : la zone Antilles-Guyane, marquée par la priorité donnée à la Guyane et la présence de points d'appuis aux Antilles, l'océan Pacifique avec une consolidation en Nouvelle-Calédonie et le maintien en Polynésie d'un dispositif essentiellement maritime du fait de l'importance de la ZEE, et enfin la zone Sud de l'océan Indien.
Il a été clairement arbitré au niveau interministériel qu'il n'y aurait pas de réduction des moyens militaires participant à l'action de l'État en mer. Nous avons dit ce que nous faisions et fait ce que nous avions dit. Cet objectif, que nous remplissons quantitativement et qualitativement, a été confirmé à l'issue du rapport du préfet Cayrel, dont les recommandations ont été reprises en septembre 2010 par le Secrétariat général de la mer.
Mme Karine Claireaux. - Pourquoi y a-t-il une zone Antilles-Guyane et non pas Atlantique, à l'instar de ce qui existe pour les autres océans ?
M. Pierre Chavancy. - Le centre spatial présente un enjeu stratégique non seulement pour la France mais pour l'Europe. Les enjeux et priorités pour la France de la zone Antilles - Guyane ont amené à ne pas les « diluer » dans une zone Atlantique aux enjeux déjà nombreux. Par ailleurs, la ZEE de Saint-Pierre et Miquelon fait partie de la zone maritime Atlantique sous l'autorité du commandant en chef pour l'Atlantique (CECLANT) basé à Brest.
M. Christian Cointat. - Il n'y a pas que dans le domaine militaire que l'on procède de la sorte, il en est de même pour les ambassadeurs régionaux. Je suis d'accord avec ma collègue, je défends Saint-Pierre-et-Miquelon !
M. Pierre Chavancy. - Ne m'accusez pas d'oublier Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour nous, militaires, la zone Antilles-Guyane concerne une grande part de l'activité, notamment du fait des opérations de lutte contre le narcotrafic (Narcops).
M. Jeanny Lorgeoux. - C'est une question de vocabulaire.
M. Christian Cointat. - Pas seulement.
M. Pierre Chavancy. - Nous sommes sur une ligne de baisse des effectifs de 23 % ; les 20 % seront atteints en 2014. Les marges de manoeuvre apparaissent maintenant étroites. Tout retour en arrière sur les arbitrages interministériels serait compliqué et ne pourrait certainement pas se faire à moindre coût.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Vos documents distinguent personnels civils et personnels militaires ?
M. Pierre Chavancy. - Oui, car dans ce type de réorganisation, la gestion des militaires est plus souple.
Pour mener à bien cette réorganisation, nous avons joué sur les formats capacitaires, créé les bases de défense et rationalisé les soutiens. Nous comptons sur les travaux interministériels pour atteindre la cible. Sur cette trajectoire, nous avons marqué une pause en 2012 et 2013 dans la réduction des effectifs des forces de souveraineté aux Antilles et en Polynésie. La question est aujourd'hui de savoir si cette pause prendra fin ou non en 2013.
La plupart des moyens aériens de la base aérienne du Lamentin a été transférée en Guyane et compensée par l'installation en Martinique d'aéronefs d'autres administrations. L'action de l'État en mer a effectivement été préservée, à une exception près : à La Réunion, le remplacement du patrouilleur austral Albatros n'est pas prévu. La diminution de l'effectif global outre-mer est supportée à hauteur de 45 % par l'armée de terre, de 30 % par l'armée de l'air et de 25 % par la marine. L'augmentation des effectifs de 7 % en Guyane s'accompagne nécessairement d'une discrimination négative ailleurs, et pas seulement dans les DOM-COM.
M. Jeanny Lorgeoux. - Il y a des choix.
M. Pierre Chavancy. - L'évolution des forces de souveraineté est en effet très liée à celle des forces de présence, sujet auquel il convient d'être très attentif, comme l'actualité nous le rappelle. L'essentiel du chemin ayant été parcouru, nous sommes engagés dans une canule dont il est extrêmement difficile de sortir. Nous pouvons tout au plus varier de quelques degrés vers le haut ou vers le bas.
À quelles difficultés sommes-nous confrontés ? Outre les contraintes budgétaires propres au ministère de la défense, une difficulté pourrait consister en la remise en cause des décisions arbitrées en interministériel. Au sein du pôle aéronautique étatique qui a remplacé la base aérienne du Lamentin, les ministères ont chacun une quote-part d'utilisation des installations. Que se passe-t-il s'ils ne veulent plus payer ? La question vaut aussi pour des structures comme le centre maritime commun de Polynésie. Les arbitrages interministériels ont été tellement difficiles à rendre que des retours en arrière pourraient compromettre tout l'édifice.
Même si la marine nationale est la seule à posséder une capacité d'intervention hauturière, l'action de l'État en mer est fondamentalement interministérielle. La capacité de surveillance des espaces de souveraineté ne se limite pas aux seules capacités aéromaritimes : il faut y ajouter, d'une part, les moyens satellitaires ou radars ou électroniques, et d'autre part, la présence de l'armée de terre sur certains territoires comme les îles Éparses. En particulier, les moyens maritimes militaires pré-positionnés seront à terme quantitativement égaux à ceux de 2008 et qualitativement bien supérieurs.
Quelles sont les possibles évolutions ? Sous réserve des options retenues par le prochain livre blanc, les risques et menaces sont a priori inchangés, ce qui devrait justifier un maintien de la priorité stratégique donnée à la Guyane. La contrainte budgétaire ne pourra que s'accroître, ce qui conduit à opérer de nouveaux choix - et choisir, c'est aussi renoncer.
Dans une hypothèse haute, nous aurions la possibilité de combler quelques lacunes, telles que la disparition de l'Albatros, et de compenser les réductions temporaires de capacités liés à l'âge de certains moyens. Cela demeurerait de toute façon limité et ne se ferait pas à moindre coût. Une hypothèse moyenne consisterait pour nous à rester sur la trajectoire actuelle sans mener ces actions correctrices. Enfin, dans une dernière option que je n'ose imaginer, il nous serait demandé de contribuer encore davantage à l'effort de réduction de la dette publique. Cela signifierait une réduction drastique de nos capacités outre-mer avec principalement la mise en place de « points d'accueil » centrés autour d'une base navale, à la fermeture des bases aériennes avec mise en place de pôles aéronautiques étatiques, l'armée de terre étant condamnée à un rôle restreint. Je précise que le service militaire adapté (SMA), relavant du ministère des outre-mer est une troupe « désarmée ». En cas de catastrophe ou crise grave, il fournit des bras et des moyens mais, ne peut assurer de protection en armes.
En conclusion, la réorganisation menée depuis 2008 se traduit par un recentrage des différents ministères sur leur coeur de métier. Elle ne se limite pas à une simple logique de moyens car ceux-ci demeurent cohérents avec les missions de chacun. De nombreux arbitrages interministériels ont été rendus : la pente n'est adaptable qu'à la marge et au moindre coût.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Y a-t-il des pistes de coopération avec les États riverains ?
M. Pierre Chavancy. - Nous faisons déjà beaucoup de choses dans ce domaine. La coopération avec les États-Unis aux Antilles-Guyane dans le cadre de Narcops est bien rodée et donne des résultats. Il est en revanche extrêmement difficile d'aller au-delà avec des pays ayant des systèmes juridiques différents du nôtre. S'engager dans certaines opérations avec des États où la peine de mort est en vigueur peut poser des problèmes politiques. Nous pouvons aussi nous trouver en concurrence avec les pays riverains. En 2003, j'avais vu, au collège de Macapá, pourtant proche de Saint-Georges-de-l'Oyapock, on ne discernait pas la Guyane française...
En Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, nous sommes en relation principalement avec la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis. Ces derniers, dont l'intérêt pour l'océan Pacifique est très net, nous font des appels du pied en nous demandant régulièrement où nous en sommes et de quels moyens nous disposons. La France conduit sa propre politique et ne souhaite pas être entraînée au-delà. Chaque commandant supérieur de zone a la responsabilité des relations internationales militaires et de la coopération opérationnelle militaire avec les pays riverains de sa zone.
M. Axel Moracchini, officier traitant « forces de souveraineté ». - Chaque commandant supérieur basé outre-mer mène en effet des actions de coopération opérationnelle militaire. En revanche, en matière de protection de nos ZEE, les actions sont relativement limitées. Dans le Pacifique, peu de choses sont faites en-dehors des accords France-Australie-Nouvelle-Zélande (FRANZ) d'assistance en cas de catastrophe naturelle ou de la coopération en matière de pêche que nous avons mise en place avec l'Australie.
Plus généralement, nombre de pays insulaires ne disposent guère de capacités hauturières et lorsque nous menons des actions de coopération militaire et de formation des garde-côtes avec les Comores et Madagascar par exemple, destinées à leurs permettre d'assurer le contrôle de leurs propres zones, c'est du temps et parfois des moyens de moins qui sont consacrés à la surveillance de nos ZEE. On ne peut donc pas vraiment compter sur la coopération internationale pour renforcer nos moyens.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Les transferts auxquels vous procédez entre les Antilles et la Guyane sont-ils uniquement justifiés par l'enjeu du centre spatial ou bien sont-ils aussi dictés par la lutte contre le pillage des ressources ?
Nous devons mieux protéger notre zone en Guyane, comme le Brésil et le Surinam le font. Je pense aux normes sur les tonnages de poissons ou les filets, mais aussi aux hydrocarbures. Cela dit, pourquoi ce désintérêt pour les Antilles ? N'y a-t-il pas aussi des enjeux dans les Caraïbes ?
Je m'interroge aussi sur vos moyens. En Guyane, les bâtiments de la marine, qui datent d'il y a trente ans au moins, sont plus ou moins bien entretenus. On prévoit de les remplacer, le calendrier sera-t-il respecté ? Le débat sur le recours à des bâtiments polyvalents, mieux adaptés à nos côtes, a-t-il été tranché ?
Pour finir, la coopération. Vous en avez globalement indiqué les limites. Je soulignerai, moi, l'insatisfaction de certaines professions devant le pillage de nos zones.
M. Pierre Chavancy. - La protection du centre spatial guyanais relève exclusivement de la défense tandis que l'opération Harpie, et c'est une différence majeure, constitue une opération interministérielle. Pour la conduire, le préfet s'appuie sur nos forces, mais aussi sur celles de la gendarmerie et des douanes.
Les frontières entre nos champs d'action sont parfois ténues, soit. Il y a néanmoins des lignes de démarcation claires. Dès qu'il s'agit de combattre le terrorisme, qu'il soit intérieur ou extérieur, cela relève de l'armée. Ce n'est pas le cas de la lutte contre la délinquance ; en tout état de cause, pas en tant que primo-intervenant et quand bien même cette délinquance est puissante et bien équipée. Je pense au quartier de la Crique à Cayenne à propos duquel les cabinets de l'intérieur et de la défense ont beaucoup échangé.
En clair, l'armée veut accomplir sa mission, toute sa mission, mais rien que sa mission. Et la raison ne tient pas seulement à la logique de réduction des coûts. La lutte contre la délinquance n'est pas notre métier.
Les sujets des hydrocarbures et de la pêche illégale ne nous ont pas échappé, les événements récents en témoignent d'ailleurs.
M. Jean-Étienne Antoinette. - Pourquoi ce retrait des Antilles ?
M. Pierre Chavancy. - Il a fallu faire des choix dans le livre blanc. Nous sommes pauvres, nous devons gérer la pénurie.
M. Axel Moracchini. - Pour la Guyane, les deux patrouilleurs de 400 tonnes ont 30 ans. Leur remplacement, décidé le 3 mai 2011 à Matignon, est planifié pour 2016 : il n'y aura pas de rupture de charge. Les nouveaux modèles, des patrouilleurs légers à faible tirant d'eau, posséderont des capacités bien supérieures.
Les Antilles n'ont pas été oubliées. Le dispositif y a été recentré sur « l'action maritime » et, en particulier, la lutte contre les trafics illicites hauturiers avec deux frégates de surveillance disposant chacune d'un hélicoptère auxquels il faut ajouter un patrouilleur de souveraineté et d'intervention maritime (BATSIMAR) de l'ordre de 1 000 tonnes à compter de 2018. Par ailleurs, un bâtiment de transport léger (BATRAL) est affecté aux Antilles.
M. Christian Cointat. - Je n'étais pas favorable à la suppression du service militaire avant de me laisser convaincre par M. Jacques Chirac. Oui, la France avait besoin d'une armée de métier moderne, opérationnelle et adaptée aux défis de demain. L'effort supposait un retour sur investissement. Hélas, la RGPP s'est ensuite invitée à la défense... Je l'ai déplorée dès le début, en dépit de mon appartenance à l'UMP, car je savais que l'outre-mer en pâtirait. Quel est le résultat ? Deux fois moins d'effectifs, des Transall qui ne fonctionnent presque plus et trois vieux Casa pour la Polynésie française ! Est-ce ainsi que nous apporterons à l'outre-mer la protection et la sécurité ? N'oublions pas non plus le soutien logistique. Le Haut-commissaire de Polynésie que j'avais rencontré lors d'un déplacement pour le Sénat m'avait assuré qu'il lui était indispensable pour venir au secours des populations en cas de catastrophe naturelle. Quand vos moyens sont réduits à la portion congrue, pouvez-vous encore remplir vos missions ? Entendons-nous bien, je ne vous reproche pas d'être responsable de cette situation, car il appartient aux politiques de prendre les bonnes décisions.
Les rumeurs sur un refus d'intervention dans le cinquième district des Terres australes et antarctiques françaises, autrement appelé les îles Éparses, sont-elles fondées ? Et Clipperton ? J'y suis particulièrement attaché pour être l'auteur de l'amendement qui leur vaut de figurer dans la Constitution. Cet atoll, une richesse pour la biodiversité, est aujourd'hui utilisé par des narcotrafiquants pour charger et décharger leurs marchandises. Ils y ont même construit une piste d'atterrissage ! Je pourrais également citer les pirates de l'Océan indien, même si les risques sont éliminés dans cette zone depuis qu'une mission y a été conduite.
Alors, vous répondrez certainement, par un oui, à la question que j'ai posée sur le caractère suffisant de vos moyens. Mais sera-t-il franc et massif ou nuancé ?
M. Pierre Chavancy. - Inutile de dire que je vous répondrai franchement car vous penseriez que j'ai quelque chose à cacher... Toujours est-il que ma réponse est oui, même si nous sommes en limite basse, parce que nos activités ont été recentrées sur les missions militaires. D'aucuns continuent de solliciter nos interventions par habitude, comme cela se pratiquait auparavant. Ainsi, le préfet administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna a sollicité notre participation à l'organisation des neuvièmes mini-jeux du Pacifique. Nous avons dû lui rappeler que le recours à des moyens militaires ne doit désormais être promu qu'en cas d'impossibilité de recours à des services civils. Cette règle est importante pour ne pas voir les armées accusées d'empêcher le développement et le bon fonctionnement de sociétés de services susceptibles d'assurer une prestation de même nature. Attention à l'accusation de concurrence déloyale ! Il existe des précédents douloureux, comme pour le trafic trans-îles à Mayotte.
M. Christian Cointat. - Qu'en est-il des îles Éparses et de Clipperton ?
M. Axel Moracchini. - Le Livre blanc de 2008 et sa déclinaison prévoyait un transfert des missions de présence permanente sur les îles Éparses, assurées par les armées, à d'autres administrations. Quel est le constat cinq ans après ? Aucune administration n'ayant manifester la volonté de reprendre ces missions, les armées continuent à assurer cette tâche. , environ 45 militaires effectuant 45 jours de rang une présence sur les trois îles. La mise en place s'y fait encore le plus souvent par Transall. C'est d'ailleurs le seul DOM-COM à disposer de ce type d'avion qui est en fin de vie, les autres étant consacrés aux opérations extérieures, notamment en Afrique. C'est dire la priorité donnée à cette région, une priorité qui coûte cher aux armées.
Puisque vous parlez des TAAF, évoquons le projet porté par le préfet concernant les bâtiments mutualisés multi-missions, le B3M Australe et le B3M Mozambique. Bien que ce sujet ait fait l'objet de nombreuses discussions et que le Secrétariat général de la mer l'ait remis sur la table en septembre, nous sommes loin du consensus interministériel. Si la défense payait, cela conviendrait à tout le monde. Malheureusement, cela n'est plus possible.
M. Christian Cointat. - Et Clipperton ?
M. Axel Moracchini. - Nous avons deux frégates de surveillance dans la zone Pacifique, nous en envoyons une à Clipperton au moins une fois par an. La surveillance satellitaire de Clipperton et des ZEE (Polynésie et Clipperton) sera très prochainement expérimentée. Le projet est piloté par la fonction garde-côtes.
M. Christian Cointat. - Excellent !
M. Éric Doligé. - L'UMP a un point commun avec les militaires : nous sommes disciplinés... Malgré les réductions de moyens, tenez-vous vos objectifs ? Il y a eu des changements de périmètres et le qualitatif, vous l'avez dit, peut remplacer le quantitatif...
Vous avez parlé de frontières à propos des champs d'action des différents ministères. J'évoquerai, moi, les frontières passoires de la Guyane et de Mayotte. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait privilégier une approche interministérielle et replacer votre action parmi celles des autres acteurs concourant à la sécurité ?
M. Pierre Chavancy. - Prenons la Guyane : l'armée dans son format actuel ne suffirait pas à étanchéifier ses frontières ! La seule solution, et c'est celle que met en oeuvre le préfet avec l'opération Harpie, est d'agir sur les flux en rendant la Guyane, et surtout l'orpaillage clandestin, moins attrayants.
M. Axel Moracchini. - Je le confirme : pour Mayotte et la Guyane, la seule solution est interministérielle et globale. Dans le précédent livre blanc, les responsabilités régaliennes de chaque ministère étaient réaffirmées en fonction des missions (militaires, de sécurité intérieure, de sécurité civile...). Cependant, le dimensionnement des services déconcentrés de l'État en outre-mer ne sont pas l'image de la métropole. À titre d'exemple, le ministère de la défense assurent plus de 80 % des missions incombant à l'État en mer, alors même qu'il n'est chargé à titre principal d'aucune des politiques publiques mises en oeuvre.. Tout cela est complexe et nous devons jongler en permanence entre les priorités à accorder à chaque mission au regard du volume de nos moyens.
M. Robert Laufoaulu. - Moi qui m'apprêtais à relayer la demande du préfet de Wallis-et-Futuna pour les mini-jeux du Pacifique, je suis un peu surpris. L'aide de la marine, très précieuse, nous a manqué sur un sujet plus grave. Le cyclone du 14 décembre dernier a arraché la toiture de plus de 400 maisons. On nous avait promis deux Casa et le BATRAL Jacques Cartier le lendemain. Finalement, l'aide s'est réduite à un seul Casa, l'autre ayant été envoyé aux îles Fidji en application de l'accord qui lie la France à cette république. Les tôles nous seront livrées seulement à la fin du mois de janvier, par des bateaux civils.
Cette diminution de la présence militaire française explique-t-elle le retour en force des États-Unis dans le Pacifique depuis 2010 ? Ce pays possède l'ambassade la plus importante de la région aux îles Fidji. L'accord sur la surveillance de la pêche illégale les inclut aux côtés de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de la France. Il y a de quoi s'interroger.
M. Pierre Chavancy. - A-t-on observé une baisse drastique des effectifs des armées outre-mer ? Oui, bien sûr ! La RGPP avait prévu 54 000 suppressions de postes, nous avons presque atteint cet objectif. Les forces de souveraineté ont contribué à cet effort à hauteur de 1 600 postes seulement. Cela peut sembler énorme, mais les DOM-COM, la Guyane en particulier, ont bénéficié de mesures de discrimination positive.
Le recentrage des Américains dans le Pacifique ? Vaste sujet politique lié, non à un défaut de France, mais à leur volonté d'être présent sur un théâtre dont ils sont riverains et pour lequel les enjeux futurs sont importants. Le positionnement par rapport à la Chine rentre également en ligne de compte. D'où l'installation d'une énorme base en Australie. Pour eux, nous sommes un allié qui compte et qui compte d'autant plus que, c'est mon avis, l'alliance n'est pas automatique. Dans le Pacifique, ils ne cessent de nous le dire, nous sommes une nation souveraine. Même si nous n'avons pas de groupe amphibie permanent à Nouméa, nous sommes l'armée française, une armée capable de faire ce pour quoi nous avons été mandatés. Voilà l'important à leurs yeux. Mais ce n'est pas parce que nos moyens diminuent que les Américains sont arrivés...
M. Axel Moracchini. - Nous faisons le maximum avec les moyens qui sont les nôtres... Nous avons prolongé le BATRAL de trois ans jusqu'en 2013 afin de tenir compte de la situation en Nouvelle-Calédonie. Idem pour un des patrouilleurs : deux ans de délai supplémentaire viennent d'être accordés, avec une prolongation éventuelle de trois ans à l'issue. Par ailleurs, des avions de surveillance maritime ont été conservés dans la zone Pacifique vue son étendue géographique, ce qui n'est pas le cas ailleurs.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Merci pour votre franchise. Nous sortons de cette audition peut-être un peu inquiets de savoir vos moyens si limités au regard de vos missions.
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition de M. Marc Rohfritsch, ingénieur divisionnaire de l'industrie et des mines, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Serge Larcher, président de la délégation, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement. Nous attendons de vous, monsieur l'ingénieur, un éclairage sur l'industrie des mines.
M. Marc Rohfritsch. - La direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, comme son nom l'indique, a pour mission de développer la compétitivité et la croissance des entreprises françaises. Elle est placée sous l'autorité du ministère de l'artisanat et de celui du redressement productif. Mon bureau, au sein du service de l'industrie, participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques industrielles dans leurs composantes sectorielles. À ce titre, nous animons la Conférence nationale de l'industrie, qui prendra bientôt le nom de Conseil ; nous soutenons les secteurs à forte valeur ajoutée et d'avenir ; nous accompagnons les secteurs en forte difficulté, et ils sont quelques-uns ; nous assurons une veille sectorielle et développons une connaissance fine du tissu industriel et d'autres actions transversales de soutien.
Mon bureau est compétent sur la production et la transformation des matériaux. Les matériaux, ce sont les plastiques, le caoutchouc et les composites, mais aussi les céramiques ou encore le bois, le papier et le carton et, naturellement, les métaux. L'exploration minière relève d'une autre direction. Cependant, pour ce qui concerne les ressources minérales, nous tâchons de mieux connaître et d'anticiper l'évolution de la demande industrielle, d'inciter les acteurs à mieux prendre en compte les risques qui pèsent sur leur approvisionnement et, enfin, d'actionner les bons leviers pour réduire la dépendance. Voilà le rôle que je joue sur le sujet qui vous occupe : l'exploitation des ressources minières marines profondes dans les zones économiques exclusives outre-mer.
Comment abordons-nous les besoins des industriels au sein du Comité pour les matériaux stratégiques, le Comes ? Quels sont les drivers ? Autrement dit, quelles sont les applications qui tirent les besoins ? La demande en métaux est en hausse, qu'ils s'agissent des métaux de commodité comme l'acier ou l'aluminium, ou des métaux plus stratégiques high tech. Ces derniers sont fortement liés au niveau de développement du pays.
Le mode de consommation des métaux dépend de trois grandes tendances sociétales : la sensibilité à l'éco-responsabilité, la hausse du prix de l'énergie et la recherche effrénée de technicité dans les produits. Il faut également citer les normes diverses et variées provenant de directives ; je pense à l'interdiction du Chrome 6, néfaste pour l'homme et l'environnement, ou encore à l'éco-conception et le recyclage.
Nos industriels dépendent pour leur approvisionnement de l'extérieur. Si on fait exception de l'or en Guyane et du nickel en Nouvelle-Calédonie, la France n'a pas de gisements de matériaux stratégiques, si bien que l'ensemble de la chaîne de valeurs peut potentiellement être affectée, par un effet domino, du fait d'une difficulté ponctuelle dans telle ou telle zone géographique. L'an dernier, nous avons conduit une étude sur deux filières particulièrement exposées : l'automobile et l'aéronautique. Ses résultats sont décevants, comme nous aurions dû nous y attendre, car les difficultés sont exactement celles sur lesquelles le Comes a buté. Les industriels ne veulent pas donner ce type d'information qu'ils considèrent très confidentielle. Et pour cause, ce serait afficher la vulnérabilité de leur entreprise. Tout cela pour expliquer que nous peinons à obtenir une vision agrégée de la consommation réelle de matériaux stratégiques en France.
Que faire pour réduire cette dépendance ? Nous avons réalisé des scénarios sur l'offre et la demande. Les premiers s'appuient sur des projections des valeurs de vente, l'impact des évolutions de marché - par exemple, l'augmentation des ventes de véhicules électriques - et l'estimation des effets de l'innovation sur le produit final. Pour l'offre, plus on va vers l'amont minier, plus nous sommes dans du temps long - il faut sept à dix ans pour ouvrir une nouvelle mine. Ce qui n'est pas vrai pour l'aval où les ajustements sont plus rapides. Nous tenons évidemment compte du recyclage, mais non des ressources marines parce que cela nous a paru prématuré.
Ces équilibres entre l'offre et la demande sont sensibles au rythme de démarrage des nouveaux marchés. Comment appréhender le moment où un nouveau marché démarre ? Prenons la transition énergétique, nous aurons peut-être alors grandement besoin de vanadium pour un stockage de masse de l'électricité. Autre exemple, le dysprosium, une des terres rares les plus stratégiques, qui entre dans la fabrication des aimants permanents indispensables pour le développement des éoliennes. Ces deux matériaux sont à surveiller de près, ainsi que le palladium et le platine. A contrario, l'offre est excédentaire pour le lithium et le restera demain. Nous avons effectué une étude sur dix métaux en 2012, elle est à la disposition des industriels.
Comment sécuriser l'approvisionnement des industriels ? La crise des terres rares, le tsunami au Japon et les inondations en Polynésie ont entraîné de fortes perturbations sur le marché des matières premières. Les acteurs industriels ont de plus en plus conscience des risques de dépendance, sans doute grâce au Comes. Cela dit, cette prise de conscience varie selon leur place dans la chaîne de valeurs : elle est plus élevée en amont, chez les mineurs et les transformateurs, qu'en aval.
Pour les acteurs aval, en revanche, le métal stratégique n'est que l'élément d'un alliage destiné à la fabrication d'un sous-composant : les préoccupations ne sont donc pas les mêmes. Reste que les perturbations dans la chaîne de l'approvisionnement ont poussé les industriels à se mobiliser et à participer au dialogue partenarial mis en place par l'État.
La crise des terres rares de 2011 a permis de mesurer les capacités de réaction industrielles, des stratégies de diversification de l'approvisionnement jusqu'à la constitution de stocks. Renault-Nissan a ainsi mis en place une stratégie volontariste de réduction des quantités de terres rares entrant dans ses composants. Un communiqué de presse de Nissan annonce que le moteur électrique de la Leaf utilise 40 % en moins de terres rares. Il en va de même pour les lampes basse consommation, où les terres rares sont remplacées par d'autres additifs. Autre exemple, le Japon, qui, en 2011, s'approvisionnait à 90 % en Chine, s'est tourné vers le Kazakhstan, l'Inde et le Canada, si bien que sa dépendance à la Chine est tombée, en 2013, à 50 %. Conséquence de tout cela, le marché de terres rares s'est retourné ; les prix, qui, au plus fort de la crise, avaient été multipliés par dix, se sont totalement dégonflés. Et les quotas restrictifs posés par la Chine pour 2012 sont restés très supérieurs à ce qui s'est réellement vendu ; ce fut, au regard de la stratégie agressive qui avait été la sienne en 2012, un véritable retour de bâton. Preuve que des contournements sont possibles, pour se protéger.
À quoi s'ajoute le peu de dynamisme de l'économie, qui a ses effets sur le front des matières premières. C'est, pour les pays dépendants, une opportunité à saisir : cela laisse le temps de se préparer à d'inévitables crises nouvelles. Il ne faut pas relâcher les efforts.
La France peut compter sur un tissu industriel d'importance et des organismes académiques et de recherche de premier plan, mondialement réputés. Tous ces acteurs doivent travailler à réduire les risques liés à l'approvisionnement. Ce qui exige la mise en place d'une démarche par filières, sous l'égide des pouvoirs publics, en lien avec les fédérations professionnelles. Tel est le sens de la création, en 2010, du Comes, et de son rapprochement en cours avec la Conférence nationale de l'industrie.
Les pouvoirs publics peuvent également apporter un appui ciblé. C'est ainsi qu'a été élaboré un outil d'auto-évaluation de la vulnérabilité des entreprises, en ligne sur le portail du ministère, qui vise à mieux sensibiliser les acteurs de terrain et doit jouer un rôle pédagogique auprès des PME. Dans le même ordre d'idées, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), publie, à la demande de sa tutelle, des panoramas sur les métaux rares, sources précieuses d'information sur leurs applications, les gisements existants, les filières industrielles concernées. Au-delà, lors du colloque sur les métaux stratégiques, le 16 octobre dernier, M. Arnaud Montebourg a appelé à la constitution d'un observatoire national de référence afin de mutualiser l'information sur l'approvisionnement en matières premières. Projet soutenu par les membres du Comes, qui ont rappelé la nécessité d'avoir accès à une information de qualité, à coûts mutualisés, via un portail public ou semi public, assurant également l'interface avec les initiatives européennes en ce sens.
Nous agissons aussi pour améliorer l'environnement général des entreprises. Ainsi en attestent l'évolution en cours du code minier, la protection face à la concurrence déloyale, le soutien à la recherche pour développer des compétences en géologie, en technique minière, en recyclage... Ainsi également des encouragements à mettre en place des filières de recyclage, à attirer des investisseurs étrangers, qui ont notamment débouché sur l'inauguration, en 2012, d'un projet industriel porté par Rhodia, à La Rochelle, pour le recyclage des terres rares contenus dans les ampoules basse consommation.
D'autres leviers peuvent venir du secteur privé ou du partenariat public-privé : stratégies d'achats groupés, comme l'Allemagne qui en a annoncé la mise en place ; constitution de stocks ; démarrage de nouvelles exploitations minières, prises de participation dans les entreprises minières, rapprochements client-fournisseur - bref, les stratégies classiques de sécurisation.
Les perspectives d'exploitation des ressources minérales profondes dépendent, pour conclure, du résultat des travaux de recherche actuels, destinés à mieux qualifier les ressources disponibles, à travailler sur les techniques d'exploration et d'exploitation industrielle et leur impact sur l'environnement. La rentabilité des exploitations à venir dépendra du prix du minerai sur le marché. Si les prix s'envolent, il faudra se poser la question de l'exploitation de mines terrestres aujourd'hui non exploitées faute de rentabilité, ainsi que de la recherche dans les profondeurs marines. Car il est une préoccupation stratégique première, celle de la souveraineté : si l'exploitation devait se trouver dans les mains de pays dont la politique n'est pas favorable aux intérêts de la France, il faudra diversifier, fût-ce en exploitant la ressource marine.
M. Éric Doligé. - Les ressources minières, depuis le nickel jusqu'à l'or, ne manquent pas outre-mer. D'où l'intérêt de notre délégation pour le sujet. À mon sens, la France manque d'une stratégie, peut-être du fait d'une méconnaissance des ressources et des besoins. À quoi s'ajoute la question de l'environnement, qui reste une pierre d'achoppement, même si j'ai bien compris, au travers de vos propos, que la recherche minière relève aujourd'hui davantage du ministère de l'industrie que de celui de l'environnement.
Reste que lorsque l'on évoque la question de la recherche minière en Guyane, on a l'impression qu'il faudrait mettre ce territoire sous cloche. Pas trop de recherche sur l'or, pour ne pas polluer, nous dit-on. Même chose pour le nickel : on s'est posé tant de questions que ce sont finalement les Canadiens qui ont mis la main dessus en Nouvelle-Calédonie. Quant au BRGM, il a laissé filer et ses mines, et sa recherche...
Avez-vous le sentiment que les choses évoluent, car nous souffrons de blocages qui nous sont un handicap au regard de nos concurrents ?
M. Marc Rohfritsch. - Vous posez la question de l'acceptabilité sociétale de la recherche minière. Je ne sais si les politiques s'infléchissent, mais je puis vous dire que le ministre du redressement productif est très volontariste. Il a, à plusieurs reprises, déclaré que s'il souhaitait que les ressources soient exploitées dans le respect indispensable des conditions de sécurité et de l'environnement, il ne voulait pas de moratoire, car la souveraineté de notre puissance industrielle est en jeu. Il a évoqué un démonstrateur de la mine propre, qui pourrait être de nature à changer le regard sur l'exploitation minière. Si l'activité minière n'a pas bonne presse, c'est aussi parce que le lien n'est pas suffisamment fait avec les produits d'usage courant qui en sont issus. On en reste au syndrome du Nimby, « Not in my backyard », qui n'est, au reste, pas spécifiquement français. Si bien que sur les gaz de schiste, la proposition Gallois, qui allait à maintenir la possibilité de quelques forages pour estimer les gisements et rechercher des techniques alternatives à la fracturation hydraulique n'a pas été retenue.
M. Éric Doligé. - Cela se fera ailleurs...
M. Marc Rohfritsch. - Sans doute, et si une technique plus acceptable voit le jour, nous avancerons. L'Allemagne a le même problème, mais elle a, en revanche, su relancer la mine, avec le soutien des pouvoirs publics et lancer ainsi la première phase de mise en production de petites mines pour la production de métaux. Preuve que les difficultés auxquelles se heurte la France ne sont pas insurmontables.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - N'y a-t-il pas conflit entre la logique productiviste du ministère du redressement productif et la logique de protection environnementale du ministère de l'environnement ? Vous avez évoqué la sécurisation de l'approvisionnement, qui peut passer par la diversification des partenariats, mais quelle doit être notre attitude à l'égard des pays qui ne respectent pas les normes environnementales et sociales ou qui font travailler les enfants dans les mines ? Existe-t-il des préconisations ?
M. Marc Rohfritsch. - La révision du code minier doit permettre de mener des activités d'exploitation dans le respect des conditions établies par la loi. C'est tout l'enjeu des discussions en cours que de réconcilier des objectifs qui peuvent paraître contradictoires, mais doivent pouvoir se concilier. Il est vrai cependant que l'organisation de l'administration centrale n'est peut-être pas optimale : les services en charge de l'industrie extractive et de la recherche de matières premières sont restés au ministère de l'environnement, où les avait placés la création du grand ministère Borloo, qui avait pris dans son giron énergie et matières premières. Avec l'alternance, l'énergie est revenue à l'Industrie, mais les matières premières non énergétiques sont restées à l'Environnement. C'est ainsi. C'est donc la direction de l'eau et de la biodiversité qui est chargée de faire la balance entre préoccupations environnementales et industrielles.
Oui, nous préconisons des partenariats avec d'autres pays pour assurer la sécurité des approvisionnements. Nous avons ainsi concrétisé un accord avec le Kazakhstan sur la filière titane. Une filiale d'Eramet, qui fabrique des pièces en titane pour Airbus, connaissait des problèmes d'approvisionnement, si bien que pour y remédier, un joint venture a été créé avec un partenaire Kazakh. Des discussions avec le Canada, l'Australie sont également en cours et une stratégie européenne commence à se dessiner, puisque la Commission européenne signe des accords avec de nombreux partenaires - le Maroc et la Tunisie récemment.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Existe-t-il des partenariats européens pour la prospection ?
M. Marc Rohfritsch. - Je ne suis pas le mieux placé pour répondre mais ils sont, à ma connaissance, assez rares. Je puis signaler la création, en Allemagne, d'une structure qui rassemble des entreprises utilisatrices de métaux rares dans la chimie, la sidérurgie ou l'automobile, comme BASF, Thyssen Krupp ou BMW, pour des appels à partenariats, sachant que l'Allemagne n'a pas d'opérateurs miniers. Eramet pourrait parfois être en situation de répondre à ce type de demandes.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur. - Il me reste à vous remercier de votre intervention, qui nous donne matière à poursuivre nos travaux.
Mercredi 16 janvier 2013
- Présidence de M. Georges Patient, président -La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Présentation par MM. Jean-Étienne Antoinette et Georges Patient, Sénateurs de la Guyane, d'une étude de législation comparée sur les régimes applicables en matière d'exploration et d'exploitation pétrolières offshore
M. Georges Patient, président. - Dans le cadre de notre réflexion sur les enjeux des Zones économiques exclusives (ZEE), nous avons demandé aux services du Sénat de réaliser une étude de législation comparée sur le régime applicable à l'extraction des produits minéraux tirés des fonds marins.
Je vais vous présenter aujourd'hui, en compagnie de mon collègue Jean-Étienne Antoinette, le résultat de la première partie de cette étude, qui concerne le régime juridique de l'exploration et de l'exploitation pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental.
Cette étude tend à nous donner, vous l'aurez compris, des éléments de comparaison utiles dans le contexte des recherches qui ont lieu au large de la Guyane et dans la perspective de la réforme du code minier que M. Tuot a d'ores et déjà évoquée devant la commission du développement durable en décembre dernier.
Une seconde partie de l'étude, présentée sous la forme d'une autre note, nous sera remise courant février. Elle concernera les évolutions du régime de recherche et d'exploitation des ressources minérales sous-marines : nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux. Elle intéressera donc plus directement des territoires français situés dans le Pacifique.
Afin de clarifier le propos, nous vous proposons un exposé à deux voix. Dans la première partie, je vous présenterai le cadre général et les principes qui déterminent le régime de la recherche et de la production pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental. Puis, dans un second temps, notre collègue Jean-Étienne Antoinette insistera sur les principales conclusions que la comparaison qui nous est proposée permet de tirer de l'étude des législations de l'Australie, du Brésil, du Mexique, du Royaume-Uni et de la Norvège.
Commençons par le cadre général et la définition de la ZEE, du plateau continental et du régime français qui y est applicable
En vertu de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, la ZEE s'étend au-delà de la mer territoriale jusqu'à 200 milles marins, soit 370 kilomètres des lignes de base. Ce chiffre est important car il suggère l'immensité du domaine couvert par ces zones pour la France.
La première carte qui vous est présentée montre l'extension des ZEE de l'ensemble des États du monde et celle de la France. À cette zone il convient d'ajouter le plateau continental qui s'étend jusqu'au rebord externe de la marge continentale. Il peut aussi être revendiqué par les États riverains. Sur ces deux aires, les États côtiers exercent des droits exclusifs : même s'ils n'exploitent pas eux-mêmes le tréfonds de la mer, nul ne peut en entreprendre l'exploitation sans leur autorisation. La loi n° 68-1181 du 30 décembre 1968 dispose d'ailleurs, pour la France, que toute activité entreprise sur ce plateau est subordonnée à la délivrance préalable d'une autorisation.
Ceci me conduit à vous rappeler les grands types de titres miniers qui sont délivrés dans notre pays en vertu du code minier. La législation de la recherche et de la production pétrolières françaises est incorporée - parfois plus mal que bien, j'y reviendrai - dans ce code minier, qui a été modifié à de nombreuses reprises et qui se trouve en cours de réforme.
Avant d'en venir aux titres miniers eux-mêmes, je souhaite vous rappeler l'existence de deux grands types d'activités dans les activités pétrolières :
- tout d'abord, l'exploration « préalable », qui est comme une première approche destinée à connaître les caractéristiques géologiques générales d'une zone ;
- puis l'exploration-production, qui est menée à bien dans une zone - on parle de « blocs à explorer et exploiter » - où existe une forte présomption de trouver du pétrole.
J'insiste sur la nécessité de lever toute équivoque sur la notion polysémique d'« exploration ». Selon les diverses législations étudiées, elle peut viser aussi bien des investigations « préalables » ou « superficielles » dont je viens de parler, que des recherches approfondies débouchant sur la production de pétrole, son « exploitation » qui viennent ensuite.
La France attribue, quant à elle, trois types principaux d'autorisations : l'autorisation de prospection préalable, le permis exclusif de recherche et la concession. Je les examinerai successivement.
L'autorisation de prospection préalable est accordée par l'autorité administrative sans mise en concurrence ni enquête publique et sans concertation locale, pour une durée qui ne peut excéder deux ans. Elle donne le droit non exclusif d'exécuter des travaux de recherches, à l'exception des sondages dépassant une profondeur de 300 mètres à partir du fond de la mer, mais ne permet pas de disposer du produit des recherches mis à part des échantillons ou des prélèvements. Elle permet d'effectuer une première approche du plateau continental pour savoir s'il serait intéressant d'effectuer des prospections plus approfondies. Elle permet d'accumuler des connaissances, des données qui pourront, du reste, être vendues à des explorateurs.
Le permis exclusif de recherche est accordé, après mise en concurrence, par l'autorité administrative compétente (le ministre au nom de l'État dans le cas général, et le président de la région en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion et à Mayotte) pour une durée maximale de cinq ans, sans enquête publique. Il est prorogeable deux fois de cinq ans sans nouvelle mise en concurrence.
Nous passons à la phase de production avec un dernier titre, la concession, qui est accordée après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du code de l'environnement et mise en concurrence, sauf dans le cas où elle est consécutive à l'obtention d'un permis exclusif de recherche. Seul le titulaire d'un tel permis a le droit, s'il le demande avant l'expiration de ce titre, à l'octroi d'une concession sur les gisements exploitables découverts à l'intérieur du périmètre du permis. La concession est accordée soit par le Premier ministre par décret en Conseil d'État, soit par le président de la région en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte.
D'une durée maximale initiale de 50 ans, la concession peut être prorogée sans que chaque prorogation puisse dépasser 25 ans.
J'ajoute qu'en vertu d'une disposition adoptée à mon initiative dans la loi de finances rectificative pour 2011, à compter du 1er janvier 2014, pour les gisements en mer situés dans les limites du plateau continental, les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux seront tenus de payer une redevance annuelle calculée sur la production. Elle sera déterminée en appliquant un taux progressif à chaque tranche de production annuelle. Ce taux sera fixé en fonction de divers paramètres : nature des produits, continent au large duquel est situé le gisement, profondeur d'eau, distance du gisement par rapport à la côte et montant des dépenses consenties pendant la période d'exploration et de développement, dans la limite de 12 %. Le produit de la taxe sera affecté pour 50 % à l'État et pour 50 % à la région dont le point du territoire est le plus proche du gisement.
Telles sont les principales caractéristiques du système français d'attribution des titres.
J'en viens à des considérations de nature plus « économique ».
En effet, en étudiant certaines des législations étrangères qui ont été votées au cours des dernières années, on constate que les pouvoirs publics de ces autres pays ont envisagé les diverses options qui s'offraient à eux pour l'établissement du cadre juridique, le plus souvent contractuel, des relations entre la puissance publique et les exploitants de champs pétrolifères.
Je m'inspirerai de plusieurs documents publiés par le Sénat du Brésil pour vous présenter les grands types de modes de gestion du pétrole.
Il existe dans le monde plusieurs grands « modèles » de gestion de la production pétrolière : le monopole, la concession et le contrat de partage de la production pour n'évoquer qu'eux. Je mentionnerai pour mémoire les contrats de service en vertu desquels une entreprise publique nationale rémunère une entreprise pétrolière pour une prestation donnée, et le contrat d'association ou joint venture par lequel une entreprise nationale crée un consortium avec d'autres entreprises.
Le monopole confié à une entreprise d'État correspond à une gestion directe par les pouvoirs publics.
La concession a, quant à elle, les caractéristiques suivantes :
- pendant une période donnée, tout le pétrole extrait appartient au concessionnaire ;
- en échange, le concessionnaire peut payer un « versement à la signature » (ce qui favorise les entreprises qui sont déjà des opérateurs du secteur, seules capables de verser celui-ci) ou chaque année des royalties en numéraire (et pas en pétrole) qui garantissent un revenu minimum à l'État calculé en fonction de la valeur du pétrole ;
En vertu d'un contrat de partage de la production :
- la propriété du pétrole extrait appartient à l'État ;
- l'exploitant perce les puits à ses frais et risques ;
- l'entreprise qui perce les puits est assurée, pendant une période donnée, de recevoir, en cas de succès, d'une part le remboursement en pétrole des coûts qu'elle a engagés et, d'autre part, une fraction de la production à titre de rémunération, l'État recevant l'autre fraction de la production.
La carte qui vous est présentée provient d'une étude récente réalisée au Brésil à l'occasion de la discussion de la loi sur les contrats de partage de production.
Elle montre les pays qui recourent à des systèmes qui s'inspirent du régime de la concession, ceux qui recourent à des contrats de partage de la production et, enfin, ceux qui recourent aux deux dispositifs.
Pour la réalisation de l'étude qui nous est soumise, on a choisi d'étudier cinq États divers, compte tenu des compétences linguistiques dont dispose le Sénat - l'étude repose sur des documents en langue originale, hormis pour la Norvège où l'on s'est fondé sur le texte en anglais publié par les autorités d'Oslo. Ont été retenus le Brésil, du fait de sa proximité avec la Guyane et du caractère innovant de sa législation ; le Mexique parce qu'il présente le cas original de maintien d'un monopole historique ; et enfin l'Australie, la Norvège et le Royaume-Uni, qui s'avèrent particulièrement actifs en matière d'exploitation pétrolière.
Je vous propose, avant de conclure mon propos, de souligner les grands thèmes qui me paraissent devoir être pris en compte dans la réflexion relative à l'évolution de la législation française sur la recherche et l'exploitation pétrolières.
La question primordiale est la suivante : existe-t-il un intérêt à disposer d'une législation pétrolière spécifique ? Ceux d'entre nous qui ont lu le code minier savent que les développements qu'il consacre au pétrole sont « noyés » parmi ceux relatifs au sable, à la marne et aux granulats...
Bref, que l'on s'interroge sur la façon dont il est lu par les professionnels... Il serait légitime de clarifier cette législation pour que les opérateurs, mais aussi les citoyens et les défenseurs de l'environnement sachent « sur quel pied danser ».
La seconde question qui saute aux yeux lorsque l'on étudie les législations étrangères est de savoir si les procédures de gestion du domaine minier qui peut contenir du pétrole sont assez incitatives : la loi facilite-t-elle la connaissance des ressources ? Encourage-t-elle leur exploitation ? Ou permet-elle le « gel » des zones accordées et la perpétuation de situations acquises ?
Corollaire de ces questions : de qui doit relever l'initiative de l'exploration pétrolière ? De l'État ou des entreprises ? Le sujet est loin d'être anodin puisqu'il traduit l'existence - ou l'absence - de politique en la matière.
Troisième grand « point de passage obligé », la nécessité de protéger l'environnement, qui constitue une préoccupation de base, unanimement partagée : il convient d'optimiser les conditions dans lesquelles les consultations relatives à l'autorisation de l'exploitation pétrolière sont menées.
Je vous rappelle que nous raisonnons ici sur des zones qui, si elles sont inhabitées et situées jusqu'à 370 kilomètres des côtes, peuvent avoir une grande importance pour la pêche, pour les activités côtières mais aussi pour la biodiversité et la vie des mammifères marins. À l'ère de la transparence, les modalités d'information, de consultation et de contribution du public aux procédures d'autorisation sont donc essentielles.
Le quatrième volet qui m'apparaît incontournable concerne le degré de concurrence qu'il convient d'instituer entre les opérateurs. Nous verrons qu'il s'agit d'une préoccupation d'intensité variable selon les pays. Sur ce point, le législateur doit arbitrer entre la volonté de préserver les intérêts de l'État et celle de développer l'activité économique. L'expérience prouve en effet que les États ne peuvent se désintéresser de la gestion du « cycle de vie » des champs pétroliers, des sondages « d'exploration » au démantèlement des plates-formes. Il est par conséquent nécessaire de prévoir les conditions dans lesquelles, sans se substituer à l'initiative privée, l'État peut « réguler » l'exploitation pétrolière et les modalités concrètes des opérations sur le terrain.
Enfin, la dernière préoccupation qui m'apparaît incontournable est celle qui concerne les retombées de la « rente » pétrolière sur les collectivités et sur les populations des régions côtières. Je sais, du reste, que cette préoccupation est partagée par plusieurs de nos collègues, dont mon ami Jean-Étienne Antoinette à qui je cède la parole afin qu'il nous présente de façon détaillée les conclusions de l'étude des législations des cinq États qui ont été analysées.
M. Jean-Étienne Antoinette. - Comme l'a rappelé Georges Patient, la note qui nous a été remise présente le régime de l'exploration et celui de l'exploitation dans la ZEE et sur le plateau continental dans cinq États : deux situés en Europe (la Norvège et le Royaume-Uni), deux en Amérique (le Mexique où prévaut un monopole public et le Brésil), ainsi qu'un dans le Pacifique (l'Australie).
Les préoccupations qui inspirent le législateur varient, selon les pays, compte tenu de l'état des connaissances sur les ressources pétrolières et leur niveau d'exploitation, c'est-à-dire la « maturité » du domaine minier.
Cette note n'aborde pas certains sujets tels que le transport ou le stockage des hydrocarbures et les régimes de l'extraction du gaz. Elle n'évoque pas non plus la législation applicable aux activités d'exploration ou d'exploitation elles-mêmes (mesures de sécurité et de prévention des risques de pollution ou autorisations de travaux...), celle qui concerne le démantèlement des installations de production ni même le régime de responsabilité en cas d'accident ou de dommage à l'environnement. On peut regretter enfin qu'elle n'étudie pas le régime fiscal du secteur pétrolier (régime des investissements, des provisions...) sur lequel il semble que les études fassent défaut. Il s'agit d'un sujet important car il faut mettre en place un régime fiscal sérieux.
L'étude se focalise donc sur la législation applicable aux procédures d'autorisation de l'exploration et de l'exploitation, qui relève, dans les cinq pays choisis, de textes spécifiques.
Dans ces cinq cas, les relations contractuelles entre l'État et les exploitants sont régies par des contrats de concession, en vertu desquels l'exploitant reçoit la propriété de la production (les licences accordées en Australie, au Brésil hors de la zone du Pré-Sal, en Norvège et au Royaume-Uni peuvent se rattacher à la catégorie des concessions) et de partage de production entre l'exploitant et l'État (Brésil dans la zone du Pré-Sal). Le Mexique fait figure de cas particulier puisqu'il exerce un monopole par l'intermédiaire de son opérateur public, PEMEX (Petróleos Mexicanos), qui peut tout au plus conclure des contrats de prestation de services avec des tiers.
L'Australie est le seul des cinq pays où les titres pétroliers sont délivrés par une « instance commune » composée du ministre fédéral chargé de l'Énergie et de celui de l'État fédéré concerné, qui statue sur la base d'un avis rendu par un service technique national. Dans les quatre autres États, les titres sont délivrés au niveau fédéral (Brésil et Mexique) ou national (Norvège et Royaume-Uni).
L'analyse des cinq cas étudiés montre notamment que le recours à une législation spécifique claire est un indice de l'importance assignée à la production du pétrole par la politique énergétique.
Quelles que soient leurs différences de contenu, ces cinq législations ont en commun de recourir à une ou des loi(s) pétrolière(s) spécifique(s) traitant de l'exploration et de l'exploitation, depuis la prospection préalable jusqu'à la restitution des gisements. Tous les États n'ont pas choisi ce système : la France et les Pays-Bas, pour ne prendre que leur exemple, ont inséré le régime pétrolier au sein d'un code minier « généraliste ».
Quoi qu'il en soit, les cinq textes étudiés évitent les équivoques et déjouent les confusions entre les hydrocarbures et les autres substances minières, permettant une lisibilité effective, y compris pour les non-spécialistes du droit minier.
C'est ainsi que le contenu des obligations de l'exploitant figure dans un document type prévu par la loi ou le règlement en Australie, en Norvège et au Royaume-Uni, dans la loi et le projet de contrat de partage de la production au Brésil. En d'autres termes, l'opérateur peut aisément savoir, dans ces États, ce à quoi il s'engage...
La volonté d'écrire une loi claire - même si elle est très volumineuse comme en Australie - montre que, loin d'être seulement technique, la législation pétrolière semble traduire dans les cinq cas étudiés la volonté politique de développer le secteur pétrolier.
Il existe donc une relation entre la « substance » de la loi et la volonté des pouvoirs publics de développer le secteur de l'extraction pétrolière.
Ce constat est également illustré par l'observation que la gestion des gisements pétroliers passe par l'incitation à l'exploration.
La délimitation de l'ampleur du domaine maritime exploitable repose notamment sur la transparence de la procédure d'ouverture des « blocs », dans le cadre de mises aux enchères à échéances régulières, le plus souvent annuelles, comme en Australie, ou encore la mise en oeuvre d'une politique définie par des instances chargées de la politique énergétique nationale comme au Brésil ou encore par l'administration nationale. C'est ainsi qu'en Norvège les nouveaux « blocs » ne sont ouverts à l'exploration-production qu'après consultation du Parlement.
De la même façon, le paiement de droits superficiaires qui incitent les exploitants à ne conserver que le minimum de zones utiles évite le « gel » de ces superficies. Le cas est illustré en Australie, au Brésil et au Royaume-Uni.
Si l'initiative de l'exploration peut relever des entreprises, celle de l'attribution de « blocs » pour la production pétrolière relève de l'État dans les cinq cas considérés.
Dans le système français, ce sont les opérateurs qui demandent des permis pétroliers. De même, l'initiative relève du secteur privé pour la phase d'exploration préalable en Norvège et au Royaume-Uni. En revanche, c'est la puissance publique qui décide du lancement d'une procédure de mise en concurrence pour le choix d'un explorateur en Australie. S'agissant du choix d'un exploitant, c'est également la puissance publique qui le désigne en Norvège et au Royaume-Uni, tout comme au Brésil et au Mexique, dans ce dernier cas par l'intermédiaire d'une société nationale, PEMEX.
On constate également que le souci de protéger l'environnement en assurant l'information et la participation du public est unanimement partagé, encore qu'à des stades divers des procédures.
Commençons par ce qui concerne la protection en matière d'environnement. Quel que soit le régime juridique d'exploitation retenu, les cinq législations étudiées mettent l'accent sur la protection de l'environnement. Cependant, la prise en compte des questions environnementales survient à des stades divers au cours du long processus qui va de l'exploration préalable jusqu'à la production de pétrole brut et même jusqu'au démantèlement après épuisement du gisement.
Les procédures environnementales peuvent se dérouler :
- lors de la détermination des zones dans lesquelles l'exploitation pétrolière est soit interdite, soit soumise à restrictions comme au Brésil et au Mexique ou encore avant la publication de la liste des « blocs » susceptibles de faire l'objet d'une exploration, comme en Australie et en Norvège, ou d'une exploration-exploitation, comme au Royaume-Uni ;
- avant la délivrance d'une autorisation d'exploration en Australie ;
- avant l'octroi de l'autorisation d'exploitation : en Norvège, au Royaume-Uni et au Mexique (où les demandes d'autorisation sont publiées sur le site du ministère de l'Environnement) et en Australie ;
- et, enfin, à l'occasion de la délivrance de trois autorisations environnementales successives (préalable, d'installation et opérationnelle) au Brésil.
S'agissant de l'information et de la participation du public, les cinq cas étudiés ménagent des procédures de consultation du public :
- soit lors de la préparation de l'étude environnementale préalable à l'ouverture des « blocs », comme en Norvège et au Royaume-Uni ;
- soit avant la rédaction de la version définitive des études de zone sédimentaire qui déterminent les secteurs où l'exploitation pétrolière est possible, comme au Brésil ;
- avant la préparation par l'exploitant du « plan environnemental » qui précède l'attribution d'un titre en Australie ;
- après la publication de la demande et avant l'octroi d'une autorisation, à la demande de quiconque au Mexique ;
- et, enfin, avant l'octroi de l'autorisation d'exploitation en Norvège et au Royaume-Uni.
Ces procédures utilisent les moyens traditionnels de publicité comme la presse, mais aussi les nouvelles technologies de l'information et Internet.
La mise en concurrence pour le choix des opérateurs est, en revanche, une préoccupation d'intensité variable.
Hormis au Mexique, où l'État, on l'a déjà dit, est dans une situation monopolistique, on recourt à la mise en concurrence pour l'attribution des concessions des licences, en Australie, en Norvège et au Royaume-Uni et pour celle des contrats de partage de la production au Brésil.
Je souhaiterais, à ce stade, insister sur la situation très particulière du Brésil où, par dérogation à la loi pétrolière qui prévoit le recours à des concessions, une loi de 2010 a prévu que l'on pourrait, dans la zone du Pré-Sal, signer des contrats de partage de la production.
En effet, le Brésil a fait d'importantes découvertes pétrolifères en haute mer, dans la zone dite du « Pré-Sal ». Comme vous le montre la carte qui vous est présentée, cette zone se trouve face à Rio de Janeiro et São Paulo. Les champs pétrolifères sont situés jusqu'à 340 kilomètres de la côte (300 kilomètres précisément pour le puits de Tupi, l'un des premiers en service). Comme vous le montre un autre schéma, les hydrocarbures se trouvent sous une profondeur d'eau de 2 200 mètres, protégés par une couche de sel dont l'épaisseur peut atteindre 2 200 mètres, entre 3 et 5 kilomètres du fond.
L'exploitation de tels gisements relève donc de l'exploit technologique et nécessite une forte incitation. C'est pourquoi le législateur brésilien a permis le recours aux contrats de partage de production pour cette seule zone. Pour le moment aucun contrat n'a été passé, mais on pense qu'un premier appel d'offres pourrait être lancé en 2013.
Précisément, des procédures de mise en concurrence sont prévues avant l'exploration-recherche en Australie et avant l'exploitation-production au Brésil, lors de la publication du projet de contrat de partage de production et avant l'attribution des licences dites de production en Norvège et au Royaume-Uni.
Norvège et Royaume-Uni ne prévoient du reste cependant pas de mise en concurrence pour la délivrance des autorisations (non exclusives) d'exploration préalable.
Les cinq États considérés contrôlent les modalités de recherche, de développement et de production des gisements.
L'intervention de l'État passe en premier lieu par le contrôle de la gestion des gisements. C'est à ce titre que les États se réservent le droit d'intervenir afin d'assurer la gestion optimale des ressources :
- soit en confiant celle-ci à leur opérateur national (Mexique) ;
- soit en astreignant les entreprises signataires des contrats de partage de production à constituer des consortiums avec leur opérateur historique dans le cas du Brésil ;
- soit en exerçant un contrôle approfondi sur les plans d'exploration, de développement et d'exploitation des gisements et les investissements en Australie, au Royaume-Uni et en Norvège ;
- soit en fixant le programme de travail minimum et les investissements estimés correspondants au Brésil ;
- soit encore en prévoyant des délais maximum de déroulement de l'exploration préalable à la production, assortis d'obligations de restitution des zones momentanément dévolues aux opérateurs comme en Australie, au Brésil et au Royaume-Uni.
L'Australie prévoit même de retirer la licence en cas de non exploitation pendant une période continue d'au moins cinq ans.
En ce qui concerne l'exclusivité des permis, un sujet dont nous avons parlé à plusieurs reprises, il faut distinguer :
- le niveau de l'« exploration préalable » où l'Australie garantit une exclusivité à l'explorateur sur une zone ;
- et le niveau de l'« exploration-production » au stade duquel les cinq États considérés garantissent l'exclusivité des droits de l'explorateur en liant, dans un seul contrat, l'exploration et l'exploitation.
Les États se livrent de surcroît à une gestion « fine » du cycle de vie des titres miniers et manifestent la volonté d'adapter la législation aux différentes phases de l'exploitation pétrolière.
La loi britannique, qui s'en tient à l'attribution d'une seule licence, dite de production, pour effectuer toutes les opérations nécessaires sur un champ pétrolier, décline cette licence en quatre grandes « sous-catégories », dotées de phases et de durées variables adaptées à la vie des différents types de champs pétroliers.
En Norvège et au Royaume-Uni, la licence confère un droit exclusif d'exploitation du pétrole mais n'interdit pas l'attribution à un tiers de droits d'exploration ou de production d'autres substances, si cela n'occasionne pas de préjudice déraisonnable au titulaire initial dans le premier cas et avec son accord dans le second.
Pour éviter toute rupture entre les phases de recherche et de production, l'Australie reconnaît à l'explorateur un titre transitoire, la « déclaration de localisation », qui permet à son titulaire, une fois que l'administration l'a acceptée et l'a publiée, de passer d'un permis d'exploration à une licence de production sans nouvelle mise en concurrence.
Sans prétendre à l'exhaustivité, on observe aussi des dispositions qui permettent la modification des titres miniers avec :
- la possibilité d'amodier un programme de travail d'exploration au-delà des trois premières années avec l'accord de l'administration en Australie ;
- le droit d'obtenir un « bail de conservation » d'un « bloc » dans lequel du pétrole a été trouvé et dont l'extraction n'est pas commercialement viable mais qui pourrait le devenir dans un délai de 15 ans en Australie ;
- la division de la licence de production britannique en phases dont les objectifs doivent être successivement atteints ;
- et la faculté d'opérer la cession d'une licence de production sous réserve de l'autorisation des services compétents en Australie, au Brésil, en Norvège et au Royaume-Uni.
Le partage de la « rente » pétrolière concerne aussi bien l'État que les collectivités territoriales.
Parmi les cinq législations pétrolières étudiées - qui n'excluent nullement l'existence d'un régime fiscal spécifique des activités de production-commercialisation d'hydrocarbures -, seule la législation brésilienne prévoit des dispositions financières détaillées et le versement aux collectivités territoriales d'une fraction des recettes issues des concessions, une partie de celles consécutives aux contrats de partage de la production étant versée à un fonds de développement social et régional.
Il serait aussi intéressant d'identifier le rapport entre le partage de la rente ou celui de la compétence pour délivrer les titres miniers et les obligations des collectivités concernées. On peut se demander si celui qui délivre le titre contrôle l'activité d'exploitation, touche une rente pétrolière et se voit imputer la responsabilité en cas de dommage d'un exploitant défaillant.
Les lois d'Australie, de Norvège et du Royaume-Uni prévoient, quant à elles, le versement de redevances superficiaires à l'État.
Telles sont, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer de l'étude de ces législations étrangères. Je crois que la principale leçon qui saute aux yeux est que, dans la réforme du code minier qui est en préparation, une attention majeure doit être apportée à la recherche et à l'exploitation des ressources pétrolières de notre territoire.
Présidence de Mme Catherine Tasca, vice-présidente
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? Audition de M. Patrick Romeo, président de Shell France
Mme Catherine Tasca, présidente. - Notre président Serge Larcher est malheureusement retenu chez lui pour des raisons de santé. Je souhaite la bienvenue à M. Patrick Romeo, président de Shell France, qui nous avait rendu une première visite le 31 mai 2012 pour nous présenter le projet d'exploration pétrolière mené au large de la Guyane. Cette audition avait duré plus de deux heures sans parvenir à épuiser l'ordre du jour ni étancher notre curiosité ; nous étions alors convenus de nous revoir quand l'exploration offshore aurait progressé.
Nous aborderons aujourd'hui, outre les enjeux de l'opération qui nous avaient exclusivement occupés en mai, la question des retombées économiques et sociales pour la Guyane, notamment en termes d'emplois.
Au-delà des opérations en cours et des questions relatives à la zone économique exclusive dans les outre-mer, nous aborderons enfin la réforme du code minier qui sera bientôt discutée au Parlement. Selon vous, convient-il d'aménager une lisibilité spécifique au sein du code minier à l'exploration et l'exploitation des produits pétroliers ?
Mais dans un premier temps, vous voudrez bien nous dresser un bilan des deux forages que vous avez réalisés, notamment sous l'angle environnemental, puis nous livrer les perspectives retenues pour 2013 en matière d'exploration.
M. Patrick Romeo. - Le projet est entré dans sa phase active en 2010 : l'exploitation des données sismiques a permis l'identification de la cible à forer. Un premier forage, dit GM-ES-1 a été réalisé en 2011, qui a permis la découverte de pétrole dans une grappe de bancs de sable enfouie à 4 000 mètres sous terre. L'existence d'hydrocarbures, d'un réservoir de bonne qualité et d'un système étanche pour le préserver, nous a été confirmée. Un deuxième forage sur la même grappe a été réalisé à 5 km à l'ouest et en amont du premier. Le succès technique a été complet : les travaux se sont déroulés conformément au programme, et aucun accident n'a été déploré. La profondeur de 6 200 mètres a été atteinte le 3 décembre 2012 mais le réservoir cible s'est révélé vide d'hydrocarbures.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Les investissements devaient être particulièrement lourds... La perte sèche s'élève à combien ?
M. Patrick Romeo. - Oui, mais c'est la logique d'une telle exploration : la probabilité de succès est faible. Ce n'est que l'addition de tous les forages qui indique ou non si un gisement est commercialement exploitable. Et un forage, c'est 20 % de chances de succès... Nous avons été moins chanceux avec le deuxième, mais nous poursuivons nos recherches. Nous avons rebouché le puits, conformément au programme approuvé par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal).
Le 27 décembre dernier, notre navire s'est approché de la zone d'un troisième forage, baptisé « Priodontes » sur une grappe de réservoirs à 11,6 kilomètres du précédent. Le navire, non amarré, est positionné dynamiquement au-dessus d'une colonne d'eau de 1 793 mètres par satellite et par sonar. La tête de puits et le bloc obturateur de puits sont installés, ce qui a permis de démarrer le forage à l'abri du milieu marin. Nous espérons atteindre les zones cibles dans les mois qui viennent. Pour que ce forage annonce l'exploitation commerciale d'un gisement, la quantité et la qualité du pétrole doivent être suffisamment élevées, et le coût de l'extraction suffisamment bas. À cet égard, un grand réservoir de pétrole unique est plus avantageux que plusieurs petits.
Nous avons mené plusieurs campagnes sismiques en 2012. Nous procédons actuellement à l'interprétation des données qu'elles ont permis de récolter, afin d'améliorer notre connaissance des sous-sols et de définir notre politique de forage à compter de mi-2013. Nous avons connu la déception après un premier succès, ce qui ne remet rien en cause, mais nous encourage au contraire à poursuivre sereinement notre travail. J'ajoute que dans le cadre de l'autorisation de procéder à des campagnes sismiques, nous avons décidé avec l'ensemble des parties prenantes de mener six campagnes de prélèvements halieutiques ces prochaines années pendant les saisons des pluies et sèche afin de mieux connaître les ressources. La dernière a eu lieu du 2 au 11 décembre 2012 avec la participation d'armements guyanais.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Avez-vous des éléments de coût à nous communiquer ? Quels investissements avez-vous consenti, pour quels résultats probants ?
M. Patrick Romeo. - Le coût est fonction de la durée de forage. Près de 450 personnes travaillent sur ces opérations, et le coût des matériels est très lourd. Les statistiques du commerce extérieur font état d'1 milliard d'euros de location d'équipements de longue durée. Le chiffre couramment avancé est de plus d'un million de dollars par jour. On pense souvent - les Guyanais nous le disent - que si l'on fore, c'est que l'on sait pouvoir trouver du pétrole : c'est faux ! Nos techniques nous permettent d'identifier des réservoirs cibles, mais les hydrocarbures sont situés à des profondeurs telles que nous devons forer pour savoir ce qui s'y trouve. À l'endroit du deuxième forage, il y a eu des hydrocarbures, mais je rappelle que ceux-ci ont tendance à remonter naturellement vers la surface sur une échelle d'environ 100 millions d'années. Et que l'on trouve ou non du pétrole, il faut de toute façon acquitter l'ensemble des coûts générés par les opérations. L'investissement est donc cher, mais il est consenti, d'ailleurs uniquement par le privé. C'est une façon qu'a le privé d'identifier le patrimoine de l'État - car je rappelle que les ressources appartiennent à ce dernier - en espérant simplement obtenir une concession d'exploitation du gisement. Les ressources sont ensuite réparties entre la collectivité et l'investisseur.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Vous avez rappelé les deux conditions à remplir pour qu'un gisement soit rentable. Quelle quantité d'hydrocarbures avez-vous découvert lors du premier forage ?
Nous avons eu en mai dernier un débat sur votre technique nouvelle de forage. Peut-on en tirer les enseignements, notamment en matière de rejets ? Vous savez que la réglementation précise qu'ils ne doivent pas dépasser 5 %.
M. Patrick Romeo. - Nous avions estimé les réserves découvertes lors du premier forage à 300 millions de barils. Nous n'avons pas plus d'informations à l'heure actuelle. En toute hypothèse, il en faut davantage pour envisager un développement commercial.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - À quel niveau se situe la rentabilité économique ?
M. Patrick Romeo. - Elle dépend de la quantité et de la qualité du pétrole, du coût d'extraction, ainsi que de l'environnement fiscal. Aujourd'hui, nous n'avons de certitudes sur aucun de ces trois éléments. Nous savons simplement qu'il y a du pétrole, la présence d'un réservoir étant en soi un événement géologique non négligeable. Nous ne sommes qu'au début du processus. Trois autres forages sont prévus à partir de 2013 : celui actuellement en cours, ainsi que deux autres à venir.
Un mot sur les fluides de forage. Le premier forage a été réalisé avec de l'eau qui, mélangé à l'argile sec environnant les couches traversées, a créé un mélange visqueux qui a failli nous contraindre, à trois reprises, à abandonner. Imaginez-vous percer du béton avec une mèche à bois... Décidés à ne poursuivre les opérations qu'avec les outils adaptés, nous avons obtenu la possibilité d'utiliser des fluides synthétiques de forage, non toxiques et plus performants dans l'argile. Ces nouveaux outils ont permis de réaliser un deuxième forage de grande qualité : interrompu pour cause de courants marins, il a pu être repris dans un second temps, chose impensable avec l'eau utilisée auparavant ! Comme nous y étions tenus, nous avons fait réaliser le bilan des opérations par un tiers. Ses conclusions, favorables, doivent à présent être expertisées par un autre tiers afin d'être validée ensuite par l'État.
J'insiste sur ce point : il n'y a pas eu de rejet de pétrole ou de fluides en mer. D'abord, les fluides coûtent une fortune, nous n'avons aucun intérêt à les rejeter. Ensuite, les seuls rejets sont des remblais nettoyés dans le navire.. Le taux de 5 % de fluides de forage contenus dans les rejets de déblais en mer a été plus que respecté, puisque la teneur réelle avoisinait 1,5 %.
Mme Aline Archimbaud. - Trois questions : quelle profondeur le premier forage a-t-il atteint ? Qui est le tiers chargé d'expertiser vos opérations ? Enfin, lors de la dernière audition, vous aviez évoqué que ce niveau de 5 % était une source de toxicité : auriez-vous changé d'avis ?
M. Patrick Romeo. - Les fluides de forage sont conçus et testés préalablement, et classés par la législation européenne comme non toxiques. Du reste, l'eau de forage elle-même n'est pas pure, puisqu'elle contient des additifs, des huiles de forage. La question de sa toxicité ne se pose pas moins. Le seuil de 5 % est une norme fixée par l'État, car il faut bien positionner la limite quelque part. Même si la toxicité était reconnue nulle, nous aurions besoin d'une norme pour évaluer l'efficacité des opérateurs. Dans notre cas, nous avons fait bien mieux que cette norme grâce aux excellentes capacités de traitement de notre navire de forage. Nous restons persuadés que les fluides synthétiques sont le meilleur choix possible en termes d'impact, car plus vous forez vite, moins vous restez, donc moins vous rejetez.
La profondeur du premier forage était de 6 000 mètres. C'est un peu moins profond que pour le second mais nous y sommes restés plus longtemps. Nous avons pris le temps d'extraire des échantillons de roches et de pétrole.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Le préfet pourrait donc prendre des arrêtés fixant la limite des rejets autorisés à 3 % plutôt qu'à 5 % ? À vous entendre, l'approche en la matière pourrait aisément être réévaluée.
En outre, quelle réponse faites-vous aux marins-pêcheurs qui dénoncent le manque d'études concernant les ressources halieutiques ?
M. Patrick Romeo. - Les fluides ne sont pas toxiques, ce qui signifie que nous pourrions théoriquement retenir un taux de 100 % ! La norme existe toutefois pour s'assurer que l'on ne rejette pas n'importe quoi n'importe comment. Les outils utilisés lors du forage du premier puits n'auraient pas permis d'atteindre les bons résultats obtenus lors du deuxième. Le chiffre de 5 % a été retenu parce qu'il est rond, mais il n'a pas de justification scientifique. J'ajoute que la France est un des pays les plus stricts en la matière. J'ai défendu, sans succès, l'idée que cette norme était un peu excessive eu égard à ce qui est pratiqué ailleurs. En définitive, il faut savoir être raisonnable.
Un mot sur les ressources halieutiques : la connaissance du milieu marin de la Guyane, à 150 km des côtes en tout cas, n'est que peu étoffée. À ce jour, notre impact environnemental équivaut à la présence de n'importe quel navire - même si nous sommes présents plusieurs mois. La question se poserait différemment dans le cas d'une installation pour trente ans d'une plate-forme d'extraction des hydrocarbures. Nous avons créé un groupe de travail et de recherche piloté par des scientifiques de Guyane, pour étudier ces questions dans l'hypothèse d'un développement commercial.
Mme Aline Archimbaud. - Le tiers chargé d'expertiser vos opérations, qui est-ce ? Est-ce une société désignée par l'État ?
M. Patrick Romeo. - Son nom m'échappe. Pour le désigner, l'État doit choisir parmi les propositions que nous lui avions faites.
Mme Aline Archimbaud. - Son bilan est-il public ?
M. Patrick Romeo. - Il sera remis à l'État et je suppose qu'il sera consultable. Le rapport ne fera pas qu'évaluer les travaux entrepris : il formulera également des pistes pour diminuer les taux de rejets par exemple.
Mme Catherine Tasca, présidente. - Vous avez annoncé que deux autres forages étaient prévus en 2013 : avez-vous des précisions à nous communiquer sur vos travaux de prospective ?
M. Patrick Romeo. - Nous avons fait une déclaration d'ouverture de travaux, qui définit l'emplacement de nos trois prochains forages. La législation nous impose de communiquer le lieu de leur réalisation. Suite aux résultats du dernier forage [GM-ES-2], le prochain sera déplacé de quelques kilomètres de son point initial. Par la suite, nous pourrions modifier nos emplacements cibles et demander l'adaptation des autorisations obtenues pour tenir compte des nouvelles informations recueillies.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Comment optimiser la connaissance que vous avez des ressources pétrolières ? Y a-t-il un niveau de profondeur auquel vous vous interdisez de forer ?
M. Patrick Romeo. - Les campagnes sismiques s'apparentent à des échographies et s'analysent de manière analogue. De plus, nous interprétons les échantillons que nous prélevons. Les données recueillies à l'occasion de chaque forage sont comparées à celles obtenues lors des forages précédents. Les modèles se précisent ainsi. Puis, nous calibrons les forages à venir. Forer à 6 kilomètres, c'est-à-dire atteindre, d'ici, le Grand Palais : à un mètre près, vous pouvez vous trouver à l'intérieur comme en-dehors !
S'agissant de la profondeur de forage, il n'existe pas vraiment de contraintes techniques : nous pouvons théoriquement forer à 10 km de profondeur. Il s'agit plutôt d'évaluer le rapport coût - bénéfices, sachant que le coût marginal d'un mètre de profondeur supplémentaire est très élevé.
M. Georges Patient. - Un de vos partenaires, Total, a déposé des permis visant à intervenir seul. Est-ce le signe d'une mésentente ?
M. Patrick Romeo. - Total n'est pas la seule société à vouloir intervenir seule...
M. Georges Patient. - Oui, mais c'est votre partenaire !
M. Patrick Romeo. - Nous ne nous sommes pas mis d'accord sur la nature de notre alliance. Mais le fait qu'ils déposent des permis à leur tour témoigne de l'intérêt de notre démarche.
Mme Catherine Tasca, présidente. - Ce ne sont donc plus vos partenaires ?
M. Patrick Romeo. - S'ils obtenaient ce nouveau permis de recherche, ils en auraient l'exclusivité. La loi prévoit toutefois une mise en concurrence. J'ignore à qui les permis seront attribués. En général, l'État demande aux entreprises de se mettre d'accord en amont du processus.
Mme Catherine Tasca, présidente. - Abordons désormais un thème que nous n'avions qu'effleuré lors de notre première rencontre, car vos opérations étaient à l'état de prémices : l'impact social et économique de vos travaux en Guyane.
M. Patrick Romeo. - Les vraies retombées économiques sont liées à l'exploitation commerciale...
Mme Catherine Tasca, présidente. - ... qui n'est pas pour demain !
M. Patrick Romeo. - ... qui est la seule véritable source de richesses pour la collectivité. Aujourd'hui, nous sommes en phase de prospection. Il est possible que tout s'arrête demain. Les impacts liés à la prospection ne sont pas nuls, mais ils sont ponctuels. Nous faisons actuellement ce qui est en notre pouvoir pour générer de l'activité : à ce jour, 150 entreprises fournissent Shell et ses partenaires en services, en affrètement de navires de pêche et de sécurité pour participer aux campagnes sismiques par exemple, ou en avitaillement en produits frais. Entre février et septembre 2012, 2 millions d'euros ont été dépensés en Guyane, notamment en transports, salaires, maintenance, hôtellerie, carburant, contribution aux organisations professionnelles, etc.
Quand nous sommes arrivés en Guyane, nous avons fait du port de Dégrad des Cannes, en raison de son accessibilité limitée, notre base secondaire, la base principale étant située à Trinidad. L'adaptation constante du port de Dégrad des Cannes, et notamment sa transformation en grand port maritime avec l'entrée en vigueur au 1er janvier 2013 de la réforme portuaire, est susceptible de changer la donne.
De plus, un certain nombre de projets de renforcement de l'activité en Guyane sont en cours d'étude : la création d'un entrepôt « sous-douane », l'utilisation de lignes maritimes régulières entre Dégrad des Cannes et Port of Spain, le partage de moyens maritimes entre Dégrad des Cannes et Kourou.
L'aéroport Félix Eboué est d'ores et déjà la base principale aéroportuaire. Les équipages y transitent, grâce aux vols d'Air France et aux trois vols d'hélicoptère quotidiens, six jours sur sept, ce qui assure les rotations d'une centaine de personnels par semaine. Nous souhaitons faire plus : des investissements sont prévus dans les infrastructures nécessaires aux travaux de maintenance. Ces projets seront toujours utiles aux collectivités concernées.
Nous avons déjà créé 19 emplois depuis le début des opérations en avril 2012. Cinq stagiaires seront en outre recrutés pour travailler à Cayenne, mais aussi à La Haye et Paris.
Mme Catherine Tasca, présidente. - Ce sont des stagiaires locaux ?
Mme Aline Archimbaud. - Ils viennent de Cayenne ?
M. Patrick Romeo. - Oui. Ils bénéficieront d'une connaissance approfondie de nos activités. À cela s'ajoute un programme de communication et d'information auprès des jeunes ; la mise en place d'une base de données de CV : 170 ont été collectés pour l'embauche d'une dizaine de personnes ; le soutien à l'apprentissage de l'anglais, indispensable dans notre secteur ; la participation à des programmes éducatifs locaux et la sensibilisation des jeunes aux métiers du pétrole ; ainsi que la création d'un poste de chargé de mission pour la Commission de suivi. Nous construisons un pool de personnels guyanais très qualifiés dans les métiers du pétrole ; le programme sera modulé en fonction des résultats. Les métiers du pétrole connaissent une crise d'offre : cette filière est porteuse dans le monde, si bien que même en cas d'échec du projet, les Guyanais volontaires pour quitter la Guyane trouveront du travail dans le pétrole. Nous travaillons avec la Région pour préparer les recrutements à venir en ajustant la carte des formations, avec à l'esprit que tous ces chantiers seront amplifiés si la perspective d'une exploitation commerciale des hydrocarbures se précise. À ce stade, nous travaillons pour l'horizon 2019-2020.
Mme Catherine Tasca, présidente. - Lors de notre précédente rencontre, vous aviez indiqué qu'une formation qualifiée dans le secteur pétrolier durait au minimum cinq ans.
M. Patrick Romeo. - En effet, la lourdeur de la formation explique pourquoi nous ne recrutons que dix personnes en formation longue en 2013 au sein du groupe.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Près de 2 millions d'euros dépensés sur le territoire guyanais à fin septembre 2012, 450 personnes sur place, 19 créations d'emplois... Reste que la Guyane est plus proche que Trinidad, donc en principe plus compétitive. Or aujourd'hui, ce n'est qu'une base secondaire ! Que changer pour qu'elle devienne prioritaire ?
M. Patrick Romeo. - La proximité de la Guyane en ferait une base privilégiée en effet. Cela suppose l'évolution de Dégrad des Cannes pour suivre l'activité. On parle de construire un quai flottant dédié, de changer le fonctionnement du port... Mais cela supposerait de faire de l'activité pétrolière l'activité prioritaire du port, ce qui n'est pas sans poser problème.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Par qui seront financés ces investissements ?
M. Patrick Romeo. - Des études ont été engagées - avec retard, certes - dans le cadre de la transformation de Dégrad en grand port maritime. J'ignore précisément quelles sont les sources de financement. Le problème réside essentiellement dans la durée de mise en oeuvre de ces travaux.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Si 2 millions d'euros ont été injectés en Guyane, combien à Trinidad ? 80 % de vos dépenses totales ?
M. Patrick Romeo. - Je ne puis vous le confirmer. En gros, sans doute.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Entre 2 et 3 millions d'euros sont gérés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Comment sont répartis ces fonds ? À quelle mode de gouvernance cette répartition obéit-elle ?
M. Patrick Romeo. - La CDC accueille simplement ces fonds, qui sont gérés par un comité de pilotage composé de représentants de l'État, de la Région et de Shell. Pas moins de 300 000 euros sont dédiés à la commission de suivi : chargé de mission, suivi des projets, développement, maintenance. Mais ce chargé de mission est aussi chargé de missions pour les groupes de travail.
Le groupe de travail sur la pêche, par exemple, aura son propre chargé de mission lorsque ses travaux auront pris de l'ampleur. Ajoutez à cela 1 million d'euros consacré à la recherche ; en l'occurrence, à l'acquisition et à la mutualisation de matériels entre le CNRS, le BRGM ou encore l'IFREMER, sachant que, traditionnellement, les équipements sont plus compliqués à financer que les programmes. D'autres sommes seront disponibles lorsque des projets seront identifiés, , notamment pour les projets collectifs des pêcheurs.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Si vous passez à la concession, combien cela représentera-t-il d'emplois ? Quels profils rechercherez-vous ?
M. Patrick Romeo. - Cela va du soudeur au géologue. Nous rechercherons des gens autonomes, comme les marins doivent l'être pour travailler au large, des gens qualifiés que nous recruterons à la sortie des écoles et que nous formerons chez nous ou chez des prestataires durant cinq ans. Il faut se représenter la concession comme une usine au large : nous aurons besoin de gens capables d'assurer la supervision du site, sa maintenance, son encadrement, la logistique, le transport par les airs ou la mer ou encore la communication. À terre, il faudra des gens responsables de l'entreposage, de la fourniture, de la logistique et des services administratifs habituels. Combien de personnes en tout ? Au Brésil où nous avons des activités similaires, 250 personnes pour une exploitation. En Guyane, 450 personnes sont mobilisées, dont des experts uniques qui viennent spécialement sur place pour interpréter des données sismiques puis repartent. Si l'on totalise les emplois directs, indirects et induits, la fourchette est comprise entre 700 et 1 000 emplois.
Mme Aline Archimbaud. - Vous venez de répondre à ma première question, je n'y reviens pas. Pourriez-vous nous en dire plus sur les projets collectifs des pêcheurs ?
Une remarque sur la nécessaire vigilance. L'exploration et l'exploitation à 6 000 mètres de profondeur comportent des risques. En cas d'accident, les coûts seront environnementaux, mais aussi économiques et sociaux ; on l'a bien vu dernièrement.
M. Patrick Romeo. - Les exploitants sont les premiers concernés à se soucier de la sécurité, dans la conception, la prévention... Notre objectif, c'est « zéro accident ». Nous sommes extrêmement exigeants et prudents, les élus qui sont montés sur le bateau de forage le savent. Idem pour les aspects environnementaux associés.
Nous avons identifié quatre projets pour les pêcheurs : la mise en oeuvre d'une chaîne du froid pour rentabiliser la filière, l'avitaillement en carburant des bateaux de pêche au prix de gros de Shell, la motorisation hybride pour adapter les moteurs des bateaux aux eaux boueuses de Guyane et l'analyse des ressources halieutiques sur la longue durée et en présence d'une exploitation au large.
J'espère que ces projets, qui doivent bénéficier collectivement à toute la filière, sont en cours de définition.
Mme Catherine Tasca, présidente. - Abordons maintenant notre troisième séquence relative à la réforme du code minier.
M. Patrick Romeo. - Les forages et la mise en production en mer présentent certaines spécificités et mobilisent des sommes colossales - potentiellement des milliards de dollars pour la Guyane, l'équivalent de presque deux centrales nucléaires - avec le même niveau d'exigence de sécurité et de respect de l'environnement. Les moyens mobilisés sont rares et importants. Pour investir, nous avons besoin de stabilité fiscale, de prédictibilité fiscale, et d'une rémunération équitable pour juste retour sur investissement : la clarté de ces paramètres est nécessaire à la mobilisation des investisseurs.
Par ailleurs, pour l'information du public, de quelle commune parle-t-on lorsqu'il s'agit d'offshore ? Ce n'est pas comme en Seine-et-Marne... La procédure d'information devra être bornée dans le temps pour éviter des ruptures de charge. Je ne peux pas mobiliser 450 personnes et des matériels onéreux sans disposer d'un échéancier prédéfini.
Mme Catherine Tasca, présidente. - La fiscalité est-elle un sujet de discussion avec les pouvoirs publics ?
M. Patrick Romeo. - Pas vraiment à ce stade... Le sujet à l'ordre du jour est plutôt l'information du public.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - La loi de décembre 2011 prévoit une répartition 50-50 de la taxe de 12 %. Ce système, comparé aux autres, vous semble-t-il intéressant ? Comment percevez-vous la position des pouvoirs publics au sein du comité de suivi ? Êtes-vous bien accompagnés ? Faut-il une gouvernance décentralisée, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis ? Vous qui avez la pratique d'autres pays, quel système vous semble le meilleur ?
M. Patrick Romeo. - Celui de la concession fonctionne bien : un permis de recherche, puis un droit à concession en cas de découverte.
Attention : la taxe de 12 %, qui est flexible en fonction des autres paramètres, porte sur le chiffre d'affaires, et pas sur les bénéfices. Je vous le dis d'emblée : ceux qui pensent à 70 % sur le chiffre d'affaires n'auront plus aucune chance de trouver des financeurs. Le législateur a prévu des retombées locales. À titre personnel, je suis pour. Sans quoi, et c'est mon expérience personnelle dans d'autres pays, on crée une frustration chez les locaux. Le lien avec le territoire est indispensable. Du temps de la taxe professionnelle, les maires soutenaient nos projets.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - Au Brésil, une loi de 2010 traite spécifiquement du régime applicable à l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures offshore. Qu'en pensez-vous ?
M. Georges Patient. - En sus de la redevance de 12 %, il est question de prendre en compte d'autres externalités, comme la post-exploitation. Quel est votre avis sur ce dossier ?
M. Patrick Romeo. - Le débat va dans le bon sens. D'une manière générale, je me méfie des lois qui cherchent à tout résoudre : le nickel n'a rien à voir avec le pétrole offshore. Il faut ménager une lisibilité des dispositifs applicables aux opérations offshore.
M. Georges Patient. - Je ne parlais pas seulement de la Guyane ! Pour la post-exploitation, on peut aussi citer le nord de la France que des entreprises ont quitté en laissant des territoires en déshérence.
Mme Aline Archimbaud. - À ce propos, des syndicalistes de Pétroplus nous ont alertés : vous ne voudriez pas participer à la dépollution du site de Petit-Couronne.
M. Patrick Romeo. - Merci de me poser cette question. Grâce à elle, je peux rappeler que nous avons vendu le site de Petit-Couronne il y a presque cinq ans dans le respect scrupuleux de la loi. Peut-être cela vous déplaît-il, mais les faits sont les faits.
On parle toujours des coûts de dépollution en oubliant la valeur des terrains. Regardez ce qu'il s'est passé à Reichstett : le terrain a été acheté, dépollué par une entreprise spécialisée dans la reprise de friches industrielles et revendu à un meilleur prix. Il n'y a pas de dette là-dedans et, encore une fois, Shell n'a laissé d'ardoise à personne. La loi est la loi, et le responsable est le dernier exploitant.
Mme Aline Archimbaud. - Nous cherchons à faire évoluer la loi ; c'était le seul objectif que je poursuivais en vous posant ma question. Pour le site de Pétroplus, s'il n'y a pas de repreneur, qui va payer : l'État ?
M. Patrick Romeo. - Non, ce sera la société à qui le liquidateur aura revendu le terrain. Le site de Petit-Couronne a tous les atouts pour un développement multimodal : aux portes de Paris, il est à proximité des autoroutes, du rail et de la Seine. Certains font déjà des projets mais doivent attendre, pour se déclarer, que la faillite soit prononcée. Modifier la loi ? Le système du dernier exploitant est plus simple. Si vous deviez rechercher les exploitants précédents, imaginez le travail pour remonter dans le temps !
Mme Catherine Tasca, présidente. - Merci pour votre disponibilité. Ce rapport d'étape a été très utile ; nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir en 2013 pour faire le point. Espérons que le troisième forage sera fructueux !