Mercredi 25 juillet 2012

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président

Demande d'attribution des prérogatives des commissions d'enquête, formulée par la commission de la culture à l'initiative de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur l'environnement et la santé - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport pour avis

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission a désigné M. Jean-Pierre Sueur, président, en qualité de rapporteur pour avis de la demande d'attribution des prérogatives des commissions d'enquête, formulée par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication à l'initiative de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur l'environnement et la santé.

M. Jean-Pierre Sueur, président.- Chers collègues, il ne vous a pas échappé qu'à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les conditions d'attribution des prérogatives des commissions d'enquête ont été modifiées. Je cite le paragraphe VII du chapitre X de l'instruction générale du Bureau : « Le Sénat peut conférer à l'une des commissions permanentes à l'initiative d'une mission commune, pour cette mission, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, dans les conditions prévues par l'article 22 ter du Règlement ».

Une mission constituée à l'initiative d'une commission permanente peut recevoir les prérogatives d'une commission d'enquête dès lors que le Sénat en décide ainsi, à la seule condition que cette demande soit recevable au regard de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. L'article 22 ter du Règlement prévoit que la demande doit comporter un objet et une durée déterminés.

Lors de la séance publique du mercredi 18 juillet, il a été porté à la connaissance du Sénat que Mme Sophie Primas, présidente de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur l'environnement et la santé, a demandé par l'intermédiaire de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication à disposer des prérogatives d'enquête aux fins d'entendre l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).

En cette circonstance, il est prévu par notre Règlement que la commission des lois donne un avis sur la recevabilité de la demande au regard de l'article 6 de l'ordonnance de 1958. Il sera fait état de cet avis à la Conférence des présidents qui se réunira aujourd'hui. Le Sénat devrait statuer sur cette demande le 31 juillet.

Je passe la parole à notre collègue Nicole Bonnefoy, membre de notre commission et rapporteur de la mission commune sur les pesticides.

Mme Nicole Bonnefoy.- Vous avez déjà dit l'essentiel, Monsieur le président. Les membres unanimes de la mission ont souhaité que soient demandés des pouvoirs d'enquête, afin d'obtenir des informations nécessaires aux travaux de la mission. Mme Sophie Primas siège à la commission de la culture et Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, compétente en matière de recherche, est intéressée par le sujet de la mission.

M. Jean-Pierre Sueur, président.- Madame Bonnefoy, vous avez reçu hier l'ANSES en audition, mais votre demande reste-t-elle valable ?

Mme Nicole Bonnefoy.- Oui, Monsieur le président, mais nous ne souhaitons pas seulement utiliser des pouvoirs d'enquête à l'égard de l'ANSES.

M. Jean-Pierre Sueur, président.- La demande qui a été transmise mentionne uniquement l'ANSES. Malgré l'attribution des pouvoirs d'enquête à la commission de la culture, vous restez rapporteur de la mission commune et Mme Primas en reste présidente.

Mme Nicole Bonnefoy.- La commission des lois n'a pas à se prononcer sur le fond de la demande d'attribution des pouvoirs d'enquête, mais seulement sur sa recevabilité.

M. Jean-Jacques Hyest.- Bien sûr, il faut pouvoir disposer de tous les moyens utiles pour conduire nos travaux de contrôle. J'observe cependant que vous avez reçu cette Agence hier. Je me demande également pourquoi la commission de la culture est compétente sur le sujet des pesticides ?

Mme Nicole Bonnefoy.- Il fallait une commission permanente pour faire la demande des pouvoirs d'enquête. Mme Primas est membre de la commission de la culture. Mme Blandin, par ailleurs membre de l'OPECST, est intéressée par le sujet des pesticides.

M. Jean-Jacques Hyest.- En fait, c'est la commission de l'agriculture...

Mme Catherine Tasca.- Je voudrais savoir, Monsieur le Président, s'il s'agit, avec cette demande, d'une dérogation ponctuelle ou s'il s'agit d'une nouvelle manière d'organiser les travaux de nos missions d'information.

L'attribution de pouvoirs d'enquête à la commission de la culture pour le compte de la mission commune sur les pesticides complique, en effet, la lecture des prérogatives et des compétences des différentes instances du Sénat.

M. Jean-Pierre Sueur, président.- Une commission d'enquête est créée par le Sénat. Aujourd'hui, cela peut être fait par « droit de tirage », pour une commission d'enquête mais aussi une mission commune d'information.

La mission commune d'information sur les pesticides a fait cette demande par l'intermédiaire d'une commission permanente, comme le prévoit notre Règlement.

Madame Tasca, je vous confirme qu'il s'agit d'une décision temporaire, qui a un objet et une durée déterminés, et pas d'une mesure de portée générale.

Je me permettrai de rendre compte de notre débat lorsque le Sénat se prononcera en séance publique mardi prochain.

La commission émet un avis favorable à la recevabilité, au regard de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de la demande d'attribution des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, formulée par la commission de la culture à l'initiative de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur l'environnement et la santé.

Cour européenne des droits de l'homme - Examen du rapport d'information

Puis la commission examine le rapport d'information de MM. Patrice Gélard et Jean-Pierre Michel sur la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Jean-Pierre Michel, co-rapporteur. - Trois raisons justifient que nous examinions la situation actuelle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et, au-delà, du Conseil de l'Europe.

Il s'agit tout d'abord de mieux faire connaître la situation de deux institutions encore trop souvent méconnues. La mission protectrice de la Cour est aujourd'hui compromise par la croissance exponentielle des recours individuels et le retard considérable qu'elle accuse dans le traitement de ces affaires, qui confine parfois au déni de justice. C'est ce qui explique notamment que le Premier ministre britannique ait proposé une réforme de la Cour. Il s'agit aussi de présenter les remèdes que le Conseil de l'Europe et les gouvernements des Etats membres ont tenté d'apporter jusqu'à présent à ces difficultés. Enfin, nous avons souhaité dessiner quelques perspectives pour l'avenir, en particulier sur le fonctionnement de la Cour et les mécanismes susceptibles de garantir que les Etats et les juridictions nationales appliquent les décisions de la Cour.

Créés après la deuxième guerre mondiale, le Conseil de l'Europe et la CEDH ont pour mission d'assurer la promotion des droits de l'homme. Saisie par la voie de recours étatiques -de manière exceptionnelle- ou -le plus fréquemment- par la voie de recours individuels, puisque ce droit est ouvert aux 800 millions de citoyens des 47 États membres soumis à sa juridiction, la Cour a pour mission de veiller au respect, par les États parties, des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme. Elle n'intervient pas comme un quatrième degré de juridiction mais s'assure de la conformité du droit national aux prescriptions de la Convention. La France, qui a ratifié cette dernière en 1974, reconnaît depuis 1981, à l'initiative de notre ancien collègue Robert Badinter, le droit au recours individuel.

La Cour fait face, depuis quinze ans et l'adhésion des pays de l'ancien bloc de l'Est, à une croissance exponentielle de son contentieux, puisque le nombre de recours a été multiplié par douze. Ces pays ne présentaient pas les mêmes standards que ceux de l'Europe de l'Ouest en matière de droits de l'homme. Le pari a été que leur intégration au sein du Conseil de l'Europe les aiderait, grâce aux procédures de tutelle ou de monitoring, à s'élever au niveau des standards de la Convention. Je rappelle qu'avec 47 Etats membres le Conseil de l'Europe compte 20 Etats de plus que l'Union européenne, dont la Turquie ou la Fédération de Russie : il est utile qu'une institution internationale puisse ainsi dire leur fait à ces pays sur le chapitre des droits de l'homme. Certes le Conseil de l'Europe hésite à prononcer des sanctions contre les Etats membres. Il s'agit de les aider à persévérer dans les progrès qu'ils accomplissent en dépit des retours en arrière que l'on peut regretter comme ceux, récents, de l'Ukraine, de la Hongrie ou de la Roumanie par exemple.

La Cour compte 47 juges, un par Etat membre. Elle ne connaît d'une affaire qu'à la condition que toutes les voies de recours internes aient été épuisées. Elle suit une procédure contradictoire et principalement écrite. Les juges peuvent émettre des opinions dissidentes en marge de la décision rendue, ce qui me paraît très démocratique.

Son greffe compte 640 personnes, dont 160 Français. Il remplit les fonctions d'un bureau d'enregistrement et d'une assistance juridique à destination des juges. Le budget de la Cour, très faible, s'élève à 65,8 millions d'euros, soit 8 centimes par an et par habitant : à peine le budget de notre Cour de cassation.

La Cour européenne des droits de l'homme incarne la conscience de l'Europe. Elle construit une jurisprudence dynamique et finaliste qui interprète la Convention à la lumière des conditions actuelles, ce qui lui permet notamment de statuer en tenant compte de l'évolution des moeurs, par exemple sur la question de l'adoption ou des enfants adultérins.

A de nombreuses reprises, des Etats membres ont dû modifier leur législation pour se mettre en conformité avec les décisions qu'elle avait rendues. Ceci pose une question : bascule-t-on vers un gouvernement des juges comme l'affirme David Cameron ? Sans doute la perception de ce dernier est-elle influencée par le fait qu'en Grande-Bretagne où il n'existe pas de contrôle de constitutionnalité, rien ne commande à la loi. D'ailleurs, deux décisions de la Cour concernant le Royaume-Uni y ont été très critiquées : l'une sur le droit de vote des prisonniers, l'autre sur les conditions d'extradition d'une personne accusée de terrorisme.

Cependant, la Cour applique le principe de subsidiarité et reconnaît aux Etats une marge d'appréciation pour appliquer les droits reconnus par la Convention. Elle en a par exemple fait application récemment dans la décision validant la présence des crucifix dans les écoles publiques en Italie.

Le principe du droit au recours individuel n'est pas remis en cause. Le serait-il, la Cour perdrait toute pertinence car les recours étatiques ne peuvent s'y substituer. Quelques Etats sont les principaux pourvoyeurs de recours individuels : la Fédération de Russie, la Turquie, l'Italie, la Roumanie et l'Ukraine. Nombre de ces recours sont identiques. Dans certains pays, comme la Turquie, des avocats démarchent des villages entiers pour recueillir des centaines de plaintes, les adresser à la Cour et s'en faire payer.

Les recours sont rédigés dans toutes les langues des États membres du Conseil de l'Europe, ce qui impose à la Cour des traductions nombreuses, assurées par des traducteurs défrayés par les États membres. Ce financement alimente certaines suspicions...

Les États membres et la Cour ont tenté de remédier aux difficultés évoquées. Trois conférences internationales se sont tenues à Interlaken, Izmir et Brighton. Les deux premières ont abouti à des protocoles additionnels qui ont permis le développement de nouveaux moyens procéduraux. La Cour a, quant à elle, réformé son fonctionnement en développant une politique de prioritisation qui lui permet de traiter les affaires selon un degré d'urgence qu'elle définit. Elle recourt également à des « arrêts pilotes » pour traiter les affaires répétitives.

A Brighton, le Premier ministre britannique, soutenu par la Suisse, a tenté de limiter le rôle de la Cour. Cependant, ni cette dernière ni le Conseil de l'Europe n'ont soutenu cette initiative. La France a observé une position modérée. La conférence s'est conclue sur une résolution en demi-teinte qui relève toutefois deux points importants. Elle insiste sur la nécessité de garantir une meilleure formation des avocats, des policiers et des magistrats aux droits reconnus par la Convention. Elle abandonne l'idée de sanctionner les Etats qui n'appliquent pas correctement les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Patrice Gélard, co-rapporteur. - La conférence de Brighton est une montagne qui a accouché d'une souris. Les problèmes demeurent et les solutions sont encore en pointillés.

La première piste consisterait à garantir une meilleure application par les Etats membres des droits et libertés reconnus par la Convention. Une majorité des recours émanent des ressortissants de 5 États : la Fédération de Russie, l'Ukraine, l'Italie, la Roumanie et la Turquie. En cette matière les plus récemment entrés ne sont pas sur le même pied que les États fondateurs, ce qui explique les réticences du Conseil de l'Europe à adopter des sanctions contre eux. La voie privilégiée est celle de la pédagogie. D'ailleurs, certains manquements trouvent leur origine dans une impossibilité matérielle pour l'Etat à satisfaire les exigences de la décision ou dans la nécessité de disposer de plus de temps pour ce faire. Pour la première fois en 2011, le nombre d'affaires répétitives en attente d'exécution a diminué. Il conviendrait, pour remédier à ces difficultés récurrentes, de garantir une meilleure application par les Etats membres du principe de subsidiarité. Ces derniers devraient notamment mettre en place des voies de recours accessibles à leurs ressortissants pour faire valoir les droits qu'ils tiennent de la Convention. Les mêmes Etats devraient aussi veiller à appliquer de manière anticipée la jurisprudence de la Cour sans attendre d'être condamnés pour le faire. Ils devraient aussi prévoir un mécanisme de contrôle systématique et a priori de la conformité des lois aux prescriptions de la Convention. Enfin, un effort est à engager pour mieux faire connaître la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui passe par des traductions plus nombreuses et une meilleure formation des magistrats nationaux.

La France a adhéré tardivement à la Convention et elle n'a reconnu le droit au recours individuel qu'en 1981. Elle a été mise en cause depuis lors dans 848 arrêts de la Cour et condamnée 627 fois -241 fois pour durée excessive de la procédure et 251 fois pour atteinte au droit au procès équitable. Par comparaison, l'Allemagne n'a été condamnée que 159 fois et la Grande-Bretagne que 219 fois. A plusieurs reprises, comme en matière de garde à vue, la France a tardé à mettre sa législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour.

Je tiens à saluer en revanche les efforts considérables du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation pour former les magistrats au droit conventionnel. J'observe une divergence d'appréciation entre ces deux hautes juridictions sur l'opportunité des avis consultatifs à la CEDH. Le Conseil d'Etat s'est prononcé pour, la Cour de cassation contre. Cette piste me paraît pourtant devoir être explorée.

Il nous semble par ailleurs que le Parlement devrait être plus à l'écoute de la CEDH et nous proposons que les études d'impact et les rapports des commissions examinent à l'avenir systématiquement la conformité du projet de loi au droit résultant de la Convention européenne des droits de l'homme.

S'agissant de la nécessité de dégager des moyens matériels et humains supplémentaires, cela concerne en premier lieu les juges : la contribution de chaque État membre, qui s'élève à 8 centimes d'euro par an et par habitant, est insuffisante, ce qui contribue à limiter le nombre des juges - dont la charge de travail est conséquente. L'augmentation du nombre des juges soulève toutefois plusieurs difficultés, notamment celle relative au nombre de magistrats qui serait attribué à chaque État ou la nomination d'un juge référendaire secondant chaque juge.

Se pose également le problème de la sélection des juges. En France, en 2011, notre proposition initiale de trois candidats n'était pas satisfaisante car l'une des candidatures ne répondait pas aux critères fixés par la Cour, si bien que nous avons été obligés de présenter une nouvelle liste. D'autres États proposent des juges visiblement incompétents mais bénéficiant de forts appuis. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe a mis en place une procédure de sélection et un comité d'experts afin de permettre une sélection rigoureuse des magistrats.

Par ailleurs, il n'y a pas d'avocats généraux ou de procureurs. Leur rôle est assumé par les greffiers. Il est nécessaire de doter la Cour de moyens humains supplémentaires, ce qui n'est pas sans poser des difficultés.

Sur la question des moyens financiers, ils sont en grande partie alloués par l'Union européenne : en effet, de nombreux programmes du Conseil de l'Europe sont financés à hauteur de 80 % par l'UE. Sans cet apport budgétaire, le Conseil ne disposerait pas des moyens nécessaires pour assurer ses missions.

En conclusion, se pose la question de l'adhésion de l'Union européenne (UE) au Conseil de l'Europe, comme membre à part entière. L'Union européenne n'est pas un État classique, ni un État fédéral, mais une union d'États qui joue un rôle fondamental auprès du Conseil de l'Europe. Rappelons que l'admission au Conseil de l'Europe est un préalable pour intégrer l'Union européenne. Que va apporter cette adhésion ? L'article 6, paragraphe 2, du Traité de Lisbonne prévoit l'adhésion de l'UE à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Le Conseil de l'Europe prévoit également, à l'article 17 du protocole n° 14, qui est entré en vigueur le 1er juin 2010, la possibilité pour l'Union européenne d'adhérer à la Convention. Peut-être cette adhésion permettra-t-elle un élargissement des possibilités de recours devant la CEDH, dans les domaines économiques par exemple. L'Union européenne pourrait ainsi être entendue dans les affaires jugées par la Cour ce qui offrira une possibilité nouvelle de recours aux particuliers qui pourront saisir la CEDH d'une plainte pour violation supposée de leurs droits fondamentaux par l'UE. A terme, on peut s'interroger sur les conséquences de cette adhésion : n'entrainera-t-elle pas un rapprochement entre la CEDH et la Cour de Justice, voire l'avènement progressif d'une unique Cour suprême européenne ?

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie nos deux rapporteurs pour leur exposé complet qui appelle, de ma part, deux remarques.

Lorsque nous avons visité la Cour, nous avons été impressionnés par le local dans lequel sont reçus les recours ; on se demande comment ils peuvent faire face à cet afflux considérable. Le fait que chaque citoyen puisse saisir la CEDH représente un grand progrès. Mais l'arrivée d'innombrables requêtes identiques pose la question de l'action de groupe et de son opportunité dans ce contexte.

Ma deuxième remarque porte sur l'effectivité des décisions rendues par la Cour. On se rend compte que lorsque la Cour rend une décision, les réponses qui y sont apportées par les États sont diverses. Existe-t-il des réflexions sur les moyens visant à renforcer l'effectivité des décisions de la CEDH ? Sans effet, ses décisions n'ont aucun crédit.

M. André Reichardt. - Je félicite les deux rapporteurs pour leur exposé et la qualité de leur rapport.

Je souhaiterais aborder un sujet qui n'a pas été évoqué : celui de la nécessité de croiser les statistiques qui nous ont été remises avec des observations ou appréciations plus qualitatives. Par exemple, certains pays font l'objet d'un nombre élevé de requêtes devant la Cour. Or, on ne peut pas se limiter uniquement à cette approche quantitative ; il faut nécessairement la croiser avec une approche qualitative. On ne peut pas mettre sur le même plan les pays de la « Vieille Europe » avec d'autres pays. Ainsi, on a beaucoup parlé récemment de la situation de l'Azerbaïdjan, lors de l'organisation du concours de l'Eurovision, alors qu'on constate un faible nombre de requêtes devant la Cour. On nous a répondu que ce nombre allait augmenter dans les prochaines années. Pour la Géorgie, nos interlocuteurs estiment qu'il s'agit d'un pays qui a fortement progressé depuis son adhésion au Conseil de l'Europe.

La conclusion de nos rapporteurs mérite d'être affinée avec des données qualitatives afin de ne pas tirer de conclusions trop hâtives.

M. Hugues Portelli. - A mon tour de remercier nos deux rapporteurs pour leur excellent travail. Je souhaiterais faire trois remarques.

Tout d'abord, une grande partie de la jurisprudence de la CEDH porte sur les droits procéduraux, dont l'application concerne les juridictions. La Cour de cassation et le Conseil d'État appliquent d'ailleurs fidèlement la jurisprudence de la Cour.

Ensuite, en favorisant l'adhésion de nombreux États au Conseil de l'Europe, certains juges, qui ne disposent pas de la formation juridique et de l'éthique nécessaires, sont, malgré tout, magistrats au sein de cette juridiction. C'est pourquoi les décisions de la Cour de Luxembourg sont souvent plus « solides » que celles rendues par la Cour de Strasbourg.

Enfin, quand on parle de la jurisprudence de la Cour, il faudrait différencier la jurisprudence prononcée par les différents niveaux. Car ce qui nous importe sont les décisions rendues en Grande chambre, comme le montre l'exemple du crucifix.

Pour conclure, je serais plutôt enclin à défendre la Cour de Justice de l'Union Européenne, qui est à l'origine d'un travail de grande qualité, et à être plus prudent envers la Cour européenne des droits de l'homme, dont le niveau d'exigence est moindre.

M. Alain Richard. - Certaines de mes observations vont dans le même sens.

En préambule, je souhaite souligner que toute intervention d'une juridiction internationale résulte d'un consentement des États à une réduction de leur souveraineté, qui doit donc s'interpréter strictement. Quand nous portons une appréciation sur le fonctionnement de ces institutions, nous devons nous garder d'une appréciation binaire, en critiquant la souveraineté nationale et en louant le rôle des juridictions internationales. Tout en ne partageant pas les réactions du Parlement britannique, force est de reconnaître qu'elles ne sont pas totalement infondées par principe.

Cette première observation condamne l'idée de mesures contraignantes d'application. Il existe aujourd'hui un traité, ratifié par quarante-sept États. Je souhaite bonne chance à quiconque souhaite proposer un abandon supplémentaire de souveraineté qui aboutirait à introduire dans le droit national des États membres une autorité procédurale supérieure à leurs juridictions nationales. Le fait de se trouver en désaccord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, quand celle-ci est valable, représente d'ores et déjà, en soi, un préjudice pour l'État. Il y a un effet d'impact, de visibilité internationale attaché à ses condamnations. Ainsi la Turquie paye-t-elle le prix fort dans un certain nombre de domaines, en raison de sa difficulté à respecter la jurisprudence de la Cour. Quant à la Russie, elle paye un prix économique massif car tout le monde sait qu'il ne s'agit pas d'un véritable État de droit. De ce point de vue, l'incitation à se rapprocher des critères des signataires existe même en l'absence de pouvoir de contrainte.

Sur la question du nombre de condamnations touchant la France, je partage les observations des précédents orateurs. Je ne crois pas que notre pays soit gravement défaillant en matière de droits de l'homme ! Les chiffres statistiques sur sa condamnation par la CEDH sont très peu significatifs : 80 % des condamnations ont été prononcées pour des raisons de procédure dans lesquelles il est demandé de rajouter un « effet cliquet » supplémentaire de protection des droits dans l'application d'une procédure, comme le prouvent les condamnations prononcées en matière de visites domiciliaires par exemple.

Quant à la tendance de la France à attendre d'être condamnée pour mettre en conformité sa réglementation avec la jurisprudence de la Cour, cette attitude est profondément logique : tant que nous ne sommes pas condamnés, nous ignorons les attentes de la Cour. Du fait de l'absence de parquet et donc, de rapporteurs publics, la lisibilité des motifs des condamnations est parfois laborieuse. C'est pourquoi il est préférable d'attendre la condamnation pour connaître les éléments sur lesquels nous devons nous mettre en conformité.

Je suis en revanche en désaccord avec Patrice Gélard : selon moi, l'Union européenne est bel et bien une fédération d'États dans certains domaines de compétences, tels que la politique de la pêche, la politique agricole commune ou encore la politique commerciale. Il s'agit bel et bien de politiques fédérales, certains États pouvant être contraints par une majorité d'appliquer une décision qu'ils n'ont pas prise. C'est d'ailleurs cette philosophie qui sous-tend les dispositions de l'article 6 § 2 du traité de Lisbonne : lorsque l'Union européenne est le décideur en dernier ressort, il est normal que ses décisions puissent être attaquées.

S'agissant de la question de l'encombrement de la Cour, rappelons que nous avons affaire à une juridiction autonome, qui vit sur une délégation de souveraineté limitée des États. Ainsi, toutes les solutions visant à remédier à ce problème ne se trouvent pas dans une modification du Traité. Il faut laisser la Cour s'autogérer, comme le font d'ailleurs les juridictions suprêmes. Il est inévitable d'avoir des saisines en série mais toutes les juridictions savent traiter ce type de difficultés.

Enfin, sur l'affaire des traductions, je ne pense pas que cela soit grave : quand on n'est pas sûr de la traduction, il est toujours possible de la faire refaire. Le fait que les traductions puissent être un peu légères ou qu'elles proviennent des États membres ne me parait pas être un facteur de suspicion sérieux à l'encontre de cette juridiction.

M. Michel Mercier. - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail intéressant consacré à la Cour de Strasbourg.

Je voudrais me placer sur un terrain différent des interventions précédentes. Il faut insister sur le rôle de la jurisprudence de la Cour et sa réception par notre droit interne et sa diffusion par les magistrats. Aujourd'hui, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est une source importante de notre procédure pénale et conduit à un abaissement de la loi comme source du droit pénal.

Il est important que la formation dispensée à l'École nationale de la magistrature prenne en compte la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Il est nécessaire pour les magistrats français de mieux connaître cette juridiction.

Il me semble par ailleurs que l'entrée de l'Union européenne au sein du Conseil de l'Europe permettra d'éviter des distorsions de jurisprudence entre la CEDH et la CJUE.

M. Jean-Yves Leconte. - Je m'associe aux félicitations adressées aux deux rapporteurs pour leur rapport. Je pense qu'effectivement, la Cour européenne des droits de l'homme est un atout pour la défense des valeurs européennes et notamment des droits de l'homme dans des pays d'Europe centrale et orientale que je connais bien pour m'y rendre depuis de nombreuses années. Les arrêts de la Cour y sont attendus des militants locaux des droits de l'homme. Le respect des droits et libertés fait partie de l'acquis communautaire mais gardons à l'esprit que l'adhésion à l'Union européenne, pour des pays comme la Roumanie et la Hongrie par exemple, ne les rend pas ipso facto respectueux des libertés fondamentales.

La perte de souveraineté que M. Richard évoquait à l'instant se fait au nom de ces valeurs. En Europe, seule la Biélorussie n'appartient pas au Conseil de l'Europe : c'est bien le signe que ce pays n'entend pas faire le moindre effort pour respecter les droits fondamentaux. En effet, malgré l'absence d'application des arrêts de la Cour, l'essentiel réside dans les progrès et au moins la volonté parfois imparfaite, parfois plus apparente que réelle, qu'ont des États de se conformer aux droits de l'homme. Dans cette optique, mieux vaut qu'ils soient dans le Conseil de l'Europe qu'en dehors.

Enfin, nul besoin de modifier les traités pour avoir entre États une évaluation, même informelle, du suivi des arrêts de la Cour de Strasbourg. A cet égard, le nombre de requêtes et de condamnations ne permet pas, à lui seul, de juger du respect par un État des droits de l'homme.

M. Jean-René Lecerf. - Malgré les différences entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité, j'aimerais savoir quelles sont, selon les rapporteurs, les incidences sur le respect des droits garantis par la Convention de la multiplication dans les États des exceptions d'inconstitutionnalité telles que la question prioritaire de constitutionnalité ?

Mme Hélène Lipietz. - Je veux vous livrer les réflexions d'une praticienne devant les juridictions françaises ou devant la Cour de Strasbourg de la Convention européenne des droits de l'homme. Les délais de traitement sont particulièrement longs devant la Cour : un dossier que je traite est instruit depuis onze ans !

L'efficacité des décisions de la Cour est démultipliée lorsque le Conseil d'État relaie la jurisprudence européenne, par exemple pour la violation du délai raisonnable de jugement. Grâce à la célérité de ses agents, une réponse sur ce genre de dossier peut être obtenue devant le Conseil d'État en seulement cinq mois.

Je voudrais également rappeler que tous les avocats n'exigent pas des honoraires prohibitifs pour plaider devant la Cour. La procédure d'aide juridictionnelle y est complexe car l'aide ne peut être attribuée tant que la recevabilité de la requête n'est pas tranchée. En revanche, son montant est plus important que celui qui est alloué devant les juridictions françaises.

Un défaut existe également dans la procédure devant le Cour car aucune amende ne peut être infligée en cas de recours abusifs.

Enfin, je suis toujours surprise par le déficit de connaissance par les agents publics du contenu de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans de nombreux arrêtés, des fonctionnaires préfectoraux visent, sans le connaître, l'article 8 de la Convention tout en le violant dans l'acte administratif. Dans ce cas, ce n'est pas la loi qui est incriminable mais la pratique. Un effort de formation en direction des agents publics me paraît donc indispensable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La Convention européenne, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, sont des références précieuses, comme le rappelait M. Leconte. Ces mécanismes de contrôle supranationaux sont, à l'origine, l'oeuvre des pays vainqueurs de la seconde guerre mondiale après l'expérience des pires atteintes aux droits de l'homme menées par des États pourtant démocratiques à l'origine. Il faut conserver à l'esprit que les droits de l'homme peuvent être bafoués même dans des pays démocratiques. La Cour européenne a démontré que même la France, pays des droits de l'homme, pouvait violer les plus élémentaires d'entre eux que ce soit en matière de garde à vue, de statut du parquet, etc. Quand on se réclame d'une tradition démocratique, il faut transcrire ces exigences dans la loi même si l'État est souverain et si le Parlement reste le législateur.

Une question pour conclure : constate-t-on une hausse de la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme en France ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je remercie tous les intervenants qui apportent leur contribution au rapport.

Comme il a été relevé par M. Portelli, la Cour juge effectivement d'un nombre important de questions procédurales, comme les questions de délai non raisonnable de jugement en Italie, mais aussi des problèmes de fond qui posent des questions à l'égard de la France. C'est le cas du statut et des droits des minorités nationales. Pour la France, cette question ne se pose pas sous cet angle ; lors des débats au Conseil de l'Europe, les représentants français considèrent d'ailleurs, malgré des arrêts sur la question, que ce point ne concerne pas notre pays.

Il en est de même pour la laïcité qui est une spécificité française. Les représentants français lorsqu'ils s'expriment sur ce point au Conseil de l'Europe sont minoritaires au sein de leur groupe. Une difficulté avec la Cour européenne interviendra un jour assurément.

Concernant la sélection des juges, la procédure a été améliorée, comme le note d'ailleurs M. Jean-Paul Costa, l'ancien président de la Cour. Les Etats présentent à la Cour une liste de trois candidats. Si elle estime qu'un des candidats ne répond pas aux exigences, la liste est rejetée dans son ensemble. Pour vérifier les aptitudes des candidats, un rapport est adressé par les candidats, intégrant un curriculum vitae, une déclaration pour prévenir les conflits d'intérêts et portant sur la maîtrise des langues et la participation à la vie politique. La Cour hésite à recruter ses membres parmi des hommes politiques. On constate qu'ils parlent de moins en moins le français. Tous les candidats sont ensuite entendus par une commission qui dresse un rapport pour classer les candidats. Ce rapport est déterminant mais il est contrebalancé par l'avis des délégations. Les garanties existent donc même si les différences de niveau entre candidats de différents États demeurent.

A titre personnel, je pense qu'une réflexion sera nécessaire à terme sur le maintien de plusieurs institutions européennes remplissant des fonctions comparables. Par exemple, Mme Catherine Ashton vient de nommer un ambassadeur pour les droits de l'homme - avec un cabinet de 15 personnes - alors que le Conseil de l'Europe a déjà un commissaire aux droits de l'homme.

M. Christian Cointat. - Ça manque de cohérence !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Sans être un fédéraliste convaincu, j'entends des personnalités étrangères, comme M. Martin Schultz, qui considèrent que le Conseil de l'Europe pourrait, à terme, devenir le Sénat de l'Europe. Si l'Union européenne adhère à la Convention européenne des droits de l'homme, pourquoi conserver deux juridictions ? La question se posera.

M. Christian Cointat. - Il faut agir certes mais ce ne sont pas les mêmes membres au sein de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Comment faire ?

M. Patrice Gélard. - Pour répondre à la question posée par notre président, je signalerai l'existence des arrêts pilotes qui sont un moyen positif pour fixer la jurisprudence face à des questions sérielles et un moyen à la disposition de la Cour pour écarter les requêtes infondées. Plus de 90 % des recours font d'ailleurs l'objet d'un rejet.

Comme le soulignent MM. Reichardt et Portelli, ce sont les arrêts de Grande chambre qui méritent de retenir l'attention. Nous n'avons malheureusement pas eu le temps de dépouiller l'ensemble de la jurisprudence de la Cour pour croiser des données statistiques quantitatives et qualitatives sur les motifs de condamnations de la Cour.

M. Portelli a raison de souligner que les questions procédurales constituent une part importante de l'activité de la Cour. J'aimerais indiquer que les juges des États nouvellement adhérents peuvent être de grande qualité. Le juge russe sortant est ainsi un excellent juriste, comme peuvent en compter les États d'Europe de l'Est, et il parle parfaitement le français.

Je partage l'avis de M. Richard : la réduction de souveraineté est acceptée par les États et même intégrée à la Constitution comme pour les transferts de souveraineté à l'Union européenne.

Notons que les juridictions françaises, contrairement à leurs homologues dans d'autres États, appliquent directement la jurisprudence de la Cour. Le cas soulevé par M. Lecerf - celui d'une question prioritaire de constitutionnalité qui viendrait contester l'interprétation de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat pour se conformer à la Convention européenne des droits de l'homme - est rare mais pourrait se poser effectivement. En 2008, j'avais d'ailleurs déposé un amendement pour réserver le contrôle de conventionalité au Conseil constitutionnel pour résoudre ce problème.

Comme l'a relevé Mme Lipietz, il n'y a pas d'amende pour recours abusif, contrairement au droit applicable devant les juridictions françaises.

En réponse à Mme Borvo, il faut tout de même reconnaître que la France est un État de droit.

Pour conclure, je préconise que notre Assemblée, notamment la commission des affaires étrangères, s'intéresse davantage au Conseil de l'Europe. Douze de nos collègues siègent à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe mais nous les entendons peu sur ces questions.

M. Jean-Jacques Hyest. - Ils travaillent pourtant !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Absolument.

La publication du rapport du groupe de travail est autorisée à l'unanimité.

Création du système « EURODAC » - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Jean-Yves Leconte sur la proposition de résolution européenne n° 678 (2011-2012) sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil (E 7388) relatif à la création du système « EURODAC » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) (établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale présentée dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride) et pour les demandes de comparaison avec les données d'EURODAC présentées par les services répressifs des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (Refonte).

Amendement COM-1 présenté par le rapporteur

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - C'est un amendement rédactionnel.

M. Christian Cointat. - J'approuve cette amélioration et je comprends ce que veut dire la résolution mais je m'abstiendrai.

L'amendement COM-1 est adopté.

Amendement COM-2 rectifié présenté par Mme Hélène Lipietz

Mme Hélène Lipietz. - C'est un amendement que j'avais annoncé la semaine dernière. Il concerne le rejet automatique des demandes d'asile lorsque la relève des empreintes digitales des requérants est impossible de manière récurrente. Je rappelle la jurisprudence.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié sont liés.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pour la bonne clarté du débat, je demande à Mme Lipietz de présenter son amendement COM-3 rectifié.

Mme Hélène Lipietz. - Les deux amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié s'inscrivent dans la même logique : faire référence à la valeur constitutionnelle du droit d'asile telle qu'entendue par la France.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Une partie du problème sera prochainement résolue sur le plan technique, avec un dispositif permettant de relever des empreintes même altérées. Vous avez raison de poser la question juridique.

Aujourd'hui, le placement en procédure prioritaire intervient dès lors que les empreintes digitales ne sont pas lisibles. Ce peut être volontaire mais certaines maladies et la manipulation de produits chimiques provoquent les mêmes effets. Ce n'est donc pas logique.

Aussi il semble nécessaire de préciser dans le règlement EURODAC qu'en tout état de cause, la seule impossibilité de relever les empreintes ne peut constituer un motif suffisant pour refuser l'examen d'une demande d'asile. Rappelons que le code communautaire des visas précise que « Le fait qu'un relevé d'empreintes digitales est physiquement impossible, [...] n'influe pas sur la délivrance ou sur le refus du visa ». Il convient également que le règlement indique la procédure à suivre en cas d'empreintes altérées ou absentes, ne serait ce que pour prendre en compte le cas des personnes privées de mains ou de doigts.

J'émets donc un avis favorable sur les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié.

M. Jean-Jacques Hyest. - Je ne comprends plus très bien ce qu'est une résolution européenne.

Au départ, il s'agissait d'ouvrir d'autres finalités au fichier EURODAC. Si on commence à traiter de problèmes de droit interne... La CNDA a dit : ce n'est pas systématique. Donc, très bien, c'est la jurisprudence. Sinon, on mélange les genres, même si la proposition de Mme Lipietz est intéressante.

M. René Vandierendonck. - Je confirme les propos du président Jean-Jacques Hyest.

M. Alain Richard. - Ces deux amendements n'ont pas vraiment la possibilité de s'inscrire dans cette résolution. Ils me gênent. Par définition, nous avons tous accepté que le droit d'asile soit assorti d'une mesure biométrique pour s'assurer de l'identité de la personne. On peut en changer si une difficulté apparaît. Mais si l'amendement signifie que toute mesure biométrique est une atteinte à la personne... Si ce n'est pas son sens, il n'a pas d'intérêt.

M. Simon Sutour. - La résolution européenne est le moyen pour l'assemblée d'indiquer au gouvernement français -qui est un des 27 gouvernements de l'Union européenne- dans quel sens elle souhaite qu'il agisse. Nous avons toujours la tentation de reprendre les débats nationaux.

Je rejoins les positions exprimées par mes collègues Jean-Jacques Hyest et Alain Richard.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je partage le point de vue de Jean-Jacques Hyest, Alain Richard et Simon Sutour.

Je suis favorable à l'amendement COM-1 qui enlève une ambigüité.

Je le dis à Mme Lipietz : notre résolution a d'autant plus de force qu'elle a un objet. Ce que dit Mme Lipietz est intéressant mais c'est un autre sujet. Je ne crois pas qu'on gagne en force dans cette résolution en ajoutant un certain nombre de considérants.

Mme Hélène Lipietz. - Je pense qu'à partir du moment où on émet un avis, il est bon de rappeler d'autres principes. C'est la reprise un peu plus poussée du quatrième considérant de la proposition de résolution de la commission. Mais si mes amendements sont de nature à affaiblir la position de la résolution, j'en prends acte et je les retire.

Les deux amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié sont retirés.

Amendement COM-4 présenté par Mme Hélène Lipietz

Mme Hélène Lipietz. - Il est important de rappeler une procédure méconnue de la plupart des Etats européens. Il ne faut pas que le poids économique des demandeurs d'asile soit un frein à l'examen des situations individuelles. C'est pour lutter contre ce qui se passe en Grèce. Il est important que l'Europe ne soit pas une forteresse assiégée et que le droit d'asile reste très prégnant dans notre conception européenne.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Quelques considérations juridiques sur la proposition de Mme Lipietz. Elle rappelle des principes importants.

Toutefois, ceci concerne davantage le Règlement Dublin II que le règlement EURODAC. Il ne me semble pas approprié de préciser dans celui-ci que Dublin II peut ne pas être appliqué dans certains cas. La démarche de la France devrait plutôt être d'essayer de faire mieux fonctionner EURODAC pour mieux appliquer les dispositions de Dublin II.

Je suis donc défavorable à l'amendement COM-4.

Mme Hélène Lipietz. - Je maintiens mon amendement.

L'amendement COM-4 est rejeté.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je consulte la commission sur la résolution ainsi modifiée.

M. Philippe Bas. - J'aurai volontiers voté pour cette résolution car j'en partage l'objet principal. Mais j'y relève plusieurs imperfections, notamment dans le quatrième considérant qu'il aurait mieux valu rédiger ainsi : Toute limite à ces principes doit être dûment justifiée.

Au cinquième considérant, on ne peut pas exclure que, parmi les demandeurs d'asile, certains soient animés d'intention criminelle.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Monsieur Bas, vous auriez pu déposer des amendements.

M. Jean-Jacques Hyest. - Même si cette proposition de résolution recèle des imperfections, il faut viser la finalité première du règlement européen. Je voterai donc cette résolution car l'amendement COM-1 a clarifié les choses.

La proposition de résolution est adoptée.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. LECONTE, rapporteur

1

Rédactionnel

Adopté

Mme LIPIETZ

2

Cas des empreintes inexploitables

Retiré

Mme LIPIETZ

3

Cas des empreintes inexploitables

Retiré

Mme LIPIETZ

4

Clause dérogatoire à Dublin II

Rejeté

Communication

M. Jean-Pierre Sueur, président. - En raison d'une réunion du conseil de défense, l'audition du ministre de l'intérieur par la commission est reportée de 11 heures 30 à 16 heures 15.

Mme Jacqueline Gourault. - Je vous prierai d'excuser mon absence car à la même heure, la délégation à la décentralisation entendra Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je serai également absente pour assister à une réunion de la commission de l'application des lois.

M. Simon Sutour. - Et moi pour une réunion de la commission des affaires européennes.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est pourquoi 11 heures 30 était une bonne heure et j'ai été marri d'être contraint à déplacer l'audition.

Politique de l'immigration - Audition de M. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission entend, au cours d'une réunion publique ouverte à l'ensemble des sénateurs, M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, sur la politique de l'immigration.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci, Monsieur le ministre, d'avoir accepté de répondre à nos questions et de nous présenter les orientations de la politique de l'immigration. En raison de la tenue d'un conseil de défense ce matin à l'Elysée, nous avons dût déplacer l'horaire de cette rencontre. Je vous demande de bien vouloir excuser en conséquence nos collègues qui participent en ce moment au débat en séance publique sur le collectif ou aux deux réunions de commission et à la réunion de délégation concomitantes. Nous aurons l'occasion de nous revoir sur d'autres sujets, comme la sécurité. Cette audition porte sur l'immigration. J'ajoute que pour nous le droit d'asile est une question en soi, qui ne peut être considérée comme un appendice de la politique d'immigration.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. - Merci de m'avoir convié à vous présenter les axes de la politique du gouvernement sur l'immigration, l'asile, je m'en expliquerai, l'intégration et l'accès à la nationalité. J'ai été parlementaire pendant dix ans. Je connais l'importance du travail en commission qui permet d'affiner les perceptions et d'apporter les éclairages essentiels. Je prendrai toute ma part aux travaux auxquels vous souhaiterez m'associer. J'étais, il y a deux semaines, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale : j'y ai tenu les mêmes propos. Je veux me rendre disponible aussi vis-à-vis du Parlement européen ; au début du mois, je me suis rendu à Strasbourg.

Je suis très attaché au principe de libre circulation et je serai très scrupuleux quant à la préservation de l'acquis Schengen. Je refuse la fermeture unilatérale des frontières (tout doit être décidé par le Conseil, sur proposition de la Commission) comme la politique de la chaise vide si je n'obtiens pas satisfaction. Je n'ai absolument pas accepté un compromis correspondant à ce que souhaitait le précédent gouvernement. Mais je sais que l'Europe doit se doter de mécanismes efficaces de surveillance de nos frontières. C'est le but du règlement «évaluation » qui a donné lieu à un débat de principe avec le Parlement européen. J'ai discuté de la question avec le président Schulz et de nombreux parlementaires européens, mais aussi avec la commissaire Malmstrom. Les solutions que j'ai proposées -qui aboutissent à renforcer le rôle de la commission dans le processus d'évaluation- et la bonne prise en compte des demandes du Parlement européen dans le règlement évaluation semblent satisfaire aussi bien la Commissaire que le Parlement européen.

Je sais être ici dans un lieu où les questions sont abordées avec mesure et nuance. C'est ce que réclament les Français. Je connais la préoccupation permanente des Sénateurs pour le respect des principes humanistes du droit et des libertés publiques. L'exigence qui vous anime sur des sujets sensibles comme la loi pénitentiaire ou le fichier accompagnant la carte d'identité en porte témoignage. Je connais, aussi, la liberté des sénateurs qui peut les amener, en conscience, à penser différemment de leur propre camp. Votre esprit de tempérance sera utile pour aborder les sujets qui, en dehors de ces murs, sont toujours soumis aux polémiques stériles, aux instrumentalisations et aux fracas.

Les questions d'immigration, d'intégration, d'asile et de nationalité ont, depuis de nombreuses années, alimenté les tensions. Par un curieux renversement, dans notre pays, dont l'histoire a affirmé la tradition d'accueil, l'arrivant a été perçu comme une menace, et non plus comme une chance. Jamais peut-être auparavant les mots de Jacques Prévert, parlant de ces «étranges étrangers », n'avaient aussi bien décrit la dureté du débat public. La volonté du président de la République et du Premier ministre est d'aller vers l'apaisement. Il m'appartient, dans mes fonctions, de mettre en oeuvre cette volonté à laquelle les Français ont très largement souscrit.

Ministre de l'intérieur, j'ai la charge de la sécurité de nos concitoyens. J'assume pleinement la fermeté nécessaire à l'accomplissement d'une telle mission.

Je suis également le ministre d'un État dont il m'appartient de garantir la plénitude et la continuité de l'action - je sais toute l'importance que vous accordez à cette question.

Je suis le ministre d'un État qui doit accueillir à l'intérieur de son espace, en fixant pour cela des règles, et en les faisant appliquer.

Le ministère de l'intérieur est aussi celui des grandes libertés publiques. C'est cet ensemble cohérent, formé d'un Etat à la fois régulateur des flux migratoires et garant des libertés publiques et fondamentales, qui doit permettre au ministre que je suis de mettre en oeuvre, en lien étroit avec les autres ministères compétents, une politique de justice et d'équilibre en matière d'immigration et d'intégration. Cette politique s'appuiera sur deux principes fondamentaux: l'objectivité et la transparence. Il s'agit de mettre en place des procédures justes, de faire la promotion d'un dialogue renouvelé avec les associations et les organisations syndicales et de mener une réflexion plus étroitement coordonnée avec les collectivités territoriales, confrontées, comme l'Etat, aux situations de grande précarité que peuvent connaître les migrants. Pour tendre vers davantage de justice, des premières avancées ont été réalisées. Elles doivent se prolonger, notamment par le bais d'un travail législatif qui se traduira par deux projets de lois, l'un présenté à l'automne, l'autre au premier semestre 2013. Au cours des deux derniers mois, j'ai pris trois mesures à caractère d'urgence.

Première mesure de bon sens, prise avec mes collègues Michel Sapin et Geneviève Fioraso : l'abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 sur les étudiants étrangers, qui conduisait à refuser le droit au séjour à des personnes hautement qualifiées, souhaitant exercer leurs talents dans notre pays.

Deuxième mesure qui répond à l'engagement du Président de la République: la circulaire du 6 juillet 2012, qui fait désormais de l'assignation à résidence la règle à la place de la rétention administrative pour les familles qui doivent être éloignées.

Troisième mesure: à la suite de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes, il n'est plus procédé à des mises en garde à vue de ressortissants étrangers, au seul motif du séjour irrégulier sur le territoire. Cela demande une évolution de notre droit qui garantisse l'efficacité de d'éloignement.

Parallèlement à ces premières réalisations, des travaux ont débuté visant à doter l'administration d'un cadre d'action clarifié et assoupli. Admettre au séjour quelqu'un qui n'en avait pas acquis le droit, le « régulariser », est un acte important qui doit s'appuyer sur des critères précis et objectifs. Il s'agit de donner une expression concrète à notre devise républicaine et de mettre un terme à toute idée de partialité et d'arbitraire. La République c'est l'inverse du privilège, de l'avantage et du traitement différencié. La République c'est, partout, et pour chacun, les mêmes principes de droit qui s'appliquent.

Une circulaire est en cours de préparation qui doit préciser les critères de l'admission exceptionnelle au séjour. Ceux-ci vont être discutés, cet été, avec l'ensemble des parties prenantes (associations, syndicats) et je suis à l'écoute des parlementaires. Ces critères portent sur les années de présence sur le territoire, les attaches familiales, la scolarisation des enfants, la situation par rapport au travail, donc sur ce qui fait la réalité d'une vie construite sur notre territoire. Interprétés de manière trop restrictive, ces dernières années, sans prendre pleinement en compte la nature des liens tissés par les demandeurs de titre avec notre pays, ces critères demandent du réalisme dans leur application. Il y avait 30 000 régularisations par an sous le précédent gouvernement, dont 15 000 purement discrétionnaires. La clarification des critères réduira la part d'incertitude. Elle donnera de la lisibilité aux personnes concernées et permettra de résoudre les situations individuelles les plus difficiles. Mais elle n'a pas pour objet d'augmenter le nombre de régularisations. Les critères sont justes, ils viseront à sortir de toute logique d'arbitraire, mais ils resteront précis et rigoureux.

Vous serez prochainement amenés à étudier deux projets de loi visant à tendre vers davantage de justice. Celui que nous vous présenterons à l'automne mettra fin au «délit de solidarité» qui permet de poursuivre l'aide désintéressée, apportée à des étrangers en situation irrégulière, sur la même base juridique utilisée pour les filières criminelles d'immigration. Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable.

Le second projet de loi, présenté au premier semestre 2013, dans ses dispositions relatives à l'immigration, proposera la création d'un titre de séjour pluriannuel pour les étrangers en situation régulière sur notre territoire. Ceux-ci doivent bénéficier d'un cadre administratif moins contraignant. Les difficultés à obtenir le renouvellement d'un titre de séjour sont des facteurs de fragilisation économique, d'instabilité et in fine des obstacles à l'intégration. Il s'agit, par conséquent, de sortir d'une logique qui, tout à la fois, est dure humainement, complexifie les missions de l'administration et se révèle contreproductive pour notre pays. Entre 50 000 à 60 000 personnes en situation régulière pourront bénéficier de ce titre pluriannuel.

Dans ce même projet figurera la question de l'asile, avec la transposition des directives européennes qui vont prochainement être adoptées. La France est une terre d'accueil, mais aussi de refuge. En voulant parler, un jour, au nom de l'humanité toute entière, notre patrie a acquis un statut singulier et universel qui nous oblige ; il est devenu une référence en matière de liberté pour toutes celles et ceux qui, à travers le monde, subissent l'oppression et la violence. L'asile réclame, cependant, un cadre précis d'application. Une réflexion est en cours avec nos partenaires européens, auprès de qui j'ai pu insister, au Conseil Justice et Affaires intérieures de l'Union européenne, sur la volonté de la France de s'inscrire pleinement dans une tradition. Ce «paquet asile» va nous amener à remettre à plat les procédures applicables : je m'appuierai sur le Parlement pour garantir les nouveaux droits accordés aux demandeurs en préservant l'objectif de réduction des délais fixé par le président de la République.

En matière d'immigration, faire preuve de mesure, c'est faire preuve de réalisme, condition nécessaire pour qu'un principe de justice soit pérenne. Le réalisme en matière d'immigration c'est, avant tout, la prise en compte de la situation économique et sociale de notre pays. Conformément aux engagements du Président de la République, un débat sera organisé, chaque année, au Parlement, sur la régulation des migrations économiques en fonction des besoins de notre pays, dans le cadre d'une concertation large avec les partenaires sociaux, les collectivités locales et les associations.

Le réalisme consiste également à avoir parfaitement conscience des filières d'immigration clandestine et à les combattre avec la plus grande fermeté. Ceux qui exploitent la misère humaine seront combattus avec détermination, ce qui implique un redéploiement des forces de sécurité vers un travail de fond, nécessaire au démantèlement des filières, en lien étroit avec les ministères du travail et du budget.

Le réalisme, c'est encore agir efficacement en matière d'éloignement. Les personnes, en situation irrégulière sur notre territoire, et qui n'ont pas vocation à y rester, doivent regagner leur pays d'origine. La décision de la Cour de cassation du 5 juillet qui ne donne plus légalement le temps matériel nécessaire pour examiner la situation d'un étranger au regard de son droit au séjour et d'en tirer les conséquences administratives ouvre un vide juridique qu'il s'agit de combler. Il y va de l'efficacité nécessaire de la politique d'éloignement. Dans le cadre du projet de loi présenté à l'automne, un dispositif sera proposé qui respectera les impératifs constitutionnels et européens, et garantira un équilibre indispensable entre le respect des libertés individuelles et les exigences de maîtrise des flux migratoires.

Le réalisme c'est, enfin, comprendre l'immigration et l'intégration dans la diversité de leurs implications, ce qui signifie faire la promotion d'un travail interministériel trop oublié sous le gouvernement précédent. Certains sujets demandent d'avancer en parfaite coordination et intelligence. Ce fut le cas, récemment, avec l'envoi conjoint - ce qui représente une première! - d'une circulaire du ministère de l'intérieur aux préfets et d'une circulaire de la chancellerie aux procureurs, à la suite de la décision de la Cour de cassation mettant fin aux gardes à vue au seul motif du séjour irrégulier. De même, les critères d'admission exceptionnelle au séjour sont l'objet d'une réflexion commune avec le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. La consultation des acteurs sociaux, qui commence cette semaine, est menée conjointement par mes équipes et celles de Michel Sapin. Le sujet, particulièrement délicat, des étrangers malades réclame une action commune avec le ministère des affaires sociales et de la santé afin d'améliorer l'articulation entre les agences régionales de santé et les préfectures. Nous allons lancer avec Marisol Touraine une mission commune sur ce sujet. Inutile de rappeler devant vous la suppression du droit de timbre de 30 euros pour accéder à l'aide médicale d'Etat, votée en loi de finances rectificative.

C'est une exigence d'équilibre qui anime mon action. Je veux regarder l'immigration comme un défi positif pour la France, celui de l'intégration et celui, également, qui conduit à devenir Français. Si je suis le ministre de l'intégration, par mon décret d'attribution, je reconnais bien volontiers que ce sujet traverse l'ensemble des politiques publiques. Il est interministériel par essence et c'est en ce sens que j'ai commencé à travailler avec mes collègues.

Faire le choix de venir en France c'est, pour beaucoup d'arrivants, le début d'une adhésion pleine et entière à notre Nation. C'est le message que la France a fait vivre, tout au long des époques, depuis que la question de la Nation s'est posée. On ne naît pas forcement Français, on peut, si on le souhaite, le devenir, comme je l'ai fait il y a trente ans. Notre nation n'a pas une identité figée dans le marbre, elle est la somme d'identités multiples qui se retrouvent dans un idéal commun et dans des lois communes qui forment notre République. Le défi de l'immigration sera relevé si la naturalisation n'est plus vécue comme la fin d'un parcours du combattant, mais comme l'issue d'un processus d'intégration qui a sa part d'exigence. Le nombre de naturalisations est en chute libre: si rien n'est fait, ce nombre va chuter de 40% entre 2011 et 2012, après une chute de 30% entre 2010 et 2011. Cette chute résulte d'une politique délibérée d'exclure de la nationalité des gens méritants et ne posant aucune difficulté. Je m'apprête à revenir sur les critères introduits subrepticement par mon prédécesseur. Je veux faire de la nationalité un moteur de l'intégration et non le résultat d'une course d'obstacles aléatoire et discriminante.

En appliquant cette ligne politique, j'ai conscience de ne pas plaire à tout le monde. Mais j'ai la conviction d'atteindre un point d'équilibre. J'entends les critiques monter au sein de certaines associations, qui me reprochent d'être trop dur vis-à-vis des étrangers. Elles se mêlent à d'autres, venues du camp opposé, par la voix même de mon prédécesseur, qui me reproche d'être laxiste.

Comment être à la fois trop dur et laxiste? Ces appréciations contradictoires sont les conséquences du point d'équilibre que je recherche. Je ne prétends pas détenir la vérité. Il n'y a rien de figé. La seule question qui vaille est la suivante: est-ce que le choix qui est fait est juste ou non? S'il est juste, il sera appliqué. S'il est injuste, il sera rejeté.

M. Jean-Pierre Sueur , président. - Merci des ces annonces. Nous sommes très attentifs à ces sujets et à la place de la loi. Vous avez évoqué l'attachement du Sénat à la mesure. Nous sommes très attachés aux libertés publiques, aux droits de l'homme, au fait que la France, par son histoire, soit une terre d'accueil.

Est-il possible d'éviter les polémiques trop faciles ? Il ne s'agit pas de savoir s'il faut être « laxiste » ou « dur » mais il faut être juste, savoir quel est le droit applicable et quels droits nouveaux mettre en oeuvre. Vous avez indiqué, conformément aux engagements du Président de la République, certaines orientations qui divergent de celles qui ont été choisies par cinq fois en cinq ans.

Beaucoup de collègues, venus de toutes les commissions, nous ont rejoints. Nous sommes nombreux à nous féliciter de l'abrogation de la circulaire qui signalait à tous les étudiants qui frappent à notre porte que la France les rejetait ou les contraignait à de longues files d'attente dans des bureaux, pour les inciter à aller ailleurs. Il est très important pour le rayonnement de la France qu'elle accueille les étudiants du monde.

Nous nous réjouissons aussi de la circulaire que vous avez prise pour sortir les enfants des centres de rétention, où ils n'ont pas leur place. Vous avez annoncé que vous comptez mettre fin au délit de solidarité, contre lequel nous nous sommes exprimés, puisqu'il conduisait à pénaliser certaines associations pour leur missions humanitaires.

On ne peut s'en tenir aux circulaires. Il faut inscrire certaines dispositions dans la loi. Ainsi, pour le regroupement familial, le durcissement des exigences législatives, comme celle d'une durée de séjour de 18 mois ou l'obligation de demander un visa de long séjour, ont rendu plus difficile l'exercice du droit de vivre avec son conjoint. Nous pouvons nous interroger sur la pertinence de l'examen culturel et linguistique. Songez ce qu'il adviendrait de nos expatriés en Inde ou en Chine si leurs conjoints devaient subir le même type de test ! Une politique nouvelle de naturalisation peut offrir une réponse à certaines difficultés.

Sur l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, l'allongement de deux à cinq jours de la durée de rétention préalable au contrôle du juge a posé problème à de nombreux sénateurs, de même que l'allongement de la durée maximale de rétention de 32 jours à 45 jours. Il y a aussi les restrictions aux droits des étrangers, entre leur arrestation et leur placement en rétention sont dans la loi. Nous aimerions connaître vos intentions précises en la matière.

De même, je vois mal comment ne pas prendre de mesure législative à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation rendant impossible la garde à vue dans la procédure d'éloignement.

La loi du 16 juin 2011 a créé le concept un peu singulier de zone d'attente flottante, en tout point du territoire. Vous reconnaissez-vous dans une telle notion ?

Sur l'asile, la question des pays d'origine dits sûrs et des parties sûres des pays dits non sûrs doit être posée.

Sur Mayotte, nous avons rendu la semaine dernière un rapport. Il est impossible de continuer cette politique tragique qui cause tant de morts sur les frêles esquifs entre les Comores et Mayotte et tant de difficultés à la population mahoraise. Dépenser 50 à 70 millions d'euros pour reconduire des gens qui reviennent amène à se demander s'il y a d'autres moyens de procéder.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Votre circulaire sur l'assignation à résidence exclut Mayotte. Ce n'est pas satisfaisant, mais face à l'ampleur du problème, comment faire autrement ? Le problème de l'immigration clandestine fait de Mayotte, malheureusement, un cas à part. Songez que la moitié des reconduites à la frontière de notre pays ont lieu à Mayotte, nouveau département de 300 kilomètres carrés et que plus de 40 % des personnes concernées sont réitérantes.

Je tiens à évoquer les conséquences de la lutte contre l'immigration clandestine sur les mineurs étrangers isolés. Les chiffres que nous entendons varient de 3 000 à 8 000. Quel est le bon ? J'espère obtenir des réponses précises dans les mois qui viennent. Il est urgent de mettre fin à ces drames qui touchent trop de monde. Il faut trouver des solutions. L'excellent rapport publié la semaine dernière par notre commission ouvre des pistes de réflexion.

Il importe de trouver des solutions immédiates, pour mettre fin à un fléau dont la population de notre île est la première victime. Il est urgent de poursuivre la lutte contre l'immigration clandestine, voire de l'intensifier, mais autrement que par une politique du chiffre qui a montré ses limites.

A l'instar de la Seine Saint-Denis, il faudrait que les pouvoirs publics contribuent à l'effort en faveur des mineurs isolés, qui sont une conséquence directe de la lutte contre l'immigration clandestine.

A terme, il faut favoriser la coopération régionale. Puisque l'on invoque souvent les liens entre Mahorais et Comoriens pour revenir sur le choix irréversible de Mayotte en faveur de la France, mettons-les à profit pour bâtir dans les faits, et non seulement dans les mots, une véritable coopération régionale.

A la suite de la remise du rapport sénatorial, vous pouvez compter sur les sénateurs de la commission des lois dont je suis pour chercher des solutions à ce problème qui gangrène Mayotte.

Mme Hélène Lipietz - Que coûte, globalement, la lutte contre l'immigration clandestine, en y incluant le temps passé par la police à escorter les sans-papiers ? En a-t-on bien pris la mesure ? Vous vous étonnez qu'on vous dise à la fois dur et laxiste. Oui, lorsque vous annoncez des circulaires, qui je l'espère, n'empièteront pas sur le pouvoir législatif, on peut penser que vous êtes laxiste. Cependant, quand vous expliquez qu'il n'y aura pas plus de 30 000 régularisations, cela nous rappelle de vilains souvenirs à propos de parents d'enfants scolarisés : on s'était alors arrêté au nombre indiqué, et de nombreux parents, cette année-là, n'ont pu être régularisés.

Quelle sera votre politique en faveur des mineurs isolés pris en charge par l'aide sociale à l'enfance ? Sait-on le coût humain pour ces jeunes incités à s'insérer dans la société française, à faire des études, mais qui ne sont pas sûrs d'être régularisés à 18 ans ? C'est pourtant l'une des voies d'entrée en France.

La convention internationale des droits de l'enfant prévoit pour les mineurs, qui sont les grands oubliés du code de l'entrée et du séjour des étrangers, des droits spécifiques comme le droit de vivre avec ses parents, mais aussi le droit à une vie privée propre, indépendante de celle des parents. Lorsque leurs parents ne sont pas régularisés, ils risquent de devoir abandonner leur scolarité et les amis qu'ils se sont faits en France.

Mme Éliane Assassi. - Je vous félicite, monsieur le Ministre, pour vos propos, qui marquent une rupture et un apaisement.

Lors de votre nomination, certaines formations politiques se sont interrogées sur l'attribution à votre ministère des attributions liées à l'immigration et à l'intégration. Vous vous êtes engagé de façon très volontariste sur l'immigration, mais est-il envisagé de modifier les contours de votre ministère ? Mme la garde des sceaux a proposé de confier l'asile au ministère des affaires étrangères, la naturalisation et l'intégration aux affaires sociales et à la justice. Serait en outre créé un ministère de l'immigration et du co-développement.

Le Sénat, dans sa grande sagesse, a adopté une proposition de loi sur le droit de vote des résidents étrangers. Au-delà de votre point de vue, que j'espère favorable, envisagez-vous que l'Assemblée l'adopte prochainement ?

Sur les Roms, la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme), la CNCDH (commission consultative nationale des droits de l'homme) et la Halde (Haute autorité de lute contre les discriminations et pour l'égalité) avaient émis des recommandations afin de mettre fin aux discriminations dont ces populations sont victimes et de trouver des solutions durables et humaines à leur accueil en France, au-delà de la politique de départs soi-disant volontaires qui s'intensifient. Quelles sont vos ambitions en la matière ?

M. Claude Jeannerot. - Je salue votre décision juste et conforme aux orientations européennes de mettre fin au placement des familles en centres de rétention. Elle était nécessaire. En tant que président du conseil général du Doubs, j'attire votre attention sur les conséquences qui peuvent être catastrophiques de cette juste décision. On manque de places dans les centres d'hébergement d'urgence et l'hiver sera là dans quelques mois...

Comment répondre aux cas des étrangers qui ne sont ni expulsables ni régularisables ?

M. Louis Nègre. - Je vous rejoins sur la circulaire relative aux étudiants étrangers, qu'il est souhaitable d'accueillir, dans la mesure où ils sont de vrais étudiants, parce qu'ils seront demain des ambassadeurs dans le monde entier.

Sur la régularisation, vous avez évoqué des critères objectifs, mais quid des personnes qui auront eu maille à partir avec la justice et la police ?

Quant à la reconduite à la frontière, elle est plus facile à dire qu'à faire. Notre collègue de Mayotte a cité le chiffre de 40 % de réitérants. Que comptez-vous faire pour être « efficace », selon vos propres termes ?

Sur le regroupement familial, vous estimez, monsieur le Président, les critères trop stricts. L'exemple des Français en Chine, que vous avez pris, me paraît un peu spécieux. Que je sache, les Chinois ne se sentent pas menacés par l'immigration française ! En revanche, en France, le problème de l'immigration est incontestable. Il ne me paraît pas trop strict d'exiger une vraie intégration. En tant que maire, j'ai reçu quelqu'un qui voulait faire vivre sa famille, cinq personnes, dans un studio de 30 mètres carrés...Que répondre ? Est-il excessif de demander un logement décent, alors même qu'il nous manque un million de logements en France ? De s'assurer de l'existence d'un vrai travail, alors que nous avons trois à quatre millions de chômeurs ? Les mesures pleines de bons sentiments et d'angélisme...

M. Jean-Pierre Sueur , président. - Je suis loin d'être angélique !

M. Louis Nègre. - sont sympathiques. Sauf sur le terrain. L'immigration incontrôlée en Europe a conduit partout à une poussée du populisme ! Réfléchissons-y au moins autant qu'au coût de la lutte contre l'immigration clandestine !

M. Jean-Yves Leconte. - Les critères des naturalisations deviennent aberrants : ils excluent des bacheliers formés dans nos établissements à l'étranger.

La diminution des délais d'examen des demandes d'asile suppose que l'on améliore l'accès aux préfectures et que l'on augmente les moyens de l'OFPRA, dont la plupart des officiers de protection sont précarisés.

Allez-vous prendre en compte la décision de la Cour européenne des droits de l'homme sur l'effet non suspensif de la procédure prioritaire de l'OFPRA ?

Me réjouissant de l'abrogation de la circulaire du 31 mai, je souhaiterais savoir comment vous comptez vous associer au programme d'accueil de 100 000 étudiants brésiliens en Europe, pour lesquels certains de nos partenaires ont supprimé les visas. La France pourrait en accueillir 10 000.

S'agissant des ressortissants roumains et bulgares, force est de constater que le travail des associations pour les aider à sortir de la précarité par l'accès au travail est mis à mal par l'application des mesures transitoires de la procédure européenne d'adhésion. Envisagez-vous de les évaluer ?

Enfin, la taxe sur les cartes de séjour ayant été beaucoup augmentée par la loi de finances pour 2012, allez-vous la ramener à un niveau supportable pour les personnes concernées ?

M. Hugues Portelli. - En tant qu'universitaire, je vous remercie d'avoir abrogé la circulaire sur les étudiants étrangers, même si cela n'est pas suffisant pour que notre pays redevienne attractif. Dans le master que je dirige, le nombre d'étudiants étrangers a baissé de 80%.

A propos des régularisations, la taxe exigée de l'employeur des travailleurs étrangers -représentant un mois de salaire au SMIC- est non seulement rédhibitoire, mais l'inégalité qu'elle introduit entre candidats à un contrat de travail est aussi contraire aux règles de l'OIT, et sans doute de la Constitution. Il faut d'urgence régler ce très grave problème.

Autre discrimination, l'examen culturel et linguistique. Je connais en effet des habitants de ma commune vivant en France depuis 30 ans et pour lesquels cet examen constitue un véritable traumatisme. Ces clauses me rappellent les règles mises en place dans le sud des Etats-Unis après la guerre de Sécession qui ont empêché pendant un an les esclaves et leurs descendants de voter.

M. François Fortassin. - J'ai apprécié votre discours clair et sans langue de bois. Cela nous change ! Ce mélange de fermeté et d'humanisme me convient parfaitement. Oui, il faut abandonner les principes discrétionnaires au profit de la justice et de la transparence. Car chaque fois que l'on fait usage de l'arbitraire, la République est abimée, et chaque fois que l'on fait appel à la justice et à la transparence, la République en sort renforcée. Or, le rôle d'un ministre de l'intérieur est bien de renforcer les principes républicains. Lors de votre passage dans les Hautes-Pyrénées, les forces de l'ordre ont particulièrement apprécié votre discours et, surtout, votre considération pour leur travail.

Mme Esther Benbassa.- Merci pour ces propos fort apaisants. L'on aurait pu penser que la gauche reviendrait sur l'inclusion, emblématique de la politique Sarkozy, de l'intégration et de l'immigration dans les attributions du ministère de l'intérieur. Cela aurait marqué une rupture symbolique.

Mme Catherine Tasca. - Votre intervention ouvre, enfin, des perspectives constructives à la politique d'immigration. Je souhaite que vous ayez les moyens de concrétiser ces annonces. J'estime pour ma part qu'il est positif de lier intégration et immigration, car on ne peut tenir un discours juste en matière d'immigration sans une politique d'intégration active.

Pourriez-vous revenir rapidement sur le dernier conseil européen et la question de l'espace Schengen. N'y voyez aucun procès d'intention à votre égard, simplement nos commissions des lois et des affaires européennes se sont préoccupées de ce qui s'y est dit. Pourriez-vous nous donner votre sentiment personnel sur l'état d'esprit de vos collègues européens sur l'évaluation de Schengen et sur les fameuses « circonstances exceptionnelles » autorisant le rétablissement de contrôles intérieurs. Tous les Etats membres ne partagent pas notre tradition d'accueil...

M. Christophe Béchu. - Les déclarations d'intention sont une chose, c'en est une autre de tenir la ligne de crête entre fermeté et humanisme tout au long d'un exercice ministériel.

La répartition des CHRS (centre d'hébergement et de réinsertion sociale) est très inégale entre les territoires. Par exemple, le Maine-et-Loire accueille, proportionnellement à sa population, plus de demandeurs d'asile que la Loire Atlantique. C'est simple : là où il y a une borne Eurodac, il y a un nombre important de demandeurs. Il faudrait peut-être généraliser ces bornes, ou bien procéder à une stricte régionalisation.

L'on ne peut distinguer immigration, régularisation et asile, car ce sont les 18 à 24 mois de la procédure de demande d'asile qui aboutissent à placer les personnes dans une situation de ni-ni objectif, les relations qu'elles ont nouées dans notre pays compliquant alors la reconduite à la frontière. Si l'on ne voit pas que la demande d'asile constitue le moyen le plus simple d'entrer en France pour ensuite introduire des recours, l'on manque une étape dans la compréhension globale du phénomène. Si renforcer les moyens consacrés à l'examen des demandes d'asile est conforme à la mission de notre pays, c'est aussi nécessaire pour, en menant une politique de régularisation ferme et compréhensible par les populations, ne pas aboutir à des régularisations de fait.

Le versement du timbre comme le bénéfice de l'APL ne devrait pas dépendre de la seule nationalité, mais également des ressources. Est-il normal que des étudiants étrangers touchent cette allocation dans la mesure où leurs parents n'ont pas de revenus en France, alors qu'ils occupent dans leur pays des situations parfois enviables ? Il y a là une profonde injustice.

Mme Bariza Khiari. - J'ai apprécié vos propos au moment de votre prise de fonctions. Il est bon de ne stigmatiser aucune communauté, car la confiance dans la République se fonde aussi sur des propos apaisants, et sur une égalité de traitement en fonction de critères simples et intelligibles par tous. Comment cette uniformité sera t-elle mise en oeuvre sur le territoire, alors que de si mauvaises habitudes ont été prises depuis si longtemps ?

Il faut se pencher sur le montant des taxes pour le droit au séjour, qui peut atteindre 1 000 à 1 500 euros pour une famille.

Si je me félicite d'entendre certains se réjouir aujourd'hui de l'abrogation de la circulaire sur les étudiants étrangers, j'aurais aimé qu'ils le disent en séance lorsque nous examinions, il y a quelque temps, ma proposition de résolution sur ce sujet.

M. Pierre Hérisson. - La question des gens du voyage est, dans l'esprit de nos concitoyens, souvent associée à celle de l'immigration. Je m'y consacre depuis plusieurs années, notamment avec Louis Besson dans le cadre de l'AMF à partir de 1995, puis comme rapporteur de la loi de 2000. Une proposition de loi reprendra les sujets urgents que j'ai identifiés au fil de deux missions récentes. Je ne la déposerai pas sans vous l'avoir communiquée et en avoir débattu avec le Défenseur des droits. Je souhaite, monsieur le Président, qu'elle puisse être rapportée par un membre de la majorité sénatoriale. Il est d'autant plus nécessaire d'agir que les mesures transitoires prendront fin le 31 décembre 2013. Sur 2,8 millions de Roms de nationalité roumaine, 15 000 veulent vivre en France. Ils ne relèveront plus du droit de l'immigration, mais du statut des gens du voyage de notre pays. Je me tiens à votre disposition pour travailler sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Soyez assuré que la commission des lois traitera avec attention votre proposition.

Mme Virginie Klès. - Au problème de la répartition territoriale des demandeurs d'asile s'ajoute celui de l'inégalité des charges pesant sur les conseils généraux, qui financent l'aide sociale et l'aide à l'enfance. L'État mettra-t-il en place une forme de solidarité nationale ou une coopération entre les collectivités ?

Enfin, quid des tests osseux visant à déterminer l'âge des mineurs qui se révèlent peu fiables, prennent du temps et coûtent cher ?

M. René Vandierendonck. - Sur l'accès à la nationalité, je vous suggère une mission associant l'inspection générale de l'administration, un sénateur, et qui irait dans une préfecture, celle du Nord, pour voir concrètement comment améliorer les circuits.

M. François-Noël Buffet. - Votre politique de l'immigration n'introduit finalement pas de changement fondamental. Quelles instructions allez-vous donner à vos préfets en matière de régularisation ? La mise en place de critères objectifs ne doit pas gêner les préfets, qui ont besoin de conserver la nécessaire souplesse d'appréciation.

L'encombrement de la cour nationale du droit d'asile explique largement la lenteur de la procédure. Envisagez-vous d'augmenter ses moyens dans le cadre du budget, afin de limiter les délais d'examen à une année ?

Mme Maryvonne Blondin. - Les budgets des préfectures pour l'hébergement des demandeurs d'asile sont épuisés depuis le mois de mai dernier, l'État n'a pu assumer toutes ses responsabilités. D'où l'utilité de conventions entre les collectivités, les grandes villes et l'État.

M. Christian Poncelet. - On confie aux conseils généraux des missions importantes, sans régler la facture ? Ils ne peuvent presque plus investir, eux qui assurent les trois quarts de l'investissement.

Après des périodes froides, l'Algérie, où je vais souvent et d'où M. Fabius revient, a la volonté de se rapprocher de la France. Beaucoup de jeunes veulent connaître notre pays et apprendre sa langue. Je vous prie de faciliter cette relation. Comment tisser des liens très forts d'amitié si nos consulats pinaillent pour l'octroi de visas. Je suis intervenu personnellement pour qu'on ne décourage pas ces jeunes. Soyez mon interprète, monsieur le Ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. - Je me rendrai en Algérie cet automne, monsieur le Président. J'y aborderai la problématique des visas et des conventions très particulières qui nous lient à ce pays. J'en parlerai d'ailleurs dès ce soir au Maroc.

M. Christian Poncelet. - Très bien !

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. - De toutes les autres interventions, j'aurais aimé retenir celle de M. Fortassin, dont je le remercie tout particulièrement.

Si l'on peut bien entendu en débattre, le périmètre de mon ministère procède d'un choix du président de la République et du Premier ministre. Catherine Tasca l'a dit, il y a une cohérence à regrouper l'immigration, l'intégration et le droit d'asile. Le grand ministère de l'intérieur ne doit pas être uniquement le ministère de l'ordre public, même si sans ordre public, il n'y a pas de démocratie, mais aussi celui des libertés publiques. J'ai, sur l'OFPRA, une responsabilité administrative et financière ; je n'ai en aucun cas celui de mettre en cause l'indépendance de ses agents. Dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2013, j'obtiendrai les moyens permettant de réduire le délai à six mois comme le président de la République s'y était engagé pendant la campagne.

S'il est important de rappeler la distinction entre immigration et droit d'asile, lequel est régi par des conventions internationales, il va de soi que les personnes déboutées de ce droit peuvent ensuite relever de notre politique de l'immigration.

Le droit de vote des étrangers nécessite une réforme constitutionnelle qu'il revient au président de la République d'engager selon les formes qu'il choisira. A mes yeux, si ce droit peut être accordé à une personne qui n'est pas ressortissante d'un Etat de l'Union européenne, il ne constitue peut-être pas un élément d'intégration supplémentaire. Là où je suis, je veux insister sur la question essentielle de la naturalisation. Le droit de vote des résidents étrangers a été porté dans les années soixante-dix ; aujourd'hui le vrai sujet est celui de l'intégration des première, deuxième et troisième générations.

L'accès à la nationalité française s'apparente souvent à une course d'obstacles aléatoire et très discriminante. Aussi, la semaine prochaine, lorsque nous les rencontrerons avec le Premier ministre, je donnerai des directives aux préfets. Il faut changer la donne, mesurer l'impact de la déconcentration - pas uniquement dans le Nord -, et remettre à plat les critères d'accès à la nationalité comme l'insertion professionnelle, l'emploi, les conditions de ressources, la situation des jeunes ou des conjoints français. On doit encore encadrer l'entretien d'assimilation, car le questionnaire, auquel même un grand nombre d'entre-nous aurait du mal à répondre, s'apparente surtout à un jeu télévisé. En outre, les agents des préfectures, confrontés à ces situations, méritent de disposer d'outils performants. Je ne veux pas remettre en cause du jour au lendemain la déconcentration. Tout en évitant les va-et-vient, il convient de veiller à la cohérence et à l'égalité sur l'ensemble des territoires.

Le président de la République et le Premier ministre ont demandé aux membres du gouvernement de ne légiférer que lorsque cela était nécessaire, comme avec la décision de la cour de cassation. Ce sera le cas sur le titre de séjour. La loi doit conforter la hiérarchie des normes et assurer l'égalité. Lors du débat sur la carte de trois ans, je serai tout à fait disposé à rediscuter des critères mis en place ces dernières années, comme, pour le regroupement familial, des restrictions concernant le conjoint étranger. 73 % des signataires d'un contrat d'accueil et d'intégration sont arrivés en France dans le cadre du regroupement du fait d'un lien familial. Voilà un champ à explorer, tout en veillant à discerner d'éventuelles situations de fraudes.

A l'occasion des débats que nous aurons au Parlement tous les ans sur le lien entre économie et immigration, ou lors de la discussion des différents projets de loi, je souhaite que nos échanges soient sereins. L'accueil des étudiants étrangers renvoie à la place de la France dans le monde. Traitons de l'économie et parlons sans langue de bois de l'accueil de l'immigration. En effet, les conditions d'accueil ne sont pas bonnes parce qu'il se fait dans les mêmes quartiers de mêmes villes, ce qui rajoute aux difficultés de l'immigration régulière et de la population.

Le monde s'est ouvert et l'immigration, ce grand défi de la planète, change. Elle n'est plus la même qu'il y a quarante ans et concerne désormais tous les départements. Je ne suis ni naïf ni angélique, le débat sera difficile, raison de plus pour essayer de le maîtriser.

La rétention est une mesure coercitive ultime, lorsque l'éloignement ne peut être réalisé par un autre moyen. D'une durée moyenne en métropole d'environ dix jours, elle ne peut être portée à 45 jours au maximum que par une double décision du juge des libertés et de la détention. Sous l'influence de notre droit national et du droit européen, elle va connaître des profonds changements. Soyons, contrairement à ce qui s'est passé avec la dernière décision de la cour de cassation, capables de les anticiper.

Les zones d'attentes flottantes, prévues par le code, sont destinées à faire face à des situations exceptionnelles. Ce ne sont pas des lieux de non-droit, elles bénéficient d'un cadre spécifique sur lequel le défenseur des droits et le contrôleur général des lieux de privation sont très vigilants. Bien que les associations soient critiques, il faut les maintenir. Les préfets les plus concernés, notamment sur la façade méditerranéenne, ont reçu instruction de préparer des scénarios de crise pour anticiper les lieux de débarquement et en déduire les modalités d'hébergement les plus efficaces. J'accorde sur ce sujet la plus grande attention à la garantie des droits des étrangers et aux attentes du Parlement comme du contrôleur général.

Je suis très sensible à la qualité du rapport sur Mayotte. Il est impossible, comme vous l'avez reconnu, de considérer que la situation concernant la rétention des enfants est la même qu'en métropole. Il convient de prendre en compte nos relations avec les Comores. Je me tiens à la disposition des parlementaires de ce département.

Enfin, je veux vous dire mon inquiétude sur la problématique des Roms, qui ne se règlera pas par le seul accès au travail. Il s'agit d'un problème plus général de citoyens européens pourchassés dans leurs pays d'origine, que l'Union européenne devrait rappeler à leurs obligations.

Les expériences utiles menées en Ile-de-France ou à Tourcoing demeurent homéopathiques, tandis que la situation à Lyon, Aix-en-Provence, Lille et en Seine-Saint-Denis est très difficile. Devant les risques de confrontation entre les communautés constatés dans ce département, nous sommes contraints à procéder à des opérations de démantèlement. Il faut traiter le débat dans la sérénité car, si l'on procède comme il y a deux ans, on établira l'amalgame.

Je reviendrai rapidement devant vous poursuivre ces échanges.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie de vos réponses. Elles montrent votre souci de traiter les questions plutôt que de les exploiter. Comptez sur nous pour continuer à y travailler.