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Mardi 27 novembre 2012
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Place de la France dans l'OTAN et perspectives de l'Europe de la défense - Audition de M. Hubert Védrine
La commission auditionne M. Hubert Védrine, sur la place de la France dans l'OTAN et les perspectives de l'Europe de la défense.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous sommes très heureux, Monsieur le ministre, de vous recevoir à nouveau devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
A la demande du Président de la République, M. François Hollande, vous avez remis, le 14 novembre dernier, un rapport sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, l'avenir des relations transatlantiques et les perspectives de l'Europe de la défense.
Compte tenu de la qualité de vos analyses, j'ai pensé qu'il serait très utile de vous entendre nous présenter les principales conclusions de ce rapport.
Quel bilan peut-on tirer de la décision prise par l'ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, en 2009, de la réintégration pleine et entière de la France au sein du commandement militaire intégré de l'OTAN ?
Au-delà des quelque 900 militaires français insérés au sein de la structure militaire, cette réintégration a-t-elle permis de renforcer notre influence au sein de l'Alliance atlantique, qui est souvent perçue en France comme une simple courroie de transmission des directives de Washington ? A-t-elle réellement permis de relancer l'Europe de la défense, comme cela avait été annoncé à l'époque ?
Plus généralement, compte tenu de la réduction sensible des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires européens et du recentrage des Etats-Unis sur la zone Asie-Pacifique, comment voyez-vous l'avenir de l'Alliance atlantique ?
Pensez-vous possible l'émergence, sinon d'un « pilier européen », du moins d'une certaine « européanisation » de l'OTAN, dont l'intervention en Libye aurait en quelque sorte constitué les prémices ?
Quelle appréciation portez-vous sur la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne, sur la coopération franco-britannique, les initiatives dites du « triangle de Weimar plus » (France, Allemagne, Pologne, Espagne, Italie) ? En particulier, que pensez-vous de l'attitude ambiguë de l'Allemagne, notamment après l'échec de la fusion BAE-EADS ?
Enfin, que pensez-vous de l'évolution des relations avec la Russie ?
Je précise à nos collègues qu'à l'issue de votre audition je présenterai devant la commission le compte rendu de la dernière session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, qui s'est tenue à Prague, du 9 au 12 novembre dernier.
Bien que juridiquement indépendante de l'OTAN, l'assemblée parlementaire de l'OTAN, qui rassemble des parlementaires des 28 pays membres de l'Alliance, me semble en effet un forum utile pour débattre de ces questions et faire valoir nos positions auprès de nos partenaires.
Je vous laisse maintenant la parole.
M. Hubert Védrine - Il s'agissait d'un sujet délicat. Vous connaissez ma position initiale sur le sujet. J'ai essayé d'être objectif en retraçant l'historique de la relation de la France à l'OTAN. Mais j'ai tenu après des considérations historiques à essayer de réfléchir aux perspectives d'avenir. Je ne vais pas ici reprendre l'intégralité du rapport qui a été rendu public, mais je voudrais retracer le raisonnement qui sous-tend ce rapport. Je pensais initialement que la position de la France au sein du traité, mais en dehors de l'organisation intégrée, présentait des avantages politiques et diplomatiques, mais j'ai tenté de dresser un bilan sans a priori des conséquences de notre réintégration décidée par le président Sarkozy.
Certains aspects de l'histoire de l'Alliance ont été oubliés. Il faut rappeler qu'au sortir de la guerre les Européens étaient terrorisés à l'idée que les Américains puissent requitter l'Europe. Il a d'ailleurs été difficile pour le Président Truman de faire accepter au Sénat un engagement aussi contraignant que le Traité de 1949 dans un pays où la tentation isolationniste vis-à-vis de l'Europe a toujours été très forte. De même, la conception française (ou américaine) du concept de « hors zone » a-t-elle connu de nombreuses évolutions. Nous y avons été hostiles, ou favorables selon les périodes. Il convient aussi de rappeler que la sortie du commandement intégré, en1966, n'a eu lieu qu'après huit années de tentatives de réforme de l'Alliance, entamées dès 1958. En effet, dès cette année-là, le Général de Gaulle adresse un mémorandum aux Américains pour changer le mode de fonctionnement de l'alliance qui, par bien des aspects, se comportait comme une courroie de transmission du Pentagone. Devant l'absence de réponse des Américains, face à un Président Johnson très fermé, dans le contexte de la guerre du Vietnam et du projet de stratégie, de « riposte graduée », le Général de Gaulle a fini par décider de sortir du commandement intégré en 1966. Les présidents de la République française suivants ont assumé cette situation tout en aménageant l'articulation entre les forces françaises et celles de l'OTAN. François Mitterrand a maintenu cette situation, qui présentait à bien des égards des avantages. Jacques Chirac a effectué une tentative de retour qui n'a pas abouti car les Américains ont refusé les demandes de contreparties à leur réintégration que les Français avaient présentées. Le Président Sarkozy avait, quant à lui, dès la campagne électorale, annoncé son intention de réintégrer l'OTAN en évoquant l'appartenance de la France à la « famille occidentale ».
La décision de réintégration est donc récente. Le recul est faible. Sur le plan financier, la Cour des comptes a établi un premier bilan qu'il faudra compléter en 2020 pour avoir une vision approfondie, notamment des aspects opérationnels. D'après les premières estimations, il y a bien eu un surcoût financier, mais plus faible que prévu, car, dans le même temps, l'organisation a été réformée avec le soutien de la France, avec une réduction sensible de ses personnels et du nombre d'agences. Sur le plan des postes attribués à la France, la nomination d'un Français au commandement suprême allié en charge de la transformation est une bonne chose, même s'il ne s'agit pas d'un commandement opérationnel, à l'image du commandement allié chargé des opérations, qui restera occupé par un Américain. Mais il faut avoir à l'esprit que ce n'est pas parce que la France obtient des postes de responsabilité qu'elle dispose automatiquement d'une influence accrue sur l'ensemble de l'organisation. L'influence est une notion plus complexe.
Sur le plan de la doctrine et de la stratégie, la France a obtenu au sommet de Lisbonne, avec le Président Sarkozy, et au sommet de Chicago, avec le Président Hollande, la mention selon laquelle l'Alliance atlantique restait une alliance militaire défensive, et une alliance nucléaire, et que la défense anti-missile balistique était compatible avec la dissuasion nucléaire. L'introduction de cette mention n'allait pas de soi, d'autant plus que les Allemands ne le souhaitaient pas mais qu'ils ont dû admettre la mention selon laquelle « l'OTAN restera une alliance nucléaire aussi longtemps qu'existeront des armes nucléaires ». Il faut se rappeler que la DAMB est une idée ancienne portée par Ronald Reagan dans le contexte de la Guerre froide en 1983. C'est un projet qui est né au sein du complexe militaro-industriel américain qui a été popularisé sous le terme de « guerre des étoiles », qui avait été délaissé sous la présidence de Bush père puis de Clinton avant d'être remis en scène par le Président Bush fils sous une forme plus régionale essentiellement devant la menace iranienne. De façon surprenante, le Président Obama a endossé l'idée en la justifiant.
Ce projet s'est imposé au sein de l'Alliance sans un véritable débat de fond sur ses implications stratégiques, financières et industrielles. Or on peut admettre que si la DAMB peut être considérée comme compatible avec la stratégie de dissuasion nucléaire dans les phases 1 et 2, ce n'est presque certainement pas le cas dans les phases 3 et 4.
Notre influence sur la stratégie de l'OTAN en Afghanistan a également été très limitée. Celle-ci a été avant tout définie par le Président des États-Unis et les généraux américains. Notre pouvoir de décision propre s'est limité à la fixation d'abord par Nicolas Sarkozy, puis par François Hollande, de notre calendrier de retrait.
Sur le plan industriel, la diminution des moyens financiers consacrés à la défense pousse à une mutualisation accrue de l'effort, c'est le projet de « smart defence » - dont le principe n'est pas contestable en soi. Mais du côté européen, cette diminution des crédits a aussi fait surgir avec difficulté quelques projets communs, sous l'égide de l'Agence européenne de défense, sous le terme de « pooling and sharing ».
D'une manière générale, on peut s'interroger sur le fonctionnement de l'Alliance atlantique. Certes, tous les deux ans environ, les chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'OTAN se réunissent lors de Sommets pour adopter des conclusions. Mais ces rencontres ne donnent jamais lieu à un véritable débat politique sur les questions stratégiques, comme la défense anti-missiles et de ses implications pour la dissuasion nucléaire, ou autre.
Par ailleurs je vous signale l'envahissement d'un jargon américano-militaro-otanien - que j'ai tenu à traduire pour que mon rapport soit lisible.
Globalement, je fais donc un bilan assez mitigé des apports de notre réintégration dans le commandement militaire de l'OTAN :
- certains éléments sont potentiellement négatifs, comme le risque de cannibalisation des crédits de défense par les industriels américains ou encore le risque que notre pensée stratégique ne soit phagocytée en amont par l'analyse OTAN ;
- d'autres sont plutôt positifs, comme la possibilité de mener plus efficacement, de l'intérieur, un combat d'influence en vue de peser sur les conclusions des sommets de l'OTAN, ou pour favoriser l'émergence de projets européens.
En conclusion, ni extraordinaires, ni catastrophiques, les conséquences de notre présence pleine et entière au sein de l'OTAN dépendront de ce qu'on fera de cette présence.
Je me suis ensuite posé la question d'une éventuelle nouvelle sortie du commandement militaire intégré, pas du tout en termes partisans droite-gauche, mais d'une façon plus réaliste et pragmatique. J'ai d'abord constaté qu'à peu près personne ne le demandait sérieusement. Cela ouvrirait une crise majeure avec les États-Unis, et avec nos partenaires européens, ce ne serait ni souhaitable ni compréhensible, et serait difficilement gérable pour nous. On peut regretter que les pays européens n'aient pas rejoint, en son temps, la position du Général de Gaulle pour fonder ensemble une défense européenne, mais c'est un fait. Revenir en arrière ouvrirait aujourd'hui une crise majeure qu'il nous faudrait beaucoup d'énergie pour gérer, et sans aucun profit pour nous.
D'autant que nous ne sommes plus aujourd'hui dans le même contexte que celui qui avait poussé le Général de Gaulle à sortir : je rappelle ce contexte, un président américain Johnson fermé, un Pentagone qui verrouillait l'organisation de l'Alliance, un contexte de guerre froide qui battait son plein, un possible engrenage au Vietnam, et une stratégie nucléaire menaçant le territoire européen. Le contexte est aujourd'hui complètement différent : les États-Unis se tournent d'abord vers l'Asie, nous laissant une marge de manoeuvre nouvelle et inédite ; le système de décision américain est aujourd'hui moins hostile à une plus grande prise de responsabilité par les Européens au sein de l'Alliance.
Le mode de déclenchement des opérations en Libye me semble particulièrement illustratif de cette nouvelle configuration : des Européens poussent à une action, l'ONU définit le mandat, les États-Unis soutiennent et acceptent l'utilisation des moyens de l'OTAN et des Européens mènent une grande part des opérations. Cet enchaînement, accepté par l'équipe Obama, est très nouveau et n'aurait sans doute pas été reproductible sous une présidence Romney.
L'intervention en Libye peut donc représenter un précédent intéressant pour l'émergence progressive d'une « européanisation » de l'Alliance atlantique, pour autant que les pays européens en aient la volonté politique et qu'ils conservent un certain niveau de capacités.
Si l'on peut contester les raisons de la réintégration, ou en discuter certains des effets, la pire des options pour nous serait de rester passifs dans la nouvelle situation où nous sommes. Il nous faut être beaucoup plus dynamiques, offensifs et combattifs au sein de l'Alliance atlantique. C'est un changement de mentalité, y compris pour nos ministères : à la défense, certains officiers espèrent des postes de haut niveau au sein de l'organisation, aux affaires étrangères, on doute de notre capacité à influencer le cours des choses après tant d'expériences négatives. Enfin, au Quai d'Orsay, certains diplomates, « européistes convaincus », ne veulent pas admettre le piétinement de l'Europe de la défense et en analyser les causes. Ces postures ne peuvent tenir lieu de véritable politique.
Le fonctionnement otanien est celui du consensus : on peut donc y bloquer les décisions, à condition de se battre. Prenons l'exemple du concept stratégique : si nous estimons que le risque de remise en question de la dissuasion nucléaire est réel, il ne faut pas attendre la veille du prochain sommet pour réagir, mais y penser à l'avance, préparer le terrain par des déclarations, fixer des priorités, trouver des appuis... De même, il faut dire clairement que les projets lancés dans le cadre de la « Smart defence » sont acceptables à condition toutefois qu'ils ne fassent pas double emploi avec ceux lancés dans le cadre de l'initiative « partage et mutualisation » de l'Union européenne.
Notre position antérieure était finalement confortable. Nous traitions au dernier moment les sommets de l'OTAN, pour « limiter la casse ». Aujourd'hui, il nous faut anticiper plus, et nous approprier le fonctionnement de l'Alliance. Ne nous leurrons pas, nous ne ferons pas bouger les Européens sans l'accord des Américains. Il nous sera indispensable, notamment pour faire évoluer la position de nos partenaires allemands et britanniques. Lors de mes différents déplacements, ce n'est à pas à Washington que j'ai trouvé la plus forte opposition à l'idée d'un « pilier européen » au sein de l'OTAN, mais d'abord à Berlin (et à Bruxelles). La vision allemande se résume de la manière suivante : en Europe tout ce qui touche à la défense doit relever de l'OTAN. Les Allemands s'opposent à toute idée d'un « pilier européen » de l'OTAN car, à leurs yeux, cela compliquerait les choses. Si c'est l'Europe, c'est civil.
J'en viens maintenant à l'autre sujet de mon rapport qui porte sur l'Europe de la défense. Lorsque j'ai commencé à rédiger cette partie de mon rapport, je me suis trouvé confronté à un choix. Fallait-il seulement parler de relancer, dans la lignée des initiatives défense européenne lancées depuis 25 ans - et j'ai moi-même participé à beaucoup d'entre-elles - ? J'ai jugé que cela n'aurait guère d'utilité, étant donné que le résultat concret a été très faible. Plutôt que de plaider sur un mode incantatoire pour une énième relance de l'Europe de la défense, j'ai donc pensé qu'il serait plus utile et plus efficace de s'interroger sur les causes profondes de ce piétinement.
Quelles sont les raisons pour lesquelles l'Europe de la défense n'a guère connu d'avancées ces dernières années ? Tout simplement, parce que les Européens n'en veulent pas. Les pays européens ne sont pas demandeurs d'une Europe de la défense. Depuis 1949, les pays européens s'en sont remis, pour assurer leur propre sécurité, aux Etats-Unis. L'Alliance atlantique a si bien fonctionné qu'elle a annihilé tout esprit de défense en Europe. Les pays européens se retrouvent donc dans la situation confortable où leur sécurité est assurée de loin et à moindre coût. Dès lors, il n'est pas surprenant que les budgets de la défense, déjà faibles, se réduisent partout en Europe, et que, à l'exception de trois ou quatre pays, les pays européens n'ont pas réellement la volonté de faire progresser l'Europe de la défense. On peut donc continuer à vouloir faire de l'incantation. Mais cela n'apportera pas plus de résultats tangibles car cette situation remonte à soixante ans. C'est un peu comme si les Etats-Unis avaient mis en place une monnaie unique en Europe en 1945, le dollar, et que, cinquante ans après, la France proposait à ses partenaires européens de renoncer à cette monnaie pour créer une autre monnaie commune. Cette idée serait jugée saugrenue et refusée par nos partenaires européens. Pour l'OTAN et la défense européenne, c'est un peu la même chose. Aux yeux des Européens, la défense de l'Europe c'est l'OTAN, et cela n'a pas changé depuis 1949. Et, depuis la disparition de l'Union soviétique, les Européens, qui veulent toucher les « dividendes de la paix », réduisent encore plus leurs dépenses de défense. Ils préfèrent consacrer leurs ressources disponibles à d'autres secteurs, comme le social, plutôt qu'à la défense. Qui pense en Europe en termes de stratégie ou de menaces ?
J'ai donc estimé qu'il serait plus utile pour les responsables actuels de dresser ce constat dans mon rapport. Cela ne veut pas dire pour autant que la France doit renoncer à l'idée de promouvoir l'Europe de la défense. Mais nous devons le faire sans naïveté et avec réalisme. Il faut donc mettre nos partenaires européens à l'épreuve, du moins certains d'entre eux, car nous arriverons encore moins à progresser sur ces questions à vingt-sept.
Ainsi avons nous conclu le Traité de Lancaster House en matière de défense avec le Royaume-Uni, l'un des seuls pays européens qui compte en matière de défense, et avec lequel nous voudrions faire davantage. Or, les Britanniques ont pris ensuite des décisions qui contredisent l'esprit de ces accords. Il faut donc demander clairement aux Britanniques ce qu'ils veulent.
De même, nous devrions avoir un dialogue avec les Allemands pour tenter de lever leurs ambiguïtés actuelles. Lors de mon déplacement à Berlin, je le répète, la position de mes interlocuteurs, aussi bien au ministère des affaires étrangères qu'au ministère de la défense, était que tout ce qui touche au domaine militaire devait relever de l'OTAN, et tout ce qui touche au civil devait relever de l'Union européenne.
Il faut avoir un dialogue exigeant avec les quelques pays européens qui comptent en matière de défense.
Il faut continuer à vingt-sept, mais nous n'arriverons à pas à grand chose. Pour la plupart, la seule préoccupation des pays d'Europe centrale et orientale est le maintien des États-Unis en Europe et la garantie de défense mutuelle de l'article 5, au cas où la Russie redeviendrait une menace, ce dont je doute. Par ailleurs, les pays européens ne sont pas disposés à faire plus d'efforts en matière de défense.
Nos efforts doivent donc porter en priorité sur le Royaume-Uni et les pays dits du « Triangle Weimar plus », c'est-à-dire l'Allemagne, la Pologne, l'Espagne et l'Italie.
A mes yeux, notre politique au sein de l'OTAN et au regard de l'Europe de la défense doit relever d'une même stratégie. Puisque nous sommes au sein de l'alliance et qu'une nouvelle sortie n'est pas une option, il faut nous montrer plus vigilants, plus exigeants, davantage combattifs au sein de l'OTAN, et simultanément, sur le terrain de l'Europe de la défense. Mettons un terme à l'incantation pure et mettons à l'épreuve nos partenaires européens les plus proches, les Britanniques et nos partenaires de « Weimar plus », au risque de les pousser un peu dans leurs retranchements.
Mais, pour cela, il faudrait au préalable que notre pays conserve une véritable capacité propre d'analyse et se dote d'une stratégie d'influence. Aujourd'hui, les administrations sont tentées de se contenter d'une approche statique arc-boutée sur des postures déclaratoires classiques. La France doit garder sa vision propre. Elle ne doit pas « s'en remettre » à l'OTAN, ni même à l'Union européenne. Elle doit conserver sa capacité propre d'analyse sur les principales menaces, ses intérêts, ses capacités, etc. Cela a des implications aux niveaux politiques, administratifs, budgétaires, etc.
Dès aujourd'hui, le gouvernement devrait donc commencer à réfléchir sur les enjeux du prochain Sommet de l'OTAN. Quels sont nos principaux objectifs ? Nous devrions également nouer dès que possible d'étroites relations avec la nouvelle administration américaine et avec nos principaux partenaires européens pour préparer ce Sommet et les prochaines échéances au sein de l'Union européenne.
J'espère contribuer avec ce rapport à ce que nous dépassions les querelles un peu stériles, comme celles de savoir si nous sommes pour ou contre l'OTAN, pour ou contre l'Europe de la défense, pour une Europe communautaire ou une Europe intergouvernementale, etc, pour nous projeter dans l'avenir.
Il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance des enjeux stratégiques, industriels, militaires, diplomatiques, de la question de la défense anti-missiles, notamment sur le rôle de la dissuasion nucléaire dans notre défense et au sein de l'alliance et la place des Européens dans le mécanisme de prise de décision.
De même, il ne faut pas négliger les enjeux de la répartition des retombées industrielles des projets lancés dans le cadre de l'initiative de la « Smart defence » de l'OTAN et de l'initiative « pooling and sharing » sous l'égide de l'agence européenne de défense, dans le cadre de l'Union européenne.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Quelles sont, selon vous, les raisons de l'échec du projet de fusion entre EADS et BAE ? Est-ce que la position de l'Allemagne procède d'une analyse globale ou bien conjoncturelle ?
M. Hubert Védrine.- Comme je n'attends pas grand-chose de ce que l'on pourra faire à vingt-sept en matière de défense, et qu'il n'y a pas beaucoup de pays sérieux en ce domaine, en théorie il n'y a pas mieux qu'agréger les capacités technologiques de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne. Comment faut-il faire dans le détail ? Je ne sais pas. Il y a certainement des intérêts industriels à ménager. Mais dans ses grandes lignes, j'ai trouvé que le projet était extrêmement intéressant. J'ai donc été troublé par le fait que l'Allemagne l'ait torpillé aussi brutalement - ça reviendra peut-être - pour des raisons à la fois obscures et peu convaincantes. S'agit-il de nationalisme industriel ? S'agit-il tout simplement du fait que la chancelière allemande ait été exaspérée par le président d'EADS ? Du souci de préserver les emplois en Allemagne et à Munich ? Est-ce aussi le fait qu'il y ait un pacifisme ambiant en Allemagne qui ait amené la chancelière à penser qu'il serait bon pour elle, en une année électorale, de ne pas associer son nom à une grande initiative en matière de défense, alors que la force économique de l'Allemagne est largement suffisante ? Faut-il y voir l'influence du ministre des affaires étrangères Guido Vestervelle ?
En théorie, le projet était excellent, à condition de ménager tous les intérêts, mais pour cela il eût fallu négocier plus longtemps et ne pas tuer le projet dans l'oeuf.
M. Jacques Gautier. - Monsieur le ministre, j'ai pris autant de plaisir à vous écouter qu'à vous lire. Ce rapport fera date. Et dans votre propre évolution, très pragmatique, vous positivez la réintégration de la France afin de voir ce que l'on peut faire maintenant. Vous dressez également un bilan sombre, mais terriblement réaliste de l'Europe de la défense et de ses échecs. Ce que vous tracez comme voie, à savoir le renforcement de notre position au sein de l'Alliance, semble, pour nous qui travaillons au sein de la Commission du Livre blanc, terriblement dimensionnant en termes de format des forces - en particulier pour la NRF (Nato Response Force) et semble dessiner un outil de défense de « haut du spectre ». Est-ce que vous confirmez cette interprétation ? Cela voudrait dire aussi que, si nous n'arrivons pas à convaincre d'autres partenaires européens à s'agréger à notre démarche, nous resterons simplement un bon élève américain, peut être le meilleur si les Britanniques prennent du recul. Est-ce que cela définit un modèle d'armée ?
M. Daniel Reiner. - Moi aussi j'ai lu avec attention ce rapport et finalement je le trouve assez attristant. Quand vous avez fait l'historique des relations avec l'OTAN, il y avait évidemment un ennemi clairement identifié - l'Union soviétique - et donc une alliance qui se constituait pour faire face à cet ennemi potentiellement agressif. Aujourd'hui, il n'y a plus d'ennemis clairement identifiés, et pourtant, dit on, le monde est lourd de menaces. L'Otan se pose la question de son existence. En réalité, c'est davantage la France que les autres membres de l'Otan qui se la pose. Nous participons à l'assemblée parlementaire de l'Otan et rencontrons les autres parlementaires qui ont toujours un oeil un peu suspicieux sur nous : « êtes-vous vraiment dedans ? » J'ai donc bien aimé l'idée que, puisque nous sommes vraiment dedans, il faut y faire quelque chose. Qu'est-ce qu'on peut y faire ? Pousser nos industriels. Ca oui, ça me paraît clair. Du point de vue des concepts, ça l'est moins : nous sommes les seuls à vouloir infléchir les choses, mais dans quel sens, le savons nous-nous-mêmes ? Sur le plan militaire, est-ce que nous sommes capables de profiter du fait que les Américains vont se retourner ailleurs pour dire, nous allons prendre plus de place, aussi bien à l'Otan qu'en Europe ? Cela fait quand même un peu fouillis comme dynamique.
M. Robert del Picchia. - Vous indiquez dans votre rapport que - je cite - « la France devra garder une capacité propre pour analyser et prévoir en amont, proposer, et contribuer à la planification, qui inspire son action et sa politique au sein de l'Union au sein de l'Alliance et avec des Européens ». Pensez-vous que notre pays dispose aujourd'hui de cette capacité propre d'analyse ?
Dans le cadre de la mission qui m'avait été confiée par la commission sur la fonction « anticipation stratégique », nous avions eu un entretien très intéressant et je me souviens que vous aviez suggéré d'organiser en France, sur le modèle de la conférence de Munich, un grand rendez-vous international annuel de l'anticipation, des « assises internationales » de l'anticipation, proposition que j'ai d'ailleurs reprise dans les recommandations du rapport d'information que j'ai présenté devant la commission en juin 2011. Il me semble que cette proposition reste toujours valable aujourd'hui.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Votre remarquable rapport est à la fois réaliste et dynamique.
Réaliste, car tout le monde est bien obligé de convenir comme vous qu'aujourd'hui une sortie de la France du commandement intégré est une non option. Vous avez raison de le dire. Je pense d'ailleurs que cette réponse était attendue.
Mais vous avez ajouté quelque chose de très important. Il faut que la France soit en mesure de garder une capacité propre d'analyse et d'anticiper. Et vous avez mentionné un très bon exemple avec le système de défense anti-missiles de l'OTAN. Il est évident que sur cette question, il existe un désaccord de fond entre les pays dotés de l'arme nucléaire, comme la France et le Royaume-Uni, et les autres, en particulier l'Allemagne. Il faut le dire. Car, sinon, nous risquons d'être pris dans un engrenage.
La voix de la France doit donc se faire entendre en amont, au sein de l'alliance, comme d'ailleurs hors de l'Alliance au sein d'autres enceintes. Et, nous devons garder une capacité propre d'analyse, sur les sujets intéressant l'Alliance atlantique et les autres. Ce n'est pas parce que notre pays a réintégré le commandement militaire intégré de l'OTAN, que nous devons nous aligner systématiquement sur les positions américaines. La France reste un pays souverain et indépendant. Notre pays doit donc avoir une capacité d'expression propre. Lorsque le Général de Gaulle a reconnu la République populaire de Chine, en 1964, il n'a pas demandé la permission de l'OTAN.
L'expression de « famille occidentale » est très ambiguë. Certes, nous partageons des valeurs communes avec les pays occidentaux, dont les Etats-Unis, comme l'attachement à la démocratie et aux droits de l'homme. Mais, au sein des pays occidentaux, les Etats-Unis occupent une place prépondérante. Or, nos intérêts ne sont pas toujours identiques, ne serait-ce qu'en raison de la géographie, car le point de vue sur le monde est très différent depuis Washington et depuis Paris, Berlin ou Varsovie. Je préfère donc personnellement ne pas utiliser cette expression et dire que la France fait partie de la grande famille de l'humanité.
Nous avons ainsi des relations particulières avec l'Algérie, ne serait-ce qu'en raison de l'histoire ou de la place du français, ou encore avec la Russie, qui est un grand pays européen et qui continue de jouer un rôle important sur la scène internationale. Nous avons aussi des relations particulières avec certains pays émergents, en Amérique du Sud, ou en Asie, comme la Chine.
Nous devons donc ne pas nous laisser enfermer dans une conception ethno-centrée. Certes, les Etats-Unis restent nos alliés, mais ce n'est pas pour autant que nos intérêts sont toujours identiques.
A la différence des Etats-Unis, qui se tournent de plus en plus vers la zone Asie-Pacifique, l'Europe a une proximité directe avec le monde arabo-musulman, avec l'Afrique et avec la Russie. Et cette proximité a des implications sur sa politique étrangère.
Ainsi, sur le dossier israélo-palestinien, la France et l'Europe doivent conserver toute leur indépendance par rapport aux Etats-Unis, par exemple en ce qui concerne le vote sur le rehaussement du statut de la Palestine au sein de l'Assemblée générale de l'ONU.
De même, le système de défense anti-missiles de l'OTAN a des implications directes sur les relations entre l'Europe et la Russie et nous devons tenir compte des préoccupations de la Russie, notamment s'agissant des phases 3 et 4, sur la dissuasion nucléaire.
Il en va de même en Afrique, avec par exemple l'attitude ambiguë des Etats-Unis à l'égard de l'évolution de la situation en République démocratique du Congo et du rôle du Rwanda et de l'Ouganda, ou encore des relations avec la Chine.
Cette exigence d'une politique étrangère indépendante va à mes yeux au-delà d'une simple capacité d'influence au sein de l'alliance. Il faut qu'elle s'accompagne d'une véritable capacité de réflexion autonome.
Ma question est donc la suivante : comment pourrons-nous maintenir cette capacité autonome de réflexion et d'analyse ?
Mme Michelle Demessine. - Vous dressez dans votre rapport un bilan assez mitigé de la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré. Dans le même temps, vous considérez qu'une ressortie de la France du commandement militaire intégré ne serait comprise par personne, ni aux Etats-Unis, ni en Europe, et qu'elle ne donnerait à notre pays aucun nouveau levier d'influence, au contraire. Face aux enjeux stratégiques auxquels l'Europe est confrontée, et pour éviter un risque de déclassement militaire de l'Europe, face à l'émergence de nouvelles puissances, vous proposez une approche pragmatique, centrée sur des projets industriels. Quels pourraient être ces projets industriels et cette approche ? Est-elle réaliste, alors que le projet ruineux de bouclier anti-missiles, promu par les Etats-Unis, risque de « cannibaliser » encore plus les crédits disponibles pour la défense des pays européens ?
M. André Vallini. - Vous avez rappelé qu'entre 1945 et 1949 la plus grande crainte des Européens était un départ des soldats américains du continent européen face à la menace soviétique et que la signature du traité de l'Atlantique Nord avait contribué à rassurer les Européens. Depuis 1949, la défense de l'Europe est assurée par l'OTAN.
Avec le recentrage des Etats-Unis vers la zone Asie-Pacifique, avez-vous perçu lors de vos différents entretiens, notamment à Washington, une volonté des Etats-Unis, avouée ou non, de se retirer progressivement de l'Alliance atlantique, ou du moins un moindre intérêt américain à l'égard de l'OTAN, et en parallèle une plus grande ouverture des responsables américains à l'émergence d'un « pilier européen » au sein de l'OTAN, ou une certaine « européanisation » ? Par ailleurs, quelle pourrait être la place de la France au sein d'une OTAN plus européenne ?
M. Xavier Pintat. - Permettez-moi, tout d'abord, Monsieur le Ministre, de vous féliciter pour la qualité de votre rapport, dont j'ai pris connaissance avec le plus grand intérêt.
La principale conclusion de votre rapport est qu'une sortie du commandement intégré n'est pas une option et que la France doit au contraire s'efforcer de retrouver toute sa place au sein de l'Alliance. Comme vous le soulignez à juste titre dans votre rapport, depuis la décision prise en 1966 par le Général de Gaulle de quitter le commandement militaire intégré, le contexte a radicalement changé, avec notamment la disparition du bloc soviétique. Par ailleurs, la décision prise par l'ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, d'une réintégration pleine et entière de la France au sein du commandement militaire intégré, bien que très critiquée à l'époque, ne remet aucunement en cause notre souveraineté ni notre indépendance nucléaire. Je rappelle d'ailleurs que la France ne participe pas au groupe des plans nucléaires. On peut d'ailleurs se demander s'il aurait été possible, sans cette réintégration pleine et entière de la France dans l'OTAN, de conclure les accords franco-britanniques en matière de défense ou de lancer l'opération en Libye.
Grâce notamment à cette réintégration, la France exerce une influence croissante au sein de l'Alliance. Ainsi, notre pays a joué un rôle important dans l'adoption du nouveau concept stratégique lors du Sommet de Lisbonne en 2010, en ce qui concerne la réforme de la structure de commandement ou encore pour la conception d'une alliance défensive et d'une alliance nucléaire.
Notre pays a également accepté, lors du dernier Sommet de Chicago, la mise en place d'une capacité intérimaire de défense anti-missiles de l'OTAN du territoire et des populations, à condition qu'un tel système soit un complément et non un substitut à la dissuasion.
Alors que la France s'était engagée auprès de ses alliés pour se doter d'une capacité de détection et d'alerte avancée (radar et satellite), je souhaiterais connaître votre opinion sur la défense anti-missiles de l'OTAN, la contribution éventuelle de la France et ses implications sur l'Europe de la défense et les relations avec la Russie.
Par ailleurs, que pensez-vous du processus d'élargissement de l'OTAN et de l'idée selon laquelle le prochain Sommet de l'Alliance pourrait être celui d'un nouvel élargissement ? Lors de la session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN nous avons assisté à un plaidoyer en faveur de la poursuite de l'élargissement de plusieurs dirigeants des pays des Balkans et du président géorgien Mikheil Saakashvili. Quelles pourraient être les conséquences d'un tel élargissement, notamment en ce qui concerne nos relations avec la Russie ?
Enfin, avec la réélection de Barack Obama et l'attitude plus ouverte de nos amis américains, nous avons une formidable opportunité pour promouvoir une « européanisation » de l'Alliance atlantique. La question est de savoir si nous aurons la volonté et les moyens de saisir cette opportunité.
Mme Josette Durrieu. - Je voulais également vous interroger au sujet de nos relations avec la Russie.
Par ailleurs, vous avez employé le terme de « prétexte » au sujet du programme militaire nucléaire de l'Iran pour la mise en place du système de défense anti-missile de l'OTAN de protection du territoire et des populations. Est-ce que cela veut dire que le programme militaire nucléaire de l'Iran ne constitue pas réellement une menace à vos yeux ? Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur l'importance de ce dossier dans le contexte national et régional ? Peut-on envisager un Moyen Orient sans armes nucléaires ?
M. Pierre Bernard-Reymond. - Que pensez-vous de l'action de l'OTAN en matière de lutte contre le terrorisme international ?
M. Jeanny Lorgeoux. - Quelle appréciation portez-vous sur les propos bellicistes de certains hauts responsables ou militaires chinois ? Faut-il s'en alarmer ?
M. Jean-Louis Carrère. - L'un des principaux leviers d'influence de la France au sein de l'Alliance atlantique est la représentation permanente de la France auprès de l'OTAN, qui est placée sous la direction de notre excellent ambassadeur Son Exc. M. Philippe Errera. Or, en raison de la contraction des effectifs du Quai d'Orsay ces dernières années, la représentation permanente de la France auprès de l'OTAN est sous-dimensionnée, comme nous avons pu le constater lors de précédents déplacements, notamment à l'occasion de réunions dans le cadre de l'assemblée parlementaire de l'OTAN.
Les effectifs de notre représentation à l'OTAN sont inférieurs de moitié à celle du Royaume-Uni, d'un tiers à celle de l'Allemagne et se situent au même niveau que celle des Pays-Bas.
Ne pensez vous pas, Monsieur le ministre, qu'il faudrait recommander une mise à niveau de notre représentation permanente auprès de l'OTAN afin que notre pays puisse exercer une plus grande influence au sein de l'alliance ?
Naturellement, cette question s'adresse davantage au ministre des affaires étrangères mais j'aurais souhaité avoir votre sentiment sur ce sujet.
M. Hubert Védrine - S'agissant de la représentation française à l'OTAN, je partage votre sentiment. Comme nous l'avions souligné avec Alain Juppé, lors d'une tribune publiée par le journal Le Monde, le ministère des affaires étrangères est le ministère qui a le plus perdu en proportion lors de la déflation des effectifs avant la RGPP, et après.
En ce qui concerne les conclusions du rapport, notez bien que je ne justifie pas le retour mais bien la non-sortie. La France doit investir dans une réflexion stratégique, savoir quel modèle d'armée elle souhaite construire, procéder à une analyse des menaces sur les plans géographique, politique, technique. Et ce n'est qu'à l'issue de cette analyse que nous pourrons savoir si l'Alliance atlantique constitue la réponse pertinente à toutes les menaces, identifier dans quelles circonstances il est plus pertinent d'intervenir seul, ou au sein de l'alliance, etc...
Vous dites que le tableau que je dresse de l'Europe de la défense est attristant c'est parce que il est réaliste. La volonté des Européens de construire cette défense est quasi inexistante. La fin de l'URSS nous a privés d'ennemis. Les Européens souhaitent bénéficier des dividendes de la paix. Sous la présidence de François Mitterrand, Roland Dumas, alors ministre des affaires étrangères, avait évoqué la possibilité, au moment de la chute de l'empire soviétique, de conserver le traité mais d'en changer l'organisation elle-même, l'OTAN. Il n'avait trouvé absolument aucun soutien parmi nos partenaires européens.
Il nous faut nous concentrer sur les enjeux industriels, sans oublier les questions stratégiques. Aujourd'hui, pour l'Europe, une des principales menaces n'est pas militaire mais économique : c'est la perte de compétitivité par rapport aux pays émergents, mais également par rapport aux Etats-Unis, Ces derniers ont non seulement un budget de défense qui représente 47 % des dépenses militaires mondiales, mais également une avance technologique considérable.
L'Alliance n'est pas une solution à toutes les menaces, il n'y a d'ailleurs pas de réponse globale. Les menaces sont aujourd'hui très variées et n'appellent qu'accessoirement des réponses militaires. En outre, au sein de l'Alliance, la perception des menaces est extrêmement variable. Ainsi pour les Polonais, la principale menace demeure, dans l'esprit de ses dirigeants, la Russie. En France, certains ont la tentation de penser que les menaces d'ordre militaire ont disparu et que nous pourrions encore réduire notre outil de défense. Cet angélisme s'en remet volontiers à la « communauté internationale ». Il s'agit d'un concept bien abstrait. Il y a bien des enceintes internationales, le Conseil de sécurité, le G20, mais pas de communauté internationale capable de décider, pas de centre de pouvoir.
Qu'est-ce que le monde aujourd'hui, les nations dites « unies » ? Ce sont deux cents pays en compétition : les États-Unis, première puissance mondiale, une trentaine de puissances dont quelques grandes puissances montantes, quelques dizaines d'États qui ne sont pas des puissances, mais qui tiennent encore la route, contrôlent encore leur territoire, et tous les autres qui ne contrôlent rien. Les activités illégales vont de 5 à 10 % du PNB mondial. Les grandes entreprises ont des chiffres d'affaires bien plus considérables que le PNB de 80 % des États membres des Nations unies ! La « communauté internationale » n'existe pas encore. C'est un objectif louable, mais elle n'existe pas concrètement. Et l'Occident ne peut plus faire le ventriloque avec le concept de « communauté internationale », comme si c'était lui ...
Parmi les questions que doit se poser la commission sur le Livre blanc : qu'est-ce que la France doit continuer à savoir faire seule ? Que doit-elle faire avec les Allemands et les Britanniques ? Ou à 5 ou 6 ? Que doit-on faire à 27 ? Ou dans l'Alliance ? Il faut faire une grille d'analyse avec ces questionnements. Notre concept stratégique sera la réponse à l'ensemble de ces questions.
Par exemple, la France doit-elle garder une capacité d'intervention en Afrique ? Toutes les puissances ont une politique africaine aujourd'hui. Et la France ne devrait plus en avoir à cause de son passé colonial ? Une des seules réalisations notables de l'Europe de la défense est l'opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Somalie. C'est un succès et on peut d'ailleurs se demander s'il est pertinent de maintenir en parallèle une opération de l'OTAN.
Je pense que la défense antimissile balistique va finir par devenir problématique. Les États-Unis eux-mêmes ne seront peut-être pas en mesure de financer les phases 3 et 4, même en faisant appel aux financements européens. Mais la question doit être posée, plus d'un an à l'avance : faudra-t-il aller au-delà du stade 2 ? Il faut des points de repère pour amorcer cette discussion. D'ailleurs, il pourrait tout à fait y avoir des Sommets de l'OTAN sans conclusion par désaccord. Cela arrive bien pour les sommets européens ! Il faut se préparer au désaccord éventuel. Cette position ne rejoint ni celle des atlantistes classiques, non plus que le confort de notre « indépendance » passée.
Les questions de Jean-Pierre Chevènement renvoient au fond à la définition de notre politique étrangère. Notre retour au sein de l'OTAN ne devrait pas signifier pas notre alignement. D'ailleurs, j'ai observé des subtilités et des nuances entre la position de l'OTAN à Bruxelles, qui cherchera un second souffle après le retrait d'Afghanistan, et celle exprimée à Washington, qui ne reflète pas cette inquiétude, et qui est logiquement tournée vers la nouvelle priorité asiatique. L'Europe ne présente pas un risque aux yeux de l'administration américaine, sauf peut-être en termes de récession économique, compte tenu du rythme trop précipité des ajustements budgétaires, qui soulèvent des inquiétudes dont le président Obama a fait part à la chancelière allemande. Nous ne pouvons que nous féliciter, à mon sens, que l'Europe n'ait pas été un enjeu de la campagne électorale américaine. Cela nous offre de nouvelles opportunités.
Peut-on trouver une nouvelle marge de manoeuvre au sein de l'Alliance, tout en préservant l'article 5? Certains croyaient que notre réintégration pleine et entière ferait disparaître la méfiance des autres Européens par rapport aux initiatives françaises en faveur d'un « pilier européen ». Aujourd'hui, la situation n'est paradoxalement pas meilleure, tant nos partenaires européens craignent un départ total des Américains vers l'Asie ! Ce qui est absurde. Pour autant, ils ne veulent pas prendre de risques ni dépenser plus. Ils se sont installés dans une position de dépendance. Je l'ai dit aux responsables américains que j'ai rencontrés et qui me ressortaient le couplet classique sur le partage du fardeau : cela est de votre faute. L'OTAN est victime de son succès. Elle a annihilé l'esprit de défense et comme vous n'avez jamais poussé dans l'OTAN à ce que les Européens prennent plus de responsabilités, il ne faut pas vous étonner maintenant qu'ils aient ce comportement irresponsable. Il faut peut être changer cela. Je n'exclus pas un scénario qui n'est pas exclusif du précédent, qui serait que cela ne dérange pas les Américains que les Européens jouent un rôle plus important. Ils ne le demandent pas - mais ils pourraient l'accepter. Testons-le. D'abord auprès de nos amis Américains, puis avec les autres Européens. Moins on oppose l'Europe de la défense et l'Otan, plus on les combine, plus on obtiendra une approche dynamique.
S'agissant de la question de la DAMB, il faut être vigilant. Si on dit « on ne peut pas parce que cela nous coûte trop cher », alors les autres diront : « mais vous pouvez prendre une part plus grande pour vos industriels » et dès lors nous aurons un lobby pro-DAMB chez nous. Comme ce sont les mêmes qui font la dissuasion et l'antimissile... Il faut donc faire attention à ne pas être pris dans cet engrenage.
Pour l'élargissement : il vaut mieux ne pas réveiller cette question.
Sur la Russie, prenons garde à ce que notre politique ne soit pas prédéterminée par des décisions qui auraient été prises dans l'Otan, et que nous n'aurions pas pu ou voulu empêcher. Si la Russie réagit à ces décisions avec un peu d'hystérie ou de mise en scène - mais tout le monde le fait - on va finir par ne plus avoir de politique russe. C'est très difficile aujourd'hui de nous abstraire de la position de la Russie sur la Syrie, des décisions de l'Otan que la Russie rejette, de la position russe sur la Syrie présentée comme s'expliquant avant tout par la crainte d'une contagion islamiste au Nord Caucase, point sur lequel Vladimir Poutine est très soutenu par son opinion publique.
Nous avons besoin d'une politique russe.
Ce n'est pas parce que nous allons être très dynamiques dans l'Otan, que nous devons accepter un changement de son objet. L'Alliance atlantique est une alliance défensive de l'Atlantique nord. Elle doit le rester. Ne soyons pas simplistes, il y a des menaces sur l'Atlantique nord qui peuvent venir de l'autre bout du monde. Mais il ne faut pas aller n'importe où dans n'importe quelles conditions. Je me permets du reste de rappeler à ceux qui s'occupent de l'Arctique, que le traité est limité géographiquement au sud - par le tropique du cancer - mais pas au Nord.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous sommes très nombreux à vous avoir écouté. Votre entretien était particulièrement éclairant. La conclusion qui s'impose à nous, avec un relief saisissant, est qu'il ne faut pas diminuer l'effort de défense français.
Session annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN - Communication
La commission entend le compte rendu de M. Jean-Louis Carrère sur la session annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, à Prague du 9 au 12 novembre 2012.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je souhaiterais maintenant aborder un sujet lié au précédent puisqu'il concerne l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
Avec nos collègues MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier, Xavier Pintat et Jean-Marie Bockel, nous nous sommes rendus à Prague, du 9 au 12 novembre dernier, pour participer à la session annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
La délégation de l'Assemblée nationale, conduite par notre collègue député Gilbert Le Bris, était composée de 11 députés, dont Mme Patricia Adam, Mme Nicole Ameline, M. Guy-Michel Chauveau, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Francis Hillmeyer, M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Lellouche, M. Jean-Luc Reitzer, M. Philippe Vitel et Mme Odile Saugues.
Compte tenu de l'intérêt de nos échanges, il m'a paru intéressant de vous présenter un compte rendu de cette session.
Outre une rencontre traditionnelle avec notre ambassadeur à Prague, Son Exc. M. Pierre Levy, qui nous a notamment parlé de la situation en République tchèque et de l'éviction d'AREVA de l'appel d'offres concernant l'extension de la centrale nucléaire de Temelin, éviction qui profiterait à la Russie, cette session aura, en effet, été marquée par l'élection d'un nouveau président et le renouvellement du bureau de l'Assemblée, l'adoption de nombreux rapports et résolutions, portant sur des sujets aussi variés que la transition en Afghanistan, la situation en Syrie, le programme nucléaire militaire de l'Iran, ou encore les conséquences de la réduction des budgets de la défense sur l'Alliance atlantique. Nous avons également entendu plusieurs communications de hauts responsables de l'OTAN ou d'experts.
Au cours de la séance plénière, sont notamment intervenus le Premier ministre tchèque, les présidents du Sénat et de la chambre des députés de la République tchèque, les dirigeants de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine, du Monténégro, le président de la Géorgie, M. Mikheil Saakashvili, ainsi que le Secrétaire Général de l'OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen.
Je me limiterai à mentionner quelques uns des thèmes abordés dans le cadre de la commission politique et lors la séance plénière, avant de laisser la parole à mes collègues pour qu'ils vous présentent les principaux sujets évoqués lors des débats au sein des autres commissions.
Mais avant cela, je pense utile de dire un mot sur le rôle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN et sur la place et l'influence des parlementaires français au sein de cette instance.
Je rappelle que l'Assemblée parlementaire de l'OTAN regroupe des parlementaires des 28 pays membres de l'Alliance de l'Atlantique Nord (dont les Etats-Unis et le Canada), de 14 pays associés (dont la Russie), de 4 pays partenaires (comme l'Algérie) ainsi que de 7 pays observateurs (comme le Japon).
Organe consultatif, elle constitue un forum utile de discussion sur tous les sujets intéressant l'Alliance atlantique, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre du nouveau concept stratégique, de la réforme des structures de commandement, de la défense anti-missiles, des relations transatlantiques, des relations OTAN-Union européenne, ou encore des opérations de l'OTAN, comme en Afghanistan.
Elle comprend 257 membres, qui sont désignés par leurs parlements respectifs, auxquels s'ajoutent 66 sièges pour les pays associés.
Le Parlement français dispose de 18 sièges, répartis entre 11 députés et 7 sénateurs titulaires, chaque membre disposant d'un suppléant. La délégation française est présidée alternativement d'une année sur l'autre par un député puis un sénateur.
L'Assemblée se réunit en session plénière deux fois par an, à tour de rôle dans les différents pays membres. Elle comporte cinq commissions (politique, dimension civile de la sécurité, défense et sécurité, économie et sécurité, sciences et technologies), qui se réunissent lors de chaque session et effectuent des déplacements durant l'année.
Sur la base des rapports élaborés par ces commissions, elle adopte des recommandations et des résolutions, qui sont adressées au Secrétaire général de l'OTAN, ainsi qu'aux gouvernements des États membres.
La session de Prague a d'abord été marquée par l'élection du député britannique M. Hugh Bayley à la présidence de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, en remplacement de l'allemand M. Karl Lamers.
La présidence de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN change tous les deux ans et est occupée en alternance par un représentant du parti conservateur ou un représentant du parti socialiste, mais qui est traditionnellement issu d'un pays européen.
Étant donné que M. Karl Lamers arrivait au terme de son deuxième mandat, il devait donc être logiquement remplacé par un membre du groupe socialiste.
Deux candidatures avaient été présentées au sein du groupe socialiste, celle du portugais M. Julio Miranda Calha et celle du britannique M. Hugh Bayley.
A l'issue d'un vote, M. Hugh Bayley l'a emporté au sein du groupe et a donc été désigné comme président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
Le bureau de l'Assemblée a également été profondément renouvelé.
La répartition des différents postes au sein de l'Assemblée répond à un subtil équilibre, avec le souci d'assurer une représentation équilibrée entre les différentes nationalités et les différents groupes politiques.
D'une manière générale, la session de Prague a été marquée par un renforcement de l'influence française au sein des différentes structures.
Notre collègue Mme Nicole Ameline a été élue à l'un des cinq postes de vice-présidents de l'Assemblée, aux côtés de M. Karl Lamers (Allemagne), Mme Cheryl Galland (Canada), M. Giorgio La Malfa (Italie) et M. Julio Miranda Calha (Portugal).
On peut également relever l'élection de notre collègue député M. Philippe Vitel à la présidence de la commission « sciences et technologies » ou encore l'élection de notre collègue M. Xavier Pintat comme rapporteur de la sous-commission sur l'avenir de la sécurité et des capacités de défense de la commission de la défense et de la sécurité.
Malgré ce renforcement, je considère toutefois que notre pays n'occupe pas encore la place qu'il mérite et qu'il reste encore d'importants progrès à accomplir pour renforcer notre influence, notamment par rapport à nos amis britanniques ou allemands.
Je rappelle, en effet, que notre pays, membre fondateur de l'OTAN, est le quatrième contributeur à l'Alliance atlantique, comme à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
Je précise également que le français est, avec l'anglais, l'une des deux langues officielles de l'Alliance atlantique, même si on peut déplorer, année après année, un recul de l'usage de notre langue au profit de l'anglais, certains hauts responsables de l'OTAN, pourtant de nationalité française, préférant s'exprimer dans la langue de Shakespeare.
Je considère donc qu'il est important que nos représentants participent activement aux différentes activités de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, qui représente un lieu unique d'échanges et de débats sur les questions de défense et de sécurité.
Malgré les restrictions budgétaires auxquelles nous devons faire face, je pense aussi que nous devrions prendre des initiatives. Ainsi, en accord avec notre collègue député, M. Gilbert Le Bris, et sous réserve de l'accord des questeurs de l'Assemblée nationale et du Sénat, nous avons ainsi proposé que la France accueille à Paris une réunion de la commission permanente de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN en 2016.
Pourquoi aussi ne pas organiser à nouveau un déjeuner pour les parlementaires francophones lors de chaque session, à l'image du déjeuner organisé pour les parlementaires germanophones par la délégation allemande ?
J'en viens maintenant aux principaux sujets qui ont été discutés lors de la session : L'avenir de l'Alliance atlantique et la situation en Syrie.
Dans un contexte marqué par le recentrage des Etats-Unis sur la zone Asie-Pacifique et la diminution sensible des budgets de la défense chez la plupart des pays européens, en raison de la crise économique et financière, la question de l'avenir de l'OTAN a été au centre des préoccupations.
Certes l'Alliance atlantique s'est dotée d'un nouveau concept stratégique, lors du Sommet de Lisbonne de 2010 et, lors du récent Sommet de Chicago, les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris plusieurs décisions importantes, comme la mise en place d'un système de défense anti-missiles du territoire, qui soit un complément et non un substitut à la dissuasion nucléaire.
Mais, la réduction des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires européens suscite des interrogations sur l'avenir de l'Alliance.
Ainsi, le Secrétaire général de l'OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, a dressé un constat alarmant en précisant que, de 2001 à 2011, alors que les Etats-Unis continuent d'occuper le premier rang au monde en matière de dépenses de défense (avec 45 %), la part des pays européens membres de l'alliance est passée de 20 à 18 %.
Au cours de la même période, les dépenses de défense des pays émergents (BRIC - Brésil, Russie, Inde, Chine) ont augmenté, passant de 8 à 13,5 % des dépenses mondiales.
Aujourd'hui, avec 5,5 % des dépenses de défense mondiales, la Chine dépasse tous les pays alliés, à l'exception des Etats-Unis, tandis que les dépenses militaires du Japon sont au même niveau que celles de la France (3,6 %), et l'Arabie Saoudite (2,9 %) a dépassé l'Allemagne (2,7 %).
En 2015, le budget de défense de la Chine devrait dépasser le total cumulé des dépenses militaires des huit premiers pays européens !
Depuis 2001, alors qu'aux Etats-Unis les dépenses militaires se sont accrues de 3,2 à 4,8 % du PIB, les dépenses de défense des alliés européens, sont passés en moyenne de 1,9 à 1,5 % du PIB.
Aujourd'hui, seuls trois pays européens (le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce) atteignent l'objectif de 2 % du PIB consacré à la défense. 17 pays européens consacrent moins de 1,5 % du PIB à la défense, dont l'Allemagne (1,35 %). Dans de nombreux pays, comme l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas ou la République tchèque, les dépenses militaires ont connu des coupes drastiques ces dernières années. Quatre pays consacrent moins de 1 % de leur PIB à la défense. La part des dépenses militaires au sein de l'OTAN assurée par les Etats-Unis est, quant à elle, passée en dix ans de 66 à 77 %, creusant le fossé des deux côtés de l'Atlantique.
Face à cette situation, évoquant le discours de Robert Gates, et celui, plus diplomatique de son successeur, Léon Paneta, appelant les Européens à ne pas réduire leurs capacités de défense, le Secrétaire général de l'OTAN a, lors de la séance plénière, fait un vibrant plaidoyer en faveur du maintien de l'effort de défense et du développement des coopérations bilatérales et multilatérales. Car la réduction drastique des dépenses de défense chez la plupart des pays européens suscite de sérieux doutes outre-Atlantique.
Alors que les Etats-Unis sont eux-mêmes confrontés à des difficultés budgétaires et envisagent de réduire leurs dépenses militaires, les représentants américains au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN ont ainsi appelé les pays européens à prendre davantage leurs responsabilités au sein de l'alliance.
Ils ont ainsi évoqué un projet de loi, adopté par la chambre des représentants, et actuellement en discussion au Sénat, prévoyant de retirer deux des quatre brigades de combat américaines stationnées en Europe et l'amendement présenté par un républicain visant à retirer toutes les troupes américaines stationnées en Europe, au grand dam des pays les plus « atlantistes », notamment les pays d'Europe centrale et orientale.
« Pourquoi les contribuables américains devraient-ils payer pour assurer la sécurité des Européens si ceux-ci ne sont pas disposés à prendre en charge leur sécurité ? », ont-ils fait valoir.
Alors que la position américaine n'a jamais été aussi ouverte à l'émergence d'un « pilier européen » au sein de l'Alliance atlantique, dont on a pu voir les prémices en Libye, c'est paradoxalement le manque de volonté politique et de moyens des pays européens qui en constitue aujourd'hui la principale limite.
Le Secrétaire général de l'OTAN a développé son concept de « Smart Defense » ou défense intelligente, qui consiste à encourager le partage et la mutualisation des capacités entre les pays membres de l'Alliance.
Notre collègue député M. Gilbert Le Bris a, quant à lui, insisté sur le renforcement de la coopération entre l'Alliance atlantique et l'Union européenne, toujours bloqué par la Turquie et Chypre, et plaidé pour la relance de l'Europe de la défense.
Pour ma part, j'ai insisté sur la nécessité de préserver la base industrielle et technologique de défense européenne, face au danger représenté par le recours accru au financement en commun, qui pourrait se traduire par un achat sur étagère d'équipements américains.
Lors de la séance plénière, nous avons également entendu un plaidoyer du président géorgien et de plusieurs pays des Balkans en faveur de la poursuite de l'élargissement de l'OTAN aux pays des Balkans et à la Géorgie.
Avec le soutien de nos collègues allemands, la délégation française a été l'une des seules à faire part de quelques interrogations sur l'élargissement de l'OTAN à la Géorgie, en s'abstenant lors du vote d'une résolution, compte tenu à la fois de la situation politique de ce pays, dont une partie du territoire a fait sécession, et de la nécessité de ne pas provoquer inutilement la Russie.
La situation en Syrie a constitué le deuxième grand sujet de cette session.
Malgré l'opposition résolue de la délégation russe, qui a présenté plusieurs amendements, l'Assemblée parlementaire de l'OTAN a adopté une résolution assez forte sur la Syrie
Je suis moi-même intervenu, en commission et en séance plénière, pour appeler la communauté internationale à prendre des mesures pour faire cesser les massacres et les crimes commis par le régime de Damas. Alors que la séance plénière s'est tenue au lendemain de la conférence de Doha, j'ai notamment salué cette étape majeure en vue de l'unification de l'opposition syrienne, qui ouvre la voie à la reconnaissance de cette coalition comme représentante légitime du peuple syrien.
Depuis lors, la France et le Royaume-Uni ont d'ailleurs reconnu la coalition nationale syrienne comme la seule représentante du peuple syrien.
D'autres rapports ou résolutions adoptés à Prague ont porté notamment sur la transition en Afghanistan, le printemps arabe, le programme nucléaire militaire de l'Iran, la démocratie à l'Est de l'Europe, etc.
L'ensemble de ces documents (rapports et résolutions) est disponible sur le site Internet de l'Assemblée mais notre secrétariat se tient à votre disposition si vous souhaitez les consulter.
Mercredi 28 novembre 2012
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Loi de finances pour 2013 - Mission Défense - Programme « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis
Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission examine le rapport pour avis de MM. Gilbert Roger et André Dulait sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : mission Défense (programme 178 « Préparation et emploi des forces »).
M. André Dulait, co-rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, comme vous le savez, le programme « Préparation et emploi des forces » regroupe la majeure partie des dépenses de personnel et de fonctionnement des armées. Avec 23 milliards, ce programme est le plus important en volume de la mission Défense.
J'exposerai dans un premier temps l'évolution des dépenses de personnels, puis en remplacement de notre collègue Gilbert Roger, les dépenses de fonctionnement et de maintien en condition opérationnelle.
Le programme 178 rassemble 88 % des effectifs du ministère de la défense, soit 260 000 Équivalents temps plein travaillés (ETPT). Il s'agit à 84 % de militaires et à 16 % de civils. Ce programme concentre donc toutes les problématiques de la gestion des ressources humaines des armées. Il constitue aujourd'hui le coeur de ce que l'on appelle « la grande manoeuvre des ressources humaines » en cours.
Comme vous le savez, ce projet de budget est marqué à la fois par la continuité, liée à l'application de la loi de programmation notamment en matière de déflation des effectifs, et par une forme de rupture liée au décalage entre les ressources aujourd'hui programmées et celles initialement prévues qui atteint 10 milliards d'euros sur la période 2013-2015, soit quasiment une année de masse salariale du ministère hors pensions.
C'est donc dans ce contexte particulièrement contraint qu'il faut comprendre l'évolution du programme 178 pour 2013.
Je ne vais pas revenir sur la LPM, mais je rappellerai juste qu'avec une suppression programmée de 54 000 postes, la diminution du format d'ici 2014 est sans précédent : Il s'agit là d'une réduction de plus de 20 % de nos effectifs, 36 000 devaient procéder de l'optimisation des fonctions soutien, et 18 000 des unités combattantes.
Mais plus encore que la déflation des effectifs, c'est la réorganisation des méthodes, la dissolution d'organismes majeurs, la création des 60 bases de défenses, la mutualisation et la rationalisation du soutien commun.
Toutes ces réformes menées de front constituent autant de défis pour les armées qui sont en train de procéder à une transformation inédite par son ampleur. Les errements de ce qui devait être une optimisation du paiement des soldes avec la catastrophe que constitue le Logiciel Louvois et ses conséquences sont à comprendre dans ce contexte : une réforme sans précédent menée au pas de charge.
Comme l'a souligné le chef d'Etat-major des armées, la fin des déflations programmées sera sans doute plus difficile à réaliser. Elle ne résulte en effet plus de dissolutions massives de structures mais de rationalisations dans de multiples métiers. C'est un vrai défi. Compte tenu de nouveaux besoins, l'objectif de 54 000 ne sera probablement pas atteint. Cet objectif a été fixé avant que l'on ne décide d'augmenter les effectifs de notre base aux Émirats Arabes Unis, de réintégrer l'OTAN ou de maintenir une présence en Côte d'Ivoire.
Mais la diminution des effectifs est déjà considérable. Le « coeur projetable » de l'armée de terre devrait se situer en 2015 à 70 000 hommes, c'est-à-dire moins que le nombre de places dans le Stade de France. De même, les effectifs de la marine avec 35 000 marins en 2015, soit une diminution de 45 % en 18 ans sont, de fait, très inférieurs à ceux de la RATP.
Nos armées entreprennent un processus de transformation considérable, mais le paradoxe, c'est que d'un point de vue budgétaire, les économies directement liées à la réduction des effectifs ont été jusqu'à présent assez faibles. D'après la Cour des comptes, malgré la suppression de 29 000 emplois, la masse salariale a continué de progresser jusqu'en 2011. Pourquoi ? Pour une série de raisons qui s'additionnent : des dépenses non budgétées comme la réintégration dans l'OTAN, mais aussi l'amiante, l'indemnisation chômage, les dépenses sociales, une légère déformation de la pyramide des grades, mais aussi des dépenses qui avaient été anticipées et voulues et notamment la revalorisation de la condition militaire.
Un point sur ces mesures pour dire que si les traitements des militaires commencent à être alignés sur ceux de la fonction publique, compte tenu de la mobilité obligatoire des militaires, quand on regarde au niveau du ménage, à qualification équivalente, les militaires ont un revenu par famille de 17 % inférieur à leur homologue de la fonction publique, en raison de la difficulté pour les femmes de militaires de faire des carrières satisfaisantes. Ce budget prévoit une légère augmentation des autorisations d'engagement de 0,7 % et de 1 % des crédits de paiement.
Les principales mesures au titre du PLF 2013 sont la prise en compte de l'objectif gouvernemental de réduction en 2013 de 7 % des dépenses de fonctionnement par rapport à la LFI 2012 hors dépenses de fonctionnement dites incompressibles et la stabilisation puis la réduction de la masse salariale. Il est notamment prévu une diminution de la masse salariale de 5 % de 2012 à 2015.
2012 a été marquée par la poursuite des efforts de rationalisation et d'optimisation, mais aussi par un gel de 2 000 recrutements qui se poursuivra en 2013.
Il y a là un sujet de préoccupation. Si la déflation d'effectifs se fait en resserrant trop les recrutements, cela se traduira par :
- le vieillissement des armées,
- un déséquilibre de la pyramide des grades,
- un embouteillage des carrières,
- et vraisemblablement un gonflement des soutiens.
Ces évolutions, à l'opposé de ce que nous recherchons, se traduiraient par une désorganisation des structures opérationnelles.
On observe par ailleurs un télescopage entre la volonté de réduire les effectifs par des incitations au départ et l'allongement des durées de cotisation lié à la réforme des retraites. Les premiers effets de la réforme des retraites se sont fait sentir en 2012. On estime que la réforme va réduire les départs annuels spontanés de 600 par an.
Par ailleurs, suite aux remarques de la Cour des comptes et aux pressions de Bercy, le ministère de la défense a adopté un dispositif de contingentement qui réduira les flux d'avancement au choix de 15 à 23 % pour les grades d'officiers supérieurs selon des modalités encore à définir. Évidemment cela ne contribue pas au moral de ceux qui portent la réforme.
Je ne vais pas vous assommer de chiffres, je vous renvoie à notre rapport écrit pour ce qui est de l'évolution en détail de chaque ligne budgétaire.
Un mot sur quelques points qui méritent notre attention :
- l'intégration dans l'OTAN dont nous avons longuement parlé hier après-midi avec M. Hubert Védrine. La participation pleine et entière à l'OTAN se monte pour 2012 à 925 personnes. Au total, les surcoûts de la montée en puissance en année pleine hors budgets opérationnels, sont actuellement évalués à 75 millions par an.
- les forces de souveraineté, qui apporteront une contribution non négligeable à la déflation, avec une réduction entre 2008 et 2020 qui représentera 23 % des effectifs ;
- les forces pré-positionnées devraient voir leur coûts diminuer de 440 millions d'euros en 2011, à moins de 400 millions en 2014 ;
- un dernier mot sur les OPEX : depuis une dizaine d'années, le nombre de militaires français déployés en opérations extérieures était supérieur à 10 000. Il devrait être de l'ordre de 5 000 à la fin du mois de décembre. La forte diminution des forces projetées, après une longue période d'engagements soutenus, constitue un véritable défi pour les armées, qui doivent s'adapter, que ce soit en termes d'entraînement ou de gestion des personnels. Logiquement, cette déflation des opérations extérieures se traduit par une baisse des coûts, plus exactement du « surcoût OPEX », proche de 1,2 milliard d'euros en 2011, il devrait être de 873 millions d'euros à la fin de l'année 2012.
J'en viens maintenant aux dépenses hors titre 2, que notre collègue Gilbert Roger m'a demandé de vous présenter en son nom.
En dehors du titre 2, les dépenses regroupent les crédits consacrés au fonctionnement des armées, c'est-à-dire le soutien et l'entraînement opérationnel.
Beaucoup de dépenses incompressibles augmentent mécaniquement, c'est en particulier le cas des fluides ou de l'énergie. Parallèlement, le coût structurellement croissant du maintien en condition opérationnelle des équipements cannibalise progressivement les autres dépenses. De plus, avec le désengagement d'Afghanistan, les besoins en entraînement seront plus importants en 2013.
C'est dire combien l'équation a été complexe et combien les choix ont été difficiles. Au total, deux priorités ressortent :
- un effort de sincérité, en augmentant les crédits jusque là sous-évalués des bases de défense, et je dois dire que notre rapport d'information a eu un retentissement que nous n'avions pas imaginé, non seulement pour le niveau des dotations budgétaires mais aussi pour de très nombreux points d'organisation... vous en trouverez le détail dans le rapport écrit ;
- deuxième choix, préserver « le plus possible » le fonctionnement directement lié à l'activité opérationnelle.
Malgré un réel effort budgétaire, certaines évolutions alarmantes n'ont pu être stoppées, comme l'inexorable érosion du nombre de jours d'entraînement des forces.
Dans l'armée de terre, le nombre de jours d'entrainement sera de 105 contre un objectif LPM de 150. Qui plus est, les indemnités de service en campagne risquent de venir « sur-rationner » l'entrainement puisque 46 des 105 jours ne pourront donner lieu à indemnité : l'entrainement devra se faire dans les garnisons...
Pour la marine, la diminution continue des jours de mer observée ces dernières années se poursuit, on est à 88 jours en 2013 contre un objectif LPM à 100, et l'arrêt technique du porte-avions, avec un taux de disponibilité de 38 jours en 2013, viendra obérer encore davantage l'entrainement du groupe aéronaval et de la chasse embarquée.
Pour l'armée de l'air, le chef d'état major nous a décrit le même risque d'érosion des savoirs-faires opérationnels, avec un déficit d'activité de 20 % par rapport au besoin d'entraînement des équipages.
Ce qui est acceptable ponctuellement, dans une situation d'attente, ne l'est plus dans la durée. Nous approchons d'un seuil qui pourrait devenir critique, tant sur la préservation des compétences, que sur l'attractivité des carrières, voire sur la sécurité des personnels...
Les lignes budgétaires qui ont été rabotées sont celles de la vie courante de nos soldats : l'alimentation, les frais de mutation, la formation, le fonctionnement courant, la communication, qui, entre parenthèses, inclut aussi les campagnes de recrutement et peut donc s'avérer finalement être assez stratégique....
Quand on rogne sur le quotidien, dans l'univers complètement chamboulé que nous vous avons décrit l'an passé avec Gilbert Roger, quand les opérations extérieures diminuent, quand on contingente les promotions et qu'en plus, il y a des problèmes de versement de solde, quand des perspectives sombres se dessinent peut être sur le format, il ne faut pas s'étonner qu'on atteigne un « seuil d'alerte » en termes de moral des troupes. Tous les responsables nous le disent. Or ce sont les personnels qui portent la réforme !
En conclusion, je ne m'opposerai pas à l'adoption des crédits du programme 178 et de la mission défense, que mon collègue Gilbert Roger, s'il avait été là, vous aurait invité à adopter.
Sans préjuger du vote sur les crédits de la mission défense, la commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 178, les groupes SOC, UDI votant pour, les groupes UMP, EELV et CRC s'abstenant.
Loi de finances pour 2013 - Mission Défense - Programme « Equipement des forces » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Daniel Reiner, Xavier Pintat et Jacques Gautier sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : mission Défense (programme 146 « Equipement des forces »).
M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis du programme 146.- C'est donc la première année où nous allons présenter ce programme 146 à trois voix, avec mes collègues et amis Xavier Pintat et Jacques Gautier, mais ce n'est que l'officialisation d'une situation qui durait depuis longtemps et qui nous obligera à un effort de concision.
Je vais donc vous présenter les observations d'ensemble, puis Xavier Pintat vous présentera la partie nucléaire - commandement de l'information et Jacques Gautier les équipements conventionnels et l'industrie d'armement.
Première observation : le budget 2013, établi par le gouvernement pour le programme 146 d'équipement des forces de la mission défense, est clairement un budget d'attente. Il ne contient aucun choix irréversible concernant des abandons ou des réductions de programmes.
Deuxième observation : les choix budgétaires définitifs seront effectués après, et non pas avant, la révision de l'analyse stratégique française, actuellement en cours par la Commission du Livre blanc, puis dans la Loi de programmation militaire et enfin chaque année dans les lois de finances. Cet ordonnancement entre la réflexion stratégique et l'action budgétaire était ardemment souhaitée aussi bien par votre commission, que par la Cour des comptes. Vos rapporteurs sont de ce point de vue satisfaits. Mais nous ne nous sentons pas liés par la loi de programmation des finances publiques 2012-2017, puisqu'elle n'est pas dans cet esprit et préempte l'avenir.
Troisième observation : bien que n'étant pas considéré comme une priorité, le budget 2013 semble plutôt bien traité puisque ses crédits de paiement sont maintenus en euros courants (« zéro valeur »).
Quatrième observation : elle est double : pour ce qui est des crédits de paiement, derrière un maintien en valeur, c'est en réalité une diminution à laquelle fera face le budget des armées - diminution égale à ce que sera l'inflation en 2013, soit, si les prévisions s'avèrent justes - de l'ordre de 1,75 %. Pour les autorisations d'engagement, le report de 4,5 milliards d'euros infléchit considérablement la trajectoire financière, puisqu'il ne permet pas d'effectuer les commandes qui étaient prévues dans la programmation.
Cinquième observation : le maintien en valeur ne doit donc pas faire illusion : il accentue le décrochage de la trajectoire financière par rapport à la LPM initiale 2009-2014 déjà opérée par la loi de programmation des finances publiques 2011-2013. Celle-ci avait abandonné l'idée d'une progression annuelle de 1 % en volume par an à partir de 2012, pour se contenter d'un maintien en euros constants (« zéro volume »). Il est vrai que la LPM initiale avait été bâtie sur des hypothèses volontaristes et dessinait sans doute une trajectoire financière trop ambitieuse.
Sixième observation : dans ces conditions, le format des forces tel que dessiné par le Livre blanc de 2008 semble définitivement hors de portée. Une renégociation des grands contrats d'équipement des forces semble donc inéluctable. En effet, les huit premiers programmes représentent 80 % des crédits d'équipement. La renégociation de contrats, déjà renégociés en 2008, va être très difficile et risque de ne se traduire que par de maigres économies budgétaires. Cela se fera le plus souvent dans le long terme, au prix d'une réduction des cibles, d'un accroissement des délais de livraison, voire d'une dégradation de la qualité des équipements.
Septième observation : votre commission ne peut se satisfaire de cette situation. Elle comprend pleinement les exigences d'un redressement des finances publiques. Néanmoins, elle ne saurait admettre que la défense constitue une variable d'ajustement des difficultés budgétaires du pays. Ce qui était du reste un engagement pris par le Président de la République devant la nation.
L'effort en faveur de la défense va vraisemblablement diminuer à 1,5 % en 2013, ce qui ne peut être accepté qu'à condition que ce soit, d'une part, un plancher, et, d'autre part et surtout, que ce plancher ne soit que temporaire. Nous souhaitons que dès l'année prochaine, les crédits de la défense soient à la hauteur de l'effort que la nation doit consentir, c'est-à-dire qu'ils reprennent, dans les prochaines années, une trajectoire financière au moins égale à l'inflation (« zéro volume »), contrairement à ce qui est prévu dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 (« zéro valeur »).
On peut donc qualifier le budget de cette année, d'honorable, dans les conditions économiques que nous connaissons, car cela aurait pu être pire. Mais ce quitus ne vaut pas pour les années à venir. Si nous n'étions pas entendus, notre commission reconsidérera sa position.
M. Xavier Pintat, co-rapporteur pour avis du programme 146.- Pour ce qui concerne la partie dissuasion - commandement de l'information, j'aurais cinq observations à formuler.
La première observation concerne la force de dissuasion nucléaire. Nous nous satisfaisons pleinement de la décision du Président de la République de maintenir les deux composantes et de les moderniser le moment venu. Ce choix est celui que votre commission a proposé et approuvé en juillet 2012 et qu'elle réitère à l'occasion de l'examen de ce budget. Néanmoins, il ne faut pas s'en cacher les conséquences : dans une enveloppe budgétaire en diminution, le simple maintien à niveau des crédits de la dissuasion exercera un effet d'éviction sur les autres programmes, en particulier le soutien, et sur la partie conventionnelle de l'équipement des forces. Cela risquerait de se retourner contre la dissuasion. C'est pour cela qu'il est impératif que les crédits consacrés à la défense nationale reprennent, dès l'an prochain, une trajectoire financière normale.
Deuxième observation : l'espace militaire. Jusqu'à présent les crédits en faveur de l'espace militaire ont été maintenus à un niveau satisfaisant. Les programmes inscrits dans le PLF 2013 bénéficient, avec les ressources du CAS fréquences d'un total de 380 millions d'euros. C'est mieux que l'an dernier, mais je suis inquiet car les ressources exceptionnelles vont disparaître. Or, la réunion interministérielle de l'ESA qui s'est déroulée à Naples la semaine dernière a pris des décisions cruciales. En ce qui concerne les lanceurs, les décisions prises devraient permettre de garantir l'accès autonome de l'Europe à l'espace à moyen et long terme et de renforcer la compétitivité de celle-ci sur le marché mondial. Je m'en réjouis, mais le fait est qu'il va bien falloir dégager les crédits nécessaires pour respecter ces décisions.
Troisième observation : la défense anti-missile balistique. C'est une mission impossible que d'en parler dans la période de crise que nous connaissons. Cependant, nous manquerions à notre devoir si nous ne le mentionnons pas. La récente crise de Gaza a montré qu'Israël avait développé une défense anti-missile de théâtre d'une bonne efficacité, ce qui ne laisse pas de surprendre quand on connait le coût de ces armements. Pendant ce temps, les ventes de systèmes antimissiles THAAD continuent dans le Golfe. En décembre 2011 les EAU avaient conclu un contrat de 3,5 milliards de dollars. Visiblement, cette commande n'a pas suffit puisqu'ils ont fait part d'une demande complémentaire pour 1,1 milliard de dollars et que le Qatar est sur le point de les suivre pour 6,5 milliards de dollars. Enfin l'Arabie Saoudite a commandé, en 2011, des missiles Patriot pour 1,7 milliard de dollars et le Koweit en a fait de même. Autant dire que la DAMB ne connaît pas la crise. Or si nous voulons être capables d'exporter demain au Moyen-Orient, nous ferions bien de ne pas rester en dehors de cette compétition. D'autant que notre pays est un des rares pays à maitriser - encore pour l'instant - la totalité de la chaîne DAMB et qu'il existe des possibilités d'apporter des contributions en nature pour une cinquantaine de millions d'euros. Je pense en particulier à l'amélioration des radars LRR des deux frégates Horizon - sur le modèle de ce qu'ont fait nos alliés néerlandais.
Quatrième observation : les drones tactiques. Nous avons, à l'issue de nos auditions du CEMA et du DGA, bien compris que le drone Watchkeeper tenait la corde pour remplacer le système STDI et que les autres systèmes tels que le Patroller étaient hors course. Dans ces conditions je m'interroge, puisque ce drone est si performant, qu'a-t-il à redouter d'un appel d'offres ? Est-ce l'intérêt de l'Etat d'annoncer le nom du vainqueur et de ne pas faire de compétition ? C'est du reste ce qu'ont fait nos alliés britanniques, puisque pour choisir le Watchkeeper, ils ont passé un appel d'offres. Pourquoi pas nous ?
Cinquième et dernière observation : les drones MALE. C'est un sujet que nous connaissons un peu et je n'ai pas l'intention de reprendre les analyses de l'an dernier. Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même nous réjouissons que l'importation et la francisation du drone Héron TP de la société IAI aient été abandonnées. Elles nous auraient conduits à consacrer des moyens financiers que nous n'avons plus à la constitution d'une filière industrielle militaire qui n'a d'avenir qu'à l'échelle européenne. Il n'en reste pas moins qu'aucune décision n'a été prise, ni annoncée par le ministre de la défense. Or, si nous comprenons parfaitement les motivations qui conduisent à différer l'annonce de la décision, il ne faudrait quand même pas trop tarder et, surtout ne pas surpondérer les préoccupations de politique industrielles. La francisation de systèmes de drones MALE américains ne doit pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour s'assurer de la liberté d'emploi de ces systèmes. Ne refaisons pas les erreurs commises avec le drone Harfang.
M. Jacques Gautier, co-rapporteur pour avis du programme 146.- Il me revient donc de vous présenter, pour la première fois en qualité officielle de rapporteur, la troisième et dernière partie du programme 146, celle qui concerne les systèmes de force conventionnels, c'est-à-dire l'engagement et le combat, la projection, la protection auxquels il faut ajouter un sixième système de force, celui qui est chargé d'équiper tous les autres : la DGA.
Je tiens à remercier publiquement le président Jean-Louis Carrère et vous tous pour m'avoir permis d'associer mon nom à celui de mes collègues Daniel Reiner et Xavier Pintat, ce qui est une nouvelle preuve de la spécificité sénatoriale et qui nous rend tous fiers d'appartenir à cette belle assemblée.
Je ne vais pas vous dresser la liste des matériels et systèmes qui seront livrés ou commandés, elle est dans le rapport écrit auquel je vous renvoie. Je me contenterai dans cette année de transition et d'attente pour le budget de la défense de vous présenter trois observations : un sujet de satisfaction, un sujet d'inquiétude, et un regret.
Commençons par les bonnes nouvelles, elles sont plutôt rares en matière d'équipement des forces, c'est l'annonce du lancement du programme MRTT l'an prochain. Ce programme est destiné à combler une importante lacune capacitaire et est indispensable au bon fonctionnement de la force de dissuasion. C'est donc une très bonne chose.
S'agissant des sujets d'inquiétude, outre le retard pris dans l'annonce d'une décision en matière de drones MALE, je voudrais mentionner un programme qui ne figure pas dans le programme 146 et qui aurait dû y figurer : le programme de missile antinavire léger. Il s'agit d'un programme mené en coopération franco-britannique, peu onéreux à court terme puisqu'il ne s'agit que de 30 millions d'euros annuels sur six ans pour la France, auxquels nos alliés britanniques semblent très attachés. Cela risque de mettre en difficulté nos alliés et de porter atteinte à la crédibilité de la parole de la France. En outre, s'il devait au final s'avérer que la France renonce à ce programme, cela ferait peser une menace sur le projet « One MBDA », ce qui serait préjudiciable à nos intérêts nationaux.
Enfin, je voudrais mentionner, et ce sera ma troisième et dernière observation, l'échec de la fusion BAE-EADS.
Le projet de fusion qui avait fuité dans la presse entre, d'une part, l'entreprise franco-germano-espagnole, dont le principal fleuron est l'avionneur civil Airbus et, d'autre part, le spécialiste de la défense britannique, solidement implanté aux Etats-Unis avait pris tout le monde par surprise. C'était une sorte de divine surprise, puisqu'elle aurait permis tout à la fois d'arrimer solidement nos amis britanniques à l'Europe et permis à EADS de devenir le premier groupe mondial dans les domaines de la défense, de l'aéronautique et de l'espace.
Le président de notre commission, ainsi que vos rapporteurs, se sont exprimés publiquement et avec enthousiasme en faveur de ce projet de fusion. Soyons honnêtes, nous avons eu le sentiment d'être un peu seuls. Il serait inutile d'essayer de rejeter la faute sur tel ou tel. L'échec de la fusion tient avant tout à l'absence de volonté politique des gouvernants en place. Or, on ne construira pas l'Europe uniquement avec des juristes et des comptables. Cet échec témoigne d'abord de la confiance insuffisante entre l'Allemagne et la France et pour tout dire du mauvais état de la relation politique entre nos deux pays. Mais au-delà, c'est toute l'Europe qui va mal. Non seulement les Etats d'Europe entre eux, mais au sein même des Etats, avec les tendances sécessionnistes qui se manifestent ici et là, en Écosse, en Catalogne, en Flandres. Le projet européen a perdu son souffle. Chacun regarde ses horizons étroits. Plus personne ne montre le chemin, plus personne ne place l'intérêt de tous devant ses propres intérêts. Sortir de cette situation est un impératif vital. Unie l'Europe peut espérer jouer un rôle. Divisée elle sera le jouet des courants géostratégiques.
Notre commission s'est efforcée de tenir sa place et son rang. Le président Josselin de Rohan avait lancé un groupe de travail parlementaire entre le Parlement britannique et le Parlement français. Ce groupe se porte bien. Le président Jean-Louis Carrère vient de lancer un outil similaire entre le Parlement allemand et le Parlement français. Ce sera sans doute plus difficile, mais c'est une excellente chose. Car il ne sert à rien de s'arrêter au bord du chemin et de gémir. L'avenir se construit aujourd'hui. Tâchons d'y jouer notre rôle, car pour reprendre les mots du poème de William Henley, qu'a fait siens Nelson Mandela :
« Aussi étroit soit le chemin,
« Nombreux les châtiments infâmes,
« Je suis le maître de mon destin,
« Je suis le capitaine de mon âme ».
Regardons vers l'avenir. Bientôt, à l'initiative de notre président, Jean-Louis Carrère, nous auditionnerons le président d'EADS, Tom Enders, pour qu'il nous fasse part de ses idées. C'est une excellente chose, car parler de l'Europe de la défense c'est bien, la construire c'est mieux.
M. Jean-Louis Carrère, président.- Je crois utile de préciser que notre commission reste sur la ligne adoptée lors du vote conclusif de nos travaux préparatoires au Livre blanc : le format des forces français est déjà insuffisant et la défense ne doit pas être une variable d'ajustement. Nous disons donc au gouvernement : ne considérez pas que vous ayez notre accord pour la loi de programmation triennale. Vous avez notre accord pour ce qui est du projet de loi de finances pour 2013, mais pas au-delà. Deuxièmement : les trois représentants du Sénat défendent la position de notre commission en ce moment même au sein de la commission du Livre blanc, à savoir que l'effort de défense de la France à 1,5 % du PIB est un plancher et ce plancher ne peut être accepté qu'à titre transitoire, à condition que l'effort remonte tendanciellement à 2 % du PIB. Si nous sommes entendus, nous voterons la loi de programmation militaire massivement. Si nous ne sommes pas entendus, nous la rejetterons, tout aussi massivement. Notre position sera tranchée, dans un sens ou dans l'autre. Tergiverser ne rendra service ni à notre ministre, ni à notre défense, ni à notre pays. Le Premier ministre en est informé, le Président de la République est informé, et le parti socialiste, en la personne de Didier Boulaud également.
Mme Leila Aïchi. - Je voudrais savoir quel est le coût de la seconde composante de la dissuasion nucléaire - la composante aéroportée - et quelle est son utilité ?
M. Xavier Pintat, co-rapporteur pour avis.- N'oublions pas que la seconde composante a été historiquement la première et la seule à avoir connu une utilisation militaire. La composante aéroportée est précieuse car ses armes sont précises et peuvent servir d'ultime avertissement. Son utilisation est plus souple car elle permet de montrer sa détermination à un adversaire et peut être rappelée au dernier moment, ce qui n'est pas le cas d'un missile balistique. Son seul talon d'Achille, si je puis dire, ce sont les ravitailleurs en vol qui arrivent en fin de carrière ; fort heureusement, cette lacune sera comblée bientôt. La supprimer ne ferait en année pleine qu'une centaine de millions d'économies par an. J'ajouterai que le fait d'avoir deux composantes - avec des vecteurs, des armes et des doctrines d'emploi très différentes, nous met davantage à l'abri des ruptures technologiques éventuelles.
M. Jacques Gautier, co-rapporteur pour avis. - Rappelons également que les avions des forces aériennes stratégiques (FAS) sont complètement polyvalents et que les entraînements à réaliser des raids nucléaires ont permis aux pilotes français d'accomplir ce qu'ils ont accompli en Libye, sans aucune casse.
M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis.- Je voudrais dire également que les missiles des FAS sont les seuls à ne pas pouvoir être interceptés par un système de « défense antimissile balistique » qui, comme son nom l'indique, et même si elle était efficace à 100 %, ne peut intercepter que des missiles balistiques.
Sans préjuger du vote sur les crédits de la mission défense, la commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 146, les groupes SOC, UDI votant pour, les groupes UMP, EELV et CRC s'abstenant.
Loi de finances pour 2013 - Mission Défense - Programme « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : mission Défense (programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense »).
M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur du programme 144. - Avec mon collègue M. André Trillard, nous souhaiterions maintenant vous présenter les crédits du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».
Le responsable de ce programme, M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la défense, est venu devant la commission, le 14 novembre dernier, exposer dans le détail ce projet de budget.
Je rappelle que ce programme 144 présente la particularité de regrouper des éléments très différents, puisqu'il comprend notamment :
- les crédits de deux des trois services de renseignement qui relèvent du ministère de la défense : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), le troisième, la Direction du renseignement militaire (DRM), relevant de la responsabilité du chef d'état-major des armées au sein du programme 178 ;
- une partie de l'effort de recherche et de prospective en matière de défense, avec en particulier les « études amont » ;
- des subventions aux opérateurs, comme l'école polytechnique ou l'ONERA ;
- les crédits consacrés à l'action internationale du ministère, à travers le soutien aux exportations d'armement et la diplomatie de défense ;
Je limiterai mon intervention aux crédits des services de renseignement et à la diplomatie de défense, avant de laisser la parole à notre collègue M. André Trillard, qui traitera des aspects relatifs à la recherche de défense et au soutien aux exportations.
Globalement, le programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » voit ses crédits augmenter de 6 % et ses effectifs de 60 postes supplémentaires en 2013. Il constitue à cet égard une originalité au sein du ministère de la défense.
Cette hausse est principalement due à l'augmentation des effectifs et des moyens des services de renseignement, notamment la DGSE.
Je rappelle que la DGSE est le service de renseignement ayant pour mission de protéger les intérêts et les ressortissants français à l'étranger. Avec M. André Trillard, nous avons eu un entretien avec son directeur, le Préfet M. Erard Corbin de Mangoux.
Pour 2013, le budget de la DGSE s'élèvera à 644 millions d'euros en autorisations d'engagement et 600 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de respectivement 9 % et 4 % par rapport à 2012. A cette dotation, il faut ajouter les crédits provenant des fonds spéciaux, dont le montant est de 50 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2013, et dont le service est le principal bénéficiaire.
Quelles sont les raisons qui expliquent l'augmentation de ses crédits ?
Premièrement, 95 emplois supplémentaires devraient être créés à la DGSE en 2013, ce qui est conforme au plan de recrutement prévu par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008.
L'une des priorités du Livre blanc de 2008 a porté sur le renforcement de la fonction « connaissance et anticipation ». A ce titre, la DGSE devrait voir ses effectifs augmenter de près de 690 agents sur la période 2009-2014.
Les recrutements concernent exclusivement des personnels de haut niveau : deux tiers d'ingénieurs spécialisés dans le renseignement technique, un tiers sur des analystes et des linguistes pour l'exploitation du renseignement.
Le nombre des emplois créés ne donne pas la pleine mesure de l'effort financier réalisé. Il s'agit quasi-exclusivement de personnels de catégorie A.
Un deuxième facteur d'augmentation des crédits est la poursuite de l'amélioration de la situation statutaire et indiciaire des fonctionnaires de la DGSE. Cela avait été fait les années précédentes pour les catégories B et C. Le décret du 30 décembre 2010 a concerné les catégories A avec la modernisation des statuts et la création d'un corps d'administrateurs de la DGSE. Il s'agit à la fois d'aligner les perspectives de carrière sur la fonction publique d'Etat et de favoriser la mobilité, notamment grâce à la création de l'académie nationale du renseignement et à des passerelles entre les services. L'aspect le plus visible de cette refonte tient à ce que ce corps est désormais en partie recruté à la sortie de l'ENA.
Troisième facteur d'augmentation, les crédits d'équipement. Il s'agit de renforcer les moyens d'écoute des télécommunications, afin de s'adapter à la croissance des flux, ainsi que les capacités de déchiffrement.
Il faut préciser à cet égard qu'une partie des moyens font l'objet d'une mutualisation avec les autres services de renseignement, notamment la DRM.
En résumé, le projet de budget de la DGSE traduit l'accentuation des moyens humains et techniques prévue par le Livre blanc de 2008.
Cet effort qui se chiffre en dizaines de millions - ce qui reste modeste par rapport à l'ensemble du budget de la défense (le budget total de la DGSE représente environ 1 % du budget de la défense) - doit surtout être analysé comme un rattrapage nécessaire. Dans le passé, les moyens de la DGSE n'avaient pas vraiment été augmentés à la hauteur des besoins.
Le service compte actuellement 4 900 agents, dont environ deux tiers de civils et un tiers de militaires, ce qui représente environ 1 % des effectifs du ministère de la défense.
A périmètre comparable, les services britanniques comptent un effectif pratiquement deux fois supérieur à celui de la DGSE. C'est aussi le cas des services allemands, qui ne remplissent pas les mêmes missions.
Toujours sur le renseignement, je voudrais dire un mot sur la DPSD, service moins connu que la DGSE et dont on parle peu. Je me suis d'ailleurs rendu au siège de la DPSD pour m'entretenir avec son directeur, le général Antoine Creux, et visiter ses différents services.
La DPSD est en quelque sorte le service de sécurité interne du ministère de la défense. Elle est chargée de rendre des avis sur les demandes d'habilitation des militaires et elle assure la protection des installations, y compris sur les théâtres d'opérations extérieures, comme l'Afghanistan. Elle agit également au profit des entreprises liées à la défense, en matière de contre-ingérence et d'intelligence économique.
A l'exact opposé de la DGSE, la DPSD a perdu près d'un tiers de ses effectifs en dix ans, passant de 1 500 postes en 2003 à 1 100 actuellement. Cette diminution a porté essentiellement sur des personnels affectés à des tâches très administratives de gestion des procédures d'habilitation des personnels. Ces procédures vont être entièrement numérisées à l'été 2013, grâce au projet SOPHIA. Les gains obtenus ont été en partie redéployés pour renforcer le niveau de qualification, en recrutant davantage d'officiers brevetés et de personnels civils de catégorie A. Ainsi, la DPSD n'avait que 15 emplois civils de catégorie A en 2009. Elle en a 33 en 2012. L'organisation territoriale du service, qui dispose d'antennes sur l'ensemble du territoire, a également été rationnalisée, afin d'être cohérente avec l'implantation des bases de défense.
En 2013 il est prévu une diminution de 2,5 millions d'euros du budget de la DPSD, qui correspond à une baisse de 34 emplois.
Cette baisse mécanique de la dotation est toutefois susceptible de fragiliser la DPSD car celle-ci compte un effectif de 1 100 postes, soit cent postes de moins que le plafond autorisé.
Or, nous pensons que nous sommes parvenus à un certain seuil et qu'il conviendrait de stabiliser les effectifs et les crédits de la DPSD dans les prochaines années.
En définitive, compte tenu de l'importance croissante du renseignement et de l'évolution des technologies, nous estimons que le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale devrait poursuivre et amplifier la priorité accordée à la fonction « connaissance et anticipation » par le précédent Livre blanc de 2008 et fixer des objectifs ambitieux concernant la montée en puissance des services de renseignement.
Si nous considérons souhaitable de poursuivre l'augmentation des moyens et des effectifs de la DGSE dans les prochaines années, nous pensons aussi qu'il conviendrait d'accorder une plus grande attention à la DPSD et à la Direction du renseignement militaire que par le passé, en stabilisant leurs moyens et le nombre de leurs personnels, tout en poursuivant le renforcement de l'encadrement supérieur de ces deux services.
Comme l'indiquait le ministre de la défense, M. Jean-Yves Le Drian, le 15 octobre dernier, lors de sa visite au siège de la DGSE, « le renseignement est un enjeu vital, au coeur de notre stratégie de défense et de sécurité nationale, et sa place doit être confortée ». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les autorités américaines ont fixé deux priorités, le renseignement et le cyber, dans leur stratégie de défense pour les prochaines années.
J'en viens maintenant aux crédits consacrés à notre diplomatie de défense.
Ces crédits, d'un montant de 36,8 millions d'euros, sont en diminution, de l'ordre de 3 %, par rapport à l'an dernier.
Outre la subvention versée à Djibouti, qui s'élève au total à 30 millions d'euros, pour le stationnement des forces françaises, cette dotation permet de financer le réseau des attachés de défense auprès de nos ambassades.
Avec notre collègue M. André Trillard, nous nous sommes entretenus avec le général Gratien Maire, responsable des relations internationales à l'état-major des armées.
Depuis 2008, notre réseau diplomatique de défense a été réorganisé. Cette rationalisation a conduit à une réduction des effectifs sur trois ans, qui sont passés de 422 postes permanents à l'étranger implantés dans 86 pays à 280 postes permanents, soit une réduction de plus de 30 % des effectifs pour un réseau de taille inchangée.
Cette diminution des effectifs a été rendue possible par la mutualisation des services de gestion au sein des ambassades. Ainsi, les fonctions de secrétariat ou de comptabilité ont été mutualisées entre les attachés de défense et les autres services des postes diplomatiques.
Le réseau des attachés de défense et celui des attachés de l'armement ont été fusionnés pour créer un seul réseau des attachés de défense.
En matière de gestion des postes, diverses mesures ont été prises. Par exemple, des postes d'attachés de défense ne sont plus réservés comme auparavant aux officiers des armées mais peuvent être ouverts à des ingénieurs de l'armement, en fonction de la situation locale.
Des procédures nouvelles ont été mises en place pour assurer la sélection des attachés de défense et veiller à une meilleure adéquation entre les profils des candidats et les postes à pourvoir.
D'une manière générale, notre dispositif a été resserré en Europe (avec par exemple la fermeture en 2012 des missions de défense dans certains pays comme la Bulgarie, la Finlande, la Hongrie ou la République tchèque), a été stabilisé en Afrique et renforcé dans des pays prioritaires avec lesquels nous avons un partenariat stratégique (comme l'Inde, le Brésil, la Malaisie ou les Emirats arabes Unis).
Comme vous le savez, nos attachés de défense jouent un rôle important tant en matière de coopération militaire, que de contrats d'armement. C'est notamment le cas en Afrique où notre réseau des attachés de défense est complémentaire de nos forces prépositionnées. Là encore, le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale devrait fixer une nouvelle ambition pour notre diplomatie de défense.
M. André Trillard, co-rapporteur du programme 144. - Je concentrerai mon propos sur la prospective de défense qui représente 1,1 milliard soit 57 % des crédits du programme et je vous dirai un tout petit mot concernant le soutien aux exportations, qui représente 15 millions d'euros, soit moins de 1 % du programme.
J'aurai cette année quatre observations à vous présenter : la première, sur le fond, est que le programme 144, et plus encore la partie « prospective de défense », est la seule action de la mission défense à augmenter de façon significative. Avec 9 % d'augmentation pour les crédits de paiement, qui passent ainsi de 994 à 1 084 millions d'euros, l'action détient certainement l'un des records d'augmentation pour le ministère de la défense. Cette augmentation est encore plus importante - 11,6 % - si l'on considère de façon spécifique la sous-action « études amont » dont les crédits de paiement passent de 663 millions à 707 millions d'euros.
Je mettrai néanmoins trois bémols à cette augmentation :
- le premier est que les crédits de ce programme ne représentent qu'une toute petite partie de la mission défense : 5 % - et la prospective de défense à peine 2,8 % du budget de la défense. Dans une enveloppe budgétaire qui diminue - à hauteur de l'inflation à venir - le fait qu'un programme - certes important - mais qui ne représente que 5 % des crédits, augmente, doit être pris avec satisfaction, mais de façon néanmoins modérée.
- le second bémol tient au fait qu'il me semble important de bien saisir la signification de ce phénomène. Dans une séquence de diminution globale des crédits de la défense qui semble s'amorcer - c'est ce que prévoit la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 - concentrer des crédits sur la prospective de défense et en particulier les études amont traduit tout simplement le fait que l'on essaie de préserver l'essentiel ou plus trivialement que l'on essaie de sauver les meubles. On réduit la voilure sur la production des équipements, mais on l'augmente sur la réflexion. En France on n'a toujours pas de drones. Mais on aura des études sur les drones. Plaisanterie mise à part, et si vous me permettez l'expression, c'est un peu comme le corps humain qui en cas d'hypothermie fait refluer le sang vers les organes vitaux. Or les études amont font sans conteste partie des organes vitaux. Ce sont ces programmes qui vont assurer la capacité de notre pays à concevoir - en toute autonomie - les armes de son indépendance. Derrière les études amont il y a les bureaux d'études et dans les bureaux d'études, la crème de la crème de nos ingénieurs de défense qui font la richesse de notre recherche. La recherche et le développement représentent entre 10 et 20 % du chiffre d'affaires des dix plus grands groupes de défense présents en France, qui emploient dans leurs bureaux d'études 20 000 personnes. Les études amont, c'est donc, pour paraphraser Helmut Schmidt, les armes de demain et les emplois d'après-demain. A condition bien sûr qu'après-demain il y ait encore des armes à produire.
- le troisième bémol tient au fait que, certes les crédits de paiement des études amont augmentent de 11,4 %, mais les autorisations de programme, elles, n'augmentent que de 0,5 %, c'est-à-dire qu'en réalité avec une inflation prévisionnelle à 1,75 % pour 2013, la capacité de l'Etat à engager des études pour préparer l'avenir va diminuer. Et cela est très inquiétant.
Quoiqu'il en soit ne boudons pas notre plaisir, pour l'instant, et espérons que cette augmentation ne soit pas qu'un feu de paille. Je vais donc faire cesser un suspense sans doute insupportable et vous recommanderai dans quelques instants d'adopter les crédits de la mission.
Sur la forme : le programme 144 a été substantiellement remanié dans sa « maquette budgétaire » 2013, c'est-à-dire dans sa structuration. Il faut convenir que la nouvelle présentation - qui concerne uniquement la sous-action « prospective de défense » - est beaucoup plus lisible, cohérente et facilite le contrôle parlementaire. Et là encore, il faut s'en féliciter.
Si l'on met de côté le côté « organique » c'est-à-dire les subventions aux écoles d'ingénieur sous la houlette de la DGA et les deux centres de recherche que sont l'ONERA dans le domaine aérospatial, et l'Institut Saint Louis, dans le domaine de la défense terrestre, on distingue trois types de prospective de défense :
- ce qui est appelé « l'analyse stratégique » et qui ne concerne en réalité que la partie prospective géopolitique et géostratégique de l'analyse stratégique proprement dit, c'est-à-dire l'ensemble des réflexions conduisant à structurer notre outil de défense. C'est la partie effectuée directement sous le contrôle de la Direction des études stratégiques et qui concentre cinq millions d'euros de crédits de paiement. Encore faut-il souligner que beaucoup d'études sont faites par des think tank, à la demande et sous la direction de la DAS.
- la « prospective des systèmes de forces ». Cette prospective consiste à dessiner, à partir des avancées des sciences et des technologies de défense, mais pas seulement, les évolutions des systèmes de forces qui structurent l'équipement de nos armées et faire apparaître les menaces, les risques de rupture technologique pour des équipements où nos armées risquent d'être surclassées, mais aussi de dévoiler les opportunités et les possibilités de constituer des avantages stratégiques à leur profit. Cette prospective est effectuée par la DGA. Elle donne lieu aux études techniques opérationnelles et à la rédaction du célèbre « PP30 » plan prospectif à trente ans, qui est en théorie censé tracer le cap, donner la route et indiquer aux industriels français les axes d'efforts de notre recherche de défense. Autant vous dire qu'il n'est pas très facile de se le procurer quand on est parlementaire. Je ne suis pas du reste certain qu'il soit très utilisé par les industriels eux-mêmes. Le dernier date de 2009 et n'a pas été remis à jour depuis, alors qu'il était censé l'être tous les ans. La prospective concentre trente trois millions d'euros de crédits de paiement.
- enfin les « études-amont » qui constituent le coeur de l'action et l'objet de toutes les attentions. Je vous livrerai simplement deux commentaires car ces études sont classifiées et la DGA veille, à juste titre, sur cette question comme sur la prunelle de ses yeux.
Le premier élément tient au fait que ces études se répartissent en quatre quart : un quart pour les études sur la dissuasion, un quart pour les études sur le système de force « engagement et combat », un quart sur les « études de base » de la DGA et enfin un quart pour tout le reste.
Le deuxième élément tient au fait que les études amont sont organisées selon des orientations définies par une circulaire ministérielle - la directive d'orientation des études amont mentionnée dans le programme annuel de performance. Nous l'avons demandée l'année dernière et on nous a répondu qu'elle n'existait pas. Nous l'avons redemandée cette année et nous avons eu une fiche de synthèse, ce qui est un progrès. Je ne désespère pas que l'année prochaine nous ayons enfin cette directive.
Troisième observation : les études consacrées à la dissuasion prennent une part croissante dans l'ensemble des études amont. En 2007, ces études ne représentaient que 118 millions, soit à peine 15 % des crédits, elles en représentent aujourd'hui 191, soit 27 %. Nous savons bien qu'il faut prendre ces chiffres avec des pincettes, puisque il ne s'agit pas de flux, mais en quelque sorte de jalons dans une programmation pluriannuelle de très long terme. Mais ce qui semble certain, c'est que le montant des études dédiées à la dissuasion va continuer à croître pour éclairer les choix de la future génération d'armes nucléaires, je pense aux sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, je pense aux évolutions futures de nos missiles balistiques, mais aussi à nos missiles à statoréacteurs - qu'ils soient hypervéloces ou supervéloces - que nous avons pu voir à l'ONERA. Je pense enfin et surtout, s'agissant de financements, à toutes les études liées à la simulation, qu'il s'agisse de la machine EPURE à Valduc, ou au LMJ (Laser mégajoule) à Bordeaux.
La dissuasion nucléaire est approuvée par une très grande majorité des membres de cette commission, qui a adopté un rapport d'information en juillet dernier sur l'avenir des forces nucléaires recommandant le maintien des deux composantes. Plus largement, la dissuasion nucléaire est approuvée par l'ensemble du Parlement et n'a pas été remise en cause au sommet de l'Etat. Le Président de la République a eu des paroles fortes sur ce sujet et nous les approuvons. Le budget pour 2013 traduit cet engagement et nous nous en félicitons. Mais il faut savoir que cela a un coût et que ce coût n'est pas nul. La dissuasion n'est pas bon marché, trois milliards et demi d'euros par an, même si de ce point de vue nos ingénieurs font des miracles et n'ont pas attendu la nouvelle révision du Livre blanc pour optimiser cette partie de l'outil de défense. L'optimisation a aussi ses limites. Il faut en être conscient.
Nos amis britanniques le savent bien puisque leur ministre de la défense vient de notifier à BAE un contrat de 390 millions d'euros dans le cadre du programme de renouvellement de la flotte de SNLE de la Royal Navy, programme connu sous le nom de successor deterrent. Ce contrat fait suite à celui de 407 millions d'euros, signé en mai dernier, portant sur les études de conception de ses futurs bâtiments. L'objectif est de remplacer, à compter de 2028, les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins du type Vanguard, entrés en service entre 1993 et 1999. Nous en sommes à peu près au même point.
Et donc, sauf à faire augmenter les crédits des études amont à due concurrence de l'augmentation des études dédiées à la dissuasion, celles-ci risquent d'exercer un effet d'éviction insupportable pour les autres segments de recherche dans les années à venir. Il me semble important que nous prenions date, dès cette année, afin que nul n'en ignore pour les années prochaines, et que tous soient bien conscients qu'il y a péril en la demeure.
Enfin, dernière observation, je dirai un mot rapide sur les exportations de défense. Elles bénéficient d'environ quinze millions d'euros de crédits de paiement pour 2013 qui serviront pour l'essentiel à abonder la part publique de l'organisation du salon du Bourget l'an prochain. L'effort d'exportation est crucial pour les industriels de la défense. Il leur permet de faire des profits qu'ils ne font plus sur leurs marchés intérieurs à cause de la diminution des budgets de défense. Cela est vrai pour tous les industriels de défense occidentaux, ce qui ne fait qu'accroître la concurrence qu'ils se livrent. Ce qui m'amène directement à mon observation. Le rapport annuel au Parlement sur les exportations d'armement a été rendu la semaine dernière. Le ministre de la défense l'a présenté aux députés de la commission de la défense et à ceux des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, réunis en audition commune, le 22 novembre. Je trouve qu'il eût été normal que le ministre de la défense prenne l'attache de notre président pour le présenter à notre commission dans le même élan et non pas trois mois plus tard.
M. Jacques Gautier. - Je voudrais dire, au nom du groupe UMP, que nous sommes sensibles à l'effort fait en faveur du renseignement, qui constituait effectivement l'une des priorités du précédent gouvernement, et souligner également la qualité des travaux effectués par l'ONERA et l'ensemble de ses équipes en matière de recherche aéronautique et spatiale. Notre groupe s'abstiendra, mais ce sera sur ce programme une abstention positive.
M. Daniel Reiner. - Le programme 144 est symbolique de ce qui peut se passer dans l'avenir. C'est une anticipation du Livre blanc. Nous avons absolument besoin de préserver notre capacité d'études. Le programme 144 engage l'avenir. Nous avions tous souhaité que ses crédits augmentent. Le gouvernement l'a fait, soyons satisfaits.
M. André Dulait. - Je voudrais savoir si la diminution des attachés de défense se traduira par des attachés itinérants ...
M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur pour avis. - Oui.
M. André Dulait. - Alors ça n'entraînera pas une efficacité remarquable.
M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur pour avis. - Je partage votre remarque.
Sans préjuger du vote sur les crédits de la mission défense, la commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 144, les groupes SOC, UDI votant pour, les groupes UMP, EELV et CRC s'abstenant.
Loi de finances pour 2013 - Mission Défense - Programme « Soutien de la politique de la défense» - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de Mme Michelle Demessine et M. Jean-Marie Bockel sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : mission Défense (programme 212 « Soutien de la politique de la défense »).
M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous allons maintenant examiner les crédits du programme 212 « Soutien de la politique de la défense ».
M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur du programme 212. - Dans un cadre général de redressement des finances publiques, le programme 212 porte l'essentiel des réductions de dépenses opérées en crédits de paiement sur la mission « Défense ».
Pour mieux situer leur ordre de grandeur, les crédits du programme 212 représentent moins de 10 % de ceux de la mission : 3,51 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,85 milliards d'euros en crédits de paiement.
Ces derniers sont en baisse de 8,8 %, hors pensions, et les autorisations de programme ne progressent de 2,6 % que par la modification d'une règle comptable qui veut qu'à partir de cette année, on engage la totalité d'une tranche fonctionnelle en début de programme. En neutralisant cet effet, les engagements seraient également en diminution. Les réductions de dépenses portent naturellement en priorité sur les infrastructures, il est en effet beaucoup plus difficile de réduire sur le court terme des dépenses de personnel. Celles-ci progressent de 3,9 %. Les dépenses de fonctionnement connaissent une baisse de 5,8 %. Ainsi ce sont les crédits de titre 5 qui concentrent les réductions (- 19 %) et, en conséquence, les investissements d'infrastructures des actions 04 (politique immobilière) et 10 (restructuration : plan de stationnement). C'est dans ces budgets qu'ont été opérées les coupes les plus sévères. Si l'on compare à périmètre constant les crédits de paiement correspondant, on constate une diminution de l'ordre de 200 millions d'euros, dont la plus large part, 186 millions d'euros, porte sur les travaux destinés au nouveau plan de stationnement.
Quelle a été la méthode employée ? D'abord déterminer des priorités. La réduction des plans d'engagement a été menée par le SGA en lien avec l'État-major des armées selon les principes suivants :
- premièrement, l'obligation de préserver les conditions de vie et de travail du personnel, ce qui a conduit à maintenir les ressources consacrées au maintien en condition des infrastructures et au logement familial ;
- deuxièmement, faire porter l'effort principal sur des opérations liées au nouveau plan de stationnement et aux réorganisations ;
- troisièmement, faire également porter l'effort sur certaines opérations à impact capacitaire comme le décalage des programmes d'accueil de nouveaux matériels, en veillant à une cohérence pour s'assurer de la disponibilité des infrastructures lors de la livraison des armements. Par exemple, il est prévu de décaler de six mois le programme d'infrastructure pour l'accueil des frégates multi-mission FREMM.
Ensuite il a fallu anticiper dès la gestion de la loi de finances pour 2012 en annulant des autorisations d'engagement. Dès l'été 2012, le ministère a gelé les autorisations d'engagement de nombreuses opérations d'infrastructure à hauteur de 393 millions d'euros et, en 2013, à hauteur de 351 millions. Ce sont ainsi 744 millions de dépenses d'infrastructures qui auront été gelées en deux ans, ce qui montre l'ampleur des ajustements opérés.
Lors de son audition devant votre commission, le secrétaire général pour l'administration a estimé la réduction des crédits à 160 millions d'euros dans la mesure où il est prévu d'abonder les crédits en puisant jusqu'à 200 millions d'euros dans les recettes du CAS « gestion du patrimoine immobilier » - mais encore faut-il que ces recettes soient au rendez-vous. Nous avons trop été habitués aux surestimations en ce domaine. Or il y a un risque non négligeable que ces ressources ne soient pas disponibles. D'une part parce que le CAS ne disposera d'ici la fin de l'année que de 95 millions d'euros à la suite d'opérations réalisées en 2012 et qu'il faudra donc réaliser en temps utile, c'est-à-dire avant septembre 2013, 105 millions d'euros de cessions. C'est pour l'essentiel sur l'immobilier parisien disponible à la vente (la caserne Reuilly et l'îlot Penthemont-Bellechasse) que pourra être réalisé ce montant. D'autre part, parce que les cessions sont actuellement suspendues, les acquéreurs attendant l'entrée en vigueur de la loi sur la mobilisation du foncier public en faveur du logement social pour ajuster leurs offres et connaître le montant des décotes qu'ils pourront obtenir. Il n'est donc pas certain, en raison des décotes mais aussi du calendrier, que le ministère puisse mobiliser les 200 millions d'euros attendus du CAS.
Je dirai quelques mots sur la mise en oeuvre du PPP Balard. Le chantier suit son cours sans retard apparent malgré une opération inattendue de dépollution pyrotechnique. Il reste cependant sous la menace du contentieux porté par la Ville de Paris au sujet de l'implantation d'un garage à bus de la RATP. Les recours devant la juridiction administrative ont suspendu le démarrage des travaux sur la Corne ouest qui devait accueillir la construction d'immeubles de rapport dont l'exploitation participait à l'équilibre du contrat de partenariat public-privé. A défaut, c'est le portage même de l'opération qui serait compromis. Il y a tout de même des chances raisonnables pour que les choses s'aplanissent d'ici juin 2013. Le ministre a souhaité demander un audit sur la soutenabilité financière de l'opération au contrôle général des armées et à l'inspection générale des finances dont nous aurons les résultats à la fin de l'année. L'enjeu sera aussi dans l'exécution de ce contrat. Cela suppose pour le ministère de mettre en place une cellule efficace, d'en assurer le suivi et de s'assurer de la qualité des prestations délivrées, car le partenariat ne se limite pas au simple portage d'une opération immobilière mais englobe la fourniture d'un grand nombre d'équipements et de prestations. C'est donc là un véritable enjeu. Le chantier principal devrait être achevé en août 2014.
Avant de conclure, je dirai quelques mots sur l'accompagnement économique des restructurations. Je reconnais les efforts du ministère de la défense, mais est-il le mieux outillé pour conduire une politique d'aménagement du territoire, au moment où on lui demande déjà des efforts considérables de réorganisation et de restructuration et beaucoup de sacrifices. Il y a peut-être des outils plus interministériels, de type DATAR ou autres, pour aider les collectivités locales impactées et aménager les territoires. Le ministère doit être associé car ce sont ses terrains qui sont cédés mais on lui en demande beaucoup. Est-il réellement en mesure de piloter cette politique sous tous ses aspects ? Je me pose la question.
En conclusion, je souhaiterais attirer l'attention de la commission sur l'importance des dépenses d'infrastructure qui vont peser sur la prochaine loi de programmation car il va falloir réaliser des dépenses très importantes avec l'arrivée de nouveaux équipements comme les sous-marins nucléaires. Des coupes comme celles opérées en 2012 et 2013 ne pourront pas être renouvelées chaque année. Il nous faudra donc veiller à ce que les reports successifs d'opérations ne nuisent pas au maintien en conditions opérationnelles de nos équipements et à ce que le niveau des crédits reste suffisant pour ne pas compromettre l'accueil des nouveaux armements. Si l'on souhaite réaliser des économies, il faudra probablement optimiser la politique immobilière et s'interroger sur les coûts de maintenance du parc immobilier, sur son dimensionnement, sur sa gestion. A défaut, la question de la révision du plan de stationnement risque de se poser de nouveau.
Pour ce qui me concerne, je donnerai un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense ».
Mme Michelle Demessine, co-rapporteure du programme 212. - S'agissant des autres actions du programme 212, je voudrais mettre en relief quelques points saillants.
En premier lieu, la place de l'action « pilotage, soutien et communication » qui représente 18,5 % des crédits du programme 212 et 44,7 % des emplois. Les dépenses de personnel progressent en raison de l'augmentation de la contribution au CAS pensions mais aussi du transfert de 254 ETPT. Ces créations d'emplois résultent de l'intégration dans la mouvance du SGA de certains services de la DGA ou des armées dans le cadre de la mutualisation de certaines fonctions « ressources humaines ». Hors titre 2, nous voyons la montée en charge des crédits liés à l'opération de partenariat public-privé de Balard. L'autre poste en progression concerne le retour à une gestion patrimoniale du parc de véhicules légers de la gamme commerciale qui avait été externalisée. Ce parc de 16 000 véhicules sera réduit de 3 500 et sa maintenance restera externalisée, mais dans le cadre d'un contrat interministériel conclu par l'UGAP.
En second lieu, je voudrais exprimer mon inquiétude sur la baisse des crédits de 8 % qui affecte l'action « systèmes d'information, d'administration et de gestion ». Au-delà des turpitudes bien connues du déploiement du système de paie LOUVOIS, je voudrais indiquer que la mise au point de ce système d'information avait déjà accumulé un certain retard mentionné dans les précédents projets annuels de performances et que la résolution de ces difficultés impliquera sans doute des coûts supplémentaires en 2013. Je constate également à la lecture des commentaires sous l'objectif de performance n° 3 que l'indicateur concernant les dérives observées sur les coûts des programmes a tendance à se dégrader et que d'autres programmes structurants affichent des retards importants. Je m'interroge dès lors sur l'opportunité de réduire les crédits de paiement sur cette action en cette période difficile. Les systèmes d'information constituent l'épine dorsale de nos systèmes de gestion et l'on voit bien à travers l'expérience malheureuse de LOUVOIS que les conséquences peuvent être très graves. J'attire également votre attention sur la réelle difficulté de bâtir et de stabiliser des systèmes d'information aussi complexes et étendus dans une période de réorganisation et de restructuration permanente. Je crois que cela témoigne aussi du fait que nos armées et les services qui les soutiennent ont besoin d'une pause, d'une respiration dans ce chantier permanent et quelque peu déstabilisant.
En troisième lieu, je constate que le soutien à la politique des ressources humaines, qui aborde à la fois la question de la reconversion et celle de l'aide sociale, voit ses crédits diminuer de 2 % alors que les besoins sont importants. La capacité des armées à reconvertir leur personnel et notamment les personnels militaires est une condition de leur attractivité et donc de leur capacité, tant au niveau qualitatif que quantitatif, de recruter.
J'ai rencontré les syndicats des personnels civils et, même si nous sortons du cadre stricto sensu de notre rapport, la fonction RH étant largement répartie entre les différents programmes, je souhaite me faire le relais de leurs préoccupations principales. D'abord un certain agacement de voir que le principe de confier les fonctions de soutien, hors soutien en opération, à des civils n'est pas pleinement mis en oeuvre, bien au contraire. Sur les fonctions de directions et de directions-adjointes des Groupements de soutien de bases de défense (GSBDD), seuls 12 postes sur 112 ont été confiés à des civils. Dans une période de forte réduction des effectifs, le soupçon des états-majors de vouloir accaparer les postes pour les attribuer à des militaires est perceptible. Le coût des personnels militaires serait plus élevé dans les mêmes fonctions que celui des personnels civils en raison du niveau des charges sociales mais aussi de leurs contraintes de maintien en condition opérationnelle. En outre les dispositifs d'aides à la mobilité des militaires seraient bien plus avantageux que celles apportées au personnel civil. Nous avons senti là une source de tension. D'autant que les personnels de défense, toutes catégories confondues, ont été parmi les moins avantagés par le dispositif de « retour catégoriel » fondé sur le principe de restitution aux fonctionnaires de la moitié des économies réalisées grâce au non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, sous forme de mesures catégorielles. Au vu du bilan de l'exercice 2011, on constate que pour l'ensemble des administrations, la norme de non remplacement a été respectée mais avec des variations, pour la défense le taux est de 83 %, le retour catégoriel a été au-delà de la norme pour l'ensemble des administrations (60 %), mais les situations sont très hétérogènes selon les ministères et elle n'a été que de 36 % pour la Défense, qui est l'administration qui a le plus donné et dont les personnels ont le moins reçu. Leur seconde préoccupation concerne le développement des externalisations qui n'auraient, à leurs yeux, qu'une seule vertu, celle de permettre de satisfaire l'objectif de réduction des effectifs, mais en dégradant la qualité des prestations car les services ne sont pas équipés pour suivre l'exécution des contrats avec rigueur, et en rendant ensuite très difficile la réintégration de ces fonctions au sein de la Défense, la compétence ayant été perdue. Il m'a semblé utile de vous faire partager ces points de vue à l'occasion de l'examen des crédits de la mission.
Quelques mots sur la politique culturelle, qui repose essentiellement sur les trois musées. L'objectif prioritaire semble être le développement de ressources propres, pour compenser la stabilisation voire la baisse des subventions. Ils poursuivent leur modernisation et leur ouverture au monde scolaire. Cette action est dotée de 22,9 millions d'euros auxquels s'ajoutent les 42,2 millions d'euros destinés au service historique de la défense.
Enfin, je conclurai par les restructurations. S'agissant de l'accompagnement social, il semble que nous ayons atteint un palier et que les crédits mis en place connaissent une sous-consommation, ce qui conduit à une révision à la baisse pour 2013. Ceci vaut pour les dispositifs d'aide au départ et à la mobilité des personnels civils dont ont bénéficié près de 15 000 agents. Pour 2013, il est prévu 90,3 millions d'euros à ce titre. Cela vaut pour les crédits d'action sociale, de formation et de reconversion qui sont réduits de plus de moitié.
S'agissant de l'accompagnement économique, nous ne pouvons que confirmer et actualiser l'analyse de nos collègues André Dulait et Gilbert Roger dans leur rapport sur les bases de défense qui soulignaient la lenteur de la mise en oeuvre des dispositifs et la sous-consommation des crédits. Elle nous interroge plus fondamentalement sur l'efficacité de conserver à terme un tel dispositif au sein de la Défense. Le programme lancé en 2008 comprenait un volet budgétaire d'un montant de 320 millions d'euros pour la période 2009-2015 alimenté aux 2/3 par le Fonds de restructuration de la défense géré au sein du ministère par la délégation aux restructurations. L'objectif était de mettre en place des contrats et des plans locaux de redynamisation. Il prévoyait dans ce cadre la cession à l'euro symbolique des emprises militaires. Il comprenait enfin un volet fiscal sous forme d'exonérations pour un montant évalué à 735 millions d'euros. Au 24 octobre 2012, un peu plus des 3/4, soit 45 contrats ou plans sur les 58 prévus ont été signés, dont 25 au cours de l'année 2012, pour un montant de 216,8 millions d'euros, soit un peu plus des 2/3 de l'enveloppe initiale. En fait, l'apport de l'État n'a qu'un effet de levier, l'objectif de ces instruments étant de réunir autour des projets des ressources de différentes sources et notamment des collectivités territoriales qui les financent en réalité aux 3/4.
La question de la dépollution pyrotechnique des emprises cédées constitue également un retardant. Le régime juridique actuel impose une dépollution préalable à la cession en toute circonstance. La prise en charge lors des cessions à l'euro symbolique revient à l'acquéreur. Elle a un coût qui varie selon la nature des projets. Le système devient autobloquant et mériterait une évaluation. Je souhaiterais que notre commission puisse s'y intéresser de plus près, au besoin en nous confiant un travail d'information.
Outre le temps nécessaire à la mise au point de ces instruments, le plus préoccupant est le rythme de consommation des crédits. Au 31 octobre 2012, 65,7 millions d'euros seulement avaient été engagés et 15,9 millions d'euros avaient été effectivement délégués en crédits de paiement. Une accélération est possible avec la signature d'un nombre important de contrats en 2012, mais l'appréciation doit être nuancée en raison de la dégradation de la situation financière des collectivités territoriales qui va limiter leurs capacités d'intervention. Quant aux résultats, ils restent peu tangibles en création d'emplois, la délégation aux restructurations avance le chiffre de 2 000 créations d'emplois auquel il faudrait ajouter 3 500 emplois grâce aux dispositifs d'aides directes aux entreprises, mais on est loin du nombre d'emplois supprimés dans la défense et des 17 000 transférés de ces territoires. Enfin, le volet fiscal ne semble pas faire l'objet d'un suivi au ministère de la défense.
L'engagement du ministère dans une politique d'accompagnement des restructurations n'était pas évident. On notera qu'en Allemagne et en Grande-Bretagne, les collectivités touchées par les restructurations ne bénéficient pas d'un tel accompagnement. La Cour des Comptes dans son « Bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire » invitait le ministère à s'interroger sur ces dépenses dont la logique relève de l'aménagement du territoire.
Sans doute, les armées constituent-elles un des acteurs majeurs de la vie économique et démographique des territoires où elles sont implantées, parfois de longue date, et se sentent-elles titulaires d'une obligation à leur égard dans le cadre de la refonte du plan de stationnement. C'est tout à leur honneur. Cet accompagnement résulte d'une forte volonté politique qui a justifié qu'il soit piloté au plus près par le ministère lui-même. Les enjeux en termes d'image lui ont paru considérables. Les difficultés liées à la spécificité des emprises (aliénation, pollution, cession...) ont justifié également son implication directe.
Pour autant, s'il est utile, dans la perspective de renouvellement d'une opération de cette nature, de s'interroger sur la pertinence et l'optimisation des outils mis en oeuvre, il est tout aussi indispensable de se poser la question de la place de la Défense dans un tel dispositif d'accompagnement. Dispose-t-elle de la capacité de pilotage, cette politique ? N'est-ce pas faire cohabiter des dispositifs complexes, multiplier les circuits de décisions et réduire l'efficacité de la politique mise en oeuvre ? Est-elle la mieux armée pour conduire une politique d'aménagement du territoire, alors qu'existe une administration spécialisée, la DATAR, dont c'est le coeur de métier ?
Voici, Monsieur le Président, chers collègues, en terminant sur ce questionnement un peu iconoclaste, les observations que nous souhaitions vous présenter après l'examen des crédits du programme 212 de la mission « Défense ». Je m'abstiendrai lors du vote des crédits de cette mission.
M. Daniel Reiner. - Au moment de la transmission de la lettre de cadrage, il a été fait état du projet de réduire de 30 % les volumes d'avancement au choix des personnels militaires en 2013. Avez-vous pu recueillir des informations sur ce point ? Le ministre nous a simplement indiqué que le flux d'avancement serait inférieur à 2012, mais les 30 % demeurent-t-ils un impératif ? Il y a eu une grosse surprise dans les états-majors et dans les troupes, mais je ne sais pas si cela a ouvert une nouvelle phase de réflexion.
M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur du programme 212. - Nous n'avons pas recueilli d'informations plus précises sur ce point. Ma réflexion sera donc très personnelle. C'est un sujet sensible. Je comprends la logique de la Cour des Comptes. Le jour où notre outil de défense, au niveau de ses personnels, sera stabilisé, il faudra aller peu ou prou dans ce sens. Ce que la Cour des Comptes n'analyse pas, c'est que la transition que nous vivons est déjà difficile, elle demande beaucoup d'efforts. La mise en oeuvre de telles mesures peut être désespérante. Je souhaiterais, pour ma part, que l'objectif demeure car il est raisonnable, mais c'est le genre d'opération qui se mène dans la durée. Il faut procéder de manière résolue mais pondérée, surtout dans une période où l'on attend beaucoup de nos armées.
M. Daniel Reiner. - Je souhaiterais faire deux observations. Je suis préoccupé par l'accumulation de dysfonctionnements dans la réalisation des systèmes d'information, après les difficultés considérables de CHORUS, voici les conséquences dramatiques de LOUVOIS. Il convient d'exprimer notre mécontentement des résultats obtenus et sans doute même des choix qui ont été effectués dans la mise en oeuvre de ces systèmes, qui a peut-être été prématurée, ainsi que de souhaiter une réorganisation des services responsables.
Ma seconde observation porte sur l'implantation des unités. Le plan de stationnement était marqué par l'histoire, d'où la concentration des unités dans l'Est de la France. Il est clair que les suppressions et les transferts constituent un lourd traumatisme pour les communes concernées, je pense à de petites villes comme Dieuze ou Commercy. Il est d'autant plus important que désormais ce ne sont plus des unités composées majoritairement d'appelés du contingent qui étaient « de passage » mais de professionnels qui sont installés avec leurs familles. Or, nous n'avons que très peu d'explications sur les déterminants du choix d'implantation des unités. Nous devrions nous y intéresser.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je propose que nous interrogions le ministre sur cette question lorsqu'il viendra devant la commission le 16 janvier. Nous avons souhaité l'entendre sur les exportations d'armes mais nous pourrions utilement l'entendre sur cette seconde question des implantations.
Après s'être prononcée favorablement sur les crédits du programme 212, la commission a décidé de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », les groupes SOC, UDI et RDSE votant pour, les groupes UMP, EELV et CRC s'abstenant.
Protection du patrimoine culturel subaquatique - Nomination d'un rapporteur
La commission nomme rapporteur :
- M. Richard Tuheiava sur le projet de loi n° 134 (2012-2013) autorisant la ratification de la convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique.
Programme de travail pour 2013 - Communication
Le Président a présenté les conclusions de la réunion du Bureau du 8 novembre sur la constitution de quatre groupes de travail. La commission a procédé à la création de ces groupes et en a désigné les co-présidents.
- La place de la France dans une Afrique convoitée : le XXIe siècle sera celui de l'Afrique, car ce continent en pleine mutation est au coeur des nouveaux enjeux stratégiques. C'est pourquoi la mission s'interrogera non seulement sur la place de l'Afrique dans le monde, mais également dans la diplomatie française en évaluant notamment l'adaptation de la politique africaine de la France à cette évolution. Ce groupe de travail sera co-présidé par MM. Jeanny Lorgeoux (SOC) et Jean-Marie Bockel (UDI).
- Rive sud de la Méditerranée : une zone de prospérité à construire. Dans un contexte renouvelé, il est nécessaire de prendre la mesure, dans toutes leurs dimensions, des relations que la France entretient, en bilatéral et à travers les politiques européennes, avec les pays de l'autre rive. L'extraordinaire potentiel de développement mutuel de la zone est encore à mettre en valeur. Ce groupe de travail sera co-présidé par Mme Josette Durrieu (SOC) et M. Christian Cambon (UMP).
- Quelle Europe, pour quelle défense ? La diminution des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires européens conjuguée à un manque de volonté politique fait craindre un déclassement militaire de l'Europe par rapport aux Etats-Unis et aux puissances émergentes. Le Président de la République a fait de la relance de l'Europe de la défense l'une de ses priorités. Encore faut-il s'entendre sur les mots. De quelle Europe s'agit-il ? Et pour quelle défense ? Ce groupe de travail sera co-présidé par MM. Daniel Reiner (SOC), Jacques Gautier (UMP), André Vallini (SOC) et Xavier Pintat (UMP).
- La question sahélienne : face à l'embrasement sahélien, dans l'effet de souffle de la transition en Libye, le groupe de travail se penchera sur la situation du Nord Mali, sur la montée des menaces et des trafics, sur les solutions militaires envisagées, sur la situation humanitaire et sur les répercussions nombreuses de cette crise dont les effets dépassent largement, désormais, la seule dimension régionale. Ce groupe de travail sera co-présidé par MM. Jean-Pierre Chevènement (RDSE) et Gérard Larcher (UMP).
Loi de finances pour 2013 - Mission Sécurité - Programme « Gendarmerie nationale » - Examen du rapport pour avis
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission examine le rapport pour avis de MM. Michel Boutant et Gérard Larcher sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : mission Sécurité (programme 152 « Gendarmerie nationale »).
M. Jean-Louis Carrère, en remplacement de M. Michel Boutant. - Comme vous le savez, le Président de la République et le gouvernement ont fait de la sécurité l'une des priorités de leur action, avec l'emploi, la justice et l'éducation. Le projet de budget de la gendarmerie pour 2013 est la traduction de cette priorité.
Le ministre de l'Intérieur, M. Manuel Valls, et le directeur général de la gendarmerie nationale, le Général Jacques Mignaux, sont venus devant la commission nous présenter en détail ce budget.
Avec notre collègue M. Gérard Larcher, nous avons également procédé à plusieurs auditions et déplacements au cours de cette année.
Nous nous sommes ainsi rendus récemment au nouveau siège de la direction générale de la gendarmerie nationale, à Issy-les-Moulineaux, pour rencontrer le directeur général, le général Jacques Mignaux, le major général, le général Richard Lizurey, ainsi que le directeur des soutiens et des finances, le général Pierre Renault. Nous avons également auditionné le directeur de la structure commune du ministère de l'intérieur chargée de l'immobilier, M. Thierry Gentilhomme.
Auparavant, nous avions rencontré le commandant et les gendarmes du groupement blindé de la gendarmerie mobile et du GIGN à Versailles-Satory, nous avions visité les logements du quartier Delpal, ainsi que le régiment de cavalerie de la garde républicaine à la caserne des Célestins.
Enfin, j'ai organisé une rencontre, dans mon département de la Charente, avec le commandement de groupement et les commandants de brigades de mon département.
Je vous présenterai les grandes lignes du budget de la gendarmerie pour 2013, en insistant tout particulièrement sur l'augmentation des effectifs, puis je laisserai la parole à notre collègue M. Gérard Larcher, qui évoquera nos principales préoccupations, qui portent notamment sur l'immobilier.
L'enveloppe globale des crédits de la gendarmerie nationale augmente en crédits de paiement en 2013, passant de 7,8 à 7,9 milliards d'euros (+ 1,2 %), mais diminue légèrement de 7,88 à 7,85 milliards d'euros en autorisations d'engagement (- 0,4 %).
Les dépenses de personnel s'élèvent à 6,7 milliards d'euros pour 2013, en augmentation de 1,6 % par rapport à 2012. Elles représentent environ 85 % des crédits de la gendarmerie.
Cette augmentation est uniquement imputable à la hausse des pensions, puisque les crédits de rémunération n'augmentent que de 0,4 %.
Les crédits disponibles permettront la poursuite des mesures de revalorisation, notamment le règlement de la dernière annuité du Plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées (PAGRE rénové), à hauteur de 22 millions d'euros.
Je précise que ce plan doit permettre d'aboutir à une parité globale de traitement et de carrière entre gendarmes et policiers.
Les dépenses de fonctionnement courant s'élèvent à 946 millions d'euros en 2013, soit un montant identique à celui de 2012.
Compte tenu de l'augmentation continue des loyers (445 millions d'euros en 2013), la gendarmerie nationale sera contrainte de faire des économies sur les autres postes de dépense, en freinant par exemple la mobilité des personnels, en renonçant à des actions de formation continue ou en raccourcissant la durée de certains stages.
Les autres postes ont vu leur dotation reconduite en zéro valeur en 2013. Cela concerne notamment l'alimentation, les mutations, l'entretien du matériel et le carburant.
Malgré la « sanctuarisation » des dépenses de fonctionnement, la capacité opérationnelle des unités risque d'être tendue en 2013.
Comme nous l'a indiqué le général Jacques Mignaux, lors de son audition, une hausse du coût du litre d'essence de 10 centimes se traduit par une dépense supplémentaire de 5 millions d'euros pour la gendarmerie.
Cette année encore, compte tenu de l'augmentation des dépenses de personnel et de la « sanctuarisation » des dépenses de fonctionnement, la réduction du budget porte principalement sur les investissements et notamment l'immobilier de la gendarmerie.
Alors que le budget d'investissement s'élevait à près de 570 millions d'euros en 2007, il a été ramené à 250 millions d'euros en 2012 et sera du même montant en 2013. En autorisations d'engagement, les dotations connaissent une baisse de 43 %.
Face à cette contraction de la capacité d'investissement de la gendarmerie, le gouvernement a choisi de privilégier la modernisation des systèmes d'information et de communication et le renouvellement des véhicules (2 000 nouveaux véhicules seront commandés contre 300 en 2012).
En revanche, aucun investissement n'est prévu pour le renouvellement des équipements lourds dont dispose la gendarmerie (hélicoptères, véhicules blindés, etc.) et pour l'immobilier.
En définitive, le principal motif de satisfaction de ce budget porte sur le coup d'arrêt en 2013 de la diminution des effectifs de la gendarmerie.
Je rappelle qu'entre 2007 et 2012, près de 6 250 postes de gendarmes ont été supprimés, en application de la règle de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit 6,2 % de l'effectif total. Cela représente l'équivalent de la suppression de 60 gendarmes dans chaque département.
Au total, le plafond d'emploi, qui était de 101 000 en 2008, est passé à 95 900 en 2012.
Cette baisse a été accentuée par le fait que la gendarmerie ne disposait pas des crédits suffisants pour atteindre son plafond d'emploi, ce qui explique qu'aujourd'hui elle connaisse un sous-effectif équivalent à 1 000 gendarmes.
En application de la révision générale des politiques publiques, la gendarmerie devait à nouveau connaître une diminution de 1034 emplois en 2013.
Or, non seulement le gouvernement a renoncé à ces suppressions d'emplois mais il a fait le choix de créer 193 postes supplémentaires de gendarmes en 2013, et cette mesure devrait être reconduite pour les quatre prochaines années. Ces effectifs supplémentaires devraient concerner pour un quart des sous-officiers et pour trois quarts des gendarmes adjoints volontaires. Ils devraient permettre de renforcer la présence des gendarmes sur le terrain, notamment dans les zones de sécurité prioritaires.
Comme nous l'a indiqué le général Jacques Mignaux lors de son audition, l'arrêt de la RGPP représente pour la gendarmerie un véritable « ballon d'oxygène ». La chute des effectifs ne pouvait se poursuivre sans peser excessivement sur les personnels, voire le modèle même de l'institution et le « maillage » du territoire assuré par les brigades territoriales.
Je voudrais également dire un mot de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, qui compte aujourd'hui un vivier d'environ 25 000 réservistes, servant en moyenne 25 jours par an.
Ces réservistes, qui sont souvent des jeunes, apportent un renfort indispensable aux unités, notamment pour faire face aux « pics d'activité », par exemple lors de la période estivale ou lors de grands évènements, à l'image du Tour de France, et participent au lien Armée-Nation.
Je laisse maintenant la parole au Président M. Gérard Larcher, qui va vous faire part de ses préoccupations concernant l'immobilier de la gendarmerie nationale, préoccupations que je partage.
M. Gérard Larcher, co-rapporteur pour avis. - Avant toute chose, je voudrais saluer ici les personnels de la gendarmerie nationale et rendre hommage à la gendarmerie nationale et au statut militaire, auquel nous sommes tous ici très attachés.
Après la présentation générale de notre collègue M. Michel Boutant, je souhaiterais vous faire part de mes principales préoccupations, qui portent notamment sur l'immobilier, le renouvellement des véhicules blindés et des hélicoptères, ainsi que le financement des opérations extérieures, autant d'éléments qui participent à la « militarité » de la gendarmerie.
Ma première préoccupation porte sur la forte baisse des crédits d'investissement de la gendarmerie nationale, qui ne permet pas de lancer de grands programmes d'équipements, comme le renouvellement des hélicoptères ou des véhicules blindés à roue de la gendarmerie mobile.
La gendarmerie nationale dispose actuellement d'un parc de 56 hélicoptères, qui se répartissent entre 29 appareils de type Écureuil, et de 27 nouveaux modèles, dont 12 EC 135 et 15 EC 145.
Ces hélicoptères jouent un rôle important, tant en matière de secours, en mer ou en montagne, qu'en matière de sécurité ou encore en Guyane pour la lutte contre l'orpaillage clandestin.
Je précise que, dans le cadre de la mutualisation entre la police et la gendarmerie, les hélicoptères de la gendarmerie sont mis à disposition de la police nationale, donc en secteur urbain, dans le cadre de la lutte contre la délinquance.
Le renouvellement des 29 appareils de type Écureuil, qui datent des années 1970, par de nouveaux modèles s'impose au regard de la nouvelle réglementation européenne qui interdit le survol des habitations par des appareils monoturbines. Par ailleurs, les nouveaux appareils sont équipés des technologies les plus modernes (caméras thermiques, lecture automatique des plaques d'immatriculation, etc.).
Toutefois, en raison de la baisse des investissements, la gendarmerie nationale a été contrainte de différer le renouvellement de ses hélicoptères.
De même, le renouvellement des véhicules blindés à roue de la gendarmerie mobile a dû être une nouvelle fois différé faute de financement suffisant. Or, le taux de disponibilité des véhicules blindés, en service dans la gendarmerie depuis 1974, est préoccupant (il est de l'ordre de 40 %).
La gendarmerie devrait assurer le maintien en condition opérationnelle de ces matériels, en prélevant des pièces détachées sur les appareils hors d'usage, ce qui devrait permettre de disposer de 80 véhicules blindés (sur 130).
Or, les véhicules blindés sont indispensables, aussi bien outre-mer, sur les théâtres d'opérations extérieures, comme au Kosovo ou en Côte d'Ivoire, mais aussi sur notre territoire en cas de crise majeure.
Je voudrais également dire quelques mots à propos de la dotation des OPEX, qui constitue à mes yeux une source de préoccupation.
Près de 310 gendarmes français participent actuellement à des opérations extérieures, notamment en Afghanistan, mais aussi au Kosovo, en Haïti ou en Côte d'Ivoire.
Le contingent le plus nombreux est en Afghanistan, avec plus de 200 gendarmes début 2012 qui participent à des missions de formation de la police afghane, en accompagnement des soldats français en Kapisa et Surobi, mais aussi dans le Wardak au sein de l'école de police afghane.
Avec le retrait des forces combattantes d'ici la fin de l'année, il devrait rester environ 70 militaires de la gendarmerie, principalement dans le Wardak, où ils sont assez isolés et exposés. Je souhaite qu'un désengagement de la gendarmerie du Wardak puisse intervenir assez rapidement.
Le coût de ces OPEX est intégré dans le budget de la gendarmerie depuis 2004. A ce titre, la gendarmerie bénéficie depuis 2007 d'un financement annuel de 15 millions d'euros, dont 11 millions d'euros pour les dépenses de personnels et 4 millions d'euros pour le fonctionnement.
Or, si cette dotation permet généralement de couvrir les besoins de personnel, elle est structurellement insuffisante. Ainsi, chaque année, le coût des OPEX est de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros et cette année ce coût devrait dépasser 25 millions d'euros. Pour la seule mission en Afghanistan, le coût est de 15 millions d'euros. Or, faute de financement suffisant, les surcoûts des OPEX sont prélevés sur les autres postes de dépenses, par des redéploiements de crédits.
Je considère donc qu'il serait souhaitable à l'avenir de mieux évaluer le coût prévisible de ces OPEX et, en cas de dépassement, de les financer par la réserve interministérielle, à l'image des armées.
C'est d'ailleurs la position que nous avions adoptée à l'unanimité l'an dernier au sein de notre assemblée en votant un amendement en ce sens.
Une autre préoccupation renvoie à la réduction des crédits de formation de la Gendarmerie. Cette question est essentielle, car faire sortir plus tôt des élèves gendarmes ou gendarmes auxiliaires, ou encore ne pas assurer la formation requise pour l'emploi des nouveaux matériels, se répercute sur la qualité de notre sécurité.
Enfin, ma dernière et principale interrogation porte sur l'immobilier de la gendarmerie.
L'immobilier est traditionnellement un poste important pour la gendarmerie nationale car chaque gendarme dispose d'un logement concédé par nécessité absolue de service.
Ce logement est la contrepartie de la disponibilité des militaires de la gendarmerie et il permet d'assurer la présence des gendarmes sur l'ensemble du territoire, grâce au maillage assuré par les brigades territoriales. La vie en caserne est aussi un élément structurant du statut militaire de la gendarmerie.
Le parc immobilier de la gendarmerie comprend 77 400 logements, répartis entre 710 casernes domaniales (soit 42 %) et près de 3 300 casernes locatives (soit 42,5 %), le reste étant constitué par des logements hors caserne.
C'est surtout l'état du parc domanial qui est préoccupant. L'âge moyen des logements est de 38 ans et plus de 70 % des logements ont plus de 25 ans, ce qui nécessite des travaux de réhabilitation importants et suivis.
Les investissements n'ayant pas été suffisants ces dernières années, on constate une certaine dégradation des conditions de vie des gendarmes et de leur famille, qui peut peser sur le moral et la manière de servir.
Je pense par exemple aux casernes des gendarmes mobiles du quartier Delpal à Versailles Satory, que nous avons visitées avec notre collègue M. Michel Boutant, et qui sont dans un état très délabré, ou à la caserne de Melun.
Aucun d'entre nous n'accepterait d'avoir sur nos territoires des logements sociaux dans un pareil état. Nous courrons le risque d'assister à des mouvements sociaux de la part des conjoints des gendarmes.
On estime que l'Etat devrait consacrer environ 200 millions d'euros par an à la construction et 100 millions d'euros à la réhabilitation des casernes domaniales.
Or, pour la première fois, 2013 sera une « année blanche » pour l'immobilier, c'est-à-dire qu'aucun investissement n'est prévu, faute de crédits suffisants. Il ne sera même pas possible d'accorder de nouvelles subventions aux collectivités territoriales (il faudrait au moins 12 millions d'euros) et, en matière de financement innovant, aucune autre opération de ce type n'est prévue. Et les perspectives pour les deux années suivantes ne sont guère encourageantes.
Pourtant les besoins sont urgents, tant en matière de construction que d'entretien lourd. La seule marge de manoeuvre de la gendarmerie en matière d'investissement immobilier était de pouvoir compter sur les revenus tirés des cessions immobilières, notamment la vente de l'ancien siège de la direction générale, situé rue Saint-Didier dans le 16e arrondissement de Paris. On estime que le produit des cessions immobilières de la gendarmerie pourrait représenter environ 120 millions d'euros au cours des trois prochaines années.
Mais cet engagement a été remis en cause par la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement (dite loi Duflot), qui prévoyait d'appliquer une décote qui pourrait atteindre 100 % de la valeur vénale du terrain.
Cette loi a été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel mais un nouveau projet de loi a été déposé à l'Assemblée nationale.
Dans ce contexte, je souhaiterais attirer l'attention de nos collègues sur l'importance de ce sujet, dans l'optique de la nouvelle discussion du projet de loi sur la mobilisation du foncier public.
Il est en effet crucial que la gendarmerie puisse bénéficier du retour de ses cessions afin de réaliser les opérations de construction ou de réhabilitation lourde les plus urgentes, qui sont évaluées à 80 millions d'euros par an.
Il serait extrêmement périlleux pour la gendarmerie de connaître trois années blanches consécutives en matière d'immobilier.
Le logement en caserne, la participation aux opérations extérieures, les hélicoptères et les véhicules blindés sont des éléments qui participent au statut militaire de la gendarmerie.
Il est donc fondamental de préserver ces capacités, notamment dans le cadre des travaux du futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
En conclusion, tout en réaffirmant mon attachement à la gendarmerie, je m'en remets à la sagesse de la commission concernant son budget.
M. Jean Besson. - Je partage entièrement vos préoccupations concernant l'état de l'immobilier de la gendarmerie nationale. L'état de vétusté de certains logements du parc domanial de la gendarmerie pèse lourdement sur les conditions de vie des gendarmes et de leurs familles et a un impact direct sur le moral des militaires des gendarmes mais aussi de leurs conjoints. Je rappelle que par le passé nous avons connu un certain mouvement de mécontentement au sein de la gendarmerie. Or, nous devons veiller absolument à préserver le statut militaire de la gendarmerie et à éviter toute dérive vers une forme de syndicalisme, qui serait incompatible avec le statut militaire, dont on peut voir les effets pervers avec la division syndicale au sein de la police nationale qui entraîne une sorte de concurrence entre les différentes catégories et une compétition pour bénéficier de tel ou tel avantage statutaire.
Je suis donc préoccupé par l'hypothèse d'une « année blanche » pour l'immobilier et l'absence de financements pour la construction ou la rénovation des casernes de la gendarmerie.
Nous devons donc avoir une réflexion sur l'avenir de l'immobilier de la gendarmerie nationale.
Je voterai donc en faveur de ce projet de budget tout en faisant part de ma déception sur l'immobilier de la gendarmerie.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Je considère que, sur un sujet de cette importance, qui dépasse les clivages politiques, nous devrions faire preuve de volonté. Il nous appartient de réfléchir ensemble aux solutions qui pourraient être trouvées pour permettre à la gendarmerie de faire face aux dépenses immobilières les plus urgentes.
M. Jacques Berthou. - Je m'interroge sur la manière dont le ministère de l'intérieur définit la liste des zones de sécurité prioritaire.
M. Jeanny Lorgeoux. - Dans ma commune, le commissariat de police, qui compte 47 policiers, doit être remplacé par une brigade de gendarmerie, dotée de 37 gendarmes.
M. Alain Gournac. - Malgré les propos rassurants de la hiérarchie, je pense qu'il subsiste un certain malaise parmi la base, comme je peux le constater dans mon département, et que la question du logement n'est pas étrangère à ce sentiment étant donné que les conditions de logement pèsent lourdement sur les conditions de vie des gendarmes et de leurs familles.
Je voudrais toutefois rappeler que ces dernières années les collectivités locales ont fait des efforts importants pour l'immobilier de la gendarmerie, en finançant la construction ou la réhabilitation de casernes.
M. Daniel Reiner. - A l'image des années précédentes, les crédits de la mission « Sécurité » dans le projet de loi de finances pour 2013 se caractérisent par une forte baisse des investissements, tant pour la gendarmerie nationale, que pour la police nationale d'ailleurs. Depuis déjà plusieurs années, il a été fait le choix de privilégier l'augmentation de la masse salariale de ces deux programmes, malgré la baisse des effectifs, et cela s'est amplifié avec le rapprochement entre la police et la gendarmerie et le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. Aujourd'hui, les dépenses de personnel représentent plus de 80 % de ces deux programmes, les dépenses de fonctionnement une partie importante et la part de l'investissement est très réduite. Voilà la situation qui résulte de l'héritage de ces dernières années, dont le gouvernement actuel n'est pas responsable. Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que les programmes d'investissement, comme le renouvellement des véhicules blindés ou des hélicoptères, soit une nouvelle fois reporté, mais je voudrais rappeler que cela fait déjà plus de dix ans que l'on reporte année après année ces programmes.
De même, les difficultés actuelles concernant l'immobilier de la gendarmerie nationale ne datent pas d'aujourd'hui. Cela fait déjà plus de vingt ans que l'immobilier de la gendarmerie sert de variable d'ajustement et qu'en raison d'investissements insuffisants on se retrouve aujourd'hui avec un état de vétusté préoccupant de certaines casernes domaniales. Il serait donc injuste de faire de l'actuel ministre de l'intérieur, qui a hérité de cette situation, le responsable de ce problème.
Pour autant, je considère comme vous qu'une « année blanche » pour l'immobilier de la gendarmerie est intenable et que nous devons donc trouver une solution, transcendant les clivages politiques, pour permettre à la gendarmerie de faire face aux situations les plus urgentes.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Vous avez raison de rappeler que l'actuel ministre de l'intérieur n'est pas le responsable de cette situation, l'immobilier de la gendarmerie ayant servi trop souvent de variable d'ajustement par le passé. Il ne s'agit pas pour nous de chercher à désigner des responsables mais de trouver des solutions pour permettre à la gendarmerie de sortir de cette situation, une « année blanche » étant difficilement envisageable. A cet égard, je voudrais souligner qu'il serait souhaitable que l'on puisse débattre avec le gouvernement en séance publique sur la deuxième partie du projet de loi de finances, ce qui nous permettrait de faire part au gouvernement d'un certain nombre de préoccupations, notamment concernant l'immobilier de la gendarmerie...
M. Gérard Larcher, co-rapporteur pour avis. - Je remercie nos collègues pour leurs questions et je voudrais faire en réponse quelques observations.
Les zones de sécurité prioritaire sont définies par le ministère de l'intérieur avec le souci de tenir compte de la situation en matière de délinquance en évitant toutefois toute stigmatisation. Ces zones bénéficieront d'effectifs de policiers et de gendarmes supplémentaires.
J'en viens à la question centrale de l'immobilier.
Tout d'abord, je voudrais rappeler que le logement en caserne n'est pas un privilège mais une sujétion qui découle du statut militaire et qui constitue la contrepartie du régime de disponibilité des gendarmes. Il permet aussi le « maillage » de l'ensemble du territoire, grâce aux brigades territoriales. Sa dimension sociale est également essentielle puisque la vie en caserne permet de conserver le lien entre l'institution et les familles, notamment lorsque les militaires de la gendarmerie sont appelés à servir en opérations, outre-mer ou hors du territoire. Le logement concédé par nécessité absolue de service constitue donc un élément structurant du statut militaire de la gendarmerie, auquel nous sommes tous ici très attachés. Il est donc essentiel de le préserver.
Si des efforts significatifs ont été réalisés par les collectivités locales en faveur du parc locatif, l'état du parc domanial n'a cessé de se dégrader ces dernières années faute d'investissement suffisant de la part de l'Etat.
Je partage l'avis de notre collègue Daniel Reiner. Ces dernières années, les investissements immobiliers n'ont pas été à la hauteur, or, en matière d'immobilier, plus on retarde la réhabilitation, plus le coût augmente.
Le parc domanial de la gendarmerie nationale, dont l'âge moyen des logements est de 39 ans et dont 70 % des logements ont plus de vingt-cinq ans, a aujourd'hui atteint un degré de vétusté préoccupant. Une centaine de casernes domaniales exigeraient des interventions urgentes (dont certaines des mises aux normes en matière de sécurité - électricité, incendie, ascenseurs...).
Les études convergentes conduites par des bureaux d'études civils mettent en évidence un besoin annuel de 200 millions d'euros pour des constructions de casernes ou des réhabilitations lourdes et de 100 millions d'euros pour la maintenance lourde, soit au total 300 millions d'euros par an.
Mais, pour la première fois, 2013 sera une « année blanche » pour l'immobilier, c'est-à-dire qu'aucun nouvel investissement n'est prévu pour l'immobilier de la gendarmerie, faute de crédits suffisants. Et cette situation devrait se prolonger jusqu'en 2015.
En effet, le projet de budget triennal 2013-2015 ne permettra, pour les deux années à venir, aucun lancement de projet nouveau et ne prévoit aucun crédit de maintenance lourde. Nous ne sommes donc pas face à une seule « année blanche » mais à trois « années blanches » en matière d'immobilier.
Alain Gournac a cité les efforts réalisés par les collectivités locales. Mais, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, il ne sera pas possible non plus d'accorder de nouvelles subventions aux collectivités territoriales dans le cadre des constructions de casernes locatives sous le régime du décret de 1993 et, en matière de financement innovant, aucune autre opération de ce type n'est prévue.
Je considère donc qu'il est impératif de trouver des solutions car il ne me paraît pas envisageable de ne pas permettre à la gendarmerie de faire face aux opérations les plus urgentes.
La seule marge de manoeuvre de la gendarmerie en matière d'investissement immobilier était de pouvoir compter sur les revenus tirés des cessions immobilières, notamment la vente de l'ancien siège de la direction générale, situé rue Saint-Didier dans le 16e arrondissement de Paris.
Lors d'une réunion interministérielle du 2 avril 2012, la gendarmerie nationale s'était ainsi vu promettre environ 120 millions d'euros au titre du retour sur cessions au cours des trois prochaines années.
Mais cet engagement a été remis en cause par la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement social (dite « loi Duflot »), qui prévoyait d'appliquer une décote qui pourrait atteindre 100 % de la valeur vénale du terrain.
Je considère donc que, dans l'optique de la nouvelle discussion du projet de loi sur la mobilisation du foncier public, nous devrions attirer l'attention du gouvernement sur ce point. Il est en effet crucial que la gendarmerie puisse bénéficier du retour de ses cessions afin de réaliser les opérations de construction ou de réhabilitation lourde les plus urgentes, qui sont évaluées à 80 millions d'euros par an.
La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « gendarmerie nationale » de la mission « Sécurité », le groupe socialiste et le groupe écologiste votant pour, le groupe UMP et le groupe UDI-UC s'abstenant.