Mardi 2 octobre 2012
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Loi de finances pour 2013 - Programmation des finances publiques - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances et M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget
La commission procède à l'audition de MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du Budget, sur le projet de loi de finances pour 2013 et sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.
M. Philippe Marini, président. - Usuellement, la commission des finances du Sénat se réunit après celle de l'Assemblée nationale - que vous avez présidée - et entend les ministres dès la présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres. En 2012, le calendrier aurait conduit notre commission à se réunir un vendredi, ce qui, sans vouloir faire injure à notre disponibilité, aurait limité le nombre d'auditeurs. De plus, quelques jours ne sont d'ailleurs pas de trop pour examiner l'ensemble des documents qui nous ont été remis. Nous connaissons déjà les grandes lignes qui s'en dégagent : le budget 2013, qui s'est fixé l'objectif de 3 % de déficit, est un budget d'effort et de mobilisation, élaboré sans doute dans la douleur. Vous allez maintenant nous le présenter, et nous serons tous très attentifs à vos propos.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. - Je vous prie d'excuser M. Moscovici qui, pour des raisons personnelles absolument dirimantes, nous rejoindra tout à l'heure. Je crains que la présentation Powerpoint que j'ai faite devant la commission des finances de l'Assemblée nationale ne soit pas assez brève ; je peux toutefois résumer.
M. Philippe Marini, président. - Si M. le rapporteur général n'y voit pas d'objections, vous pourriez aller à l'essentiel, ce qui laisserait plus de temps à l'interactivité.
M. Jérôme Cahuzac. - Le budget de l'année 2013 a été particulièrement difficile à élaborer, en raison des nombreuses contraintes qu'il a fallu surmonter. Comme l'a constamment rappelé le président de la République, il s'agit en premier lieu de respecter la parole de la France en présentant un budget qui affirme une baisse du déficit de 4,5 % à 3 % du PIB sur la période 2012-2013, ce qui représente un effort de 30 milliards d'euros. Que certains fassent semblant de découvrir qu'un effort de 30 milliards était nécessaire m'a paru surprenant, tant il est vrai qu'il s'inscrit dans la trajectoire des finances publiques présentée à la Commission européenne il y a deux ans !
Dans ce cadre, le choix que nous avons fait est celui d'un partage entre des mesures d'économies, pour un tiers, et des efforts de nature fiscale, pour deux tiers, ces derniers étant partagés équitablement entre les ménages et les entreprises. C'est un choix raisonné : à court terme, la baisse des dépenses publiques est plus récessive que l'augmentation de la fiscalité. Or, si l'objectif des 3 % témoigne de notre volonté de tenir les engagements pris, il s'agit tout autant de préserver la croissance, dont l'hypothèse retenue pour l'année prochaine se situe autour de 0,8 %. Pour préserver la croissance en 2013, il fallait faire des économies, mais aussi être prudent, encore qu'il me parait difficile d'aller plus loin dans cette voie : depuis notre entrée en fonctions, ce sont 250 millions d'euros d'économies qui ont été trouvés chaque jour. Dans l'histoire politique contemporaine, aucun gouvernement n'a fait autant. Ces économies sont en outre équitablement réparties entre le fonctionnement et l'investissement, entre la défense nationale et les dépenses d'intervention. Ces 10 milliards d'euros sont de surcroît nets des mesures nouvelles, qui concernent essentiellement l'éducation nationale, la sécurité, la justice et l'emploi. Au total, nous réalisons près de 2,8 milliards d'économie de fonctionnement, soit un effort de 5 % consenti par toutes les administrations en moyenne.
Un effort est également demandé aux opérateurs. Ce sont aujourd'hui plus de mille entités, qui représentent une charge budgétaire de 40 milliards d'euros dont 10 milliards de taxes affectées. Ces cinq dernières années, leurs frais de fonctionnement ont augmenté de près de 6 % lorsque ceux de l'Etat diminuaient dans les mêmes proportions ; ils ont dépassé de 13 % le plafond des équivalent temps plein lorsque le « 1 sur 2 » s'appliquait dans les administrations d'Etat. Ces entités semblent ainsi s'être affranchies des services de l'Etat, au point de considérer que les taxes affectées leur appartiennent. Il y a sans conteste un effort à faire en la matière, en fixant un plafond de taxes affectées aux opérateurs, chantier sur lequel l'aide du Parlement serait précieuse à l'action que mène l'exécutif.
Concernant le budget de la défense, l'effort représente près de 2,2 milliards d'euros. Il s'agit d'un budget de transition, et non de rupture. S'il ne respecte pas l'ensemble des prescriptions dégagées par le Livre blanc, il s'inscrit totalement dans le respect des lois de programmation, ne signe l'arrêt d'aucun programme militaire d'investissement, et permettra en outre un accueil digne à nos troupes rapatriées d'Afghanistan.
Les économies d'intervention de l'Etat représentent 2 milliards d'euros. Quant aux dépenses d'investissement, dans lesquelles vous savez qu'il est difficile de sabrer, elles concernent essentiellement les transports, la culture et la justice, autant de ministères qui ont compris la nécessité de décaler certains projets d'investissement. Le périmètre d'économies exclut ainsi les prélèvements sur recettes, ainsi que les charges de pensions et de dette.
On arrive au coeur de l'action de l'Etat : hors prélèvements sur recettes, charges de la dette et pensions, le financement de ces missions s'élève à 199,1 milliards d'euros. Ce budget accuse une diminution en valeur absolue de 700 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2012, mais avec une économie de 10 milliards par rapport à la tendance. L'effort est donc important sur les crédits des ministères, certains contribuant plus que d'autres. Ces économies étaient nécessaires parce que l'Etat doit être efficient. Elles l'étaient aussi parce que nos concitoyens ne doivent pas avoir le sentiment qu'on demande tout à la fiscalité.
Peut-on faire davantage ? On peut en douter si l'on se rapporte à l'évolution récente et future des finances publiques : entre 2002 et 2007, la dépense publique a progressé de 2,3 %. Entre 2007 et 2011, elle a été de 1,7 %. Nous prévoyons, entre 2012 et 2017 une augmentation de 0,7 % toutes administrations confondues. Je le répète : un tel effort partagé et solidaire n'a jamais été consenti par l'Etat, la protection sociale ou les collectivités locales. Faire davantage restera suggéré par certains. Je leur rappellerai dès lors que 20 milliards d'euros représentent la moitié du budget de la seule Éducation nationale, ou 500 000 postes de la fonction publique d'Etat. C'est parce que nous maintiendrons la norme « zéro valeur » des dépenses hors charge de la dette publique et pensions que ces économies vont monter en puissance et que la fiscalité pourra être stabilisée d'ici la fin de la mandature, conformément aux engagements du président de la République.
J'en viens aux mesures fiscales. Elles touchent autant les ménages que les entreprises. Notre préoccupation était double : d'une part, ne pas inciter à des comportements pouvant nuire à la croissance et, d'autre part, susciter un sentiment aigu de justice. Ainsi, le nombre de ménages sollicités représente moins de la moitié du dernier décile de la distribution des revenus. Mieux encore, les effets produits par le maintien du gel du barème de l'impôt sur le revenu sont corrigés par un mécanisme de décote à l'entrée de la première tranche et entre la première et la deuxième tranche, grâce auquel près de 7,4 millions de foyers ne paieront pas d'impôts supplémentaires par rapport à 2012. L'effort est difficile à partir de 15 000 euros par mois, il est rude à partir de 40 000 euros par mois, mais ce sont ces ménages à qui un effort est demandé. Ces dispositions ne diminueront pas la capacité de consommation de ces ménages, qui contribue à la croissance française à hauteur des deux tiers.
Les mesures fiscales concernant les entreprises ont été guidées par le même souci de préserver leurs capacités d'investissement. Elles concernent donc essentiellement les grands groupes. Pour l'essentiel, il s'agit d'abord de la fin de la déductibilité intégrale de l'impôt sur les sociétés des intérêts d'emprunt : 15 % en 2013, puis 25 % à terme, ne pourront plus être déduits de l'assiette de cet impôt. C'est une mesure forte, dont le rendement s'élèvera à 4 milliards d'euros l'année prochaine. L'autre mesure symbolique est une correction de la niche « Copé »...
M. Philippe Marini, président. - La niche Marini !
M. Jérôme Cahuzac. - Parfois, l'usage l'emporte sur l'histoire ! Mais vous saurez certainement libérer M. Copé de ce fardeau...
Donc, la niche dite Copé, mais en fait Marini, sera réduite de 2 milliards en tenant compte non plus des plus-values nettes, mais des plus-values brutes.
Tel est à grands traits le budget pour 2013 : 10 milliards d'économies, 10 milliards de mesures fiscales concentrées sur les ménages les plus aisés, 10 milliards de mesures fiscales concentrées sur les plus grandes entreprises. Toutes les dispositions favorables aux PME sont préservées. Mieux encore, le crédit d'impôt recherche est élargi de 200 millions d'euros pour elles : cette mesure ne devrait pas rencontrer d'opposition dans votre assemblée.
M. François Marc, rapporteur général. - Nous avons en tête l'orientation générale du budget, puisqu'il correspond aux engagements du candidat aujourd'hui président de la République. Tout cela est de nature à renforcer la crédibilité de la signature de la France. Nous nous félicitons également que le Gouvernement n'attende pas une meilleure fortune budgétaire pour engager des réformes structurelles de notre fiscalité. Il s'agit là d'efforts justes, ou d'un redressement dans la justice, pour reprendre les termes du président de la République. Par ailleurs, notons que l'adoption conjointe en Conseil des ministres du projet de loi de finances et de la loi de programmation des finances publiques nous conduit à analyser le budget dans le cadre d'une stratégie globale des finances publiques.
C'est pourquoi je souhaiterais en premier lieu des précisions sur les montants en jeu. Le déficit de l'Etat va se réduire de 20 milliards d'euros ; celui des administrations publiques doit se réduire de 30 milliards ; le Gouvernement communique sur un chiffre de 30 milliards d'euros, tandis que le ministre de l'économie a évoqué le chiffre de 37 milliards en raison de l'effet attendu en 2013 des mesures décidées en juillet dernier. Par ailleurs, l'effort structurel est évalué à 40 milliards d'euros. Dans le rapport annexé au PLF enfin, l'effort en dépense représente 0,3 points de PIB, ce qui équivaut à 6 milliards d'euros, et non 10 milliards comme vous nous l'avez indiqué. Bref, ces montants me semblent devoir être précisés et distingués selon les catégories d'administrations publiques, et entre recettes et dépenses.
Une autre interrogation concerne les hypothèses de croissance. Le traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance en Europe (TSCG) et la future loi organique qui en découlera prévoient la possibilité de corriger les dispositions prises en cas de circonstances exceptionnelles. Je crois que cette notion mérite d'être explicitée. Qu'est-ce qu'une grave récession économique ? Par exemple, une activité en repli de 0,5 % pourrait-elle être considérée comme une circonstance exceptionnelle au sens du traité ?
La question de l'implication des collectivités territoriale dans l'effort budgétaire est un autre sujet qui, vous le savez, nous tient à coeur. L'article 8 de la loi de finances dispose que « les collectivités territoriales contribueront à l'effort de redressement selon des modalités à l'élaboration desquelles elles seront associées ». Qu'en est-il exactement ?
Enfin, les catégories de collectivités sont dans des situations très différentes ; peut-on imaginer de répartir l'effort de 1,5 milliard entre les différents niveaux de collectivités en tenant compte des spécificités de chaque niveau ?
Le projet de loi de finances stricto sensu suscite bien d'autres interrogations. Il prévoit d'abord 6,5 milliards d'euros de versement en capital au titre des troisième et quatrième tranches du mécanisme européen de stabilité (MES), qui doit être opérationnel le 8 octobre. Des précisions sur les derniers préparatifs avant la mise à feu du dispositif seraient bienvenues.
Concernant les plus-values de cession, l'impact de leur fiscalisation au barème mériterait d'être étudié, notamment sur la légitimité qu'il y aurait à fiscaliser l'ensemble des cas de figure de la même façon ; faut-il traiter à l'identique la plus-value d'un petit actionnaire qui gère son portefeuille et la plus-value d'un chef d'entreprise qui vend sa société ?
Le principe de l'abattement de 40 % sur les dividendes avait été accepté par le Conseil des prélèvements obligatoires afin d'éviter une double taxation au titre de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur le revenu. Toutefois, un éclairage complémentaire sur la pertinence du niveau retenu paraît nécessaire.
Un mot sur les valeurs locatives foncières. Une disposition du projet de loi de finances rectificative de juillet 2012 avait programmé la révision généralisée des valeurs locatives professionnelles. Le dispositif devant être opérationnel pour le 1er janvier 2015, pouvez-vous nous préciser où en est sa mise en oeuvre ?
Enfin, je souhaiterais un complément sur la masse salariale. Sous la précédente législature, la suppression annuelle de 30 000 postes n'avait entraîné qu'en 2012 une légère baisse de la masse salariale. D'après les documents qui nous ont été communiqués, la masse salariale serait quasiment stable, passant de 80,4 à 80,6 milliards d'euros, et ce sans suppressions d'emploi, respectant ainsi l'engagement du chef de l'Etat. Son maintien est-il confirmé ?
M. Philippe Marini, président. - Je partage les questions de M. le rapporteur général. Permettez-moi d'en ajouter quelques unes.
En premier lieu, avez-vous une documentation complémentaire à nous communiquer sur les économies budgétaires réalisées ? A ce stade, seule la ministre de la Culture semble avoir détaillé, ce qui est méritoire, les opérations interrompues. Ma crainte concerne les règles annoncées en matière d'évolution par nature de dépense : peut-on connaître par exemple les dispositifs touchés en matière de dépenses d'intervention ? Dans le domaine des économies, la révision générale des politiques publiques (RGPP) a beaucoup souffert d'appréciations négatives ; pour rester dans la litote, on l'a qualifiée de « non intelligente ». Pourtant, le processus d'économie implique un réexamen de certaines fonctions de l'Etat ; l'échenillage des crédits ne suffit pas : il faut effectuer des choix fonctionnels et des réformes structurelles. Un premier rendu des ministres sur ce thème était attendu pour la fin septembre : pourriez-vous nous en dire plus ?
Sur la fiscalité, je m'associe à M. Marc sur la question du barème pour les plus-values non récurrentes. Il faut en effet que le dispositif s'abstienne de pénaliser des comportements économiquement efficaces, notamment lorsque la plus-value rémunère un risque assumé sur le long terme par un agent économique. A cela s'ajoute la question des conséquences des mesures de taxation des revenus patrimoniaux, qui s'annonce douloureuse pour certains contribuables de condition moyenne, par exemple ceux taxés au taux marginal de 30 %. En matière d'ISF, j'observe avec satisfaction le rétablissement du plafond d'imposition à 75 % des revenus du contribuable. Est-il d'une nature différente de celle de l'ex-bouclier fiscal tant honni et tant vilipendé ? Il me semble procéder d'un raisonnement voisin.
D'autres questions ne manqueront pas de vous être posées sur les dépenses locales et les collectivités territoriales, notamment sur les dépenses d'allocation de solidarité, sur l'évolution desquelles les élus de nos départements n'ont pas de prise : comment gérer l'effet de ciseaux entre des ressources stables et des dépenses de guichet en augmentation ?
En ce qui concerne les entreprises, la mesure la plus structurante me paraît être celle qui met fin à la déductibilité totale des charges financières de l'impôt sur les sociétés. L'exemple allemand est souvent invoqué. Je rappelle qu'en Allemagne, cette mesure a été précédée d'une diminution du taux de cet impôt. En France, la limitation à 75 % de la déductibilité dès 2014 signifie qu'un quart des charges financières continue à être taxé à 36 %, ce qui n'est pas sans impact conjoncturel alors qu'une stagnation menace en 2013. Est-il opportun, dans le contexte actuel, de pénaliser des investissements financés sur les marchés ou des opérations de croissance externe au risque d'un effet dépressif sur l'activité ?
M. Pierre Moscovici, ministre de l'Économie et des Finances. - Je suis très heureux de participer à la discussion sur ce bon budget. Trois mots en ont guidé l'élaboration. Celui de redressement d'abord : il est indispensable, car le désendettement conditionne la compétitivité de la France, et l'impossibilité d'y parvenir livrerait notre pays pieds et poings liés aux marchés financiers. Rappelons qu'un point de taux d'intérêt représente une charge supplémentaire de 2 milliards d'euros en un an et de près de 14 milliards d'euros en 10 ans. Et cela sans compter l'effet boule de neige qui ne manquerait pas de résulter d'une telle hausse, ce dont d'autres pays peuvent témoigner. C'est aussi un budget de justice, qui épargne les couches populaires, les couches moyennes et les PME ; c'est enfin un budget d'efficacité économique, parce qu'il préserve nos capacités de consommation et d'investissement.
La question du projet de loi organique découlant du TSCG mérite en effet des précisions. Ce projet de loi organique n'est pas un carcan qui viendrait enserrer les dépenses de l'Etat et des collectivités territoriales : c'est un ensemble de règles de procédure, de règles du jeu destinées à nous permettre de mieux piloter les finances publiques, à travers la notion de déficit structurel, c'est-à-dire corrigé des aléas de la conjoncture. Le Conseil constitutionnel ne s'y est d'ailleurs pas trompé : il n'y a pas eu nécessité d'inscrire une « règle d'or » dans la Constitution, il n'y a pas non plus là d'atteinte à notre souveraineté. Il s'agit simplement de codifier le retour à l'équilibre, tel qu'il est posé à l'article 34 de la Constitution. La rédaction du texte va ainsi permettre de trouver un équilibre dans la définition du solde structurel, de finaliser la création du Haut Conseil des Finances publiques, qui sera composé de magistrats de la Cour des comptes et de membres désignés par les présidents des assemblées et ceux des commission des finances, et enfin d'élaborer les mécanismes de correction des écarts.
La notion de circonstances exceptionnelles apparaît dans ce contexte. Elle permet de s'écarter temporairement de la trajectoire préalablement définie. Sur ce point, la loi organique reprend le traité ; selon lui, les circonstances exceptionnelles - qui comprennent explicitement « les cas de récession économique grave » - sont définies par trois critères : l'existence d'un fait inhabituel, indépendant de la volonté des parties contractantes, ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques. Cette définition préserve toute capacité de pilotage des finances publiques et toute capacité contracyclique ; elle est beaucoup plus pertinente que la seule référence à un chiffre nominal. L'objectif de 3 % sera pour autant tenu. J'appelle votre attention sur le fait que nous ne sommes pas en récession, que la France résiste mieux que ses voisins et reste dans le peloton de tête, même s'il avance beaucoup trop lentement. Mais le dispositif prévu permettra d'apprécier à l'avenir l'existence ou non de circonstances exceptionnelles, arme qui se trouve in fine entre les mains du Parlement. Au passage, si aucune disposition ne peut être prise qui méconnaîtrait la libre administration des collectivités territoriales, rien ne justifie qu'elles se trouvent en dehors de ce cadre de pilotage.
J'en viens aux 37 milliards d'euros. Il s'agit de 30 milliards annoncés par la programmation des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, auxquels s'ajoutent 4,5 milliards d'euros d'effets de la LFR en année pleine, ainsi que 2,7 milliards d'économies sur l'Ondam. Il convient en outre de distinguer l'effort en dépenses par rapport à la croissance potentielle, qui équivaut à 0,3 points de PIB, soit 6 milliards, et les économies par rapport à la croissance spontanée des dépenses, qui sont elles supérieures à la croissance potentielle, de l'ordre de 10 milliards d'euros. Monsieur Marini, les documents relatifs à ces économies vous seront transmis au fur et à mesure, mais je peux vous assurer qu'elles ne sont ni fictives ni mineures.
En 2013, la masse salariale et le volume des dépenses resteront stables, ce qui représente une économie moyenne de 5 % sur tous les ministères. Le PLF prévoit une économie de 2 % sur les dotations aux opérateurs de l'Etat. Les collectivités territoriales sont associées à ce redressement par la stabilisation de la dotation de l'Etat. C'est un choix revendiqué : les Français veulent que tous les acteurs participent à l'effort demandé, sans que soit remis en cause leur modèle social, ni que soient négligées les priorités définies par le Gouvernement : l'éducation, la sécurité, la justice et l'emploi.
François Marc m'a interrogé sur les plus-values de cession. Leur réforme fait partie intégrante de la réforme fiscale que nous avons engagée. Pour mémoire, les revenus des 1 000 Français les plus riches se composent à 78 % de plus-values. Nous avons mis en place plusieurs atténuations : un système de lissage qui tiendra compte du caractère pluriannuel de la plus-value lors de la première année d'application du barème ; un dispositif d'incitation à la détention longue ; ensuite, nous avons renoncé à supprimer les exonérations pour les départs à la retraite et pour les réinvestissements dans une entreprise ; enfin, les plus-values des jeunes entreprises innovantes sont exonérées. Nous serons d'ailleurs très attentifs, dans la discussion budgétaire, à la situation des start-up et des entreprises innovantes.
M. Jérôme Cahuzac. - Une précision quant à l'effort demandé aux collectivités territoriales. Le principe en a été présenté au Comité des finances locales. Il s'agit de 1,5 milliard sur 2014-2015, à comparer aux 60 milliards de l'enveloppe normée, aux 100 milliards de concours de l'Etat, aux 220 milliards de budget des collectivités territoriales. L'effort est supportable, d'autant que le FCTVA est laissé en dehors de cette enveloppe, l'Etat prenant, pour ainsi dire, sur lui.
M. Philippe Marini, président. - Vous maintenez en cela la pratique de vos prédécesseurs
M. Jérôme Cahuzac. - Ce n'était pas le cas en 2009 et 2010. Le FCTVA est resté sous l'enveloppe au moins deux années sous la précédente mandature.
M. Philippe Marini, président. - Mais pas l'année dernière.
M. Jérôme Cahuzac. - Nous sommes d'accord.
Quant aux exemples d'économies réalisées, il s'agit notamment de la suppression du dispositif d'exonération de charges dues pour l'emploi de travailleurs agricoles, du recentrage du FISAC sur les zones prioritaires, de la baisse de subventions pour certaines associations sportives, de la suppression de l'indemnité de résidence versée au consortium Stade de France et de l'alignement du régime des auto-entrepreneurs sur celui des commerçants et artisans.
La disposition relative à l'ISF ne s'apparente pas à celle du bouclier fiscal. Elle s'en distingue d'abord par son taux : 50 %, ce n'est pas 75 % ; par sa nature ensuite, puisqu'ici les impôts locaux ne sont pas compris dans le mécanisme ; enfin par ses modalités de calcul, destinées à éviter les phénomènes d'optimisation.
Le mécanisme de déduction des intérêts d'emprunt est plus dur en Allemagne qu'en France, et trop procyclique pour qu'il ait paru opportun de s'en inspirer. Seulement 15 % des intérêts financiers ne seront plus déductibles : ce pourcentage peut être beaucoup plus élevé en Allemagne.
Le projet de loi de finances ne contient aucune mesure sur les valeurs locatives ; nous verrons à l'occasion du débat ce qu'il en est.
M. Richard Yung. - Ma question porte sur la croissance. On connaît la prévision du Gouvernement pour l'an prochain, et l'on sait qu'un ensemble de mesures importantes a été adopté au sommet européen de juin dernier : redéploiement des fonds européens non utilisés, augmentation du capital de la Banque européenne d'investissement, création des project bonds, projet de taxe sur les transactions financières. Où en est-on de l'application de ces dispositions ? Comment peut-on évaluer les effets positifs que nous en espérons sur le budget pour 2013 ?
Vous avez, conjointement avec votre homologue allemand M. Schäuble, adressé une lettre aux ministres des finances de la zone euro pour les encourager à se joindre à vous dans la mise en oeuvre du projet de taxe sur les transactions financières. Avez-vous déjà reçu des réponses ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Ma question est double et s'adresse à M. le ministre délégué chargé du budget, que je remercie pour la clarté de son exposé.
En affirmant que les mesures d'économie sont plus récessives que les augmentations d'impôts, n'oubliez-vous pas les aspects incitatifs qu'ont pour les entreprises leur résultat net et pour les ménages leur revenus ?
Vous avez dit qu'il était difficile de faire plus d'économies. Or, avec des dépenses publiques représentant 57 % du PIB, ce qui nous place dans les tout premiers rangs européens, ne serait-il pas possible de revenir au moins vers la moyenne des pays européen ? La France compte deux fois plus de fonctionnaires pour mille habitants que l'Allemagne !
L'article 28 dispense le Centre national du cinéma et de l'image animée du plafonnement des taxes qui lui sont affectées, qui atteint tous les autres opérateurs : pourquoi ne prélever que 150 millions sur sa trésorerie de 800 millions d'euros ? Vous auriez pu avoir la main plus lourde sur cet organisme qui pratique une forme de thésaurisation, et qui a emprunté de l'argent, malgré sa cagnotte de 800 millions, pour acquérir un immeuble dans Paris, alors qu'il est déjà implanté dans trois bâtiments, tous situés dans le seizième arrondissement, et qu'il refuse de s'installer extra muros, ce qui me semble contradictoire avec votre politique de rationalisation immobilière.
M. Philippe Marini, président. - Merci pour votre intervention, qui anticipe un peu sur l'audition prévue demain matin sur le Centre national du cinéma et de l'image animée.
M. Gérard Miquel. - Je salue tout d'abord votre effort de justice fiscale. L'impôt sera plus justement réparti, avec notamment la décote sur les deux premières tranches d'impôt sur le revenu ; les Français comprendront qu'il est prélevé de façon plus équitable. Cependant, beaucoup de nos concitoyens, qui ne paient pas l'impôt sur le revenu, ont des difficultés croissantes à s'acquitter d'impôts locaux qui sont de plus en plus lourds. Nous nous sommes engagés depuis longtemps dans une réforme des bases de la fiscalité locale, car les communautés de communes et les conseils généraux prélèvent l'impôt sur des bases très inégales et très injustes. Une telle réforme est nécessaire : allez-vous la faire ?
M. Philippe Marini, président. - Voilà un sujet de long terme !
M. François Patriat. - Ce budget de rupture, courageux, répond à la préconisation faite par le Fonds monétaire international au début de l'été : il convient de remettre en ordre les finances publiques, mais il faut le faire progressivement, sans brutalité, pour garder la confiance des marchés. Le contexte est en effet difficile, avec une conjoncture globale morose, la mise en oeuvre des mesures de la loi de finances rectificative votée en juillet, et, en cette période de l'année, les impôts locaux, parfois en forte hausse de surcroît.
Vous avez évoqué des priorités. Je salue le maintien du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche à un niveau élevé. L'effort demandé aux collectivités locales (750 millions d'euros l'an prochain, 2 milliards et deux cent cinquante millions d'euros sur la période) doit être comparé aux deux milliards annuels que prévoyait de leur reprendre l'ancien gouvernement. Elles doivent faire des économies sur leur fonctionnement, afin de pouvoir investir, et non, comme elles le font trop souvent, réduire les investissements pour préserver leur budget de fonctionnement. Mais comment faire pour que les collectivités locales assument autant de compétences qu'elles en ont réclamées, tout en supportant une baisse drastique de leur dotation ? Certes, elles élaborent en ce moment même des budgets où, pour beaucoup d'entre elles, la rigueur s'allie à l'audace et à la créativité. Par exemple, la région que je préside réduit son budget de 6 % cette année pour accompagner l'effort de l'Etat. Mais il faudrait réformer du même coup la fiscalité locale et repenser les missions des collectivités locales : peut-être doivent-elles se recentrer sur certaines compétences.
Je pense enfin qu'il faudrait que ce budget de rupture, ce budget courageux, soit accompagné d'efforts de pédagogie, car les Français ont tendance à croire que les impôts augmentent même quand les leurs n'augmentent pas ! Le précédent gouvernement avait commencé en augmentant les dépenses de quinze milliards d'euros, celui-ci réalise d'emblée une baisse des dépenses de dix milliards d'euros.
M. Philippe Marini, président. - Rappelons toutefois qu'en 2011, alors que le précédent gouvernement réalisait des économies significatives, les positions et les propos publics des uns et des autres n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Chacun gère ses contradictions comme il l'entend, mais mieux vaut ne pas évoquer le passé...
M. Vincent Delahaye. - Je partage l'objectif de 3 % de déficit, mais il sera difficile à tenir. Vous me semblez pécher par optimisme dans votre prévision de croissance, exercice dans lequel c'est la prudence qui devrait primer ! Les efforts de réduction du déficit devraient être mieux partagés entre mesures d'économie et augmentation des impôts. Vous affirmez aujourd'hui que les mesures d'économies sont récessives à court terme, mais c'est à long terme qu'il faut regarder. Seules des réformes structurelles permettront des économies, mais je ne les vois pas... On peut pourtant en trouver : les amendements que j'avais proposés en séance l'an dernier, visant à réaliser des économies par exemple sur le projet de Maison de l'Histoire de France ou sur l'audiovisuel public, avaient été refusés sur tous les bancs ; aujourd'hui, on nous annonce que ces mesures sont possibles ! Le changement ? L'an dernier, la majorité était la même !
Oui, il faut des réformes structurelles : les pensions de retraite vont augmenter de 3 milliards d'euros l'an prochain, et ensuite de 1 milliard par an. Quant aux collectivités locales, il faudra bien un jour avoir le courage de supprimer un échelon, comme l'a fait en Italie le gouvernement technique actuel. C'est peut-être un gouvernement technique qu'il nous faudrait : avec un gouvernement politique, on n'y arrive pas !... Sur ces sujets, que comptez-vous faire ? Pour l'instant, il y a surtout des créations d'emplois et des augmentations de ressource, mais où sont les véritables réductions de dépenses et les réformes structurelles ? Vous risquez d'asphyxier les entreprises en alourdissant la fiscalité. Aligner la fiscalité du capital sur celle du travail me semble un bon objectif, mais il ne faut pas chercher à l'atteindre trop brutalement.
Notre contribution au budget de l'Union européenne augmente de 700 millions d'euros. L'Union européenne, dont les fonctionnaires et les élus ne sont pas les moins bien rémunérés, va-t-elle s'imposer les mêmes efforts que nous ?
Qu'en est-il, enfin, de la dotation en capital d'un milliard d'euros prévue pour la société du Grand Paris ? Les taxes prélevées depuis quelques temps sur les contribuables franciliens lui ont-elles bien été reversées ?
M. Philippe Marini, président. - Merci pour votre communication qui aborde une série de sujets concrets.
Mme Marie-France Beaufils. - Le projet de loi dont nous parlons est porteur d'efforts pour aller vers plus de justice fiscale, et nous ferons des propositions pour aller plus loin encore dans cette voie. Ma question porte sur le rythme à adopter pour réduire le déficit public. S'il est trop rapide, comme il semble l'être, cela pèse simultanément sur l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités territoriales, et c'est la croissance de l'économie et donc notre capacité à redresser la situation et à échapper aux griffes des marchés financiers qui risquent de se trouver enrayée.
Mme Fabienne Keller. - Alors que l'impôt sur les sociétés avait été stabilisé en 2011 et en 2012, il fera en 2013 un véritable bond en avant puisqu'il augmente de 12 milliards d'euros, dont 5 milliards de paiement anticipé et 4 milliards résultant de la fin de la déductibilité des intérêts. Certes, un seuil de trois millions d'euros de chiffres d'affaires est censé protéger les petites et moyennes entreprises, mais comment parviendrez-vous à préserver les grosses PME qui investissent ? Et comment pensez-vous que cette mesure aura le moindre effet sur les grands groupes mondialisés qui savent optimiser la localisation de leurs bénéfices pour minimiser leur exposition aux impôts.
Il manque une vision stratégique. En ce qui concerne ma passion, la fiscalité écologique, la TGAP Air et l'accentuation du système de bonus/malus ne suffiront pas à infléchir les comportements. La Conférence environnementale a fait émerger l'idée d'une fiscalité écologique pour favoriser la transition énergétique. Pouvez-vous nous préciser vos intentions dans ce domaine ? Car le seul signal donné pour l'instant, la baisse du prix de l'essence à la fin du mois d'août, n'allait pas dans le bon sens ...
Le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche a été stabilisé, mais les quelque 20 milliards d'euros du grand emprunt, placés sur un compte secret du Trésor et dont le produit est versé aux Universités, n'ont pour l'instant pas été transférés aux opérateurs. Sont-ils, oui ou non, totalement sanctuarisés ?
M. Joël Bourdin. - Le budget prévoit une modification de l'imposition des ménages et des entreprises. A-t-on évalué, dans un modèle économétrique, les incidences de ces modifications sur l'épargne, c'est-à-dire, à terme, sur l'investissement ? Si la capacité à épargner est érodée, c'est l'équilibre du schéma de croissance qui est menacé.
Par ailleurs, si le taux de croissance se révèle inférieur à celui que le Gouvernement anticipe, est-il prévu de réguler les dépenses ?
M. Philippe Marini, président. - Question essentielle...
M. Albéric de Montgolfier. - Notre commission n'a jamais été favorable aux niches fiscales, elle accueille donc la réduction de leurs plafonds avec satisfaction. Cependant, la niche en faveur de l'outre-mer dite « Girardin », qui avait été identifiée par un excellent rapport, signé notamment par MM. Carrez et Cahuzac, comme responsable de 97 % de la baisse d'impôts que les vingt contribuables les plus aisés retiraient des niches fiscales, échappe au plafonnement : où est la justice fiscale ?
Le gel, puis la baisse, des concours financiers aux collectivités locales n'est pas choquant, mais à la condition qu'on n'ajoute pas en permanence de nouvelles dépenses : ajout d'une journée de scolarité, augmentation du taux de cotisation au CNRACL, augmentation du taux de cotisation au Centre national de la fonction publique territoriale... Les ministres peuvent-ils s'engager à accueillir avec bienveillance les amendements visant à supprimer ces charges nouvelles non compensées, et à ne pas en ajouter d'autres ? L'an dernier, la cotisation au CNFPT a baissé ; elle augmente cette année, alors que le Centre a beaucoup d'argent et vient de s'acheter un siège magnifique.
M. Serge Dassault. - Vous croyez que vous pourrez maintenir la croissance en imposant 20 milliards de prélèvements supplémentaires aux Français : vous vous trompez. Les chefs d'entreprises, démotivés par ces hausses, vont cesser d'embaucher et d'investir. Quant aux patrons de PME, la décision d'augmenter la taxation des plus-values de cession les atteint dans ce qui est le but même de leur action : car s'ils cherchent à faire croître leur entreprise, c'est bien pour la vendre ! Vous n'aurez donc pas 0,8 % de croissance, et la France fera faillite car il manquera 20 milliards d'euros au budget. Il y aurait pourtant une solution simple, comme je l'ai dit en séance : au lieu d'augmenter les impôts, augmentez le taux de la TVA à 23 %. Les Allemands l'ont fait, et ils ont redressé leurs finances. Cela augmenterait les recettes de 23 milliards d'euros, que vous pourriez porter à 30 milliards en faisant cesser certaines dérogations comme par exemple le taux réduit accordé à la restauration, ou encore en supprimant la prime pour l'emploi, dont l'inutilité est largement reconnue. Et vous n'auriez ainsi pas besoin d'augmenter les impôts ! Car je tiens à vous mettre en garde contre le risque d'une réduction de notre note souveraine, qui entraînerait une hausse des taux d'intérêt. Ce danger nous guette, car votre gouvernement fait le contraire de ce qu'ont préconisé la Commission européenne et la Cour des comptes, qui recommandent de réduire les dépenses et de ne pas augmenter les impôts. Les hausses d'impôts ne vous rapporteront rien sans croissance, et si jamais les taux d'intérêts augmentent comment pourrez-vous emprunter les milliards nécessaires sans risquer la cessation de paiement ? Mon conseil est simple : augmentez la TVA, pas les impôts !
M. Yannick Botrel. - Je salue l'effort de redressement des finances publiques que propose ce budget. Vous avez fait état d'un mécanisme de décote concernant les contribuables les plus modestes. La loi de finances pour 2012, en effet, prévoyait le gel du barème de l'imposition, ce qui a eu pour effet de faire contribuer des personnes dont le revenu était vraiment faible. Ces contribuables sont-ils bien pris en considération dans le mécanisme de décote ?
M. Jean Germain. - Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012-2017 nous satisfait : après de nombreuses années de laxisme budgétaire et de régulation financière faible, un coup de frein est donné. Pour en voir les résultats il faut un peu de patience ; nous pouvons en avoir, mais la patience manque souvent aux marchés.
Étant donné l'endettement actuel des Etats, une relance de type keynésien semble hors de portée. En revanche, la Banque européenne d'investissement ne pourrait-elle pas intervenir davantage ? Pourquoi ne pas envisager un plan européen de croissance, non pas limité aux États, mais incluant les grandes entreprises, d'automobile ou d'aviation par exemple, qui ont des liquidités, et qui pourraient investir massivement dans la croissance verte ? Cela donnerait au moins une perspective dans une période plutôt sombre. Je pense du reste que la lutte contre les inégalités est non seulement un objectif de justice fiscale mais a aussi un puissant effet sur la croissance : les États-Unis et le Royaume-Uni ont d'ailleurs pratiqué des taux d'imposition bien supérieurs à nos 75 %. Cela permet d'accroître les dépenses sans emprunter davantage, à condition bien sûr que les pays voisins aient des politiques à peu près convergentes.
Comme mon collègue Patriat, je cumule le mandat de sénateur et la direction d'un exécutif local ; cela me permet d'avoir un regard qui ne soit pas hors sol. La diminution de l'aide de l'Etat aux collectivités territoriales peut se concevoir, mais dans le cadre de l'acte III de la décentralisation, cela suppose une clarification et une autonomie fiscale accrue des collectivités territoriales qui leur permette d'investir localement dans des domaines qui créent de l'emploi, comme le logement.
M. Philippe Marini, président. - Le cumul des mandats permet une bonne circulation de l'information et améliore la pédagogie.
M. Jean-Paul Emorine. - L'article 55 porte élargissement du crédit d'impôt recherche à certaines dépenses d'innovation pour les PME. Michel Berson avait présenté un rapport au Sénat sur le crédit impôt recherche, qui est un très bon dispositif. L'élargir aux PME est donc bien, mais c'est aussi un excellent système pour les grands groupes exportateurs comme par exemple EADS, qui sont en compétition avec des groupes américains dont les dépenses de recherche sont financées par le ministère de la défense... Allez-vous le conserver ?
M. Yvon Collin. - Vous avez décidé d'augmenter le nombre de fonctionnaires dans trois ministères prioritaires, tout en conservant un effectif global constant ; pourriez-vous nous dire quels ministères verront leurs effectifs baisser ?
M. Jean-Vincent Placé. - J'observe une convergence de vue entre beaucoup d'entre nous sur un point : la croissance de l'an prochain ne sera probablement pas celle qui est attendue, et je souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur ce point. Nous devrons probablement rectifier ce chiffre au prochain collectif ...
Pourquoi le seuil de l'ISF est-il maintenu et non abaissé ? Pourquoi ne pas plafonner le crédit impôt recherche, pour aider plutôt les PME-PMI innovantes, et non créer des effets d'aubaine pour les grands groupes ? A propos de la fiscalité écologique, la communication du Gouvernement pourrait être améliorée : mieux vaudrait ne rien écrire que de faire figurer dans le document que vous nous avez transmis, à la rubrique « amorcer la transition vers une fiscalité écologique », une simple feuille mentionnant la TGAP, soit 38 millions d'euros en tout et pour tout ! Cela ne correspond pas aux annonces fortes faites par le président de la République. Dans le Grenelle du gouvernement précédent une discussion avait été entamée sur la taxe carbone : je souhaite que le gouvernement actuel nous donne des réponses sur ce sujet, ainsi que sur les thèmes extrêmement forts que nous avons portés, comme les niches fiscales anti-écologiques, le problème du diesel qui nous met d'ailleurs dans une véritable nasse industrielle et commerciale, en créant des difficultés d'exportation pour certains de nos grands groupes, les pesticides, les agro carburants ... Pourquoi ne pas essayer de dégager un quart ou un cinquième des 22 milliards d'euros que représentent ces niches fiscales anti-écologiques pour abonder la banque publique d'investissement et entamer ainsi la conversion écologique dans laquelle de nombreux pays se lancent ?
Il n'y a pas grand-chose non plus dans ce budget sur les transports en commun ; c'est le francilien et l'écologiste qui parle : sur le Grand Paris, cause qui rassemble des élus franciliens de tous bords, il me semble que des arbitrages plus positifs que ce qui se trouve dans le présent projet de loi de finances avaient été établis.
Je lirai votre réponse avec attention !
M. Claude Belot. - Je souhaite que les dettes qui ont été souscrites dans une période où il y avait urgence, naguère, puissent être honorées, et que notre pays réussisse et retrouve sa force et son sérieux. Nous devons réduire le déficit public à 3 %, puis le ramener à zéro. Il faut y parvenir, mais nous sommes dans une économie libérale, dans laquelle les agents sont libres : il faut donc avoir leur confiance, c'est la clef de tout le système, et se garder de créer chez ceux qui ont la capacité de créer de la richesse une méfiance telle qu'ils n'agiront plus, ou qu'ils agiront ailleurs. Il faut donc trouver des marges, au sein de l'Etat sans doute, mais aussi dans les collectivités locales, qu'on ne doit pas considérer comme les vaches sacrées de la République ! On y observe bel et bien des anomalies qu'il faudra bien supprimer un jour ; il y a un problème de compétences : tout le monde fait la même chose ! J'espère vivement que les Etats généraux qui vont se tenir au Sénat ne céderont pas à la démagogie en proclamant le droit des collectivités à dépenser allégrement. Soyons sérieux ! Il y a des marges de manoeuvre importantes à ce niveau. Ne mettez pas ce pays en état d'hibernation, faites confiance aux agents économiques naturels, ceux qui créent des richesses ! Et modérez ceux qui dépensent l'argent public, comme ceux qui édictent les normes : 400 000 normes, dont 380 000 discutables !
Vous avez proposé d'augmenter la redevance audiovisuelle : c'est bien. Là encore, il n'y avait pas de raison qu'elle soit intouchable. Mais les recettes publicitaires sont essentielles ; si elles ne suffisent pas, c'est du crédit budgétaire qu'il faudra pour équilibrer les comptes, alors que vous n'avez rien prévu.
Le Dow Jones est revenu à un niveau supérieur à ce qu'il était en 2007, le DAX allemand en un mois à connu une évolution de 7 % supérieure à celle du CAC 40... Le monde nous observe !
Je souhaite que notre pays réussisse, mais je ne suis pas convaincu que ce que vous proposez le permette.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je voudrais revenir sur l'effort de 30 milliards qui se répartit en 20 milliards d'impôts supplémentaires et 10 milliards d'économies. Le premier Président de la Cour des Comptes a énoncé clairement ici même la règle de 50 % d'impôts supplémentaires et 50 % d'économies. Vous ne la respectez pas, je le regrette. Dire que les économies seraient plus récessives que les impôts est peu convaincant : faire des économies, c'est bien faire des réformes structurelles, c'est-à-dire ce dont nous avons besoin. Pourquoi avoir renoncé à appliquer cette règle ?
Par ailleurs, beaucoup d'élus de la majorité ont exprimé publiquement leurs doutes sur l'objectif des 3 % du PIB fixé pour 2013. Pouvez-vous confirmer ici votre volonté de réduire les déficits ? Ou s'agit-il d'un affichage pour l'Union européenne?
M. Philippe Marini, président. - Le nombre des intervenants montre le grand intérêt suscité par votre audition...
M. Pierre Moscovici. - J'avais oublié de préciser à M. Marc que la France est actionnaire du MES à hauteur d'un peu moins de 20 %. La décision de la cour de Karlsruhe ouvre la voie à sa mise en place, avec une petite restriction : l'Estonie n'a pas encore procédé à la ratification ; elle représente 0,18 %. La dotation en capital est à hauteur de notre part, soit 6,5 milliards d'euros en 2012 et 16,3 milliards sur la période 2012-2104. Le MES n'est pas comptabilisé en dette publique car il est suffisamment capitalisé et fonctionne comme une banque. Sur le plan technique, donc, tout est prêt et le MES sera installé le 8 octobre, en marge du conseil EcoFin, à Luxembourg.
Le paquet croissance, monsieur Yung, est significatif : 120 milliards d'euros, soit l'équivalent d'une année de budget ; la BEI a fait voter son augmentation de capital, ce qui augmente sa capacité de prêt de 60 milliards sur trois ans. La Bulgarie n'a pas encore voté cette augmentation à vrai dire, mais j'espère que ce sera le cas. Les project bonds pourraient être affectés à deux secteurs en France : le numérique, avec le passage au haut débit en régions, et les infrastructures de transport, autrement dit les autoroutes ...
M. Philippe Marini, président. - Il n'y a pas que les autoroutes !
M. Pierre Moscovici. - Nous commençons par là ! Nous faisons en sorte que l'orientation des crédits de la BEI aille davantage sur la France, passant de 4 milliards d'euros aujourd'hui à 7 milliards d'euros prochainement. Je souhaite qu'elle soit associée à la BPI, et qu'elle puisse contribuer au financement des hôpitaux, car il y a un besoin d'investissement hospitalier qui ne peut pas trouver sa place dans un cadre budgétaire. Mais avec l'enveloppe de la CDC (500 millions sur les 3 milliards) et la BEI nous pouvons trouver des financements intelligents pour nos structures hospitalières.
Le conseil européen des 28 et 29 juin a constaté à notre grand regret qu'il n'y avait pas d'accord sur une taxe sur les transactions financières ni à 27 ni à 17. Il a donc été décidé qu'il y aurait une coopération renforcée, ce qui suppose la réunion d'au moins 9 Etats membres qui, sur la base des travaux de la Commission, pourraient intervenir d'ici la fin de l'année 2012. Mais il faut que 9 États membres se signalent ! Sur la douzaine de pays intéressés, certains sont hésitants, comme l'Espagne et l'Italie. C'est pourquoi avec M. Schäuble nous avons pris l'initiative de nous adresser aux autres pour signaler notre propre disponibilité. En marge des réunions de l'Eurogroupe et de l'Ecofin lundi et mardi j'aurai des contacts avec mes homologues qui devraient permettre d'avancer sur la base des propositions qui nous seront faites par la Commission.
Les impôts locaux doivent être pris en compte dans le débat sur le pouvoir d'achat. Les seuils d'exonération et de dégrèvement de la fiscalité locale seront relevés, en même temps que le montant de la décote.
Vous avez, lors du dernier collectif, adopté sur amendement de M. Marc un calendrier de révision des bases locatives cadastrales, notamment sur les locaux professionnels. La DGFIP se prépare activement à la mise en oeuvre de cette réforme que vous avez souhaitée.
Notre prévision de croissance est à la fois réaliste et volontariste. Si nous avions retenu plus que 0,8 %, nous serions trop loin du consensus des économistes qui s'établit à 0,5 %. L'accusation d'insincérité que nous aurions alors méritée aurait entamé notre crédibilité, qui est un enjeu essentiel, un enjeu de souveraineté : nous ne voulons pas que la France tombe entre les mains des marchés. Mais nous sommes volontaristes, donc un peu au-dessus du consensus.
En réalité il est impossible d'évaluer précisément la croissance en 2013 aujourd'hui, car les incertitudes européennes pèsent très lourd. Les aléas négatifs et positifs sont déterminants pour savoir à quelle vitesse la zone euro va sortir de l'ornière. D'ailleurs, une brillante économiste comme Mme Lemoine, qui n'est pas vraiment socialiste, prévoit 0,9 % pour l'an prochain. A l'Assemblée, l'opposition n'a pas contesté cette prévision, qui comporte une dose de volontarisme acceptable. Quant à une croissance de 2 % en 2014, c'est un chiffre inférieur à ce qu'on observe habituellement en sortie de crise. Enfin, notre scénario de croissance potentielle est prudent, puisque nous retenons l'hypothèse d'un redressement progressif de 2014 à 2017.
Madame Beaufils, nous ne renonçons pas à l'équilibre des finances publiques. En 2017, le solde nominal s'établira à - 0,3 %, le solde structurel sera à l'équilibre. Nous procédons de façon intelligente : nous ne voulons ni casser la croissance, ni tomber entre les mains des marchés financiers.
M. Delahaye a posé des questions nombreuses et documentées. Les discussions sur le paquet financier s'approchent et la France y réfléchit, en particulier son ministre des affaires européennes dont c'est traditionnellement le rôle. Nous occuperons une position médiane : pas de coupes sauvages dans les politiques communautaires, pas de politiques excessivement expansionnistes non plus, mais une position raisonnable défendant à la fois une politique à laquelle nous sommes attachés, la PAC, et des politiques structurelles importantes pour nos territoires et pour la modernisation économique.
Les réformes structurelles : voilà un mot valise dont je me méfie, d'autant que nous ne partageons pas la vulgate libérale. Nous avons besoin de réformes de structure : notre compétitivité s'est dégradée, les meilleurs indicateurs en étant les parts de marché à l'export et le déficit commercial. Nos faiblesses résultent d'une compétitivité prix, mais aussi d'une compétitivité hors-prix : nous aborderons ces questions sans tabou, grâce au rapport que Louis Gallois va rendre en octobre, avec l'aide du Haut conseil de financement de la protection sociale que le Premier ministre a mis en place la semaine dernière. Des mesures compétitives seront prises : simplification administrative, modernisation de l'administration, stabilité et neutralité fiscale, politique plus favorable aux PME, réformes sectorielles dans les secteurs du transport et du logement et paquet sur le financement de l'économie : réforme de l'épargne réglementée, réforme de l'épargne financière, avec un objectif : allonger la durée de l'épargne... Si nous modifions la fiscalité de l'assurance-vie, ce sera uniquement pour en allonger la durée. Notre objectif est d'aider les entreprises à trouver des financements longs, et parfois simplement des financements. La BPI, future banque des PME/PMI et des régions, y contribuera en octroyant des prêts, des garanties, des apports en capital. Elle sera un investisseur stratégique de long terme, car elle ne doit pas être une banque comme les autres : elle doit aussi se fixer un objectif de rentabilité à long terme.
Il s'agit bien là de réformes de structure, même si elles ne le sont pas pour la littérature anglo-saxonne... Je demande toujours à M. Rehn de nous juger sur nos résultats ! On nous demande d'être crédibles, de maîtriser nos objectifs de finances publiques, de réaliser des réformes : nous le ferons, mais nous voulons rester maîtres de nos moyens. Nous proposons une politique sérieuse, mais c'est une politique de gauche ; nous l'assumons.
Mme Keller nous a dit toute sa passion pour la fiscalité écologique ; les mesures proposées en loi de finances initiale sont loin d'être anecdotiques. Doublement du rendement de la TGAP Air, plan automobile avec durcissement du malus, sans compter les pistes que définira la conférence environnementale sur les sujets figurant dans sa feuille de route : eau, déchets, carbone, véhicules, biodiversité... Un conseil permanent de suivi de la fiscalité écologique, qui comprendra des parlementaires, des ONG et des représentants des partenaires sociaux sera en outre prochainement installé. Rassurez-vous, de même que M. Placé : nous n'abandonnons aucune de nos ambitions.
M. Dassault a exprimé son opinion. J'estime pour ma part que nos choix sont économiquement pertinents. Sur la durée du quinquennat, dépenses et recettes représenteront bien 50-50. A court terme, pas de politique d'austérité, pas d'affaiblissement de l'Etat, mais la mise en place de recettes préservant la consommation des ménages et l'investissement des entreprises. Les PME/PMI sont plus que protégées puisque nous réalisons une promesse de la campagne de François Hollande en facilitant leur recours au crédit d'impôt recherche.
Jean Germain, si j'ai fait récemment référence à Keynes dans une interview, c'est pour indiquer notre refus d'une politique d'austérité généralisée en Europe. Le paquet croissance est une première étape, mais il faut aller plus loin. La BEI va augmenter ses financements, y compris en France : 4 milliards d'euros aujourd'hui, demain 7 milliards par an, mais nous devons identifier des projets...
M. Philippe Marini, président. - Le Canal Seine Nord !
M. Pierre Moscovici. - J'ai bien noté !
Notre stratégie vise à préserver la demande à court terme en favorisant le pouvoir d'achat. Nous équilibrons l'offre et la demande : les deux aspects sont importants. Comme Jean Germain, nous pensons que la lutte contre les inégalités est favorable à la croissance : opposer l'économique et le social n'a pas de sens, c'est même une faute. C'est pourquoi nous assumons tranquillement d'avoir le dialogue social comme méthode et la recherche de consensus comme finalité.
Enfin, Mme Des Esgaulx nous reproche de ne pas respecter les règles de la Cour des comptes. J'ai une petite connaissance du rôle du gouvernement, qui propose un projet de loi, du rôle du Parlement, qui l'amende et le vote, et du rôle de la Cour des comptes, d'autant que je suis conseiller maître à la Cour dans le civil...
M. Philippe Marini, président. - Nul n'est parfait, monsieur le ministre !
M. Pierre Moscovici. - J'ai le plus grand respect pour cette institution, qui évalue, suggère et propose, mais c'est aux pouvoirs exécutif et législatif de décider ! Nous connaissons les recommandations de la Cour des comptes, nous les avons d'ailleurs très largement suivies, par exemple sur l'ampleur de l'effort, mais nous prenons nos responsabilités en tant que gouvernement légitime de la France. J'entendais tout à l'heure parler d'un gouvernement technique : non, la France n'est pas dans la situation d'avoir un gouvernement technique, heureusement ; je suis presque étonné que dans une assemblée comme le Sénat on en appelle à un gouvernement technique.
M. Philippe Marini, président. - Il a été fait référence à la situation italienne, dont le gouvernement est brillant.
M. Pierre Moscovici. - Ce n'est pas ce que j'ai compris.
Un dernier mot à madame Des Esgaulx sur les 3 %. En politique, le débat est libre. En économie, c'est la même chose. Certes, beaucoup d'économistes doutent aujourd'hui de notre capacité à atteindre les 3 %. Mais tous font aussi la réflexion suivante : les orientations prises à l'échelle européenne ne sont pas expansionnistes. M. Cahuzac et moi-même, qui en sommes garants, voulons vous rassurer : cet objectif de 3 % ne se discute pas. La France ne le remettra pas en cause unilatéralement. Qu'il y ait des débats européens, que certains en réclament, comme M. Placé, soit. Mais nous avons une obligation d'exemplarité, de qualité et de crédibilité. Le débat budgétaire permettra d'illustrer que pour nous ce ne sera pas 3,1 %, pas 3,2 %, pas 3 % en tendance, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3 %.
M. Philippe Marini, président. - Nous sommes nombreux à saluer votre détermination sur ce point.
M. Jérôme Cahuzac. - M. de Montesquiou souhaite davantage d'économies que d'impôt : c'est un discours qu'on peut comprendre. Mais diminuer davantage la dépense de l'Etat supposerait de couper à la hache dans les dépenses d'intervention, ce à quoi aucun gouvernement ne s'est jamais risqué ! Un peu d'indulgence à notre égard...
La dépense publique s'établit à 56 % du PIB en 2011, 56,3 % du PIB en 2012 et en 2013. La baisse interviendra ensuite sous l'effet de plusieurs facteurs : l'application de la norme « zéro valeur » aux dépenses de l'Etat, l'Ondam, la baisse des taxes affectées aux opérateurs précédemment évoqués, légèrement inférieure à 130 millions dans ce projet de loi de finances.
Les effectifs baisseront dès 2013 : 12 298 suppressions de postes sont prévues dont 7 234 dans la défense, 2 353 à Bercy, 134 à l'intérieur, 184 aux affaires étrangères : tous les ministères sont touchés même si certaines missions sont préservées : l'éducation, l'enseignement supérieur et la recherche, la justice, et bien entendu les forces de sécurité, police et gendarmerie, dont les effectifs vont augmenter.
Au total, 10 milliards d'euros d'économies nettes sont réalisées dans le projet de loi de finances initial, en comptant les mesures nouvelles de ce budget prises conformément aux promesses du candidat François Hollande et confirmées par le président de la République François Hollande. Cela est assez significatif pour être souligné.
La sénateur Botrel a soulevé la question de la décote. Sans ce mécanisme, près de 400 000 foyers devenaient imposables à l'IR. Grâce à lui, 3 millions de foyers qui sont à la première tranche ne verront pas leur impôt augmenter, et 4 millions de foyers connaîtront une hausse moindre que si la décote n'existait pas, c'est-à dire si la simple application du gel de barème voté sous la majorité précédente s'était opérée telle qu'elle a été conçue. Ce mécanisme assez puissant doit permettre d'éviter, comme le craignait M. Botrel, que le salarié célibataire gagnant 1 000 euros par mois soit concerné par le gel du barème. Il bénéficiera pleinement de la décote.
Le CNC ne fait plus partie des opérateurs dont les taxes sont plafonnées. Le Gouvernement propose, le Parlement dispose : convenons que la politique immobilière de cet opérateur mérite quelques explications. J'ai cru comprendre que certaines acquisitions avaient été faites au nom du CNC et non de l'Etat, mais je vous fais confiance pour éclaircir cette question lors de votre prochaine audition.
M. Philippe Marini, président. - Un établissement public de l'Etat, c'est l'Etat.
M. Jérôme Cahuzac. - A Vincent Placé, j'indique qu'il n'a jamais été prévu de plafonner le CIR. J'ai mal compris sa question sur le seuil de l'ISF : il est maintenu dans des conditions qui me semblent compréhensibles. L'impôt sur les sociétés augmente effectivement de 12 milliards d'euros mais 2,3 milliards d'euros correspondent à des mesures techniques de périmètre (mise en oeuvre de Chorus et des changements de nomenclature), 2 milliards d'euros sont dus à la hausse spontanée de cet impôt, qui est soumis à une forme d'élasticité : les mesures nouvelles ne s'élèvent donc pas à 12 mais 8 milliards d'euros. C'est déjà beaucoup ; ne forçons pas l'addition.
Le Grand Paris n'est pas remis en cause. Lors du conseil de surveillance de la SGP en juillet, Mme Duflot a indiqué vouloir hiérarchiser les composantes du projet et actualiser ses coûts, dont certains sont sans doute sous-estimés. Le besoin de financement n'interviendra qu'en 2015 ou 2016 : si nécessaire, nous recourrons à une dotation en capital plutôt qu'à des crédits budgétaires classiques, prélevés sur le compte d'affectation spéciale des PFE, les participations financières de l'Etat.
M. de Montgolfier s'est étonné de l'absence de mesure concernant la défiscalisation outre-mer. Nous ne renonçons pas à en modifier les contours et ne renions rien de ce qui a été écrit et signé, mais l'économie ultra-marine est très fragile cette année : nous avons craint d'empirer les choses en revenant dès maintenant, sans réelle concertation, sur le mécanisme de la défiscalisation. En revanche, le travail sera engagé dans les prochains mois et je m'engage à apporter toute mon énergie à l'amélioration de l'efficacité de la dépense fiscale outre-mer.
M. Philippe Marini, président. - Ce sera dans le collectif de fin d'année ?
M. Jérôme Cahuzac. - Je pense que l'affaire devrait aboutir en 2013.
Enfin, les recettes de la CNRACL sont quasiment épuisées : sa dotation augmente donc de 1,35 % pour assurer le paiement des pensions. Tout gouvernement aurait été confronté à cette nécessité.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne ensuite Mme Michèle André rapporteure sur le projet de loi portant avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu.
Loi de finances pour 2013 - Nomination de rapporteurs spéciaux
Enfin, la commission nomme M. Jean-Claude Frécon rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et M. Vincent Delahaye rapporteur spécial du programme « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurité ».
A l'issue de ces nominations, la liste des rapporteurs spéciaux s'établit comme suit :
Mercredi 3 octobre 2012
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Gestion du financement du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) - Audition pour suite à donner à une enquête de la Cour des comptes
La commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la gestion et le financement du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).
M. Philippe Marini, président. - Cette audition est une audition attendue, qui fait suite à différents travaux menés dans le passé par la commission des finances du Sénat, puis à une enquête réalisée par la Cour des comptes, à notre demande, au titre de l'article 58-2°.
Elle est ouverte à nos collègues de la commission de la culture. Nous nous réjouissons de les accueillir autour de la présidente de cette commission, Marie-Christine Blandin.
De notre côté, prendront activement part à la discussion le rapporteur général et le co-rapporteur des crédits de la mission culture, Aymeri de Montesquiou.
L'enquête de la Cour des comptes concerne « la gestion et le financement du centre national du cinéma et de l'image animée » (CNC).
C'est un sujet sensible, car il s'agit d'un domaine d'excellence française et d'une grande industrie participant à notre spécificité nationale, et qui, au-delà des aspects culturels qu'il recouvre, représente un bon sujet de politique budgétaire.
C'est aussi un « cas d'école », en quelque sorte, qui peut illustrer le phénomène que je qualifiais il y a déjà, hélas, un certain nombre d'années - d'ailleurs sans succès - d'« agencisation » de l'Etat, cette tendance de l'Etat à confier des politiques régaliennes ou leur prolongement à ces entités - en particulier des établissements publics - financées par des ressources affectées que sont les opérateurs. Nos collègues se souviennent des initiatives qu'il a fallu déployer au fil des années pour contenir cette évolution et appliquer à la gestion des opérateurs les mêmes règles - en matière d'effectifs, de dépenses de fonctionnement, d'intervention - qu'au sein des services centraux de l'Etat eux-mêmes.
Notre commission avait donc empiriquement mis le doigt sur un certain nombre de questions à présent reprises de manière plus rationnelle et organisée par la Cour des comptes, mais je souligne la continuité des travaux menés sur le CNC par les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs généraux successifs. C'est un sujet que je m'étais efforcé, à l'époque, de débroussailler. Nicole Bricq avait poursuivi ce travail.
J'observe que, dans le projet de loi de finances pour 2013 qui nous est soumis, figure un article 28 qui reprend une idée que j'avais formulée, tandis que l'article 26 du même projet de loi de finances revient sur le dispositif de plafonnement adopté en loi de finances pour 2012.
Naturellement, parmi nos questions figure celle de savoir si les 150 millions d'euros d'écrêtement des ressources du CNC dont il s'agit sont bien calculés et s'il ne serait pas concevable d'aller plus loin. La commission de la culture exprimera son point de vue...
Je ne voudrais pas préjuger du contenu de cette audition.
Je remercie particulièrement le président de la troisième chambre, Patrick Lefas, les rapporteurs de la Cour des comptes, Antoine Mory et Blandine Sorbe, ainsi que le contre-rapporteur, Jacques Tournier.
Au titre du CNC, nous nous réjouissons de recevoir le président Eric Garandeau ; nous savons combien son action pour le développement et le rayonnement de notre industrie cinématographique est importante. Même si nous abordons les sujets dont il s'agit sous un angle budgétaire, nous ne sous-estimons pas la valeur de ce qui est fait au sein de cet établissement, bien au contraire. Il ne faut pas nous en vouloir d'exercer des missions pour lesquelles nous avons bénéficié de la confiance de nos collègues.
Le ministère de la culture est représenté par Christopher Miles, secrétaire général adjoint.
La direction du budget est représentée par le sous-directeur de la huitième sous-direction, Alexandre Grosse et par le chef du bureau de la justice et des médias, Alexandre Tisserant.
Quant à la direction de la législation fiscale, elle est représentée par Antoine Magnant, sous-directeur de la fiscalité des transactions, la part des recettes affectées des différents prélèvements de nature fiscale étant essentielle dans le débat que nous allons avoir.
Je souhaiterais pour ma part que le dialogue puisse se nouer entre la Cour des comptes, le Sénat et le CNC sur trois principales questions que je me permets de formuler.
Tout d'abord, quel serait le bon niveau de prélèvements sur les ressources ou sur le fonds de roulement du CNC - ou sur les deux - sans fragiliser les missions de ce dernier ?
En second lieu, le modèle économique du CNC - qui a pour principale conséquence d'inciter l'opérateur à programmer des dépenses de manière à utiliser la totalité de ses ressources - est-il compatible avec la situation actuelle des finances publiques ? Peut-il exister une exception culturelle à ce point différente des règles dont la direction du budget est le gardien vigilant ?
Enfin, que penser des relations entre les ministères de tutelle et le CNC ? La prospérité relative du CNC a pu conduire à externaliser vers cet opérateur certaines dépenses budgétaires qui n'entrent plus dans les enveloppes du ministère, mais que ce dernier assumait jusque-là. Il y a eu en quelque sorte une stratégie d'évitement de la norme des dépenses applicable au budget du ministère de la culture au sein du budget de l'Etat. En d'autres termes, les uns et les autres ne se sont-ils pas opportunément rendu service ?
Pardonnez le caractère direct de ces questions mais ce sont les principaux sujets que nous avons relevés.
Au terme du débat, nous aurons à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes dans le cadre d'un rapport d'information.
La parole est à la Cour des comptes...
M. Patrick Lefas, président de la 3ème chambre de la Cour des comptes. - L'enquête que la commission des finances a commandée à la Cour des comptes et dont j'ai l'honneur de présenter les résultats visait, en accord avec votre rapporteur spécial, d'une part, à porter un jugement sur l'efficacité et l'efficience de la gestion du CNC dans sa mission de soutien aux filières cinématographiques et audiovisuelles et, d'autre part, à apprécier la situation financière de l'établissement et la pertinence de son modèle de financement.
Ce choix d'enquête s'est avéré prémonitoire puisque la matière traitée est au coeur de l'actualité.
L'enquête s'inscrit en effet tout d'abord dans le contexte très porteur du cinéma français.
Elle fait écho à une réflexion engagée sur les agences de l'Etat. L'inspection générale des finances souligne ainsi que « les taxes affectées aux opérateurs, qui représentent près de 10 milliards d'euros, soit près de 20 % des apports financiers totaux de l'Etat aux opérateurs, soulèvent d'importantes difficultés de gouvernance et d'ordre budgétaire ».
Elle inclut également en arrière-plan la réflexion sur l'adaptation des outils de l'exception culturelle à l'ère numérique qui a été confiée à M. Pierre Lescure.
Elle ne peut ignorer, aussi, les incertitudes juridiques concernant la conformité au droit communautaire de la taxe sur les distributeurs de services de télévision (TSTD), taxe qui va faire l'objet d'une enquête de la Commission européenne.
De ce point de vue, les indications récemment données par un ministre délégué montrent que le Gouvernement réfléchirait à une adaptation de cette taxe sous forme d'un prélèvement forfaitaire sur chaque abonnement fixe ou mobile intégrant une offre de télévision, la Taxe sur les Services de Télévision 2 (TST 2).
Enfin, les conclusions de cette enquête viennent à point nommé puisque vous vous saisirez, après l'Assemblée nationale, du projet de loi de finances pour 2013.
A titre liminaire, je tiens à saluer la disponibilité des services du CNC et des administrations de tutelle, ministère des finances inclus, les rapporteurs ici présents ayant toujours trouvé une écoute extrêmement attentive et réactive à leurs questions. La contradiction s'est, je pense, déroulée dans des conditions sereines.
Je tiens aussi à dire que la réforme budgétaire et comptable de grande ampleur mise en oeuvre par l'établissement, à la demande du précédent contrôle de la Cour des comptes, est une vraie avancée et a permis de disposer de données financières très précises, même si on peut regretter qu'on ne soit pas allé jusqu'à la mise en place d'une comptabilité analytique.
Le rapport étudie successivement les ressources du CNC et les aides déployées par l'établissement. Il analyse ensuite sa gestion interne et propose des pistes pour en améliorer le pilotage. Il met enfin en évidence la nécessité de redéfinir le modèle de financement du CNC, le niveau de ses ressources actuelles n'apparaissant plus corrélé à ses besoins structurels. La Cour formule quatorze recommandations et identifie trois scénarii alternatifs.
Depuis la création du CNC en 1946, l'extension des missions de l'établissement et la multiplication des taxes qui lui ont été affectées ont conduit à soustraire progressivement la politique cinématographique et audiovisuelle du champ des dépenses du budget général de l'Etat - champ qui constitue la norme pour la conduite des politiques publiques et de toutes les politiques culturelles - et à laisser s'accroître de manière ininterrompue les ressources et les dépenses publiques consacrées au financement des secteurs soutenus par le CNC.
Cette évolution a été rendue possible par le système des taxes affectées qui permettait d'échapper aux règles fixées en matière de normes de dépenses pour le pilotage de la dépense du budget général. Le principe général commandant cette construction budgétaire originale est le suivant : taxer la diffusion des contenus cinématographiques et audiovisuels et en reverser le produit à un organisme finançant l'ensemble de la filière.
Au nom de ce principe ont successivement été taxés la billetterie des salles de cinéma, les chaînes de télévision, les sociétés vendant ou louant des contenus audiovisuels sous forme de vidéogrammes et, en dernier lieu, les distributeurs de services de télévision, cette notion large regroupant des opérateurs aussi divers que les chaînes de télévision acheminées par décodeur, les opérateurs du câble, les fournisseurs d'accès à Internet et les opérateurs de téléphonie mobile.
Au cours de la période sous revue, le rendement de ces taxes a crû de manière très sensible. Les ressources du CNC sont ainsi passées de 528 millions d'euros en 2007 à 867 millions d'euros en 2011, soit une augmentation, inédite au sein des quelques 80 autres opérateurs du ministère de la culture et de la communication, de 46,3 %. Une telle progression est liée au dynamisme des taxes affectées qui représentent plus de 90 % des ressources de l'établissement, leur produit étant passé de 442 millions d'euros en 2001 à 806 millions d'euros en 2011.
La création, en 2007, de la Taxe sur les Services de Télévision « distributeurs » (TSTD) a joué un rôle majeur dans l'augmentation des ressources de l'établissement, le produit de cette taxe passant de 94 millions d'euros en 2008 à 322 millions d'euros en 2011, au point de représenter près de 40 % des recettes du CNC.
Bénéficiant de cette forte progression de recettes, le CNC a développé ses aides aux secteurs cinématographiques et audiovisuels. Leur montant, qui s'élevait à 468 millions d'euros en 2007, a atteint 575 millions d'euros en 2011, soit une progression, elle aussi inédite au sein des politiques publiques de la mission « culture », de 23 % en quatre ans.
Diverses nouvelles aides ont vu le jour, axées davantage sur les supports de diffusion que sur les contenus, comme c'était le cas dans la logique traditionnelle de soutien à la production. Un vaste plan de numérisation des salles et des oeuvres a par ailleurs été engagé sur la période 2010-2015, représentant au total près de 372 millions d'euros, pour accompagner l'adoption de cette nouvelle technologie de diffusion par les différents maillons de la chaîne du cinéma.
Cette multiplication de dispositifs reflète une économie générale des aides dans laquelle la création de nouveaux mécanismes ne s'accompagne pas de la nécessaire évaluation de la cohérence globale des soutiens. Les dispositifs s'empilent : on en compte au moins 66 en 2012.
La mesure de l'efficacité des aides peine encore à se faire une place dans un tel cadre. Sauf à accepter sans discussion le postulat selon lequel le dynamisme d'un secteur emporte la nécessité de lui affecter toujours plus d'argent public et donc d'en faire une priorité de politique publique d'un rang supérieur à toutes les autres priorités gouvernementales, la justification d'une telle augmentation continue des aides n'est pas clairement établie.
A cet égard, sans s'être livrée à une évaluation exhaustive des aides du CNC, le temps manquant, la Cour des comptes souhaite néanmoins appeler l'attention sur la nécessité de croiser plusieurs indicateurs pour apprécier le dynamisme de la filière cinématographique et audiovisuelle.
Ainsi, l'augmentation du nombre de films produits chaque année - 203 en 2001, 272 en 2011, soit une hausse de 33 % - qui apparaît comme un objectif sous-jacent de la politique de soutien déployée par le CNC, ne saurait représenter à elle seule un motif de satisfaction car cette politique de soutien, que j'aurais tendance à qualifier de « productiviste », a pour contrepartie une exposition de plus en plus limitée des films en salles.
L'évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs doit également conduire à s'interroger sur la pertinence de certains dispositifs d'aide, dès lors qu'ils présentent par rapport aux objectifs des résultats stables, voire déclinants, pour des coûts souvent croissants.
C'est le cas en particulier dans le domaine audiovisuel, où la France entretient un système d'aide unique en Europe, dans son principe et dans son ampleur - 229 millions d'euros en 2011 - pour des résultats d'audience des productions nationales parmi les plus faibles du continent, même s'il existe ici ou là de brillantes exceptions.
Dans ce contexte, la Cour des comptes recommande d'élaborer une méthode d'analyse de l'efficacité et de l'efficience des dispositifs d'aide mis en oeuvre au regard, d'une part, des autres soutiens et, d'autre part, des objectifs fixés au CNC par ses tutelles et par le Parlement.
Sur le plan de la gestion interne, le contrôle mené par la Cour des comptes conduit à constater des progrès, par rapport au précédent contrôle, en matière de transparence des coûts de fonctionnement mais nous relevons que le prélèvement sur le produit des taxes affectées pour financer les frais de gestion du CNC augmente plus vite que ce même produit - plus de 72 % contre plus de 60 % entre 2007 et 2011.
Nous observons aussi que la masse salariale croît deux fois plus vite que les aides versées et que les dépenses d'indemnisation des membres des commissions d'attribution des aides sélectives du CNC connaissent une forte progression.
En outre, il n'existe toujours pas de schéma pluriannuel de stratégie immobilière.
Enfin, malgré l'aisance de sa trésorerie, le CNC a emprunté 22 millions d'euros pour acquérir l'immeuble du 3, rue Galilée, ce qui est venu augmenter la dette publique alors même que l'opérateur disposait d'une trésorerie abondante. Au total, les critères maastrichtiens raisonnant malheureusement en brut et non en net ont fait que la dette de l'ensemble de l'administration publique augmentait. Certes, il ne s'agissait que de 22 millions d'euros mais cela mérite réflexion !
Au-delà de l'augmentation des aides à court terme, l'examen des recettes et des dépenses de l'établissement met en évidence des marges de manoeuvre budgétaires incontestables. Le fonds de roulement de l'établissement, qui s'élevait à 800 millions d'euros au 1er janvier 2012, doit certes permettre d'honorer des engagements - provisions, crédits à reporter - mais il existe d'incontestables marges de redéploiement et des réserves budgétaires libres d'affectation. Je pense que notre débat permettra d'y voir plus clair.
L'établissement destine ces réserves à trois usages : le financement du vaste plan de numérisation des films et des salles de cinéma - 250 millions d'euros - la constitution d'une réserve destinée à prévenir les retournements de conjoncture - 57 millions d'euros - et enfin le financement du plan immobilier de l'établissement en vue de regrouper ses différentes implantations sur un site unique, dans Paris - 28 millions d'euros.
Si la mise en réserve témoigne d'un principe de prudence qui n'est pas critiquable en soi, elle invite néanmoins à s'interroger sur l'adéquation entre les ressources de l'établissement et ses besoins pérennes.
De surcroît, favorisé par l'autonomie à la fois budgétaire - grâce aux taxes affectées - et institutionnelle de l'opérateur, le président du CNC, établissement public, n'a pas de lettre de mission. En outre, l'établissement n'est pas lié au ministère de la culture par un contrat d'objectifs et de performances ; il échappe à la justification au premier euro et ne dispose d'un conseil d'administration que depuis 2009.
Le modèle de financement du CNC conduit à déterminer le niveau des dépenses en fonction du montant des recettes issues du produit des taxes. La pérennité de ce modèle se trouve aujourd'hui remise en cause par la situation globale des finances publiques. Le CNC ne doit-il pas apporter son écot à l'effort de redressement des comptes publics, et quelle peut en être l'importance ?
Le législateur a lui-même pris la mesure du problème en opérant un prélèvement exceptionnel sur le fonds de roulement, puis en écrêtant le produit de la taxe. Vous avez rappelé les dispositions que vous aurez à examiner à propos du prélèvement en contrepartie de la fin de l'écrêtement. Ces points méritent d'être pris en considération.
Pour la Cour des comptes, ces dispositifs ne semblent pas pouvoir constituer une orientation durable permettant de maîtriser de manière fine l'adéquation entre les recettes et les dépenses de l'établissement sur le long terme et ceci pour trois raisons.
En premier lieu, l'assiette de la taxe sur les distributeurs de services de télévision (TSTD) n'est pas sécurisée ; la pérennité de cette taxe est aujourd'hui conditionnée à l'examen de sa nouvelle assiette par la Commission européenne. Selon nos informations, une enquête va être déclenchée dans les prochaines semaines. Cela crée un élément d'incertitude sur la pertinence du modèle de pilotage autonome par la recette.
En second lieu, s'agissant de la TST « distributeurs », la Cour des comptes considère que le lien entre le fait générateur de la taxation - à savoir l'activité de distribution de contenus numériques relevant de catégories extrêmement diverses -, l'assiette de la taxe - c'est-à-dire le chiffre d'affaires résultant des abonnements aux services de communications électroniques - et son objet - le financement de la création cinématographique et audiovisuelle - apparait à bien des égards beaucoup plus distendu que pour les autres taxes, notamment la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA) et la TST « éditeurs ».
Troisièmement, les mécanismes correctifs instaurés en loi de finances depuis deux ans ne résultent pas d'une analyse fine des besoins de financement, analyse au demeurant entravée par l'architecture complexe du dispositif d'aides du CNC et par l'insuffisance de la démarche de justification au premier euro présentée dans les documents budgétaires.
La question qui se pose donc à la représentation nationale et qui interpelle la Cour des comptes est la suivante : quels sont les moyens à envisager pour permettre au CNC de poursuivre une action ambitieuse en matière de soutien aux industries cinématographiques et audiovisuelles, sans préempter les recettes d'une taxe ayant vocation à frapper un ensemble bien plus large que la seule distribution de contenus audiovisuels et sans se soustraire aux arbitrages budgétaires ?
Pour la Cour des comptes, la réponse consiste à privilégier une approche qui aboutisse à subordonner le niveau de la recette à une hiérarchisation préalable et aussi précise que possible des besoins du CNC rendus nécessaires par l'exercice de ses missions.
Parce qu'elle ne saurait produire ses pleins effets sans une implication accrue du ministère de la culture et du Parlement dans la détermination des orientations stratégiques comme du niveau de ses interventions, cette évolution requiert, au minimum, que l'établissement enrichisse ses outils d'information financière et que les leviers de son pilotage soient également renforcés.
C'est dans ce cadre que nous présentions trois scénarii :
- la fixation d'un plafond de dépenses pluriannuel commandant la détermination du barème des taxes affectées au CNC ;
- le recours à des écrêtements ciblés ; proche de la situation actuelle, ce scénario en diffère néanmoins par le caractère ciblé des écrêtements si ce mécanisme prévaut ;
- enfin, la budgétisation d'une partie de l'actuelle TST « distributeurs », celle frappant les opérateurs de communications électroniques.
L'issue du contentieux communautaire relatif à la taxation des opérateurs de communications électroniques, et les choix qui seront exprimés tant par le ministère de la culture et de la communication que par le Parlement quant à l'intensité souhaitable de maîtrise des dépenses du CNC, pourraient conduire à privilégier l'un ou l'autre de ces scénarios.
En définitive, les différentes recommandations formulées par la Cour des comptes visent toutes un même but : assurer le déploiement d'une politique performante de soutien au cinéma et à l'audiovisuel, disposant d'une visibilité sur ses moyens et rendant des comptes sur leur utilisation.
Je vous remercie.
M. Eric Garandeau, président du CNC. - Je voudrais vous remercier pour votre attention constante à l'égard des politiques publiques du financement de l'audiovisuel et du cinéma et mettre en exergue une phrase du rapport de la Cour des comptes qui a retenu notre attention : « La gestion du Centre demeure mal connue, alors même que le CNC a de brillantes réussites à faire valoir ».
Pour nous, cette remarque pointe une forme de paradoxe. Nous avons parfois l'impression que notre modèle et notre brillante réussite sont finalement mieux connus à l'étranger qu'en France. Nous sommes copiés dans le monde entier alors que notre modèle suscite parfois des interrogations dans notre propre pays.
Quelques exemples... Demain, nous recevrons M. Youssou N'Dour, ministre de la culture du Sénégal, qui veut mettre en place dans son pays un CNC sur le modèle français après avoir vu que le CNC marocain, lui-même fondé sur le modèle français, avait permis au Maroc de tirer son épingle du jeu en matière de cinéma.
Nous avons également eu la visite, immédiatement après la révolution, du Gouvernement tunisien, et travaillons avec lui à mettre en place un CNC en Tunisie sur le même principe que celui que je vais décrire.
Ce n'est pas un hasard non plus si la ministre de la culture du Brésil a créé un CNC également fondé sur une taxe prélevée sur la téléphonie mobile qui va générer plusieurs centaines de millions de dollars en faveur du cinéma brésilien.
On peut ainsi multiplier les exemples : on connaît le cinéma extraordinairement dynamique de la Corée du Sud, qui a eu un prix à la Mostra, seul grand festival européen de cette année où la France n'ait pas obtenu le grand prix. En Corée, le KOrean FIlm Council (KOFIC) est construit sur la base du modèle français.
Il en va de même sur tous les continents : Philippines, Mongolie, Bhoutan, tous les grands pays qui veulent miser sur leur industrie audiovisuelle, l'une des plus dynamiques de l'économie mondiale - à l'exception des Etats-Unis qui ont leur spécificité et qui jouissent d'une position dominante - regardent le modèle français, y compris la Chine continentale qui ne comprend pas comment la France, sans quota sur les films américains, réussit à bénéficier d'une part de marché de 40 % dans le domaine de la production cinématographique. Nous avons des échanges quasiment mensuels avec la Chine.
Tous ces exemples démontrent que notre modèle intéresse. Je ne voudrais pas résumer la réussite française au CNC mais il est vrai qu'il apporte un soutien essentiel aux films. Il faut en produire suffisamment pour que la qualité soit au rendez-vous et puisse correspondre au goût de tous les publics.
Le CNC soutient également les salles de cinéma. Sans de belles salles et un réseau suffisamment maillé, il n'y a pas de réussite possible.
Enfin, le public français est l'un des plus éduqués du monde. Il n'y a qu'en France que les films de tous pays reçoivent un tel succès. Les cinéastes étrangers, comme l'Iranien Asghar Farhadi, viennent donc s'installer en France pour réaliser leurs films, et récoltent des oscars.
Nous avons une règle d'or, qui est également transposée à l'étranger, la distribution devant financer la création. La seule façon de résister au modèle américain est de construire une alternative avec un soutien public important.
Comme l'a montré le récent rapport de Marc Tessier sur la télévision connectée, la révolution numérique conduit à renforcer la position du CNC, les autres soutiens traditionnels ayant tendance à s'éroder et à s'infléchir. En France, nous disposons d'un modèle d'épargne en quelque sorte forcée qui permet de réinvestir dans la création, la distribution, la diffusion et l'exportation de ressources prélevées en aval sur une filière actuellement dominée par le marché américain. Ce lien est d'autant plus fort que 60 % des aides apportées au cinéma et 80 % de celles qui vont à l'audiovisuel sont des aides automatiques. Ce phénomène ne coûte rien au budget de l'Etat, le CNC ayant même pris des dépenses à sa charge.
La Cour des comptes a salué les réformes engagées par le CNC depuis 2004, date de son précédent rapport. La réforme budgétaire et comptable a permis d'accroître la clarté et la sincérité des comptes mais également la sécurité financière des engagements du CNC, source d'augmentation importante de notre volume de trésorerie.
Le transfert au CNC des opérations de recouvrement et de contrôle fiscal des principales taxes affectées est désormais réalisé à moindre coût. Les personnels sont couverts par un statut d'agents publics en bonne et due forme. La gouvernance et le cadre de l'action du CNC ont également été réformés avec la modernisation de la réglementation du secteur, et la création du code du cinéma et de l'image animée.
Le conseil d'administration se compose à présent, outre des représentants de nos tutelles « culture », « finances » et « éducation nationale », de magistrats, d'un membre de la Cour des comptes, d'un autre de la Cour de cassation, de représentants du personnel et de deux représentants du Parlement.
Autre chantier devant nous, celui du contrôle de la gestion et de la performance des aides. Nous avons eu une succession de contrôles et d'audits externes depuis dix-huit mois - inspection des finances, affaires culturelles, Cour des comptes, Mission d'Evaluation et de Contrôle (MEC) et Commission européenne. Tout cela n'a pas permis de développer totalement notre comptabilité analytique et de contrôle de gestion, qui reste notre priorité en matière de gestion.
Je voudrais maintenant revenir sur notre performance, effectivement reconnue en matière de cinéma. Elle est la conséquence de l'approfondissement de ce mécanisme initié en 1948 avec la taxe sur les salles de cinéma, transposée aux chaînes de télévision en 1986 et étendue en 2007 au champ des nouveaux réseaux, au nom de la neutralité fiscale et technologique et de la règle qui veut que plus le nombre de canaux de diffusion augmente, plus le volume d'heures de programmes demandées augmente aussi. Qu'il s'agisse de cinéma ou de programmes audiovisuels, il faut toujours fournir plus à ce secteur. C'est ce que permet le modèle des taxes affectées. Ces dernières doivent demeurer proportionnelles à l'évolution du chiffre d'affaires global dans ce domaine.
On a tendance à se focaliser sur la période récente, durant laquelle on a assisté à un rattrapage du retard qui existait. La Cour des comptes a réalisé un travail d'analyse très intéressant sur une très longue période et a mis en évidence qu'entre 1988 et 2000, le budget du CNC est passé de 224 millions d'euros à 480 millions d'euros, soit une hausse de 114 %. Il a donc davantage augmenté dans la décennie précédente qu'au cours de la décennie immédiate. Dans le même temps, les dépenses des ménages en programmes audiovisuels ont crû de 135 % entre 1988 et 2000 et de 107 % entre 2001 et 2011.
Le budget du CNC, qui a augmenté de 60 % autour de la même période, s'est en réalité développé moins vite, et le rattrapage réalisé grâce à la réforme de 2007 a permis de combler ce retard et de faire face à ce mouvement exceptionnel mais malheureusement ou heureusement durable qu'est la révolution numérique. Celle-ci conduit à bouleverser l'ensemble du champ audiovisuel et à démultiplier le nombre de programmes accessibles au consommateur, dont la durée de consommation a augmenté également au fil du temps.
Je voudrais également insister sur la question de notre performance en matière audiovisuelle. Elle est certes moins exceptionnelle qu'en matière de cinéma. On se réfère souvent à l'Allemagne, mais la performance de la France est bien meilleure que celle de tous les autres pays, y compris l'Allemagne, dont la part de marché est de moitié inférieure à la part de marché française. Ceci est également lié au nombre de films produits, la France produisant 207 films d'initiative française contre 132 films pour l'Allemagne.
Il est important de conserver cette proportion à l'esprit, notre part de marché de 35 % nous permettant de dépasser les films internationaux, dont les films américains.
Face à l'effondrement de la fréquentation en Italie, au Portugal, en Espagne, la France réussit à faire de mieux en mieux en parts de marché et en fréquentation mais aussi, par le très grand nombre de coproductions, à générer une économie en soutenant les grands cinéastes de toute l'Europe. C'est pourquoi l'ensemble des CNC européens est derrière la France dans son combat face à la Commission européenne concernant la taxe qui a été ajustée l'année dernière par le Parlement. Le Premier ministre est intervenu directement auprès de M. Barroso et nous ne désespérons donc pas de voir le sujet réglé prochainement. C'est essentiel pour l'intégrité de ce modèle, la neutralité fiscale et technologique devant fonctionner jusqu'au bout, que ce soit en matière de paradis fiscaux ou numériques.
Notre performance en matière d'animation est également exceptionnelle. Nous sortons environ dix longs métrages d'animation par an, fait unique au monde. Seuls les Coréens, les Japonais et les Américains peuvent en faire autant. Nos parts de marché augmentent. La progression du chiffre d'affaires à l'exportation de nos programmes audiovisuels a augmenté de 13 % en 2011.
La fiction française demeure cependant fragile, moins performante ces dernières années sur nos écrans que les fictions américaines. Il y a à cela deux raisons : les diffuseurs, notamment privés, ont fait le choix d'acheter des programmes américains sur étagère parce qu'ils coûtaient moins cher, ceux-ci étant déjà amortis sur leur marché principal. Ceci a permis, dans une logique de court terme, d'avoir des audiences satisfaisantes qui habituaient le public à des programmes d'excellente qualité. A l'inverse, les autres pays ont privilégié leurs fictions nationales.
De plus, le CNC a moins investi en proportion sur la fiction française que sur les autres genres, les diffuseurs investissant des moyens importants dans la fiction, la formatant ainsi un peu plus. Nous avons par ailleurs eu des besoins importants en matière de documentaires et d'animation. La solution est celle mise en oeuvre par le directeur général de Canal Plus, qui a engagé une nouvelle stratégie à l'égard de la fiction, en augmentant les moyens, que ceux-ci proviennent du CNC ou des diffuseurs, le CNC n'intervenant qu'en second rang. Pour mémoire, un épisode d'une série américaine coûte deux millions de dollars ; en France, on est plutôt à 700.000 euros. Il faut donc pouvoir augmenter pour être plus performant. Quand on le fait, on réussit même à exporter nos formats aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Jean Picq prônait une modernisation de l'Etat par le développement des agences. Dans le champ culturel, le CNC, en matière de politique du cinéma ou Le Louvre, en matière de politique des musées, sont numéro un et deux mondiaux. L'agence est-elle un gage de modernité, de gestion et de meilleure performance économique ? Nous avons la faiblesse de le penser, en tout cas pour le secteur culturel !
M. Philippe Marini, président. - Que pensent les représentants de la tutelle du fait qu'un établissement public placé sous leur contrôle et bénéficiant d'une trésorerie significative s'endette à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros pour acheter un immeuble rue Galilée ? Se sont-ils prononcés sur ce point ? L'ont-ils approuvé ? Ce n'est qu'un exemple mais pour nous aider à comprendre si la tutelle est présente ou non, il pourrait être utile que, de part et d'autre, on veuille bien nous répondre.
La tutelle pourrait-elle également s'exprimer à propos des provisions ? Nous comprenons bien que, comme dans une entreprise, l'on provisionne des risques. Le fiscaliste qui étudie aujourd'hui les comptes de l'entreprise s'interroge sur la réalité des risques pour savoir si la provision est déductible ou non. C'est ici un peu la même problématique : le risque ou la charge n'apparaissent pas certains.
Enfin, la tutelle pourrait-elle nous dire si elle est en accord avec le fait que cela ne coûte rien au budget de l'Etat, pour rependre les termes que nous venons d'entendre ? Partagez-vous cette vision des choses ?
M. Christopher Miles, secrétaire général adjoint du ministère de la culture et de la communication. - Je rejoins le constat du président Garandeau sur le fait que le CNC est un instrument indispensable au maintien de la diversité culturelle et de la présence française sur les écrans de notre pays mais aussi à l'international.
S'agissant de la stratégie immobilière du CNC, nous avons été informés de l'acquisition portant sur la rue Galilée. Nous sommes en discussion avec le CNC sur un schéma pluriannuel de stratégie immobilière devant nous permettre de faire évoluer les implantations du CNC.
De ce point de vue, la stratégie de l'emprunt n'est pas mauvaise dans la mesure où cet immeuble a fait l'objet d'une forte plus-value depuis son acquisition.
En second lieu, il s'avère que l'ensemble des implantations du CNC - qui comprennent des locations - ne permet pas une adéquation correcte d'installation des personnels, qui voyagent entre plusieurs immeubles, et ne répond pas aux normes actuelles de France domaine de 12 m2 par agent, ce qui va probablement nous amener, dans les mois qui viennent, à réfléchir à une implantation plus rationnelle. Cet emprunt n'est donc qu'une solution transitoire, pleinement acceptée par les tutelles.
Vous avez par ailleurs relevé le montant important des provisions du CNC. Un certain nombre d'entre elles sont fléchées sur quelques risques identifiés. Le premier est le risque immobilier. Nous travaillons sur ce sujet avec le CNC.
Le second porte sur un plan numérique. A cet égard, l'écrêtement que nous sommes en train de réaliser sur les provisions constituées va sans doute nous amener à procéder à son étalement, le CNC ayant réussi dans le passé l'adaptation de notre réseau de salles de cinéma à la transition numérique, garantie du maintien d'une bonne fréquentation. Il n'est qu'à regarder ce qui s'est passé dans d'autres pays européens pour comprendre que c'est l'une des recettes indispensables au maintien de la prospérité du secteur cinématographique français.
Les autres provisions sont celles qui portent sur les avances du compte de soutien qui transitent provisoirement dans les comptes du CNC. C'est peut-être là qu'il y a un travail à réaliser avec le CNC, travail qu'il a commencé à mener en constatant qu'un certain nombre de provisions ne seraient plus fondées. C'est un processus de longue haleine, réalisé année après année, et qui doit nous permettre de progresser afin de déterminer le fonds de roulement de croisière du CNC, dans une circonstance où la conjoncture économique fluctue de manière importante.
Toutefois, il ne nous semble pas imaginable de déconnecter les recettes du CNC du dynamisme du secteur. Si l'on étudie les trois scénarii envisagés par la Cour des comptes, un plafonnement d'une partie des dépenses du CNC prises en charge pour un certain nombre d'établissements publics participant du rayonnement du cinéma - la Cinémathèque, l'Ecole de cinéma, la Fondation européenne pour les métiers de l'image et du son (FEMIS) - ne peut être envisagé pour les dépenses du compte de soutien.
Pour les dépenses sélectives, c'est une autre question, davantage liée selon moi au suivi de la performance de l'établissement et des aides, enjeu soulevé par la Cour des comptes et sur lequel le président Garandeau a commencé à apporter des réponses en termes d'adaptation et de rationalisation du système d'aide.
M. Philippe Marini, président. - Vous ne voulez donc pas arbitrer les dépenses ?
M. Christopher Miles. - Nous ne souhaitons pas arbitrer les dépenses...
M. Philippe Marini, président. - Il en est pris note, Monsieur le Secrétaire général. Nous avons besoin de clarté dans un sujet complexe !
M. Christopher Miles. - Nous ne souhaitons pas arbitrer les dépenses automatiques.
M. Philippe Marini, président. - La tutelle « budget » partage-t-elle l'approche de la tutelle « culture » ?
M. Alexandre Grosse, sous-directeur de la 8ème sous-direction à la direction du budget. - La tutelle partage le constat qu'a pu faire la Cour des comptes sur les évolutions qu'a connues le CNC durant ces cinq dernières années, y compris en termes de qualité de gestion.
S'agissant de l'opportunité de l'acquisition immobilière de l'immeuble rue Galilée, comme l'a dit mon collègue de la culture, celle-ci a été approuvé par les tutelles mais aussi par France Domaine, puisqu'il semblerait qu'il existait une opportunité financière et immobilière. Votre question portait toutefois plus particulièrement sur l'opportunité de l'emprunt...
M. Philippe Marini, président. - Il est étrange qu'un établissement qui dispose d'une trésorerie longue souscrive un emprunt !
M. Alexandre Grosse. - Aujourd'hui, cela ne pourrait plus être le cas. Aux termes de l'article 12 de la loi de programmation des finances publiques, le CNC étant un organisme divers d'administration centrale, il ne lui serait plus possible de s'endetter auprès d'un établissement de crédit - sauf pour des motifs de trésorerie. Toutefois, cette règle est entrée en application tout début de 2011, soit postérieurement au projet dont il est question...
M. Philippe Marini, président. - Vous reconnaîtrez que le bon sens préexistait à cette loi ! Un établissement qui dispose d'une trésorerie longue et qui peut effectuer un portage court peut se financer sur sa trésorerie et n'a pas besoin de se tourner vers une banque !
M. Alexandre Grosse. - Si cette règle a été mise en place c'est que l'on a parfois besoin de règles juridiques pour affirmer ce qui peut relever du bon sens.
La Cour des comptes pourra certainement vous éclairer mais elle souligne notamment que la valeur des biens immobiliers, en cas de cession, pourrait permettre à elle seule de financer un nouveau projet immobilier qui reste à définir. Par ailleurs, il existe également une réserve immobilière. Un certain nombre de ressources existent donc, en plus de l'emprunt qui aurait pu être mobilisé pour un projet immobilier.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Merci d'être attentif à notre expression et de tenir compte de notre emploi du temps qui nous oblige à une audition très formalisée, celle de la candidate à la présidence de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), à un horaire que nous n'avons pas choisi.
Sur le sujet qui nous rassemble ce matin, nous avons eu de vifs débats au Sénat, lors de l'élaboration du budget 2012, non entre majorité et opposition, mais entre la commission des finances et la commission de la culture.
Je ne pense pas qu'il faille nous distinguer entre ceux qui parlent avec leur coeur, et ceux qui sont garants de la rigueur : c'est l'intérêt public qui doit permettre de trouver un consensus. Dans cet intérêt, il y a la création, la diversité des oeuvres, la santé d'une filière internationalement reconnue et la bonne gestion de l'argent public.
Dans cette bonne gestion, il y a aussi l'indispensable soutien à la numérisation des salles. Chambre des collectivités, le Sénat, par sa commission de la culture, est attaché à cette mission du CNC d'appui à la modernisation des salles de cinéma de nos communes. Si quelques lenteurs ont été repérées dans cette numérisation, il existe des phénomènes connexes, comme la mise aux normes d'accessibilité pour les personnes handicapées. Ce sont des surcoûts qui ralentissent quelquefois la motivation des communes pour utiliser l'argent disponible au CNC.
Le CNC est suivi depuis 2010 par notre commission, l'année qui a suivi les ordonnances de 2009. Le sénateur Lagauche a assumé cette tâche jusqu'en 2011 et le sénateur et rapporteur Leleux a continué ensuite.
Nous avons lu avec attention le rapport de la Cour des comptes et sommes sensibles à la nécessité de clarifier le volet immobilier, avec des conventions claires entre propriétaire, utilisateur et utilisateur secondaire, comme la Cinémathèque.
Nous sommes également sensibles au besoin d'indicateurs de suivi de stratégie et même à la recommandation de "cibler" d'éventuels écrêtements, mais nous insistons sur la modération indispensable des "financiers". Ce n'est pas parce qu'un secteur est florissant, qu'il faut le fragiliser. C'est ce que dit le rapporteur budgétaire pour avis sur le cinéma, le sénateur Leleux, avec ses mots : « En France, on a parfois le génie de remettre en cause les modèles qui marchent ».
Le plafonnement des dépenses de soutien à la création ou de soutien aux salles serait contre-productif. Nous attirons également l'attention sur le danger inhérent à l'écrêtement, qui ampute une part du système d'inspiration mutualiste. Il existe un vrai risque pour que les contributeurs y trouvent des arguments pour ne plus participer. Tout le monde serait perdant !
La commission de la culture appelle donc à la plus grande prudence. Ne tuons pas le système vertueux. En revanche, elle s'associe aux demandes de meilleur suivi.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - Le président Garandeau a évoqué l'affaissement de la fiction française à la télévision. Je crois qu'il s'agit d'un effondrement. En effet, d'après les chiffres dont je dispose, on dénombrait auparavant 56 fictions parmi les 100 meilleures audiences ; ce chiffre est tombé à trois : c'est alarmant.
On peut très bien comprendre le prosélytisme culturel français, qui est un support de notre économie en général. Avec 120 longs métrages par an, à travers 38 pays, le CNC finance ou co-finance des cinéastes du monde entier. On ne peut que s'en réjouir, mais l'écueil réside dans le fait qu'il ne s'agit pas forcément de films en langue française. Je ne vois donc pas l'apport que cela peut représenter pour notre langue ou notre économie !
S'agissant des commissions d'aide, la Cour des comptes a relevé que la gestion des ressources humaines était globalement maîtrisée mais que l'on était confronté à une augmentation de la masse salariale. Les commissions d'attribution des aides comptent de plus en plus de collaborateurs. N'existe-t-il pas un conflit d'intérêts entre les personnes qui y participent et leur activité professionnelle dans le cinéma ?
J'aimerais par ailleurs adresser une question aux ministères : pourquoi le CNC sort-il du plafond prévu par l'article 26 du projet de loi de finances pour 2013 ? L'article 28 permet de prélever 150 millions d'euros sur les 800 millions d'euros de trésorerie de l'opérateur, mais l'heure n'est plus à la thésaurisation ! En conséquence, 150 millions me semblent constituer une somme assez peu élevée.
Enfin, je voudrais revenir sur l'aspect immobilier. Aujourd'hui, le CNC est niché dans quatre immeubles, tous situés dans le XVIème arrondissement de Paris. On peut très bien le comprendre, cet arrondissement étant fort agréable, mais, aujourd'hui, dans le cadre d'une rationalisation immobilière, ne peut-on imaginer que le CNC soit regroupé ? Il existe certainement, extra-muros, des lieux plaisants ou l'inspiration viendrait aussi bien au CNC que dans le XVIème arrondissement !
M. Philippe Marini, président. - La Plaine Saint-Denis est une localisation culturelle appréciée !
M. Eric Garandeau. - S'agissant de l'immobilier, c'est mon prédécesseur qui a pris cette décision, vraiment excellente : cette acquisition a en effet permis d'avoir une annuité d'emprunt inférieure au coût de la location. En outre, la valeur de l'immeuble a augmenté de 20 % en un an. En termes de gestion de bon père de famille, c'était donc une excellente opération, effectuée en accord complet avec les tutelles, validée au cours de quatre réunions du comité financier.
Par ailleurs, la trésorerie est liée au compte de soutien et dédiée à celui-ci. Il était donc inenvisageable d'en mobiliser une partie pour réaliser une opération immobilière.
Quant au futur, le CNC a lancé un appel à propositions pour regrouper l'ensemble de ses services. Un lieu avait été trouvé et une négociation pouvait s'engager avec un propriétaire. Malheureusement, ce dossier a été bloqué pendant six mois ; nous attendons toujours qu'il soit débloqué. Peut-être serions-nous en train de déménager si nous avions eu l'accord de France Domaine pour engager des discussions sur le bien en question - dont nous avons appris hier qu'il était désormais loué par une autre administration de l'Etat.
En ce qui concerne la numérisation et l'état des réserves, il se trouve qu'en 2004, alors directeur juridique et financier du CNC, j'avais reçu le rapport de la Cour des comptes. Le provisionnement de l'ensemble des soutiens résulte d'une décision d'application de ce rapport. A l'époque, le CNC vivait sur une logique de caisse ; il ne provisionnait rien et prévoyait d'avoir une trésorerie correspondant au « risque guichet ». Il pouvait donc être à tout moment en cessation de paiement. Il suffisait que des producteurs investissent davantage que prévu. Aujourd'hui, cette sécurisation exhaustive, dans une logique prudentielle, a conduit à immobiliser 500 millions d'euros fin 2011 au titre du provisionnement des différents soutiens automatiques.
Un exploitant de salle a dix ans pour mobiliser son soutien, qui finance des investissements dans des travaux. Les comportements sont difficiles à prévoir. Cela dépend de la taille de l'exploitant, de sa stratégie de mobilisation d'autres mécanismes de financement auxquels il peut avoir accès. Certains mobilisent en masse brutalement tandis que d'autres le font de façon plus lissée, au fil du temps, mais on a retenu l'idée d'une sécurisation maximale. Cela a été validé par la Cour des comptes et a abouti au provisionnement de 500 millions d'euros.
Il existe ensuite des restes à payer. Ce sont des dépenses obligatoires qui sont certaines, soit 50 million d'euros en 2011. Il y a ensuite la réserve de solidarité intergénérationnelle, destinée à faire face à des mouvements de conjoncture qui peuvent être très violents, comme en 2005. Le CNC aurait alors pu être en cessation de paiement. Pour l'éviter, il a fallu revoir les taux des différents soutiens de manière très rapide.
Cette réserve de 57 millions d'euros a été constituée au fil du temps. La réserve immobilière est liée au sujet dons nous parlions. Nous avons toujours dans l'idée de déménager et même si nous ne le faisons pas, il y aura des travaux très importants, de plus de 10 millions d'euros, à réaliser sur place ainsi que l'acquisition d'un plateau complémentaire, afin de ne plus être locataire du quatrième immeuble.
Reste en trésorerie le plan numérique (salles et oeuvres) dont nous avons parlé. Si le CNC n'avait pas investi une centaine de millions d'euros....
M. Philippe Marini, président. - Combien dépensez-vous chaque année pour la numérisation ?
M. Eric Garandeau. - Il s'agit d'un mouvement concernant la totalité des salles de cinéma qui va s'achever fin 2012 ou début 2013.
M. Philippe Marini, président. - Quelle est la dépense moyenne annuelle sur les trois à cinq dernières années ?
M. Eric Garandeau. - Ce qui est plus intéressant, c'est de voir le montant total qui sera dépensé...
M. Philippe Marini, président. - Nous sommes en charge d'un déficit ! Il faudrait revenir à cette réalité ! Pardonnez-moi d'exploser mais chacun sait que le budget de l'Etat s'apprécie annuellement, que le solde se finance également annuellement, que la dette pèse sur nos têtes à tous ! Si l'on appliquait les principes de provisionnement que vous évoquez à toutes les fonctions de l'Etat, nous serions dans une situation totalement impossible !
M. Eric Garandeau. - Pensez-vous qu'il aurait été sain que des centaines de salles disparaissent en France ? C'est le cas en Italie, en Espagne et dans beaucoup de pays d'Europe.
M. Philippe Marini, président. - Combien dépensez-vous chaque année pour la numérisation !
M. Eric Garandeau. - 30 millions d'euros, ce qui fera au total environ 100 à 120 millions d'euros...
M. Philippe Marini, président. - 30 millions d'euros par an ?
M. Eric Garandeau. - Il s'agit d'un processus ponctuel qui a commencé en 2011 et qui se terminera fin 2012 ou début 2013.
M. Philippe Marini, président. - Un besoin de financement de 30 millions par an ne justifie pas une trésorerie de 800 millions d'euros ! Je me permets de raisonner en ordre de grandeur ! Bien entendu, tous les élus locaux que nous sommes tiennent à la numérisation de leur salles de cinéma mais il ne faut pas, Monsieur le Président, les instrumentaliser, permettez-moi de le dire !
M. Eric Garandeau. - Si le CNC n'avait pas décidé d'y consacrer 100 ou 120 millions d'euros - nous le saurons début 2013 - plusieurs centaines de salles, en France, auraient fermé. Nous n'avons pu le faire que parce qu'il y avait cette réserve de 120 millions d'euros. C'est une réalité objective : vous pouvez comparer la situation avec celle de tous les autres pays d'Europe.
La numérisation des oeuvres constitue le solde de ce qui reste disponible dans nos réserves, ces 550 millions d'euros étant gelés du fait de l'existence des soutiens actuels. Dans les 250 millions qui restent, on trouve 100 à 120 millions d'euros pour les salles, le reste étant destiné aux oeuvres. Aucun inventaire des oeuvres n'a jamais été réalisé. Nous sommes en train de le faire. Nous savons que cet inventaire pourra coûter jusqu'à plusieurs dizaines de millions d'euros, voire plus de 50 millions d'euros. Cela fait partie de l'autre réserve que nous avions constituée.
Les travaux de restauration et de numérisation des oeuvres viennent de commencer. Nous ne les faisons pas n'importe comment, afin de ne pas faire deux fois les mêmes choses. Le souci du bon usage des deniers publics fait que nous ne pouvons engager cet argent de façon trop rapide. Certains ayants droit connus ont du mal à obtenir l'argent du CNC car nous vérifions toutes les factures. Nous ne voulons pas de surfacturations et désirons utiliser les meilleurs supports disponibles, qui seront connus à mesure que le travail d'inventaire sera fait.
La numérisation des salles ou celle des oeuvres sont des choses très concrètes. C'est une activité économique. L'an dernier, le Laboratoire des technologies de communication (LTC) a fermé ses portes. Il s'agissait du plus vieux laboratoire de France, d'où étaient sortis « Les enfants du paradis ». 30 % des films récents étaient bloqués dans ce laboratoire. Plusieurs centaines d'emplois ont disparu. Certains ont pu être récupérés, le CNC ayant mis en place un plan d'urgence. Le plan de restauration et de numérisation des oeuvres est destiné à apporter du chiffre d'affaires à nos industries techniques. Si nous ne le faisons pas maintenant, ces industries techniques et la filière photochimique française risquent de disparaître. Ce n'est pas une filière du passé : de plus en plus de pays se soucient de restaurer leurs oeuvres...
Tout comme il était nécessaire de restaurer « La Joconde », nous pensons qu'il était nécessaire de restaurer « Le carrosse d'or » de Jean Renoir !
M. Philippe Marini, président. - Si on provisionnait, dans les écritures du ministère de la culture, la restauration des oeuvres d'art et des monuments, on devrait peut-être provisionner 10 ou 20 milliards d'euros ! Or, on ne le fait pas.
Cette méthode ne peut être transposée dans le contexte que nous connaissons. Chacun apprécie votre engagement mais ce qui appelle l'attention, c'est la méthodologie budgétaire. Comment défendre cette spécificité, cette segmentation de l'Etat alors qu'il faut être solidaire ?
M. Eric Garandeau. - Nous sommes solidaires ! Vous évoquez la segmentation de l'Etat : je rappelle que nous avons un agent comptable public, un contrôle économique et financier, un conseil d'administration, des décrets et des arrêtés qui fixent chacun de nos régimes d'aides, qui sont examinés par toutes nos tutelles. Nous essayons d'être un modèle en termes de gestion et mettrons en oeuvre toutes les préconisations du rapport de la Cour des comptes, qui nous permettront d'être encore plus efficaces !
Notre taux de frais de gestion est passé de 5,6 % à 5 % cette année et nous comptons le ramener à 4,6 % l'année prochaine. Nous faisons donc un maximum d'efforts. Nous sommes soumis au plafond d'emplois en matière d'effectifs. Ceci pose problème car notre activité augmente et nos effectifs baissent mais nous y veillons, quitte à recevoir des pétitions de professionnels. Nous faisons un maximum de gains de productivité et sommes donc solidaires. Nous le serons d'autant plus que nous avons fait quelques versements au budget de l'Etat ces dernières années. L'un d'eux est prévu en 2012. S'il a lieu, nous ne réaliserons pas le plan de numérisation des oeuvres et certaines entreprises seront donc au chômage technique, voire en faillite.
Je reviens à ce que vous disiez à propos des monuments : c'est parce que ce travail n'a jamais été réalisé dans le cinéma qu'il y a une « bosse » de dépenses à franchir. Fort heureusement, il existe dans les musées de France des budgets de restauration annuels. Pour le cinéma, cela n'a jamais été fait. On pourrait décider de ne le faire que dans dix ans. Mais, dans ce cas, on aura détruit notre filière photochimique ainsi que des centaines d'entreprises et d'emplois. On aura renoncé à une filière d'excellence qui permettrait de faire du chiffre d'affaires, d'autres pays se souciant maintenant de restaurer leurs films.
Par ailleurs, nous basculons dans l'économie numérique ; les salles n'ont plus besoin de copies photochimiques. Les laboratoires qui abritaient parfois à leurs frais des millions de bobines - des films de Jean Renoir, d'Agnès Varda, de Jacques Demy, etc. - s'en débarrasseront puisqu'ils n'ont plus aucun intérêt à garder ces collections.
M. Philippe Marini, président. - 800 moins 150, cela fait 650 !
M. Eric Garandeau. - ... Dont 550 provisionnés !
M. Philippe Marini, président. - Naturellement mais il s'agit de provisionner des charges futures incertaines...
M. Eric Garandeau. - Elles sont certaines !
M. Philippe Marini, président. - Disons qu'elles sont relativement certaines, sous bénéfices d'audits...
M. Eric Garandeau. - Elles sont certaines ! La Cour des comptes peut répondre sur ce point...
M. Philippe Marini, président. - Leur horizon est incertain...
M. Eric Garandeau. - L'horizon est certain : entre un et cinq ans pour la plupart des soutiens automatiques...
M. Philippe Marini, président. - La trésorerie de l'Etat se paye tous les jours, Monsieur le Président ! Elle finance sur emprunt des besoins encore plus immédiats que ceux dont vous parlez, notamment une grande partie des salaires que nous percevons. On ne peut vivre hors du temps ni hors du monde !
M. Eric Garandeau. - Je cite le rapport de la Cour des comptes, page 112 : « Le CNC a fait le choix de traduire dans ses comptes la réalité des engagements de soutien financier consentis auprès des professionnels. Ce choix participe incontestablement d'une démarche de qualité comptable et de recherche d'une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'établissement et ne saurait être remis en question ».
M. François Marc, rapporteur général. - Notre collègue de Montesquiou a évoqué un grand banquet culturel. Je vais avoir le regret d'être celui qui porte un regard vers les tenants et les aboutissants de l'addition qu'il y a lieu d'examiner, en revenant sur les conclusions de la Cour des comptes, qui se trouvent être en accord avec les travaux que notre commission a pu mener sur ce sujet.
La commission des finances a en effet constaté que la « prospérité » du CNC a conduit le Gouvernement à externaliser vers cet opérateur certaines dépenses budgétaires auparavant assumées par le ministère de la culture et de la communication. Ce transfert était certes cohérent avec les missions du CNC mais il reste, comme l'indique la Cour des comptes et comme la commission l'avait relevé, que, sur le plan de la discipline budgétaire, ce dispositif a consisté à exclure des dépenses de la norme des dépenses applicables au budget de l'Etat pour les faire assumer par une entité tierce affranchie de toute contrainte.
En second lieu, l'affectation de taxes au CNC a eu pour conséquence d'inciter l'opérateur à programmer des dépenses aussi dynamiques que ses ressources. Quels que soient les motifs allégués par le CNC pour dépenser plus, il convient de s'interroger sur la compatibilité de cette trajectoire avec la situation actuelle des finances publiques. A ce sujet, nous avons relevé que la Cour « décrypte » et met parfaitement en exergue les limites du modèle économique suivi par le CNC.
Enfin, l'existence d'un financement exclusivement fiscal peut affaiblir la tutelle ministérielle, à plus forte raison lorsque les opérateurs, à l'instar du CNC, sont devenus de quasi « fermiers généraux » - pour reprendre l'expression de notre ancienne collègue, Nicole Bricq, lorsqu'elle était rapporteure générale - et assurent directement le recouvrement de leurs taxes.
Cela étant, à la lumière des éclairages apportés par la Cour des comptes, certains questionnements viennent à l'esprit. On a évoqué la politique immobilière, le plan de numérisation des salles de cinéma. Je m'en tiendrai au registre budgétaire et financier.
Concernant les ressources, la loi de finances pour 2012 prévoyait un dispositif d'écrêtement des taxes affectées aux opérateurs déjà allégé, s'agissant du CNC. L'article 26 du projet de loi de finances pour 2013 prévoit d'exclure désormais totalement le CNC du dispositif de plafonnement. Pourquoi un tel « traitement de faveur » ?
La Cour des comptes était, il est vrai, réservée sur l'application du dispositif de plafonnement au CNC, introduit lors du projet de loi de finances pour 2012. Quelles explications la Cour des comptes peut-elle nous donner sur la nature de ses réserves ? Se satisfait-elle davantage d'un prélèvement sur le fonds de roulement du CNC, tel qu'il est prévu dans le projet de loi de finances pour 2013 ?
S'agissant de la démarche de performance, nous nous interrogeons sur la quasi-absence d'évaluation de l'efficacité des aides versées par le CNC qui représentent pourtant un enjeu financier important - 575 millions d'euros en 2011. Où en êtes-vous, Monsieur le Président, dans la mise à oeuvre d'une réelle démarche de performance au sein de votre organisation ?
Concernant le rôle de la tutelle, la Cour note l'absence de lettre de mission du Président presque deux ans après sa nomination et de contrat de performances. Comment justifiez-vous cette situation alors que le CNC représente l'un des principaux opérateurs du ministère de la culture ? De tels documents sont-ils prévus ?
Enfin, au-delà de l'exemple du CNC, on peut constater une forme de pilotage défaillant du ministère sur nombre de ses opérateurs, la Cour des comptes relevant dans son rapport qu'à ce jour, seuls 46 opérateurs sur 82 sont encadrés par un contrat d'objectifs et de performances.
Comment les tutelles expliquent-elles ce manque de réactivité, malgré la récurrence des critiques ? Quelles mesures concrètes sont-elles envisagées pour améliorer le pilotage des opérateurs sur ces points particulièrement importants ?
M. Patrick Lefas. - Les conflits d'intérêts évoqués par le rapporteur spécial constituent un sujet réel. Nous avons appelé l'attention du CNC sur ce point, notamment parce que les mandats des membres des commissions d'attribution des aides sélectives étaient renouvelés presque automatiquement. Les trois-quarts des membres ont effectué au moins deux mandats, soit quatre ans de présence entre 2001 et 2010.
Le CNC, à l'issue de la contradiction, s'est engagé à limiter le nombre de mandats mais il nous semble que le sujet de la prévention des conflits d'intérêts est un sujet à prendre plus en amont, avec le souci de déclarer s'il existe ou non des parties liées au candidat dont on examine le dossier. Ceci n'est selon nous pas suffisamment marqué dans les procédures.
Il nous semble qu'il serait judicieux que le CNC s'appuie sur les conclusions de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique.
S'agissant des aspects touchant à l'immobilier, beaucoup de choses ont été évoquées. Nous n'avons pas contesté l'opportunité de l'opération de la rue de Galilée. Nous contestions le recours à l'emprunt, d'autant plus qu'il existait des disponibilités, notamment grâce au système de prélèvements réguliers du CNC sur le fonds de soutien pour ses propres besoins. Peut-être était-il peu judicieux de recourir à cet emprunt...
Je salue l'engagement de passer enfin à une stratégie pluriannuelle en matière immobilière. Le CNC, comme toute une série d'autres établissements publics, ne peut plus désormais emprunter. Il faut en outre appréhender ce que la valorisation du parc immobilier du CNC dans le centre de Paris - qui ne cesse de s'apprécier - peut apporter comme élément de recettes, sans qu'il soit besoin d'avoir une réserve immobilière dédiée à ce financement.
Quant aux provisions, nous ne les avons pas auditées, le Contrôle général économique et financier (CEGEFI) nous ayant indiqué qu'il avait prévu de procéder très bientôt à cet audit. Un audit régulier paraît nécessaire. Il serait également préférable qu'un commissaire aux comptes vérifie la véracité de l'engagement correspondant aux provisions.
Deux systèmes conduisent aux provisions. Le soutien automatique peut être borné dans le temps. Pour ce qui est des soutiens sélectifs, lorsque l'engagement en a été pris, il est logique de provisionner mais le CNC n'a aucun modèle lui permettant d'apprécier les conditions dans lesquelles les provisions vont générer des dépenses ultérieures. Il y a sur ce point un véritable travail à réaliser. La logique est incontestable et nous ne l'avons pas mise en cause.
Quant à la réserve numérique, cela rejoint le débat qui a commencé à s'engager. Nous serons les premiers dans le monde, devant les Américains, en matière de numérisation des salles de cinéma. Nous l'aurons réalisée en un temps record. Or, dans le débat sur la numérisation, le fait que cette dernière soit au final moins coûteuse apparaît important. Certains distributeurs font des calculs économiques.
Pour les exploitants, une partie du coût peut être absorbée par le soutien automatique. Certes, il est légitime que ces sommes soient d'abord réservées aux problématiques d'accessibilité et de modernisation des salles mais il reste des fonds, et les conditions de réalisation du plan de numérisation des salles restent flexibles.
Quant à la numérisation des oeuvres, le sujet est important. C'est un enjeu patrimonial et celui-ci doit être analysé au regard des possibilités qu'ont un certain nombre de grands acteurs du système de numériser sans aide de l'Etat. Il faut articuler cela avec les investissements d'avenir et le fonds numérique géré par la Caisse des dépôts ou, demain, par la Banque publique d'investissement. Certains aspects du plan de numérisation peuvent donc trouver leur débouché autrement que par le financement du CNC.
Il faut également un plan de commercialisation. La numérisation doit également être considérée par rapport à des perspectives de recettes ultérieures. Il nous semble donc que le plan numérique comporte des marges de manoeuvre.
Concernant l'affaissement des fictions audiovisuelles, les chiffres méritent en effet d'être rappelés. Le problème vient du fait que le CNC ne peut être le seul acteur intervenant dans ce secteur. Ce sont d'abord les chaînes de télévision qui sont en cause. Les conditions dans lesquelles pèsent sur elles les obligations de soutenir la production - France 2 Cinéma, France 3 Cinéma, Canal Plus - sont définies par la loi. Il nous semble qu'on a consommé beaucoup de moyens dans ce secteur avec un résultat contestable. Cela pose bien la question de l'instrument de mesure de la qualité des aides, éléments qui méritent d'être portés au débat.
M. Philippe Marini, président. - Comment se passent les conférences budgétaires « culture » ? Y est-il question du CNC ? Avez-vous un moyen d'expertise des provisions ? Avez-vous, au cours des dernières années, observé le fonds de roulement, le montant de la trésorerie ?
M. Alexandre Grosse. - Dans les discussions budgétaires avec le ministère de la culture, le sujet du CNC est bien entendu sur la table lors de chaque préparation du projet de loi de finances.
Je ne peux toutefois pas dire que le CNC soit l'opérateur dont on discute le plus à Bercy au moment des conférences techniques de performances ou de budgétisation.
Vous avez à plusieurs reprises évoqué la norme de dépenses en vous demandant si celle-ci était contournée. Un certain nombre de transferts de financement ont en l'occurrence été réalisés ces dernières années vers le CNC. La question de la norme de dépenses et du respect de la charte de budgétisation ne pourrait se poser que s'il y avait transfert de recettes concomitant : il n'y en a pas eu. Je pense donc que ce qui s'est fait est totalement en ligne avec la charte de budgétisation et le respect de la norme de dépenses.
M. Philippe Marini, président. - Un ministère qui a un organisme sous sa tutelle lui sous-traite des dépenses qu'il payait jusqu'alors, l'organisme disposant de ressources propres. Considérez-vous que ce soit normal ?
M. Alexandre Grosse. - Je ne vois pas d'entorse à la charte de budgétisation...
M. Philippe Marini, président. - C'est aussi une question de bon sens budgétaire ! Les chartes se substituent donc à tout et cela vous semble normal...
M. Alexandre Grosse. - Il existe une véritable cohérence de l'ensemble des missions et des crédits qui ont été confiés au CNC. On lui a délégué le versement de subventions à des opérateurs relevant de la politique publique en faveur du cinéma.
S'agissant du plan de numérisation, M. Lefas a fait état des principaux points que je souhaitais souligner. Aujourd'hui, il existe une autre source de financement, constituée par le fonds numérique du programme d'investissement d'avenir qui s'ajoute à la réserve numérique du CNC. Certes, ce ne sont pas forcément les mêmes oeuvres et les projets engagés par ce fonds sont aujourd'hui assez limités, mais l'existence d'une réserve importante connue des acteurs ne les a peut-être pas incités à prendre des risques commerciaux ou industriels et à solliciter des financements du fonds numérique.
Par ailleurs, en matière de numérisation, l'inventaire n'étant pas terminé, on manque peut-être de visibilité à ce jour quant à l'ampleur globale du besoin. Quel est le niveau du besoin et son immédiateté ? Un certain nombre de projets tout aussi importants pour le pays ont été décalés sans forcément être totalement abandonnés dans le cadre des arbitrages budgétaires. Y a-t-il un besoin immédiat et urgent, pour la survie du secteur et de ces oeuvres, à le faire dans l'année ou au cours des deux prochaines ?
S'agissant de l'évaluation de la performance, un rapport est adressé au Parlement. Il reprend la maquette des projets annuels de performances (PAP) joints au projet de loi de finances avec la même richesse d'informations. En matière de performances, on recense une vingtaine d'indicateurs. Un ou deux relèvent stricto sensu de l'efficience. Or, les objectifs que l'on se fixe dans le volet « performances » des PAP consistent en un partage à peu près équilibré entre efficacité socio-économique, qualité de services et efficience. Peut-être pourrait-on progresser quelque peu en adjoignant davantage d'indicateurs d'efficience, ce qui amènera peut-être à mieux évaluer certaines aides, voire à en remettre certaines en cause.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - Qu'est-ce qu'un indicateur d'efficience ?
M. Alexandre Grosse. - Ce sont des indicateurs qui rapportent les résultats d'un dispositif ou d'une politique à leur coût.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - Il s'agit d'un retour sur investissement...
M. Alexandre Grosse. - Ce peut être le cas lorsque le sujet est complexe mais cela peut aussi être lié à la qualité du ciblage d'un dispositif.
M. Philippe Marini, président. - C'est une construction intellectuelle complexe, faite pour l'information du Parlement.
M. Alexandre Grosse. - Il me semble que la ligne directrice du rapport de la Cour des comptes, sans changer de paradigme, consiste à substituer un pilotage par la dépense à un pilotage plus axé sur la recette. C'est ce qui s'est fait pour l'Etat il y a une dizaine d'années avec l'instauration de la norme de dépenses, pour les mêmes motifs que ceux qui animent aujourd'hui le débat sur le CNC - décorréler les recettes et les dépenses qui peuvent avoir un certain nombre d'effets pervers.
Malgré les spécificités du CNC, cela paraît opportun et techniquement possible, les aides automatiques représentant bon an mal an la moitié de l'ensemble des dépenses du CNC. L'autre moitié, les aides sélectives, est donc pilotable.
Mme Marie-France Beaufils. - Il faut revenir à la motivation qui a présidé à la création du CNC et des taxes destinées à l'alimenter pour aider la création dans le domaine du cinéma.
On ne peut reprocher au CNC de faire un effort dans le domaine de la création et lui demander de revenir sous la norme de dépenses du budget de l'Etat, alors qu'on lui a affecté des taxes afin de lui permettre d'être en dehors de cette contrainte et d'assumer une mission que l'Etat ne parvenait pas à remplir !
Les taxes ont été mises à la disposition du CNC avec cet objectif. Un regard critique sur la façon dont fonctionne le CNC, qui nous permette de vérifier s'il soutient véritablement la création et apporte les résultats qu'on en attend, me semble l'élément le plus important.
Vous évoquez les indicateurs de performances. Je suis plutôt critique dans ce domaine. Je ne suis pas sûre que ce soit le meilleur exemple à suivre ! J'aimerais savoir si ces indicateurs permettent d'apprécier à la fois la dépense financière réalisée mais aussi le projet mis en oeuvre.
J'en reviens à la numérisation. On sait que si la France compte davantage de spectateurs dans ses salles de cinéma, c'est grâce au travail de fond qui est mené depuis des années.
La Cour des comptes estime que l'apport du CNC est largement complété par l'apport des collectivités territoriales, sans lesquelles les choses ne se seraient pas faites. On sait aussi que les collectivités territoriales qui ne bénéficient pas d'un nombre de jours de diffusion suffisant ne sont pas aidées. On a donc mis des limites à l'aide apportée par le CNC. Si l'on avait ouvert les vannes pour les salles de toutes les communes, la dépense serait bien plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui. Si l'on arrête à la fin de 2012 ou au début de 2013, on va connaître de sérieuses difficultés pour mettre l'ensemble des lieux de diffusion à niveau.
Mon avis est donc assez partagé et je pense qu'il faut être attentif à ces différents points.
Par ailleurs, si l'on considère que le CNC bénéfice de trop de ressources, il faut que l'Etat récupère des taxes pour le budget général, mais celles-ci sont bien faites pour venir en aide à la création.
Dans mon conseil général, il y a quelques années, un élu voulait affecter les sommes issues de la taxe sur l'électricité à d'autres postes qu'à celui destiné à répondre aux besoins électriques, dans le cadre du budget général. Sur le plan déontologique, cela me pose problème ! A nous de nous donner les outils pour savoir si le CNC oeuvre bien dans son domaine. Je ne pense pas que l'on doive détourner une taxe parce que notre budget est aujourd'hui en difficulté.
M. Philippe Marini, président. - On pourrait réduire les taxes !
Mme Marie-France Beaufils. - Je n'ai pas l'impression que le CNC dépense indûment les taxes qu'il perçoit. Vous avez mis en cause le système de provisionnement. J'ai un problème par rapport à la façon dont on pose les questions ce matin. Si j'ai bien compris, la Cour des comptes réclamait ce provisionnement pour pouvoir répondre aux engagements pris antérieurement...
Je ne vois pas pourquoi on estime que ces taxes ne devraient plus soutenir la création mais alimenter le budget général. Peut-être faudrait-il considérer qu'il s'agit d'une fiscalité nouvelle que l'on applique à certaines sociétés.
M. Philippe Marini, président. - C'est un choix...
M. Jean Germain. - Je ne puis me dissocier de certaines des observations de la Cour des comptes ou du rapporteur général du budget et je serais plutôt favorable à un écrêtement ciblé des taxes affectées au CNC.
S'agissant de l'immobilier, est-on obligé d'accueillir tous les représentants des cultures étrangères à La Plaine Saint-Denis ? Il faut, je crois, trouver un juste équilibre. La direction de la SNCF doit déjà s'y installer. Ce ne sont pas des choses qui me choquent.
S'agissant des aspects de politique culturelle, je partage ce qu'a dit Marie-France Beaufils. Pourquoi le CNC a-il été créé ? Pourquoi des taxes lui ont-elle été affectées ?... Pour mener une certaine politique ! Qu'il faille plus de règles en matière de conflits d'intérêts ou de composition du conseil d'administration me paraît logique mais on ne peut, dans une période difficile, écarter d'un revers de main le fait qu'il existe un enjeu culturel et un enjeu économique. Il convient de soutenir une industrie dynamique qui fait honneur à notre pays !
Quand, dans notre pays, une tête dépasse, il faut faire fonctionner la guillotine ! Je suis contre la peine de mort, y compris sous forme de « spoils system » ! Je pense que la politique culturelle, en France, doit prendre le pas sur le respect strict de l'orthodoxie budgétaire.
Léo Ferré a dit : « L'ennui, avec la morale, c'est que c'est toujours celle des autres » ! En matière de bon sens, c'est la même chose ! Nous ne sommes pas uniquement conviés à un banquet mais aussi à une discussion culturelle qui aura des conséquences importantes.
Par ailleurs, je voudrais savoir où l'on en est de la taxe sur les opérateurs de télécommunications et, notamment, des discussions avec la commission européenne à cet égard.
S'agissant de la numérisation des salles, elle est importante pour la vie du cinéma en province et pour une bonne couverture du territoire.
Enfin, où en est-on du soutien au cinéma d'art et d'essai ? Dans mon agglomération existe une association, « Les studios », qui fonctionne très bien. L'apport du CNC est vital pour elle si elle veut faire face aux autres distributeurs.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - J'ai rappelé que 120 longs métrages co-financés par le CNC étaient produits dans 38 pays. Il y a peut-être parmi eux quelques pays francophones mais qu'en est-il pour ce qui est des autres ? A partir du moment où ces films ne sont pas en langue française, quel est l'impact sur l'économie française ou le rendement financier de ces films en termes de retour sur investissement ?
J'aimerais par ailleurs adresser une question à M. Miles : pourquoi l'article 26 du projet de loi de finances pour 2013 fait-il sortir le CNC du champ du dispositif de plafonnement des taxes affectées aux opérateurs ?
On numérise des films anciens et c'est une bonne chose pour maintenir ce patrimoine mais celui-ci n'appartient-il pas à des sociétés comme Gaumont ou Pathé ? Le cas échéant, pourquoi ne s'en chargeraient-elles pas ?
Nous participons au financement de très nombreux films. Sont-ils tous projetés ? Existe-t-il un calcul de retour sur investissement pour chaque film ?
M. Grosse a répondu à ma question à propos des contrats d'objectifs mais personne n'a répondu à mon interrogation sur la lettre de mission du président du CNC...
M. François Fortassin. - Je vais faire une comparaison. Dans ma région, les Pyrénées, il existe un petit Etat qui ne paie ni TVA, ni impôt sur le revenu, qui n'a pas de plan d'occupation des sols, pas de station d'épuration. Sur 80 000 habitants, on compte moins de 10 000 citoyens. Quand on leur fait observer que c'est un peu curieux, ils répondent qu'ils gagnent de l'argent ! Avec sa démonstration et une analyse que j'ai trouvée certes très courtoise mais un peu rude, le CNC me fait irrésistiblement penser à la Principauté d'Andorre ! « Tout va bien, nous n'avons pas à nous justifier quant à nos dépenses, qui sont faites au plus juste » ! Je ne sais si vous vous considérez hors du temps ou non. C'est votre liberté. Pour ma part, j'estime que ce mode de fonctionnement a quelque chose de surréaliste !
M. Edmond Hervé. - Sans surprise, différentes logiques s'expriment ce matin.
Personnellement, j'ai une certitude, celle qu'une bonne gestion, contrôlée intelligemment et loyalement, ne peut qu'ajouter à la légitimité du CNC.
J'ai été très surpris par certaines remarques du rapport : mise en place récente d'un conseil d'administration et absence de lettre de mission. Je suis étonné par rapport aux principes de bonne gestion mais je demeure un avocat indéfectible du CNC.
Je pense en second lieu que nous pourrions être utiles au rôle et au rayonnement du CNC si nous renouvelions cette audition dans un an.
Enfin, je souhaiterais savoir si les taxes affectées au CNC sont ou non incluses dans le calcul des prélèvements obligatoires.
M. Christopher Miles. - Mme Blandin a évoqué la nécessité de rester très prudent lorsqu'on reforme les dispositifs d'aides et la politique culturelle. Il faut effectivement y veiller, ce qui n'exclut pas de rester ferme. Nous avons bien entendu la recommandation de la Cour des comptes et souhaitons, avec le ministère du budget, avancer sur l'élaboration d'un document de performances et même d'un contrat de performances qui nous permette d'enrichir l'ensemble des indicateurs, ainsi que le suivi des aides, mais aussi de travailler sur un certain nombre d'audits et de certifications souhaités par la Cour des comptes.
Plusieurs types de contrôles ont été mis en place par le CNC depuis quelques années à la suite du précédent audit de la Cour des comptes. Nous pouvons encore progresser dans ce domaine. Pour répondre à une interrogation du rapporteur général, seuls 46 opérateurs sur 82 sont en effet suivis par un contrat de performances. Cette démarche a été mise en place depuis cinq ou six ans et nous avons priorisé les opérateurs en termes de taille. Le ministère de la culture couvre donc actuellement 70 % des subventions versées à ces opérateurs. Il y en a parmi eux de fort petits - comme certaines écoles d'architecture - pour lesquels la démarche est plus progressive.
En ce qui concerne le plafonnement des taxes affectées aux opérateurs et l'article 26 du projet de loi de finances pour 2013, la discussion interministérielle a été arbitrée par le Premier ministre au motif que nous sommes dans une phase d'incertitude sur une partie de la taxe sur les services de télévision (TST), celle à laquelle sont assujettis les distributeurs. La discussion sur l'assiette de cette taxe ne permet pas de préjuger de son évolution.
Même à périmètre constant, les stratégies de contournement mises en place par certains opérateurs et le plafonnement du nombre de personnes ayant recours aux fournisseurs d'accès font que le dynamisme de cette taxe n'est plus aussi affirmé qu'auparavant. Il nous a semblé qu'un plafonnement serait donc hasardeux, ce qui n'exclut pas une logique de pilotage par le taux. Le Parlement peut aussi intervenir sur le taux de cette taxe.
Par ailleurs, une partie des aides versées - les aides sélectives - peut faire l'objet d'une stratégie pluriannuelle qui pourrait être examinée avec le CNC, notamment dans le cadre des documents de performances que nous évoquions.
Enfin, s'agissant de la lettre de mission au président du CNC, nous sommes en train de travailler avec son accord sur ce document au sein du cabinet du ministre de la culture. Je pense que nous aurons, d'ici la fin de l'année, ou, au plus tard, dans le courant du premier trimestre de l'année prochaine, une lettre de mission pour M. Garandeau.
M. Eric Garandeau. - La logique de notre modèle, qui est une forme d'épargne forcée, permet d'exercer un effet de levier sur la production d'oeuvres nationales.
Nous soutenons environ 12 % du devis des films de cinéma, 14 % du devis des films audiovisuels. On corrige un rapport de force extraordinairement déséquilibré en défaveur de la France, petit pays, par rapport aux Etats-Unis, qui ne peut amortir ses productions domestiques sur son marché avant de les exporter à bas coût vers les autres pays du monde. Ce système permet donc de corriger ce déséquilibre et de mutualiser les risques au sein de la filière.
Lorsqu'on a résolu le problème de la production, auquel font face nombre de pays qui ont une production trop faible pour s'imposer dans les salles, il faut ensuite résoudre le problème de la distribution et avoir un réseau de salles suffisamment développé, ainsi que des acteurs indépendants - notamment des distributeurs - qui puissent assurer la diversité culturelle. Il s'agit donc bien d'une conciliation entre des objectifs culturels et des objectifs économiques.
Tout cela nourrit une économie abondante, le CNC aidant un millier d'entreprises et apportant son soutien à 10 000 oeuvres par an, soit 1 % du PIB et 341 000 emplois. Les 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires deviennent même 66 milliards d'euros, si on envisage le secteur de façon large. On est dans là dans l'économie réelle.
M. Philippe Marini, président. - Ce n'est pas avec votre trésorerie disponible que vous les aidez !
M. Eric Garandeau. - Je pense avoir répondu à cette question...
S'agissant des taxes affectées, leur caractère proportionnel au chiffre d'affaires permet que l'effet de levier demeure. Si on plafonne le produit des taxes, on rationne les financements et on détruit la part de marché des films français en salles ou des programmes audiovisuels. Malheureusement, les temps à venir vont être très difficiles, en particulier du fait de l'arrivée des portails multinationaux et du numérique. La France va être concurrencée par des acteurs mondiaux et les séries américaines vont court-circuiter les chaînes françaises, qui financent principalement le cinéma et l'audiovisuel.
Si on fragilise le CNC, seul maillon que l'on contrôle réellement, l'effet de levier que peut créer le centre va jouer à la baisse. Le secteur audiovisuel a quadruplé en vingt ans et double tous les ans. Le compte de soutien arrive à peine à suivre cette progression. Si le chiffre d'affaires du secteur diminue, le volume des taxes collectées diminuera.
La croissance du CNC n'est pas indéfinie. Si l'économie audiovisuelle se rétracte, le compte de soutien diminuera. Tous ceux qui plaident en faveur de sa rétractation pourront être rassurés. Malheureusement, cela produira moins d'emplois et surtout du chômage dans un secteur très dynamique.
L'ajustement se fait donc à la hausse comme à la baisse. Si l'on estime que le CNC dispose de trop d'argent, on peut aussi modifier le taux des taxes. Le CNC n'a d'ailleurs pas poussé à l'augmentation de la taxe sur les fournisseurs d'accès, estimant qu'il faut conserver un lien avec l'économie ainsi qu'une progression régulière, nonobstant le choc de la numérisation des salles et des oeuvres. Les réserves numériques, les seules à être libres d'engagement, y étaient destinées. Nous avons pu le faire pour les salles ; nous ne pourrons pas le faire pour les oeuvres si le prélèvement de 150 millions d'euros prévu par le projet de loi de finances pour 2013 est acté. Il faudra trouver d'autres ressources, mais ce besoin est essentiel.
Grâce à la dotation qui nous a permis de réaliser la numérisation des salles, nous avons également pu continuer à renforcer le cinéma d'art et d'essai. La numérisation des films peut conduire, il est vrai, les salles à surtout diffuser des blockbusters américains. C'est pourquoi nous réfléchissons à transposer non seulement les mécanismes d'art et d'essai, mais aussi les engagements de programmation des multiplexes car ceux-ci permettent d'assurer la diversité.
Nous ne produisons pas trop de films ; j'ai rappelé que 207 films représentaient un tiers des films diffusés. C'est ce qui nous permet d'ailleurs d'avoir une part de marché de l'ordre de 40 %. Beaucoup de films ne réalisent-ils pas peu d'entrées ? Bien sûr : Michel Hazanavicius, en 1999, pour son premier film, « Mes amis », a réalisé 12 000 entrées. Valérie Donzelli, pour son premier film, a fait 27 000 entrées et s'est retrouvée deux ans plus tard aux Oscars. Michel Hazanavicius a également, de son côté, remporté cinq Oscars...
M. Philippe Marini, président. - Merci de votre plaidoyer. Tout cela est très intéressant...
M. Eric Garandeau. - Et concret !
M. Philippe Marini, président. - Rien de tout cela n'est contesté, ni mêmes contestable. Nous essayons simplement de faire prendre conscience du fait que le pilotage complexe et contraignant des finances publiques concerne tout le monde. Lorsqu'on a des recettes et des dépenses, on doit veiller à les ajuster au plus près.
M. Eric Garandeau. - Je citais le pourcentage d'augmentation des exportations, de la production, tout cela est très basique...
M. Philippe Marini, président. - Nous recevons à longueur d'année les représentants de tous les secteurs, de tous les intérêts particuliers, de l'ensemble des corporations. Nous connaissons ces plaidoyers : nous les entendons tous les jours !
M. Eric Garandeau. - Je ne sais si beaucoup d'organismes reçoivent des visites du monde entier pour transposer leur système à l'étranger !
M. Philippe Marini, président. - Il y a le CNC et le reste du monde : on a bien compris le sens de vos propos !
M. Antoine Magnant, sous-directeur de la fiscalité des transactions à la direction de la législation fiscale. - La direction de la législation fiscale n'exerce pas de fonctions de tutelle du CNC.
Toutefois, les taxes affectées au CNC figurent dans les prélèvements obligatoires et sont votées par le Parlement.
Les lois de finances présentées au Parlement cet automne comporteront un point de rendez-vous sur la TST « distributeurs » en raison de l'état de la discussion qui a lieu avec la Commission européenne.
De fait, le fiscaliste voit le principe de l'affectation des impôts d'un oeil plutôt désagréable et méfiant. D'un point de vue juridique et du fonctionnement général de la politique fiscale, il n'y aurait aucune difficulté à envisager la désaffectation des ressources affectées au CNC. Il n'y a pas plus de difficultés à modifier, dans un sens ou un autre, le taux des impôts qui lui sont affectés. S'agissant d'un prélèvement obligatoire et d'une imposition de toute nature, c'est le droit du Parlement d'intervenir.
M. Germain a demandé où l'on en était de la discussion sur la TST avec la Commission européenne. Patrick Lefas l'a dit : la partie « diffuseurs » de la TST n'est pas sécurisée et les discussions avec la Commission européenne sont en cours depuis presque un an. Le dispositif voté dans le cadre de la loi de finances pour 2012 ne s'applique pas, son entrée en vigueur étant suspendue à la validation du dispositif par la Commission européenne. Juridiquement, la date d'entrée en vigueur de ce dispositif doit être fixée par décret, au plus tard le 31 décembre 2012.
Soit ce dispositif sera validé par la Commission européenne et un décret interviendra d'ici la fin de l'année pour le faire entrer en vigueur, soit il faudra élaborer une autre assiette, soit les discussions continueront et un amendement devra alors décaler la date d'entrée en vigueur à 2013. C'est pourquoi nous aurons vraisemblablement un rendez-vous sur le sujet de la TST dans le cadre des lois de finances de cet automne.
Une assiette de la TST beaucoup plus large que celle qui existe aujourd'hui a été votée dans le cadre de la loi de finances pour 2012, pour arrêter l'optimisation de l'opérateur Free mise en place dès 2010 ; d'autres opérateurs ont mis en place des dispositifs similaires de façon à faire fondre la part de l'abonnement frappée par la taxe. L'assiette votée est donc extrêmement large. Les dépenses financées par le CNC relevant en droit communautaire de la catégorie des aides d'Etat, les ressources affectées à l'établissement relèvent du champ de l'analyse de la Commission européenne. Toute modification de l'assiette d'une taxe affectée au CNC doit être préalablement validée par la Commission européenne.
Celle-ci étudie le sujet sous l'ensemble de ces aspects ; il existe, en droit communautaire, depuis 2002, une directive en matière de télécommunications qui interdit de faire peser une imposition spécifique sur les opérateurs de télécommunications pour financer d'autres activités que le simple fonctionnement du marché.
Cette directive a été négociée au tout début de l'Internet. Il s'agissait de mettre en place une protection fiscale à une époque où le marché était balbutiant et où les investissements restaient à faire. Le droit communautaire a donc protégé les opérateurs de télécommunications de toute imposition sur leur chiffre d'affaires.
La Commission européenne considère que le texte voté dans le cadre de la loi de finances 2012 est contraire à ce dispositif. Elle a refusé de valider le dispositif. Nous en sommes là. Les discussions sont intenses et menées à un niveau politique élevé. La prochaine réunion a lieu demain afin de voir, en cas de blocage total, s'il y a ou non possibilité de mettre en place des assiettes qui porteraient sur un champ proche, plus étroit, tout en préservant les grandes lignes du dispositif voté, à savoir un impôt à la charge des fournisseurs d'accès à Internet qu'ils répercuteront sur leurs clients.
La discussion technique est en cours. Il est donc difficile d'annoncer l'aboutissement des négociations à ce stade. Celles-ci sont longues, compliquées mais la France déploie tous ses efforts. Même si nous ne sommes pas tuteurs du CNC, nous sommes bien présents et dépensons une énergie considérable. Nous espérons un aboutissement d'ici la fin de l'année pour être au rendez-vous des lois de finances de cet automne. Il est donc difficile d'indiquer l'assiette et le rendement de cette taxe en 2013.
M. Philippe Marini, président. - Quoi qu'il en soit, il faudra passer par le Parlement !
M. Patrick Lefas. - Le débat a été assez riche, avec des moments intenses.
Je suis sûr que cela permettra aux ministères de tutelle du CNC de réfléchir, dans le cadre d'une contrainte qui s'impose à tous, ainsi que vous avez été nombreux à le rappeler.
Face à un bon élève, on est en droit d'être plus exigeant que face à un mauvais élève ! Il s'agit de prélèvements obligatoires dont l'assiette s'est progressivement éloignée du contenu et nous avons de plus en plus affaire non à des usagers mais à des contribuables.
Le mode de financement du CNC doit être revu ; ce que j'ai entendu du secrétariat général du ministère est plutôt encourageant, même si j'aurais aimé qu'il aille plus loin. La logique qu'il faut développer est celle d'enjeux pluriannuels dont le pilotage est assuré par la dépense. Il en va de votre responsabilité de juger en opportunité, en fonction de l'ensemble des intérêts. Le fil directeur réside donc bien dans l'énoncé des besoins.
Le président du CNC, avec la force de conviction qu'on lui connaît, a mis en avant les éléments positifs et le fait qu'on est dans un combat mondial. Il a estimé que si le CNC ne bénéficie plus de la même ouverture de la part de la représentation nationale, celui-ci va aller à la catastrophe. Il n'en est rien et il n'est qu'à se reporter à l'exemple des acteurs mondiaux qui arrivent sur l'ensemble des supports grâce à l'Internet : la clé n'est donc pas le CNC.
Le tableau de la page 17 du rapport est à cet égard très intéressant. Il démontre que, dans le financement de l'audiovisuel et de la filière cinématographique figurent le CNC, mais aussi les diffuseurs de productions audiovisuels pour 840 millions d'euros, la diffusion « production cinématographique » pour 360 millions d'euros, les nombreux crédits d'impôt, les Sociétés pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel (SOFICA) et les collectivités territoriales.
Tout cela représente beaucoup d'argent public. Il s'agit, par conséquent, de voir dans quel cadre il peut y avoir une meilleure utilisation de ces financements. Cela renvoie bien au positionnement des chaînes et à la question de savoir pourquoi le CNC doit intervenir. C'est dans cette interrogation que réside la clé de la réflexion sur la politique publique de financement du cinéma et de l'audiovisuel.
Marie-France Beaufils s'est demandée si l'écrêtement ne risquait pas de remettre la mutualisation en cause. Non ! Pourquoi ? La TST « distributeurs » (TSTD) n'est en effet pas connectée au soutien automatique. Il n'y a donc pas de conséquence en la matière.
Par ailleurs, le lien entre le fait générateur de cette taxe, son assiette et son objet est de moins en moins évident. La TSTD n'est pas sécurisée et pose donc un réel problème.
La TSTD ne va-t-elle pas disparaître du fait de la stratégie des opérateurs de télécommunications, inspirés par Free ? Nous avons entendu ce discours l'année dernière. Il ne s'est en fait rien produit grâce au jeu des compensations. Pour le moment, cette ressource est globalement extrêmement dynamique.
M. Philippe Marini, président. - Nous n'avons pas encore totalement exploité votre rapport. Il est extrêmement riche et il faut vous en remercier particulièrement, ainsi que l'équipe de la Cour des comptes qui y a oeuvré.
Cette audition ne va pas totalement au bout des choses ; il s'agit d'une audition d'étape. Elle a cependant été très vive, très active et sans langue de bois, ce qui est plutôt une bonne chose pour l'institution parlementaire. Rendez-vous donc à la loi de finances, Monsieur le Rapporteur général !
Nous avons bien noté les étapes devant nous, tant pour ce qui est de se prononcer sur les articles 26 et 28 du projet de loi de finances que d'avoir, le cas échéant, à bâtir une taxation différente si nous n'arrivions pas à obtenir une validation par la Commission européenne de la TST « distributeurs » dans son état actuel.
Le Parlement sera au coeur des choix et l'on ne peut que se réjouit qu'il travaille de manière documentée, après de réels débats pluralistes. Merci aux uns et aux autres d'avoir contribué à notre information.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.
Crédit immobilier de France (CIF) - Table ronde
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition conjointe de MM. Bernard Sevez, président directeur-général du Crédit immobilier de France (CIF), Thierry Bert, délégué général de l'Union sociale pour l'habitat (USH), Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, Manuel Flam, directeur du cabinet de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, Rémy Rioux, directeur de cabinet du ministre de l'économie et des finances, Cyril Roux, premier secrétaire général adjoint de l'Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP), et Stéphane Massa, contrôleur spécifique de CIF Euromortgage, sur le Crédit immobilier de France (CIF).
Présidence de M. Philippe Marini, président
M. Philippe Marini, président. - De cette audition très attendue, le Sénat a été la seule assemblée à prendre l'initiative. Nous allons nous intéresser à la situation critique que connaît le Crédit immobilier de France (CIF) depuis la décision prise par une agence de notation de dégrader les conditions d'émission de sa dette et l'annonce par le Gouvernement d'octroyer au CIF sa garantie à hauteur de plus de 20 milliards d'euros, seul moyen, apparemment, d'éviter sa liquidation immédiate. Cette audition vise à comprendre l'ensemble des circonstances ayant conduit à cette situation, et les raisons qui ont présidé à leur enchaînement, à rassembler les analyses faites ces derniers mois, ainsi qu'à envisager les scenarii et solutions exploitables.
Par la presse, vous savez tous que le CIF a recherché un adossement. Il s'agira aujourd'hui de savoir pourquoi celui-ci ne s'est jamais concrétisé, et quels débats ont pu avoir lieu autour de cette idée. La Banque postale avait été pressentie ; cependant cette solution ne serait pas possible, de sorte qu'à présent les choses sont, pour un temps limité, comme suspendues. L'Etat, pour sa part, semblait avoir posé à la fin de l'été un certain nombre de conditions à l'annonce de l'octroi de sa garantie : d'après un document remis au conseil d'administration du CIF, il exige notamment la cessation de toute activité nouvelle de prêt aux particuliers et l'extinction ou, plutôt, la limitation de cette activité à la gestion des prêts déjà consentis.
Nous ne connaissons pas la durée de cette situation. Le premier problème qu'elle pose, et dont les dirigeants nationaux et locaux du CIF se sont émus, concerne les personnels - dont un représentant est d'ailleurs présent dans le public. En outre, la politique du logement est concernée, compte tenu de la part de marché que détient le CIF dans l'accession sociale à la propriété. Dans une conjoncture difficile, voilà une cause complémentaire de dépression de l'activité dans le secteur de la construction et de la rénovation immobilière.
Je souhaite que cette audition aborde les enjeux financiers, économiques et sociaux de la situation du CIF, l'une des trois grandes sociétés de crédit foncier (SCF) émettrices d'obligations foncières, ces obligations sécurisées à la française, que le Sénat avait contribué à créer en 1998. C'est à l'ensemble de ces enjeux que nous serons attentifs lorsque notre commission procèdera à l'examen du projet de loi de finances pour 2013, en particulier son article 66, qui tend à octroyer la garantie de l'Etat pour 28 milliards d'euros.
M. Bernard Sevez, président directeur-général du CIF. - Président directeur général du CIF depuis le 31 août 2012, je préside depuis trente ans la société anonyme coopérative d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP) de Savoie, comme avant moi mon père et mon grand-père, ainsi que le conseil d'administration de la Financière Rhône-Alpes-Auvergne. Enfin, je siège depuis dix ans au conseil d'administration de Crédit immobilier de France Développement (CIFD), la holding du groupe. Cette table ronde me donne une excellente occasion d'expliquer la situation du groupe, et les conséquences de la solution décidée par l'Etat.
Le CIF est un établissement de tradition mutualiste, qui joue un rôle essentiel dans l'accession à la propriété des Français aux revenus modestes. Si ses fondamentaux sont sains, sa dégradation par Moody's l'a placé dans une situation semblable à celle d'une bonne voiture sans essence. Les chiffres montrent sa rentabilité et sa solidité. Son résultat net a été de 78 millions d'euros en 2011 et de 37 millions au premier semestre 2012. Sa rentabilité est constante. Ses fonds propres atteignent 2,4 milliards d'euros. Son bilan est simple et transparent : le CIF ne propose que des prêts immobiliers, ne spécule pas sur les marchés financiers, ne détient pas d'actifs toxiques. Son taux de perte finale est équivalent à celui des autres banques.
La spécificité du CIF réside dans le fait qu'il est, avec le Crédit foncier, le seul établissement français à aider les Français modestes à devenir propriétaires de leur logement. Son encours représente aujourd'hui 200 000 emprunteurs qui n'auraient pas pu trouver de financement auprès des banques traditionnelles, depuis que les standards du marché exigent 20 % d'apport personnel pour une durée moyenne de prêt de 16 ans.
Dès lors, le CIF dispose d'un savoir-faire rare, unique, assuré par des collaborateurs expérimentés et spécialisés, maîtrisant les prêts règlementés et l'optimisation des aides financières octroyées par les allocations familiales.
Il est, de plus, doté d'un système de refinancement spécifique : ne recevant pas de dépôts, il se refinance exclusivement sur les marchés financiers. Bien que les agences de notation n'aient pas dans un premier temps mis en cause le bien-fondé de ce système, le conseil d'administration a toujours été attentif à immuniser l'établissement contre la dépendance aux marchés, notamment par la recherche d'un adossement.
En 2001, un premier projet en ce sens a été anéanti par le gouvernement de l'époque. En 2006, alors qu'un nouveau projet était en passe d'aboutir, le Gouvernement a lancé une réforme visant à capter nos fonds propres. En 2007, le conseil d'administration du groupe relançait le processus avec le conseil de la banque Oddo Corporate, avant de buter sur l'absence de projet industriel crédible. Depuis 2008, la crise a rendu impossible toute reprise du dossier. Nous nous sommes concentrés sur la défense de notre notation tout en restant vigilants à toute opportunité - nous avons discuté jusqu'à l'an dernier avec le Crédit agricole. La notation se maintenait : en février encore, le groupe a levé en senior secured le montant record d'un milliard d'euros.
La suite, vous la connaissez. Il faut être rigoureux sur les dates. En février 2012, l'agence Moody's a annoncé une perspective de dégradation de 114 banques européennes, dont le CIF, parfois jusqu'à 4 crans. Nous avons immédiatement informé la Banque de France, la Direction générale du Trésor (DGT), et l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) des risques induits. Bien que nous ayons immédiatement demandé à l'Etat la garantie nécessaire, seule la solution de l'adossement a été retenue. En mars, la banque HSBC était mandatée pour rechercher un candidat à l'adossement. Le 28 août, après l'échec de la solution de la Banque postale préconisée par l'Etat, Moody's dégradait la note du CIF. Le 1er septembre, l'Etat est contraint d'octroyer sa garantie en contrepartie d'une résolution ordonnée, sous réserve de validation du dispositif par le Parlement et la Commission européenne. Deux conditions en particulier devaient être réunies : la liquidation du CIF et l'appropriation par l'Etat de ses résultats, dont ses 2,4 milliards de fonds propres, plus l'éventuel boni de liquidation. Cela serait inéluctable en raison des règles européennes. J'en doute sérieusement.
Les conséquences sur l'emploi et l'accession sociale à la propriété de la disparition du CIF seraient majeures : près de 2 500 salariés licenciés, dont 1 600 immédiatement, auxquels il faut ajouter 35 000 emplois menacés dans le secteur du bâtiment et chez les agents immobiliers. Nous ne croyons guère que l'activité de financement de l'accession sociale à la propriété soit reprise durablement par d'autres. L'efficacité de la politique du logement en sera affectée, et les files d'attente s'allongeront dans le parc locatif social. Enfin, la moitié de nos actionnaires disparaîtraient, ainsi que nos missions sociales. De nombreuses associations et de nombreux élus locaux se sont alarmés de la situation. Le CIF, ce sont en effet 772 conventions signées avec les collectivités territoriales et les acteurs du logement social et solidaire, 15 000 logements en accession à la propriété en zone ANRU en quatre ans et 250 millions d'euros d'opérations rendues possibles grâce aux missions sociales des SACICAP.
Nous attendons des pouvoirs publics une réponse durable. Nous pensons que le retrait des banques est structurel. Seule la constitution d'un outil public garantira la continuité de financement de l'accession sociale de manière pérenne et dans des conditions optimales de sécurité. Un service économique d'intérêt général serait compatible avec les traités européens. Le CIF, avec son savoir-faire, ses équipes et sa structure financière, pourrait en être une composante immédiatement opérationnelle.
M. Philippe Marini, président. - Le directeur général du Trésor partage-t-il cette analyse des faits ? Pourquoi Moody's a-t-elle attendu début 2012, pour signaler l'absence de dépôts comme une source de préoccupation et de défiance envers le CIF ? Est-il exact que l'adossement à la Banque postale avait été préconisé par l'Etat ? Pouvez-vous nous dire comment le dialogue s'est noué et autour de quels arguments ? Enfin, dites-nous en un mot vos préconisations pour l'avenir, et notamment si vous partagez les conclusions de Bernard Sevez.
M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. - Je tiens en effet à vous donner un éclairage complémentaire, dont je vous laisserai tirer toutes les conclusions.
On ne peut comprendre les enjeux sans avoir à l'esprit le modèle économique particulier du CIF. Celui-ci est une banque spécialisée dans l'octroi de crédits, essentiellement hypothécaires, aux particuliers. C'est une banque atypique, dans la mesure où il ne collecte pas de dépôts, et où le refinancement de ses crédits, qui vont jusqu'à 40 ans, est assuré exclusivement sur les marchés par des obligations foncières. Ces ressources sont à la fois courtes (10 ans en moyenne) et volatiles, puisqu'elles dépendent des fluctuations des marchés.
Ce modèle, bien qu'ayant persisté jusqu'à ce jour, est fragile. Du reste, les autres établissements spécialisés se sont tous adossés à des groupes bancaires. Les pouvoirs publics en avaient pleinement conscience. En 2006, le législateur a entendu permettre cet adossement : il s'agissait alors de banaliser le statut du CIF. Les tentatives n'ont pas abouti, pour des raisons nombreuses dont il faudrait demander le détail aux établissements alors candidats. La fragilité du CIF est devenue rédhibitoire avec la crise financière. D'une part, les investisseurs ont jugé que le modèle n'était plus viable ; à cet égard les communiqués de Moody's reflètent le sentiment général du marché et n'ont joué qu'un rôle de révélateur. D'autre part, les régulateurs jugent dangereux un modèle, qui était aussi celui de banques étrangères en difficultés : les normes prudentielles exigent désormais l'adossement des actifs à des ressources suffisamment stables. Dès lors, l'absence d'adossement à une grande banque devient un problème structurel.
Si Bernard Sevez indique que les résultats sont positifs, d'autres soulignent que la rentabilité n'est pas élevée et que le résultat n'est positif qu'avec un refinancement à bas coût, sur des durées très courtes, ce qui expose à tout moment le CIF à une remontée des taux. De plus, son bilan est plus risqué, parce qu'il propose à une partie de sa clientèle des crédits à taux variables, pas toujours plafonnés, ou à maturité révisable.
Il reste que la dégradation de la note du CIF a précipité le calendrier. Le 28 août en effet, la décision de Moody's plaçait mécaniquement le CIF en situation de défaut de paiement le lundi suivant, nécessitant l'intervention de l'Etat. Lors de la mise sous perspective négative en février 2012, le Trésor a été saisi, comme l'ACP et la Banque de France, afin, selon le CIF, de gagner des délais supplémentaires et, si possible, de trouver des solutions pérennes. Le Trésor a demandé au CIF de rechercher un adossement pour une raison simple : une intervention publique immédiate aurait nécessité l'approbation préalable de la Commission européenne au titre des aides d'Etat, et enserré cette sortie de crise dans un délai de six mois. A contrario, un adossement dans des conditions concurrentielles aurait pu être présenté à la Commission comme n'impliquant aucune aide, ne justifiant aucune mesure compensatrice rédhibitoire. J'ai donc indiqué au CIF dans un courrier daté du 22 mars, que je tiens à votre disposition, que la voie de la garantie publique n'était alors ni envisageable ni souhaitable, et qu'un adossement en dehors de toute intervention publique apparaissait préférable. L'Etat, qui était prêt à faire tous ses efforts pour aider le CIF dans cette recherche, n'excluait aucune hypothèse : « l'Etat examine actuellement toutes les options envisageables sans en écarter aucune à ce stade ».
Par la suite, nous avons toujours voulu donner du temps au CIF pour procéder à l'adossement nécessaire avec les meilleures chances de succès : lorsqu'elle a dégradé la note intrinsèque du CIF mi-mai, Moody's indiquait dans son communiqué que le CIF bénéficiait d'une forte présomption du soutien de l'Etat, ce qui permettait de maintenir la notation.
Il a pourtant fallu attendre juin, soit trois mois, pour qu'une data room soit mise en place à l'intention des repreneurs potentiels. La recherche d'un adossement s'est déroulée de début juin à fin août. Un seul candidat a étudié le dossier, la Banque postale. Le projet avait un sens industriel, pour la Banque postale qui souhaitait se développer sur le marché du crédit immobilier et qui disposait d'une bonne situation de liquidité. Malgré les encouragements de l'Etat, la Banque postale n'a pas souhaité réaliser l'opération, ce qui a condamné l'hypothèse de l'adossement.
Les raisons de cet échec sont multiples. Elles tiennent aux risques qui ont pesé sur la liquidité de la Banque postale, à la faible rentabilité du portefeuille de crédits détenu par le CIF, à son niveau de risque plus élevé que la moyenne, étranger aux normes de distribution de crédits en vigueur à la Banque postale, et qui l'obligerait à importer une chronique de pertes dans un environnement moins favorable. Enfin, l'absence de gains en fonds propres, voire le risque de diminution de ses propres ratios de solvabilité ont sans doute joué un rôle dans le renoncement de la Banque postale, qui n'a dû voir dans l'opération ni intérêt stratégique ni intérêt social.
A la fin du mois d'août, l'intervention publique visait à éviter un risque de marché et à rechercher les solutions pour un reclassement des salariés, dans un contexte où le CIF pouvait faire défaut quarante-huit heures plus tard. Les conditions d'intervention de l'Etat ont été présentées au conseil d'administration du CIF le 31 août au soir, avant qu'il ne demande l'octroi de la garantie. Elles comprenaient notamment l'arrêt de la production, l'extinction progressive de l'activité du CIF, le renoncement des actionnaires à leurs dividendes et à tout boni de liquidation. L'Etat a, en outre, acté le départ à la retraite du président Claude Sadoun, en indiquant qu'il s'attendait à ce que ce dernier renonce aux indemnités de départ accordées en juin 2012. C'est au vu de ces conditions que le conseil d'administration a demandé la garantie de l'Etat. Un document officiel est ensuite venu lever toute ambigüité sur l'octroi de la garantie de l'Etat.
La procédure a ainsi anticipé les demandes de la Commission européenne en matière de sauvetage d'entreprise. Celle-ci a précisé dans une communication de 2004 que l'Etat qui formule une telle demande doit présenter dans les six mois soit un plan de restructuration, prévoyant un retour à la viabilité sans aide à court terme, soit un plan de liquidation ordonnée. Un plan de restructuration était exclu dans le cas du CIF, qui n'était plus viable sans un adossement impossible à réaliser : sa mise en extinction progressive était inévitable. Toute production étant financée par des émissions garanties, elle contreviendrait à une autre communication de la Commission européenne datant de 2008, selon laquelle l'activité des établissements bénéficiant d'une aide d'urgence doit être réduite dès l'octroi de celle-ci.
Quant aux dividendes et au boni de liquidation, les actionnaires et certains créanciers doivent être exclus de toute aide. Le versement d'un dividende ou d'un boni de liquidation supposerait que la garantie de l'Etat soit accordée dans des conditions tarifaires telles que l'institution ne bénéficie d'aucune aide. J'ajoute que, contrairement à ce qu'on lit ici ou là, l'Etat n'a pas mis la main sur les fonds propres du CIF, puisque ceux-ci vont devoir couvrir les risques des établissements pendant une durée longue, probablement plus de 15 ans.
Enfin, je tiens à souligner que la question sociale est la raison principale de l'intervention de l'Etat. Dans les pays voisins, d'autres choix ont été faits, avec un impact sur les salariés d'une autre ampleur.
M. Philippe Marini, président. - Ramon Fernandez estime dangereux le modèle économique du CIF. Cyril Roux partage-il cette appréciation, et a-t-il eu l'occasion de le dire ?
La Banque postale considérait que l'intégration du CIF dans son groupe dégraderait ses ratios de solvabilité, et qu'elle aurait besoin de fonds propres supplémentaires. En êtes-vous d'accord ? Si oui, pouvez-vous nous fournir un ordre de grandeur ?
M. Cyril Roux, premier secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel. - Les autorités de contrôle ont effectué un suivi rapproché du CIF, sans disposer des instruments juridiques qui auraient évité à l'Etat d'intervenir aujourd'hui. Je vous précise d'emblée qu'étant tenu au secret professionnel en vertu de l'article L. 612-17 du code monétaire et financier, je ne pourrai pas aborder certaines questions au cours de cette audition publique.
Le CIF est un intervenant marginal dans le domaine du crédit à l'habitat, qui a pourtant connu une croissance spectaculaire. Le crédit immobilier a progressé de 6 % par an en France depuis 2007, contre 2 % en moyenne dans la zone euro ; il représente désormais 42 % du PNB français, contre 24 % il y a dix ans. Dans ces conditions, l'ACP comme la Banque de France doivent assurer une surveillance étroite des crédits. Le CIF détient 4 % des crédits à l'habitat, au lieu de 6 % il y a dix ans, en raison de la banalisation des aides à l'achat immobilier par des ménages modestes : les banques, notamment le groupe BPCE avec le Crédit foncier de France, distribuent désormais le prêt à taux zéro, le prêt d'accession sociale ainsi que le prêt social de location accession. Cela a amené le CIF à élargir son offre aux investisseurs personnes morales : l'affaire Apollonia en est l'illustration. Même si le CIF prête à beaucoup de ménages modestes, ce n'est pas l'institution qui accorde en moyenne, ni les prêts les plus longs, ni avec l'apport personnel le plus faible, ni avec le seuil d'endettement le plus élevé : un autre établissement est devant le CIF sur chacun de ces critères.
Sa structure de financement est atypique, puisqu'il se finance intégralement sur les marchés, sans adossement à un puissant acteur financier. Il emprunte sur le marché en émettant des obligations foncières par le biais de CIF Euromortgage, et pour que ses titres soient bien notés, il titrise ses crédits en distinguant des parts de première perte, conservées par le groupe, et des parts senior apportées à CIF Euromortgage. Le besoin complémentaire de financement est couvert par des émissions en blanc de la 3CIF, la centrale de trésorerie du groupe.
Ce modèle est fragile, le financement des nouvelles productions n'étant jamais assuré. L'adossement entre actifs et passifs est imparfait, puisque les passifs sont de moins longue durée que les actifs, même en tenant compte des remboursements anticipés de crédits. Cette structure est unique en France. Le seul établissement comparable est le Crédit foncier de France qui, lui, est adossé à BPCE - il faut se féliciter rétrospectivement qu'il ait été repris par les Caisses d'épargne et non par le CIF.
Que le CIF ait failli faire défaut ne remet pas en cause le modèle français des obligations foncières et à l'habitat, même si des aménagements techniques sont souhaitables. Il a fallu rassurer les marchés sur la solidité de ces obligations, alors que les hypothèques sont souvent mal comprises par les investisseurs étrangers. L'intervention de l'Etat est nécessaire pour éviter une crise sur un marché qui représente des encours de plus de 300 milliards d'euros et 40 % du financement long des banques, crise qui eût été d'autant plus regrettable que nous travaillons à ce que les obligations sécurisées soient prises en compte parmi les actifs liquides au titre des ratios de liquidité LCR (Liquidity Coverage Ratio).
M. Philippe Marini, président. - J'insiste également sur ce point : il faut éviter de jeter la suspicion sur l'ensemble des obligations foncières, qui jouent un rôle clé pour tout le secteur bancaire.
M. Cyril Roux. - Des courriers en témoignent, la Commission bancaire, puis l'ACP avaient conscience, dès 2006, des difficultés du CIF, qui se trouve pourtant placé aujourd'hui en gestion extinctive d'activité. Pourquoi ? Au regard des risques spécifiques présentés par une activité, nous avons le droit d'imposer un niveau de fonds propres plus élevé que le niveau réglementaire. Nous l'avons fait en 2009, mais le CIF a obtenu l'annulation de cette décision par le Conseil d'Etat le 5 mars 2012. C'est pourtant ce qui permet de penser que la gestion extinctive, si elle est bien conduite - c'est-à-dire si les productions cessent rapidement et que les activités du groupe soient redimensionnées - ne sera pas in fine perdante.
Nous pouvons également, lorsque la solvabilité ou la liquidité d'un établissement est compromise, limiter ou interdire certaines opérations : arme redoutable, que l'on ne saurait employer qu'en cas de crise avérée. Nous l'avons employée ce printemps : constatant que le CIF ne parvenait plus à se financer sur les marchés, nous avons contingenté ses crédits afin que l'encours ne continue pas à augmenter.
Nous sommes en droit de suspendre des dirigeants et de nommer un administrateur provisoire, même si cela entraîne, dans le cadre juridique actuel, un remboursement anticipé et précipite ainsi le défaut au lieu d'assurer la continuité de l'activité.
Nous pouvions inciter le CIF à s'adosser à un groupe collecteur de dépôts, et nous l'avons fait régulièrement de la façon la plus formelle, sans succès.
M. Philippe Marini, président. - Longtemps avant le premier avertissement de Moody's, au début de l'année ?
M. Cyril Roux. - Le CIF, dans sa structure actuelle, date de la loi de 2006 portant engagement national pour le logement. A l'occasion de la rédaction de l'ordonnance, le gouverneur de la Banque de France avait écrit au ministre pour lui dire que « les autorités de contrôle veilleront à ce que le groupe dispose d'un niveau de fonds propre adéquat, qu'un adossement à un grand groupe bancaire serait par ailleurs de nature à conforter ». La banalisation du groupe CIF autorisait cet adossement. « Les autorités bancaires ne seraient pas opposées au maintien minoritaire des SACI si l'adosseur y avait convenance, sachant qu'en tout état de cause le groupe central disparaîtrait », concluait-il.
La question fut aussi soulevée au cours des débats parlementaires. On lit dans le compte rendu de la première séance du 6 décembre 2006 de l'Assemblée nationale : « les SACICAP n'ayant plus ce statut, elles ne seront plus incluses dans le futur réseau bancaire et il n'y aura plus d'imbrication. Cela ouvre la possibilité d'un rapprochement industriel entre le CIF et d'autres acteurs bancaires, qui se fera, comme Jean-Louis Borloo s'y était engagé, à l'initiative du CIF ».
Nous avons demandé en 2009 l'augmentation des fonds propres du CIF, insuffisants faute d'adossement, et s'il n'est pas permis de révéler la teneur des lettres de l'établissement, voici ce que le Conseil d'Etat écrivait dans sa décision : « la société anonyme Crédit immobilier de France Développement soutient, de façon argumentée, que le handicap qui résulterait de son absence d'adossement à un groupe bancaire n'est pas démontré ». Tels étaient donc les arguments que le CIF présentait aux juges.
M. Philippe Marini, président. - Pouvez-vous conclure en évoquant l'impact d'un adossement sur le bilan de la Banque postale ?
M. Cyril Roux. - Les dirigeants de l'établissement vous répondraient mieux que moi...
M. Philippe Marini, président. - Ils agissent sous votre contrôle.
M. Cyril Roux. - Il n'est pas sûr que l'opération aurait été rentable. Les résultats comptables du CIF, positifs, n'augurent pas de ses résultats futurs. Le CIF doit payer bien plus cher que par le passé pour se refinancer, parce que les obligations en blanc sont plus coûteuses, et que la part des obligations foncières est passée de 90 % à 70 % : les investisseurs exigent un taux de surcollatéralisation tel qu'il faut toujours davantage d'obligations en blanc, en jouant sur la courbe des taux. En outre, les comptes dépendent des provisions, et selon la manière dont celles-ci sont établies, on traduit plus ou moins vite les pertes futures dans les comptes : voyez l'affaire Apollonia. C'est ce qui explique les doutes de la Banque postale.
En outre, l'équilibre économique entre La Poste et la Banque postale fait que le coefficient d'exploitation de cette dernière est un enjeu très sensible. La reprise d'un portefeuille aussi important que celui du CIF (34 milliards d'euros d'encours), avec les structures de coût associées, aurait pesé fortement sur sa trajectoire.
Même en faisant abstraction des problèmes liés à l'intégration et au désintéressement des actionnaires, on comprend que la Banque postale ait considéré que l'adossement n'était pas dans son intérêt social.
M. Philippe Marini, président. - Je réitère ma question : quel coût cette opération aurait-elle eu en fonds propres ? C'est un sujet souvent débattu, sur lequel la plus grande transparence serait souhaitable.
M. Cyril Roux. - Je ne cherche pas à garder le secret. Seulement, l'affaire est très complexe : tout dépend si l'on considère les fonds propres en trajectoire, avec ou sans modèles internes...
M. Philippe Marini, président. - Je constate que vous ne souhaitez pas répondre. Jean Arthuis voulait-il aborder le même sujet ?
M. Jean Arthuis. - En 2006, l'Etat a prélevé 500 millions d'euros dans les caisses du CIF, qu'il a ainsi fragilisé. Qu'en ont pensé les autorités bancaires ? N'est-il pas contradictoire d'imposer en même temps des règles prudentielles plus strictes ?
M. Philippe Marini, président. - En 2006, Jean Arthuis et moi-même avions fait partie d'un « comité des sages » sur ce sujet, qui était sensible à l'époque.
M. Thierry Bert, délégué général de l'Union sociale pour l'habitat (USH). - Au congrès de l'Union sociale pour l'habitat, qui s'est tenu à Rennes il y a quelques jours, les 2 500 participants - la salle ne pouvait en accueillir davantage - ont adopté une résolution exprimant leur inquiétude et leur refus de voir disparaître le dernier acteur de l'accession sociale à la propriété. Le CIF, que l'on vient de présenter comme un acteur marginal du crédit à l'habitat, est un acteur de première importance de l'accession sociale et très sociale.
M. Claude Dilain. - Absolument !
M. Martial Bourquin. - En effet, cela change tout !
M. Thierry Bert. - L'an dernier, il a consenti un prêt à 45 000 familles qui n'en auraient pas obtenu autrement.
L'Union sociale pour l'habitat est, par sa génétique même, un mouvement social. Nous sommes convaincus que les banques ne se chargeront pas de l'accession sociale stricto sensu, ou qu'elles s'en chargeront de moins en moins, en raison des critères qui leur sont imposés : 20 % d'apport personnel, un prêt échelonné sur 20 ans au plus, et un taux d'effort inférieur à 33 %. Le feront-elles si on le leur demande ? Non : les banques sont en concurrence, elles rendent compte à leurs actionnaires, et leur objectif est de financer l'économie de la façon la plus rentable possible, ce qui est bien normal - j'ai moi-même été banquier...
Or si 45 000 familles échouent à obtenir un prêt, elles s'ajouteront à la liste des demandeurs ou des occupants de logements sociaux, ce qui aggravera encore la viscosité du parc, alors même que j'incite les bailleurs HLM à favoriser la mobilité, par exemple en s'entendant dans une région d'habitat. Et je ne dis rien du secteur de la construction, où des emplois sont également en jeu.
Les dividendes sociaux, peuvent être tenus en eux-mêmes pour « marginaux », puisqu'ils ne représentent que 45 millions d'euros, dont un tiers provient des dividendes versés par le réseau Procivis et les deux autres tiers du dividende social du CIF. Ils jouent pourtant un rôle de catalyseur, puisqu'ils consistent en avances remboursables servant à préfinancer des travaux d'aménagement pris en charge par l'Anah sur présentation des factures. L'Anah, elle, ne sait pas faire de préfinancement. C'est aussi ce qui explique l'inquiétude des collectivités.
L'Union d'économie sociale pour l'accession à la propriété (UESAP), qui est l'organe de tête des SACICAP, elles-mêmes actionnaires du CIF et de Procivis, est membre de l'USH, il est donc normal que nous défendions ses intérêts. Les SACICAP, créées avant la première guerre mondiale, comptent d'ailleurs parmi nos membres les plus anciens ; la loi Borloo a transmis à l'UESAP l'ensemble des droits et obligations incombant anciennement à la chambre syndicale des crédits immobiliers, et un décret en Conseil d'Etat a déterminé très exactement son organisation.
Les SACICAP, maisons mères du CIF, ont pour actionnaires et pour filiales des sociétés et coopératives HLM. Par le jeu non tant de la valorisation des actions que des provisions, elles peuvent donc être très déstabilisées par la crise actuelle. Je ne veux pas entrer dans la technique bancaire.
M. Philippe Marini, président. - De minimis non curat praetor !
M. Thierry Bert. - Ce n'est pas mon rôle. Je représente les 56 SACICAP membres de l'Union. Je demande que l'on reconsidère le dispositif envisagé par le Gouvernement : est-il normal que l'argent accumulé pendant plus d'un siècle par les SACICAP, grâce à leur activité parfaitement légale de crédit immobilier, revienne entièrement à l'Etat ? Il faudrait le justifier.
En outre, une étude approfondie devrait être conduite sur la politique de l'accession sociale à la propriété. Si l'on considère que celle-ci doit se plier aux règles prudentielles imposées au marché, et que ceux qui ne satisfont pas les critères n'ont pas à devenir propriétaires, qu'on le dise !
Personne ne souhaite que le modèle actuel de financement du CIF, qui repose entièrement sur l'hypothèque, soit préservé à l'identique. Il ne faut pas moins trouver le moyen de financer l'accession sociale à la propriété, en y associant une entité publique ou privée et en définissant des règles spécifiques.
M. Philippe Marini, président. - Voilà une excellente introduction aux interventions des représentants du Gouvernement. Comment encourager l'accession sociale à la propriété, et selon quelles règles ? Quels droits l'Etat détient-il sur les fonds propres accumulés par le CIF ?
M. Rémy Rioux, directeur de cabinet du ministre de l'économie et des finances. - J'ai souhaité participer à cette réunion afin de témoigner de la mobilisation du ministère de l'économie et des finances sur ce sujet, prioritaire pour l'ensemble du Gouvernement. Je ne reviens pas sur les explications techniques du directeur général du Trésor, nécessaires pour éclairer chacun. Au nom du ministre, je souhaitais délivrer un message plus politique. Depuis sa prise de fonctions, Pierre Moscovici s'implique personnellement dans ce dossier. Si l'Etat a dû annoncer qu'il apporterait sa garantie au CIF, sous réserve de l'approbation du Parlement et de la Commission européenne, c'est après plusieurs mois de recherche active d'un repreneur, et en ayant conscience qu'il faudrait justifier cette aide à Bruxelles.
Notre objectif principal est de réduire l'impact de cette crise sur l'emploi. En évitant la cessation de paiement, nous avons cherché à gagner du temps afin de trouver une solution ordonnée qui protège les salariés. Nous avons eu des échanges avec les représentants des principales banques, et le ministre doit encore rencontrer demain ceux de la Fédération bancaire française (FBF). J'ai reçu l'intersyndicale le 14 septembre, le cabinet du Premier ministre l'a fait également, et nous attendons de la direction de l'entreprise un plan de reclassement.
Sur l'accession sociale à la propriété et l'avenir des SACICAP, je laisse Manuel Flam vous présenter la position du Gouvernement.
M. Manuel Flam, directeur de cabinet de la ministre de l'égalité des territoires et du logement. - Le ministère de l'égalité des territoires et du logement partage l'analyse économique de Bercy sur le modèle économique du CIF. Toutefois, il faut s'assurer que les missions exercées par celui-ci soient assurées à l'avenir, qu'il s'agisse de l'accession sociale à la propriété - la part de marché du CIF pour les ménages du premier décile est de 20 % - ou des prêts et avances pour l'amélioration de l'habitat consentis par les SACICAP au titre de leurs missions sociales. Nous avons plusieurs idées en ce sens. Pour que l'offre reste aussi sociale que celle du CIF, nous proposons de renforcer le PTZ + et d'améliorer la solvabilité des ménages grâce à l'optimisation des barèmes de l'aide personnalisée au logement (APL). La loi relative à la mobilisation du foncier public a autorisé une décote plus importante pour l'accession sociale. Quant aux missions sociales, pour lesquelles l'Anah ne peut se substituer au CIF, nous souhaitons qu'un groupe de travail réfléchisse à leur refondation. Un rapport serait également nécessaire sur la politique d'accession sociale à la propriété : ce chantier sera ouvert très rapidement. Il est enfin indispensable de créer un comité de liaison avec les salariés menacés du CIF, afin de favoriser leur reconversion.
M. François Marc, rapporteur général. - Bernard Sevez a rappelé que le CIF disposait d'un savoir-faire original et éprouvé depuis des décennies, notamment en ce qui concerne l'accession sociale à la propriété : il faut y être attentif. On projette de créer une banque publique d'investissement parce que les banques ne financent plus les PME ; le problème se pose aussi pour les collectivités territoriales. Veillons à ce que la même situation ne se reproduise pas pour l'accession sociale à la propriété !
Les rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées ont été avertis le 31 août que l'Etat allait devoir intervenir après la dégradation de la note du CIF par l'agence Moody's. Le Gouvernement a agi comme il le devait, mais plusieurs questions restent pendantes : il y a 2 500 emplois en jeu.
On peut d'abord s'interroger sur la gestion des risques au sein du CIF. Ni le rapport annuel de 2011, ni le rapport semestriel de juin 2012 ne mentionnent une éventuelle dégradation ni le risque lié à son modèle de financement, sauf dans une note annexée. Au contraire, ils présentent un dispositif complet de prévision et de gestion des risques, grâce en particulier à des réserves de liquidité importantes au sein de la 3CIF, équivalentes à six mois de prêts. Le risque et les conséquences d'une dégradation ont-ils été correctement évalués ? Le dispositif décrit était-il adapté, notamment pour ce qui est du risque d'illiquidité ? Si les normes de Bâle III avaient été en vigueur, quel aurait été le ratio de liquidité LCR du CIF, et aurait-il fourni un signal utile ?
Les SACICAP et leurs actionnaires ont-elles été correctement informées en amont des difficultés du CIF ?
L'adossement à la Banque postale a échoué, et aucun autre candidat ne s'est fait connaître. Pourquoi ne pas adosser le CIF à une autre entité publique ou para-publique comme la Caisse des dépôts, quitte à le restructurer pour ne conserver que ses activités non concurrentielles ?
M. Philippe Marini, président. - Cette solution était évoquée cette semaine dans Le Monde.
M. François Marc, rapporteur général. - Nous avons le sentiment qu'elle a été écartée trop vite. La Caisse des dépôts possède déjà, sans que la Commission européenne y trouve à redire, des filiales de marché comme la Caisse nationale de prévoyance ou Icade, sans parler du précédent de Natixis.
Après le Crédit foncier de France et Dexia, c'est au tour du CIF de rencontrer des difficultés. Le modèle des sociétés de crédit foncier est-il définitivement condamné ?
La gestion extinctive, dit-on, est la seule solution envisageable. Pourtant, malgré la réglementation communautaire relative aux aides d'Etat, de très nombreuses banques européennes ont reçu ces dernières années des aides publiques qui n'ont pas été remises en cause. Aux yeux de la commission des finances, ni les textes, ni la pratique de la Commission européenne ne rendent la mise en extinction inéluctable.
Nous sommes particulièrement attentifs au sort très incertain des 2 500 salariés, ainsi qu'à l'avenir de la politique d'accession sociale à la propriété, qui répond à l'attente de nos concitoyens. Le sujet a été évoqué au congrès de Rennes : n'y a-t-il pas une pépite à préserver ?
M. Bernard Sevez. - Depuis début septembre, à la demande de l'ACP, nous avons adopté les critères standard d'octroi de prêt. Notre production ne représente que 15 % de notre chiffre d'affaires : l'accession sociale en fait - en faisait - 85 %. Nous avons le sentiment que l'Etat nous a mis dans un corner. On disait que l'adossement à une banque était la seule issue possible, et que c'était la Banque postale. Malheureusement, celle-ci l'a refusé, ce que l'on peut comprendre.
M. Philippe Marini, président. - Vous le comprenez donc ?
M. Bernard Sevez. - La Banque postale a ses raisons, mais elle a aussi un actionnaire... Nous nous étions placés dans la solution préconisée par l'Etat, avions ouvert une data room, la Banque postale nous avait adressé 667 questions, et nous avons appris son refus par voie de presse ! Moody's a dégradé notre note le 31 août, ces messieurs sont venus, et on présente aujourd'hui l'arrêt de nos activités comme inéluctable. Voilà la solution que l'Etat a mise en route si rien ne se passe en sortant d'ici. C'est très grave pour l'institution, pour ses salariés et pour l'accession sociale à la propriété.
M. Philippe Marini, président. - Monsieur le directeur général du Trésor, la Banque postale a-t-elle un actionnaire ?
M. Ramon Fernandez. - Je ne veux pas polémiquer. Bernard Sevez ne préside le CIF que depuis le 31 août ; il est de bonne foi quand il affirme que l'Etat a mis le CIF dans un corner : il n'a pas eu part à nos discussions avec son prédécesseur. Bien loin de l'y placer, l'Etat sort le CIF de son corner en lui apportant sa garantie et en évitant ainsi une liquidation immédiate ainsi que la casse sociale qui s'ensuivrait : c'est là notre principal objectif. Après des années d'avertissements, nous avons donné au CIF une chance de trouver repreneur, elle n'a pas été saisie, et je le regrette autant que vous, car nous y avons dépensé beaucoup d'énergie.
Peut-on échapper à la gestion extinctive ? Vous avez raison de poser cette question, et nous allons clarifier les possibilités avec la Commission européenne. Reste que la réglementation communautaire s'applique et que des banques ferment dans beaucoup de pays européens en contrepartie des mesures d'aide.
M. François Marc, rapporteur général. - Le CIF, lui, est rentable.
M. Ramon Fernandez. - A ce sujet, les avis divergent, je l'ai dit. S'il est si rentable, pourquoi n'a-t-il pas trouvé repreneur ? La Banque postale est bien détenue par l'Etat, mais pas seulement, et le même problème se serait posé à toute autre entité publique comme la Caisse des dépôts. Si cette dernière était intervenue au lieu de l'Etat, les contreparties imposées par l'Union européenne auraient été les mêmes.
M. Philippe Marini, président. - Je fais distribuer aux commissaires un document émanant des représentants du personnel, qu'il me semble utile de porter à leur connaissance.
Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente
M. Thierry Bert. - En ce qui concerne le contrôle des actionnaires, je parlerai au nom des SACICAP. L'Union sociale pour l'habitat désigne au conseil d'administration de l'UESAP un représentant qui est ensuite coopté. Les SACICAP reçoivent tous les rapports d'activité du CIF, et sont représentées au sein de ses sociétés régionales ; le conseil d'administration se réunit une fois par mois. Le contrôle est donc permanent, même s'il est légitime qu'une procédure écrite contradictoire détermine la chronologie.
Quant aux salariés, ne nous leurrons pas : si la Banque postale a refusé de reprendre le CIF, c'est parce qu'elle ne peut se permettre de dégrader son coefficient d'exploitation, qui est aujourd'hui de 83 %. Toutes les banques cherchent à réduire leurs charges d'exploitation, pour répondre aux demandes de leurs actionnaires, et même si l'on demande des engagements à la FBF, il est à craindre que les salariés du CIF restent sur la touche. Les banques s'étaient engagées à consentir des prêts d'accession à la propriété (PAP), ce qu'elles n'ont jamais fait. Elles avaient promis de financer les PME en contrepartie de la banalisation du livret A, et l'on crée aujourd'hui une Banque publique d'investissement. J'ai rédigé un rapport sur le micro-crédit, elles se sont opposées obstinément à ce que des statistiques soient fournies, malgré l'accord de la Banque de France et du Conseil national de l'information statistique...
Plutôt que d'épiloguer sur le passé, je souhaite qu'on se tourne vers l'avenir. On dit qu'il est impossible d'adosser le CIF à la Caisse des dépôts. Pourtant, son financement est assuré à 70 % par des obligations foncières tout à fait sûres, et si le taux a été ramené de 90 % à 70 %, c'est parce que l'on a exigé de plus en plus de collatéraux. Dans ces conditions, ne pourrait-on transférer une partie de cette activité sans grand risque, notamment de liquidité ?
Selon certains, accorder un prêt à des accédants trop pauvres conduit à la catastrophe : la durée de prêt est trop longue, le taux trop élevé et quelquefois variable, l'apport initial trop faible. Pourtant, un ménage incapable de se financer dans les conditions du marché ne va pas nécessairement dans le mur si on lui accorde un prêt. Etudions sereinement et sans préjugés toutes les solutions possibles ; je suis même disposé à parler technique s'il le faut...
M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - On connaît le savoir-faire du CIF. Plutôt que de débattre des responsabilités de chacun dans les événements passés, réfléchissons à l'avenir des 2 500 salariés, 300 agences et 4 000 emplois induits : nous sommes confrontés à une affaire d'Etat !
Comment envisage-t-on l'avenir de ces salariés ? On ne sait même pas quelle part des activités du CIF on veut mettre en extinction !
Y a-t-il une alternative durable à l'offre de prêts du CIF ?
Comment assurer le financement des activités sociales des SACICAP, en particulier des conventions avec l'Etat pour la construction de 25 000 logements ?
J'entends les sachants dire qu'il n'y a pas d'autre issue que la gestion extinctive d'activité. Circulez, il n'y a rien à voir ! On connaît l'ACP, les ratios d'exploitation, l'adossement..., l'on sait aussi que les chiffres globaux ne correspondent pas toujours aux réalités régionales. Ne peut-on au moins réfléchir à d'autres solutions ? Voilà les questions que se posent le mouvement social et les élus, et c'est notre rôle de vous les soumettre.
M. Éric Bocquet. - Ma première remarque vise à souligner le paradoxe sidérant qui veut que Moody's ait abaissé la note d'un établissement qui a fait la preuve de sa bonne santé. Vous êtes en bonne santé ? Docteur Moody's vous annonce que vous risquez d'être malade demain.
Deuxième remarque : la crise du logement est un enjeu considérable. La loi votée récemment par le Sénat visait à répondre à cette préoccupation. Le public concerné est constitué de ménages aux revenus modestes, ainsi que des salariés du CIF, car 2 500 emplois, ça n'est pas rien. Le CIF a fait la preuve de son utilité sociale, dans l'aide au logement et l'accompagnement des publics en difficulté.
Troisièmement, les contraintes qualitatives de l'ACP excluent les trois quarts des clients potentiels du CIF : on programme sa mort à petit feu.
Quatrièmement, il faut se ménager un temps de réflexion de l'ordre de 2 à 3 mois, et non pas de 2 ans. Créer un outil public est une piste intéressante ; je relaie ici le président Sevez pour souhaiter la constitution par le Parlement d'un groupe de travail avec tous les partenaires. Autre proposition : on pourrait imaginer une levée à titre conservatoire des restrictions imposées par l'ACP qui risquent de tuer le CIF plus vite que prévu.
M. Jean Germain. - Je m'associe aux propos de François Rebsamen. Je veux simplement rappeler la mobilisation des élus locaux. Le rôle du CIF dans l'accession sociale à la propriété est primordial. Dans l'agglomération que je préside, on a délivré 300 prêts immobiliers à taux zéro pour permettre à des ménages modestes de devenir propriétaires. Est-ce scandaleux ? Chacun fait là son travail, dans la logique qui est la sienne. Comment voulez-vous expliquer aux gens qu'on a mis des milliards pour renflouer de banques qui, Arte le rappelait hier, ont constitué aux Etats-Unis des cartels quasi mafieux et ruiné des gens ? En France, nos systèmes prudentiel, hypothécaire et d'obligations foncières sont meilleurs. Il ne nous revient pas de payer les pots cassés. Comment redresser la situation s'il est impossible d'obliger des banques à adosser une structure qui fait son travail et apporte la preuve d'une rentabilité, certes faible ?
Je pose à mon tour la question : qui demande l'extinction du CIF ? Quelqu'un ici peut-il dire clairement qu'il s'agit de la Commission européenne ? Si c'est nous qui le demandons, c'est un autre sujet, et je ne suis pas d'accord.
M. Martial Bourquin. - Je vais dans le même sens que les remarques précédentes. Je vous donne quelques illustrations dans mon territoire : la signature de 19 conventions de partenariat pour un engagement financier de 2 250 000 euros, la vente de HLM où le CIF est très présent, l'accession sociale en zone ANRU, la lutte contre la précarité énergétique, avec la signature dans chaque département du contrat local d'engagement avec le programme Habiter mieux, l'aide aux propriétaires occupants les plus modestes en matière de sortie d'insalubrité ou d'accompagnement du vieillissement... Tout ce travail, messieurs, aucune banque ne le fera, je vous le dis ! Ce n'est pas simplement un travail bancaire que le CIF conduit. Quand je mets en place un office public de l'habitat, le CIF est à mes côtés et accompagne les candidats pendant plusieurs mois. Et vous voudriez que moi, élu local, je laisse tomber tout ce service ? Ce serait viser les plus faibles car un banquier rirait si vous lui proposiez ces missions.
Je ne crois pas à la mort annoncée. Peut-être le système ne peut-il plus marcher de la même façon depuis les accords de Bâle III. Trouvons une solution, car ne pensez pas que le relais sera pris ! Le marché des réparations, l'industrie du bâtiment, tous ces secteurs ne sont-ils pas dans une situation suffisamment difficile ?
M. Francis Delattre. - Nous sommes tous élus locaux, membres d'une assemblée politique, nous connaissons parfaitement la question de l'accession sociale à la propriété, car il s'agit des besoins des populations que nous administrons. Je m'exprime ici au nom des commissaires du groupe UMP et je rejoins pourtant sur ce sujet Martial Bourquin : nous avons besoin d'un interlocuteur comme le CIF, pour les opérations à caractère social, mais aussi pour promouvoir la mixité sociale. La fabrique de la mobilité évoquée par Thierry Bert, mon département s'y emploie en faisant en sorte que les occupants de logements sociaux accèdent à la propriété, grâce aux conventions que vous signez, ce qui donne les moyens aux offices HLM d'investir et à nous d'introduire une mixité sociale par le haut, tout en invitant les offices à participer à des opérations de centre-ville. C'est un instrument indispensable dans la gestion des villes.
Ce qui me choque profondément, c'est le clivage qui nous sépare des partisans de l'extinction du CIF, dont le savoir-faire va nous manquer et qu'on ne saura pas réinventer du jour au lendemain. L'adossement, on a compris que c'était très difficile. Je veux néanmoins dire à Ramon Fernandez que quand on ne peut se marier par amour, il faut trouver des mariages de raison. Il y a des possibilités, fût-ce pour deux ou trois ans, avec la Caisse des dépôts. Encourageant ceux qui se battent pour maintenir l'instrument, j'invite Manuel Flam à être moins défaitiste face à Bercy : il trouvera un soutien sur tous les bancs de cette assemblée.
M. Jean-Pierre Caffet. - Je déplore comme mes collègues qu'une partie de cette réunion ait été consacrée au renvoi de responsabilités entre le CIF et son « administration de tutelle », sans que des solutions soient envisagées.
La question fondamentale à régler pour sortir de l'impasse est celle-ci : y a-t-il aujourd'hui encore en France une place pour l'accession sociale à la propriété, à quelles conditions, et par qui ? Pour ma part, je considère cela comme une mission de service public. J'ai entendu Thierry Bert souligner sa spécificité, justifier les conditions à remplir pour en bénéficier et reconnaître le savoir-faire accumulé dans ce domaine. A l'inverse, l'administration semble croire qu'il s'agit d'une activité banalisée et concurrentielle, ce qui impliquerait, selon cette formule magnifique, la gestion extinctive du CIF. Notre rôle est, d'essayer de sauver les 2 500 emplois et de répondre à la question fondamentale sur la place à l'accession sociale à la propriété - j'ai compris que 85% de l'activité du CIF était actuellement interdite.
Je serais tenté de reprendre la proposition d'Eric Bocquet : ne sortons pas de cette réunion en pensant que nous n'y pouvons rien. Nous nous refusons à laisser disparaître le CIF. Nous ferions oeuvre utile en constituant un groupe de travail avec tous les acteurs réunis autour de cette table aujourd'hui, dans le but de trouver des solutions d'ici la fin de l'année, et non pas dans un an ou deux.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - Je m'associe à l'ensemble des remarques qui ont été faites. Je crois qu'il faut savoir prendre des décisions politiques lorsque des sujets essentiels à la vie de nos administrés sont en jeu : un certain nombre d'habitants aux ressources fragiles comme les intérimaires n'auront jamais d'accompagnement bancaire pour accéder à la propriété.
M. Stéphane Massa, contrôleur spécifique de CIF Euromortgage. - Les contrôleurs spécifiques sont peu nombreux car il n'y a en France que neuf sociétés de crédit foncier. Notre cabinet en contrôle quatre. Nous faisons partie des contrôleurs externes, avec le régulateur et les commissaires aux comptes. Mais si ces derniers rendent comptent aux actionnaires, le contrôleur spécifique rend compte directement à l'ACP. Hier soir, j'avais d'ailleurs commencé par refuser de venir à cette table ronde, le secret professionnel ne m'autorisant à parler qu'à Cyril Roux.
Je veux néanmoins revenir sur la notion de société de crédit foncier. M. le rapporteur général, vous cherchiez tout à l'heure une pépite. Elle est ici : CIF Euromortgage. C'est la loi qui le dit, c'est Moody's. Si l'agence s'est sentie obligée de dégrader l'établissement d'un cran, il reste aujourd'hui noté comme l'Etat français. Il serait alors dommage de perdre une telle pépite. CIF Euromortgage respecte la loi et la réglementation prudentielle. Le ratio légal de couverture doit être supérieur à 102 %, et c'est le cas ; le montant des prêts cautionnés doit être inférieur à 35 % de son actif, et c'est le cas ; l'établissement peut détenir des billets hypothécaires pour une valeur inférieure à 10 % de son actif, et c'est le cas ; les valeurs de remplacement doivent être composées d'actifs sûrs et liquides inférieurs à 15 %, et c'est le cas.
Nous sélectionnons de manière aléatoire 400 dossiers de crédit par an. Les garanties sont-elles bien là : une hypothèque de premier rang, une garantie du type de société de caution du type Crédit logement ? Oui ! La règlementation applicable est respectée.
CIF Euromortgage restera une pépite jusqu'à la fin, sauf à modifier la loi.
M. Ramon Fernandez. - Nous sommes tout à fait conscients de l'importance et de la difficulté de la situation actuelle du CIF. Loin de nous l'idée de penser que l'affaire est banale et sans conséquences. L'administration reste au service de qui voudra, dans les formations que vous déciderez, pour chercher des solutions, car notre métier ne consiste pas seulement à regarder dans le rétroviseur.
Je redis simplement ceci : le modèle économique actuel du CIF est mort, nous en sommes tous d'accord. Il nous faut donc trouver d'autres instruments, sur la base des compétences et des savoir-faire, pour répondre à un besoin qui perdure. Dans le même temps, il nous faut poursuivre la discussion avec la Commission européenne afin de respecter le cadre juridique des aides d'Etat.
Ne considérons pas que les acteurs bancaires, qui forment une communauté très large, ne puissent pas jouer un rôle majeur pour trouver des solutions. Nous poursuivons les discussions notamment avec la Banque postale, présente sur le marché de l'accession à la propriété et qui reste déterminée à monter en puissance. C'est notamment pour évoquer cette question que le ministre de l'économie reçoit demain les banquiers.
M. Manuel Flam. - Nous avons beaucoup échangé avec le ministère des finances. Notre conclusion partagée, bien que ce ne soit pas de gaieté de coeur, est que le modèle économique du CIF est épuisé, que l'extinction était inévitable.
A mon tour, je souligne le rôle que doivent jouer les autres banques. Nous sommes aujourd'hui dans une situation où l'Etat est en situation de leur demander des comptes. Nous avons, au ministère du logement, engagé un travail important sur le renforcement du prêt à taux zéro, à partir duquel des propositions vous parviendront rapidement.
Il me paraît essentiel de saisir la proposition de Thierry Bert de constituer un groupe de travail sur l'accession sociale à la propriété. Seulement 5 % de l'accession sociale à la propriété provient du CIF. Il me semble donc souhaitable de disposer d'une vision globale et claire des moyens à notre disposition pour la renforcer.
Les solutions à construire sont devant nous. Les banques ont un rôle essentiel à jouer. Il est désormais de la responsabilité du ministère des finances de les solliciter.
M. Rémy Rioux. - Le Gouvernement entend fort et clair votre inquiétude. Cette séance, je l'espère, aura fait prendre conscience à chacun que le modèle économique actuel du CIF est parvenu à son terme. Il faut en revanche préserver les fonctions qu'il exerce. Les SACICAP doivent être pleinement associées aux discussions.
Soucieux de l'avenir des salariés du CIF, qui possèdent un savoir-faire incontestable, nous ne renonçons pas à exiger des autres établissements bancaires qu'ils fassent le maximum en leur faveur. Il n'y a aucune résignation : sans doute le taux d'emploi est-il stable ou en diminution dans le secteur, mais il y a des flux significatifs de recrutement. Il faut en outre réfléchir au sort du groupe CIF, voir précisément quelles activités poursuivre et lesquelles peuvent être reprises.
Quant aux activités sociales du CIF, nous convenons tous qu'il importe de les préserver. Nous verrons lesquelles peuvent être assumées par le marché, par la Banque postale... Pour le reste, nous suivrons les pistes que vous avez indiquées. Après l'urgence, nous entrons dans une phase active.
M. Bernard Sevez. - J'ai été extrêmement sensible au témoignage de nombreux sénateurs en faveur de l'activité sociale et locale du CIF. Tout le monde reconnaît le savoir-faire de nos salariés. Oui, le CIF doit changer de modèle. Je suis tout à fait d'accord pour intégrer avec notre actionnaire, l'UESAP, un groupe de travail créé à ce sujet. Cependant, nous sommes aujourd'hui à l'arrêt !
M. Martial Bourquin. - Il n'y a plus de prêts.
M. Bernard Sevez. - Si l'on tarde encore deux ou trois mois, le CIF sera mort. Il y a urgence !
M. Thierry Bert. - On dit le modèle économique du CIF épuisé, c'est plutôt son modèle de financement, sans adossement à une banque. Encore une fois, je souhaite que l'on examine de près les aides apportées au CIF : l'Etat apporte sa garantie, celle-ci est rémunérée. Est-il normal que tous les fonds propres et le boni finissent dans la poche de l'Etat ?
Quant au modèle économique, il est viable s'il se fonde sur une part d'obligations très sécurisées et une part d'obligations moins sûres, qu'il faudra garantir. Ce que l'on n'a pas encore précisé, c'est, si l'on voulait conserver un instrument adapté à l'accession sociale à la propriété, qui s'en chargerait, pour quel public, avec quels instruments et selon quelles procédures. Les spécificités de la politique d'accession sociale doivent être maintenues, sans aller trop loin, au risque d'une nouvelle crise des subprimes. Le CIF peut apporter une aide précieuse, grâce à un scoring très précis et à un monitoring mois par mois, qui expliquent que malgré une clientèle très difficile, l'établissement ait un ratio de sinistralité assez faible.
M. Cyril Roux. - Si les activités du CIF sont à l'arrêt, ce n'est pas à cause de l'Etat ni de la Commission européenne, mais faute d'investisseur. Les sociétés de crédit foncier sont-elles en cause ? Je ne le crois pas : elles restent notées comme l'Etat français. Fitch, qui les a mises sous revue à la mi-septembre, ne remet pas en question le modèle lui-même, mais pointe société par société telle ou telle fragilité. Le marché des obligations foncières françaises existe toujours : on peut y émettre et y échanger des titres. C'est un bien commun à préserver précieusement.
M. François Marc, rapporteur général. - Dès les premiers jours de septembre, nous avions le sentiment qu'il serait utile d'éclairer tous nos collègues sur les événements qui se sont déroulés depuis ce printemps et les conditions de l'intervention de l'Etat : cette audition y a servi. Elle a eu une écoute attentive. A l'avenir, peut-être les discussions entre le Gouvernement et tel ou tel établissement financier ou bancaire feront-elles évoluer les choses. Nous sommes disponibles pour participer à la réflexion collective. Le Sénat devra se pencher sur ce sujet à l'occasion de la discussion budgétaire, puisqu'il est prévu que l'Etat apporte sa garantie au CIF.
Nous avons aujourd'hui éclairé les choses, répondu à des inquiétudes et entrevu des pistes nouvelles.
Mme Marie-France Beaufils, présidente. - J'espère que le groupe de travail évoqué se mette en place très bientôt. Nous ne pouvons pas attendre la discussion budgétaire.