Mardi 9 octobre 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Simplification des normes applicables aux collectivités locales - Examen du rapport pour avis complémentaire
La commission procède à l'examen du rapport pour avis complémentaire de M. Jean-Jacques Lozach sur la proposition de loi n° 779 (2010-2011) de simplification des normes applicables aux collectivités locales.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de M. Éric Doligé visant à simplifier les normes applicables aux collectivités locales.
Auparavant, je voudrais vous faire part de la lettre de remerciements que m'a adressée Mme Marie-Christine Saragosse suite à son audition par notre commission.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Notre assemblée avait décidé du renvoi en commission de ce texte à l'issue d'une première lecture en séance publique le 15 février dernier, afin de prendre plus de temps pour examiner un texte complexe. Quinze domaines différents avaient alors été identifiés, au rang desquels figuraient l'accessibilité, la culture et le sport.
La commission des lois nous a délégué l'examen au fond de l'article 27 relatif à l'archéologie préventive, tandis que notre commission a décidé de se saisir pour avis des articles 1er et 2. Le premier est notamment relatif aux dérogations aux normes d'accessibilité au regard des contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural. Le second tend à compléter le code du sport pour soumettre le décret et les règlements fédéraux à l'avis de la commission consultative d'évaluation des normes, créée en 2008 et par ailleurs réformée par la présente proposition de loi.
L'auteur indique que trois préoccupations essentielles l'ont guidé : la réduction des coûts et des contraintes normatives, l'accélération des procédures administratives structurant les projets des collectivités, et l'instauration d'un dialogue autour de l'activité normative.
Ces questions sont évidemment partagées par bon nombre d'élus locaux. A l'occasion des rencontres départementales des États généraux de la démocratie territoriale de la Drôme, le Président du Sénat a d'ailleurs clairement identifié l'inflation des normes comme l'un des sujets majeurs pour nos territoires. La simplification du droit existant « en élaguant nos codes » constitue ainsi, pour notre président, l'une des batailles à mener. S'inscrivant dans cette même ligne de pensée, le Président de la République vient d'ailleurs de réaffirmer, vendredi dernier à l'occasion des États généraux organisés par le Sénat, que « la confiance, c'est l'allègement des normes (...) 400 000 normes seraient applicables et on mesure, à évoquer ce chiffre, combien la décentralisation est finalement contournée, détournée dès lors qu'il y a autant de contraintes qui pèsent sur les collectivités ».
Ces dernières sont victimes de « l'inflation normative » qui pèse en particulier sur les compétences transférées, et qui devient une source de coûts croissants : coûts liés aux investissements concernés, aux personnels à déployer, à l'organisation qui découle de l'application des mesures, etc. Le rapport sur les relations entre l'État et les collectivités locales de notre ancien collègue Alain Lambert, soulignait déjà en 2007 la problématique de la libre administration des collectivités dans ce contexte de croissance normative exponentielle. Dans bien des domaines (environnement, social, sécurité alimentaire), les collectivités sont insuffisamment associées à la production normative qui, en s'imposant, apparaît comme une entorse à la décentralisation. Or la gouvernance normative doit être partagée : le rôle de financeur et de maître d'ouvrage des collectivités justifie pleinement qu'elles soient des acteurs incontournables de la concertation préalable à la définition de nouvelles normes.
Le temps de réflexion supplémentaire rendu possible par le renvoi en commission a permis de confirmer le sens de mon analyse présentée en première lecture.
Je commencerai si vous le voulez bien par l'article 27, pour lequel nous avons eu une délégation au fond. Cette nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l'article L. 523-7 du code du patrimoine vise « à permettre l'aboutissement des conventions de diagnostic dans des délais compatibles avec les opérations d'aménagement ». L'article 27 de la proposition de loi introduit un nouveau délai : la convention doit être signée dans un délai de deux mois à compter de sa réception par la personne projetant d'exécuter les travaux. A défaut de signature de la convention dans ce délai, le représentant de l'État dans le département peut être saisi par une des parties et fixer la date de début de réalisation des diagnostics. Si le défaut de signature est lié à un désaccord sur certaines dispositions, ces dernières sont déterminées par le préfet de département. En l'absence de décision de ce dernier dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, la prescription est réputée caduque.
Il n'est évidemment pas question pour nous d'éluder le problème des délais, que notre ancien collègue Yves Dauge et Pierre Bordier avaient déjà mis en évidence dans leur rapport de juillet 2011 relatif à l'archéologie préventive. Ils avaient d'ailleurs précisément souligné le problème de la durée de conclusion de la convention, qui, en l'absence de contrainte normative, a pu constituer une marge de manoeuvre exploitée de façon abusive dans certains cas. Sur le fond, nous souscrivons à toute démarche visant ainsi à améliorer le droit existant et à fluidifier la chaîne de l'archéologie préventive, depuis la présentation du projet d'aménagement jusqu'à la production du rapport de fouille. Mais il ne s'agit pas pour autant d'alléger aujourd'hui les normes au mépris de la cohérence de l'ensemble normatif ou de la sécurité juridique des différents acteurs.
Or une étape décisive de l'archéologie préventive est en train de se dessiner. Lors des dernières journées nationales de l'archéologie, la ministre de la culture a annoncé la constitution d'une commission d'évaluation scientifique, économique et sociale de l'archéologie préventive. Installée il y a quelques jours à peine, cette commission a pour mission de rendre un livre blanc de l'archéologie préventive au plus tard au mois de mars 2013. Les propositions devraient être reprises dans le volet « archéologie » du projet de loi sur le patrimoine également annoncé pour 2013. Dans un tel contexte, il serait préjudiciable de modifier un seul article code du patrimoine, décisif, alors que l'ensemble du système va être analysé, évalué et éventuellement repensé. Ce serait une source d'instabilité juridique s'imposant tant aux membres de la commission d'évaluation qu'aux acteurs de l'archéologie préventive, y compris donc aux collectivités territoriales, qui risqueraient de devoir une fois de plus s'adapter à deux changements normatifs successifs en moins d'un an. Si l'objectif défendu par l'article 27 est noble, il paraît néanmoins nécessaire de ne pas se lancer aujourd'hui dans une réforme compte tenu du contexte que je viens d'évoquer. J'ajoute qu'une réforme du financement de l'archéologie préventive, initiée par la loi de finances rectificative du 28 décembre 2011, est en cours et se poursuit avec le projet de loi de finances pour 2013. Parallèlement à cette réforme, qui devrait déboucher sur un versement de la redevance d'archéologie préventive à la réalisation des travaux et non plus en début d'année, une réforme de la gouvernance de l'Inrap a débuté afin que toutes les conditions soient réunies pour accélérer les chantiers et le traitement des dossiers par l'établissement public.
Concernant le fond de l'article 27, je rappelle que la rédaction du deuxième alinéa de l'article L. 523-7 du code du patrimoine qu'il propose soulève plusieurs difficultés :
- tout d'abord, elle confie un rôle de médiateur et d'arbitre au préfet de département, alors que c'est le préfet de région qui intervient à tous les stades de mise en oeuvre de la politique d'archéologie préventive ;
- ensuite, ce texte impose une signature dans les deux mois suivant la réception du projet de convention, sans préciser certaines conditions essentielles telles que les garanties de libération des terrains concernés, qui constituent pourtant une information indispensable à l'arrêt d'une date de début de travaux de diagnostic. En outre, il est difficile d'apporter une réponse globalisante en termes de délai pour des projets d'aménagement très divers, dont la nature, les coûts et l'intérêt général peuvent considérablement varier ;
- enfin, le fait que le préfet de département puisse imposer aux deux parties, non seulement les délais, mais aussi les dispositions contenues dans la convention, peut sembler d'autant plus dangereux que s'il ne tranche pas les différentes questions dans un délai fixé par décret, la prescription est réputée caduque. Cette disposition me semble particulièrement critiquable, et toutes les personnes auditionnées sur le sujet partagent mon point de vue. En effet, la caducité n'efface pas les vestiges archéologiques, dont on présume la présence sur les terrains pour lesquels des diagnostics ont été prescrits. Cela signifie que si l'aménageur débute les travaux et tombe sur des vestiges, alors, la loi du 27 septembre 1941 modifiée portant réglementation des fouilles archéologiques s'appliquera. Son titre III prévoit qu'en cas de découvertes fortuites, le chantier doit être immédiatement arrêté, les terrains étant considérés comme classés. Autant dire que la solution proposée par l'article 27 sera pire en termes de coûts et de perturbations pour les collectivités que ne l'est la situation actuelle.
Pour toutes ces raisons, je vous proposerai d'adopter un amendement de suppression.
Je souhaiterais maintenant aborder les articles pour lesquels la commission de la culture s'est saisie pour avis.
L'article 1er vise à introduire dans le droit positif, et plus précisément dans le code général des collectivités territoriales, le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités. Le I de cet article prévoit ainsi que la loi peut autoriser le préfet de département à prendre des mesures dérogatoires. Les dispositions sont ensuite déclinées dans trois domaines qui soulèvent des difficultés particulières, dont celui des établissements recevant du public. Ainsi sont prises en compte les contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural. Le préfet de département peut ainsi constater les difficultés particulières que cela induit, selon des règles précisées par décret en Conseil d'État qui détermine des dérogations de plein droit.
Si la prise en compte des contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural ne soulève pas de difficulté, bien au contraire, je m'étais interrogé dès la première lecture sur la portée de la disposition prévoyant de façon très générale un système dérogatoire. J'avais en effet constaté que le texte ne donnait aucune indication sur la façon dont le pouvoir réglementaire pouvait définir les mesures dérogatoires. On ne peut imaginer que la loi n'encadre pas davantage le pouvoir réglementaire pour que ce dernier puisse s'appuyer sur des critères suffisamment précis, sinon on risque d'aboutir à une application à la carte de la loi, chaque préfet de département pouvant apprécier différemment l'ampleur des adaptations nécessaires. Déroger à la loi nécessite un cadre juridique plus précis, que le législateur doit donner, non pas de façon générale, mais à l'occasion de chaque loi qui nécessite de prévoir de telles mesures d'adaptation. C'est d'ailleurs ce que le Conseil d'État, sollicité par l'auteur, a indiqué dans un avis rendu l'année dernière.
La commission des lois, saisie au fond pour cet article, devrait examiner demain matin un amendement de sa rapporteure réécrivant l'article 1er. Il s'agirait d'introduire, au sein des principes généraux de la décentralisation fixés par le code général des collectivités territoriales, un principe général d'adaptation que chaque loi ou règlement peut prévoir. Cette formule me paraît plus sage compte tenu de ce que je viens de vous dire, et je ne vous proposerai donc pas, pour l'instant, d'amendement.
L'article 2 prévoit de soumettre les évolutions des normes sportives prévues par les fédérations à un avis de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN).
Je n'ai pas besoin d'insister devant vous sur l'importance de cette question.
Malgré les efforts réalisés depuis 2009 et la mise en place de la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES), les modifications des normes sur les équipements sportifs peuvent avoir des conséquences lourdes pour les collectivités, propriétaires à 80 % des structures sportives, bien souvent sans que l'intérêt de l'évolution soit majeur pour le sport en question.
Le rapport de M. Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales dressait un constat sévère sur cette question en faisant état d'absences de saisine préalable de la CERFRES dans certains cas, d'une représentation insuffisante des collectivités, de la perfectibilité des notices d'impact, de conditions de classement fédéral discutables, ou encore de délais d'application peu raisonnables. L'audition de M. Jacques Thouroude, président de l'Association des élus en charge du sport, nous a confirmé que les inquiétudes étaient nourries sur les évolutions ininterrompues des normes sportives. Elles sont censées s'appliquer aux clubs et non directement aux collectivités, mais c'est bien celles-ci qui sont mises sous pression pour mettre au niveau des équipements.
L'idée d'imposer un avis de la CCEN sur ces normes pose cependant problème : en effet la CCEN n'est supposée donner d'avis que sur les normes s'appliquant directement aux collectivités territoriales ou à leurs groupements. Outre ce problème de fond, la surcharge de travail de la CCEN risquerait de largement s'amplifier.
Il apparaît donc que la solution tendant à renforcer la représentation des collectivités territoriales au sein même de la CERFRES serait plus pertinente, sur le fond comme en pratique.
C'est la direction heureuse vers laquelle s'est dirigée la rapporteure de la commission des lois, avec laquelle il y a eu concertation, qui a déposé un amendement qui prévoit :
- l'inscription dans la loi de l'existence de la CERFRES ;
- et une composition à parité entre les représentants des collectivités territoriales et les autres membres.
Je vous propose par conséquent de donner un avis très favorable au II de l'article 2, tel qu'il devrait résulter des travaux de la commission des lois.
Au bénéfice de ces remarques, je vous recommande l'abstention pour l'article 1er, de donner un avis favorable à l'adoption de l'article 2 tel qu'il doit être amendé par la commission des lois et vous propose enfin la suppression de l'article 27.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous allons d'abord évoquer les problèmes relatifs à l'archéologie préventive tels que décrits par le rapporteur. L'article 27 présente la particularité que nous en sommes saisis au fond. Nous nous substituons donc à la commission des lois.
M. Vincent Eblé. - Je voudrais donner mon sentiment sur la proposition qui nous est faite de reporter notre décision à l'échéance assez prochaine de révision du dispositif. Il me semble inopportun d'ajuster un élément marginal du dispositif pour revenir sur un chantier plus global d'ici quelques mois. Je soutiens donc cette proposition.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Sur les articles 1er et 2, la commission ne s'est saisie que pour avis. L'article 1er concerne un régime dérogatoire. Le rapporteur ne nous propose aucun amendement. Il convient donc de s'abstenir de commenter, d'infléchir dans un sens ou dans l'autre le dispositif. Nous suivons le rapporteur.
Mme Colette Mélot. - Le groupe UMP ne prend pas part au vote. Nous nous réservons pour la séance publique.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - L'article 2 concerne l'évolution des normes sportives. Notre rapporteur nous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article, tel que résultant des travaux de la commission des lois.
M. Maurice Vincent. - Est-ce que l'ensemble des normes impulsées par les fédérations internationales sont soumises à débat dans le cadre de la CERFRES ? Peut-on établir une hiérarchie entre l'évolution des normes liées strictement à la pratique sportive et celles liées à l'exploitation ou à la visibilité commerciale d'un sport ?
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Il existe deux types de normes : celles imposées par les fédérations nationales qui agissent par délégation de service publique de la part du ministère et les normes internationales. Les deux types de normes sont concernés par cette consultation.
La commission adopte successivement, par amendement, la suppression de l'article 27, s'abstient pour l'article premier et donne un avis favorable à l'article 2.
Mercredi 10 octobre 2012
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Devoirs à la maison - Audition de Mme Séverine Kakpo
La commission auditionne Mme Séverine Kakpo sur le thème des devoirs à la maison.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Chers collègues, je vous propose d'entamer les travaux de cette commission. Hier, les quatre ateliers qui ont travaillé dans le cadre du projet « Refondons l'école » ont développé des pistes et suggestions dont certaines ont dégagé un consensus. Parmi les pistes évoquées figurent les rythmes scolaires qui doivent libérer du temps pour, entre autre, l'éducation culturelle, scientifique et artistique et/ou l'aide aux devoirs, thème qui est l'objet de notre réunion.
Mme Séverine Kakpo. - Je suis enseignant-chercheur à Paris 8 en Sciences de l'éducation et j'appartiens au laboratoire Éducation et Scolarisation (Escol).
Dans le cadre de différentes recherches conduites au sein du laboratoire Escol dans la perspective de mieux comprendre ce qui se joue dans l'externalisation du travail personnel des élèves en termes d'inégalités sociales et de réussite scolaire, j'ai été amenée à observer des élèves d'école primaire et de collège en train de faire leurs devoirs dans différents contextes (maison, études municipales mais aussi plus récemment un internat d'excellence). J'ai conduit également des entretiens auprès des diverses catégories d'acteurs qui encadrent les devoirs scolaires (parents et enseignants intervenant à l'étude, principalement). Je focaliserai ici mon propos sur les pratiques d'accompagnement du travail scolaire en milieux populaires.
Je développerai cinq points : un rappel sur l'histoire des devoirs, la mobilisation intense des parents dans les familles populaires et leur attachement viscéral aux devoirs, la tâche d'accompagnement qui est soumise à forte tension, la pratique de suivi des parents qui sont tramés de malentendus et, enfin, les prescriptions de travail supplémentaire. En conclusion, j'évoquerai les dispositifs d'accompagnement.
M. Daniel Percheron. - J'aimerais que vous précisiez votre parcours, êtes-vous enseignante ?
Mme Séverine Kakpo. - Je suis enseignante. J'ai exercé quatre ans en Seine-Saint-Denis dans différents collèges. Et je viens d'être recrutée comme enseignant-chercheur.
En guise d'introduction, je souhaiterais rappeler que des répartitions différentes du temps scolaire des élèves ont existé et que le modèle que nous connaissons aujourd'hui (celui de l'externalisation) est relativement récent. En effet, jusqu'aux années 60, le travail personnel des élèves a été placé non pas en périphérie mais au coeur du système éducatif, avec deux traditions bien différentes pour chacun des deux ordres d'enseignement.
L'enseignement secondaire est l'héritier d'un modèle scolaire (les « humanités ») au sein duquel l'organisation du temps scolaire est pensée en fonction d'une étroite association de l'enseignement et du travail personnel. Dans ce système, la « classe » a lieu deux fois par jour et dure en moyenne deux heures. Avant la classe du matin, entre les deux classes de la journée et après la classe du soir, les élèves, qui sont internes, travaillent à l'étude. Ils y sont surveillés et aidés, et leur travail est vérifié par des « répétiteurs ». C'est une organisation qui a perduré tout le long de l'Ancien régime et du XIXe siècle, période à laquelle les internes passent les deux tiers de leur temps de travail à l'étude, soit environ 40 heures par semaine contre 20 heures de classe.
Ce modèle séculaire a disparu, en quelques décennies, sous l'effet de trois évolutions : une évolution pédagogique qui fait reculer les défenseurs des « humanités classiques », le déclin progressif de l'internat, qui a privé les « répétiteurs » d'une de leur principale raison d'être, la surveillance des internats, et, l'explosion démographique associée à la crise de recrutement des années 50-60, qui a imposé d'employer les instituteurs à faire classe exclusivement. Les répétiteurs ont été remplacés par des personnels dont la fonction relevait exclusivement de la surveillance et non plus du domaine pédagogique.
Les devoirs ont été placés sous la responsabilité des familles.
Dans l'école primaire publique, un tout autre mode d'organisation pédagogique s'est imposé puisque les élèves qu'elle scolarisait étaient très majoritairement issus des milieux populaires et tous externes. Dans ce modèle, le temps de travail des élèves était intégralement pris en charge dans le temps de classe. C'était le maître qui faisait faire des séries d'exercices et vérifiait sur place les productions des élèves. Il faisait également répéter les leçons jusqu'à ce qu'elles soient sues. Il était donc le seul garant de la réalisation du travail scolaire et de son évaluation.
Mais, ce modèle d'organisation a rapidement évolué au cours des premières décennies du XXe siècle. Les raisons de ce bouleversement sont à chercher du côté de l'évolution du mode d'encadrement du temps périscolaire. Au départ, il existait bien des études mais uniquement à des fins d'encadrement social. Elles ne proposaient pas d'encadrement pédagogique. Mais, à mesure que les enseignants s'y sont investis pour compléter leurs revenus, elles deviennent progressivement des lieux où les enfants travaillent et font des devoirs.
A partir des années 50, l'éducation nationale tente de réguler ce phénomène, qu'elle juge néfaste. C'est en novembre 1956, qu'est promulgué le premier arrêté interdisant les devoirs à la maison et exigeant qu'ils soient réintégrés dans la classe. Mais cet arrêté - le premier d'une longue liste - ne parvient pas à endiguer le processus d'externalisation parce qu'il intervient au moment où s'amorce un projet d'unification des parcours scolaires. Or, en amont, collèges et lycées, les enseignants ont massivement recours à l'externalisation du travail personnel des élèves. En aval, la pratique des devoirs maison ne peut donc que s'en trouver renforcée.
Le processus d'externalisation aboutit à son terme extrême lorsque, au tournant des années 60-70, sous l'influence des mouvements de Jeunesse et d'éducation populaires, les enseignants se retirent progressivement des études, remplacés par des personnels communaux formés à l'animation socioculturelle. Progressivement, les devoirs sont donc placés sous la seule responsabilité des familles.
Le grand paradoxe de l'histoire est que l'on a mis fin à l'encadrement institutionnel des devoirs, à tous les niveaux du système éducatif, au moment même où leur encadrement aurait sans doute grandement facilité l'intégration des élèves issus de la massification et peu de temps avant que l'école ne commence à imposer et externaliser des tâches qui deviennent de plus en plus exigeantes et donc qui relèvent de moins en moins de l'évidence pour tous.
L'enquête ethnographique que j'ai conduite auprès de vingt familles populaires, présentant la particularité d'être encore relativement préservées de la précarisation de l'emploi et des conditions de vie, montre que l'accompagnement des devoirs est au coeur de l'intense préoccupation scolaire de ces familles qui, loin d'être démissionnaires, aspirent au contraire à voir leurs enfants réussir à l'école et s'affranchir des tâches d'exécution. Ces résultats convergent avec ceux déjà mis en évidence par l'Insee et qui montrent que l'aide parentale aux devoirs est un phénomène de grande ampleur (qui occupe, pour un écolier, par exemple, 95 % des mères, toutes catégories sociales confondues), et qui s'intensifie, de surcroît, alors même que l'offre d'aides concurrentes a explosé au cours de ces dernières décennies.
L'enquête met aussi en évidence l'attachement viscéral que les familles populaires portent aux devoirs, qu'ils envisagent comme consubstantiels à la scolarisation. Tous ont foi en l'efficacité des devoirs et n'hésitent pas à engager des démarches auprès des enseignants pour « rétablir le flux » quand ils jugent que l'école ne joue plus pleinement son rôle de « prescriptrice ». Il faut comprendre que les devoirs sont aussi, pour les parents, une « fenêtre ouverte » sur la classe, un moyen de contrôle du travail de l'enfant mais aussi un regard porté sur l'institution, ainsi qu'un levier d'action, une manière de communiquer avec les enseignants (en leur renvoyant l'image de parents « partenaires »). Ils sont enfin un moyen de structurer le temps extrascolaire de leurs enfants et de légitimer l'ordre moral familial, etc. Ce très large consensus relève donc de logiques hétérogènes mais qui toutes convergent pour rendre indispensable, à leurs yeux, le transit du travail scolaire par la maison.
L'enquête montre aussi que les familles des catégories populaires, dès lors qu'elles ne sont pas complètement démunies pour aider et qu'elles disposent d'un minimum de temps disponible, n'entretiennent pas un rapport simple avec les dispositifs d'aide aux devoirs et ne se résolvent pas facilement à faire sous-traiter, à leur tour, l'encadrement du travail personnel de leurs enfants. Certaines des familles de mon enquête ont rapatrié les devoirs à la maison après une courte période d'essai, considérant qu'elles y perdaient plus qu'elles n'y gagnaient.
« Accompagner les devoirs » ne relève pas de l'évidence pour bon nombre de parents de notre enquête, tout particulièrement pour ceux dont les enfants rentrent régulièrement à la maison sans avoir pu s'approprier, en amont, au sein de la classe, les savoirs en jeu ou encore sans avoir pu s'initier préalablement à des opérations de transfert de la notion.
Pour la plupart des parents, il est clair que le rôle qui leur incombe est d'aider leurs enfants à retourner en classe avec des devoirs corrigés. Les parents ne se contentent pas de prodiguer un encadrement moral ou matériel des devoirs, ils mettent littéralement « la main à la pâte des apprentissages », empiétant sur les territoires traditionnellement dévolus aux enseignants. Faut-il en conclure que les parents se méprennent sur les attentes des enseignants, qui sont souvent enclins à dire qu'ils n'attendent pas ce genre d'aide des parents ? Ou faut-il en conclure que les parents répondent en fait aux attentes implicites mais bien réelles de l'école ? Je penche davantage pour la seconde hypothèse. Le récent développement de tous les dispositifs qui se proposent d'aider les élèves à faire leurs devoirs n'accrédite-t-il pas l'idée qu'une grande partie de la réussite se joue en dehors de la classe et qu'il ne faut pas laisser les devoirs revenir en classe « à l'état naturel » ?
Être garant de la conformité et de la qualité du travail scolaire produit à la maison est donc une tâche particulièrement lourde pour bon nombre de parents. Les devoirs sont souvent décrits comme chronophages. Par ailleurs, la concurrence fait parfois rage parmi les membres de la fratrie pour avoir accès à l'aide parentale. Les devoirs sont aussi une source de tension, voire de conflit, entre parents et enfants. On sait que l'école est de loin la première source de conflits avec les enfants, cités par les parents des catégories populaires. Les devoirs sont donc tout à la fois une source et un catalyseur de ces conflits.
Enfin, le suivi des devoirs confronte nécessairement les parents, à un moment donné ou à un autre de la scolarité de leurs enfants, aux limites du stock des ressources dont ils disposent pour aider. S'ils sont nombreux à avoir pu suivre leur scolarité primaire sans trop de difficultés majeures et récurrentes, s'amorce généralement avec l'entrée au collège un progressif et inexorable processus de décrochage parental. L'externalisation de ces tâches que les parents n'ont pas les moyens de traiter les expose au risque d'une multi disqualification. Elle peut, à un premier niveau, donner aux parents le sentiment qu'ils sont dans l'incapacité intellectuelle de maîtriser les contenus d'apprentissage en jeu et impuissants à aider leurs enfants. Elle risque à un second niveau de les disqualifier, aux yeux de leurs enfants, dans leur rôle d'éducateur. A un troisième niveau, c'est aussi tout le « fond de commerce » des discours éducatifs familiaux qui s'en trouve menacé. A un quatrième niveau, elle fait encourir aux parents le risque de déchoir, aux yeux des enseignants, du statut valorisant de « partenaires » à celui de parents « défaillants ».
Pour garder la face, certains parents n'hésitent pas à reconfigurer les tâches prescrites, en transformant volontairement, par exemple, une tâche mettant en jeu de la compréhension en une tâche ne mettant plus qu'en jeu un simple talent de mémorisation.
Si les familles de mon enquête offrent, du point de vue de leur implication, tous les gages de conformité aux attentes de l'école, il apparaît que - sur le plan des apprentissages - de nombreuses dissonances s'opèrent entre logiques familiales et logiques scolaires. Une partie non négligeable de ces dissonances est à mettre sur le compte de la désorientation curriculaire dont font l'expérience les parents et de la désappropriation de l'univers de référence qu'ils mobilisent pour appréhender le curriculum contemporain. Alors que les réquisits de l'école ont profondément évolué depuis la fin des années 1970, c'est principalement, à partir du cadre de référence des pédagogies « traditionnelles », que les parents interprètent le travail intellectuel sollicité par l'école. Viscéralement attachés à des codes pédagogiques qui ont marqué leur expérience scolaire et qui entrent fortement en résonance avec leur ethos de classe, l'enquête montre que les parents interrogés peinent à s'orienter dans les méandres du curriculum contemporain, qui fait désormais moins appel aux capacités de restitution que de réflexion des élèves. Les parents sont profondément déstabilisés par les nouveaux schémas d'apprentissage de la lecture, par les modes d'enseignement de la grammaire, de l'histoire, par la place qu'occupe la littérature jeunesse, etc.
Le trouble des parents est accentué par le fait qu'ils ne se confrontent pas qu'à du nouveau, étant donné que les nouvelles pédagogies, au cours de leur progressive diffusion dans l'école, se sont plus agrégées et mêlées aux pédagogies déjà existantes qu'elles ne les ont systématiquement remplacées. La confrontation avec ces pédagogies « retrouvées » les conforte dans l'idée que les enjeux d'apprentissage sont restés inchangés depuis le temps de leur propre scolarité (la mémorisation/restitution) et que l'école ne délivre plus les moyens d'y accéder (les longues leçons explicites qui donnent à voir le savoir).
Les parents s'efforcent de donner un sens et une cohérence à ces évolutions, en développant des analyses en termes de « démission » ou de « mission diabolique » de l'institution.
Même si la désorientation des parents s'enracine d'abord, et avant tout, dans l'expérience du quotidien des devoirs, elle n'en est pas pour autant réductible au seul huis clos familial. Elle se nourrit de tous les débats qui agitent la sphère pédagogique et la société en général. L'enquête met en évidence le profond conservatisme scolaire des familles populaires.
L'enquête montre, enfin, que le foyer des parents n'est pas seulement un espace de sous-traitance pédagogique mais qu'il est aussi une institution pédagogique autonome, puisque les parents sont bien souvent prescripteurs de travail « en plus ». L'enquête donne à voir le fort degré d'élaboration et de rationalité des pratiques qu'ils développent en la matière. Le terme générique de « travail en plus » recouvre des réalités tout aÌ fait distinctes en fonction des différentes missions que s'assignent les familles. A partir des observations et des entretiens que j'ai réalisés, j'ai élaboré une typologie qui distingue trois formes de travail « en plus ».
Le travail supplémentaire est prescrit par les parents - non pas dans la perspective de remédier aÌ des difficultés - mais plutôt dans celle de consolider et de faire augmenter les résultats scolaires de leurs enfants. Par définition, il est donc presque toujours destineì aÌ des enfants qui présentent, dans la discipline concernée, un niveau correct ou satisfaisant.
Le travail complémentaire vise aÌ remédier aÌ des difficultés d'apprentissage ou aÌ combler des lacunes imputables aÌ l'enfant ou aÌ son milieu d'origine mais pas aÌ l'institution scolaire elle-même.
Le travail suppléant vise, quant à lui, à remédier à des difficultés d'apprentissage ou à combler des lacunes non pas imputables à l'enfant ou à son milieu d'origine mais à l'institution scolaire elle-même. On va prescrire des devoirs que l'institution manque de prescrire. On va compenser ce qui est perçu par les parents comme le retard lieì aÌ la nature du public accueilli par les établissements, ainsi que les défaillances pédagogiques de l'école. Pour certains parents que j'appelle les « missionnaires des pédagogies traditionnelles », c'est quasiment l'ensemble du curriculum scolaire qui doit faire l'objet d'une substitution par recours aÌ des formes d'enseignement aÌ la maison. Certains parents n'hésitent pas aÌ transformer durablement leur foyer en institution « refuge » et aÌ dispenser aÌ leurs enfants une scolarisation visant aÌ suppléer les manquements de l'institution scolaire.
En conclusion, si mes recherches contribuent à déconstruire le mythe de la « démission » des familles populaires, elle met aussi en question un second mythe, qui est pour ainsi dire l'envers du premier : celui d'une mobilisation parentale qui, au regard d'un contexte général souvent perçu par le sens commun comme profondément carencé et déficitaire, serait toujours nécessairement bénéfique à la scolarité des élèves. Une partie des parents de l'enquête prescrivent des modes de faire et mettent en oeuvre des représentations qui sont peu conformes aux attendus de l'école, quand ils ne s'inscrivent pas tout simplement dans une logique de « dissidence » pédagogique revendiquée.
Mme Corinne Bouchoux. - Je voudrais évoquer avec vous deux sujets. D'une part, avez-vous constaté dans votre étude un effet de genre, l'attitude des familles est-elle différente selon s'il s'agit des filles ou des garçons ? D'autre part, je suis stupéfaite par l'engouement pour le marché de l'aide aux devoirs, 1/3 des clients de ces officines viennent de milieu très populaire et font de gros sacrifices pour des résultats incertains. Avez-vous remarqué ce phénomène dans votre enquête ?
M. Jean-Pierre Plancade. - J'ai une précision à vous demander concernant votre échantillonnage. Vous parlez de milieu populaire. Dans mon département, je ne constate pas cette démarche dans les couches très populaires (rmiste), leur préoccupation n'est pas de refaire l'école.
Mme Françoise Cartron. - Il est urgent de refonder l'école. La pression scolaire génère ces pratiques de devoirs avec les dérives que vous avez pointées. Les élèves sont stressés par rapport à un bien-être que l'on pourrait viser à l'école. Les devoirs amplifient ce phénomène de stress. Les devoirs devraient aider à la réussite et non renforcer l'éloignement de l'enfant dans son désir d'apprendre. Trop d'école à la maison tue l'école. Je partage le constat de mon collègue Jean-Pierre Plancade sur les milieux très populaires qui n'ont pas la volonté ni le temps de réinvestir l'école. Il existe différents types de devoirs : ceux qui sont prescriptifs, ceux qui font appel à une pédagogie traditionnelle et ceux de recherche. C'est, par ailleurs, une source de conflit familial quel que soit le milieu. Je suis favorable à la suppression des devoirs faits à la maison.
Mme Colette Mélot. - Ce qui fait la différence des résultats entre les enfants, c'est souvent l'aide reçue à la maison. Il y a une tradition, une culture en France de faire ses devoirs à la maison. Il y a une mobilisation des familles par rapport aux devoirs dans les milieux plus favorisés. Mais dans certains milieux très défavorisés, les familles ne s'intéressent pas au déroulement de la scolarité. S'il serait idéal de supprimer les devoirs pour mettre tous les enfants au même niveau, il sera difficile d'inverser la tendance. Il faudra changer de mentalité. Je partage le point de vue de Mme Françoise Cartron sur le stress des enfants. Je suis favorable à une relation avec l'école plus sereine. Enfin, j'ai constaté ce paradoxe en France, la journée scolaire y est plus longue et c'est là où il y a le plus de devoirs.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je voudrais compléter la réflexion de mon collègue Jean-Pierre Plancade sur l'échantillonnage (académie, établissements, réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les rased, ...) et vous interpeller sur le plan informatique à l'école à la fois dans l'équipement et dans la pédagogie. Que donnent les espaces numériques de travail ? Peut-on aborder les devoirs à travers les nouvelles technologies ?
M. Claude Domeizel. - Je ne vous ai pas entendu parler des conditions matérielles de réalisation des devoirs ni du fait que les devoirs sont un lien entre les familles et l'école. Aujourd'hui, je suis frappé par l'isolement des enfants qui ne communiquent plus. Je suis favorable aux devoirs qui maintiennent ce dialogue avec la famille.
Mme Maryvonne Blondin. - Avez-vous regardé la composition familiale des élèves dans votre échantillonnage ? Avez-vous mesuré les activités extra-scolaires qui pourraient impacter le temps accordé aux devoirs ? Un effort important est demandé aux enfants. Je suis consciente de la pression scolaire et de la pression du diplôme, 45 % enfants sont stressés. C'est trop !
Mme Françoise Férat. - Je suis favorable aux devoirs à l'école. En milieu rural, le temps de déplacement doit être pris en compte. Cela devient compliqué pour les enfants de faire des devoirs tard à la maison. Mais ne faut-il pas quand même garder une sorte de continuité entre l'école et la maison par la révision d'une leçon ou d'une récitation, les devoirs rassurant les parents ?
M. Daniel Percheron. - Votre base est très fragile même si elle est exacte : vingt familles, un département. Mais vous avez dit l'essentiel : séculaire, humanité, internat.
Selon Richard Descoings, malgré la massification de l'enseignement, les élites françaises ont toujours en tête le lycée traditionnel qui s'adresse à ceux qui sont capables de recevoir l'enseignement magistral tout en faisant sa part à la méritocratie républicaine. Il y a quarante ans, il y avait 145 000 bacheliers, aujourd'hui, il y a 145 000 bacheliers S. Cela veut dire que la France n'a pas renoncé à son lycée tel qu'il avait fonctionné et tel qu'il faisait l'admiration du monde entier. Nous sommes au coeur de l'autre pédagogie, celle des familles qui peuvent compenser et accompagner. C'est pourquoi je suis pour que les devoirs soient faits à l'intérieur des lycées. Nous devons être très attentifs aux nouveaux lycées. Cela veut dire que pour la refondation de l'école, nous allions au-delà des 12 000 euros par élève dans l'enseignement secondaire.
Un autre aspect concerne la prise en compte des transports scolaires, c'est le bagne !
Enfin, les professeurs dans le secondaire ne sont plus des militants urbains. Ils sont compétents mais ne partagent plus la vie des élèves ; ils repartent après les cours. Comment les retenir dans les lycées ?
M. Jacques-Bernard Magner. - Depuis 1956, les devoirs sont interdits dans ce pays mais ils continuent à se propager. Qu'est-ce qu'un devoir, une leçon ? Cela fait partie de la technique pédagogique de l'enseignant. Il ne s'agit pas de donner une surcharge de travail à l'élève mais de créer un lien entre l'école et la famille à condition de bien faire comprendre qu'on ne peut pas tout apprendre en classe. Le temps d'acquisition en classe dure environ dix minutes sur une séquence de quarante minutes, il appartient ensuite à l'enseignant de vérifier que la notion est bien comprise et acquise. Il faut apprendre aux enseignants et aux parents ce qu'est un devoir, une leçon. Il y a une nuance à apporter, tout n'est pas mauvais et tout n'est pas bon dans le devoir à la maison.
Mme Françoise Laborde. - Je voulais revenir sur la notion de l'institution qui se décharge sur les parents. C'est une impression. Il y a un duel entre l'institution et les parents. Les parents se sentent coupables de ne pas être assez présents. Quant aux classes défavorisées, les conditions matérielles pour les devoirs sont plus subies que choisies. Cela se fait à plusieurs sur un coin de la table de la cuisine. Concernant l'aide extérieure aux devoirs, elle peut venir d'un organisme privé mais elle peut aussi venir de la commune qui met en place une aide soit dans le quartier soit dans l'école même. Pour garder le lien parent/école, il ne faut pas décharger totalement les parents. Mais je pense que les devoirs devraient être faits à l'école pour plus d'équité.
M. Pierre Bordier. - Je voulais vous faire part d'un témoignage contraire révélant les difficultés d'organiser l'aide aux devoirs dans l'école même. Pendant deux ans, j'ai organisé l'aide aux devoirs pour des professeurs retraités dans une salle municipale. Cela a très bien fonctionné. Tous les élèves ont vu leur moyenne progresser. Puis cette aide a été transférée dans les locaux de l'école et les professeurs retraités se sont fait chasser de l'école.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Beaucoup de remarques et de questions : des demandes de précisions sur le panel, sur la prise en compte du temps de déplacement, du temps des autres activités, de la disponibilité des parents, sur les conditions matérielles de l'aide aux devoirs, sur les nouvelles technologies et les pédagogies associées, sur la nature même des devoirs, sur les officines et sur le lien entre parents et enfants à travers les activités scolaires.
Mme Séverine Kakpo. - Concernant l'échantillonnage, je souhaite vous préciser que c'est un travail ethnographique que j'ai effectué qui n'est donc pas forcément représentatif de la population. De même, j'utilise la notion de milieu populaire qui recouvre une population hétérogène. Ce travail a pour objectif de mettre en évidence des logiques significatives. Mes recherches ont été étayées par d'autres travaux dont ceux de l'Insee qui produit des enquêtes quantitatives. Les résultats convergent pour mettre en évidence cette forte mobilisation des parents. L'Insee a constaté que 95 % des mères passent en moyenne 19 heures par mois à aider leurs enfants scolarisés en primaire, toutes catégories sociales confondues. Il n'y a pas de clivage social dans ce domaine. Ce sont même les mères les moins diplômées qui passent le plus de temps à l'aide aux devoirs.
Certaines familles en grandes difficultés qui sont minées par la précarité et les questions sociales, ne peuvent pas développer des dispositions scolastiques. Mais c'est un phénomène marginal. La grande masse des familles des milieux populaires est mobilisée dès lors qu'elle le peut. Ces familles épargnées par les questions sociales ne disent pas forcément à l'école le travail qu'elles font en parallèle. Elles sont également consommatrices du marché parascolaire et des cours payants, les autres aspirant à avoir accès à ces cours payants.
Sur la question de l'utilité des devoirs, je pense qu'un temps personnel de travail des élèves est indispensable. La vraie question qui se pose est de savoir où ce travail doit se faire. Cela relève-t-il de la responsabilité de l'institution ? Doit-il être placé au coeur du système ou bien en dehors de la classe ? De quelle responsabilité doit-il relever ? Mon point de vue est que pour diminuer les inégalités scolaires amplifiées par les devoirs, l'école doit renouer avec l'idée d'encadrement du temps de travail personnel des élèves. Il y a là un enjeu fondamental.
Mais ce n'est pas parce que l'on va ré-internaliser les devoirs dans l'institution, que c'est la garantie d'une plus grande efficacité et d'une plus grande équité. Elle doit s'accompagner en outre d'une réflexion profonde sur le sens des devoirs et sur ce qui se passe en amont dans la classe.
Notre équipe a observé une classe où fonctionnait un dispositif municipal d'aide aux devoirs encadré par des enseignants. Ce sont donc les prescripteurs qui encadrent ces devoirs au sein de l'école. Or, nous avons pu constater qu'ils étaient parfois mis en difficulté par les devoirs de leurs collègues. On a travaillé sur la boucle pédagogique des devoirs, c'est-à-dire ce qui circule entre la classe et l'étude et ce qui revient en classe. On devrait apprendre en classe et cela devrait être consolidé en étude. On a pu mettre à jour de nombreux dysfonctionnements de cette boucle didactique du travail qui pèsent sur le fonctionnement de l'étude et qui participent à la rendre moins efficace. Ces dysfonctionnements sont de plusieurs ordres : une boucle éclatée, la profusion des supports, la complexité des modes de classement... De plus, la quantité de travail n'est pas toujours bien régulée. Trop souvent, les consignes renvoient à des principes non acquis.
Les devoirs sont comme une caisse de résonnance des difficultés qui n'ont pas été résolues en classe. Ré-internaliser les devoirs, oui mais il faut aussi se poser la question de savoir si les élèves ont le temps de s'approprier les notions pendant la classe.
Concernant les conditions matérielles de réalisation des devoirs, les familles que j'ai rencontrées sont attachées à donner, dans la mesure du possible, un espace personnel de travail à leurs enfants, même si dans la réalité, le travail s'effectue un peu partout dans la maison. On retrouve aussi parfois un phénomène de délégation en interne aux aînés quand ces derniers ont un rapport positif à la scolarité.
Enfin, familles et enseignants sont attachés aux devoirs en partie car cela maintient un lien entre l'espace scolaire et l'espace familial. Mais les devoirs ne doivent pas être considérés comme le seul élément de communication pour la famille car ils sont parfois source d'une certaine souffrance en son sein.
Mission d'information à Londres - Présentation du rapport
Enfin, la commission entend Mme Marie-Christine Blandin, présidente, sur le rapport de la mission d'information à Londres.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Chers membres de la délégation, au nom desquels je m'exprime aujourd'hui, mes chers collègues, je n'ai pas forcément pour habitude de parer les politiques publiques britanniques de toutes les vertus. Mais s'il y a bien deux domaines où le Royaume-Uni a été un précurseur intéressant, ce sont ceux du sport et de la télévision publique.
C'est donc avec un certain allant, pleins d'espoir et de curiosité, que nous sommes partis outre-Manche examiner ce modèle britannique tant vanté, pour une mission d'une semaine, avec une quinzaine d'auditions pour autant de visites. Un vrai rythme de sportif de haut niveau.
Commençons par la BBC, qui a été à la fois la première étape de notre périple londonien et le fil rouge de la délégation. Nous avons eu, je le crois, un excellent aperçu de son mode de fonctionnement.
Je vous livre quelques données brutes, tout d'abord, pour vous convaincre que « tante Beeb », comme la surnomme les Britanniques, est bien un acteur unique de l'audiovisuel public dans le monde :
- d'une part, en 2012, elle comptait environ 22 000 salariés (soit le double de France Télévisions et 30 % de plus que l'ensemble des salariés de France Télévisions, Radio France et l'audiovisuel extérieur de la France, l'AEF) ;
- d'autre part, elle intègre l'ensemble des médias publics du pays.
Concrètement, elle rassemble :
- 8 chaînes de télévision. BBC One rassemble ainsi la première audience du Royaume-Uni : depuis 27 ans, 10 millions de téléspectateurs se réunissent quatre fois par semaine pour voir le feuilleton Eastenders sur ses écrans. Surtout, elle compte deux chaînes pour enfants, pour deux tranches d'âge différentes (moins de 6 ans et 6/12 ans), et sans publicité, comme l'ensemble des autres chaînes ;
- plus d'une vingtaine de fréquences de radios, sans compter les locales. Ces radios rassemblent plus de la moitié des auditeurs chaque jour ;
- un site Internet à la renommée mondiale grâce au lancement de l'iPlayer en 2007. Il s'agit d'un service gratuit permettant aux Britanniques de disposer de plusieurs centaines de programmes de télévision et de radio en rattrapage, pendant sept jours après leur diffusion. Le succès a été tel que les chaînes privées se sont plaintes de concurrence déloyale et le volume du site BBC Online a été légèrement réduit.
La BBC, c'est aussi BBC Global News, qui comprend 4 entités dont :
- BBC World Service, qui est l'équivalent de Radio France Internationale. Dotée de près de 350 millions d'euros en 2011, cette radio est diffusée en 27 langues et regroupe 140 millions d'auditeurs hebdomadaires. Deux chaînes de télévision en arabe et en farsi ont été lancées : elles ont rapidement fait parler d'elles, notamment parce que le pouvoir iranien brouille régulièrement le message satellitaire de BBC Persian ;
- BBC World News est la chaîne d'information internationale en anglais, rivale de CNN dans le monde ;
- BBC Monitoring, enfin, est une bien curieuse entité dont la mission est d'écouter les médias du monde entier pour en tirer des analyses sur la situation politique ou économique d'à peu près tous les pays du monde. Ses clients sont des agences de renseignements, mais aussi des médias, voire des particuliers...
En parallèle de son périmètre impressionnant, la BBC dispose d'une puissance financière hors norme avec 6 milliards d'euros de dépenses annuelles, contre 4,3 milliards d'euros pour l'audiovisuel public français dans son ensemble.
A quoi est due cette différence ?
Tout le monde le sait, au montant de la redevance, qui se situe autour de 175 euros au Royaume-Uni en 2011.
Son produit est ainsi de 4,5 milliards d'euros, contre 3,3 milliards en France. Les 50 euros de différence créent donc un écart de plus de 1,2 milliard qui explique les différences entre nos audiovisuels publics.
Notons à cet égard qu'une redevance est due par habitation et que les résidences secondaires sont donc assujetties. De même, les ordinateurs font l'objet d'une redevance si la télévision dite « premium » (en direct) y est regardée.
La BBC, en charge de la collecte de la redevance, effectue les contrôles avec de mystérieux camions sillonnant le Royaume-Uni à la recherche de ces téléspectateurs numériques.
Mais 4,5 milliards d'euros de recettes de redevance, ça ne fait pas le compte. Comme il n'y a pas de publicité, il y a forcément d'autres recettes.
La principale ressource alternative est constituée des recettes dégagées par BBC Worldwide, qui est la filiale de distribution du groupe. Son chiffre d'affaires s'est élevé à près de 1,2 milliard d'euros en 2011, dont 270 millions d'euros ont été reversés à la BBC.
A titre de comparaison, la filiale de distribution de France Télévisions, pour une mission similaire, réalisait un chiffre d'affaires de moins de 50 millions d'euros en 2010. Certes, 2010 a été une mauvaise année. Il n'en reste pas moins que le rapport de 1 à 23 pourrait surprendre le béotien de l'audiovisuel.
Quelles sont les raisons de cette différence ?
Première raison évidente : il est beaucoup plus aisé de vendre des émissions en anglais qu'en français. Le monde est plus ouvert pour la fiction britannique que pour la nôtre.
Deuxième raison : la réglementation sur la répartition entre production interne et production externe.
La BBC garantit 50 % de ses investissements à son outil de production interne, quel que soit le genre. 25 % sont ensuite dédiés à la production indépendante. Pour le dernier quart, que les dirigeants de la BBC appellent la fenêtre de compétition créative, ce sont des commissions indépendantes qui choisissent des projets d'émission dont ils ne connaissent pas les auteurs. Au final, ce sont donc plutôt entre 35 et 45 % des émissions qui sont produites par les indépendants, surtout dans le domaine de la fiction ou des programmes jeunesse.
Rappelons qu'en France, où l'on s'est inspiré du modèle américain, la séparation entre les diffuseurs et les producteurs est rigide et les chaînes doivent donc faire majoritairement appel à la production indépendante. En 2009, les derniers accords prévoient même que France Télévisions fasse appel à des producteurs indépendants pour la totalité de son engagement patrimonial ! (fiction et documentaire).
Les Britanniques considèrent que l'intérêt de la garantie de production interne pour la BBC est la suivante :
- elle constitue une source de revenus ;
- c'est un moyen de protéger les valeurs éditoriales de la BBC, ainsi que sa marque ;
- sa force de frappe lui permet de lancer des projets ambitieux (séries longues notamment) ;
- enfin, et surtout, elle permet la constitution d'un catalogue de droits sur les programmes, ce qui crée de la valeur à moyen terme. Comme la BBC est propriétaire des droits sur les programmes qu'elle produit, elle est forcément plus attentive à ce qu'ils puissent s'adapter à l'international et de même elle est beaucoup plus engagée, via BBC Worldwide, dans leur commercialisation dans le monde.
Alors que l'arrivée de la télévision connectée est inévitable, et que les programmes sont de plus en plus regardés à un autre moment que la première diffusion, la capacité à détenir des droits complets sur les programmes va devenir encore plus cruciale. A cet égard, il semble que la BBC soit bien préparée. France Télévisions l'est peut-être moins.
Notons néanmoins que les chaînes privées britanniques sont, quant à elles, obligées de faire largement appel à la production indépendante. C'est bien évidemment l'objectif de diversité de la création qui est là recherché.
Passons maintenant au modèle de gouvernance, qui était l'un de nos sujets de préoccupation.
Fortement contestée au début des années 2000, la BBC s'est vu imposer un nouveau mode de fonctionnement à partir de 2007. La réforme principale a été la création d'un BBC Trust, composé de douze membres nommés par la Couronne pour un mandat de 5 ans.
Le BBC Trust a deux rôles principaux :
- d'une part, il est le gardien de la redevance audiovisuelle et de l'intérêt du public. A cet égard, il définit le plan stratégique de la BBC, autorise le développement des nouvelles activités et assure le contrôle du conseil de direction chargé de la gestion opérationnelle du groupe ;
- d'autre part, il nomme le directeur général de la BBC.
Il joue donc un rôle d'intermédiaire entre le monde extérieur (autorités politiques, public) et la BBC avec un double rôle de tutelle et de protection de la BBC vis-à-vis des éventuelles pressions politiques.
Dans la perspective de la refonte du mode de désignation des présidents de l'audiovisuel public, la description de ce système a bien évidemment hautement intéressé la délégation. Il présente bien des avantages, que ce soit en termes de transparence ou d'affirmation de l'indépendance de l'audiovisuel public.
Enfin sur la BBC, ne cachons pas les difficultés auxquelles elle sera soumise pendant les prochaines années : c'est un choc d'une baisse de 10 % de son budget qu'elle devra encaisser dans les deux ans avec la suppression du financement de l'audiovisuel extérieur par une dotation budgétaire. Une diminution équivalente du personnel est prévue, qui ne se fera pas sans heurts.
Une petite conclusion sur la BBC. Il ne s'agit ni d'une référence absolue ni d'un modèle crédible : en effet les paysages audiovisuels français et britannique sont si différents que vouloir singer la BBC n'aurait que peu d'intérêt.
En revanche elle constitue une vraie source d'inspiration :
- l'exhaustivité et la qualité de son offre, notamment en direction des jeunes publics, nous pousse à réfléchir à la capacité de France Télévisions à mettre à la disposition des enfants des programmes dédiés ;
- la puissance et la performance de l'iPlayer n'ont pas échappé aux dirigeants de l'audiovisuel public français, qui l'ont pris en exemple. La question sera celle de la capacité financière et juridique des acteurs français à mettre en place des outils performants ;
- le renouvellement de son modèle de gouvernance semble permettre de perpétuer une tradition d'indépendance. Celui-ci doit donc alimenter notre réflexion sur la réforme annoncée du mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public ;
- enfin, le succès et l'importance de son catalogue de droits doivent nous encourager à approfondir la réflexion sur le renforcement de ceux que détient le groupe France Télévisions, particulièrement dans la perspective d'un paysage audiovisuel transformé par la télévision connectée.
Évoquons maintenant les Jeux olympiques.
Véritable surprise, quand nous arrivons à Londres, nous tombons bien sur les anneaux olympiques à Saint-Pancras mais c'est à peu près tout. Si quelqu'un n'avait pas su que les Jeux allaient se dérouler cinq mois plus tard, ce n'est pas une balade en ville qui lui aurait appris.
Démotivation des Britanniques devant le coût exorbitant des Jeux, trois fois plus chers que prévus ? Grogne des Londoniens, interdits de transports en commun et priés de chômer pendant toute la période ?
Rien de tout ça. L'explication a rapidement été avancée : le Jubilé de diamant de la Reine, prévu pour juin, imposait une discrétion sur les Jeux olympiques en termes de publicité et d'affichage.
Peu d'inquiétude au demeurant, la culture sportive est telle au Royaume-Uni qu'il n'était point besoin d'insister pour que les billets soient écoulés très rapidement.
D'ailleurs, comme nous avons pu le constater, les installations étaient prêtes et n'attendaient plus que la cérémonie d'ouverture. Le ministère des sports, comme l'ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés, s'était en fait déjà projeté dans l'héritage des Jeux.
J'évoquerai maintenant ce que nos interlocuteurs appellent l'héritage sportif.
Des jeux scolaires impliquant 12 000 écoles et s'inspirant des Jeux olympiques ont été organisés en 2012, avec l'idée de relancer la pratique amateur.
Des candidatures à des manifestations internationales ont été faites afin que les infrastructures soient davantage utilisées : Jeux du Commonwealth en 2014, Coupe du monde de rugby en 2015, et Championnats du monde d'athlétisme au stade olympique en 2017.
Le maintien d'un effort financier important en faveur du sport de haut niveau a aussi été acté afin que les bons résultats acquis à Pékin et anticipés pour Londres (et confirmés) soient confirmés à Rio.
Un programme d'entraide internationale par le sport a enfin été soutenu par le ministère avec l'apprentissage à 80 000 enfants Bangladais de techniques de nage.
Saluons enfin le succès des Jeux paralympiques dont le bilan est très positif, en termes de présence des athlètes, de qualité de l'organisation, de succès public avec des stades pleins (2,3 millions de billets vendus) et de retransmission télévisée : Channel Four, chaîne financée par la publicité, a diffusé 140 heures de direct, soit 12 heures par jour pendant les 12 jours de l'événement. L'audience a été au rendez-vous.
Notre déception du faible engagement de France Télévisions n'en est que plus exacerbée. Le groupe n'a diffusé qu'un seul direct et n'a consacré que très peu de temps d'antenne aux jeux paralympiques.
La commission doit prolonger sa réflexion sur la vitalité de l'handisport français et sur notre capacité à renforcer sa visibilité, qui sont deux aspects de la même problématique.
Évoquons aussi une autre heureuse initiative, celle des olympiades culturelles, inspirées des Jeux antiques et lancées par la très dynamique Ruth Mc Kenzie. 16 millions de personnes ont participé ou assisté à des spectacles à la fois ambitieux et gratuits dans tout le Royaume-Uni pendant les 3 mois d'été.
L'idée était qu'il fallait profiter du rassemblement réalisé par les Jeux pour écouter les artistes et le message qu'ils avaient à délivrer. S'il y a un héritage culturel aux Jeux olympiques, notre commission ne peut que s'en féliciter !
Enfin, force est de le constater, les retombées économiques certaines des Jeux olympiques sont avant tout celles qui vont bénéficier au CIO. On peut à cet égard s'étonner de l'application de certaines règles de la charte olympique. Rappelons que l'alinéa 10 de la règle 2 prévoit que le rôle du Comité international olympique, le CIO, est de s'opposer à toute utilisation abusive politique ou commerciale du sport des athlètes.
Faisons part de nos quelques étonnements :
- le coût des Jeux a été exorbitant pour le Royaume Uni, supérieur à 13 milliards d'euros. Cela confirme que le processus de candidature aux Jeux est un jeu de poker menteur : le dossier londonien prévoyait seulement 4 milliards de dépenses ;
- outre le fait qu'une entreprise aussi contestée que Dow Chemical soit sponsor des Jeux, les règles draconiennes appliquées à Londres ont surpris plus d'un commentateur. Pêle-mêle : interdiction d'utiliser une autre carte bleue qu'une Visa sur tout le site olympique ; pas de frites ailleurs qu'au McDonald's ou alors dans les Fish&Chips mais, dans ce cas, seulement avec du poisson ; pas de publicité pour des marques concurrentes aux abords du stade ; ou encore mise en place d'une police des marques dans Londres pour surveiller les commerces de proximité. Lord Sebastian Coe avait même évoqué l'idée que les spectateurs ne puissent pas porter de vêtements de marques autres que celles des sponsors olympiques. On peut se poser des questions des limites de telles pratiques de la part du CIO, qui ne semble être devenu qu'un organisme de gestion de la manne financière des Jeux.
S'il y a un aspect positif qui fait la quasi-unanimité, c'est bien l'intérêt de la rénovation du quartier de l'East End. La gare aérienne de Stratford est flambant neuve, le temple de la consommation qu'est le nouveau centre commercial Westfield attire de nombreux Londoniens, le village olympique a permis la construction de près de 3 000 logements, dont la moitié seront des logements sociaux, et le site attirera de nombreux touristes. Bref, l'East End a été à la fois désenclavé et rénové, au risque selon certains d'y perdre son âme. Il n'en reste pas moins qu'une fois encore, on constate que l'un des aspects essentiels du succès économique des Jeux est qu'ils s'accompagnent d'un projet de rénovation urbaine pertinent.
Dans le même ordre d'idées, il est devenu nécessaire que l'utilisation post-olympique des équipements ait été pensée dès avant les épreuves. On sait déjà que le pavillon de handball sera démonté et que celui de basketball servira à Rio en 2016. Reste à trouver un repreneur pour le stade olympique. Un organisme dédié à l'héritage des Jeux remplira cette mission ardue.
Sortons enfin des Jeux et évoquons la culture sportive dans le pays de Winston Churchill, adepte du no sport. Paradoxalement, il n'était peut-être pas loin de représenter la culture nationale dans ce domaine : en effet, ce n'est pas la pratique sportive qui distingue réellement les Britanniques du reste de l'Europe, mais bien leur goût immodéré du spectacle sportif. Ceux qui ont eu la chance de se rendre dans le stade d'Arsenal pour un match à rebondissements de ligue des champions ont pu s'en apercevoir : le sport est un phénomène culturel et social qui rassemble le pays.
A cet égard, nous avons pu constater que le sport professionnel pouvait aussi être le support d'ambitions sociales. Le programme passionnant qui nous a été présenté par les responsables du programme « Arsenal dans la communauté » en est la preuve.
Convaincus que les clubs ont une responsabilité sociale dans leur ère d'influence géographique, ils ont mis en place de très nombreux projets éducatifs menés avec le soutien de 20 salariés à plein temps, 110 personnes à temps partiel et 200 bénévoles.
Le projet « Double club » est probablement l'un des plus ambitieux. Des professeurs recrutés ou rémunérés par Arsenal se rendent dans les écoles d'Islington pour y dispenser un soutien scolaire aux jeunes en difficultés. Des supports pédagogiques et ludiques, élaborés et financés par le club, et fondés sur la vie et l'histoire d'Arsenal sont utilisés. Ainsi est facilité l'apprentissage de la lecture avec des programmes de matchs, de la géographie avec des analyses sur les pays d'origine des joueurs et des explications sur les différences de salaires moyens en Europe, ou encore les mathématiques avec l'utilisation de statistiques de football. Ce projet mené depuis 15 ans concerne 2 000 jeunes par ans. Il apparaît que les effets positifs sont tels sur les jeunes concernés que l'Union européenne souhaite transposer l'expérience dans d'autres pays.
Dans le cadre du groupe de travail sur l'éthique sportive que la commission met en place, nul doute qu'une réflexion pourrait être engagée sur les moyens de rapprocher les clubs et joueurs professionnels des communautés et territoires dans lesquelles ils s'inscrivent.
Au bénéfice de ces différentes remarques, je vous demande en conclusion de bien vouloir accepter la publication de ce rapport de mission.
La commission autorise la publication de ce rapport sous la forme d'un rapport d'information.